Ceci est la sixième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes le lundi 2 mars 2009.
Aux membres du comité: vous avez l'ordre du jour sous les yeux. Nous poursuivons notre étude de la conduite avec facultés affaiblies au Canada et nous accueillons aujourd'hui un certain nombre de témoins.
Je tiens à remercier tous les témoins qui comparaissent devant nous aujourd'hui pour nous aider dans notre étude. Je voudrais également remercier ceux d'entre vous qui nous avez remis le texte de vos exposés. Certains sont en anglais seulement. Ils ne peuvent pas être déposés auprès du comité, mais nous veillerons à ce que notre greffière les reçoive et les fasse traduire, ainsi, si vous n'avez pas le temps de terminer votre exposé oral, les membres du comité auront néanmoins le texte complet.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins que nous accueillons aujourd'hui. Tout d'abord, du Centre des séances judiciaires — un organisme du gouvernement de l'Ontario — Yvona Buczek et Marc Pelletier; Robyn Robertson, de la Fondation de recherches sur les blessures de la route; Eric Lamoureux, de l'Association canadienne des automobilistes; Margaret Miller, Robert Solomon et Andrew Murrie, chef de la direction, Les mères contre l'alcool au volant. Enfin, de l'Alcohol Countermeasure Systems Corporation, Ian Marples, l'avocat général. Malheureusement, Denis Dupuis nous a informés qu'il avait le regret de ne pas pouvoir comparaître aujourd'hui.
Je m'adresse maintenant aux témoins. Chacun d'entre vous a été informé du temps que vous pouvez prendre pour faire votre exposé et je vous demanderais de respecter cela strictement car nous aurons de nombreuses questions à vous poser. Lorsque vous aurez tous fait vos exposés, nous passerons aux questions des membres du comité.
Je pense que nous allons simplement suivre l'ordre dans lequel vous êtes installés à la table. Nous commencerons donc par Yvona Buczek, si vous le voulez bien.
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Bonjour. Je m'appelle Yvona Buczek, et c'est pour moi un honneur de pouvoir comparaître devant votre comité. Je suis chef adjointe de la Section de toxicologie, au Centre des sciences judiciaires, à Toronto, que je désignerai par le sigle CSJ.
Aujourd'hui, je suis accompagnée de mon collègue, Marc Pelletier, un scientifique d'expérience de notre section.
Le CSJ est un laboratoire de sciences judiciaires provincial qui relève de la Division de la sécurité publique du ministère de la Sécurité communautaire et des Services correctionnels. Nous fournissons des services de sciences judiciaires à tous les organismes d'enquêtes officielles de l'Ontario.
Une part importante de notre travail à la section de la toxicologie concerne la conduite avec facultés affaiblies. Nous donnons aux policiers de l'Ontario une formation théorique et pratique sur les appareils de détection approuvés et les appareils de constatation par analyse d'haleine. Nous sommes souvent appelés à témoigner devant les tribunaux afin de fournir une preuve scientifique sur la pharmacologie de l'alcoolémie et de calculer le taux d'alcoolémie.
J'espère que l'information que je vous présenterai aujourd'hui vous sera utile.
La conduite d'un véhicule motorisé exige le fonctionnement coordonné des diverses facultés sensorielles, motrices et intellectuelles, notamment l'attention partagée, la prise de conscience de ce qui entoure le sujet, le temps de réaction de choix, le temps de réaction dans des situations de conduite complexe, la capacité d'évaluer la vitesse et la distance, l'évaluation des risques, la vigilance, la faculté d'être alerte pendant de longues périodes de temps et la vue.
Le degré d'affaiblissement des facultés produit par l'alcool dépend du taux d'alcoolémie. La possibilité de démontrer l'affaiblissement des facultés dépend de la complexité de la tâche de conduite. Par exemple, les effets de l'affaiblissement des facultés par l'alcool sont manifestes dans des situations de conduite qui sont imprévisibles et qui exigent une réaction rapide et appropriée. Dans des conditions expérimentales contrôlées, on a constaté que la capacité d'attention partagée est affaiblie à des taux d'alcoolémie aussi bas que 15 milligrammes d'alcool dans 100 millilitres de sang. Néanmoins, après un examen critique des articles scientifiques pertinents, je suis d'avis que l'affaiblissement des facultés nécessaires à la conduite est significatif lorsque l'alcoolémie atteint 50 milligrammes d'alcool dans 100 millilitres de sang et augmente à partir de là. Les facultés peuvent être affaiblies en l'absence de tout signe visible d'intoxication, ce qui peut être dû à la tolérance.
L'alcool est une petite molécule simple. Contrairement aux autres drogues, l'alcool produit des effets prévisibles sur l'organisme. Les effets de l'alcool sur l'organisme humain — c'est-à-dire des signes observables d'intoxication — dépendent de l'alcoolémie. L'ampleur des effets augmente à mesure qu'augmente l'alcoolémie.
Je vais maintenant vous décrire les signes d'intoxication qu'on peut s'attendre à observer à divers alcoolémies chez un individu qui boit très peu ou modérément. Sachez que les personnes qui consomment fréquemment de grandes quantités d'alcool développent une tolérance qui diminue certains effets. Il arrive qu'une personne tolérante ne manifeste aucun signe d'intoxication même lorsque son alcoolémie est élevée.
À des concentrations se situant entre 0 et 50 milligrammes d'alcool dans 100 millilitres de sang, bien que les signes d'intoxication soient absents ou légers, la faculté de traitement de l'information est ralentie. On peut observer une légère euphorie et une absence d'inhibition dans un cadre social — par exemple, parler fort.
À des concentrations se situant entre 50 et 100, l'intoxication la plus probable peut se manifester par un certain manque de coordination motrice, particulièrement de la motricité fine. Il y a une perte accrue d'inhibition sociale — par exemple, une plus grande confiance en soi et un jugement affaibli.
À des concentrations entre 100 et 200, l'intoxication est très apparente en raison d'une baisse de la coordination motrice, comme des troubles d'élocution, une démarche titubante, des sautes d'humeur inappropriées et soudaines et la somnolence.
Lorsque l'alcoolémie dépasse 200, l'intoxication est très apparente en raison de la dépression accrue du système nerveux central, qui peut se traduire par la confusion, une perte importante du contrôle de la motricité, la nausée et des vomissements ainsi que divers degrés de somnolence pouvant aller jusqu'à la perte de conscience.
À plus de 300, l'intoxication est encore plus prononcée en raison de l'importante dépression du système nerveux central. Les propriétés anesthésiques générales de l'alcool sont évidentes et peuvent même entraîner le coma.
À plus de 350, l'intoxication peut causer la mort en raison d'une dépression respiratoire.
