Il s'agit de la 43e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes le lundi 26 octobre 2009.
Vous avez l'ordre du jour devant vous. Nous poursuivons la revue de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et plus particulièrement de l'article 13.
Nous avons deux groupes de témoins aujourd'hui, et nous allons consacrer une heure à chacun. Au cours de la première heure, nous accueillerons Jennifer Lynch, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, et M. Philippe Dufresne. Soyez les bienvenus.
Au cours de la deuxième heure, nous accueillerons Bernie Farber et Mark Freiman du Congrès juif canadien, ainsi que le professeur Richard Moon.
Petit rappel à tout le monde dans la salle, veuillez fermer la sonnerie de vos téléphones cellulaires ou les mettre en mode vibration, de sorte que nous ne soyons pas dérangés. De même, les conversations téléphoniques doivent avoir lieu à l'extérieur de la salle.
Madame Lynch, pourquoi ne commenceriez-vous pas? Je crois qu'il a été convenu que vous auriez jusqu'à 15 minutes pour faire votre exposé et ensuite, nous vous poserons des questions.
:
Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.
Je suis très heureuse que le comité m'ait invitée à participer à son examen de la Commission canadienne des droits de la personne ainsi que de l'application et de l'interprétation de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Permettez-moi de vous présenter mon collègue Philippe Dufresne, avocat-conseil à la commission.
[Traduction]
Le défi de concilier la liberté d'expression et le droit à l'égalité et à la dignité ne date pas d'hier. Le plus récent débat porte essentiellement sur le rôle de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et mobilise de nombreux Canadiens depuis plus d'un an.
D'emblée, il incombe à la commission de diriger et d'éclairer le débat en produisant une analyse exhaustive et objective de cette question assurément complexe. Notre comparution devant le comité aujourd'hui est une démarche importante dans l'exercice de cette responsabilité.
Soucieux de reconnaître l'égalité de tous les Canadiens, les parlementaires ont adopté la Charte canadienne des droits et libertés de même que la Loi canadienne sur les droits de la personne. La manière dont le Parlement entrevoyait le Canada a jeté les assises du pays le plus ouvert, le plus inclusif et le plus multiculturel au monde. Notre engagement envers l'égalité et la dignité a façonné notre identité, tant individuelle que collective. Il a aussi contribué à l'évolution et à la prospérité de notre société. Il fait partie de tout ce qui nous distingue en tant que Canadiens.
Cette démarche visant à instaurer une société harmonieuse n'est pas unique au Canada. Depuis plus de 60 ans, la Déclaration universelle des droits de l'homme unit le monde en reconnaissant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. En 1977, le Parlement a donné à la Commission canadienne des droits de la personne le mandat de défendre ces valeurs fondamentales.
Aujourd'hui encore, la loi est porteuse d'un idéal mobilisateur pour le Canada, brillamment formulé à l'article 2: « La présente loi a pour objet de compléter… en donnant effet… au principe suivant: le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins » — sans discrimination. C'est là ma source d'inspiration.
La commission donne un accès au système de justice, de sorte que les plus vulnérables d'entre nous puissent se faire entendre. Des milliers et des milliers de plaintes ont été réglées.
[Français]
La qualité de vie de certains s'en est trouvé améliorée. En voici quelques exemples. Les personnes handicapées peuvent maintenant mener plus facilement leurs activités quotidiennes. Ainsi, les transports en commun sont aujourd'hui plus faciles d'accès, les guichets automatiques sont dotés d'un dispositif d'assistance vocale, et des émissions de télévision sont sous-titrées. Plus de 700 000 Autochtones ont maintenant droit à une pleine protection en vertu de la loi. Les travailleurs ont droit à un milieu de travail exempt de harcèlement, qu'il soit fondé sur le sexe, la race ou la religion. Les mères peuvent élever leurs enfants sans craindre de perdre leur emploi.
Malgré les progrès collectifs accomplis par les Canadiens dans le domaine des droits de la personne, la discrimination persiste sous différentes formes.
[Traduction]
Nous ne devons pas relâcher notre vigilance, puisque aujourd'hui encore les Canadiens sont la cible d'actes discriminatoires méprisables.
La propagande haineuse sévit toujours, malheureusement. La propagande haineuse dirigée contre certains groupes continue de menacer l'harmonie au sein de nos communautés et porte atteinte à la liberté. L'égalité est pourtant garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Comble de l'ironie, certains invoquent cette même Charte pour faire valoir leur droit absolu à la liberté d'expression. Aucun droit n'est absolu. Lorsque deux droits s'opposent, le législateur doit trouver un moyen de les concilier.
Le débat est déjà tranché en partie. La liberté d'expression s'accompagne de limites. Le droit canadien du libelle en est un exemple. En signant et en ratifiant des traités internationaux, le Canada a accepté de limiter la liberté d'expression lorsqu'il s'agit d'expression haineuse. Dans les années 1970, le Parlement a adopté une stratégie pour réglementer la propagande haineuse dans le Code criminel et à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En 2001, il a modifié la loi pour y inclure la propagande haineuse sur Internet.
La commission applique la loi rigoureusement, conformément à un arrêt de la Cour suprême du Canada et à d'autres décisions ayant fait jurisprudence. Pour être assimilé à la propagande haineuse aux termes de l'article 13, le message doit comporter, et je cite, « une malice extrême », « des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation » et de « nature à la fois virulente et extrême ».
