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JUST Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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CANADA

Comité permanent de la justice et des droits de la personne


NUMÉRO 043 
l
2e SESSION 
l
40e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le lundi 26 octobre 2009

[Enregistrement électronique]

(1535)

[Traduction]

    La séance est ouverte.
    Il s'agit de la 43e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous sommes le lundi 26 octobre 2009.
    Vous avez l'ordre du jour devant vous. Nous poursuivons la revue de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et plus particulièrement de l'article 13.
    Nous avons deux groupes de témoins aujourd'hui, et nous allons consacrer une heure à chacun. Au cours de la première heure, nous accueillerons Jennifer Lynch, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, et M. Philippe Dufresne. Soyez les bienvenus.
    Au cours de la deuxième heure, nous accueillerons Bernie Farber et Mark Freiman du Congrès juif canadien, ainsi que le professeur Richard Moon.
    Petit rappel à tout le monde dans la salle, veuillez fermer la sonnerie de vos téléphones cellulaires ou les mettre en mode vibration, de sorte que nous ne soyons pas dérangés. De même, les conversations téléphoniques doivent avoir lieu à l'extérieur de la salle.
    Madame Lynch, pourquoi ne commenceriez-vous pas? Je crois qu'il a été convenu que vous auriez jusqu'à 15 minutes pour faire votre exposé et ensuite, nous vous poserons des questions.

[Français]

    Merci, monsieur le président et honorables membres du comité.
    Je suis très heureuse que le comité m'ait invitée à participer à son examen de la Commission canadienne des droits de la personne ainsi que de l'application et de l'interprétation de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Permettez-moi de vous présenter mon collègue Philippe Dufresne, avocat-conseil à la commission.

[Traduction]

    Le défi de concilier la liberté d'expression et le droit à l'égalité et à la dignité ne date pas d'hier. Le plus récent débat porte essentiellement sur le rôle de l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et mobilise de nombreux Canadiens depuis plus d'un an.
    D'emblée, il incombe à la commission de diriger et d'éclairer le débat en produisant une analyse exhaustive et objective de cette question assurément complexe. Notre comparution devant le comité aujourd'hui est une démarche importante dans l'exercice de cette responsabilité.
    Soucieux de reconnaître l'égalité de tous les Canadiens, les parlementaires ont adopté la Charte canadienne des droits et libertés de même que la Loi canadienne sur les droits de la personne. La manière dont le Parlement entrevoyait le Canada a jeté les assises du pays le plus ouvert, le plus inclusif et le plus multiculturel au monde. Notre engagement envers l'égalité et la dignité a façonné notre identité, tant individuelle que collective. Il a aussi contribué à l'évolution et à la prospérité de notre société. Il fait partie de tout ce qui nous distingue en tant que Canadiens.
    Cette démarche visant à instaurer une société harmonieuse n'est pas unique au Canada. Depuis plus de 60 ans, la Déclaration universelle des droits de l'homme unit le monde en reconnaissant que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. En 1977, le Parlement a donné à la Commission canadienne des droits de la personne le mandat de défendre ces valeurs fondamentales.
    Aujourd'hui encore, la loi est porteuse d'un idéal mobilisateur pour le Canada, brillamment formulé à l'article 2: « La présente loi a pour objet de compléter… en donnant effet… au principe suivant: le droit de tous les individus à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins » — sans discrimination. C'est là ma source d'inspiration.
    La commission donne un accès au système de justice, de sorte que les plus vulnérables d'entre nous puissent se faire entendre. Des milliers et des milliers de plaintes ont été réglées.

[Français]

    La qualité de vie de certains s'en est trouvé améliorée. En voici quelques exemples. Les personnes handicapées peuvent maintenant mener plus facilement leurs activités quotidiennes. Ainsi, les transports en commun sont aujourd'hui plus faciles d'accès, les guichets automatiques sont dotés d'un dispositif d'assistance vocale, et des émissions de télévision sont sous-titrées. Plus de 700 000 Autochtones ont maintenant droit à une pleine protection en vertu de la loi. Les travailleurs ont droit à un milieu de travail exempt de harcèlement, qu'il soit fondé sur le sexe, la race ou la religion. Les mères peuvent élever leurs enfants sans craindre de perdre leur emploi.
    Malgré les progrès collectifs accomplis par les Canadiens dans le domaine des droits de la personne, la discrimination persiste sous différentes formes.

[Traduction]

    Nous ne devons pas relâcher notre vigilance, puisque aujourd'hui encore les Canadiens sont la cible d'actes discriminatoires méprisables.
    La propagande haineuse sévit toujours, malheureusement. La propagande haineuse dirigée contre certains groupes continue de menacer l'harmonie au sein de nos communautés et porte atteinte à la liberté. L'égalité est pourtant garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Comble de l'ironie, certains invoquent cette même Charte pour faire valoir leur droit absolu à la liberté d'expression. Aucun droit n'est absolu. Lorsque deux droits s'opposent, le législateur doit trouver un moyen de les concilier.
    Le débat est déjà tranché en partie. La liberté d'expression s'accompagne de limites. Le droit canadien du libelle en est un exemple. En signant et en ratifiant des traités internationaux, le Canada a accepté de limiter la liberté d'expression lorsqu'il s'agit d'expression haineuse. Dans les années 1970, le Parlement a adopté une stratégie pour réglementer la propagande haineuse dans le Code criminel et à l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. En 2001, il a modifié la loi pour y inclure la propagande haineuse sur Internet.
    La commission applique la loi rigoureusement, conformément à un arrêt de la Cour suprême du Canada et à d'autres décisions ayant fait jurisprudence. Pour être assimilé à la propagande haineuse aux termes de l'article 13, le message doit comporter, et je cite, « une malice extrême », « des émotions exceptionnellement fortes et profondes de détestation se traduisant par des calomnies et la diffamation » et de « nature à la fois virulente et extrême ».
    Un bon exemple d'application correcte de la loi par la commission nous vient d'une plainte largement médiatisée qu'elle a reçue en 2007. La plainte en question a été déposée contre Rogers Communications, propriétaire du magazine Maclean's, par des plaignants estimant que des passages publiés dans ce magazine constituaient de la propagande haineuse. La commission a rejeté la plainte au motif que le contenu contesté ne respectait pas la définition étroite de la propagande haineuse. Permettez-moi de vous lire un extrait de notre décision:
L'écrit est polémique, coloré et véhément, et formulé de toute évidence de manière à provoquer les discussions et même à choquer certains lecteurs, musulmans ou non. Considérées globalement et dans leur contexte, les vues exprimées ne sont toutefois pas de nature extrême selon la définition donnée par la Cour suprême dans l'arrêt Taylor [Traduction].
    C'est la seule plainte que nous ayons reçue contre un média grand public et nous l'avons rejetée. C'est la preuve indéniable que la commission ne régit pas les propos choquants. Toute insinuation contraire serait fausse.
    Le débat public auquel nous assistons à du bon et du mauvais. Du bon parce qu'il vise surtout à améliorer la façon dont le Canada concilie les droits. Et du mauvais, comme dans le cas des témoignages entendus par le comité plus tôt ce mois-ci. Le comité a entendu des allégations gratuites. En deux mots, sans fondement. Le comité a aussi entendu certaines personnes traiter la commission et ses employés de nazis en cravate, de gens perturbés psychologiquement, de voyous et de brutes, et les comparer à Saddam Hussein. Cela ne contribue en rien à faire avancer la réflexion collective sur l'expression haineuse.
    En particulier — et il faut le dire clairement —, les attaques personnelles gratuites dirigées contre Dean Steacy et Sandra Kozak, enquêteurs à la commission, sont irresponsables, blessantes et surtout mensongères.
     Je suis fière de mon personnel. Les gens qui travaillent à la commission ont à coeur de promouvoir et de protéger les droits à l'égalité. Nous ne perdons jamais de vue l'intérêt public et sommes conscients du rôle impartial que nous sommes appelés à jouer auprès des parties aux plaintes. Nous continuerons à accomplir la volonté du Parlement de manière juste et équitable.
(1540)

[Français]

    C'est avec cette même conviction que la commission a entrepris de fournir au Parlement une analyse complète et objective de la question de la haine sur Internet.
     En juin dernier, après une année d'étude, la commission a présenté cette analyse dans un rapport spécial au Parlement intitulé « Liberté d'expression et droit à la protection contre la haine à l'ère d'Internet ».
    Le processus s'est amorcé avec l'étude indépendante de l'article 13 par le professeur Richard Moon de l'Université de Windsor, expert juridique de la liberté d'expression. Par la suite, la commission a publié les constatations de celui-ci et sollicité les commentaires de ses intervenants.
    Au terme de nos travaux et consultations, la commission en est venue à la conclusion qu'un recours administratif en cas de propagande haineuse demeure un élément essentiel du système de protection des droits de la personne au Canada.
     Certains se demandent s'il est nécessaire d'avoir des dispositions relatives à la propagande haineuse à la fois dans le Code criminel et dans la Loi sur les droits de la personne. À notre avis, la réponse est oui.
    Ces deux lois abordent différemment l'expression de la haine. Le Code criminel vise à punir les contrevenants, alors que la loi vise le retrait des messages haineux.

[Traduction]

    Après avoir mûrement réfléchi, nous pensons que, parmi les instruments juridiques dont nous disposons, l'article 13 de la loi offre la souplesse voulue pour contrer l'expression de la haine. Le Code criminel ne convient pas dans tous les cas en raison de son caractère punitif, de l'obligation de prouver l'intention et de la norme de preuve rigoureuse. L'article 13 de la loi offre une solution de rechange de nature corrective; il vise le message et non la personne.
    Dans notre rapport spécial au Parlement, nous recommandons des modifications à l'article 13 et formulons des observations concernant le Code criminel qui permettront au Canada d'être mieux outillé pour éliminer la propagande haineuse.
    Il ne faut pas s'y tromper: la propagande haineuse frappe au coeur de l'égalité. Elle engendre l'intolérance et, à l'extrême, incite à la violence. Comme Canadiens, nous ne pouvons nous décharger de notre responsabilité de protéger le droit de chacun à l'égalité et à la dignité.
(1545)

[Français]

    Je serai heureuse de répondre à vos questions.