Sur le plan scientifique, on peut distinguer l'affaiblissement des facultés de l'intoxication. Je définis l'affaiblissement des facultés comme étant une capacité réduite de conduire un véhicule motorisé. Des études portant sur de basses alcoolémies ont montré que cela peut se produire à des niveaux bien inférieurs que ceux que l'on croyait auparavant.
Un examen des articles scientifiques sur la question peut se résumer en deux points. Premièrement, l'affaiblissement des facultés s'aggrave à mesure qu'augmente l'alcoolémie. Le fait que l'affaiblissement des facultés soit ou non observable dépend de la complexité de la tâche à accomplir. L'état d'une personne dont les facultés sont affaiblies n'est peut-être pas observable lorsqu'elle exécute une tâche de conduite courante, mais il serait évident dans des situations de conduite exigeant une réaction rapide.
Je vais maintenant vous présenter un certain nombre d'éléments tirés d'articles scientifiques pertinents. Je peux vous fournir les références si vous le souhaitez.
On a montré, dans des conditions expérimentales contrôlées, que certaines tâches exécutées à répétition sous l'influence de l'alcool par un sujet peuvent rendre cet individu moins susceptible aux effets de l'alcool. Cela s'appelle la tolérance fonctionnelle. De nombreux adultes conduisent tous les jours. Cependant, la tolérance fonctionnelle s'applique rarement à la conduite en raison de la complexité de l'effort intellectuel qu'elle demande. Même si une haute tolérance à l'alcool réduit les signes d'intoxication, les facultés sont quand même affaiblies.
Tout au plus pouvons-nous dire qu'avec une alcoolémie moyenne, soit de 50 à 70, les personnes qui consomment plus souvent semblent moins affectées et ont moins de risque d'être impliquées dans un accident. Lorsque l'alcoolémie est plus élevée, l'affaiblissement de la capacité de conduire et le risque d'accident sont considérablement plus élevés pour tous les groupes quelle que soit la fréquence à laquelle ils boivent. Les personnes qui s'adonnent périodiquement à une consommation excessive d'alcool présentent les mêmes modifications du comportement que les personnes qui ont moins l'habitude de boire mais elles en sont moins conscientes. Elles se font peut-être des illusions sur leur tolérance fonctionnelle. Ainsi, même si leur faculté à conduire est affaiblie, elles persistent à croire qu'elles conduisent en fait mieux que d'habitude.
Il existe des données scientifiques qui valident le concept de la cohérence fonctionnelle, mais seulement lorsque l'alcoolémie est de faible à moyenne et quand les tâches de conduite sont prévisibles et simples. Cependant, il est fort peu probable que la tolérance fonctionnelle réduise l'affaiblissement des facultés sous l'effet de l'alcool lorsque la tâche de conduite est complexe ou imprévisible.
Des études en laboratoire ont montré de façon constante que l'attention partagée et le temps de réaction de choix sont particulièrement sensibles aux effets de l'alcool et l'affaiblissement de ces facultés est évident à une concentration inférieure à 50 milligrammes d'alcool dans 100 millilitres de sang. Des études visant à mesurer l'affaiblissement des facultés sous l'effet de l'alcool…
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Des études visant à mesurer l'affaiblissement des facultés sous l'effet de l'alcool dans des sujets en train de conduire un véhicule motorisé sont plus pertinentes. Une étude des effets de l'alcool dans une situation de conduite imprévisible où les sujets devaient freiner subitement et effectuer une manœuvre d'évitement a montré clairement que l'alcool entraînait une dégradation de leur performance comme conducteur dans des situations imprévues lorsque leur alcoolémie est inférieure à 50.
Des études portant sur des conducteurs interceptés au volant de leur voiture ont dévoilé une augmentation exponentielle du risque d'accident lié à l'augmentation de l'alcoolémie. Une étude réalisée à Grand Rapids et publiée par Borkenstein et ses collègues en 1974 a comparé environ 6 000 collisions à environ 7 500 conducteurs témoins et a conclu q'une alcoolémie supérieure à 40 était clairement associée à une augmentation du taux d'accidents. Le risque de causer un accident était plus élevé comparativement aux conducteurs témoins par un facteur de deux avec une alcoolémie de 60, par un facteur de 3 à 80, par un facteur de 7 à 100, et par un facteur de 25 à 150 milligrammes d'alcool dans 100 millilitres de sang.
Une étude plus récente a révélé un risque de collision entraînant la mort du conducteur encore plus élevé lorsque l'alcoolémie est de 20. Lorsque l'alcoolémie se situe entre 50 et 79, le risque relatif de décès du chauffeur augmente d'environ trois fois à dix-sept fois par rapport aux conducteurs témoins.
En conclusion, une lecture critique des articles sur l'affaiblissement des facultés montre que la plupart des autres variables — tolérance fonctionnelle, habileté du conducteur, âge et sexe — sont moins importantes. Les deux variables les plus pertinentes sont l'alcoolémie et la complexité de la tâche de conduite.
Merci.
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Merci beaucoup de m'accorder de votre temps.
Je m'appelle Éric Lamoureux. Je suis le chef de relations gouvernementales de l'Association canadienne des automobilistes.
Au nom de l'ACA, je suis heureux de participer aujourd'hui à votre étude de la conduite avec facultés affaiblies. Je vous félicite d'avoir entrepris l'étude de cette question complexe étant donné le grand nombre de Canadiens touchés par les conséquences destructrices de la conduite avec facultés affaiblies chaque année.
Depuis sa création en 1913, l'ACA est le champion de la sécurité routière et des droits des automobilistes et des voyageurs canadiens. Avec plus de cinq millions de membres, l'ACA continue à préconiser diverses initiatives en matière de sécurité qui ont inspiré les lois relatives à la sécurité routière, des initiatives de sécurité publique et des politiques gouvernementales. Nous continuons à travailler avec le gouvernement fédéral, nos clubs et d'autres groupes intéressés afin d'assurer la sécurité des conducteurs sur des routes de plus en plus sûres.
Comme vous, monsieur le président, et les membres de ce comité, l'ACA, l'un des principaux groupes de revendication composés de membres, souhaite ardemment qu'il y ait moins de décès et de blessures sur les routes dues à la conduite avec facultés affaiblies. En 1999, votre comité a déposé un rapport intitulé « Vers l'élimination de la conduite avec facultés affaiblies ». Dans ce rapport, le comité concluait que la limite légale actuelle de 0,08 était suffisante pour permettre aux policiers d'arrêter les chauffeurs avec facultés affaiblies de conduire sur la route sans imposer un fardeau trop lourd au système de justice.
Ce qui est plus important, le rapport disait ce qui suit:
... une limite légale de 50 mg d'alcool par 100 ml de sang ne recueille pas l'appui du public, surtout que les données scientifiques portent à croire que tous n'ont pas les facultés affaiblies à ce taux.
