Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Merci, madame la greffière, et merci, aux membres du comité de leur confiance.
Il s'agit de la réunion numéro 35 du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes mercredi le 30 septembre 2009.
Comme vous l'avez vu, l'ordre du jour ne comporte qu'un seul point, c'est-à-dire l'élection à la présidence et à la vice-présidence. Pour que nous puissions continuer nos procédures et entendre un témoin nous parler du projet de loi C-232, nous avons besoin du consentement unanime des membres du comité. M'accordez-vous le consentement unanime? Très bien. Aux fins du procès-verbal, nous avons le consentement unanime pour poursuivre.
Je pense qu'on vous a dit que vous disposez de dix minutes pour faire votre exposé. Par la suite, nous passerons aux questions des membres du comité. Allez-y, s'il vous plaît.
Je suis très heureuse, au nom du Barreau du Nouveau-Brunswick, d'avoir accepté l'invitation à comparaître devant ce comité. Je tiens à féliciter M. le président, qui va entamer son nouveau mandat au sein du comité.
Je suis la vice-présidente du Barreau du Nouveau-Brunswick. Je suis avocate depuis 23 ans et en pratique privée depuis 17 ans, ayant fait un stage d'environ quatre ans au sein de l'administration de la justice, plus précisément auprès de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. Comme vous le savez, le Nouveau-Brunswick est une province bilingue qui reconnaît sans équivoque le statut légal du français et de l'anglais au sein du système de justice. Dans cette province, un justiciable a le droit de déposer toute procédure dans la langue de son choix et, ce qui est très important, d'être compris par le juge d'audience ou par le panel de juges qui entend sa cause dans la langue de son choix.
On a préparé un petit document pour expliquer la position du Nouveau-Brunswick. En première page figure une section intitulée « Point de vue du Nouveau-Brunswick ». On y trouve des articles de la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick. Je tiens à mentionner que dans l'article 18 de la loi, on dit que nul ne peut être défavorisé en raison du choix qu'il fait quant à la langue de procédure utilisée. Au Nouveau-Brunswick, c'est un aspect très important de la Loi sur les langues officielles.
Le Barreau du Nouveau-Brunswick appuie le projet de loi C-232. Comme l'ont mentionné plusieurs intervenants ou représentants qui ont déjà comparu devant ce comité, à la lumière de l'évolution du pays et des droits linguistiques depuis l'avènement de la Charte canadienne des droits et liberté, la compréhension orale et écrite des procédures judiciaires par l'entremise de traduction ou d'interprétation devant le plus haut tribunal du pays est une anomalie législative. Même avec la meilleure volonté du monde, tant pour la personne qui tente de comprendre que pour l'interprète, l'interprétation ou la traduction ne reflète pas nécessairement toute l'essence d'un texte, le caractère d'une expression ou d'un mot, le ton ou la force d'un argument. De plus, en raison de nos textes de loi bilingues, il va de soi que la compréhension du français et de l'anglais peut ouvrir la voie à une détermination judiciaire fondée sur des subtilités de la langue ou de la syntaxe. D'où la nécessité de bien comprendre le français et l'anglais, afin de permettre une détermination judicieuse de l'interprétation de nos lois.
Le projet de loi C-232 est des plus louables. Comme je l'ai mentionné, le Barreau du Nouveau-Brunswick l'appuie. Toutefois, il y a un bémol. Malgré la pertinence du problème et son actualité, le projet de loi C-232 n'apporte aucun correctif immédiat à la situation. Comme le mentionnait le député Yvon Godin, la disposition proposée ne s'appliquerait qu'à toute nouvelle nomination de juge à la Cour suprême du Canada. En attendant qu'il y ait uniquement des juges bilingues à la Cour suprême du Canada, le problème d'être compris dans la langue de son choix par le plus haut tribunal du pays perdure.
Ce que le Barreau du Nouveau-Brunswick propose peut sembler une mesure transitoire, mais en fait, cette recommandation nous apparaît une solution véritable à long terme au problème que tentent de corriger tous ceux qui appuient le projet de loi. Les justiciables, les avocats et les juges, tous veulent une solution équitable et que les besoins des justiciables soient satisfaits. La recommandation du Barreau du Nouveau-Brunswick est donc d'exiger que tout juge de la Cour suprême du Canada qui entend une procédure comprenne la langue officielle de la procédure ou les deux langues officielles, si les deux sont utilisées dans la procédure.
La Loi sur la Cour suprême prévoit que le quorum nécessaire pour une audience devant la Cour suprême du Canada n'est que de cinq juges. En promulguant immédiatement ce que nous suggérons comme texte législatif, lors de l'audition, la compréhension de l'une des deux langues officielles utilisée dans la procédure serait exigée. Cette exigence ne nuirait nullement au fonctionnement de la Cour suprême du Canada et servirait dès maintenant à corriger le problème. En effet, elle permettrait immédiatement à un justiciable d'être entendu et compris par la Cour suprême du Canada .
(1540)
On peut lire, à la page 3 de notre mémoire, la modification qui est proposée. Au lieu d'une modification à l'article 5 de la Loi sur la Cour suprême, il s'agit plutôt d'en modifier l'article 28, qui parle de l'inhabilité à siéger pour un juge, en y ajoutant deux paragraphes qui précisent que pour entendre une cause, tout juge de la Cour suprême du Canada doit comprendre la langue utilisée lors des procédures.
Merci beaucoup, Marie-Claude, de votre témoignage et de votre suggestion, dont j'ai discuté brièvement avec ma collègue Mme Jennings. Au départ, nous la trouvons intéressante. Je n'avais pas réfléchi à la possibilité de ne permettre de siéger qu'aux juges qui sont capables de comprendre la langue officielle utilisée. Je trouve cela intéressant et je pense que l'on pourra donner suite à cette idée, peut-être comme amendement à ce projet de loi.
À cet égard, j'ai bien noté que le Barreau du Nouveau-Brunswick appuie le projet de loi et qu'il n'a pas d'objection à ce qu'il soit adopté, mais avec un amendement que je trouve fort intéressant. Par contre, que répondrez-vous aux gens qui vous diront que, parce que vous décidez de plaider en français, par exemple, vous ne bénéficierez pas de neuf ou sept juges mais plutôt de cinq juges. Pour les grandes causes entendues par la Cour suprême, neuf juges siègent et se prononcent.
Je comprends que légalement, un groupe de cinq juges peut avoir exactement le même pouvoir décisionnel qu'un groupe plus nombreux, mais ne serait-ce pas là une façon de créer un système d'appel à deux vitesses? Pour être réaliste, si quelqu'un procède en anglais, il bénéficiera de neuf juges, mais quelqu'un décidant de plaider en français sera peut-être limité à cinq ou sept juges.
Ne trouvez-vous pas que c'est une façon de désavantager ceux ou celles qui décident de procéder dans une langue officielle plutôt que dans l'autre?