[Traduction]

    Merci beaucoup.
    Nous allons commencer les questions, en débutant par M. Murphy qui disposera de sept minutes.
    Je rappelle aux membres du comité que cette réunion est télédiffusée.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Lynch et monsieur Dufresne.
    Nous avons entendu le témoignage de M. Levant la dernière fois que nous avons parlé de cette question, et nous avons couvert beaucoup de terrain. Une bonne partie du témoignage portait sur des considérations de preuve et de procédure. Je ne dirais pas que c'était sans fondement, en termes d'allégations, mais en termes de preuves, je n'ai pas la moindre idée — et nous avons sept minutes.
    Alors, je pense que nous avons besoin d'une discussion plus large sur la nécessité — ou non — de l'article 13. Nous devons avoir un débat élargi sur la question de savoir si nous avons besoin de limiter la liberté d'expression de la haine sur Internet. C'est la discussion que nous devons avoir en tant que parlementaires.
    Dans un cas de convergence étonnant, M. Levant semble défendre l'idée qu'il pourrait y avoir moyen, en vertu du Code criminel ou d'un régime des droits de la personne remanié, de protéger les gens de la violence engendrée par la haine. La convergence se fait avec nul autre que le président des États-Unis, le président Obama. D'après ce que nous avons entendu auparavant, il pourrait envisager d'amener les États-Unis vers des protections des droits de la personne qui sont déclenchées par des actions fondées sur la haine qui visent à produire un dommage physique — la violence, si vous voulez.
    Ce que nous avons ne couvre pas cette question du tout. Il y a une couverture pour la violence ou les menaces de violence, mais cela ne va pas aussi loin. La loi permet une protection contre la haine, comme l'a définie le juge Dickson dans l'arrêt Taylor. Le point valable est de déterminer si les expressions « malice extrême » et « calomnies » — je mets au défi quiconque dans cette salle de déterminer ce que cela signifie véritablement — sont de nature extrême. Nous savons ce que cela signifie en essence, mais ne sommes-nous pas pris avec les paroles du juge Dickson? Le juge La Forest du Nouveau-Brunswick a très bien dit dans son examen que nous devrions laisser aux juges le soin de déterminer ce que sont les crimes haineux et la haine.
    Mais sommes-nous pris avec ces mots? Est-il possible que nous ayons besoin d'une nouvelle référence sur la question parce que ce sont des paroles anciennes provenant d'une cour dont la composition est différente? Lorsque je vois l'adjoint législatif du ministre de la Justice dans la salle, je sais que la composition de la Cour suprême va probablement devenir un processus à l'américaine. Nous allons essayer de trouver quelqu'un qui pense comme nous le voulons sur ces questions, en tant que gouvernement. Alors, c'est quelque chose de très important à déterminer.
    Pensez-vous que nous devrions aller dans la même direction que ce que l'on a l'intention de faire aux États-Unis? Pensez-vous que nous devrions continuer avec ce que nous avons? Pensez-vous que nous avons besoin de préciser ce que signifient les paroles du juge Dickson aujourd'hui?
    Laissez-moi dire d'abord que la Commission canadienne des droits de la personne existe pour protéger les personnes contre la discrimination et pour s'assurer que tous ont accès à l'égalité et à la dignité. Ce mandat découle du droit international, de la Charte des droits et libertés et, évidemment, comme vous l'avez dit, de l'article 13. Notre rôle est de promouvoir l'accès à la justice et de nous assurer que nous sommes une partie efficace du système judiciaire administratif et que nous sommes équitables et accessibles. La propagande haineuse frappe au coeur de l'égalité et peut causer des torts sérieux à la société et aux personnes en les exposant à la discrimination et, dans les cas extrêmes, à la violence.
    Une partie de votre question concerne la définition de la haine, et vous avez bien raison de dire que ce que nous, ainsi que le tribunal et la Cour fédérale, faisons, c'est de nous fier à la définition donnée dans l'arrêt Taylor de 1990. Cette définition précise très clairement que seulement les formes les plus extrêmes de malice peuvent être jugées comme de la propagande haineuse.
    En ce qui concerne l'application, nous sommes à l'aise avec la façon dont elle a été appliquée. Je pense que les données statistiques parlent d'elles-mêmes. Depuis 2001, il y a eu quelque 70 plaintes de propagande haineuse qui ont été portées à l'attention de la commission et environ 22 p. 100 de ces plaintes ont été jugées par le tribunal comme étant de la propagande haineuse.
    Si on creuse un peu plus les données statistiques, il y a eu 19 cas entendus par le tribunal, dont 16 ont été jugés comme étant de la haine. Dans un cas très récent, qui en concerne deux, le tribunal a jugé que l'expression était haineuse, mais il a également jugé que l'article ne serait pas appliqué à cause de la disposition relative à la sanction pécuniaire. Le dernier cas en est un où ni l'une ni l'autre des parties concernées ne s'est présentée à l'audience, de sorte que l'audience a été annulée.
    Ce que nous avons appris à partir de ces cas, c'est que la Commission canadienne des droits de la personne a été très rigoureuse dans l'application de la définition aux seules formes d'expression les plus extrêmes et ardentes. La Commission canadienne des droits de la personne ne réglemente pas les discours choquants. Aucun Canadien n'a raison de s'inquiéter que s'il utilise un discours choquant, ce discours sera considéré comme interdit en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
    Dans notre rapport spécial, nous avons recommandé qu'un amendement soit apporté à l'article 13 pour y inclure une définition de la haine qui reflète la définition éprouvée et efficace tirée de l'arrêt Taylor en 1990. Ce n'est pas parce que la Commission canadienne des droits de la personne ou le tribunal a besoin de cette définition; cependant, nous comprenons qu'il est toujours souhaitable que, lorsqu'une personne lit une loi, elle comprenne ce que cette loi signifie, et ainsi, elle ne nourrit de crainte non fondée que cette loi pourrait s'appliquer à elle dans certaines circonstances. Alors, c'est à cause de notre souci de faire en sorte que notre loi soit claire pour les non-initiés que nous recommandons que la définition étroite soit incluse dans notre loi.
(1550)
    Merci.
    Nous allons maintenant céder la parole à M. Ménard pour sept minutes.

[Français]

    J'avoue que même si je connais très bien le système du Québec, où le Tribunal des droits de la personne et la commission rendent des décisions, ont des pouvoirs d'intervention, amènent à des arbitrages et à des formes de médiation — qui donnent d'assez bons résultats en général —, je n'avais jamais réalisé l'importance qu'aura votre commission. Il me semblait que la discrimination était couverte par les législations provinciales. Or, un tribunal a constaté que l'article 13 était inconstitutionnel. J'imagine que cette décision a été portée en appel. À quelle étape ce processus est-il rendu? Je parle de la cause Warman c. Lemire.
(1555)

[Traduction]

    La commission a demandé un examen judiciaire de la décision pour deux motifs. Une partie de la conclusion du tribunal était fondée sur le fait que les cas liés à l'article 13 ne font pas aussi souvent l'objet d'un règlement par médiation que d'autres types de cas. Cela pourrait se comprendre; le motif de l'appel concerne le fait que, dans notre prétention, une loi ne peut être rendue inconstitutionnelle à cause de la façon dont un organisme administratif qui fait partie de cette loi traite les cas, et si, oui ou non, ces cas sont jugés susceptibles ou non de médiation.

[Français]

    Ce n'est pas vraiment ce que je voulais savoir. Je veux savoir où en est la contestation judiciaire. Est-ce encore en appel? Cet appel a-t-il été porté devant la Cour supérieure de l'Ontario?

[Traduction]

    L'affaire Warman c. Lemire a été jugée par le Tribunal canadien des droits de la personne. Il s'agit d'un tribunal indépendant. La Commission canadienne des droits de la personne est un organisme de sélection. Dans la partie de notre travail qui consiste à traiter les plaintes, nous sommes un organisme de sélection. Ou bien nous rejetons la plainte ou bien nous la renvoyons au tribunal, où elle est entendue. Cette affaire a été entendue par le tribunal il y a un certain nombre de mois et la décision a été rendue il y a quelques semaines. La commission a demandé un examen judiciaire pour deux motifs. Alors, voilà où en sont les choses et l'examen judiciaire sera fait par la Cour fédérale.

[Français]

    D'accord. Pour le moment, c'est devant la Cour fédérale, en première instance.

[Traduction]

    Oui.

[Français]

    Ce n'est donc pas encore devant la Cour d'appel.
    Comment vous sentez-vous par rapport à cette décision que vous contestez?

[Traduction]

    Nous traitons toujours nos cas en fonction de nos politiques et de nos procédures et, évidemment, de nos responsabilités. Ces dernières sont liées à notre engagement en tant qu'organisme administratif dans l'ensemble du système quasi judiciaire. Nous n'avons pas beaucoup de cas en instance. Je crois qu'en ce moment, il y a un cas devant la commission et nous allons représenter l'intérêt public devant le tribunal. Dans toute affaire de haine, nous n'allons pas chercher à obtenir une sanction pécuniaire. C'est de cette façon que nous allons traiter ces cas.
    Le deuxième motif de l'appel concerne le fait que, dans notre prétention, la disposition relative à la sanction pécuniaire aurait simplement pu ne pas être appliquée, et la loi elle-même aurait pu avoir été appliquée sans la disposition relative à la sanction pécuniaire.

[Français]

    Dans son rapport, M. Moon se prononce pour l'abolition de l'article 13, mais il dit que si on n'allait pas jusqu'à l'abolir, il suggère qu'on fasse certaines réformes.
    Préférez-vous l'abolition ou les réformes qu'il suggère? Estimez-vous que les réformes suggérées seraient bonnes et qu'elles pourraient corriger les lacunes soulevées par les gens qui proposent l'abolition de cet article?

[Traduction]

