:
Merci beaucoup. Je vais m'exprimer en anglais, mais je peux répondre aux questions dans les deux langues.
[Traduction]
Je dois dire en partant qu'à part Jean-Pierre, mes collègues et moi sommes tous des journalistes purs et durs. Je n'ai pas d'insigne, je n'ai pas fait d'études en droit. Dans la vie, je pose des questions. Nous avons cependant un tout autre passeport, mes collègues et moi, un passeport qui nous place dans une perspective sans pareille. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous avons tous déjà eu l'occasion de parler aux policiers, mais parce que nous n'avons pas d'insigne, ces derniers auront souvent tendance à nous dire des choses qu'ils ne vous diront pas ou qu'ils ne diront même pas à leurs patrons. Parce que je ne relève d'aucune organisation en particulier, les gens de la GRC vont me révéler certaines choses. Tout comme les policiers de Vancouver ou de Montréal. Bref, les policiers ont souvent tendance à être plus francs avec les journalistes qu'ils ne le sont entre eux. J'ai également eu l'occasion d'interviewer des membres et des leaders des Hells Angels, mais aussi des informateurs de police, des gens faisant partie du programme de protection des témoins et des victimes. Nous avons l'avantage de pouvoir aller là où le reste de la population ne peut pas aller, pas même la police. J'espère que nous pourrons vous aider à mieux comprendre la situation.
Aujourd'hui, je vais laisser mes collègues entrer dans les détails du crime organisé pour me concentrer sur une chose: l'importance de l'image et des perceptions. Vous allez peut-être trouver que c'est un sujet un peu étrange, mais il ne faut pas oublier que, même si le coût en vies humaines de la lutte contre le crime organisé est bien réel — il suffit pour s'en convaincre de se rappeler le nombre de victimes qui ont été tuées à Montréal, la violence continuelle des gangs de rue de Vancouver et les nombreuses attaques à Winnipeg —, une bonne partie de la lutte se résume à une question d'image et de perceptions. En effet, le crime organisé tire sa force de la capacité qu'il a de susciter la terreur chez les gens; il faut donc que les autorités répondent de la même façon et qu'elles montrent qu'elles sont tout aussi fortes et résistantes.
Je m'explique:
Prenons tout d'abord l'image du Canada à l'étranger. Notre pays a toujours été perçu comme une contrée paisible où règnent la loi et l'ordre, sauf pour une chose: le crime organisé. Dernièrement, j'ai été interviewé par la BBC, la télé australienne et différents journaux américains. Partout, on constate de plus en plus, même si le taux d'homicides y est très peu élevé, que le Canada est une plaque tournante du crime organisé, à cause des Hells Angels, bien sûr, mais aussi à cause de tous les autres gangs criminels.
Que croyez-vous qui se produit dans l'esprit des citoyens? Comment perçoivent-ils le crime organisé? J'ai l'impression qu'une partie du problème, et je conviens que les médias y sont pour quelque chose, réside dans le fait que le crime organisé ne fait jamais les manchettes. Ce qui émeut le public, c'est quand une fillette se fait kidnapper ou qu'une banque se fait dévaliser. Et c'est bien normal. Mais sinon, on ne verra jamais de manchettes du genre: « 1 000 kilos de cocaïne arrivent sans encombre au port de Montréal », même si ça arrive tous les jours. Parce que le crime organisé passe presque toujours inaperçu, même si c'est loin d'être le cas ces jours-ci avec la campagne à la mairie de Montréal, les journaux n'en parlent presque jamais. Résultat: les gens s'en préoccupent peu. Ils ne font pas le lien entre le crime organisé et les attaques quotidiennes dont ils entendent parler, les revendeurs de drogue, les introductions par effraction et les invasions de domicile. La perception que le public a du crime organisé est un problème en soi.
Pour terminer sur la question de l'image, je voudrais vous parler de l'importance qu'elle revêt pour les criminels eux-mêmes. Je ne compte plus le nombre de dirigeants des Hells Angels et de criminels en général à qui j'ai parlé dans ma carrière, et s'il est vrai que l'argent qu'ils récoltent et la terreur qu'ils suscitent ont leur importance, vous seriez étonnés d'apprendre à quel point le pouvoir et l'image peuvent l'être aussi. C'est plus qu'important, c'est crucial. L'insigne de tête de mort que portent les Hells Angels a été reconnu comme une arme par les tribunaux du Canada lors du premier procès anti-gang à s'être tenu en Ontario. Il a été reconnu comme une arme! L'insigne lui-même, le symbole, l'image, a été jugé comme s'approchant suffisamment d'une arme pour que les deux Hells qui ont rendu visite à un homme, en compagnie d'un troisième comparse, soient condamnés par la juge Michelle Fuerst selon la loi anti-gang du Canada. Elle a désigné le veston porté par les deux hommes comme l'arme dont ils se sont servis pour intimider leur victime, puisqu'ils n'avaient rien d'autre. Pas de fusil, rien. La seule image des Hells Angels leur a servi d'arme. Et c'est ça qui est si important avec le crime organisé: la capacité de susciter la terreur par une simple image.