Je dirais qu'un plus grand nombre de juges ne veut pas nécessairement dire une meilleure capacité intellectuelle. Inversement, ce n'est pas parce que le nombre de juges sera plus restreint que cela entraînera nécessairement un amoindrissement intellectuel. Je n'oserais certainement pas dire cela de tous les membres de la Cour suprême du Canada.
J'oserais dire que le fait d'avoir des juges qui comprennent la langue utilisée ou les deux langues officielles entraînera plutôt un débat beaucoup plus dynamique et, j'oserais dire, sans béquille. Si un juge doit, naturellement, fonctionner en ayant recours à l'interprétation ou la traduction, il a une béquille. Il ne pourra pas avoir une compréhension totale du débat.
Encore une fois, on fait de son mieux avec la traduction et l'interprétation, mais il reste que, comme je le mentionnais plus tôt, il y a parfois un sens très précis. Ce n'est pas toujours le cas, mais il peut arriver qu'on manque le caractère particulier ou le sens précis d'un mot parce la traduction est, malheureusement, défaillante. L'interprétation est très rapide, surtout lorsqu'on avance des arguments. Il est donc très facile de perdre la teneur ou la force d'un argument, surtout lorsqu'il est question en plus de faire l'interprétation d'un texte bilingue.
Je crois donc que le nombre de juges serait plus restreint, en effet. Cela amènera-t-il une diminution intellectuelle? Absolument pas. Au contraire, je crois que le débat sera encore beaucoup plus fructueux et productif, parce qu'on n'aura pas besoin d'expliquer à un collègue qui n'a pas compris que la traduction n'était pas exacte ou, peut-être, un peu défaillante. On aura vraiment des juges qui auront écouté pleinement le débat entre les avocats.
J'ai une autre question. Vous représentez le barreau de la seule province canadienne officiellement bilingue. Notre cour d'appel, au Nouveau-Brunswick, ne bénéficie pas d'un tel projet de loi. J'aimerais vous poser deux questions.
Êtes-vous favorable à ce que l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, par exemple, se prononce sur un genre de mesure comme celle que nous examinons aujourd'hui, afin qu'elle s'applique à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick?
De plus, il y a eu des nominations à notre cour d'appel, au cours des dernières années. À titre personnel, êtes-vous contente et satisfaite de la représentativité linguistique de notre cour d'appel, telle qu'elle est constituée? Je parle des juges à temps plein de notre cour d'appel, à l'heure actuelle. De plus, qu'en est-il de la représentativité de notre cour d'appel, en termes d'hommes et de femmes?
A priori, au Nouveau-Brunswick, il n'y a évidemment aucune exigence de représentativité liée au choix et à la nomination des juges à la cour d'appel. Par contre, le choix ou la sélection des juges est une question sensible, car on doit s'assurer d'une certaine représentativité socioculturelle et sociolinguistique. Il est vrai que, jusqu'à tout récemment, nous avions deux femmes juges à la Cour d'appel du Nouveau-Brunswick. Nous avions aussi un nombre égal de juges de langue maternelle française et de langue maternelle anglaise.
Les récentes nominations ont changé la composition de la cour d'appel à cet égard. Le Barreau du Nouveau-Brunswick est évidemment préoccupé: il doit s'assurer qu'on continue de maintenir une représentativité socioculturelle et sociolinguistique puisque, à mon avis, il s'agit là d'une richesse intellectuelle qui mène à un meilleur débat juridique. Par conséquent, c'est une tendance préoccupante qu'il faut naturellement surveiller.
Je crois que le Barreau du Nouveau-Brunswick maintiendra toujours cette position: une représentativité diversifiée est bénéfique à une cour, notamment la cour d'appel.
C'est un grand plaisir de vous voir parmi nous, et aussi bien préparée, de surcroît.
Je crois évidemment bien connaître toutes les bonnes raisons pour lesquelles les juges de la Cour suprême devraient être bilingues. Et vous avez certainement entendu comme nous des critiques sur cette position auparavant, à savoir qu'on se priverait d'un bassin d'experts. En effet, de brillants juristes qui pourraient faire carrière à la Cour suprême ne pourraient pas y être nommés en raison de cette exigence. En outre, il y aurait une certaine forme d'injustice envers ces brillants juristes qui, ayant habité assez loin du centre du Canada et n'ayant pas eu l'occasion d'apprendre le français en bas âge, n'auraient pas pu devenir parfaitement bilingues.
Je suis certain qu'avant de venir ici, vous avez réfléchi à ces arguments, au Barreau du Nouveau-Brunswick. Que répondez-vous à ces critiques?
Comme vous le savez, une récente nomination en Nouvelle-Écosse a démontré qu'on pouvait trouver un juge bilingue très qualifié, le juge Cromwell. Nous tenterons de faire une recommandation lors de l'audition de la cause liée à la sélection du juge: imposer aux juges de comprendre les deux langues officielles utilisées lors de l'audition d'une cause. Cela va inciter à devenir bilingues les juges qui, malheureusement, ne peuvent a priori participer à un débat judiciaire se déroulant devant la Cour suprême du Canada.
Je crois que les juges nommés à la Cour suprême du Canada ont une curiosité intellectuelle. Ce sont des gens ayant une discipline de travail, une éthique professionnelle irréprochable. Par conséquent, le fait d'être exclu d'un débat pendant quelque temps en raison de la langue va stimuler l'intérêt des candidats vis-à-vis de cette langue afin de pouvoir participer aux débats. Au lieu de procéder immédiatement à une sélection de juges bilingues ou de reporter cette sélection comme M. Godin le suggérait, cette recommandation d'imposer une compréhension des deux langues officielles lors des procédures inciterait, entre-temps, les juges à devenir bilingues.
En fait, je ne crois pas que je me sois bien fait comprendre.
Vous avez entendu les gens, dans une partie du Canada, dire qu'on allait limiter, par cette disposition, le bassin de compétences en ce qui a trait à la Cour suprême. Je suis certain que vous avez entendu cela et que vous en avez discuté, au Barreau du Nouveau-Brunswick.
Est-ce qu'on diminue vraiment le bassin? Est-ce qu'on veut des juges de la Cour suprême du Canada ayant une ouverture d'esprit et une connaissance des valeurs canadiennes? La connaissance de la langue ou l'intérêt d'apprendre la langue n'est-elle pas justement une valeur essentielle qu'on doit promouvoir?
Dans le bassin des personnes qualifiées, le fait qu'une personne ait cette curiosité intellectuelle face à l'autre langue officielle ou aux deux langues officielles démontre nécessairement une compétence peut-être encore plus importante, lorsque vient le moment de choisir.
Tout au long de votre carrière, vous avez certainement eu l'occasion de parler en français alors que vous aviez accès à la traduction simultanée. J'essaie parfois de traduire instantanément dans ma tête pour pratiquer mon bilinguisme. Malgré une compétence extraordinaire, c'est une tâche difficile, n'est-ce pas?