Un bon exemple d'application correcte de la loi par la commission nous vient d'une plainte largement médiatisée qu'elle a reçue en 2007. La plainte en question a été déposée contre Rogers Communications, propriétaire du magazine Maclean's, par des plaignants estimant que des passages publiés dans ce magazine constituaient de la propagande haineuse. La commission a rejeté la plainte au motif que le contenu contesté ne respectait pas la définition étroite de la propagande haineuse. Permettez-moi de vous lire un extrait de notre décision:
L'écrit est polémique, coloré et véhément, et formulé de toute évidence de manière à provoquer les discussions et même à choquer certains lecteurs, musulmans ou non. Considérées globalement et dans leur contexte, les vues exprimées ne sont toutefois pas de nature extrême selon la définition donnée par la Cour suprême dans l'arrêt Taylor [Traduction].
C'est la seule plainte que nous ayons reçue contre un média grand public et nous l'avons rejetée. C'est la preuve indéniable que la commission ne régit pas les propos choquants. Toute insinuation contraire serait fausse.
Le débat public auquel nous assistons à du bon et du mauvais. Du bon parce qu'il vise surtout à améliorer la façon dont le Canada concilie les droits. Et du mauvais, comme dans le cas des témoignages entendus par le comité plus tôt ce mois-ci. Le comité a entendu des allégations gratuites. En deux mots, sans fondement. Le comité a aussi entendu certaines personnes traiter la commission et ses employés de nazis en cravate, de gens perturbés psychologiquement, de voyous et de brutes, et les comparer à Saddam Hussein. Cela ne contribue en rien à faire avancer la réflexion collective sur l'expression haineuse.
En particulier — et il faut le dire clairement —, les attaques personnelles gratuites dirigées contre Dean Steacy et Sandra Kozak, enquêteurs à la commission, sont irresponsables, blessantes et surtout mensongères.
Je suis fière de mon personnel. Les gens qui travaillent à la commission ont à coeur de promouvoir et de protéger les droits à l'égalité. Nous ne perdons jamais de vue l'intérêt public et sommes conscients du rôle impartial que nous sommes appelés à jouer auprès des parties aux plaintes. Nous continuerons à accomplir la volonté du Parlement de manière juste et équitable.
[Français]
C'est avec cette même conviction que la commission a entrepris de fournir au Parlement une analyse complète et objective de la question de la haine sur Internet.
En juin dernier, après une année d'étude, la commission a présenté cette analyse dans un rapport spécial au Parlement intitulé « Liberté d'expression et droit à la protection contre la haine à l'ère d'Internet ».
Le processus s'est amorcé avec l'étude indépendante de l'article 13 par le professeur Richard Moon de l'Université de Windsor, expert juridique de la liberté d'expression. Par la suite, la commission a publié les constatations de celui-ci et sollicité les commentaires de ses intervenants.
Au terme de nos travaux et consultations, la commission en est venue à la conclusion qu'un recours administratif en cas de propagande haineuse demeure un élément essentiel du système de protection des droits de la personne au Canada.
Certains se demandent s'il est nécessaire d'avoir des dispositions relatives à la propagande haineuse à la fois dans le Code criminel et dans la Loi sur les droits de la personne. À notre avis, la réponse est oui.
Ces deux lois abordent différemment l'expression de la haine. Le Code criminel vise à punir les contrevenants, alors que la loi vise le retrait des messages haineux.
[Traduction]
Après avoir mûrement réfléchi, nous pensons que, parmi les instruments juridiques dont nous disposons, l'article 13 de la loi offre la souplesse voulue pour contrer l'expression de la haine. Le Code criminel ne convient pas dans tous les cas en raison de son caractère punitif, de l'obligation de prouver l'intention et de la norme de preuve rigoureuse. L'article 13 de la loi offre une solution de rechange de nature corrective; il vise le message et non la personne.
Dans notre rapport spécial au Parlement, nous recommandons des modifications à l'article 13 et formulons des observations concernant le Code criminel qui permettront au Canada d'être mieux outillé pour éliminer la propagande haineuse.
Il ne faut pas s'y tromper: la propagande haineuse frappe au coeur de l'égalité. Elle engendre l'intolérance et, à l'extrême, incite à la violence. Comme Canadiens, nous ne pouvons nous décharger de notre responsabilité de protéger le droit de chacun à l'égalité et à la dignité.
[Français]
Je serai heureuse de répondre à vos questions.
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Merci, monsieur le président.
Merci, madame Lynch et monsieur Dufresne.
Nous avons entendu le témoignage de M. Levant la dernière fois que nous avons parlé de cette question, et nous avons couvert beaucoup de terrain. Une bonne partie du témoignage portait sur des considérations de preuve et de procédure. Je ne dirais pas que c'était sans fondement, en termes d'allégations, mais en termes de preuves, je n'ai pas la moindre idée — et nous avons sept minutes.
Alors, je pense que nous avons besoin d'une discussion plus large sur la nécessité — ou non — de l'article 13. Nous devons avoir un débat élargi sur la question de savoir si nous avons besoin de limiter la liberté d'expression de la haine sur Internet. C'est la discussion que nous devons avoir en tant que parlementaires.
Dans un cas de convergence étonnant, M. Levant semble défendre l'idée qu'il pourrait y avoir moyen, en vertu du Code criminel ou d'un régime des droits de la personne remanié, de protéger les gens de la violence engendrée par la haine. La convergence se fait avec nul autre que le président des États-Unis, le président Obama. D'après ce que nous avons entendu auparavant, il pourrait envisager d'amener les États-Unis vers des protections des droits de la personne qui sont déclenchées par des actions fondées sur la haine qui visent à produire un dommage physique — la violence, si vous voulez.