Ce qui m'amène à mon second point, qui est indirectement lié au premier: comment peut-on lutter contre le crime organisé? Et je tiens à souligner ici toute la portée de l'adjectif « organisé » dans l'expression « crime organisé ». Tout le monde comprend qu'il s'agit de crimes, mais il faut surtout comprendre qu'il s'agit de crimes « organisés ». Or, c'est malheureusement un qualificatif qui ne s'applique pas souvent à la police. Je discutais avec Joe Comartin avant la séance, et je suis certain que vous connaissez déjà le coût déplorable des querelles internes qui sévissent dans les corps policiers d'un peu partout au pays. J'ai eu connaissance — et Michel et les autres pourraient vous donner d'autres exemples — de querelles énormes à la Sûreté du Québec, à la police de Montréal et à la GRC. À Vancouver, de nombreux dossiers ont fini par être relégués aux oubliettes à cause des dissensions et des guéguerres entre policiers.
Après avoir passé plusieurs années à couvrir ce secteur-là de l'actualité, j'en suis venu à la conclusion qu'il n'y a pas mille façons de lutter contre le crime organisé, il n'y en a qu'une seule, et elle se résume en deux mots: infiltration et renseignements. D'accord, il peut arriver qu'un membre Hells Angels oublie son revolver dans le porte-documents qu'il transporte avec lui à l'aéroport de Vancouver, mais il ne faut pas se fier à ce genre de coups de chance, car seules les accusations qui s'appuyaient sur des opérations d'infiltration et de renseignements ont tenu la route. Par « infiltration », j'entends autant les agents doubles que les espions, les dispositifs d'écoute, etc.
Mais encore faut-il les recueillir, ces renseignements. Et on peut seulement y parvenir si l'on se dote de forces offensives bien organisées ou si on peut compter sur des policiers spécialement formés. Et je ne parle pas de policiers de la brigade des homicides... Après tout, si on n'envoie pas la brigade des homicides répondre aux appels de violence conjugale, si on n'envoie pas les agentes spécialisées dans les cas de viol sur les lieux d'un cambriolage de banque, on ne peut pas demander à des policiers ordinaires de se frotter au crime organisé. Ça prend des escouades spécialisées.
Vous remarquerez que, là où ces escouades spécialisées sont présentes, que ce soit ici à Montréal, en Ontario, où il y a la Brigade provinciale spéciale, ou à Vancouver, où certaines unités du genre ont déjà vu le jour, les succès ne se font pas attendre. Mais à partir du moment où elles sont démantelées ou qu'elles ne réussissent pas à réunir tous les intervenants, les procès font chou blanc.
En plus de ces forces offensives spécialisées, qui sont absolument nécessaires, il faut également des procureurs spécialisés dans le crime organisé. Le Québec a donné l'exemple en la matière, et le gouvernement a accepté d'envoyer ses procureurs dans les autres provinces, où, même si on s'était finalement décidé à créer des escouades spécialisées et que ces dernières menaient des enquêtes efficaces, les pauvres procureurs — qui ne connaissaient rien à rien au crime organisé — découvraient un beau jour quelque chose comme 80 boîtes de dossiers laissées là par les enquêteurs des escouades spécialisées, comme le révélait récemment un article du Globe and Mail. C'est seulement dans les provinces qui ont créé des équipes de procureurs comprenant bien les rouages du crime organisé qu'on a pu obtenir des résultats intéressants. Il faut donc des escouades spécialisées de policiers et de procureurs.
La dernière chose dont je veux parler aujourd'hui est la justice, qui a parfois le bras bien long, mais bien faible. Prenons d'abord l'exemple de la loi contre le crime organisé, qu'on appelle « loi anti-gang ». Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu'elle a essuyé plusieurs défaites récemment devant les tribunaux, notamment en Colombie-Britannique. L'opération Pandora, qui reposait pourtant sur des enquêtes solides, n'a obtenu que des succès mitigés devant les tribunaux.
C'est indéniable que la loi anti-gang est aussi compliquée que difficile à appliquer. Je ne m'attarderai pas aujourd'hui aux réformes qu'on pourrait lui apporter. Nous pourrions peut-être en reparler plus tard, même si l'une des options actuellement envisagées par les corps policiers consiste à s'attaquer à des cibles plus simples. Nous verrons d'ailleurs ce qui arrivera au Québec, où, vous le savez sans doute, une centaine de Hells Angels viennent d'être mis en accusation. Selon moi, cela risque de vite devenir ingérable. N'y aurait-il pas moyen de viser des cibles plus simples?
L'argument que j'essaie de faire valoir à propos de la loi anti-gang rejoint celui de l'image. Oui, c'est important d'arrêter les méchants et de les envoyer en prison s'ils sont trouvés coupables, mais le seul fait de les mettre en accusation et de les traîner devant les tribunaux, même s'ils ne sont pas condamnés, mine leur image. Et je le répète, pour les membres du crime organisé, l'image, c'est tout.
Signalons d'abord que ce genre d'opérations les déstabilise au plus haut point. Pendant les deux ou trois ans que les Hells Angels ont passés devant les tribunaux de Vancouver à se débattre contre d'immenses poursuites, leurs activités ont décliné. Malheureusement, les gangs de rue ont pris leur place, mais il n'en demeure pas moins que les Hells Angels ont eu les mains liées pendant tout ce temps. Même chose au Québec en ce moment.
Ce que j'essaie de dire, c'est que, oui, il faudrait idéalement que les procès se traduisent par des condamnations, mais la simple mise en accusation des criminels réussit à ternir leur image. On dit au crime organisé: « Vous n'êtes pas invulnérables; nous pouvons vous faire mal. » Il ne faut jamais oublier la force de l'image. Car s'il y a une chose que les Hells Angels détestent par-dessus tout, c'est bien d'être accusés selon la loi anti-gang du Canada.