Monsieur le président, l'ACA, au nom de tous nos membres et de tous ceux qui voyagent, a pour principal objectif celui d'être un promoteur crédible en matière de sécurité au Canada. Comme c'est notre seule motivation, l'ACA continue à appuyer cette approche. Tant que des études n'auront pas démontré de manière convaincante et constante que l'abaissement de la limite légale d'alcool dans le sang est justifié, nous estimons que la limite actuelle devrait être maintenue et rigoureusement appliquée.
C'est pourquoi, afin de lutter contre le problème croissant de la conduite avec facultés affaiblies, l'ACA préconise une loi rigoureuse, strictement appliquée et des campagnes de sensibilisation continues afin de mettre fin à la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool, la drogue ou des médicaments. Nous croyons que c'est là qu'il faut investir des ressources.
L'examen, par le comité, de mécanismes pour réduire la conduite avec facultés affaiblies au Canada est à propos et aurait dû être fait bien avant. Les mesures actuelles ne sont pas suffisamment dissuasives, et elles n'empêchent pas les conducteurs dangereux de prendre la route.
L'ACA a été heureuse que le Parlement renforce, l'an dernier, les lois régissant la conduite avec facultés affaiblies. L'adoption de la Loi sur la lutte contre les crimes violents a renforcé les mesures législatives contre la conduite avec facultés affaiblies en donnant aux policiers de nouveaux instruments pour faire enquête sur l'affaiblissement des facultés par l'alcool et les drogues. Elle rend également plus difficile pour les personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies d'échapper à la condamnation grâce à des formalités judiciaires.
Comme le montre le graphique à la page 2 de notre exposé, le Canada affiche l'un des taux les plus élevés de conduite avec facultés affaiblies de tous les pays développés. Le pourcentage et le nombre de décès et de blessures causés par des conducteurs dont les facultés sont affaiblies augmentent au Canada. Les taux actuels de décès et de blessures dépassent maintenant ceux de 1999.
Les dispositions du projet de loi C-2 visant la conduite avec facultés affaiblies, entrées en vigueur l'été dernier, éliminent des échappatoires qui existaient depuis longtemps au niveau fédéral. Cependant, ces dispositions ne réduiront pas beaucoup le nombre de collisions, de décès et de blessures causés par la conduite avec facultés affaiblies au Canada. Pour atteindre cet objectif, il faudrait apporter au Code criminel des modifications beaucoup plus importantes qui auraient un puissant effet dissuasif ou préventif.
Nous proposons trois mesures: l'adoption d'une infraction simplifiée punissable par procédures sommaires pour conduite avec une alcoolémie de 0,05; l'adoption d'une disposition du Code criminel qui autoriserait les tests aléatoires pour dépister les conducteurs dont les facultés sont affaiblies; et des modifications visant à éliminer l'interdiction obligatoire réduite pour les conducteurs avec facultés affaiblies dans le cadre de programmes provinciaux et territoriaux d'antidémarreurs.
Dans le temps qui m'est accordé, je vais traiter uniquement des épreuves de dépistage aléatoires.
Des millions de Canadiens continuent à boire et à conduire au Canada car ils peuvent le faire sans trop craindre de se faire arrêter ou, s'ils sont arrêtés, que leur ivresse soit détectée et qu'ils soient accusés. On estime qu'il y a eu 10,2 millions de déplacements avec facultés affaiblies par l'alcool en 2006 mais il n'y a eu que 60 000 accusations et environ 32 000 condamnations. Cela représente une mise en accusation pour 168 conduites avec facultés affaiblies et une condamnation pour 313 déplacements avec facultés affaiblies. En d'autres mots, il faudrait que vous conduisiez ivre une fois par semaine toutes les semaines pendant plus de trois ans avant d'être mis en accusation une fois. Il faudrait que vous conduisiez ivre une fois par semaine toutes les semaines pendant six ans avant d'être trouvé coupable.
En réaction à des problèmes semblables, de nombreux pays ont adopté les épreuves de dépistage aléatoires. Tous les examens systématiques de la recherche indiquent que l'adoption de ces alcootests se traduit par une réduction importante et soutenue des collisions causées par la conduite avec facultés affaiblies ainsi que des blessures et des décès qui en résultent.
Comme c'est le cas pour toute nouvelle technique d'exécution de la loi, les épreuves de dépistage aléatoires seraient contestées en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Je vais rapidement vous présenter quelques arguments qui prouvent, du moins pour moi, que les épreuves de dépistage aléatoires sont totalement compatibles avec la Charte.
Premièrement, les Canadiens ne peuvent pas prendre l'avion, entrer dans de nombreux tribunaux ou immeubles gouvernementaux ni assister aux délibérations parlementaires sans passer dans un détecteur et être soumis à des fouilles de leur personne et de leurs effets. Si les fouilles aléatoires sont justifiées dans ces circonstances, alors elles le sont d'autant plus pour dépister les conducteurs avec facultés affaiblies qui posent un risque beaucoup plus fréquent.
La conduite est une activité déjà très réglementée qui nécessite un permis et elle représente la première cause criminelle de décès dans notre pays. La common law et les lois obligent déjà les conducteurs à s'arrêter et à fournir leurs documents lorsqu'on le leur demande. Les conducteurs s'attendent à ce qu'on leur pose des questions sur leur permis, leur véhicule et leur sobriété. Les tribunaux canadiens ont constamment confirmé la constitutionnalité de ces arrêts, fouilles et interrogations aléatoires des conducteurs. L'adoption des THA ne serait qu'un prolongement de ces interventions courantes.
La première fois que j'ai comparu devant ce comité comme représentant du groupe Les mères contre l'alcool au volant il y a 10 ans, je plaidais en faveur de modifications importantes aux lois fédérales sur la conduite avec facultés affaiblies. Ces modifications n'ont pas été apportées et en d'autres mots, il faudrait que vous conduisiez ivre une fois par semaine toutes les semaines pendant plus de trois ans avant d'être mis en accusation une fois. Il faudrait que vous conduisiez ivre une fois par semaine toutes les semaines pendant six ans avant d'être trouvé coupable. Ne prendre aucune mesure ou en prendre peu est un choix, malheureusement c'est un choix qui ne changera rien au fait que notre pays a, comparativement aux autres pays démocratiques développés, l'un des pires bilans de conduites avec facultés affaiblies.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de me donner l'occasion d'intervenir aujourd'hui au nom de la société que je représente, Alcohol Countermeasure Systems Corp. Alcohol Countermeasure Systems, l'ACS, est une entreprise canadienne qui a fait ses preuves depuis plus de 30 ans. Pendant cette période, ACS s'est bien méritée la réputation de leader mondial dans les technologies d'antidémarreurs éthylométriques et les services de programme d'antidémarreurs.