Je vous dirais que même dans notre propre langue, il me semble que parfois, certains juges ne comprennent pas nos arguments, mais je ne crois pas que ce soit nécessairement une question de traduction.
Au Nouveau-Brunswick, la question ne se pose pas. J'ai toujours pratiqué avec des juges bilingues. S'il était connu que la cause était en français, en anglais ou dans les deux langues, le juge qui entendait la cause était bilingue. Je n'ai jamais eu à recourir à la traduction pour qu'un juge me comprenne. J'ai parfois eu la traduction simultanée des propos des témoins, parce qu'elle était mise à la disposition des parties qui ne pouvaient pas comprendre l'autre langue officielle.
Au Nouveau-Brunswick, les collègues sont très tolérants lorsqu'on fait valoir des arguments. Par exemple, le juge et moi-même sommes bilingues et mon collègue est unilingue. Normalement, l'interprète va chuchoter dans l'oreille de mon collègue afin d'éviter que le flot de mes arguments soit interrompu par l'interprétation. Les gens sont très tolérants et respectueux, au Nouveau-Brunswick.
L'idéal est que la personne soit au moins passivement bilingue, c'est-à-dire qu'elle comprenne très bien, même si elle n'était pas capable d'écrire dans l'autre langue avec la même aisance.
Absolument. Il s'agit d'une compréhension écrite et orale. Il faut pouvoir lire les documents pour en comprendre la teneur, ainsi qu'écouter et comprendre.
Merci d'être ici, madame Bélanger-Richard. J'ai aimé votre allocution et je n'ai pas de questions à poser.
[Traduction]
Comme M. LeBlanc, je suis intéressé par l'amendement, mais je me demande s'il est recevable. Serait-il possible de rendre une décision, en préparation de l'étude article par article? Je ne sais pas ce que M. Godin pense de l'idée de procéder par consentement unanime, et je ne sais pas ce que les membres des autres partis en pensent, mais à tout le moins, nous pourrions peut-être entendre une décision pour savoir si c'est recevable. Sinon, nous pourrons envisager d'autres solutions.
Bonjour, madame Richard. Je viens de la province de Québec. Je suis avocat et, tout comme vous, je pratique encore, mais dans une moindre mesure, compte tenu que je suis député à la Chambre des communes.
Je vais vous raconter brièvement mon histoire. M. Ménard a été mon ministre de la Justice au sein du gouvernement formé par le Parti québécois. Ce parti a voté la loi 101 en 1976 ou en 1977. Cette loi oblige d'utiliser le français partout, surtout dans les universités. J'ai fait mon école primaire en français. À l'époque, ce n'était pas si mal. J'ai fait mon école secondaire uniquement en français, et mon programme de droit à l'Université Laval était uniquement en français, car la loi 101 avait été adoptée. Donc, je suis aujourd'hui unilingue francophone et bilingue fonctionnel.
Sauf que lorsque je me présente devant un cour de justice, du moins au Québec, on m'attribue un juge selon la langue que l'avocat ou le client demande. Plusieurs sont unilingues anglais ou unilingues français, tandis que d'autres sont bilingues. Je viens de Québec, qui est principalement unilingue. Mon ancien ministre de la Justice, M. Bédard — que connaît très bien M. Ménard — vient du Lac-Saint-Jean, où tout se plaide en français. M. Bédard est un excellent avocat. Lui et d'autres avocats ont gagné des causes.
Je serais éliminé, comme juge, parce que pendant toute ma carrière d'avocat, je n'aurais pas pu pratiquer dans l'autre langue. Il y a 23 000 avocats au Québec, et environ 18 000 d'entre eux ne pourraient pas être admissibles à la Cour suprême sans interprète. J'accepte la nécessité d'être bilingue, mais c'est sans interprète. Ici, il y a des avocats de l'Alberta et du Nouveau-Brunswick et même mon ancien ministre de la Justice, M. Ménard. Si on plaidait à la Cour suprême, on aurait peut-être de la difficulté, sans interprète, de sorte qu'on serait inadmissibles. Est-ce pour cette raison qu'on n'est pas bons?
Le projet de loi dit clairement « sans l'aide d'un interprète ». J'aimerais que vous me disiez si je serais admissible.
Avant de vous répondre, je vais vous raconter également ma petite histoire. Je suis originaire du Québec. J'ai fait toutes mes études primaires et secondaires au Québec. J'étais unilingue. J'ai commencé mon programme de droit civil à l'Université Laval uniquement en français. J'ai déménagé au Nouveau-Brunswick parce que je voulais faire de la common law en français. À la faculté de droit où j'étudiais, tout se passait également en français.
J'ai commencé à travailler pour la Cour du Banc de la Reine. À cette époque, personne ne comprenait mon anglais: j'étais à peine bilingue. Cela m'a donné l'occasion d'apprendre l'anglais. La volonté de pratiquer dans cette province m'a aidée à apprendre l'anglais et à le parler de plus en plus. Je comprends donc le dilemme que cela pose. La sensibilité à la langue, même si elle n'est pas mentionnée dans la loi, est quand même un atout dans le choix d'un juge à la Cour suprême du Canada. On ne va pas se leurrer. Le fait de mentionner ce critère sera peut-être un incitatif pour toute personne qui aspire à être juge à la Cour suprême du Canada à ouvrir ses horizons et à apprendre l'autre langue.
Pour ma part, j'habitais au Nouveau-Brunswick et je vivais dans un milieu bilingue, à Moncton, où il y a 40 p. 100 de francophones. Mes parents ont vécu dans cette ville pendant quelques années et n'ont jamais été capables d'apprendre l'anglais; ils ont vécu en français tout ce temps. Il s'agit d'une question de volonté et de savoir que c'est un préalable. Par exemple, au Nouveau-Brunswick, le bilinguisme n'était pas une exigence formellement mentionnée, mais comme on ne pouvait pas connaître la langue de notre clientèle, le bilinguisme était nécessaire. J'ai donc appris l'anglais.
Vous êtes maintenant au Nouveau-Brunswick, une province bilingue, alors que pour ma part, je suis resté au Québec, où c'est la loi 101 qui s'applique. On ne se le cachera pas: c'est la loi 101 qui s'applique devant les tribunaux et c'est la même chose dans les universités, même aujourd'hui, 40 ans plus tard. Pour avoir pratiqué à Montréal, je sais que dans cette ville, le bilinguisme est beaucoup plus proche de celui du Nouveau-Brunswick. On peut jongler avec les deux lois, en anglais, en français, etc.
Cette loi ne risque-t-elle pas uniquement de faire en sorte que tous les avocats de province, comme moi, soient exclus, mais que les avocats de Montréal, parce qu'ils ont l'occasion, comme vous, de pratiquer régulièrement dans les deux langues, soient acceptés? Par contre, s'ils sont moins intelligents que moi, c'est moi qui serai pénalisé. S'il n'y a pas d'interprète, c'est ce que ça va impliquer. Moi, je ne pourrais pas siéger à la Cour suprême, même si je suis plus intelligent qu'un autre qui est bilingue.