Et n'hésitons pas à faire preuve de créativité et à sortir des sentiers battus. Nous avons tous entendu parler des procès anti-gangs, mais nous aurions certainement avantage à nous inspirer de ce qui se fait ailleurs. La Saskatchewan s'est dotée d'une loi contre le port d'insignes, qui empêche les criminels de porter les couleurs de leur groupe dans les lieux publics, comme les restaurants. Et la Saskatchewan n'est pas la seule à s'être dotée de lois comme celle-là. D'accord, elle est actuellement contestée devant les tribunaux par les gangs eux-mêmes, mais c'est quand même un excellent moyen de tirer parti des lois provinciales et des règlements municipaux pour contrecarrer les activités des gangs.
Le Manitoba, entre autres, s'est doté de lois anti-repaires, qui empêchent les gens de transformer leur chalet ou leur maison en véritable forteresse. Vancouver a instauré un programme remarquable. Vous savez, il existe au Canada diverses lois contre l'intrusion dans les lieux privés, en vertu desquelles les propriétaires de bars et de restaurants s'engagent d'avance auprès de la police à ne pas tolérer la présence de membres connus du crime organisé dans leur établissement. Certains vont même jusqu'à prendre en note le nom des gangs et des individus qui se présentent dans leur commerce. Et si la police fait irruption et qu'elle voit un membre des Hells Angels ou d'un autre gang, elle peut lui demander de quitter les lieux. Et il n'aura même pas le choix, parce qu'il se trouve dans un lieu privé et que la loi l'interdit.
En fait, un des membres d'un gang québécois s'est fait arrêter parce qu'il sirotait tranquillement sa bière dans un bar, comme s'il était à Montréal. Un policier est entré et lui a demandé de s'en aller. L'autre lui a demandé de s'expliquer, et le policier lui a répondu que la ville où il se trouvait avait une loi contre l'intrusion dans les lieux privés. Le membres des Hells Angels ne l'a pas cru, parce que ce genre de loi n'existe pas à Montréal, et il s'est fait arrêter.
Mais ça existe bel et bien à Vancouver, et les Hells Angels ne peuvent pas se regrouper au centre-ville pour faire la fête. C'est tout simple, comme loi, ça ne bouscule rien, mais ça marche! Sortons des sentiers battus.
Finalement, je dis: faisons appel au courage des gens ordinaires. J'ai moi-même eu l'honneur de rencontrer des gens extraordinairement braves.
Nous avons tous entendu parler de Danny Desrochers, ce jeune de 11 ans qui s'est fait tuer. La détermination et le franc parler de sa mère, qui est malheureusement décédée depuis les événements, ont contribué à l'adoption des lois anti-gangs que nous avons aujourd'hui. J'ai rencontré un chauffeur d'autobus, à Québec, qui vivaient littéralement aux portes de l'enfer, car il s'est réveillé un bon matin et a constaté que les Hells Angels avait établi leur repaire tout près de sa maison de Saint-Nicolas, à un jet de pierre de Québec. Il a regroupé les voisins du quartier et organisé des manifestations pour dénoncer la présence des motards, qui ont fini par plier bagage.
Je résumerais mes conclusions ainsi: lutter contre le crime organisé, c'est comme se battre contre les mauvaises herbes, peu importe les efforts qu'on y met, elles finissent toujours par repousser. Et rien ne sert de paver tout le jardin; mieux vaut continuer d'arracher les mauvaises herbes, encore et encore. Il faut envoyer un message aux gens et faire comprendre aux membres du crime organisé qu'on ne veut pas d'eux dans notre voisinage. Et qu'il existe de nombreuses façons de se battre.
Je vous remercie.
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Il s'agissait de 320 personnes au total, dont une quinzaine de Hells Angels. Ça a pris 15 ans. Au printemps, on a continué les enquêtes policières et on a accusé tous les membres des Hells Angels du Québec, sauf deux. Ces deux-là n'avaient pas été accusés parce qu'à l'époque de cette guerre de motards, ils étaient parmi ceux que les adversaires des Hells Angels voulaient tuer. Ils étaient donc des victimes éventuelles. Quand la guerre des motards s'est terminée, en 2000, les ennemis d'hier sont devenus membres des Hells Angels. La guerre s'est terminée de cette façon.
Aujourd'hui, si on veut mettre plus de monde en prison, on s'aperçoit qu'un plus grand nombre de contrats risque d'être confié à la mafia. Récemment, on a pu constater, dans le cadre de tous les débats au Québec, que les contrats publics faisaient l'objet de beaucoup de collusion et de corruption. Ce monde est difficile à atteindre parce qu'il s'agit d'un petit groupe d'individus qui travaillent entre eux et se livrent à des complots. Ils ne sont vraiment pas nombreux, et peu de policiers connaissent la situation. En voulant construire de nouvelles prisons et y mettre plus de monde, on risque d'aider le crime organisé à faire encore plus de profits plutôt que de lui nuire.