Les antidémarreurs d'ACS sont utilisés dans 19 pays à travers le monde. Au Canada, ACS fournit les dispositifs antidémarrage, procède aux installations et aux rendez-vous de services de contrôle des contrevenants, ainsi qu'à la gestion des données et à la production de rapports pour les autorités juridictionnelles chargées de l'administration des programmes dans les 10 provinces ainsi que dans le Territoire du Yukon.
Les antidémarreurs éthylométriques sont des appareils sophistiqués de détection d'alcool dans l'haleine, installés dans un véhicule et qui demandent au conducteur de fournir un échantillon d'haleine sans alcool pour pouvoir démarrer le véhicule. Une fois le test validé et le véhicule en marche, l’antidémarreur éthylométrique demande des tests de confirmation à intervalles aléatoires et active une alarme si l’un des tests n’est pas activé et validé. Dans le cas où le conducteur laisse sonner l’alarme pendant une période prolongée, l’appareil va entamer un compte à rebours nécessitant que le véhicule se rende à un centre de service dans un délai de quelques jours. Le non-respect des exigences de service va verrouiller l’antidémarreur éthylométrique, ce qui signifie que le dispositif refuse tout test d’haleine et empêche ainsi le véhicule de démarrer.
À ce jour, la technologie des antidémarreurs éthylométriques est principalement utilisée dans les programmes pour conducteurs arrêtés pour conduite avec facultés affaiblies. De tels programmes comprennent habituellement l’installation d’un dispositif antidémarrage dans le véhicule du contrevenant et le contrôle et la surveillance par les autorités administratives. L’antidémarreur éthylométrique enregistre l’activité du dispositif et du véhicule, ainsi que les résultats des tests d’alcoolémie dans l’haleine; les données sont téléchargées lors des rendez-vous de service pour vérification de la conformité.
Les premiers programmes d’antidémarreurs éthylométriques pour conducteurs avec facultés affaiblies ont été introduits aux États-Unis au milieu des années 1980. Le Canada s’est lancé dans l’expérience en 1990 avec un premier programme développé en Alberta, suivi par le Québec en 1997. Depuis, toutes les provinces et le Territoire du Yukon ont instauré des programmes d’antidémarreurs éthylométriques pour les conducteurs en état d’ébriété, même si grand nombre de ces programmes sont relativement récents. Dans les Territoires du Nord-Ouest, une loi d’habilitation a été adoptée, toutefois, les programmes judiciaires d’antidémarreurs éthylométriques n’ont pas encore été mis en place.
Au fil des ans, de nombreuses études ont été menées pour mesurer l’efficacité des antidémarreurs éthylométriques, recueillant ainsi un grand nombre de preuves scientifiques issues des programmes canadiens et américains. Les dispositifs d’antidémarreurs éthylométriques installés dans les véhicules des conducteurs condamnés pour conduite avec facultés affaiblies se sont révélés, de manière quasi systématique, être hautement efficaces dans la prévention de l’alcool au volant par rapport aux sanctions traditionnelles telles que la suspension ou la révocation du permis de conduire. La réduction du taux de récidive serait passée de 75 p. 100 à plus de 90 p. 100.
Bien que les antidémarreurs éthylométriques soient efficaces dans la prévention de l’alcool au volant, un certain nombre d’éléments limitent l’influence des programmes judiciaires d’antidémarreurs sur la réduction de la conduite avec facultés affaiblies au Canada et ailleurs. La plupart de ces éléments soulèvent des questions relevant du domaine juridictionnel des gouvernements provinciaux et territoriaux concernés.
En 2008, le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, le CCATM, a approuvé un modèle de norme pour les programmes antidémarrage dans l’espoir et l’attente qu’ils servent de lignes directrices pour les initiatives législatives provinciales et territoriales, tout en permettant d’optimiser l’efficacité des programmes d’antidémarreurs éthylométriques comme mesure contre la conduite avec facultés affaiblies. Les éléments clés du modèle de norme du CCATM pour les programmes antidémarrage incluent: la participation obligatoire de tout conducteur condamné pour conduite avec facultés affaiblies; des mesures incitatives de restitution avancée du permis de conduire; une durée de programme adaptable; une fin de programme basée sur des critères de performance; et une aide aux traitements.
Les mesures incitatives de restitution avancée du permis de conduire sont l’élément principal du point de vue juridictionnel fédéral. Les pressions en faveur de telles mesures incitatives se justifient par l’augmentation du nombre de preuves avançant que la participation à un programme d’antidémarreur éthylométrique devrait commencer dès que possible après l’infraction.
La logique d’une restitution avancée du permis de conduire se base sur la constatation qu’une longue période de suspension ou de révocation du permis de conduire n’est pas une mesure très efficace pour empêcher les conducteurs concernés de prendre le volant en état d’ébriété. Grand nombre de contrevenants continuent de conduire malgré la suspension, et, parfois même conduisent après avoir consommé de l’alcool. Une autre inquiétude est la tendance grandissante, parmi les conducteurs au permis suspendu ou révoqué, à ne pas faire de demande de restitution après une période prolongée de suspension ou de révocation du permis de conduire.
D’après le paragraphe 259(1) du Code criminel, toute personne condamnée pour une infraction de conduite avec facultés affaiblies par l’alcool prévue aux articles 253 et 254 est passible d’une interdiction obligatoire de conduire d’une durée minimum d’un an pour une première infraction, deux ans pour une deuxième infraction et trois ans pour une troisième infraction et plus.
Conformément au paragraphe 259(1.1), un contrevenant soumis à une ordonnance de probation de conduite participant à un programme provincial d’antidémarreurs éthylométriques et qui remplit les conditions du programme est autorisé à conduire un véhicule automobile équipé d’un dispositif d’antidémarreur éthylométrique durant la période d’interdiction à moins d’une ordonnance contraire du tribunal. Cependant, en vertu du paragraphe 259(1.2), il leur est formellement interdit de conduire un véhicule, même équipé d’un antidémarreur éthylométrique, durant une période allant de trois mois pour les auteurs d’une première infraction à 12 mois pour les auteurs de trois infractions ou plus.
Compte tenu des faits précités, une modification au Code criminel pour abroger le paragraphe 259(1.2) doit être envisagée. La mesure bénéficie du soutien ferme de l’association Les mères contre l’alcool au volant et des acteurs soucieux d’accroître l’efficacité des antidémarreurs éthylométriques et des programmes d’antidémarreurs éthylométriques.