Ce que nous avons ne couvre pas cette question du tout. Il y a une couverture pour la violence ou les menaces de violence, mais cela ne va pas aussi loin. La loi permet une protection contre la haine, comme l'a définie le juge Dickson dans l'arrêt Taylor. Le point valable est de déterminer si les expressions « malice extrême » et « calomnies » — je mets au défi quiconque dans cette salle de déterminer ce que cela signifie véritablement — sont de nature extrême. Nous savons ce que cela signifie en essence, mais ne sommes-nous pas pris avec les paroles du juge Dickson? Le juge La Forest du Nouveau-Brunswick a très bien dit dans son examen que nous devrions laisser aux juges le soin de déterminer ce que sont les crimes haineux et la haine.
Mais sommes-nous pris avec ces mots? Est-il possible que nous ayons besoin d'une nouvelle référence sur la question parce que ce sont des paroles anciennes provenant d'une cour dont la composition est différente? Lorsque je vois l'adjoint législatif du ministre de la Justice dans la salle, je sais que la composition de la Cour suprême va probablement devenir un processus à l'américaine. Nous allons essayer de trouver quelqu'un qui pense comme nous le voulons sur ces questions, en tant que gouvernement. Alors, c'est quelque chose de très important à déterminer.
Pensez-vous que nous devrions aller dans la même direction que ce que l'on a l'intention de faire aux États-Unis? Pensez-vous que nous devrions continuer avec ce que nous avons? Pensez-vous que nous avons besoin de préciser ce que signifient les paroles du juge Dickson aujourd'hui?
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Laissez-moi dire d'abord que la Commission canadienne des droits de la personne existe pour protéger les personnes contre la discrimination et pour s'assurer que tous ont accès à l'égalité et à la dignité. Ce mandat découle du droit international, de la Charte des droits et libertés et, évidemment, comme vous l'avez dit, de l'article 13. Notre rôle est de promouvoir l'accès à la justice et de nous assurer que nous sommes une partie efficace du système judiciaire administratif et que nous sommes équitables et accessibles. La propagande haineuse frappe au coeur de l'égalité et peut causer des torts sérieux à la société et aux personnes en les exposant à la discrimination et, dans les cas extrêmes, à la violence.
Une partie de votre question concerne la définition de la haine, et vous avez bien raison de dire que ce que nous, ainsi que le tribunal et la Cour fédérale, faisons, c'est de nous fier à la définition donnée dans l'arrêt Taylor de 1990. Cette définition précise très clairement que seulement les formes les plus extrêmes de malice peuvent être jugées comme de la propagande haineuse.
En ce qui concerne l'application, nous sommes à l'aise avec la façon dont elle a été appliquée. Je pense que les données statistiques parlent d'elles-mêmes. Depuis 2001, il y a eu quelque 70 plaintes de propagande haineuse qui ont été portées à l'attention de la commission et environ 22 p. 100 de ces plaintes ont été jugées par le tribunal comme étant de la propagande haineuse.
Si on creuse un peu plus les données statistiques, il y a eu 19 cas entendus par le tribunal, dont 16 ont été jugés comme étant de la haine. Dans un cas très récent, qui en concerne deux, le tribunal a jugé que l'expression était haineuse, mais il a également jugé que l'article ne serait pas appliqué à cause de la disposition relative à la sanction pécuniaire. Le dernier cas en est un où ni l'une ni l'autre des parties concernées ne s'est présentée à l'audience, de sorte que l'audience a été annulée.
Ce que nous avons appris à partir de ces cas, c'est que la Commission canadienne des droits de la personne a été très rigoureuse dans l'application de la définition aux seules formes d'expression les plus extrêmes et ardentes. La Commission canadienne des droits de la personne ne réglemente pas les discours choquants. Aucun Canadien n'a raison de s'inquiéter que s'il utilise un discours choquant, ce discours sera considéré comme interdit en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Dans notre rapport spécial, nous avons recommandé qu'un amendement soit apporté à l'article 13 pour y inclure une définition de la haine qui reflète la définition éprouvée et efficace tirée de l'arrêt Taylor en 1990. Ce n'est pas parce que la Commission canadienne des droits de la personne ou le tribunal a besoin de cette définition; cependant, nous comprenons qu'il est toujours souhaitable que, lorsqu'une personne lit une loi, elle comprenne ce que cette loi signifie, et ainsi, elle ne nourrit de crainte non fondée que cette loi pourrait s'appliquer à elle dans certaines circonstances. Alors, c'est à cause de notre souci de faire en sorte que notre loi soit claire pour les non-initiés que nous recommandons que la définition étroite soit incluse dans notre loi.
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En juin dernier, nous avons déposé notre rapport spécial au Parlement. Tous les membres du comité ont reçu un exemplaire de ce rapport et nous en avons apporté des exemplaires additionnels. Dans ce rapport, nous analysons, évidemment, les recommandations du professeur Moon, et nous avons également examiné un autre processus pour lequel nous avons eu d'autres consultations et avons fait notre propre recherche.
Notre recommandation, c'est que l'article 13 soit abrogé. En bref, notre recommandation se rapproche davantage de la deuxième option du professeur Moon que vous avez mentionnée. Le professeur Moon qui témoignera au cours de la prochaine heure et qui est mieux placé pour parler de ses propres recommandations, a suggéré d'inclure une définition de haine dans la loi. La définition qu'il propose est liée au fait de préconiser, de justifier la violence ou d'inciter à la violence. La commission est d'avis, comme cela est expliqué plus précisément dans notre rapport spécial, que la définition ne devrait pas être aussi étroite que cela. Nous estimons que la définition devrait respecter les grandes lignes de l'arrêt Taylor.