L'opération Colisée illustre bien la difficulté de mener des enquêtes policières efficaces. Cette enquête qui portait sur la mafia de Montréal a été menée par la GRC pendant plusieurs années. On a investi environ 55 millions de dollars dans l'enquête principale et les enquêtes préalables. On a accusé bien des individus en vertu des mesures antigang du Code criminel, mais le chef de la mafia est sorti de prison deux jours après avoir été condamné. Il était censé être à l'article de la mort, mais il est sorti de la prison en trottinant. Les autres ont tous été condamnés à des peines relativement mineures. On a saisi un peu d'argent. Les dispositions antigang du Code criminel ont été utilisées par les avocats des criminels pour négocier des sentences et éviter notamment la saisie d'immeubles, de résidences. En fin de compte, l'impact global qu'a eu cette enquête de 55 millions de dollars sur le crime organisé a été minime.
On a dit — c'était en 2003, je crois — que la mafia avait été décapitée par la GRC. Or le trafic de drogue n'a pas diminué. Au printemps dernier, les Hells Angels ont été mis en prison, mais 24 d'entre eux sont toujours au large. Le prix de la drogue n'a pas augmenté à Montréal, au Québec en général, et même à l'intérieur du Canada. Les criminels vont sortir de prison après avoir purgé un sixième de leur peine. On pense qu'il s'agit d'un crime qui n'est pas grave. Les gens des libérations conditionnelles permettent qu'un criminel condamné pour trafic de drogue soit libéré après avoir purgé un sixième de sa peine. Bref, il n'y a pas d'aspect dissuasif sur le plan criminel.
Aux États-Unis, les procès sont beaucoup plus rapides, les sentences beaucoup plus efficaces, et dès qu'un groupe est visé par une enquête, que la police fait des arrestations, les criminels se précipitent pour devenir délateurs afin de régler leur sentence le plus rapidement possible. On l'a vu. C'est arrivé dans le cas de notre fameux éditeur de Toronto, Conrad Black. On a réglé le dossier grâce à un délateur, un collaborateur de Black qui s'est mis à table. C'est de cette façon que les Américains fonctionnent et ils y mettent beaucoup d'efforts. Pour ce qui est des structures américaines, la loi RICO est en vigueur depuis 1968 et fonctionne régulièrement. Les procès sont beaucoup plus courts.
Au Canada, le citoyen ordinaire n'a malheureusement pas souvent l'occasion de faire appel aux tribunaux parce que ça coûte une fortune. Les criminels, eux, ont des avocats qu'ils paient grassement, en argent comptant.
L'opération Colisée, par exemple, a duré cinq ou six ans, incluant les préparatifs. Parce que la structure policière de la GRC est centralisée, il y a eu cinq ou six commandants. Ce sont des bureaucrates d'Ottawa qui décident de la façon de fonctionner. Les décisions ne sont pas toujours mauvaises, mais ces personnes sont très loin de la rue et des enquêtes. De plus, la structure policière de la GRC fait qu'un policier doit être généraliste, c'est-à-dire bon dans tous les domaines, pour gravir les échelons.
Au contraire, dans la lutte contre le crime organisé, c'est un travail de longue haleine qui permet de comprendre le fonctionnement de structures dont font partie, par exemple, des criminels d'origine sicilienne qui vivaient dans des milieux agricoles, dans des villages, et qui ont réussi à importer ce type de structure à Montréal. Certains s'impliquent très efficacement dans le trafic de drogue, d'autres dans les hautes sphères de la construction, d'autres dans le financement des partis politiques.
On a donc finalement une structure du crime organisé qui est très intégrée et très efficace. De plus, malheureusement, on s'attaque à des situations qui sont susceptibles de plaire au public, sans toutefois s'attaquer nécessairement de façon efficace au crime organisé.
Je vais répondre aux questions plus tard. J'en ajouterai d'autres tout à l'heure.
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Bonjour. Cela va se faire en français également.
Merci de votre invitation.
Je suis un policier de la GRC à la retraite depuis 2006. Durant les 15 dernières années que j'ai passées avec la GRC, j'étais assigné au Service canadien de renseignements criminels comme coordonnateur des questions liées aux bandes de motards criminels. Aujourd'hui, on pourrait utiliser le terme « à la bande des Hells Angels » puisque ceux-ci ont éliminé toute compétition. Mon but était de faciliter et de promouvoir l'échange de renseignements entre les agences d'application de la loi à l'échelle nationale et internationale. Ici, je ne parle pas seulement des corps policiers, mais également des services correctionnels, des services d'immigration, des services douaniers à l'époque, et ainsi de suite.
Au début des années 1990, on a assisté à la transformation d'une petite entreprise criminelle en une multinationale du crime organisé qui, comme la mafia aujourd'hui, a pris le contrôle de certains secteurs de la construction en se servant des mêmes méthodes que pour leur trafic de stupéfiants: l'intimidation, la violence — je pense qu'André Noël en parlera. À cette époque, la coopération et la coordination étaient minimes entre les corps policiers. Au début de la guerre des motards, une stratégie nationale a été mise en place, et l'escouade Carcajou a été créée à cette occasion. Cette stratégie nationale est toujours vivante et fonctionne bien.
Voyons quelques détails à propos de son fonctionnement. Elle donne accès maintenant aux banques de données aux escouades spécialisées dans la lutte contre les motards; elle permet des échanges tactiques et stratégiques sur une base continue entre les différents intervenants; elle permet la sensibilisation et la formation continue des membres des agences d'application de la loi sur l'importance d'arrimer nos efforts, par l'intermédiaire de documents, de pamphlets, de vidéos et ainsi de suite; elle permet la formation de témoins experts.