Monsieur Petit, si vous en aviez l'occasion, voudriez-vous être bilingue? Je ne crois pas que vous vouliez maintenir, intentionnellement ou par principe, le carcan de l'unilinguisme. Comme vous le disiez, il y a un milieu, et celui-ci a fait en sorte que vous n'appreniez pas l'anglais. Je vous comprends parce que j'ai connu cette situation. Au Québec, on n'apprenait pas l'anglais. Même mon professeur de sixième année, qui avait un cours d'anglais à enseigner, refusait de le faire. C'était l'époque.
Par contre, si vous aviez l'occasion de devenir bilingue, vous le feriez et vous donneriez la même chance à vos enfants, qui voudraient peut-être un jour devenir juriste ou juge. De prime abord, on semble écarter des gens, mais je crois que toute personne curieuse intellectuellement qui veut élargir son horizon va prendre les moyens nécessaires.
J'étais à Québec et j'ai aussi demeuré à Rivière-du-loup. Je n'étais pas du tout dans des milieux bilingues. Je n'ai pas vécu à Montréal, mais j'ai suivi des cours d'immersion en anglais à Fredericton et en Ontario durant mon adolescence parce que je tenais à être bilingue. Il reste que c'est le fait de vivre au du Nouveau-Brunswick qui m'a vraiment permis de devenir bilingue.
Merci, maître Bélanger-Richard. J'ai beaucoup apprécié votre présentation et la suggestion que vous avez faite au comité, à savoir de considérer une autre façon d'assurer le bilinguisme au sein de la Cour suprême du Canada. J'aimerais faire quelques commentaires et connaître ensuite votre réaction.
Dans le passé — je pense que c'était vers la fin des années 1950 —, la grande majorité des universités, autant au Canada qu'aux États-Unis ou en Angleterre, exigeaient des personnes qui voulaient obtenir une baccalauréat dans le domaine des lettres qu'elles apprennent une autre langue. Or, un grand nombre de jeunes qui étaient unilingues se sont inscrits au baccalauréat et ont fait l'effort de suivre des cours pour apprendre la deuxième langue, afin d'obtenir leur licence en droit.
Croyez-vous qu'il serait pertinent qu'à la Cour suprême du Canada, on exige que les aspirants juristes soient bilingues?
Non. Je voulais plutôt dire que dans le passé, les gens étaient au courant de la situation. Quand leurs enfants voulaient obtenir un baccalauréat, les parents les incitaient souvent à apprendre une langue autre que leur langue maternelle, à l'école secondaire, de façon à ce qu'ils aient une longueur d'avance sur les autres en arrivant à l'université. Par exemple, si ma fille décidait de devenir avocate, qu'elle était unilingue, mais qu'elle considérait la possibilité d'être nommée à la cour éventuellement, elle aurait peut-être tendance à apprendre une autre langue.
C'est un peu ce que j'essayais de dire en répondant au député M. Petit. Sachant que c'est un critère de sélection et de nomination à la Cour suprême du Canada, ce sera nécessairement, pour les juristes, un incitatif à apprendre l'autre langue officielle. J'ajoute que j'ai un très grand respect envers les juristes qui sont nommés à la Cour suprême du Canada. Je sais qu'ils ont une curiosité intellectuelle. Donc, toute personne nommée voudra tenter de prendre des mesures pour apprendre l'autre langue officielle.
Depuis plusieurs années, il existe au gouvernement fédéral des programmes de formation linguistique qui sont offerts aux juges. Je travaille dans l'administration et je sais que plusieurs juges du Nouveau-Brunswick qui voulaient apprendre l'autre langue allaient suivre des cours de formation linguistique. Les cours offerts aux juges sont excellents.
Je vous avoue, pour être allé devant la Cour suprême, que j'ai un peu de difficulté à accepter qu'on restreigne... Vous dites que cinq juges constituent le quorum; c'est l'article 25 de la Loi sur la Cour suprême. Cependant, si j'ai bien compris votre recommandation, lorsque le dossier va se plaider en français à la Cour suprême, il pourrait quand même y avoir un quorum de 9 juges, mais ce serait l'un des 5 qui comprennent le français qui piloterait le dossier.
Non. Le quorum, c'est le panel. Présentement, il y a 8 juges bilingues à la Cour suprême du Canada. Donc, si une cause était plaidée en français, afin d'avoir un panel constitué d'un nombre impair de juges, il est tout probable qu'on aurait un panel de 7 juges qui entendrait la cause. Alors, c'est un peu le point que soulève Me LeBlanc: s'il y a un panel réduit, a-t-on une justice à deux vitesses?
C'est là où je rejoins M. LeBlanc: moi aussi, j'ai peur que la Cour suprême pratique un peu une justice à deux vitesses.
Je trouve votre proposition intéressante, c'est un bon débat. Cependant, je ne suis pas d'accord avec M. Petit, évidemment, parce que je respecte beaucoup les juges qui viennent des autres provinces et qui amènent un éclairage différent. Comment fera-t-on pour forcer un juge? Je ne crois pas qu'un juge, une fois qu'il aura été nommé à la Cour suprême, va apprendre le français s'il ne le connaît pas déjà. À moins que vous me donniez un exemple. Honnêtement, je connais des juges de la Cour suprême qui ont fait des efforts, mais de là à être capables de suivre un débat... Vous connaissez l'honorable juge Lebel. Quand ce dernier vous pointe et qu'il se met à parler, certains ne sont pas capables de suivre ce qu'il dit. D'ailleurs, l'honorable juge McLachlin a demandé qu'on ralentisse le tempo.
Croyez-vous, si on n'oblige pas les juges de la Cour suprême à être bilingues, qu'ils vont quand même apprendre le français?
On parle de la capacité linguistique des juges. Au moment de la sélection, ces derniers ne sont pas soumis à un test de capacité linguistique. Les avocats remplissent un formulaire et c'est à la personne même de dire si, oui ou non, elle considère qu'elle est suffisamment bilingue. On ne parle même pas de savoir si elle est fonctionnelle dans la langue. C'est le français et l'anglais, et c'est tout.
Je dirais, au contraire, que si on insiste sur la capacité de comprendre les deux langues officielles, par la suite, au moment de l'audition de la cause, ce sera beaucoup plus un incitatif pour une personne qui était peut-être plus ou moins bilingue au moment de sa nomination de continuer sa formation linguistique afin, justement, de pouvoir entendre toutes les causes soumises à la Cour suprême du Canada. Une fois que la sélection est faite, les candidats disent que oui, ils sont bilingues, mais leur capacité linguistique n'est plus vraiment mise en cause, par la suite, s'ils peuvent avoir recours à la traduction, à l'interprétation.