Le professeur Moon a fait d'autres observations et recommandations qui pourraient toucher les processus de la Commission canadienne des droits de la personne. Par exemple, il recommande que la commission soit, dans les faits, la seule plaignante, et que les particuliers ne devraient pas avoir la responsabilité de déposer une plainte.
Notre conclusion, c'est que nous ne devrions pas retirer ce droit aux plaignants individuels. Dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, il y a un article qui dispose que la commission peut déposer elle-même une plainte et, en fait, c'est ce que nous avons fait dans l'affaire Taylor en 1990. Nous estimons que ces dispositions fonctionnent encore bien.
Il y a d'autres distinctions légères, mais globalement, je dois dire que le travail du professeur Moon a beaucoup aidé la commission. Le travail était réfléchi et fondé sur un bon raisonnement, et, comme je l'ai dit, des parties importantes de ses recommandations se retrouvent dans notre rapport.
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Merci, monsieur le président.
Merci également à Mme Lynch d'être présente ici aujourd'hui.
Je dois admettre que certaines des réponses que vous avez données à mon ami, M. Comartin, me laissent perplexe et me font sourciller. Vous nous avez dit que les allégations soulevées contre vous — et pas seulement ici, où les témoins jouissent de certains privilèges, mais en public... Vous en avez parlé à plusieurs reprises. En fait, on a même écrit un livre complet sur le sujet!
Vous dites que ces allégations étaient fausses et sans fondement. Mon ami, M. Comartin, a laissé entendre que si tel était le cas, elles étaient aussi diffamatoires. Je suis d'accord avec son analyse juridique. Vous lui avez répondu que c'est à cause des coûts qu'aucune action pour libelle diffamatoire ne sera intentée, car ils seraient à la charge de quiconque déciderait d'intenter l'action en question. Ils ne seraient en tout cas pas remboursés par le Conseil du Trésor.
Les personnes qui portent plainte en vertu de l'article 13 — l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne — n'ont pas le même obstacle à surmonter, n'est-ce pas? L'enquête est menée par la commission. S'il y a une plainte et si une enquête s'ensuit, elles ne sont pas obligées d'engager un avocat, non?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Merci à vous pour l'exposé que vous nous avez présenté. Je lirai moi aussi avec beaucoup d'intérêt la documentation que vous nous remettrez et dans laquelle nous pourrons constater que ces allégations sont gratuites et sans fondement aucun.
J'ai deux ou trois questions pour vous. La première porte sur deux de vos recommandations.
D'une part, vous recommandez que la notion de haine et de mépris soit clairement définie et que la définition retenue reprenne les termes — ou la définition — qui se trouvent dans la décision Taylor de la Cour suprême. De l'autre, vous dites que, si c'est ce qui arrive, la commission devrait obtenir un pouvoir qu'elle n'a pas présentement, lequel lui permettrait de rejeter une plainte dès sa réception pour défaut de compétence, dans la mesure où les faits allégués ne correspondraient pas à la définition de la haine.
C'est très intéressant, en fait. J'irais même plus loin et vous demanderais pourquoi la commission n'a pas demandé qu'on lui confère le pouvoir qui lui permettrait, une fois qu'elle a fait enquête sur une plainte donnée et qu'elle juge que le tribunal doit se pencher sur la question... pourquoi la commission ne serait-elle pas la seule partie en cause et pourquoi ne serait-ce pas elle, autrement dit, qui intenterait les poursuites?
Cela se voit dans d'autres domaines du droit administratif, où il arrive qu'un organisme quelconque a le pouvoir exclusif de recevoir les plaintes, de faire enquête et, lorsqu'il juge que c'est nécessaire, c'est-à-dire lorsqu'il juge que les éléments de preuve sont suffisants pour qu'il y ait une audience, de porter l'affaire devant un tribunal distinct. Mais il n'en demeure pas moins que c'est l'organisme enquêteur, la commission quoi, qui agit comme partie à la cause et qui poursuit le contrevenant présumé devant le tribunal. Pourquoi la commission n'a-t-elle pas demandé qu'on lui confère ce pouvoir?
Me reste-t-il assez de temps? Ma question est-elle trop longue?
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Merci, monsieur le président.
Merci, madame Lynch.
J'essaie de comprendre parce qu'il faut être très prudent avant de modifier un article d'une loi. J'ai lu le rapport Moon. D'ailleurs, M. Moon s'expliquera, probablement, à cet égard.
On peut lire au paragraphe 13(1), et je cite:
[...] pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.
Le paragraphe 3(1), quant à lui, se lit comme ceci:
3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.
Je trouve difficile de modifier l'article 13 tel quel, parce qu'il est protégé. Il y a l'article 318 du Code criminel, contre le génocide, mais il y a aussi le paragraphe 319(1) du Code criminel, qui stipule ce qui suit:
319. (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable [...]
D'autre part, les tribunaux ont déterminé qu'un endroit public pouvait être ce qui se trouve sur un ordinateur et disponible par Internet, parce que c'est public.
Je ne comprends pas pourquoi il faudrait modifier l'article 13 à ce moment-ci, et encore moins l'abolir. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas, puisque l'article 2 de la Charte et l'article 319 du Code criminel existent?
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Merci beaucoup de votre présence, madame Lynch.