En 1992, la Loi sur l'immigration a été modifiée. Il a été décidé qu'à l'avenir, tout membre de bande du crime organisé venant de l'extérieur du pays n'aurait pas accès au pays. À l'époque, on avait fait une présentation et on avait demandé pourquoi les Hells Angels ne faisaient pas partie de cette liste. Finalement, on a convaincu les autorités qu'ils devaient en faire partie. À ce jour, aucun Hells Angels étranger, ou même aucun Bandidos ou Outlaws ne peut entrer au Canada, avec ou sans dossier criminel. Ils sont bannis.
Il y a également le LAW Group, le Legal Advisor War Group, auquel se sont joints, à l'époque, les procureurs de partout au pays chargés des dossiers des Hells Angels. Me France Charbonneau en était une des leaders, à l'époque. Les membres s'échangeaient des conseils, les procureurs étant vraiment hésitants à s'occuper de dossiers de Hells Angels, à la suite d'intimidations, etc.
Je pense donc que cette portion du travail policier se porte bien à l'heure actuelle.
Mon autre point porte sur le non-sens dans le fait de permettre aux membres d'une organisation criminelle se promener dans les rues du Canada avec leur carte d'affaire affichée dans le dos. Cette façon de faire a trois avantages pour eux. Cela contribue premièrement à maintenir le niveau d'intimidation, deuxièmement à maintenir le niveau de terreur et troisièmement, de façon encore plus importante, à s'assurer la confiance absolue des autres criminels — à 100 p. 100 —, ce qui facilite leurs activités criminelles, comme dans le domaine de la construction présentement. Depuis 1986 à Hambourg, en Allemagne, il est défendu d'afficher le logo ou le nom des Hells Angels en public sous peine d'emprisonnement.
On sait que le gouvernement pourrait, par simple décret gouvernemental, décider qu'un groupe est une organisation terroriste, et saisir tous leurs biens. Pourquoi alors ne le fait-on pas avec les Hells Angels? Cela semble tellement complexe! Certains se cachent derrière la Charte canadienne des droits et libertés, comme en 1995, lorsque la première loi antigang fut votée, en brandissant le spectre de l'inconstitutionnalité de la loi. Pourtant, cette loi se porte très bien.
Je pense que pour les citoyens canadiens, les Hells Angels sont une plus grande menace, à long terme, qu'Al-Qaïda ou les Tigres tamouls, avec leurs 200 morts, leurs 20 personnes innocentes tuées, leurs gardiens de prison tués et leur implication massive dans le trafic des stupéfiants, que ce soit par l'intermédiaire des laboratoires clandestins, de la culture hydroponique ou de l'importation de cocaïne.
Une autre option serait de faire une déclaration judiciaire en prouvant que l'organisation est essentiellement vouée au crime. Depuis 2005 en Ontario, les policiers ont présenté cette preuve à quatre ou cinq reprises à la cour, et toutes les fois, elle a été acceptée. En 2005, lorsqu'une telle situation s'est présentée pour la première fois et que la juge Fuerst a décidé que les Hells Angels représentaient une organisation criminelle, ces derniers en ont appelé devant la Cour d'appel.
En juin dernier, la Cour d'appel a écrit que la décision de la juge Fuerst était impeccable. Les Hells Angels ont décidé d'en appeler à la Cour suprême. S'ils perdent en Cour suprême, va-t-on finalement les bannir, ou va-t-on continuer à leur permettre de se promener avec leurs cartes d'affaires?
Il y a deux choses qui permettent de mieux contrôler le crime organisé. D'abord, lorsque quelqu'un est trouvé coupable de gangstérisme, pourquoi lui faire purger seulement 50 p. 100 de sa peine? Pourquoi se garder une petite gêne? Pourquoi le libérer également aux deux tiers de sa peine? Est-ce dans le but d'une fameuse réinsertion sociale? C'est utopique. Dans ce monde-là, ça n'existe pas. D'après mon expérience de 15 ans et ma connaissance des Hells Angels, je ne peux me souvenir du nom d'un seul Hells Angels qui soit devenu un honnête citoyen après son passage en prison.
Quand on parle de coup de massue, la deuxième chose la plus importante est évidemment l'argent. C'est vrai que certaines lois n'ont jamais été testées en cour et ont toujours mené à des résultats mitigés. Je pense que Michel en a parlé. Les mafiosi sortent de prison avec beaucoup d'argent dans leurs poches, ce qui leur permet de financer les plus petits. Si leurs poches étaient vides, ils seraient beaucoup plus vulnérables et auraient de la difficulté à reprendre leur place dans le milieu.
Actuellement, une enquête permet d'établir les profits et au fisc d'émettre des avis de cotisation à ces criminels. Il y a toujours des deals qui sont conclus, et les criminels paient sans problèmes et à rabais, continuellement, que ce soit avec une enveloppe pleine d'argent ou avec des chèques personnels.
On parle de gangstérisme, et voici ma suggestion. Pourquoi ne pas obliger ces individus à remettre à l'État la totalité leurs profits, qui peuvent avoir été évalués, par exemple, à 10 millions de dollars pendant les quatre années d'une enquête? S'ils refusaient de le faire, ils demeureraient en prison jusqu'à ce que l'amende soit payée et ils ne pourraient pas faire faillite. Si leur peine était purgée, mais qu'ils devaient encore de l'argent, ils demeureraient en prison.