    En juin dernier, nous avons déposé notre rapport spécial au Parlement. Tous les membres du comité ont reçu un exemplaire de ce rapport et nous en avons apporté des exemplaires additionnels. Dans ce rapport, nous analysons, évidemment, les recommandations du professeur Moon, et nous avons également examiné un autre processus pour lequel nous avons eu d'autres consultations et avons fait notre propre recherche.
    Notre recommandation, c'est que l'article 13 soit abrogé. En bref, notre recommandation se rapproche davantage de la deuxième option du professeur Moon que vous avez mentionnée. Le professeur Moon qui témoignera au cours de la prochaine heure et qui est mieux placé pour parler de ses propres recommandations, a suggéré d'inclure une définition de haine dans la loi. La définition qu'il propose est liée au fait de préconiser, de justifier la violence ou d'inciter à la violence. La commission est d'avis, comme cela est expliqué plus précisément dans notre rapport spécial, que la définition ne devrait pas être aussi étroite que cela. Nous estimons que la définition devrait respecter les grandes lignes de l'arrêt Taylor.
    Le professeur Moon a fait d'autres observations et recommandations qui pourraient toucher les processus de la Commission canadienne des droits de la personne. Par exemple, il recommande que la commission soit, dans les faits, la seule plaignante, et que les particuliers ne devraient pas avoir la responsabilité de déposer une plainte.
    Notre conclusion, c'est que nous ne devrions pas retirer ce droit aux plaignants individuels. Dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, il y a un article qui dispose que la commission peut déposer elle-même une plainte et, en fait, c'est ce que nous avons fait dans l'affaire Taylor en 1990. Nous estimons que ces dispositions fonctionnent encore bien.
    Il y a d'autres distinctions légères, mais globalement, je dois dire que le travail du professeur Moon a beaucoup aidé la commission. Le travail était réfléchi et fondé sur un bon raisonnement, et, comme je l'ai dit, des parties importantes de ses recommandations se retrouvent dans notre rapport.
(1600)
    Merci.
    Nous avons hâte d'entendre le professeur Moon dans quelques instants.
    Nous allons maintenant céder la parole à M. Comartin pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Et merci à vous, madame Lynch, d'être venue témoigner aujourd'hui.
    Lorsque MM. Levant et Steyn ont comparu devant nous, de très sérieuses allégations ont été soulevées, autant publiquement, avant l'audience, que pendant celle-ci. Avez-vous analysé ces allégations, vous-même personnellement ou quelqu'un à la commission, notamment les accusations contre M. Steacy et contre M. Warman à l'époque où il était à votre emploi? Est-ce que la commission a fait l'analyse de ces allégations? A-t-elle fait enquête?
    Comme je le disais, l'une de nos responsabilités premières consiste à permettre aux citoyens d'avoir accès à l'administration de la justice, et pour ce faire, il faut évidemment que nos processus soient très clairs, justes, équitables et transparents.
    Il faut absolument que vous sachiez que les employés de la commission adhèrent tous aux normes et aux codes les plus stricts en matière d'éthique et ne s'en éloignent jamais.
    Vous avez fait référence à certaines allégations soulevées devant le comité, allégations qui ont déclenché une véritable commotion, une tempête de désinformation que certains ont évidemment pris pour argent comptant. Il va sans dire qu'en ma qualité de présidente, j'ai examiné les faits entourant cette affaire, et je peux vous rassurer aujourd'hui en vous disant que les Canadiens peuvent être fiers de tous les employés de la Commission canadienne des droits de la personne et de la manière dont ils contribuent à la réalisation de son mandat des plus complexe.
    Si vous permettez, madame Lynch, je vous arrête tout de suite, car vous ne répondez pas à ma question. Avez-vous, oui ou non, mené une enquête détaillée sur les allégations soulevées?
    Il y a effectivement eu une enquête détaillée, de notre part à l'interne et de la part de la Gendarmerie royale du Canada et du Commissariat à la protection de la vie privée. Ces deux organismes ont constaté que les allégations dont vous parlez étaient non fondées et ils ont clos le dossier. Si vous le souhaitez, je pourrai remettre à votre greffière une pile complète de dossiers qui le démontrent clairement.
    En ce qui concerne les résultats de notre enquête interne, je peux vous affirmer qu'aucune loi et qu'aucun principe d'éthique n'ont été violés par quelque employé de la Commission canadienne des droits de la personne que ce soit ayant pour mandat d'enquêter sur les affaires relatives à l'article 13 ou de les traiter.
(1605)
    Est-ce que M. Levant ou M. Steyn ont été poursuivis au civil à la suite des accusations qui ont été faites?
    Nous sommes tous des fonctionnaires qui font leur travail de leur mieux, et j'aimerais bien mettre ceci en perspective: le traitement des plaintes représente moins de la moitié du travail de nos employés. La Commission canadienne des droits de la personne a aussi le très vaste mandat de faire la promotion de l'égalité entre les Canadiens. Parce que notre travail est aussi essentiel que stimulant et enrichissant, nous contribuons directement à faire progresser l'égalité, au Canada et je dirais même dans le monde entier. Ces allégations sont à la fois malheureuses, injustes et infondées.
    Elles sont également diffamatoires si elles sont inexactes.
    Il a été déterminé en droit que la commission ne pouvait pas, en sa qualité d'organisme, intenter d'actions pour libelle diffamatoire. Et avec tout le respect que je vous dois et que je leur dois, je crois que ce serait beaucoup demander à des employés qui font chaque jour leur travail de fonctionnaire de manière professionnelle et consciencieuse que d'intenter eux-mêmes une telle action. Sans compter que les lignes directrices du Conseil du Trésor prévoient clairement que seuls les frais de justice des défendeurs sont parfois remboursés, jamais ceux des plaignants.
    Cela veut donc dire que, si quelqu'un décidait de poursuivre ces deux individus, ils seraient entièrement laissés à eux-mêmes et devraient assumer la totalité des frais de cour?
    Exactement.
    Nous avons bien entendu tenté de rétablir les faits, et nous voyons d'un très bon oeil l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de débattre de ce sujet primordial, à savoir: comment trouver l'équilibre entre deux libertés ou, si vous préférez, entre deux droits? Comment trouver l'équilibre entre la liberté d'expression, c'est-à-dire un droit fondamental protégé et garanti par la Charte, et le droit de ne pas être victime de discrimination, qui est aussi un droit fondamental protégé par la Charte et la Loi canadienne sur les droits de la personne?
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Moins d'une minute.
    Juste le temps d'une petite question, alors. Pour revenir à votre examen et à votre rapport, avez-vous analysé ce qui se fait ailleurs, que ce soit en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande ou dans certains États des États-Unis, bref là où des lois semblables ont été adoptées, et avez-vous comparé leur expérience avec la nôtre?
    Plus de 150 pays ont signé et ratifié les diverses conventions internationales qui protègent les citoyens contre les gestes ou les propos haineux, ou leur équivalent, et bon nombre de ces pays ont bien sûr adapté leurs lois en conséquence. Le Canada est l'un des rares à s'être doté de règles visant précisément la haine sur Internet. Après tout, c'est un phénomène relativement nouveau. Même si la haine sur Internet ne figure pas noir sur blanc dans les lois d'Australie, la justice australienne a récemment eu à trancher un cas qui a permis de déterminer que les dispositions des lois en vigueur en tenaient déjà compte. Nous avons formulé un certain nombre de commentaires à ce sujet dans notre rapport spécial et analysé, à l'interne, la situation dans un certain nombre de pays. Si vous le souhaitez, je pourrais certainement vous en dire plus ou vous faire parvenir d'autres renseignements sur la question.
(1610)
    Je vous remercie.
    Si vous pouviez les remettre à la greffière, ce serait gentil.
    Avec plaisir.
    Merci.
    C'est maintenant le tour de M. Rathgeber. Vous avez sept minutes, monsieur Rathgeber.
    Merci, monsieur le président.
    Merci également à Mme Lynch d'être présente ici aujourd'hui.
    Je dois admettre que certaines des réponses que vous avez données à mon ami, M. Comartin, me laissent perplexe et me font sourciller. Vous nous avez dit que les allégations soulevées contre vous — et pas seulement ici, où les témoins jouissent de certains privilèges, mais en public... Vous en avez parlé à plusieurs reprises. En fait, on a même écrit un livre complet sur le sujet!
    Vous dites que ces allégations étaient fausses et sans fondement. Mon ami, M. Comartin, a laissé entendre que si tel était le cas, elles étaient aussi diffamatoires. Je suis d'accord avec son analyse juridique. Vous lui avez répondu que c'est à cause des coûts qu'aucune action pour libelle diffamatoire ne sera intentée, car ils seraient à la charge de quiconque déciderait d'intenter l'action en question. Ils ne seraient en tout cas pas remboursés par le Conseil du Trésor.
    Les personnes qui portent plainte en vertu de l'article 13 — l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne — n'ont pas le même obstacle à surmonter, n'est-ce pas? L'enquête est menée par la commission. S'il y a une plainte et si une enquête s'ensuit, elles ne sont pas obligées d'engager un avocat, non?
    Heureusement, pour les cas de discrimination, le Canada peut compter sur un processus moins formel que les tribunaux, lequel permet aux citoyens de se faire entendre même lorsqu'ils sont en position d'extrême vulnérabilité. Et bien sûr, les cas qui relèvent de l'article 13 sont considérés comme des cas de discrimination.
    Je vous interromps tout de suite.
    Les défendeurs, même lorsque les enquêtes ne donnent rien, n'ont accès à aucun fonds de défense juridique et doivent puiser dans leurs propres poches pour se défendre contre une enquête menée en vertu de l'article 13, est-ce que je me trompe?
    Nos processus sont menés de manière informelle et se font uniquement sur papier, si ce n'est de quelques entrevues, qui ont généralement lieu au téléphone. Personne n'a besoin des services d'un avocat pendant la première étape du processus mené par la commission.
    Mais s'ils décident quand même de retenir les services d'un avocat et si l'enquête ou la poursuite, et j'utilise ce mot dans son sens large, faute d'un meilleur terme, ne mène à aucun résultat, ils ne pourront rien se faire rembourser, que ce soit par la commission ou par le plaignant. C'est exact?
    Il n'existe actuellement aucune disposition qui prévoit le remboursement de ces frais, pour le plaignant comme pour le défendeur. Nous avons cependant recommandé dans notre rapport spécial que, dans certaines circonstances exceptionnelles, le tribunal puisse l'ordonner.
    Vous nous avez dit que vos employés adhéraient aux normes les plus strictes en matière d'éthique. Ces normes sont-elles publiées quelque part? Dans vos lignes directrices, peut-être? Les trouverais-je sur le site Web de la commission? Avez-vous un code d'éthique?
    Je vous demande pardon?
    Les employés de la Commission canadienne des droits de la personne sont-ils régis par un code d'éthique?
    Nous souscrivons évidemment aux valeurs et aux principes de la fonction publique en matière d'éthique. Les divers professionnels qui composent notre effectif adhèrent chacun aux codes qui les régissent. Les avocats, par exemple, adhèrent au code d'éthique du barreau.
    J'aimerais revenir sur une allégation en particulier, celle contre votre employé, M. Steacy. On a laissé entendre qu'il avait contribué à un site Web néo-nazi appelé «Stormfront » et que non seulement il y avait publié des propos antisémites, mais qu'il les avait tenus sous un faux nom, à savoir « jadewarr ». Bell Canada, comme vous le savez, a déposé un affidavit affirmant que ce pseudonyme était celui d'un simple citoyen.
    Je sais que le commissaire à la protection de la vie privé a lancé une enquête. Je serais cependant curieux de savoir si, à votre avis, madame Lynch, ce type de comportement est un signe d'adhésion pleine et entière aux codes de déontologie professionnelle et aux principes d'éthique?
    Ni la commission ni aucun membre de son personnel n'a jamais rien fait de tel. Les allégations sur lesquelles vous revenez sans cesse sont fausses. Ce n'est jamais arrivé. La pile de documents que je vais envoyer à votre greffière vous le prouvera hors de tout doute. Je vous le dis clairement: ce n'est jamais arrivé.
    Laissez-moi vous expliquer: la loi nous oblige à faire enquête sur les propos haineux tenus sur Internet. Vous savez, les policiers qui font partie de l'escouade antidrogue sont bien obligés de se rendre là où les revendeurs se tiennent. Il arrive même qu'ils doivent leur parler. Ça ne fait pas d'eux des trafiquants! Dans le cas qui nous intéresse, nous devons aller sur les différents sites Web pour déterminer si le contenu qui s'y trouve est de compétence canadienne et s'il est haineux.
(1615)
    Madame Lynch, on peut lire, dans la transcription officielle de l'affaire Warman et la Commission des droits de la personne contre Lemire, que M. Steacy a déclaré qu'il n'avait pas utilisé un autre pseudonyme qui lui était également attribué et que le seul pseudonyme qu'il avait utilisé sur le site Stormfront était « jadewarr ».
    Il l'a admis.
    M. Steacy a bel et bien utilisé le pseudonyme « jadewarr », et les documents que je fournirai à votre greffière vous le confirmeront, mais il l'a utilisé pour publier un seul billet électronique. Et si vous lisez le billet en question, vous verrez qu'il n'a rien de haineux. Il a également participé à une longue chaîne de courriels sous ce même pseudonyme, ce que vous confirmeront aussi les documents que je vous ferai parvenir. Les échanges en question étaient tout ce qu'il y a de plus banal et ne contenaient aucun propos haineux, ni même de nature à choquer.
    Que répondez-vous au fait que le nom « jadewarr » corresponde à un nom de domaine enregistré au nom d'un simple citoyen?
    Avec tout le respect que je vous dois, monsieur, « jadewarr » n'est pas un nom de domaine enregistré au nom d'un simple citoyen. Je crois que vous faites référence à une autre allégation infondée, et nous vous remettrons également la documentation vous le prouvant.
    Je lirai le tout avec grand intérêt, croyez-moi.
    Me reste-t-il du temps?
    Il vous reste une quinzaine de secondes.
    Ce sera tout, dans ce cas-là. Je vous remercie.
    Nous allons passer à la prochaine série de questions. Je crois que c'est à Mme Jennings. Vous avez cinq minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Merci à vous pour l'exposé que vous nous avez présenté. Je lirai moi aussi avec beaucoup d'intérêt la documentation que vous nous remettrez et dans laquelle nous pourrons constater que ces allégations sont gratuites et sans fondement aucun.
    J'ai deux ou trois questions pour vous. La première porte sur deux de vos recommandations.
    D'une part, vous recommandez que la notion de haine et de mépris soit clairement définie et que la définition retenue reprenne les termes  — ou la définition — qui se trouvent dans la décision Taylor de la Cour suprême. De l'autre, vous dites que, si c'est ce qui arrive, la commission devrait obtenir un pouvoir qu'elle n'a pas présentement, lequel lui permettrait de rejeter une plainte dès sa réception pour défaut de compétence, dans la mesure où les faits allégués ne correspondraient pas à la définition de la haine.
    C'est très intéressant, en fait. J'irais même plus loin et vous demanderais pourquoi la commission n'a pas demandé qu'on lui confère le pouvoir qui lui permettrait, une fois qu'elle a fait enquête sur une plainte donnée et qu'elle juge que le tribunal doit se pencher sur la question... pourquoi la commission ne serait-elle pas la seule partie en cause et pourquoi ne serait-ce pas elle, autrement dit, qui intenterait les poursuites?
    Cela se voit dans d'autres domaines du droit administratif, où il arrive qu'un organisme quelconque a le pouvoir exclusif de recevoir les plaintes, de faire enquête et, lorsqu'il juge que c'est nécessaire, c'est-à-dire lorsqu'il juge que les éléments de preuve sont suffisants pour qu'il y ait une audience, de porter l'affaire devant un tribunal distinct. Mais il n'en demeure pas moins que c'est l'organisme enquêteur, la commission quoi, qui agit comme partie à la cause et qui poursuit le contrevenant présumé devant le tribunal. Pourquoi la commission n'a-t-elle pas demandé qu'on lui confère ce pouvoir?
    Me reste-t-il assez de temps? Ma question est-elle trop longue?
    Continuez.
    En tout cas, dans la décision Bell Canada c. l'Association canadienne des employés de téléphone, la Cour suprême du Canada a déclaré que

[Français]

Le Tribunal ne participe pas à l'élaboration des politiques et ne mène pas ses propres enquêtes indépendantes sur les plaintes : le législateur a délibérément attribué les fonctions d'enquête et d'élaboration de politiques à un organisme différent, soit la Commission.