Je tiens à ce que vous sachiez que ce qui me préoccupe, ce sont les principes, et non les personnages. De plus, je vous suis reconnaissant des recommandations que vous présentez de temps en temps au sujet de réformes et d'amendements potentiels.
Je voudrais commencer par ce que vous avez dit au sujet du fait que les Canadiens ordinaires n'ont rien à craindre. J'aimerais que vous ajustiez un peu votre façon de penser à cet égard, car quand je fais du porte à porte et que j'entends parler de cette question — c'est arrivé —, je n'ai pas l'impression que les Canadiens me parlent de leur crainte; j'ai plutôt l'impression qu'ils me parlent de leur affection féroce pour la liberté d'expression, et je suis certain que vous convenez avec moi que cela est positif. Vous avez bien mis le doigt sur la question dont nous sommes saisis, à savoir comment établir l'équilibre entre la restriction de la liberté d'expression et d'autres préoccupations.
Ce qui pose problème, selon moi, c'est que nous avons beau dire que la loi sur les droits de la personne n'est pas une loi pénale ou de nature punitive, mais le fait est que les conséquences des conclusions tirées en vertu de cette loi sont parfois très punitives; elles varient actuellement entre des amendes, des dédommagements et des interdictions d'expression à perpétuité. Mon expérience est liée à ce domaine, et puisque j'ai participé au système judiciaire pendant presque 30 ans, je sais qu'on y fait parfois des erreurs, malgré la vaste gamme de mesures en place pour protéger les accusés: nous avons le droit de consulter un avocat, nous avons des règles contre le ouï-dire, nous plaçons un lourd fardeau de la preuve sur les procureurs, nous avons des dispositions bien définies et nous offrons de l'aide juridique. Or, malgré toutes ces mesures de protection, des erreurs surviennent au sein du système judiciaire.
Je crois que les électeurs de ma circonscription s'inquiètent parce que leur liberté d'expression n'est pas protégée par toutes ces mesures devant le tribunal. En effet, ces mesures ne s'appliquent pas lorsque vient le temps pour la commission de décider qui sera poursuivi et qui ne le sera pas, et qui aura droit à de l'aide.
Par exemple, lorsque vous dites qu'il faudrait seulement assumer les frais dans des circonstances exceptionnelles, je me demande pourquoi je n'aurais pas droit à de l'aide financière dans tous les cas si ma liberté d'expression a été injustement violée et si j'ai réussi à l'affirmer. Pensez-vous que nous pourrions présenter des recommandations qui protégeraient la liberté d'expression et ses intérêts devant le tribunal et au sein du fonctionnement de la commission?
Merci.
:
Merci, et merci de votre invitation.
Je suis presque certain que mon exposé ne durera pas 10 minutes, mais c'est toujours facile de sous-estimer ce genre de choses.
Dans un rapport que j'ai rédigé pour la Commission et qui a été rendu public l’automne dernier, je recommandais d’abroger l’article 13 de la Loi sur les droits de la personne afin que la Commission et le Tribunal canadien des droits de la personne ne s’occupent plus de la propagande haineuse, en particulier celle qui est diffusée sur Internet. J’affirmais que la propagande haineuse devrait continuer d’être interdite en vertu du Code criminel.
J’exprimais l’avis que la censure de la propagande haineuse par l’État devrait être limitée à une catégorie restreinte d’expression extrême, soit celle qui véhicule des menaces de recours à la violence contre les membres d’un groupe identifiable, ou qui préconise ou justifie un tel recours. À mon sens, le fait de ne pas interdire les formes extrêmes ou radicales de discours empreints de préjugés comporte trop de risques, en particulier lorsque ces discours circulent au sein de la subculture raciste qui subsiste sur Internet. La clientèle d'Internet est très fragmentée; pour cette raison, un site Web peut facilement fonctionner en marge et, ainsi, éviter un examen crucial du public. La propagande haineuse sur Internet vise souvent les membres d'une subculture raciste relativement bornée. Or, lorsque l'expression extrême vise ce genre de groupe, elle peut avoir pour résultat de renforcer et de propager les opinions racistes, et d'encourager à poser des gestes extrêmes.
En même temps, les formes moins extrêmes d’expression discriminatoire, bien qu'elles soient nuisibles, ne peuvent pas être simplement bannies du discours public par la censure. Toute tentative d’exclure du discours public les propos qui stéréotypent ou diffament les membres d’un groupe identifiable exigerait une intervention extraordinaire de la part de l’État et compromettrait gravement l’engagement public à l’égard de la liberté d’expression. Ces formes moins extrêmes d'expression discriminatoire sont si communes qu'il est impossible d'établir des règles précises et efficaces visant à les identifier et à les exclure. Puisqu'elles sont si envahissantes, il est essentiel de les aborder ou de les confronter, plutôt que de les censurer. Nous devons trouver d'autres moyens que la censure de répondre à l'expression qui stéréotype ou diffame les membres d’un groupe identifiable.
Je soutenais enfin qu’une interdiction étroitement définie de la propagande haineuse axée sur les discours liés à la violence ne cadre pas facilement ni simplement dans une loi sur les droits de la personne qui envisage la discrimination dans une optique large, qui souligne l’effet de l’acte sur la victime plutôt que l’intention ou la mauvaise conduite de l’acteur, et qui emploie un processus destiné à mettre les parties en présence et à faciliter un règlement à l'amiable de leur « conflit ».