Les antidémarreurs éthylométriques sont une initiative prometteuse dans la lutte contre la conduite avec facultés affaiblies. Ceci dit, et pour pouvoir exploiter le potentiel d’une technologie permettant de sauver des vies, il incombe à tous les niveaux du gouvernement de mettre en place un cadre législatif qui optimisera, ou du moins n’entravera pas, l’efficacité des programmes.
Merci de votre attention.
J'aimerais remercier le comité de nous donner l'occasion de réaffirmer notre position. Pour ceux d'entre vous qui ne connaissez pas notre fondation, nous sommes une organisation de recherche caritative créée en 1964 et nos recherches mondiales portent sur les utilisateurs routiers. Nous faisons beaucoup de recherches sur les conducteurs avec facultés affaiblies.
Aujourd'hui, j'aimerais traiter de l'opportunité d'abaisser la limite du taux d'alcoolémie permis. Cette question a suscité beaucoup de débats. On a beaucoup discuté des preuves scientifiques. Aujourd'hui, nous aimerions laisser de côté les preuves scientifiques pour examiner l'incidence pratique de l'abaissement du taux d'alcoolémie permis sur le système de justice.
L'an dernier, notre fondation a mené un sondage national auprès d'avocats de la défense et de procureurs de la Couronne. Nous avons interrogé plus de 1 000 avocats, et nous avons examiné un certain nombre de difficultés que posent les affaires de conduite avec facultés affaiblies au système de justice. L'une des questions à laquelle nous nous sommes particulièrement attardés était l'abaissement de la limite permise.
Je pense qu'il est important de signaler que l'abaissement de la limite permise au niveau fédéral imposerait un important fardeau au système de justice. À l'heure actuelle les procureurs de la Couronne sont saisis de quatre fois plus de dossiers criminels que les procureurs de la défense. Les affaires de conduite avec facultés affaiblies représentent 25 p. 100 des causes criminelles. Les affaires concernant des récidivistes comptent pour un tiers de toutes les causes de conduite avec facultés affaiblies. Le fait d'abaisser la limite du taux d'alcoolémie permis ne ferait qu'augmenter de façon importante le nombre de causes des avocats et réduirait la capacité des procureurs de la Couronne de poursuivre de façon efficace les contrevenants qui présentent un taux d'alcoolémie plus élevé, et aussi un risque plus élevé. En outre, les inégalités actuelles dans le nombre de causes entre les mains des procureurs de la Couronne et des procureurs de la défense ne feraient que prendre de l'ampleur.
De moins en moins d'affaires de conduite avec facultés affaiblies sont réglées au moyen d'une négociation de plaidoyer. Un plus grand nombre d'affaires se rendent jusqu'au procès. À l'heure actuelle, environ 40 p. 100 des affaires de conduite avec facultés affaiblies instruites se rendent jusqu'à un procès parce que les personnes accusées refusent la négociation de plaidoyer. Bien sûr, les affaires instruites nécessitent un temps et des ressources considérables.
De toute évidence, les personnes accusées sont prêtes à subir un procès pour éviter une condamnation au criminel et il n'y a pas lieu de croire que les personnes dont le taux d'alcoolémie est plus faible seront davantage portées à ne pas subir un procès, d'autant plus que les risques d'une condamnation sont faibles.
Les procureurs de la défense consacrent au moins deux fois plus d'heures, et jusqu'à quatre fois plus, à préparer leurs causes de conduite avec facultés affaiblies que ne le font les procureurs de la Couronne. Encore une fois, ces inégalités ne feront qu'augmenter à mesure que le nombre de causes croîtra.
À l'échelle nationale, les procureurs indiquent que les accusés sont reconnus coupables dans 52 p. 100 des affaires traduites devant les tribunaux. Le taux de condamnation à la suite d'un procès est de 52 p. 100. Ainsi, les poursuites ne sont pas aussi efficaces que nous le souhaiterions. La faible probabilité d'une condamnation vient saper les effets dissuasifs spécifiques des lois sur la conduite avec facultés affaiblies et sert à encourager les accusés à subir un procès. En outre, le temps qu'il faut pour régler une affaire devant les tribunaux est beaucoup plus long qu'auparavant et continuera à s'allonger.
Moins de 40 p. 100 des procureurs de la Couronne sont en faveur d'abaisser la limite du taux d'alcoolémie permis.
À l'heure actuelle, il y a 47 000 affaires de conduite avec facultés affaiblies par une alcoolémie de 0,05 et qui se règle par des sanctions administratives. En moyenne, nous instruisons environ 50 000 poursuites pénales. Il y a 47 000 suspensions administratives, sans compter l'Ontario et le Québec, qui bien entendu seraient touchées par un abaissement à 0,05, et l'Alberta. Nous pouvons nous attendre à ce que le nombre d'affaires double.
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Je vais répondre à la question.
L'expérience en fait foi: chaque pays qui a introduit une alcoolémie de 0,05 ou abaissé la limite légale en a retiré des avantages importants pour la sécurité de la circulation. Les données montrent aussi que, parmi les groupes visés, c'est chez les personnes qui persistent à conduire leur véhicule en état d'ébriété que l'on enregistre le plus fort effet dissuasif de l'abaissement de l'alcoolémie. En d'autres termes, c'est dans ce groupe que la diminution de la conduite est la plus marquée. L'introduction de 0,05 comme plafond d'alcoolémie sous peine de contrevenir à une loi fédérale aurait donc des répercussions significatives, en matière de dissuasion.
D'autre part, le taux de 0,05 existe en Australie depuis 25 ans. Rien n'indique que, lors du passage de 0,08 à 0,05, les tribunaux aient été engorgés. Tous les États des États-Unis sont passés de 0,1 à 0,08 comme plafond avant une infraction au code pénal. On n'y constate pas d'arriéré. Un taux de 0,05 aurait un effet dissuasif marqué. Loin de moi l'idée de renoncer pour autant à étouffer les sanctions administratives provinciales pour une conduite à 0,05. Nous sommes en faveur de cela; nous sommes en faveur des deux mesures.
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Merci pour votre prudence. Elle a quand même débouché sur une affirmation claire.
Ma deuxième question s'adresse aux témoins de MADD.
Parmi tous les témoins qui se sont présentés devant nous à ce jour — et il doit bien y en avoir eu une quinzaine, si je ne me trompe pas —, deux seulement soutenaient le même point de vue que vous. Évidemment, vous voulez qu'on fasse passer le taux de 0,08 p. 100 à 0,05 p. 100 en vertu du Code criminel, et je comprends votre point de vue. Par contre, les gens qui ont un peu étudié ces questions, autant les organismes responsables de l'application de la loi que les scientifiques, prétendent que la mesure la plus efficace est la révocation immédiate du permis de conduire. C'est ce que font certaines provinces. On parle ici d'une réalité administrative.