[Traduction]

    On dirait bien qu'il y a une rupture, vous ne trouvez pas? C'est la commission qui fait enquête, mais si la plainte se rend jusqu'au tribunal, selon ce que vous nous dites, elle n'est pas partie à la cause. Elle peut l'être, elle l'a d'ailleurs été au moins une fois, mais c'est tout. À mon avis, il y a une rupture évidente.
(1620)
    Merci beaucoup, madame Jennings.
    Pour commencer, la loi nous confère bel et bien le pouvoir de porter plainte, ce que nous pouvons faire. Nous ne l'avons pas fait bien souvent, mais nous entendons le faire de plus en plus, encouragés que nous sommes par le rapport de M. Moon. C'est un pouvoir que nous avons déjà.
    Nous ne voyons tout simplement pas pourquoi nous devrions retirer aux citoyens le droit qu'ils ont de porter plainte. Car les deux possibilités sont là. Les deux avenues peuvent mener au tribunal. La loi prévoit également que la commission doit représenter l'intérêt public, et c'est ce qu'elle fait. En fait, c'est ce qu'elle faisait, car durant sa première décennie d'existence, dans toutes les causes qui se sont rendues devant le tribunal, la commission a toujours représenté l'intérêt public, mais pour toutes sortes de raisons, elle ne le fait plus.
    Il n'en demeure pas moins que, dans la très grande majorité des affaires de propos haineux, c'est ce que nous avons fait. Plus d'une fois en tout cas.
    D'accord, je vous remercie.
    À notre avis, la loi fonctionne bien, quoi qu'elle pourrait être plus précise. Elle est efficace, mais ce qui nous préoccupe, ce sont les non-initiés; il est évident que les non-initiés ne comprennent pas le sens du terme « haine », car aucun Canadien n'a à craindre l'interdiction des propos qui sont simplement choquants.
    C'est précisément en partie pour cela, lorsque vous dites que les Canadiens ordinaires n'ont rien à craindre — selon moi, la commission devrait penser sérieusement à amender la loi pour que, dans les cas de plaintes liées à la haine, les citoyens ordinaires portent plainte auprès de la commission, et la commission mène une enquête. Or, si la commission trouvait des motifs qui justifieraient une revendication devant le tribunal, précisément parce que cela deviendrait alors une question d'intérêt public, c'est la commission qui devrait participer à la plainte, et non la victime présumée puisque, dans ce cas, on place tout le fardeau sur cette personne.
    Madame Jennings, nous considérerons cela comme votre commentaire pour le compte rendu.
    Vous voudrez peut-être répondre ou élaborer plus tard, mais nous allons maintenant passer à M. Lemay. Vous avez cinq minutes.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci, madame Lynch.
    J'essaie de comprendre parce qu'il faut être très prudent avant de modifier un article d'une loi. J'ai lu le rapport Moon. D'ailleurs, M. Moon s'expliquera, probablement, à cet égard.
    On peut lire au paragraphe 13(1), et je cite:
[...] pour aborder ou faire aborder des questions susceptibles d’exposer à la haine ou au mépris des personnes appartenant à un groupe identifiable sur la base des critères énoncés à l’article 3.
    Le paragraphe 3(1), quant à lui, se lit comme ceci:
3. (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.
    Je trouve difficile de modifier l'article 13 tel quel, parce qu'il est protégé. Il y a l'article 318 du Code criminel, contre le génocide, mais il y a aussi le paragraphe 319(1) du Code criminel, qui stipule ce qui suit:
319. (1) Quiconque, par la communication de déclarations en un endroit public, incite à la haine contre un groupe identifiable, lorsqu’une telle incitation est susceptible d’entraîner une violation de la paix, est coupable [...]
    D'autre part, les tribunaux ont déterminé qu'un endroit public pouvait être ce qui se trouve sur un ordinateur et disponible par Internet, parce que c'est public.
    Je ne comprends pas pourquoi il faudrait modifier l'article 13 à ce moment-ci, et encore moins l'abolir. Qu'est-ce qui ne fonctionne pas, puisque l'article 2 de la Charte et l'article 319 du Code criminel existent?
(1625)

[Traduction]

    Il ne faut pas oublier que les cas présentés en vertu de l'article 13 représentent moins de 2 p. 100 des plaintes portées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. Parmi ce petit nombre de cas, un seul est devenu marquant et a causé le débat actuel, qui porte sur l'équilibre entre la liberté d'expression et le droit à la protection contre la discrimination fondée sur des messages haineux. En réponse à cette préoccupation, nous avons entrepris une analyse approfondie dans le cadre de laquelle nous avons bénéficié de la pensée de M. Moon, un expert qui prendra la parole dans quelques minutes, d'autres consultations et de notre propre recherche. Nous avons tiré la conclusion que l'article serait plus facile à comprendre s'il était modifié et que notre démarche se trouverait améliorée par la possibilité de rejeter rapidement les cas sans fondement.
    Peu de gens comprennent que la loi nous oblige à mener une enquête officielle sur chaque plainte qui relève de notre compétence. Dans les cas qui portent sur des messages haineux, puisque nous examinons les propos les plus exécrables, il n'est parfois pas très long avant que nous voyions clairement si cela répond ou non au critère. Ainsi, si le Parlement le veut bien, nous recommandons que la loi nous donne le choix, ce qui permettrait de conclure peut-être trois quarts des plaintes avant qu'une enquête soit menée. Cette mesure serait aussi avantageuse pour les Canadiens, qui comprendraient mieux leur loi. J'espère que cette observation répond aussi au point de M. Rathgeber, car cela permettrait à la commission de rejeter rapidement les cas. En ce moment, la loi ne nous le permet tout simplement pas. Nous sommes obligés d'enquêter.
    Merci.

[Français]

    À présent, c'est clair.
    Merci.

[Traduction]

    Il reste assez de temps pour une dernière question, madame Lynch.
    Monsieur Woodworth.
    Merci beaucoup de votre présence, madame Lynch.
    Je tiens à ce que vous sachiez que ce qui me préoccupe, ce sont les principes, et non les personnages. De plus, je vous suis reconnaissant des recommandations que vous présentez de temps en temps au sujet de réformes et d'amendements potentiels.
    Je voudrais commencer par ce que vous avez dit au sujet du fait que les Canadiens ordinaires n'ont rien à craindre. J'aimerais que vous ajustiez un peu votre façon de penser à cet égard, car quand je fais du porte à porte et que j'entends parler de cette question — c'est arrivé —, je n'ai pas l'impression que les Canadiens me parlent de leur crainte; j'ai plutôt l'impression qu'ils me parlent de leur affection féroce pour la liberté d'expression, et je suis certain que vous convenez avec moi que cela est positif. Vous avez bien mis le doigt sur la question dont nous sommes saisis, à savoir comment établir l'équilibre entre la restriction de la liberté d'expression et d'autres préoccupations.
    Ce qui pose problème, selon moi, c'est que nous avons beau dire que la loi sur les droits de la personne n'est pas une loi pénale ou de nature punitive, mais le fait est que les conséquences des conclusions tirées en vertu de cette loi sont parfois très punitives; elles varient actuellement entre des amendes, des dédommagements et des interdictions d'expression à perpétuité. Mon expérience est liée à ce domaine, et puisque j'ai participé au système judiciaire pendant presque 30 ans, je sais qu'on y fait parfois des erreurs, malgré la vaste gamme de mesures en place pour protéger les accusés: nous avons le droit de consulter un avocat, nous avons des règles contre le ouï-dire, nous plaçons un lourd fardeau de la preuve sur les procureurs, nous avons des dispositions bien définies et nous offrons de l'aide juridique. Or, malgré toutes ces mesures de protection, des erreurs surviennent au sein du système judiciaire.
    Je crois que les électeurs de ma circonscription s'inquiètent parce que leur liberté d'expression n'est pas protégée par toutes ces mesures devant le tribunal. En effet, ces mesures ne s'appliquent pas lorsque vient le temps pour la commission de décider qui sera poursuivi et qui ne le sera pas, et qui aura droit à de l'aide.
    Par exemple, lorsque vous dites qu'il faudrait seulement assumer les frais dans des circonstances exceptionnelles, je me demande pourquoi je n'aurais pas droit à de l'aide financière dans tous les cas si ma liberté d'expression a été injustement violée et si j'ai réussi à l'affirmer. Pensez-vous que nous pourrions présenter des recommandations qui protégeraient la liberté d'expression et ses intérêts devant le tribunal et au sein du fonctionnement de la commission?
    Merci.
(1630)
    La question d'établir l'équilibre entre le droit à l'égalité et le droit à la liberté d'expression des Canadiens est fondamentale. Nous sommes guidés par la loi, par la Charte et, jusqu'à un certain point, par le droit international. Cet équilibre a été établi lorsque la Cour suprême du Canada a donné son interprétation du terme « haine » dans l'arrêt Taylor. Nous sommes un organisme administratif, et la langue des poursuites ne s'applique pas à nous. Nous sommes un organisme de contrôle: nous recevons les plaintes, nous les passons au crible et nous les envoyons parfois au tribunal.
    En fait, le tribunal n'intente pas de poursuites, lui non plus. C'est un organisme quasi judiciaire moins formel que les cours. Le système fait partie d'un réseau, d'un grand groupe d'organismes et de tribunaux fédéraux. Il respecte les règles en matière d'équité de la procédure et de justice naturelle, et son fonctionnement est conçu pour encourager une démarche moins formelle, qui ne nécessite pas la présence d'avocats.
    Pour revenir à la liberté d'expression, elle est protégée par notre loi. Cela ressort des statistiques que je vous ai présentées et du fait que la seule expression qui soit limitée est l'expression de la nature la plus extrême et la plus exécrable. Si je peux me permettre de dire quelque chose qui pourrait embrouiller les Canadiens, l'article 2 de la Charte des droits et libertés protège la liberté d'expression, tandis que l'article 15 prévoit l'égalité et le droit à la protection contre la discrimination. L'article 1 dicte que cela est assujetti à des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
    Au fur et à mesure que nous établirons l'équilibre entre les droits, nous aurons peut-être à en restreindre un, mais pas l'autre. C'est ce qu'a fait l'arrêt Taylor: il a apporté de la protection et a fixé la limite.
    J'ai bien peur que vous n'ayez pas compris le but de ma question.
    Malheureusement, notre temps est échu.
    C'est comme cela que cela fonctionne.
    Madame Lynch et monsieur Dufresne, merci de votre présence. Nous avons vraiment manqué de temps; je pense que nous devrons peut-être vous inviter à nouveau.
    Je demanderais au prochain groupe de témoins de se réunir rapidement afin que nous puissions recevoir le plus de témoignages possible.
    La séance est suspendue pendant cinq minutes.