Le problème principal, c'est que les intérêts de la liberté d'expression sont touchés chaque fois qu'une enquête est menée. Même si la commission rejette la plainte, l'enquête demande la participation des parties et elle peut durer de huit à dix mois. La commission est obligée de mener une enquête sur les plaintes, à moins qu'elles soient frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi; elle doit donc enquêter sur des plaintes qui ne seront probablement pas soumises à l'arbitrage. De plus, puisque l'article 13 fait partie d'une loi qui cherche à faire avancer l'objectif de l'égalité sociale au moyen de l'éducation et de la conciliation, la commission pourrait avoir tendance à opter excessivement pour l'inclusion au moment de décider si une plainte devrait être rejetée pour un motif de frivolité avant la tenue d'une enquête. Les commissions pour les droits de la personne peuvent hésiter à exclure une plainte pour un motif de frivolité avant la tenue d'une enquête, car une telle conclusion pourrait sembler minimiser les sentiments sincères de souffrance ou de tort que ressentent les membres d'un groupe minoritaire; de plus, cela exclut la possibilité de faciliter un règlement du « conflit » entre les parties.
J'ai aussi soulevé dans le rapport des questions relatives à la pertinence de se fier à de simples citoyens qui déposent des plaintes et poursuivent en vertu de l'article 13. Cette démarche pose problème pour de multiples raisons, quoique la raison principale soit qu'elle place tout simplement un trop grand fardeau sur le simple plaignant. La plupart du temps, la propagande haineuse vise un groupe réceptif, ou du moins intéressé; le plaignant en prend seulement connaissance par hasard ou parce qu'il la cherchait. La plainte incombe au plaignant pendant tout le processus, tant aux étapes de l'enquête que de l'arbitrage. En plus des fardeaux que représentent le temps et l'argent pour le plaignant — surtout si la plainte est soumise à l'arbitrage du tribunal —, certains plaignants ont reçu des menaces de violence. Nous ne devrions pas nous attendre à ce que les plaignants portent un tel fardeau.
Les faits de chercher de la propagande haineuse sur les sites Web de néo-nazis ou de suprémacistes blancs et d'établir des liens avec les personnes qui fréquentent ces sites dans le but de les identifier posent des défis éthiques qui ne devraient pas être assumés par de simples citoyens. La propagande haineuse nuit tant au groupe qu'à la collectivité. C'est une atteinte aux droits de la population. L'application de la loi devrait incomber à l'État, et non à de simples citoyens.
On pourrait débattre sérieusement la question de la réglementation de la propagande haineuse par les commissions des droits de la personne; or, c'est un débat difficile et compliqué, et nombreuses sont les positions raisonnables qu'on peut prendre sur la question. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui affirment que la commission devrait participer à la réglementation de la propagande haineuse sur Internet, mais je ne doute pas qu'ils adoptent cette position de bonne foi. Malheureusement, les critiques de la Commission les plus véhéments — et, en vérité, les plus présents dans les médias — ne s'intéressent pas à ce débat. En effet, il est plus facile et, semble-t-il, plus efficace d'inventer des injustices et de s'attaquer aux personnes.
Dans les observations écrites que vous avez déjà reçues, je crois, je décris trois affirmations qui ont été faites au sujet de commissions des droits de la personne et je démontre pourquoi elles sont fausses ou trompeuses. Les affirmations sont que la commission a un taux de condamnation de 100 p. 100, que des enquêteurs de la commission qui travaillent à l'article 13 ont affiché des commentaires racistes sur des sites Web de suprémacistes blancs et, de façon plus générale, que les commissions des droits de la personne rendent souvent, et je cite, des décisions « folles », la plus folle étant celle de l'affaire liée à McDonald. Je serai heureux d'aborder ces affirmations pendant la période de questions, mais je pense que nous utiliserions mieux notre temps si nous parlions des vrais problèmes que pose l'article 13 et de la démarche actuelle.
Selon moi, l'article 13 devrait être abrogé. Or, peu importe ce que le comité décide de faire, c'est important que sa décision soit fondée sur une évaluation des avantages et des coûts réels des différentes politiques. Les attaques injustes portées contre les commissions des droits de la personne masquent les vraies questions et empêchent de mener des débats sérieux.
Merci.
:
Nous disposons de 10 minutes au total? J'en utiliserai deux.
D'abord, je veux vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant le comité. Depuis 90 ans, le Congrès juif canadien représente l'échantillon le plus vaste qui soit de juifs canadiens. Nous nous efforçons de favoriser un Canada où les juifs, en tant que partie intégrante du tissu social multiculturel du pays, peuvent vivre et contribuer à un milieu plein de possibilités et empreint de respect mutuel. Pour atteindre ces objectifs, nous défendons la cause de la judéité canadienne, et nous faisons équipe avec d’autres fédérations juives et d’autres communautés ethniques partout au Canada.
Dans la tradition juive, nous croyons que la langue possède une telle puissance qu’elle nécessite deux contrôleurs, les dents et les lèvres. Nous sommes conscients que les mots ont un sens et que de sombres paroles peuvent, en fait, avoir de sombres conséquences. C’est dans cette optique que nous nous réjouissons d’avoir l’occasion de vous exposer nos points de vue cet après-midi.
J’aimerais vous présenter Mark Freiman, le président national du Congrès juif canadien. C’est un éminent juriste. Il est reconnu comme un expert en matière de droit constitutionnel et de lois sur les droits de la personne. Il vient de terminer d’assumer le rôle de conseiller juridique spécial dans le cadre du procès sur la catastrophe d’Air India, et ce qui importe encore plus pour votre comité, c'est qu'il a fait fonction de conseiller juridique spécial auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans l’affaire Ernst Zundel qui était, en fait, le premier recours réussi en vertu de l’article 13 qui portait sur les propos haineux sur Internet.