Au Nouveau-Brunswick, comment cela fonctionne-t-il?
À la Cour du Québec, lorsqu'on reçoit les candidats en entrevue... J'ai administré des concours afin de recruter des juges pour le Grand Nord québécois — Kuujjuaq, Sagluk, etc. — et on parlait carrément en anglais, parce que ça se passe en anglais.
Au Nouveau-Brunswick, comment cela fonctionne-t-il?
Il n'y a pas d'entrevue pour les juges de la Cour supérieure, à moins d'exception. À ma connaissance, s'il y a eu deux ou trois personnes ont eu des entrevues avec le comité, c'est tout. Pour tout le reste, un formulaire est rempli par les candidats, qui cochent les cases appropriées.
À la Cour suprême, c'est encore pire. Ce sont des nominations, des désignations, et les juges qui siègent à la Cour suprême sont des sommités. Alors, je me pose seulement une question. J'ai une crainte. Je vous le jure, je suis un peu rébarbatif et je rejoins M. LeBlanc. J'ai peur des jugements à deux vitesses, j'ai peur des auditions à deux vitesses à la Cour suprême, qui est le plus haut tribunal et la dernière instance. Souvent, des juges ne comprennent peut-être pas le français mais ont une orientation leur permettant d'exprimer ou d'expliquer la position de celui ou celle qui vient devant eux.
Je suis d'accord. Comme dans toute chose, rien n'est parfait. Alors, il y aura peut-être des fois où justement un unilingue aurait apporté un éclairage très pertinent à un débat devant la Cour suprême du Canada. Par contre, dans d'autres situations, l'unilingue aurait justement faussé le débat parce qu'il n'aurait rien compris aux arguments. Alors, malheureusement, il y aura les deux situations.
Que doit-on faire? Je crois que l'on doit considérer ce que l'on cherche à corriger ici. On cherche à s'assurer que le justiciable, représenté par son avocat, soit compris par le tribunal.
À ce moment-là, je reviens encore une fois au choix des juges. À titre de juriste, je crois que les choix qui ont été faits l'ont toujours été en fonction du fait que la personne avait une éthique professionnelle irréprochable, une bonne discipline de travail et une curiosité intellectuelle.
Donc, je me dis qu'il faut compter sur le fait que les personnes nommées voudront justement s'ouvrir à l'autre langue et qu'elles ne s'« encarcaneront » pas en disant qu'elles sont unilingues et qu'elles ne veulent rien entendre de l'autre langue ou de l'autre culture. Pour moi, c'est l'antipode des juges nommés à la Cour suprême du Canada. Ce n'est pas du tout ce que l'on recherche chez les candidats. Laissons de côté la langue. On recherche un candidat ayant un esprit ouvert, un candidat curieux qui possède une capacité d'analyse et un bon intellect.
Comme M. Lemay, j'ai certaines préoccupations au sujet de votre proposition et du projet de loi, mais mes préoccupations découlent de motifs différents de ceux de mon ami, M. Lemay.
Je viens de l'Alberta. À l'heure actuelle, aucun juge de la Cour suprême du Canada ne vient de l'Alberta. Le dernier juge de ma grande province, le juge Major, a comparu devant le comité et il s'est exprimé avec passion contre ce projet de loi d'initiative parlementaire. Comme vous le savez sans doute, il est unilingue anglophone, tout comme moi. En vertu du projet de loi proposé, mais peut-être pas en vertu de votre amendement, il aurait été jugé incompétent pour une nomination à la Cour suprême, et je souligne que cela aurait été un coup dur pour la jurisprudence canadienne et la Cour suprême.
Je ne conteste pas la réponse que vous avez donnée à M. Petit, selon laquelle il ne doit pas s'encarcaner dans son unilinguisme. Je vous remercie du conseil. Mais selon moi, ceux d'entre nous qui venons de l'Ouest du Canada n'ont pas les mêmes possibilités de devenir bilingues que ceux d'entre vous qui ont eu la chance de grandir au Nouveau-Brunswick ou au Québec. Je ne sais donc pas quoi dire à mes électeurs qui se préoccupent de la possibilité qu'il n'y ait aucune autre nomination à la Cour suprême si le projet de loi tel que rédigé par M. Godin ou votre proposition devait être adopté.
Tout d'abord, lorsque j'étais à la Faculté de droit de l'Université de Moncton, je me souviens qu'il y avait quelques étudiants de l'Alberta. Le programme se donnait en français, de sorte qu'ils devaient être en mesure de communiquer et d'écrire en français. C'est possible. Je sais que ce n'est pas facile.
Vous avez parlé du Nouveau-Brunswick. Selon moi, la situation y est semblable à celle de Québec. Oui, le Nouveau-Brunswick est bilingue, en particulier dans le sud de la province, mais si on remonte vers le nord, on constate que c'est très unilingue francophone. Ils sont peut-être davantage exposés à l'autre langue, mais cette région reste très unilingue francophone.
Ici aussi, la seule chose que nous pouvons dire, c'est qu'il s'agit d'une question de possibilités. Lorsqu'on connaît l'exigence touchant le bilinguisme et qu'on souhaite atteindre ce niveau, il faut prendre des mesures. Il existe des programmes d'immersion en français partout au Canada; je le sais, parce que quand j'étais au Québec, j'ai suivi un programme d'immersion en anglais en Ontario, puis un autre au Nouveau-Brunswick ensuite. C'est donc possible.
Ce n'est pas facile. Je conviens que dans certaines régions, il se peut que ce ne soit pas facile. De plus, ce n'est pas donné à tout le monde de devenir bilingue. Lorsque je parle anglais, j'ai un fort accent francophone dont je ne suis pas capable de me débarrasser; il est là. C'est ainsi que je parle anglais, mais je continue de tenter de m'améliorer. Je pense que pour devenir bilingue, il faut continuer d'essayer.
Ma deuxième question est très simple. Au bout du compte, à votre avis, qu'est-ce qui est le plus important: la compétence en droit ou les compétences linguistiques?
La compétence en droit va plus loin que les principes juridiques purs et simples. Si on veut être un bon juriste, il faut connaître la loi; il faut connaître l'application de la loi, mais aussi l'équité et la justice. Les principes du droit sont très généraux. C'est leur application qui les rend concrets, de sorte qu'il faut avoir un bon sens commun et un bon jugement. Cela va plus loin que la simple connaissance de la loi.
Si je poursuis dans la même veine, il est très important d'avoir un sens de la justice et de connaître sa société et les valeurs des gens dans l'interprétation et l'application de la loi, parce que les principes du droit sont très arides. Ils s'animent lorsqu'on les applique dans un contexte particulier. Il faut donc avoir des connaissances qui vont au-delà de la loi.