(1635)
    La séance reprend.
    Nous poursuivons la 43e séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Nous passons à notre deuxième groupe de témoins de la journée. Nous accueillons M. Richard Moon; son nom a été mentionné pendant la première partie. Nous vous souhaitons la bienvenue. Nous accueillons aussi Bernie Farber et Mark Freiman, qui représentent le Congrès juif canadien. Bienvenue à vous deux.
    Commençons avec M. Moon.
    Je suis presque certain que mon exposé ne durera pas 10 minutes, mais c'est toujours facile de sous-estimer ce genre de choses.
    Dans un rapport que j'ai rédigé pour la Commission et qui a été rendu public l’automne dernier, je recommandais d’abroger l’article 13 de la Loi sur les droits de la personne afin que la Commission et le Tribunal canadien des droits de la personne ne s’occupent plus de la propagande haineuse, en particulier celle qui est diffusée sur Internet. J’affirmais que la propagande haineuse devrait continuer d’être interdite en vertu du Code criminel.
    J’exprimais l’avis que la censure de la propagande haineuse par l’État devrait être limitée à une catégorie restreinte d’expression extrême, soit celle qui véhicule des menaces de recours à la violence contre les membres d’un groupe identifiable, ou qui préconise ou justifie un tel recours. À mon sens, le fait de ne pas interdire les formes extrêmes ou radicales de discours empreints de préjugés comporte trop de risques, en particulier lorsque ces discours circulent au sein de la subculture raciste qui subsiste sur Internet. La clientèle d'Internet est très fragmentée; pour cette raison, un site Web peut facilement fonctionner en marge et, ainsi, éviter un examen crucial du public. La propagande haineuse sur Internet vise souvent les membres d'une subculture raciste relativement bornée. Or, lorsque l'expression extrême vise ce genre de groupe, elle peut avoir pour résultat de renforcer et de propager les opinions racistes, et d'encourager à poser des gestes extrêmes.
    En même temps, les formes moins extrêmes d’expression discriminatoire, bien qu'elles soient nuisibles, ne peuvent pas être simplement bannies du discours public par la censure. Toute tentative d’exclure du discours public les propos qui stéréotypent ou diffament les membres d’un groupe identifiable exigerait une intervention extraordinaire de la part de l’État et compromettrait gravement l’engagement public à l’égard de la liberté d’expression. Ces formes moins extrêmes d'expression discriminatoire sont si communes qu'il est impossible d'établir des règles précises et efficaces visant à les identifier et à les exclure. Puisqu'elles sont si envahissantes, il est essentiel de les aborder ou de les confronter, plutôt que de les censurer. Nous devons trouver d'autres moyens que la censure de répondre à l'expression qui stéréotype ou diffame les membres d’un groupe identifiable.
    Je soutenais enfin qu’une interdiction étroitement définie de la propagande haineuse axée sur les discours liés à la violence ne cadre pas facilement ni simplement dans une loi sur les droits de la personne qui envisage la discrimination dans une optique large, qui souligne l’effet de l’acte sur la victime plutôt que l’intention ou la mauvaise conduite de l’acteur, et qui emploie un processus destiné à mettre les parties en présence et à faciliter un règlement à l'amiable de leur « conflit ».
    Le problème principal, c'est que les intérêts de la liberté d'expression sont touchés chaque fois qu'une enquête est menée. Même si la commission rejette la plainte, l'enquête demande la participation des parties et elle peut durer de huit à dix mois. La commission est obligée de mener une enquête sur les plaintes, à moins qu'elles soient frivoles, vexatoires ou entachées de mauvaise foi; elle doit donc enquêter sur des plaintes qui ne seront probablement pas soumises à l'arbitrage. De plus, puisque l'article 13 fait partie d'une loi qui cherche à faire avancer l'objectif de l'égalité sociale au moyen de l'éducation et de la conciliation, la commission pourrait avoir tendance à opter excessivement pour l'inclusion au moment de décider si une plainte devrait être rejetée pour un motif de frivolité avant la tenue d'une enquête. Les commissions pour les droits de la personne peuvent hésiter à exclure une plainte pour un motif de frivolité avant la tenue d'une enquête, car une telle conclusion pourrait sembler minimiser les sentiments sincères de souffrance ou de tort que ressentent les membres d'un groupe minoritaire; de plus, cela exclut la possibilité de faciliter un règlement du « conflit » entre les parties.
(1640)
    J'ai aussi soulevé dans le rapport des questions relatives à la pertinence de se fier à de simples citoyens qui déposent des plaintes et poursuivent en vertu de l'article 13. Cette démarche pose problème pour de multiples raisons, quoique la raison principale soit qu'elle place tout simplement un trop grand fardeau sur le simple plaignant. La plupart du temps, la propagande haineuse vise un groupe réceptif, ou du moins intéressé; le plaignant en prend seulement connaissance par hasard ou parce qu'il la cherchait. La plainte incombe au plaignant pendant tout le processus, tant aux étapes de l'enquête que de l'arbitrage. En plus des fardeaux que représentent le temps et l'argent pour le plaignant — surtout si la plainte est soumise à l'arbitrage du tribunal —, certains plaignants ont reçu des menaces de violence. Nous ne devrions pas nous attendre à ce que les plaignants portent un tel fardeau.
    Les faits de chercher de la propagande haineuse sur les sites Web de néo-nazis ou de suprémacistes blancs et d'établir des liens avec les personnes qui fréquentent ces sites dans le but de les identifier posent des défis éthiques qui ne devraient pas être assumés par de simples citoyens. La propagande haineuse nuit tant au groupe qu'à la collectivité. C'est une atteinte aux droits de la population. L'application de la loi devrait incomber à l'État, et non à de simples citoyens.
    On pourrait débattre sérieusement la question de la réglementation de la propagande haineuse par les commissions des droits de la personne; or, c'est un débat difficile et compliqué, et nombreuses sont les positions raisonnables qu'on peut prendre sur la question. Je ne suis pas d'accord avec ceux qui affirment que la commission devrait participer à la réglementation de la propagande haineuse sur Internet, mais je ne doute pas qu'ils adoptent cette position de bonne foi. Malheureusement, les critiques de la Commission les plus véhéments — et, en vérité, les plus présents dans les médias — ne s'intéressent pas à ce débat. En effet, il est plus facile et, semble-t-il, plus efficace d'inventer des injustices et de s'attaquer aux personnes.
    Dans les observations écrites que vous avez déjà reçues, je crois, je décris trois affirmations qui ont été faites au sujet de commissions des droits de la personne et je démontre pourquoi elles sont fausses ou trompeuses. Les affirmations sont que la commission a un taux de condamnation de 100 p. 100, que des enquêteurs de la commission qui travaillent à l'article 13 ont affiché des commentaires racistes sur des sites Web de suprémacistes blancs et, de façon plus générale, que les commissions des droits de la personne rendent souvent, et je cite, des décisions « folles », la plus folle étant celle de l'affaire liée à McDonald. Je serai heureux d'aborder ces affirmations pendant la période de questions, mais je pense que nous utiliserions mieux notre temps si nous parlions des vrais problèmes que pose l'article 13 et de la démarche actuelle.
    Selon moi, l'article 13 devrait être abrogé. Or, peu importe ce que le comité décide de faire, c'est important que sa décision soit fondée sur une évaluation des avantages et des coûts réels des différentes politiques. Les attaques injustes portées contre les commissions des droits de la personne masquent les vraies questions et empêchent de mener des débats sérieux.
    Merci.
(1645)
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer à M. Farber.
    Je pense que nous allons faire les deux en même temps. Vous avez 10 minutes, mais si vous prenez moins de temps, nous en aurons plus pour les questions.
    Nous disposons de 10 minutes au total? J'en utiliserai deux.
    D'abord, je veux vous remercier de nous avoir invités à comparaître devant le comité. Depuis 90 ans, le Congrès juif canadien représente l'échantillon le plus vaste qui soit de juifs canadiens. Nous nous efforçons de favoriser un Canada où les juifs, en tant que partie intégrante du tissu social multiculturel du pays, peuvent vivre et contribuer à un milieu plein de possibilités et empreint de respect mutuel. Pour atteindre ces objectifs, nous défendons la cause de la judéité canadienne, et nous faisons équipe avec d’autres fédérations juives et d’autres communautés ethniques partout au Canada.
    Dans la tradition juive, nous croyons que la langue possède une telle puissance qu’elle nécessite deux contrôleurs, les dents et les lèvres. Nous sommes conscients que les mots ont un sens et que de sombres paroles peuvent, en fait, avoir de sombres conséquences. C’est dans cette optique que nous nous réjouissons d’avoir l’occasion de vous exposer nos points de vue cet après-midi.
    J’aimerais vous présenter Mark Freiman, le président national du Congrès juif canadien. C’est un éminent juriste. Il est reconnu comme un expert en matière de droit constitutionnel et de lois sur les droits de la personne. Il vient de terminer d’assumer le rôle de conseiller juridique spécial dans le cadre du procès sur la catastrophe d’Air India, et ce qui importe encore plus pour votre comité, c'est qu'il a fait fonction de conseiller juridique spécial auprès de la Commission canadienne des droits de la personne dans l’affaire Ernst Zundel qui était, en fait, le premier recours réussi en vertu de l’article 13 qui portait sur les propos haineux sur Internet.
    J’aimerais céder la parole à M. Freiman pendant le reste de notre temps afin qu’il présente l’opinion du Congrès juif canadien.
     Merci. Je n’ai pas l’intention de commenter cette présentation dithyrambique.
    Permettez-moi de commencer par vous exposer le point de vue général du Conseil juif canadien par rapport aux questions que nous abordons. Le conseil pense que l’article 13 est un important outil qui permet de protéger les communautés vulnérables contre les atteintes causées pas la propagande haineuse. Il croit que l’article 13 est approprié sur le plan constitutionnel au sein d’une société libre et démocratique, parce qu’il s’attaque uniquement aux paroles dangereuses et néfastes et ne se préoccupe pas des paroles simplement offensantes. Il gère les paroles dangereuses et néfastes d’une manière qui entrave très peu la capacité des Canadiens de débattre librement des questions sociales et politiques importantes, y compris la capacité d’adopter des positions fermes et controversées.
    Le Congrès juif canadien croit que le Code criminel, en particulier l’article 319, qui criminalise certains aspects de la propagande haineuse et de l’incitation à la violence, ne remplace pas adéquatement le paragraphe 13(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le congrès estime également qu’on aurait tort de limiter la haine ou sa définition à l’exhortation à la violence. Cela étant dit, le Congrès juif canadien ne croit pas que le régime en vigueur aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi sur les droits de la personne soit exempt de problèmes. Il pense que le paragraphe 13(1) et la façon dont il est appliqué pourraient être améliorés considérablement afin, entre autres, d’éliminer rapidement les plaintes frivoles, d’accélérer le processus et de mieux protéger les droits légitimes des intimés.
    Permettez-moi d’ajouter quelques mots pour préciser ce cadre général.