On nous dit que les buveurs invétérés sont peu nombreux mais sont responsables d'un grand nombre d'accidents. Alors, je ne comprends pas la logique de votre argument. Vous dites que pour eux, cette mesure serait dissuasive. Pourquoi des gens qui ne respectent pas la réglementation quand le taux est de 0,08 p. 100 seraient-ils soudainement convaincus qu'il faut la respecter si le taux était réduit à 0,05 p. 100? Contrairement à ce que vous affirmez, les statistiques ne nous amènent pas à conclure qu'il y a sur la route plus d'accidents liés à la conduite avec facultés affaiblies.
Je vais vous laisser réagir à cela et je serai heureux d'écouter vos arguments.
Nous abordons ces questions dans un article publié dans une revue internationale, Injury Prevention, et nous avons publié dans la Criminal Law Quarterly. Un examen des recherches publiées mène à des conclusions claires et systématiques: l'abaissement du plafond d'alcoolémie est très efficace pour décourager la conduite avec facultés affaiblies. C'est ce que constate tout pays qui a procédé à un tel abaissement.
Il importe aussi de garder un point à l'esprit: de par le monde, une vaste majorité des autres pays a adopté 0,05 comme plafond d'alcoolémie au-delà duquel la conduite est une infraction. Je vous renvoie au tableau à la page 5 de mon mémoire.
Une bonne part de mythes est associée aux personnes qui persistent à conduire leur véhicule en état d'ébriété. Assez peu d'études ont été réalisées sur les habitudes en matière de consommation d'alcool des personnes qui trouvent la mort dans un accident automobile. La seule étude effectuée, une étude détaillée sous la direction d'un nommé Baker, aux États-Unis, indique que les personnes qui persistent à conduire leur véhicule en état d'ébriété font effectivement le plus de trajet avec facultés affaiblies, mais que seulement un tiers d'entre elles perdent la vie dans un accident automobile ou sont responsables d'un décès dans ces circonstances. Dans notre pays, il semblerait que la majorité des blessures et des décès dans un accident avec facultés affaiblies soit due à des gens qui boivent beaucoup épisodiquement. Les jeunes hommes âgés de 16 à 25 ans en sont l'exemple typique. Ils représentent 13 p. 100 de la population, mais 32 p. 100 des blessures dues à des accidents de la route. L'idée que notre problème est limité aux personnes qui persistent à conduire leur véhicule en état d'ébriété ne semble pas être fondée.
D'autre part, deux études effectuées sur l'abaissement du plafond d'alcoolémie, l'une en Suède et l'autre en Australie, montrent qu'il y a une réduction plus marquée du nombre de personnes avec une très forte alcoolémie quand on diminue le plafond légal d'alcoolémie, qui est passé en Suède de 0,05 à 0,02 et, en Australie, de 0,08 à 0,05.
Peut-être le problème est-il lié aux gens que vous choisissez d'inviter comme témoins. J'aimerais voir parmi eux plus de chercheurs et de scientifiques, et moins de personnes représentant des intérêts particuliers.
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L'étude de fond sur laquelle repose cette affirmation part du principe que, s'il n'y a pas de peine de prison pour l'infraction, c'est administratif. Ce n'est pas exact. L'absence d'une peine de prison ne rend pas la sanction administrative. L'étude en question suggérait que la majorité des pays avaient un taux de 0,08, mais chacun des 50 États américains comptait comme entité distincte.
J'ai ici un tableau, reposant en partie sur des données fournies par l'International Center for Alcohol Policies qui est financé par l'industrie américaine des boissons alcoolisées. À la page 5, comme vous pouvez le constater, il y a, je crois, 67 pays où le plafond d'alcoolémie est inférieur à 0,08 et 20 pays où il est à 0,08 ou plus élevé. Le reste du monde a tourné la page. Le reste du monde sait pertinemment qu'une alcoolémie réduite diminue les décès ou blessures à la suite de conduite avec facultés affaiblies.
Laissez-moi soulever un autre point. Au niveau provincial, la suspension du permis de conduire intervient à 0,05 d'alcoolémie et pourtant le nombre de décès du fait de conduite avec facultés affaiblies est en augmentation. Les statistiques canadiennes en matière de conduite avec facultés affaiblies sont parmi les pires. À moins donc de prendre des mesures appréciables, des mesures majeures, rien ne changera. Laissez-moi dire au passage que je suis fortement en faveur d'un renforcement des sanctions administratives provinciales et des suspensions de permis de conduire avec une alcoolémie de 0,05. Nous avons d'ailleurs rédigé la proposition que le CCATM a fini par adopter. Nous ne sommes donc pas contre. Nous pensons que c'est important, nous appuyons la mesure. Mais une limite de 0,05 dans le Code criminel aurait également des répercussions significatives et permettrait une approche systématique partout au pays.
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Pendant que je vous écoutais évoquer votre scénario, mon collègue faisait quelques rapides calculs, sans l'aide d'une calculatrice. Selon lui, dans le scénario que vous évoquez, on constaterait chez la personne une alcoolémie allant de 10 à 45 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang, à 22 h 30, heure de l'incident, tel que nous, les toxicologues, le définissons.
Ce n'est pas un taux très élevé. Il est même très faible, s'il s'agit de 10. Toutefois, comme je l'ai indiqué dans mon exposé, si on faisait venir cette personne au laboratoire et si on lui faisait passer des tests très sensibles liés à la conduite, on constaterait peut-être déjà des différences à 15, par opposition à zéro. Est-ce à dire que cette personne est un conducteur dangereux? Je l'ignore. Avec un taux de 45, les manifestations seraient plus nombreuses: plus d'habilités compromises, plus gravement, chez un plus grand nombre de personnes.
Là encore, il faut différencier les facultés affaiblies et ce qu'on est en mesure d'observer. On peut très bien observer quelqu'un ayant une alcoolémie de 50, 100, voire 200, sans rien remarquer d'inhabituel dans son comportement. Cela dépend de ce que fait cette personne. Si elle est juste debout pendant qu'un agent de police lui parle, il est possible qu'elle ne manifeste aucun signe d'ébriété, surtout si elle a une certaine tolérance — pour revenir à votre question de tout à l'heure. Si cette personne est au volant, par contre, dans une situation très complexe, où il se passe toutes sortes de choses, où il faut intégrer toute une série de stimulus provenant de l'environnement — observer des panneaux, des feux de circulation, d'autres voitures et des piétons — et traiter l'ensemble de ces données, l'alcool a des conséquences: moins de données sont captées et celles qui sont captées sont traitées plus lentement. Sur ce plan, une personne pourrait avoir des capacités affaiblies de conduire un véhicule à moteur même avec une alcoolémie de 15, encore plus à 45 et plus encore à un niveau de 100 ou de 200.