Je viens de l'ouest du pays et on ne peut même pas me considérer comme étant unilingue, parce que l'anglais n'est pas ma première langue et que je ne parle pas français. Je comprends donc très bien ce que M. Rathgeber vient de dire. Or, à titre de membre du Barreau de la Colombie-Britannique, j'ai eu l'occasion d'y pratiquer le droit pendant de nombreuses années, de même que de travailler avec des interprètes, une expérience que je qualifierais d'insatisfaisante. Mes clients, qu'il s'agisse de témoins, de parties à un litige ou d'accusés, en payaient les frais parfois parce qu'il arrivait que les interprètes ne fassent pas bien leur travail et que le juge ne soit pas bien informé de tous les faits. Lorsque vous soulevez ce point, le juge pense que vous essayez simplement d'ergoter parce que vous n'arrivez pas à lui faire accepter votre point de vue.
En ce qui a trait à votre proposition, je me demande si elle ne donnerait pas au gouvernement du moment l'option de nommer des juges qui ne seraient pas absolument assez bilingues, parce qu'il y aurait possibilité de ne pas faire participer quelqu'un à un jury si la personne ne comprend pas la langue de l'une des parties au litige. Cela ne mènerait-il pas à une réduction des objectifs de l'amendement?
Le but de cet amendement, c'est de ne nommer que des juges parfaitement bilingues. Si certains juges ont l'occasion de se récuser dans une cause précise, on pourrait alors assouplir cette exigence ou y passer outre dans certaines circonstances à l'avenir.
C'est la raison pour laquelle j'ai dit dès le début que le Barreau du Nouveau-Brunswick appuyait le projet de loi. Je crois que ce que nous proposons va de pair avec le projet de loi, car nous proposons une solution immédiate pour du moins atténuer le problème. Grâce à cette option, la personne se ferait au moins comprendre par le tribunal. Cela n'empêche pas l'application de ce qui est proposé dans le projet de loi. On peut utiliser les deux solutions, car au moins on corrige ainsi le problème ou on essaie de trouver une solution pour que les parties se fassent comprendre sans avoir recours à des interprètes à la Cour suprême du Canada en insistant au moins sur le fait que le juge qui entend la cause comprend les deux langues officielles.
L'arrangement pourrait durer toujours, parce que si l'on revient sur ce que j'ai dit plus tôt, c'est-à-dire lorsque vous nommez un juge, la déclaration de bilinguisme correspond à un crochet dans un formulaire rempli par le juge lui-même. En fait, s'il y a ces deux dispositions, l'une avançant que les juges de la Cour suprême du Canada devraient être bilingues ou doivent être bilingues au moment de la nomination, alors soit. Parallèlement, il y aurait une autre exigence selon laquelle les audiences bilingues doivent se dérouler avec des juges qui comprennent les deux langues officielles. Or, avant même d'en arriver à un tribunal complètement bilingue, il y aurait quand même cette mesure. Quel que soit le cas, si à un moment donné, un problème se pose avec un juge considéré bilingue fonctionnel dont la capacité linguistique diminue au fil du temps, pour quelque raison que ce soit, on disposera d'un mécanisme de protection pour s'assurer que ce juge n'ait pas compétence pour entendre la cause dans l'autre langue officielle.
Je ne crois pas que ces deux dispositions s'opposent. Je crois qu'elles peuvent aller de pair.
Je suis désolé, mais je vois une contradiction, car en tant que mesure intérimaire, c'est complémentaire, mais en tant que mesure permanente, c'est contraire à l'objectif de l'amendement initial.
Je vous remercie de m'avoir invité aujourd'hui. Je crois que mes commentaires vous seront certainement utiles. Je tiens aussi à saluer ma concitoyenne du Nouveau-Brunswick.
J'ai quelques points à présenter. Je crois qu'il y a eu un débat constructif sur le sujet. Comme je l'ai indiqué, en tant que gouvernement, notre priorité lorsqu'il s'agit de nominations à la magistrature, y compris celle à la Cour suprême du Canada, c'est la compétence générale. Bien sûr, la capacité de s'exprimer dans les deux langues officielles est un atout excellent, comme vous l'avez dit, qui s'ajoute aux autres compétences, j'en conviens.
Cependant, ce projet de loi présente des problèmes. Votre proposition d'amendement est assez originale. Même avec votre suggestion, il faut reconnaître que le pays n'offre pas toutes les mêmes possibilités dans toutes les régions. Au Nouveau-Brunswick, il y a de très belles occasions de devenir bilingue, mais dans d'autres coins du pays, il n'y en a pas. De plus, et j'ai présenté cet argument à un autre témoin, ce n'est pas tout le monde qui peut savoir à un très jeune âge qu'il ou qu'elle veut devenir juge à la Cour suprême du Canada. Cela se produit dans certains cas, mais beaucoup de juges n'ont pas appris de langue seconde, même s'ils excellent dans d'autres domaines et qu'ils sont extrêmement compétents dans l'exercice de leurs fonctions.
Je veux revenir sur ce que le juge Major a dit: « L'idéal, évidemment, c'est que le juge soit parfaitement bilingue. Or, il y en a très peu au pays ». Il a avancé que même les juges à la Cour suprême du Canada qui, aux yeux de la majorité, seraient considérés comme étant pleinement et parfaitement bilingues auraient recours au service d'interprétation. Ils voudraient quand même profiter des services d'un interprète. Même ceux qui sont cités en exemple comme étant parfaitement bilingues et se déclarant comme tel pourraient probablement admettre dans le cadre du projet de loi que leur niveau de bilinguisme n'est pas assez élevé pour répondre à l'exigence du projet de loi, qui se résume à la capacité d'entendre en anglais ou en français une cause sans recourir aux services d'un interprète. Pour les questions très techniques, on a recours à un interprète, même si le juge est bilingue.
Je vous laisserai revenir là-dessus, mais d'après ce que j'ai compris à la lecture du projet de loi, il faudrait que la personne nommée soit presque parfaitement bilingue et qu'elle n'ait pas besoin de recourir à des services de traduction ou d'interprétation. Je conviens que ce profil de magistrat est très rare.
Non, je ne crois pas que ce soit le cas. Encore une fois, ce qui manque au projet de loi, c'est une attestation de la capacité linguistique. Il est certain que cela ne fera jamais partie d'un règlement.
Néanmoins, vous citez quelqu'un qui reconnaît que le juge, d'abord doit être capable de lire des documents en français ou en anglais, et qu'il doit comprendre les arguments présentés oralement, parce que c'est la façon dont les choses se déroulent à la Cour suprême du Canada. Il n'y a pas de témoins.
À mon avis, la difficulté, pour toute personne bilingue, et en particulier pour un juge, ou pour quiconque apprend une langue seconde, réside habituellement dans l'écoute des témoins ordinaires, parce qu'ils ont des accents et d'autres langues maternelles. Lorsqu'un argument juridique est présenté, ce n'est pas le moment d'évaluer la capacité du juge de la Cour suprême du Canada sur le plan linguistique. Le juge a été nommé à ce poste et il connaît sa responsabilité. Comme il s'agit d'un tribunal de dernier ressort, les juges savent qu'ils doivent comprendre les arguments, les faits et les points de droit qui leur sont présentés.