J’aimerais céder la parole à M. Freiman pendant le reste de notre temps afin qu’il présente l’opinion du Congrès juif canadien.
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Merci. Je n’ai pas l’intention de commenter cette présentation dithyrambique.
Permettez-moi de commencer par vous exposer le point de vue général du Conseil juif canadien par rapport aux questions que nous abordons. Le conseil pense que l’article 13 est un important outil qui permet de protéger les communautés vulnérables contre les atteintes causées pas la propagande haineuse. Il croit que l’article 13 est approprié sur le plan constitutionnel au sein d’une société libre et démocratique, parce qu’il s’attaque uniquement aux paroles dangereuses et néfastes et ne se préoccupe pas des paroles simplement offensantes. Il gère les paroles dangereuses et néfastes d’une manière qui entrave très peu la capacité des Canadiens de débattre librement des questions sociales et politiques importantes, y compris la capacité d’adopter des positions fermes et controversées.
Le Congrès juif canadien croit que le Code criminel, en particulier l’article 319, qui criminalise certains aspects de la propagande haineuse et de l’incitation à la violence, ne remplace pas adéquatement le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le congrès estime également qu’on aurait tort de limiter la haine ou sa définition à l’exhortation à la violence. Cela étant dit, le Congrès juif canadien ne croit pas que le régime en vigueur aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi sur les droits de la personne soit exempt de problèmes. Il pense que le paragraphe 13(1) et la façon dont il est appliqué pourraient être améliorés considérablement afin, entre autres, d’éliminer rapidement les plaintes frivoles, d’accélérer le processus et de mieux protéger les droits légitimes des intimés.
Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour préciser ce cadre général.
D’abord, il est important que nous nous souvenions du contexte. Le paragraphe 13(1) ne s’occupe pas de l’expression de façon abstraite. Il ne vise pas toutes les communications écrites, et encore moins toutes celles exprimées verbalement. Il traite d’un seul moyen de communication, à savoir le système de télécommunication canadien, notamment Internet et les messages téléphoniques produits par ordinateur, ce que nous surnommons aujourd’hui des « appels robotisés ». La réglementation des télécommunications n’a rien de nouveau. Sur le plan de la radiodiffusion, le CRTC entreprend quotidiennement de réglementer le contenu. La réglementation de l’expression hors du contexte des télécommunications n’est également pas un nouveau concept, contrairement à ce que certaines personnes aimeraient prétendre. La réglementation de l’expression dans notre société ne se limite pas à interdire à quelqu’un de crier « au feu » dans un théâtre bondé.
Permettez-moi de rappeler au comité certains exemples intéressants. Il y a la loi contre la diffamation qui régit le contenu de l’expression et y associe des sanctions. Il y a le principe de l’outrage au tribunal qui régit l’expression dans le cadre du système judiciaire. Des règlements régissent les annonces destinées aux enfants, ainsi que les annonces de produits dangereux comme le tabac et l’alcool. La pornographie, et ce qui importe encore plus, la pornographie juvénile, y compris ses représentations orales ou sur bandes dessinées, sont réglementées de manière très stricte. Le facteur clé, c’est que, dans chaque cas, la réglementation vise à empêcher les méfaits et à préserver la société des dangers.
Les propos haineux sont-ils dangereux? Poser la question, c’est y répondre. L’histoire donne des exemples explicites des dangers mortels — c’est-à-dire dangereux pour la vie — que les propos haineux peuvent engendrer. Étudiez la propagande nazie des années 1930. Étudiez la propagande cambodgienne des années 1970. Étudiez la propagande rwandaise antitutsie des années 1990. Étudiez la propagande raciste diffusée dans l’ancienne Yougoslavie dans les années 1990. Vous obtiendrez votre réponse.
Le paragraphe 13(1) de la Loi sur les droits de la personne s’attaque-t-il seulement aux propos dangereux ou vise-t-il les propos considérés comme politiquement incorrects? Mme Lynch vous a fourni la définition légale du mot « haine », et je ne vais pas la passer en revue. À mon avis, le paragraphe 13(1) vise les propos dangereux. Il cible les propos qui diabolisent des personnes compte tenu de leur appartenance à un groupe. Ces propos sont doublement dangereux, car ils soutiennent que des gens sont mauvais ou ne sont bons à rien en fonction du groupe auquel ils appartiennent, et non en fonction de ce qu’ils font. Ils sont doublement négatifs parce que, comme le juge Brian Dickson l’a défini, ils décrivent ces groupes comme n’ayant aucune qualité rédemptrice.
À mon sens, la diabolisation est essentielle, et non l’incitation à la violence, parce que, dans tous les cas, la diabolisation précède la violence. Si la société souhaite se protéger des horreurs du génocide et de la violence perpétrés à l’endroit de personnes appartenant à une minorité, elle doit s’attaquer d’abord à la diabolisation, le déni de toute qualité rédemptrice, et non à l’incitation à la violence.
Le Code criminel représente-t-il un substitut adéquat ou une base adéquate pour protéger la société contre les propos dangereux de ce genre? À mon avis, ce n’est pas le cas. Les poursuites criminelles visent les malfaiteurs et, par conséquent, nous avons établi les normes les plus contraignantes qui soient afin d’éviter l’horreur d’une condamnation ou d’une pénalisation injuste.