On dit vouloir avoir un impact sur la relève et la décourager; je pense que c'est ce qu'il y a de plus important à faire. Tant les gangs de rue que les autres groupes attendent de connaître la sentence et le nombre de biens saisis pour savoir si cela vaut la peine qu'ils s'impliquent.
Je pense que la clé du succès repose entre vos mains. Vous pouvez donner des conseils aux politiciens et aux gens de Justice Canada, qui vont décider comment changer les lois. C'est ce qu'il y a de plus important à faire.
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Merci beaucoup. Je dirais qu'un regroupement de journalistes et de policiers bien connus est plus attirant que des sociologues ou des criminologues.
Au nom du centre, je tiens d'abord à vous remercier chaleureusement de votre invitation.
Je vais vous expliquer brièvement qui nous sommes. De cette fenêtre, vous pouvez voir nos bureaux, qui sont situés au huitième étage de l'ancien édifice du Canadien Pacifique. Nous sommes une organisation internationale non gouvernementale, une ONG, qui a été fondée il y a 15 ans par les gouvernements du Canada, du Québec et de la France. Au fil des années, le nombre de nos gouvernements membres est monté à 11; ils incluent l'Australie, l'Afrique du Sud, l'État mexicain du Querétaro, le Salvador, et nous négocions actuellement avec le Brésil. Nous sommes donc formés d'une gamme de gouvernements de partout dans le monde.
De plus, notre conseil est formé d'un réseau d'organismes qui s'intéressent particulièrement à la sécurité des collectivités et à la criminalité, ainsi qu'à la sécurité publique partout dans le monde. Il inclut des associations de villes, comme la Fédération canadienne des municipalités et la Commission des maires des États-Unis. Il compte aussi des associations et des organismes qui travaillent précisément les questions de prévention sur le terrain, comme le Conseil national de la prévention du crime à Washington, Crime Concern en Grande-Bretagne et d'autres organismes du genre.
Notre vaste réseau s'étend sur de nombreuses régions: l'Amérique latine et les Caraïbes, l'Amérique du Nord, l'Europe, l'Australie, et beaucoup de coins de l'Afrique. Toutefois, nous avons un peu moins de ressources en Extrême-Orient et dans les pays arabes; ce sont des défis que nous espérons surmonter.
Le rôle du CIPC est de promouvoir la notion que dans toute société, la prévention est tout aussi importante qu'un bon maintien de l'ordre et que des lois efficaces. Dans un sens, il est fondé sur l'examen du rôle que les maires de France ont joué avec succès dans les questions d'émeutes et d'agitation qui survenaient dans les villes. Dans les années 1980, Gil Bonnemaison dirigeait un comité de maires qui a géré avec énormément de succès les difficultés causées par la chaleur estivale dans les villes de France, chaleur qui n'a pas le même effet sur les jeunes que sur les plus vieux qui peuvent s'asseoir dans les cafés.
La façon de faire est de travailler à l'horizontale — en Grande-Bretagne, on parle d'un « gouvernement décloisonné » —, avec tout le monde: non seulement la police, mais aussi les secteurs de l'environnement, du logement, de la santé, de l'éducation, de la jeunesse et des services sociaux. Je pense que nombre de pays ont été inspirés par le succès du modèle créé en France, de la Nouvelle-Zélande à l'Afrique du Sud, en passant par bien d'autres.
Depuis les années 1980, on a vraiment acquis, à l'échelle internationale, une compréhension de l'importance de travailler à l'horizontale, de manière transversale plutôt qu'en vase clos, sur le plan du maintien de l'ordre et de la sécurité. C'est ce qu'on appelle là-bas le développement social.
Le CIPC a pour mission de tenter d'établir un équilibre entre la façon dont nous dépensons notre argent, la façon dont nous comprenons les difficultés et la façon dont nous travaillons sur le terrain. Je peux revenir sur ce point, mais selon notre compréhension de ce qui se passe dans le monde — et nos connaissances sont fondées sur des renseignements puisés d'un très grand nombre de pays sur une période de plus de 15 ans pour notre organisme, mais peut-être de 20 ou 25 ans de recherche sur la criminalité autour du monde —, s'il y a de la collaboration entre les paliers national, étatique, provincial et municipal, et si on travaille à améliorer la prévention et à l'équilibrer avec un bon maintien de l'ordre et des lois efficaces, il est beaucoup plus probable qu'on réussisse à s'occuper de certaines causes fondamentales.
Maintenant, je vais vous parler des raisons pour lesquelles la question du crime organisé est extrêmement importante pour nous. Je suis désolée si vous pensez que nous sommes experts en crime organisé, car nous ne le sommes pas.
Ce que nous examinons, c'est la criminalité de tous les jours, la criminalité qui touche les personnes dans la rue et qui inclut les répercussions du crime organisé, que ce soit à Surrey, à Montréal ou n'importe où ailleurs au Canada. Nous nous intéressons donc à ce que nous pouvons faire à l'échelle municipale, à l'échelle de la ville, pour créer des collectivités plus sécuritaires et pour prévenir les difficultés causées par les gangs de jeunes et les gangs de rue.
Le problème, c'est qu'on a tendance à parler du crime organisé et des forces spécialisées. Aujourd'hui, j'ai entendu Julian Sher dire que cette façon de faire est importante. Selon nombre d'autres personnes, c'est extrêmement important que nous adoptions une démarche équilibrée et que nous travaillions sur tous les fronts.