Le critère du parfait bilinguisme me préoccupe. Je crois qu'il est impossible d'évaluer la capacité linguistique des juges. Il pourrait arriver qu'un juge affirme comprendre alors qu'il ne comprend pas. Ce même juge ne l'admettra pas car il ou elle ne voudra pas s'exposer à une plainte, il ne faut surtout pas oublier ce point. À cette très haute instance, si quelqu'un, par exemple un avocat présentant des arguments, s'aperçoit que le juge ne comprend pas, une plainte peut être déposée.
Les juges nommés à la Cour suprême du Canada sont des professionnels très intelligents. Je suis certaine qu'ils savent s'ils ont le niveau de bilinguisme fonctionnel nécessaire pour comprendre ce type d'arguments. Il leur revient de décider s'ils veulent se récuser ou non.
Durant l'une de nos réunions ici, l'un de mes collègues d'en face a fait faire un petit test aux interprètes. Il s'est mis à parler très rapidement pour prouver l'argument défendu par M. Dosanjh selon lequel les interprètes ne sont pas capables parfois d'exprimer adéquatement...
C'est peut-être moi. Oui, je me punirai plus tard.
Quoi qu'il en soit, l'interprète a fait du très bon travail. Il est question ici de la Cour suprême, et vous venez de souligner le fait que c'est le tribunal de dernier ressort. J'ai l'impression qu'à mi-carrière, un avocat doit décider si il ou elle tient à devenir juge de la Cour suprême. Par contre, tout comme moi, bon nombre de députés n'ont jamais pensé se retrouver au Parlement avant d'atteindre un certain âge.
À mon avis, au fur et à mesure que nous prendrons de la maturité, nous deviendrons un pays bilingue, mais pour le moment, le Canada est encore très jeune. Et pendant ce temps, un jour, certains juristes doués, qui ne souhaitaient ou ne pensaient d'abord pas devenir juges de la Cour suprême seront peut-être sollicités pour le devenir, soit par le premier ministre, soit par un professeur ou soit encore par un groupe du Barreau, afin de servir leur pays dans cette fonction. On dira alors aux candidats pressentis que la nation a besoin de lui ou d'elle à ce moment de son histoire. Or, il ou elle aura beau être disposé à accepter, il ou elle en sera empêché par une loi qui limite ce service à des gens qui sont effectivement bilingues. À mon avis, ce que nous devons faire, c'est encourager les personnes compétentes, et non pas les limiter.
Nous sommes des hommes et des femmes politiques. Nous n'ignorons pas que nous sommes censés nous soucier de la situation de notre pays. Il faut parfois mettre de côté nos considérations partisanes. Nous devons donc nous demander si nous nous rendons vraiment service en bloquant l'accès à une institution aussi précieuse que la Cour suprême en imposant ces exigences. Quel que soit l'avantage politique à en retirer, tenons-nous vraiment à nous imposer cela, ou, au contraire, voulons-nous encourager de plus en plus nos fils et nos filles à devenir de bons avocats afin qu'un jour, ils puissent servir leur pays sur les bancs de la Cour suprême? Ne pensez-vous pas que c'est ce qui pourrait se passer?
Si j'occupais un poste dans un tribunal de niveau intermédiaire de notre pays, et si j'estimais ma cause compromise par l'incompétence d'un interprète, je ferais appel. Ce serait toutefois difficile devant la Cour suprême puisqu'il s'agit du tribunal de dernière instance.
Ces arguments sont relativement bons mais en l'occurence, ils ne sont pas vraiment pertinents. Est-ce que dès leurs études de droit, tous les avocats se voient devenir un jour des juges de la Cour suprême? Cela pourrait-il leur arriver plus tard au cours de leur carrière?
Ainsi que vous l'avez souligné, notre pays est jeune. Cela dit, les valeurs ont évolué au cours des 20 dernières années. Auparavant, lorsqu'on parlait de bilinguisme, c'était une idée plutôt charmante. Maintenant, on commence à savoir que c'est un atout que d'être bilingue. On sait que si l'on devient un homme ou une femme politique ici, il est avantageux d'être bilingue.
Vous savez, même un juriste d'expérience ne pense pas nécessairement devenir un juge de la Cour suprême du Canada. En même temps, nous avons fait de grands progrès. La nouvelle génération commence à monter et, grâce à la technologie, ces gens communiquent entre eux malgré les distances, qui ne signifient plus rien pour eux. Ils sont ouverts à ces nouvelles façons de faire. Le bilinguisme est maintenant plus répandu. Ces jeunes reconnaissent qu'il s'agit d'un avantage, que l'on devrait être bilingue.
Madame Richard, j'ai une brève question à vous poser.
Je vous écoute depuis un certain temps. Personne n'est contre la vertu, entendons-nous bien. Nous reconnaissons que le bilinguisme existe depuis 40 ans, depuis 1968, et c'est enchâssé dans la Charte. Malgré cela, vous avez remarqué que même au Québec, nous étudions en français le plus longtemps possible.
Je comprends que vous ayez une expérience différente. Je ne vous vise pas. Je regarde l'ensemble. Ce qui me cause un problème, c'est que ce projet de loi, malgré de bonnes intentions, exclut tous les avocats, qu'ils soient de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Nunavut, ou de certains régions du Québec où ils n'ont pas la chance de parfaire leur anglais comme ils le feraient dans de grandes villes comme Montréal. Il ne s'agit pas uniquement de devenir bilingue fonctionnel, mais bilingue fonctionnel en matière de droit. Il s'agit là de toute une nuance. Ce projet de loi va exclure beaucoup de monde. Ne venez pas me dire que ce n'est pas vrai, car je vous assure que ce sera très difficile de convaincre, comme le disait M. Norlock plus tôt...
Pensez-vous que je veuille devenir juge à la Cour suprême? Non. Peut-être n'ai-je pas encore ce désir. Après avoir plaidé pendant 25 ou 30 ans, peut-être en éprouverai-je le désir. Cependant, je ne suis pas bilingue.
Monsieur Petit, ne croyez-vous pas qu'au Québec, cela fait des années que les juges non bilingues sont exclus de la sélection des juges de la Cour suprême du Canada? Les juges sélectionnés qui viennent du Québec pratiquent toujours un certain bilinguisme. Je ne crois pas que cela change quoi que ce soit. Ce n'était pas nécessairement dans la loi, mais c'était, finalement, un principe non écrit.