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Je ne suis pas d'accord avec vous, monsieur. Conduire n'est pas un droit dans ce pays. Conduire est une activité qui nécessite un permis. C'est un privilège, alors votre exemple de l'aéroport ne s'applique pas.
En outre, les tribunaux ont déjà examiné la question de savoir si un gouvernement peut exiger que les personnes qui entrent dans un immeuble public se soumettent à des contrôles de sécurité aléatoires. La dernière fois que j'ai comparu, les agents de la sécurité ont confisqué ma crème à barbe trois fois. On m'a fouillé. Je suis passé dans le détecteur trois fois. Nous tous ici présents croyons qu'il est dans l'intérêt de l'État de protéger les parlementaires et que cela justifie une fouille aléatoire de ma personne et de mes effets. Les tribunaux ont examiné la question et ont confirmé que les personnes qui pénètrent dans un immeuble public ou un tribunal doivent se soumettre à des contrôles de sécurité et des fouilles aléatoires.
Maintenant, si vous comparez le nombre de décès et de blessures au Parlement et dans les édifices du gouvernement, d'une part et les décès et les blessures sur les routes, d'autre part, la conclusion est claire. Je crois que l'intérêt de l'État en fait de décès et de blessures évités — probablement une réduction de 20 p. 100 — justifie que l'on porte atteinte au droit à protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives en effectuant des tests d'haleine aléatoires. Vous avez raison, c'est aléatoire, mais on arrête déjà les conducteurs de manière aléatoire. Les conducteurs sont déjà soumis à des fouilles aléatoires. Les policiers peuvent exiger de voir mon permis de conduire et mes documents d'assurance. C'est une fouille aléatoire.
Pour l'État, l'intérêt de s'assurer que vous êtes sobre est plus grand que l'intérêt de s'assurer que vous avez avec vous vos documents d'assurance et votre permis de conduire. Voilà la raison. Pour ce qui est des tests d'haleine aléatoires et une limite d'alcoolémie de 0,05, la preuve est claire. Les tests d'haleine aléatoires contribueront davantage à réduire les décès et les blessures.
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Merci, monsieur le président.
Merci à tous les témoins de leurs excellents exposés et de l'intérêt qu'ils témoignent envers cette question d'une importance cruciale.
Mes premières questions s'adressent à M. Solomon. Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d'accord avec vous lorsque vous dites que les tests d'haleine aléatoires résisteraient à un examen en vertu de la charte.
Par analogie, vous dites que les passagers qui veulent prendre l'avion ou les visiteurs qui veulent entrer dans les édifices gouvernementaux et les palais de justice doivent se soumettre à une fouille. Je suis d'accord. J'ai pris l'avion aujourd'hui, et j'imagine que vous aussi, et vous êtes tous très certainement entrés dans cet édifice du Parlement. Or, tous ceux qui ont pris l'avion en même temps que moi ont dû se soumettre au détecteur de métal, et leurs bagages à main sont passés dans une machine à rayons X.
Nous avons huit témoins, et corrigez-moi si j'ai tort, mais je suppose que chacun d'entre eux est passé par le détecteur de métal. S'ils avaient un porte-documents, il a dû passer par l'appareil de radioscopie. Ai-je tort?
Des voix: Non.
M. Brent Rathgeber: Je soutiens donc, monsieur, que ça n'a rien d'aléatoire. C'est tout à fait différent de ce que vous avez proposé, c'est-à-dire d'arrêter des conducteurs pour qu'ils se soumettent à un alcootest routier. Pour en faire une question, êtes-vous d'accord avec moi sur le fait que votre analogie avec les édifices publics et les avions n'était pas adéquate?
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Je peux répondre à la question.
MADD Canada et MADD U.S. font partie d'un groupe international composé également de fabricants automobiles. Nous travaillons à l'élaboration d'une épreuve de dépistage non invasive afin de déterminer le taux d'alcoolémie. Pour le Canada, on envisage un taux de 0,05. Si le taux du conducteur est plus bas que ce seuil, la voiture démarrera; on ne se rendra même pas compte de l'existence de la technologie. Si le taux dépasse 0,05, le véhicule ne démarrera pas.
Grâce à ce groupe d'experts, nous espérons pouvoir produire un prototype pour les voitures d'ici quelques années, et l'installer dans les parcs de véhicules et les voitures de location d'ici cinq à sept ans. La science nous le permet, c'est réaliste, et les fabricants automobiles sont tout à fait disposés à participer, mais en attendant, il faut régler certains autres problèmes.
Monsieur Solomon, je voudrais poursuivre dans la même veine que mon collègue, M. Rathgeber.
Le modèle que vous proposez, où toutes les voitures sont arrêtées et où chaque conducteur doit se soumettre à un test... vous pouvez prétendre que c'est aléatoire parce que l'emplacement des barrages varie, mais ça n'est certainement pas au hasard. On s'installe à un endroit et on soumet tout le monde au test. Je ne vois pas en quoi c'est aléatoire. L'endroit est choisi au hasard, mais le test n'est pas aléatoire. C'est mon premier point.
Ensuite je tenais à signaler que la criminalité existe, que ce soit dans les gangs ou sur nos routes. J'ai véritablement peur. Je suis arrivé de la Grande-Bretagne en 1968. J'avais auparavant grandi en Inde. Je crains que chaque année, les Canadiens deviennent un peu plus craintifs, étant donné la façon dont nous parlons de ces problèmes. Quand la peur s'installe, les gens acceptent plus volontiers qu'on limite leur liberté.
Les enjeux sont beaucoup plus vastes. Je sais que les accidents de la route font de nombreuses victimes. Or, il y a d'autres façons de régler ces problèmes. Au bout du compte, votre proposition est peut-être constitutionnelle. Je ne sais pas. Ça l'est peut-être, mais devrait-on mettre l'accent là-dessus, plutôt que sur les autres options qui nous permettraient d'obtenir le même résultat?
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Merci de votre question.
Le problème, c'est qu'il n'y a pas d'autres solutions qui puissent nous donner le même résultat, et c'est ce que révèlent les recherches.