J'aimerais vous donner aujourd'hui des exemples de projets qui ont été réalisés dans d'autres pays. Je suis désolée si d'autres témoins vous en ont déjà parlé; toutefois, j'espère que l'accumulation de renseignements mènera à une connaissance assez vaste du sujet pour faire en sorte que nous parlions tous de la même chose.
C'est extrêmement difficile de définir le crime organisé. Nous n'avons pas trop de difficulté à dire qui fait partie des Hells Angels, mais dans le cas des gangs de rue, ce n'est pas toujours facile de faire la différence entre celles qui sont organisées et celles qui ne le sont pas.
En ce moment, il y a beaucoup d'activité dans le secteur du trafic d'oeuvres d'art et d'antiquités. J'ai participé récemment à une conférence qui portait sur ce sujet. Ce monde est à la fois légitime et illégitime; il passe d'un côté à l'autre de nombreuses façons. On ne peut pas déclarer que le vol d'oeuvres d'art et d'antiquités relève du crime organisé, car il est souvent question de personnes qui font des choses qui sont légales, mais un peu louches; elles en sont parfois conscientes, et parfois, non. Il y a beaucoup de choses qui se passent dans ce domaine, notamment le blanchiment d'argent.
Le crime organisé est très attrayant. C'est facile de penser qu'on peut prendre des mesures sévères pour le prévenir, mais c'est très difficile de le cerner. À cet égard, j'ai trouvé intéressant le témoignage au sujet de l'avenir des profits. C'est important que nous n'oublions jamais à quel point c'est difficile de définir de qui nous parlons. Si nous oeuvrons dans une seule direction, nous appréhenderons des gens qui ne devraient pas être impliqués.
Il existe maintenant des normes internationales. Il y a des conventions et des protocoles transnationaux sur le crime organisé, mais il y a aussi des lignes directrices sur la prévention de la criminalité. L'ECOSOC a adopté deux ensembles de lignes directrices, dont le plus récent date de 2002. Ces lignes directrices conseillent vivement aux gouvernements nationaux, régionaux et municipaux de se pencher sur le crime organisé et sur les liens qui existent entre lui et le crime de rue ordinaire. C'est là que nous pouvons commencer à changer les choses sur le plan de la prévention.
Les normes de 2002 en matière de prévention de la criminalité recommandent aux gouvernements d'agir dans ce domaine, et elles présentent certaines mesures qu'on peut prendre sur le plan de la législation, de la réglementation, de l'éducation du public, du blanchiment d'argent, des attitudes envers la traite de personnes et d'autres questions dont vous avez parlées.
Un changement radical se produit actuellement à l'échelle internationale. Le Rapport mondial sur les drogues de l'ONU publié par l'ONUDC en avril 2009 est intéressant, car c'est le premier rapport mondial sur les drogues qui conseille vivement aux gouvernements de se pencher sur la prévention plutôt que sur des lois plus sévères. C'est aussi le premier rapport qui parle de combiner la prévention, le traitement et la répression. En outre, la bonne nouvelle que contient le Rapport mondial sur les drogues, c'est que l'usage des produits opiacés, de la cocaïne et du cannabis a diminué dans les grands marchés du monde, et que de nombreuses saisies de drogues ont été effectuées avec succès partout dans le monde.
Ainsi, dans l'optique de l'ONUDC et du Rapport mondial sur les drogues, il y avait en fait de bonnes nouvelles dans le monde de la drogue, et on accorde maintenant de l'attention à l'importance d'envisager la demande beaucoup plus sérieusement du point de vue de la prévention et du traitement.
Une autre chose que je trouve très intéressante, c'est une série de rapports publiés encore une fois à Vienne par l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, et plus précisément par la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale. Dans le cadre de ces rapports, on a examiné les liens entre le crime et le développement, le crime et la violence, le crime et les armes à feu. On a aussi examiné différents endroits — l'Afrique, les Caraïbes, l'Amérique centrale. Je crois que les rapports sont publiés depuis 2004, 2005 et 2006.
Il s'agit de rapports régionaux très intéressants qui étudient les liens entre la sécurité et le crime organisé, les répercussions internationales sur les pays et ce qui se passe à l'intérieur des pays, ainsi que le besoin d'accorder beaucoup plus d'attention à la sûreté et à la sécurité avant que nous puissions faire les moindres progrès, que ce soit sur le plan de la pauvreté ou simplement sur le plan du développement économique général d'un pays.
Ainsi, je le répète, un changement s'opère qui pousse à examiner la prévention sur une échelle plutôt vaste. Cela n'a pas à avoir un sens très flou ou très mal défini, car il existe des exemples très précis.
Je pense qu'on peut aussi constater que certains pays de l'Amérique centrale — le Salvador et le Nicaragua, par exemple — ont recours, sans succès, au principe de mano dura, à des réactions très sévères aux problèmes très graves de pandillas, de maras, de violence liée aux gangs et de crime organisé qui sévissent dans ces pays. Les gouvernements ont reconnu eux-mêmes — et la Banque mondiale, la Banque interaméricaine de développement, l'ONUDC, l'Organisation mondiale de la Santé et d'autres sont aussi d'accord — que ces façons de faire sont improductives; les établissements et les prisons se remplissent de personnes couvertes de tatouages qui sont liées aux gangs et qui ne seront pas vraiment transformées par l'expérience d'être emprisonnées.