La Loi sur les droits de la personne met l’accent sur le message même, et non sur le malfaiteur. Elle a pour objet de protéger la société des conséquences néfastes qu’ont les messages les plus dangereux qui soient. C’est un objectif approprié qui nous permet d’intenter des poursuites sans faire face à la rigueur du droit criminel.
La violence est-elle l’élément clé? Comme je l’ai dit précédemment, bien que l’incitation à la violence ait, dans tous les cas, stimulé les actes de génocide, de destruction et de violence, le processus est déjà trop avancé à ce stade. C’est la diabolisation précédant l’incitation à la violence qui doit être réglée.
L’orientation de la Loi canadienne sur les droits de la personne est-elle trop dangereuse ou trop subjective? À mon humble avis, elle ne l’est pas. La définition du juge Dickson est très précise, et elle vise uniquement les propos les plus dangereux et les plus extrêmes.
La deuxième question, soit l’application de cette norme élevée, est garantie par un système de révision judiciaire assuré par des tribunaux allant jusqu’à la Cour suprême du Canada, s’il y a lieu, afin de veiller à ce qu’elle soit respectée.
Enfin, cela signifie-t-il que l’article est parfait? Non, il n’est pas parfait. Le Congrès juif canadien croit que l’idée d’élargir la fonction de contrôleur qu’assume la Commission canadienne des droits de la personne, afin de lui permettre de rejeter rapidement les plaintes frivoles, a beaucoup de mérite. Le congrès croit également qu’on devrait égaliser les chances de sorte que les personnes qui se trouvent aux prises avec la justice et qui doivent débourser beaucoup d’argent pour se défendre soient remboursées si la cause s’avère non fondée.
Nous croyons que la commission a besoin de se spécialiser davantage.
C’était ma déclaration liminaire.
Ce qui m'embête surtout avec l'article 13, ce sont les mots « susceptibles d'exposer », et le caractère prédictif qui est assez explicite dans le libellé de l'article. Je vous ai écouté attentivement, monsieur Freiman, et vous avez utilisé les mots « déshumanisation » et « diabolisation ». Cependant, je me demande à qui revient la décision de déterminer ce qui est diabolique et ce qui est déshumanisant. Il s'agit d'un critère très subjectif. C'est juste un point que je veux souligner.
Ma question s'adresse au professeur Moon. Je dois dire que quand j'ai lu votre rapport cet été, j'ai trouvé que c'était bien documenté et bien formulé, et j'accepte tout à fait vos conclusions.
Relativement à l'incident des pierres tombales en fin de semaine, le Code criminel contient, certes, des dispositions qui interdisent le vandalisme, le méfait et l'intrusion. Je souscris donc à votre dernière conclusion, à savoir que le Code criminel est le meilleur instrument pour aborder toutes ces questions. Mais je suis curieux de savoir une chose: d'après vous, si nous laissons cette affaire sous le coup du Code criminel, faudra-t-il apporter une modification également à l'article 319. Si je regarde le paragraphe 319(2), plusieurs défenses y sont prévues, mais le fait de ne pas promouvoir, encourager ou appuyer la violence ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation faite en vertu de l'article 319.
Une voix: Prenez votre temps.
M. Richard Moon: Je vais commencer par la dernière partie.
Je suppose que, comme ma principale recommandation était d’abroger l’article 13 et que je disposais d’un temps limité pour rédiger le rapport, je ne me suis pas trop attarder sur les frais. Chose certaine, dans mes recommandations supplémentaires, si la commission prenait en main le dossier, il me semblerait beaucoup plus logique qu’un certain appui soit fourni quant à la défense de tout intimé faisant l’objet d’une plainte. C’est ce que je proposerais.
Pour ce qui est de la préoccupation de M. Borovoy, je crois qu’en partant, le libellé de l’article 13 semble vague, mais par l’intermédiaire de l’interprétation judiciaire, la réalité est que… Il y a des limites quant à la capacité d’un organisme, de tout organisme, de définir clairement ce qui constitue un discours haineux et dans quelles conditions il faut l’interdire ou le réglementer. Toutefois, je crois que cette définition a été considérablement rétrécie grâce à l’interprétation judiciaire.
Cela dit, mon problème n’est pas tant le libellé que l’endroit où l’on place une telle interdiction dans un processus et le fait que ce pouvoir est accordé à un organisme chargé de réglementer toute discrimination en sens large du terme. Bien sûr, avec le temps, nous avons opté pour une définition plus large de la discrimination; jadis réduite à un acte intentionnel, cette notion englobe maintenant la discrimination constructive et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans un tel contexte, il est parfaitement légitime d’amener les parties à s'engager dans un dialogue et de leur faire prendre conscience des pratiques qui, peut-être faute d’un examen minutieux de leur part, pourraient exercer des effets négatifs sur d’autres. C’est tout à fait sensé. En même temps, quand il s’agit des éléments du discours haineux, nous avons cherché à en rétrécir considérablement la portée afin d’assurer notre engagement envers la liberté de parole.
Bref, ce qui m’inquiète, c’est qu’un organisme chargé principalement de réglementer la discrimination, au sens large du terme, se voit accorder le pouvoir de s’occuper du discours haineux au sens étroit. Il en résulte une tension: à la rigueur, les plaintes feront l’objet d’une enquête, mais, au bout du compte, elles n’aboutiront pratiquement jamais à des poursuites judiciaires et n’auront pas gain de cause devant les tribunaux. Sachez également que le processus d’enquête imposera un fardeau aux parties. Voilà donc ma préoccupation: j'ai des réserves à l'égard du processus même.