En 2006, parmi les accidents causés par la conduite avec facultés affaiblies, nous avons répertorié 1 278 décès, 77 000 blessés et 220 000 voitures endommagées. C'est le statu quo. J'aimerais donc poser une question au comité. Comment allons-nous réduire ces chiffres? Je ne vois pas d'autres solutions. La recherche montre également que, de toutes les options qui s'offrent à nous, les tests d'haleine aléatoires — et je sais que vous vous opposez à l'emploi de ce terme, mais c'est ainsi que ça s'appelle — sont la plus efficaces. La question est de savoir — et il n'y a pas de réponse à cette question, à chacun d'y répondre pour soi: est-ce que l'intérêt de l'État, du public, en matière de sécurité routière justifie ces perquisitions et saisies abusives, puisqu'il n'y a pas de soupçon précis? Étant donné que la conduite avec facultés affaiblies est la principale cause de décès attribuable à un acte criminel au Canada, étant donné que vous êtes deux fois plus susceptible d'être tué par un chauffeur en état d'ébriété que d'être victime de meurtre, étant donné qu'un nombre disproportionné de personnes tuées et blessées par les chauffeurs ivres sont des jeunes, je vous réponds que oui.
Toutefois, je pense que nous — et surtout les médias — mettons trop l'accent sur les crimes sensationnels, sans nous attarder aux véritables causes des décès et blessures sur nos routes. Selon moi, c'est une violation; il s'agit bien de perquisitions et saisies abusives. Je pense cependant que les intérêts du public justifient pleinement cette intrusion.
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Merci, monsieur le président.
J'ai moi aussi, comme M. Bagnell, siégé au Comité de la justice au cours de la 39e législature. Je dois préciser que nous ne nous réunissions pas l'après-midi mais bien le matin, et que M. Bagnell, sous la pression, s'est résigné avec consternation à prendre de l'alcool pour ensuite se soumettre à un alcootest. C'était un sacrifice remarquable qu'il a fait ce matin-là, pour prouver que l'appareil fonctionnait. C'était donc une étude de cas bien documentée.
Ma question s'adresse à vous, madame Robertson. Je suis désolé, je ne vous vois pas bien puisque nous sommes du même côté de la table.
Nous n'avons pas adopté cette approche, nous ne sommes pas entrés dans les détails de notre système pénal et de ce qui justifierait la réduction du taux d'alcoolémie de 0,08 à 0,05. Vous avez beaucoup parlé des avocats de la défense, ou du moins vous l'avez mentionné, et du temps qu'il fallait pour préparer un dossier. Pourriez-vous m'expliquer un peu pourquoi les avocats de la défense prennent beaucoup plus de temps que les avocats de la Couronne?
Merci aux témoins d'être venus ici cet après-midi. J'ai déjà vu plusieurs d'entre vous lors de la dernière session, lorsque nous avons discuté du thème des facultés affaiblies par la drogue, plutôt que par l'alcool. Nous allons maintenant tenter de revoir les changements qu'on pourrait apporter relativement à l'alcoolémie et aux facultés affaiblies par l'alcool. Excluons la drogue de notre esprit et attardons-nous uniquement à l'alcool. C'est d'ailleurs le sujet de ma question.
Il est question de modifier le Code criminel. Comme je le dis toujours, le Code criminel, c'est de la philosophie. Il régit ce que nous allons faire dans notre vie de tous les jours et détermine si nous serons punis ou non. Le Code criminel est la base même de ce que nous sommes.
J'adresse ma question à M. Andrew Murie ou à M. Solomon. Dans certaines provinces, lorsqu'un adulte fume à bord de sa voiture en compagnie d'enfants, il peut être intercepté et condamné. À ce que je sache, la cigarette n'altère pas les facultés de l'individu, mais ce dernier peut tout de même être condamné. Dans la même province, un conducteur qui prend le volant de sa voiture avec un taux d'alcoolémie inférieur à 0,08 p. 100, avec des enfants à bord, ne sera pas accusé et pourra continuer son chemin.
Je me questionne, et j'ai besoin de votre aide. Je veux bien croire que nous devrons tous en arriver à un taux de 0,05 p. 100. Or, j'aimerais savoir ce qui vous pousse à vouloir réduire le taux légal d'alcoolémie à 0,05 p. 100, compte tenu du fait que, dans certaines provinces, la consommation d'une simple cigarette à bord d'une voiture où se trouvent des enfants peut entraîner une condamnation, alors qu'un conducteur au taux d'alcoolémie inférieur à 0,08 p. 100 conduisant une voiture où se trouvent des enfants ne sera pas condamné.
J'aimerais connaître votre opinion par rapport à cette comparaison. Si on doit commencer à examiner les lois, il faut au moins que vous nous disiez ce qui vous motive, à part les principes scientifiques, à vouloir réduire le taux légal d'alcoolémie à 0,05 p. 100.
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J'aimerais vous poser une question, madame Robertson. Plus tôt, vous avez abordé un sujet très intéressant, à savoir l'engorgement des tribunaux dû au nombre plus élevé de causes qui pourraient être entendues si le taux légal d'alcoolémie était de 0,05 p. 100.
J'aimerais vous faire remarquer une chose. Cela est vrai dans le cas de l'Ontario, où les frais de l'aide juridique sont réglés à l'heure. Le plus longtemps l'avocat apparaît devant la cour, le plus il sera payé. Dans ma province, le Québec, on travaille par mandat. Le montant maximal qu'un avocat peut obtenir pour plaider une cause de cette nature est d'environ 500 $. Il devra faire la comparution, recevoir la preuve de la Couronne, fixer une date et faire le procès. Le procès dure environ de huit à dix heures, incluant le temps d'attente avant l'assignation du rang. En moyenne, l'avocat travaillera environ 20 heures et gagnera 500 $. Chez nous, au Québec, on plaide coupable.
Il existe peut-être un problème qui n'est pas du ressort du fédéral, mais du ressort des provinces qui ont une façon différente de traiter les causes devant le tribunal. En Ontario, 50 p. 100 des causes sont subventionnées par l'aide juridique sur une base horaire, et non par mandat.
Vous êtes-vous attardés aux différences entre le Québec et l'Ontario?
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Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, je tiens à signaler que je partagerai mon temps de parole avec M. Rathgeber.
Premièrement, je tiens à vous remercier tous d'être venus aujourd'hui. Certains d'entre vous ont comparu plus d'une fois, et votre passion, vos connaissances et votre expertise dans ce domaine sont évidentes. Je pense que ce que nous essayons de faire est très clair. Nous voulons accroître les taux de condamnations et, du même coup, l'effet de dissuasion. La discussion d'aujourd'hui, bien qu'elle soit instructive, est quelque peu décourageante.
Mme Robertson nous a dit que nous n'arrivions pas à accroître les taux de condamnations, alors pourquoi engorger le système davantage? Dans vos études, avez-vous trouvé la source du problème? Est-ce le nombre de procureurs de la Couronne, ou est-ce que le goulot d'étranglement se trouve plus loin dans la chaîne? Les procureurs n'ont-ils pas le personnel de soutien nécessaire pour leur fournir les renseignements de base et la recherche dont ils ont besoin pour entamer des poursuites? Avez-vous été en mesure de déterminer l'origine du problème?