    D’abord, il est important que nous nous souvenions du contexte. Le paragraphe 13(1) ne s’occupe pas de l’expression de façon abstraite. Il ne vise pas toutes les communications écrites, et encore moins toutes celles exprimées verbalement. Il traite d’un seul moyen de communication, à savoir le système de télécommunication canadien, notamment Internet et les messages téléphoniques produits par ordinateur, ce que nous surnommons aujourd’hui des « appels robotisés ». La réglementation des télécommunications n’a rien de nouveau. Sur le plan de la radiodiffusion, le CRTC entreprend quotidiennement de réglementer le contenu. La réglementation de l’expression hors du contexte des télécommunications n’est également pas un nouveau concept, contrairement à ce que certaines personnes aimeraient prétendre. La réglementation de l’expression dans notre société ne se limite pas à interdire à quelqu’un de crier « au feu » dans un théâtre bondé.
    Permettez-moi de rappeler au comité certains exemples intéressants. Il y a la loi contre la diffamation qui régit le contenu de l’expression et y associe des sanctions. Il y a le principe de l’outrage au tribunal qui régit l’expression dans le cadre du système judiciaire. Des règlements régissent les annonces destinées aux enfants, ainsi que les annonces de produits dangereux comme le tabac et l’alcool. La pornographie, et ce qui importe encore plus, la pornographie juvénile, y compris ses représentations orales ou sur bandes dessinées, sont réglementées de manière très stricte. Le facteur clé, c’est que, dans chaque cas, la réglementation vise à empêcher les méfaits et à préserver la société des dangers.
    Les propos haineux sont-ils dangereux? Poser la question, c’est y répondre. L’histoire donne des exemples explicites des dangers mortels — c’est-à-dire dangereux pour la vie — que les propos haineux peuvent engendrer. Étudiez la propagande nazie des années 1930. Étudiez la propagande cambodgienne des années 1970. Étudiez la propagande rwandaise antitutsie des années 1990. Étudiez la propagande raciste diffusée dans l’ancienne Yougoslavie dans les années 1990. Vous obtiendrez votre réponse.
(1650)
    Le paragraphe 13(1) de la Loi sur les droits de la personne s’attaque-t-il seulement aux propos dangereux ou vise-t-il les propos considérés comme politiquement incorrects? Mme Lynch vous a fourni la définition légale du mot « haine », et je ne vais pas la passer en revue. À mon avis, le paragraphe 13(1) vise les propos dangereux. Il cible les propos qui diabolisent des personnes compte tenu de leur appartenance à un groupe. Ces propos sont doublement dangereux, car ils soutiennent que des gens sont mauvais ou ne sont bons à rien en fonction du groupe auquel ils appartiennent, et non en fonction de ce qu’ils font. Ils sont doublement négatifs parce que, comme le juge Brian Dickson l’a défini, ils décrivent ces groupes comme n’ayant aucune qualité rédemptrice.
    À mon sens, la diabolisation est essentielle, et non l’incitation à la violence, parce que, dans tous les cas, la diabolisation précède la violence. Si la société souhaite se protéger des horreurs du génocide et de la violence perpétrés à l’endroit de personnes appartenant à une minorité, elle doit s’attaquer d’abord à la diabolisation, le déni de toute qualité rédemptrice, et non à l’incitation à la violence.
    Le Code criminel représente-t-il un substitut adéquat ou une base adéquate pour protéger la société contre les propos dangereux de ce genre? À mon avis, ce n’est pas le cas. Les poursuites criminelles visent les malfaiteurs et, par conséquent, nous avons établi les normes les plus contraignantes qui soient afin d’éviter l’horreur d’une condamnation ou d’une pénalisation injuste.
    La Loi sur les droits de la personne met l’accent sur le message même, et non sur le malfaiteur. Elle a pour objet de protéger la société des conséquences néfastes qu’ont les messages les plus dangereux qui soient. C’est un objectif approprié qui nous permet d’intenter des poursuites sans faire face à la rigueur du droit criminel.
    La violence est-elle l’élément clé? Comme je l’ai dit précédemment, bien que l’incitation à la violence ait, dans tous les cas, stimulé les actes de génocide, de destruction et de violence, le processus est déjà trop avancé à ce stade. C’est la diabolisation précédant l’incitation à la violence qui doit être réglée.
     L’orientation de la Loi canadienne sur les droits de la personne est-elle trop dangereuse ou trop subjective? À mon humble avis, elle ne l’est pas. La définition du juge Dickson est très précise, et elle vise uniquement les propos les plus dangereux et les plus extrêmes.
    La deuxième question, soit l’application de cette norme élevée, est garantie par un système de révision judiciaire assuré par des tribunaux allant jusqu’à la Cour suprême du Canada, s’il y a lieu, afin de veiller à ce qu’elle soit respectée.
    Enfin, cela signifie-t-il que l’article est parfait? Non, il n’est pas parfait. Le Congrès juif canadien croit que l’idée d’élargir la fonction de contrôleur qu’assume la Commission canadienne des droits de la personne, afin de lui permettre de rejeter rapidement les plaintes frivoles, a beaucoup de mérite. Le congrès croit également qu’on devrait égaliser les chances de sorte que les personnes qui se trouvent aux prises avec la justice et qui doivent débourser beaucoup d’argent pour se défendre soient remboursées si la cause s’avère non fondée.
    Nous croyons que la commission a besoin de se spécialiser davantage.
    C’était ma déclaration liminaire.
(1655)
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant aux questions.
    Monsieur Murphy, vous avez sept minutes.
    Merci.
    Je veux remercier les témoins de leur exposé.
    Je veux aborder immédiatement les remarques de M. Freiman et de M. Farber auxquelles nous souscrivons tous: les mots peuvent blesser.
    Monsieur Freiman, vous avez écrit une critique du livre Shakedown.
    Oui.
    Elle a été publiée — pas dans la revue Maclean's. Dans cet article, vous avez accordé un certain crédit à quelques-uns de ses arguments sur la procédure et les enquêtes. J'ai dit précédemment que je ne voulais pas passer du temps à parler des questions relatives à la preuve. Mais l'hypothèse...
    Je pense que M. Levant est convaincant parce qu'il incarne un peu l'idée suivante: « Écoutez, je suis membre d'une minorité, mais je sais me défendre. Les choses sont différentes de nos jours. Nous faisons partie d'une société plus complexe. Les atrocités qui ont été commises dans le passé ne peuvent pas se reproduire parce que nous vivons dans une société démocratique florissante. » Qui ne soutiendrait pas que Ezra Levant peut se défendre verbalement? Bien sûr qu'il le peut.
    Je vous demande, à vous et à M. Farber, si M. Levant fait preuve de naïveté dans sa conception. Y a-t-il si longtemps que, lorsque des groupes étaient diabolisés, les gens comme M. Levant étaient laissés sans protection, peu importe leur degré d'intelligence?
    Enfin, pour tout replacer dans un contexte moderne, un cadre législatif semblable à l'article 13 ou tout instrument qu'un gouvernement au Rwanda ou en Bosnie aurait pu utiliser avant que la diabolisation ait lieu aurait-il pu prévenir un génocide à grande échelle?
(1700)
    Permettez-moi de commencer par votre dernière question. Bien entendu, un cadre législatif n'aurait pas empêché le génocide. Si d'autres forces sociales penchaient dans cette direction, aucune mesure législative n'aurait pu prévenir cela.
    Par contre, si l'on examine l'Europe dans les années 1930, on pourrait facilement soutenir que la diabolisation systématique et continue des juifs a entraîné une anesthésie morale au sein de la population d'un certain nombre de pays qui a permis à des gens occidentalisés, du reste intelligents, de rester les bras croisés et de regarder dans l'autre direction pendant que des crimes horribles étaient perpétrés par un régime raciste très résolu.
    Alors, M. Levant est-il naïf?
    M. Levant est naïf. M. Levant croit que les progrès en matière d'équité qui ont été réalisés pendant les années 1950 et 1960 sont la fin de l'histoire et qu'il ne peut plus y avoir de préjugés ou de discrimination. Il est malheureusement dans l'erreur.
    Monsieur Freiman, après cette remarque, j'espère que vous avez réglé toutes vos primes d'assurance liberté d'expression.
    Je jouis d'une immunité absolue, Monsieur Murphy.
    Et bien, voyons si vous osez répéter cela hors de ces murs. M. Levant est un avocat.
    Toutefois, ce que je dirais avec sérieux, c'est qu'il y a une opposition, n'est-ce pas, entre la liberté d'expression absolue et sans entrave et... Et ce n'est même pas l'interprétation qui nous a été présentée; il n'y a pas de droit sans entrave. Il y a les lois contre le libelle, la calomnie et la diffamation. Il y a les dispositions du Code criminel. Puis il y a ce droit d'être protégé contre la diabolisation dont une personne peut se prévaloir.
    Où l'équilibre se maintient-il en ce moment? Compte tenu des améliorations que vous avez suggérées, l'équilibre serait-il réalisé si l'on acceptait le rapport de la commission de Mme Lynch?
     Je pense que les modifications proposées amélioreraient l’équilibre.
    Je voudrais simplement faire remarquer que, dans notre système constitutionnel, la liberté d’expression a toujours lieu au point d’équilibre. Nos tribunaux ont décidé que tout ce qui exprimait un sens constituait, en fait, une expression aux termes du paragraphe 2(b). Cela a occasionné beaucoup de discussions parce que cela veut dire que la danse-contact est une expression. Cela signifie que la pornographie est une expression. Aux États-Unis, ils ne s’y prennent pas ainsi. Ils décident ce qui constitue ou ne constitue pas une expression et accordent une protection absolue aux expressions, et n’en accordent aucune à ce qui n’en est pas.
    Ce que nous disons, c’est que nous avons maintenant la liberté de nous exprimer. Mais jetons un coup d’œil à l’article 1. Jusqu’où peut-on pousser cette liberté d’expression avant qu’elle devienne néfaste? C’est l’équilibre que nous nous efforçons d’établir. C’est l’équilibre que certains des plus grands cerveaux de la Cour suprême du Canada contribuent à surveiller. Je crois effectivement que les modifications et les améliorations aideraient à maintenir un équilibre adéquat.
     J’aimerais ajouter un petit élément à cela. Je tiens à ce que nous n’oubliions pas qu’un des pires génocides de l’ère moderne est survenu il y a à peine 60 à 65 ans — le meurtre de six millions d’hommes, de femmes et d’enfants de religion juive. Il y a des gens encore en vie aujourd’hui qui souffrent toujours de ces conséquences. Je trouve incroyable qu’il y ait encore des gens dans le monde qui continuent de promouvoir ce genre d’actes haineux. Il y a deux ou trois jours, à seulement 10 miles de cette salle, on a profané le cimetière sacré des Jewish Memorial Gardens à Ottawa. Des croix gammées et des termes racistes et antisémites ont été gribouillés sur des pierres tombales juives. Cela s’est produit le même week-end où j’étais venu à Ottawa pour assister à la cérémonie de dévoilement de la pierre tombale d’un des membres de ma famille. Je ne peux même pas vous décrire les répercussions que cela a eues sur notre communauté. Est-ce que nous voulons permettre que cela se poursuive? C’est cet équilibre que nous devons prendre en considération, et j’aimerais que vous gardiez cela en tête.
    J’ai des photographies de cette profanation et, avec la permission du président, je vous les remettrai.
(1705)
    La greffière ramassera les photographies que vous avez apportées.
    Merci.
    Monsieur Lemay.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    J'ai bien écouté les remarques faites tant par M. Moon que par M. Freiman et M. Farber. Merci d'être ici, d'ailleurs.
    Si j'ai bien compris, monsieur Freiman — vous me reprendrez si je suis dans l'erreur —, vous ne voyez pas l'utilité d'abolir l'article 13. Cependant, vous dites qu'il faudrait le clarifier. C'est surtout à ce sujet que je voudrais vous entendre, parce que, dans le moment, l'article 13 m'apparaît assez clair, à la suite de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Taylor, lequel reprenait ce que le Tribunal des droits de la personne avait dit dans Nealy c. Johnston. En plus, on a l'article 319 du Code criminel qui semble servir de balise.
    Je me pose une question et j'aimerais vous entendre à ce sujet. Peut-être que M. Moon pourra aussi émettre son opinion. De quelle façon pensez-vous que l'on pourrait ajouter des balises à l'article 13, qui m'apparaît assez clair dans le moment?