Ils commencent à examiner ce qui pousse initialement les gens à entrer dans les gangs et ce qu'ils peuvent faire pour commencer à empêcher les enfants de s'impliquer dans des activités liées aux gangs. Le Washington Office on Latin America et d'autres organismes ont publié des rapports très intéressants au sujet de projets communautaires axés précisément sur les jeunes hommes qui sont déjà membres de gangs, les jeunes hommes qui présentent des risques élevés de s'impliquer ou de plonger plus profondément dans la violence organisée à main armée, et sur les façons de leur donner un mode de vie différent.
J'ai tendance à être une personne optimiste, malgré tout ce qui se passe chaque jour. Je pense qu'un certain nombre de changements se sont produits dans la compréhension de la façon dont nous travaillons à l'échelle internationale et de notre manière de travailler. La méthode employée par le CIPC, les moyens de prévention de la criminalité que nous étudions, tout cela est davantage une méthodologie qu'une façon de dire aux gens quoi faire. C'est une question de travailler avec des gens de tous les secteurs, une question de faire appel aux capacités de leadership des maires et du gouvernement, une question d'adopter une démarche équilibrée qui touche un grand nombre de domaines.
J'aimerais vous donner juste quelques exemples de succès spectaculaires, puisque nous parlons du crime organisé; en 1991, le taux d'homicides de la ville de Medellín était de 381 pour 100 000 personnes. C'était le taux le plus élevé au monde, et il était dû en grande partie aux pandillas, aux guérillas et aux groupes armés de la ville de Medellín. Essentiellement, la ville avait perdu le contrôle de son district. Toutefois, le taux d'homicides est passé de 381 pour 100 000 en 1991, à 29 pour 100 000 en 2007. C'est une réduction tout à fait extraordinaire, et elle s'est faite petit à petit entre 1991 et 2007.
La ville de Bogotá est un autre exemple remarquable; elle était moins touchée par le crime organisé et les gangs, mais davantage par la croissance de la ville, qui n'était pas contrôlée, et par beaucoup de pauvreté. De plus, les conditions étaient toutes là pour que les jeunes enfants s'impliquent dans les gangs, même si elles n'étaient pas menées par le crime organisé. En 1993, le taux annuel de la ville de Bogotá était de 80 homicides pour 100 000 personnes; ce taux a été réduit à 19 pour 100 000 personnes en 2007, ce qui est très bas.
Ce sont deux exemples extraordinaires. Et Cali est une autre ville colombienne qui a fait la même chose.
Bien que le taux soit toujours très élevé en Colombie, et que le taux d'homicides à Medellín soit classé très haut à l'échelle internationale, ce qui ressort très clairement de ces exemples en Colombie, c'est qu'ils sont le résultat des efforts concertés qu'ont déployés ces villes, avec l'appui d'organismes internationaux, évidemment, et du financement. En appliquant cette approche uniforme — et parfois une approche à l'égard de la santé publique, si vous voulez —, ils ont dit que tout type de violence est une question de santé publique, et qu'ils doivent intervenir par tous les moyens possibles. Il s'agit de déterminer une série d'approches qui allient une attention sérieuse aux groupes à haut risque et du travail vraiment sérieux dans les secteurs ciblés où se trouvent les pires problèmes. Il s'agit aussi de travailler sur le terrain avec les jeunes, de faire participer la collectivité sur le terrain et de collaborer avec les leaders religieux et toute autre personne qui impose toujours le respect, et de consacrer du financement à ces secteurs en appuyant les projets éducatifs, la formation chez les jeunes et bien d'autres activités de ce genre.
C'est cet amalgame d'approches qui a fonctionné dans ces villes. Si elles peuvent le faire, elles ont, à mon avis, énormément de leçons à nous apprendre. S'il y a une chose que le CIPC et le mouvement qui étudie l'importance de la prévention ont montré, c'est que nous pouvons apprendre énormément de choses des villes et des pays du Sud, qui ont des problèmes beaucoup plus graves que les nôtres.
Je sais que mon temps est presque écoulé, mais j'aimerais seulement mentionner que beaucoup plus près de nous, dans la région de Chicago, on a fait appel à des types merveilleux appelés interrupteurs de violence —d'anciens membres de gangs et d'anciens prisonniers —qui s'efforcent de mettre fin aux conflits et aux fusillades de représailles, et qui ont réduit considérablement le nombre d'homicides liés aux armes et aux gangs à Chicago, c'est-à-dire entre 25 et 75 % dans les divers secteurs de Chicago sur une période donnée. L'on privilégie cette même approche à Boston et à Baltimore, ainsi que dans environ 11 villes aux États-Unis. Il est fort possible que vous soyez au courant de cette approche. Je crois que David Kennedy vous en a peut-être déjà parlé. Je n'en suis pas certaine.
Il existe beaucoup d'autres exemples, au Brésil, et au Royaume-Uni, à Bradford, où l'on a choisi de former un réseau sur le terrain avec des leaders musulmans. Cette approche particulière a été très efficace pour prévenir des émeutes dans la ville de Bradford après un incident. Je crois que c'était après la fusillade et la tuerie qui ont découlé des attentats terroristes de Londres, alors cette approche a réellement prévenu d'autres incidents.
Ce sont tous des exemples, et je pourrais vous en donner un certain nombre d'autres, qui montrent l'importance de mettre en place une gamme d'approches ciblant les secteurs et les groupes les plus à risque, et de vraiment investir dans des installations, des activités éducatives et récréatives et de nombreuses autres options que pourront choisir les jeunes au lieu de se tourner vers les gangs.
Merci.