Pour terminer ce dernier tour de table, je n'aime pas jouer à l'avocat avec un autre avocat, parce que je n'en suis pas un et que je sais que je perdrai à ce jeu. Cela dit, je dois tout de même demander si, dans les cercles de juristes d'expérience, dont vous avez dit faire partie, on rapporte des cas où, à cause de l'interprétation ou de questions connexes, on a mis en doute un jugement rendu par la Cour suprême? Vous n'êtes pas obligée d'être précise, car cela pourrait entraîner certains problèmes, mais, avez-vous entendu parler de cas semblables?
À ma connaissance, non. J'aimerais toutefois vous rappeler que j'ai lu le procès-verbal de la réunion de votre comité où vous avez entendu le témoignage de Michel Doucet du Nouveau-Brunswick. Il vous a alors dit que lors d'un de ses appels entendus devant la Cour suprême du Canada, il a perdu par cinq voix contre quatre. Après sa plaidoirie devant le tribunal, il en a écouté l'interprétation simultanée qui avait été fournie par la chaîne CPAC. Ici, je me borne à répéter ce que j'ai lu dans le procès-verbal. Il a donc dit qu'il pouvait à peine comprendre la version interprétée de ses remarques. Il a ensuite dit à vos membres que sans l'interprétation, il aurait peut-être quand même perdu sa cause, mais qu'il se demandait néanmoins si les juges l'ayant écoutée par l'entremise de ce service avaient vraiment compris ses arguments.
Je vous cite cet exemple parce que je le connais grâce à mes lectures du procès-verbal. Mais, non, je n'ai pas entendu parler de causes où ce genre de chose est arrivé. Encore une fois, il faudrait se donner la peine d'écouter l'interprétation simultanée après coup...
Non, je ne vous demande pas de parler d'un cas précis car cela risquerait de vous mettre dans une situation épineuse, ni même de parler de ce que vous préférez taire. Je pense seulement à ce qui s'est peut-être dit dans certains cercles juridiques au sujet de certaines causes, à part celle-ci, où il pouvait y avoir eu...
Au sujet de ce dont nous avons discuté, ainsi que l'a souligné votre collègue, il est indéniable que nous ne tenons jamais à faire notre plaidoirie par l'entremise de l'interprétation. En tant qu'avocate, cela me semblerait la pire des choses.
C'est la raison pour laquelle j'ai mentionné le fait qu'au Nouveau-Brunswick, mes collègues sont très tolérants; j'entends par là que lorsque vient le moment des plaidoiries, l'interprète s'assoit à côté de mon collègue et lui chuchote mes arguments à l'oreille plutôt que de prendre des notes, puis de lire une version consécutive de mes propos, ce qui serait vraiment très mauvais et incommode à cause des interruptions répétées que cela entraîne.
Voilà ce que je vous dis. Présenter ces arguments à la Cour suprême du Canada en sachant que c'est un tribunal de dernier ressort et que les autres comprennent ces arguments uniquement par l'intermédiaire de l'interprétation me semble très mauvais.
J'ai une question complémentaire à vous poser. Tout comme M. Rathgeber, je suis de l'Ouest, de la Colombie-Britannique, et j'ai aussi une formation juridique, et je m'efforce certainement de...
Je disais avoir moi aussi une formation juridique et être en train d'étudier le français ici en tant que député.
Je pense à ce qui peut se passer en Colombie-Britannique pour une personne qui y est née et qui veut y faire carrière en tant que juriste, qui souhaite s'investir dans la vie de sa province. Or, à un moment donné, on dit à cette personne qu'il n'y a qu'une manière de pouvoir aspirer à la magistrature suprême de notre pays. On lui dit que non seulement il ou elle devra étudier à l'extérieur de la Colombie-Britannique, mais aussi qu'il ou elle devra plonger dans des études juridiques tout à fait différentes de celles qu'il a faites en Colombie-Britannique, car il n'y a pas de milieux de langue française de ce genre dans la province. Il faudra donc que ce juriste passe beaucoup de temps à l'extérieur de sa province, de celle où il ou elle veut pourtant faire carrière.
Vous n'ignorez pas que les juges Canadiens doivent refléter les régions de notre pays, or, si j'étais dans cette situation, je ne serais pas en mesure de bien représenter la mienne auprès du plus haut tribunal de notre pays du fait que je devrais passer beaucoup de temps à l'extérieur de ma province pour apprendre ma deuxième langue, et à un niveau extrêmement élevé, si je me reporte à ma lecture du projet de loi C-232. Vous pouvez voir que j'ai beaucoup de difficulté à réconcilier ces deux choses.
Il ne s'agit pas ici d'être pour ou contre le bilinguisme. Il s'agit plutôt du fait que le projet de loi exige des connaissances très poussées sur le plan linguistique puisqu'il y est question de notions juridiques spécialisées. Eh bien, plus particulièrement en Colombie-Britannique et en Alberta, le nombre de juristes parmi lesquels nommer un candidat à la Cour suprême est très limité. Nous comptons bien des avocats bilingues, mais si l'on tient compte du niveau de compétence linguistique exigé par le projet de loi, les candidats éventuels sont très, très peu nombreux.
La seule réponse que je peux vous donner, c'est qu'à ce jour, nous avons réussi à n'obtenir que huit juges de la Cour suprême du Canada soient bilingues. Cela montre bien qu'en dépit de ce qu'on considère comme limite, nous avons quand même réussi à trouver huit juges bilingues.
À mon avis, c'est possible. Nous disposons des ressources nécessaires. Là où je suis d'accord avec vous, c'est que ce n'est pas facile et que certaines personnes ont plus de facilité à devenir bilingues que d'autres. C'est certainement vrai.
Un de mes collègues dans mon bureau d'avocats a passé six mois en France, mais à part dire « Comment ça va? », il est incapable de parler français. Il n'a pas les aptitudes qu'il faut pour apprendre une autre langue. Il s'en est rendu compte et maintenant, il ne fait pas autre chose.
Je conviens donc de cela avec vous, mais en même temps, et encore une fois, je dirai que nous tenons à ce que les juges de la Cour suprême connaissent le droit mais aussi notre société, nos valeurs et notre culture.
Si vous le permettez, monsieur le président, je peux vous répondre en anglais.
C'est justement ce niveau de compétence, de connaissance et de familiarité avec ces choses qu'on a exigé de tous les juges francophones de la Cour suprême.
Je vais dire ce que j'en pense pour que ce soit consigné au procès-verbal. J'ai siégé aux audiences entourant les quatre dernières nominations à la Cour suprême. Les deux dernières fois, on a entendu des témoins des provinces des Prairies et des Maritimes.
Bien entendu, les gens qui siègent au sein de ces groupes sont tenus au secret, mais je peux vous dire qu'il y avait beaucoup de candidats — et je ne pense pas dire quelque chose de surprenant ici — de ces deux régions qui satisfaisaient aux exigences les plus élevées en matière de bilinguisme. Je ne pense pas pouvoir en dire davantage sans donner de précisions au sujet de leur titre et de leurs qualifications, mais nous n'avons eu aucune difficulté à trouver un nombre important de candidats qualifiés.