[Traduction]

    Je crois que je peux corriger cette fausse impression. Je suis d'accord avec vous que le paragraphe 13(1) est clair tel quel. Il n'est pas nécessaire d'y apporter de précisions. La seule clarification possible, selon moi, serait d'utiliser exactement les mêmes mots que le juge Dickson dans l'affaire Taylor pour expliquer ce que signifie la haine. Les améliorations dont j'ai parlé étaient d'ordre administratif.

[Français]

    Excusez-moi, maître Freiman. Croyez-vous vraiment nécessaire d'inclure dans l'article 13 ce que le juge Dickson a dit? Cela fait jurisprudence. On n'a peut-être pas besoin de l'inclure.

[Traduction]

    Je conviens que ce n'est pas nécessaire. Si quelqu'un voulait l'ajouter, cela me ne dérangerait pas, mais cela rendrait la rédaction législative inélégante. Les modifications nécessaires sont d'ordre procédural et administratif. Elles donneraient à la commission davantage une fonction de protecteur du public. Elles lui permettraient de rejeter, sans enquête, des plaintes qui sont clairement frivoles et sans mérite. Cela libérerait la commission d'une grande partie de sa charge de travail et lui permettrait de se concentrer sur les affaires qui en valent vraiment la peine. Cela éviterait aux intimés de devoir composer avec le fardeau, tant émotionnel que financier, des plaintes frivoles. Je crois qu'il y a place à la spécialisation. L'on pourrait créer, au Tribunal des droits de la personne, un tribunal spécialisé pour traiter les plaintes déposées aux termes de l'article 13, tout comme à la Cour fédérale on a créé des tribunaux spécialisés pour traiter les questions de sécurité nationale. Cela serait utile. En raison du caractère délicat du travail à accomplir et de la quantité de formation nécessaire, il serait extrêmement utile d'encourager le personnel de la commission, tant les enquêteurs que les avocats, à rester en poste pendant un certain temps plutôt que de faire la rotation. Voilà le type d'améliorations que j'avais en tête.
(1710)

[Français]

    Monsieur Moon, partagez-vous mon opinion, qui semble maintenant être aussi celle de M. Freiman?

[Traduction]

    Vous savez peut-être que, dans mon rapport, je recommande, comme solution de rechange, qu'on apporte une série de modifications à l'article 13, le processus qui s'y rapporte. Je suis toutefois d'avis qu'aucune de ces modifications n'est adéquate pour corriger ce qui, d'après moi, est le problème plus fondamental avec le système en général, et je maintiens que la meilleure solution est d'abroger l'article 13.
    Assurément, les changements qui, selon moi, amélioreraient l'article 13 —encore une fois sans que je les juge adéquats — comprennent des éléments qui le feraient ressembler davantage à une procédure criminelle, notamment une exigence d'intention. Je me préoccupe énormément de l'absence d'une quelconque exigence d'intention dans l'article vu la nature extrême de l'expression sur laquelle il porte; parallèlement, nous n'avons aucune façon de mesurer l'incidence réelle de l'expression en cause, ni de décideur qui prétend pouvoir le faire. Au bout du compte, l'on s'attache à la nature de l'expression, et vous constaterez que les décideurs lui attribuent invariablement une intention, la comprennent comme un élément porteur d'intention sur une certaine période, ce qui n'est aucunement surprenant étant donné sa nature extrême.
    Ce avec quoi je suis d'accord, toutefois, c'est qu'à la toute fin du processus, si l'on prend les décisions dans lesquelles le tribunal a établi qu'il y avait violation de l'article 13, il est question d'expression extrême, je crois que c'est clair. C'est vraiment tout ce qui survient avant ce résultat final qui, pour moi, pose problème.

[Français]

    D'accord, merci.

[Traduction]

    Merci.
    La parole est maintenant à M. Comartin. Vous disposez de sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, messieurs, d'être avec nous aujourd'hui.
    Monsieur Moon, en plus de l'aperçu que vous nous avez donné aujourd'hui, je crois comprendre que vous avez également rédigé un article beaucoup plus long pour l'une des écoles de droit de la Saskatchewan. Quand sera-t-il publié?
    Au printemps. Au printemps dernier, ils m'ont invité à donner leur conférence annuelle sur une question de liberté religieuse ou de droits de la personne, et j'ai choisi d'écrire sur cette question.
    Je comprends. Cet article n'a toujours pas été publié. Y'a-t-il moyen que le comité en prenne connaissance avant sa publication?
    Je peux demander au comité de rédaction. Je ne vois pas pourquoi il s'y opposerait.
    Je crois savoir que vous avez une version abrégée de cet article, qui est, en réalité, un exposé que j'ai donné la semaine dernière. Si ces deux activités sont arrivées presque en même temps, c'est par pure coïncidence. Fait intéressant, il a été rendu public, à ma grande surprise, après qu'on m'eut demandé une copie papier à la fin de mon exposé, et j'ai découvert qu'il avait été plus diffusé que je m'y attendais. Quoi qu'il en soit, j'ai décidé qu'il serait approprié d'en remettre une copie au Comité de la justice, alors je l'ai fait. J'ignore donc si vous l'avez ou non devant vous.
    Monsieur Moon, la question que M. Freiman a soulevée, qui va dans le même sens que la mienne... Elle est en deux parties. Que pensez-vous de la façon dont nous traitons une expression qui diabolise un groupe en particulier, et voyez-vous une façon quelconque de le faire en modifiant le Code criminel si nous ne sommes pas en mesure de modifier la Loi sur les droits de la personne?
    Le point de vue que j'ai exprimé dans mon rapport est que nous devrions vraiment nous attacher seulement aux formes d'expression les plus extrêmes, et j'ai cherché à faire le lien entre ce point et l'idée de la violence. En fait, je n'appuie pas l'idée qu'il est nécessaire de montrer que la violence découle du discours en soi, mais de signaler l'extrémisme du discours en cause de façon à pouvoir comprendre qu'il est de nature si extrême qu'il pourrait être perçu comme un appui à la violence contre un groupe ou une justification de celle-ci. Par conséquent, je dirais même qu'en pratique, si vous regardez les décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, je ne suis pas certain — et je sais que je ferais mieux de ralentir un peu ici  — que la norme appliquée à ces cas diffère considérablement de celle qui serait privilégiée par un tribunal criminel dans l'application de l'article 319.
    Il est clair que si vous y intégrez l'intention, cela changera considérablement la donne.
    Encore une fois, en pratique, je ne suis pas certain que dans l'une des affaires dans lesquelles le tribunal a établi qu'il y avait violation de l'article 13, le résultat aurait été différent s'il y avait eu une exigence d'intention. En fait, si vous lisez ces jugements, le vocabulaire de l'intention figure souvent dans la description du discours et du tort qui est causé.
(1715)
    Monsieur Freiman, êtes-vous d'accord avec cela?
    Non, malheureusement.
    Premièrement, permettez-moi de dire que je tiens M. Moon dans la plus haute estime. Selon moi, ces types d'échanges sont profitables contrairement aux genres de débats et de rhétorique exacerbée qui caractérisent parfois ces discussions. Je crois que l'intention est, en réalité, une condition préalable dangereuse si l'on ne se concentre pas sur le transgresseur. Si nous voulons punir un transgresseur, l'intention est alors un prérequis absolu, mais si nous nous attachons au discours même, le fait de chercher l'intention est un détour qui n'est pas profitable. Ensuite, on finira inévitablement par invoquer des principes juridiques comme « une personne est censée vouloir les conséquences inévitables de ses actes », ce qui écarte vraiment l'intention de l'exigence.
    Et il en va de même pour la violence. Ce que M. Moon dit ne diffère pas beaucoup du discours des experts en matière d'anti-sémitisme et d'autres formes de haine génocidaire extrême. L'élément précurseur est la déshumanisation et la diabolisation du groupe cible au point où l'auditoire en vient à dire « Si c'est vrai, alors ces gens n'ont aucun droit d'être ici ». Il n'est pas nécessaire que ce soit une incitation directe à la violence. La diabolisation est une incitation indirecte à la violence, alors le fait d'importer cet élément comme prérequis nécessaire est, encore une fois, un simple détour parce que, dans tous les cas, vous le déterminerez par voie de conséquence nécessaire. Vous ne serez jamais capable de prouver de manière objective la présence d'une intention ou d'un état d'esprit subjectif de la part du transgresseur et vous ne pourrez jamais cerner l'incitation directe à la violence dans les types de propagande les plus ignobles. Tout est implicite.
    Monsieur Moon, il y a un autre domaine sur lequel j'aimerais entendre vos commentaires...
    J'aimerais me prononcer sur ce qui vient d'être dit.
    Faites les deux: prononcez-vous sur ce qui vient d'être dit, mais aussi sur le point de vue de M. Freiman au sujet des tribunaux spécialisés au sein du tribunal, s'il vous plaît, car je ne crois pas que vous ayez abordé cette question dans aucune de vos recommandations. Si vous l'avez fait, cela m'a échappé.
    Je ne l'ai pas fait. En vérité, j'ai rédigé ce rapport en me concentrant sur le rôle de la commission plutôt que celui du tribunal, et je crois comprendre que la commission même est spécialisée jusqu'à un certain point.
    L'une des difficultés — il s'agit d'une difficulté au plan pratique, j'imagine — est que le nombre d'affaires renvoyées au tribunal pour arbitrage en vertu de l'article 13 est très petit. C'est la façon de faire de nombreux tribunaux, bien sûr, dans lesquels certains juges qui ont de l'expérience et des connaissances dans un domaine particulier se font généralement assigner des affaires particulières qui surviennent, alors il serait sensé de faire quelque chose de ce genre, selon moi.
    Rapidement, j'aimerais porter l'attention du comité sur une disposition particulière du Code criminel qui est sous-utilisée, et c'est — j'espère avoir le bon numéro —l'article 320.1. C'est une disposition qui permet de faire une application pouvant mener au retrait de matériel Web, à l'effacement de matériel informatique, sans déterminer qui en est responsable et s'il y a eu intention coupable, si l'on établit que le matériel est de nature suffisamment haineuse pour contrevenir au paragraphe 319.(2). De nos jours, il n'est pas invoqué très souvent, et il pourrait soulever des questions pratiques que j'ignore, mais il me semble être une solution de rechange valable.
    Merci.
    La parole est maintenant à M. Rathgeber pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence parmi nous et de leurs exposés très intéressants.
    Premièrement, je dois dire, messieurs Farber et Freiman, que je trouve répréhensible que quelqu'un endommage une pierre tombale juive ou, à bien y penser, n'importe quelle pierre tombale. Je représente une partie de la ville d'Edmonton. Deux ou trois synagogues y ont été endommagées de façon semblable à celle qu'on a vue sur les photos qu'on a fait circuler. Je trouve ce geste répréhensible. Mais cela m'amène à soulever la question qui suit: quelle mesure était prévue à l'article 13 du code des droits de la personne pour protéger vos membres, votre groupe confessionnel, contre cet acte des plus répréhensibles?
(1720)
    Permettez-moi de commencer. M. Farber est un bien plus grand spécialiste de ces questions que moi.
    La première fonction du paragraphe 13(1) est de dénoncer officiellement, au nom du public canadien, ce type de communication. Certains membres du comité estimeront peut-être que pareille dénonciation est superflue, mais à notre époque, peut-être que ce n'est pas le cas. Un énoncé officiel qui indique qu'un discours va au-delà de la communication raisonnable — ce n'est plus un débat, cela a dépassé les bornes — est extraordinairement important. Il est également important pour aider les personnes influençables à comprendre que ce qui se passe dans ce cas-là va au-delà de tout débat raisonnable.
    Le fait de retirer ces sites Web préviendrait-il ce type de profanation? Je n'en suis pas certain. On sent intuitivement que moins Internet devient un forum — du moins à l'échelle locale — pour ce genre d'incitation, mieux c'est et plus il est probable que les gens soient respectueux. Je ne suis pas persuadé que ce soit une protection suffisante, mais il s'agit certainement d'un type de protection extraordinairement utile.
    Manifestement, dans cet exemple, il n'a pas offert de protection suffisante, ou même de protection tout court.
    Nous parlons ici d'influencer la nature du débat.
    J'en suis conscient.
    Monsieur Farber, si vous pouviez répondre brièvement, s'il vous plaît.
    J'aimerais ajouter une petite précision. Selon moi, les images que vous avez vues constituaient clairement un acte criminel. Ce cas ne tomberait pas sous le coup de l'article 13. Mais je vous ferais remarquer que si nous avions suivi l'exemple des procédures civiles pour déterminer comment faire face aux messages haineux, alors — qui sait? — peut-être que l'application de la loi elle-même aurait eu un effet salutaire.
    Nous ne vivons pas dans une société parfaite. Il y aura toujours des racistes et des voyous qui vont commettre de tels gestes. Mon but, c'est d'éduquer, c'est-à-dire d'utiliser la procédure civile de façon à sensibiliser les gens, surtout les jeunes, bien avant d'en arriver à un point où l'on doit s'inquiéter des cas comme des svastikas tracés sur des pierres tombales de cimetières juifs.
    Merci.
    Ce qui m'embête surtout avec l'article 13, ce sont les mots « susceptibles d'exposer », et le caractère prédictif qui est assez explicite dans le libellé de l'article. Je vous ai écouté attentivement, monsieur Freiman, et vous avez utilisé les mots « déshumanisation » et « diabolisation ». Cependant, je me demande à qui revient la décision de déterminer ce qui est diabolique et ce qui est déshumanisant. Il s'agit d'un critère très subjectif. C'est juste un point que je veux souligner.
    Ma question s'adresse au professeur Moon. Je dois dire que quand j'ai lu votre rapport cet été, j'ai trouvé que c'était bien documenté et bien formulé, et j'accepte tout à fait vos conclusions.
    Relativement à l'incident des pierres tombales en fin de semaine, le Code criminel contient, certes, des dispositions qui interdisent le vandalisme, le méfait et l'intrusion. Je souscris donc à votre dernière conclusion, à savoir que le Code criminel est le meilleur instrument pour aborder toutes ces questions. Mais je suis curieux de savoir une chose: d'après vous, si nous laissons cette affaire sous le coup du Code criminel, faudra-t-il apporter une modification également à l'article 319. Si je regarde le paragraphe 319(2), plusieurs défenses y sont prévues, mais le fait de ne pas promouvoir, encourager ou appuyer la violence ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation faite en vertu de l'article 319.
    Je tiens surtout à porter une chose à l’attention du comité: si l’article 13 était abrogé et que nous devions invoquer le Code criminel, il importerait alors d’étudier le Code criminel et son fonctionnement. Une gamme de questions entrent en ligne de compte, et j’en ai mentionné plusieurs dans le rapport.
    Encore une fois, à mon avis, si l’on examine ce qui se passe dans les tribunaux, à la suite de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Keegstra, l’article relatif à la promotion de la haine est interprété de façon assez étroite. Bien qu’il y ait lieu de s’inquiéter du libellé, il n’en demeure pas moins que c’est le type de critère que je chercherais à établir. Je ne suis pas un rédacteur législatif. Personnellement, je préférerais un libellé qui énonce clairement le caractère extrême du discours sur lequel nous voulons nous pencher.
    Il y a un certain nombre d’autres sujets de préoccupation, notamment le rôle des procureurs généraux provinciaux. Comme vous le savez peut-être, avant d’intenter une poursuite en vertu de la disposition relative à la promotion de la haine, il est nécessaire d’obtenir le consentement du procureur général. Je ne vois rien de mal à cela — loin de là; en fait, cela pourrait être un processus de filtrage utile. Mais des inquiétudes ont été exprimées parce que, par le passé, certains procureurs généraux ont refusé catégoriquement d’accorder leur consentement. Je pense que nous ne connaissons pas grand-chose là-dessus. Il va de soi que je serais troublé si cette pratique devenait tout simplement un moyen d’annuler la loi elle-même.
(1725)
    Est-ce qu'il me reste du temps?
    Non, je suis désolé.
    Si vous me le permettez, comme il ne nous reste que cinq minutes, je vais prolonger la réunion de cinq minutes. Ainsi, nous aurons dix minutes, mais chaque parti représenté ici disposera d’une minute pour poser ses questions, et les témoins disposeront d’une minute pour y répondre. Cela vous convient-il?
    Bien, nous allons procéder ainsi.
    Madame Jennings, vous avez une minute, suivie d'une minute de réponse.
    Merci.
    Vous étiez ici lorsque j’ai proposé à la présidente Lynch qu’en plus des recommandations formulées par sa commission, nous devions envisager la possibilité que la commission soit la seule partie à défendre le dossier devant le tribunal. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
    Et je veux tout simplement ajouter que je ne suis pas d’accord avec mon collègue, M. Rathgeber, qui affirme que la définition de diabolisation et déshumanisation est subjective. Selon moi, un nombre suffisant d’études ont été réalisées pendant des décennies et elles nous ont permis d’établir des critères très clairs et objectifs pour déterminer s’il y a des comportements récurrents de diabolisation et déshumanisation par rapport un groupe identifiable donné.
    En ce qui concerne la première partie de votre question, dans mon rapport, sous la série des recommandations supplémentaires, j’ai effectivement proposé que la commission ait la tâche de défendre le dossier non seulement une fois rendu devant le tribunal, mais beaucoup plus tôt dans le processus, afin d’alléger le fardeau des plaignants privés.
    Permettez-moi de répondre à la deuxième partie parce que je n’ai pas eu l’occasion d’intervenir tout à l’heure.
    Je suis d’accord pour dire que ce n’est pas subjectif. Le problème, c’est que les mots « susceptibles d’exposer » sous-entendent un jugement prédictif de la part du tribunal. Mais ce n’est pas différent de la définition utilisée dans les cas de diffamation, dont je m’occupe parfois dans le cadre de mon travail. Une déclaration est jugée diffamatoire lorsqu’elle expose une personne à la haine ou au mépris; entre « expose » et « susceptibles d’exposer », il n’y a pas vraiment de différence sémantique. Voilà pourquoi le juge Dickson a précisé ce qu’on entend par exposer quelqu’un à la haine ou au mépris; c’est ce que signifie la diabolisation.
    Merci.
    Nous passons à M. Lemay pour une intervention d'une minute, suivie d'une minute de réponse.

[Français]

    Non. J'ai toutes les réponses dont j'ai besoin et je médite, monsieur le président.

[Traduction]

    Merci.
    Monsieur Comartin.
    J’aimerais reprendre la discussion sur les personnes qui sont nommées au tribunal en vue d’élaborer un ensemble de lois peut-être plus solides.
    L’une ou l’autre des délégations a-t-elle envisagé la possibilité d’établir des critères plus clairs relativement aux compétences que devraient posséder les gens nommés au tribunal.
    Monsieur Freiman, je sais que comme vous aurez peut-être à les recroiser, vous ne voudriez pas répondre à la question.
    Non, c’est un de mes vieux dadas depuis l’époque où j’étais sous-procureur général de l’Ontario.
    Bien entendu, il serait souhaitable d’avoir des critères explicites, mais il s’agit en réalité d’une réforme du droit administratif dans son ensemble. S’il y avait un contrôle plus rigoureux des critères de nominations, je n’y vois aucun inconvénient; on en tirerait même un grand avantage.
    Je ne retiendrai pas mon souffle.
    Merci.
    Nous passons à M. Hiebert pour une intervention d'une minute, suivie d'une minute de réponse.
    Merci, monsieur le président.
    Professeur Moon, sachez qu’Alan Borovoy de l’Association canadienne des libertés civiles a fait la même recommandation que vous, soit celle d’abroger l’article 13, mais pour des raisons différentes. Non seulement il affirme que cet article nuit à la libre expression, mais il estime aussi que c’est trop vague et trop général et qu’il n’y a aucune défense de la vérité; il ajoute qu’il y a d’autres conséquences ou sanctions pour les personnes qui tiennent des propos offensants. Je ne vous ai pas entendu parler de ces aspects, et je me demandais si vous le pouviez.
    La deuxième partie de ma question est brève. La commission propose que les intimés aient le droit de recouvrer leurs frais juridiques dans des cas exceptionnels. Je ne comprends pas pourquoi ce ne serait pas le cas chaque fois qu’une personne est reconnue innocente.
(1730)
    Tout ça en une minute?
    Une voix: Prenez votre temps.
    M. Richard Moon: Je vais commencer par la dernière partie.
    Je suppose que, comme ma principale recommandation était d’abroger l’article 13 et que je disposais d’un temps limité pour rédiger le rapport, je ne me suis pas trop attarder sur les frais. Chose certaine, dans mes recommandations supplémentaires, si la commission prenait en main le dossier, il me semblerait beaucoup plus logique qu’un certain appui soit fourni quant à la défense de tout intimé faisant l’objet d’une plainte. C’est ce que je proposerais.
    Pour ce qui est de la préoccupation de M. Borovoy, je crois qu’en partant, le libellé de l’article 13 semble vague, mais par l’intermédiaire de l’interprétation judiciaire, la réalité est que… Il y a des limites quant à la capacité d’un organisme, de tout organisme, de définir clairement ce qui constitue un discours haineux et dans quelles conditions il faut l’interdire ou le réglementer. Toutefois, je crois que cette définition a été considérablement rétrécie grâce à l’interprétation judiciaire.
    Cela dit, mon problème n’est pas tant le libellé que l’endroit où l’on place une telle interdiction dans un processus et le fait que ce pouvoir est accordé à un organisme chargé de réglementer toute discrimination en sens large du terme. Bien sûr, avec le temps, nous avons opté pour une définition plus large de la discrimination; jadis réduite à un acte intentionnel, cette notion englobe maintenant la discrimination constructive et la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Dans un tel contexte, il est parfaitement légitime d’amener les parties à s'engager dans un dialogue et de leur faire prendre conscience des pratiques qui, peut-être faute d’un examen minutieux de leur part, pourraient exercer des effets négatifs sur d’autres. C’est tout à fait sensé. En même temps, quand il s’agit des éléments du discours haineux, nous avons cherché à en rétrécir considérablement la portée afin d’assurer notre engagement envers la liberté de parole.
    Bref, ce qui m’inquiète, c’est qu’un organisme chargé principalement de réglementer la discrimination, au sens large du terme, se voit accorder le pouvoir de s’occuper du discours haineux au sens étroit. Il en résulte une tension: à la rigueur, les plaintes feront l’objet d’une enquête, mais, au bout du compte, elles n’aboutiront pratiquement jamais à des poursuites judiciaires et n’auront pas gain de cause devant les tribunaux. Sachez également que le processus d’enquête imposera un fardeau aux parties. Voilà donc ma préoccupation: j'ai des réserves à l'égard du processus même.
    Merci.
    Je vous remercie, professeur, pour votre témoignage.
    Messieurs Farber et Freiman, vos témoignages ont été utiles, et ils nous aideront à mesure que nous préparerons notre rapport. Merci.
    La séance est levée.
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