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Merci, monsieur le président, et merci à vous, membres du comité. C'est avec plaisir que je me joins de nouveau à vous.
Je dirige l'équipe responsable du crime organisé à la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice. Comme vous le savez, cette section est chargée de la modification du Code criminel. Je suis accompagné de Paula Clarke, avocate à la section et membre de l'équipe responsable du crime organisé.
Le ministère de la Justice s'est penché sur le problème de la charge de présentation inhérente à la preuve d'une infraction d’organisation criminelle dès le début de l'élaboration des dispositions sur les organisations criminelles, qui se trouvent maintenant principalement aux articles 467.1 à 467.13 du Code criminel, ainsi que dans d'autres parties de celui-ci. C'était en 2000.
C'est une question très complexe. Nous surveillons de façon continue l'application des dispositions sur les organisations criminelles, consultons des procureurs pour savoir si les dispositions sont utiles et étudions avec les autorités provinciales et territoriales les nouveaux problèmes engendrés par le crime organisé, ainsi que les options législatives ou autres pour y faire face.
Plus récemment, nous avons envisagé de régler une des charges de présentation en dressant une liste des organisations criminelles pour les infractions et les autres dispositions du code qui exigent de faire la preuve de l'existence d'une telle organisation. C'est une des idées proposées aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice par le ministre du Manitoba à la fin de 2006. D'autres idées ont été intégrées au projet de loi , que le comité a étudié tout récemment.
Le groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur le crime organisé est un comité de coordination des hauts fonctionnaires (CCHF) dans le domaine de la justice pénale. Au cours de la dernière année, il a examiné cette option, ainsi que d'autres, très attentivement. Nous n'avons pas encore terminé nos discussions, mais des avantages et des inconvénients émergent déjà. Je sais que vous avez entendu parler des avantages probables. Je m'attarderai donc plutôt à certaines préoccupations touchant la viabilité et l'utilité d'une telle méthode.
Cela dit, nous continuons à étudier la question, c'est pourquoi je présenterai brièvement certains aspects que nous avons examinés et certaines options que nous avons envisagées. Les discussions du groupe de travail sur le crime organisé du CCHF s'inscrivent également dans le cadre d'un examen plus approfondi effectué par le ministère de la Justice. Nous parlerons de nos consultations auprès des procureurs affectés aux procès mettant en cause le crime organisé.
Comme vous l'a mentionné M. Randall Richmond, procureur québécois de renom, pendant votre examen du projet de loi , les poursuites visant le crime organisé présentent des défis. Un d'entre eux est le temps que peut mettre la poursuite à établir l'existence d'une organisation criminelle. Il est vrai que dans certains cas, il a fallu beaucoup de temps pour prouver ce fait hors de tout doute raisonnable. Les difficultés rencontrées et la durée de l'exposé ont varié en fonction de certains facteurs comme la taille et la complexité de l'organisation criminelle en cause.
Le procureur doit prouver ce fait dans tous les cas, puisqu'il s'agit d'un élément matériel de l'infraction d’organisation criminelle, même si la question a été traitée dans d'autres affaires où était mise en cause la même organisation criminelle. Et même alors, le degré de difficulté de la charge de présentation varie. Même lorsque des groupes comme les Hells Angels sont impliqués, la charge peut varier selon que la couronne affirme que l'organisation criminelle concernée est Hells Angels International, comme dans le cas du procès long et complexe de MM. Lindsay et Bonner en Ontario, un chapitre local, un club affilié ou un groupe de personnes associées.
Nous avons discuté de la question de la charge de présentation avec de nombreux procureurs pour obtenir leur avis. Je dirais que la plupart d'entre eux ont exprimé des doutes sur l'utilité d'une liste. Parmi ces procureurs, on trouve ceux du groupe de travail sur le crime organisé du CCHF, qui possèdent une solide expérience en la matière, notamment des défis posés par la preuve des infractions d'organisation criminelle. On compte également parmi eux des procureurs consultés au forum des procureurs tenu par le ministère à Ottawa, en décembre 2007, pour discuter des dispositions sur le crime organisé. L'établissement d'une liste des organisations criminelles a été abordé à cette occasion.
Les procureurs présents possédaient une vaste expérience des poursuites judiciaires contre les organisations criminelles, et la question de la charge relativement à la preuve de l'existence d'une telle organisation sous toutes ses formes a été débattue en profondeur. Tous s'entendaient pour dire qu'une étude approfondie était nécessaire. Le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF poursuit donc cette étude. Les procureurs ont relevé un certain nombre de problèmes potentiels et étaient peu convaincus, dans l'ensemble, que la méthode serait bénéfique.
Ils avaient des messages importants à nous transmettre. D'abord, les dispositions sur les organisations criminelles sont relativement récentes. Elles ne sont mises en application que depuis le début de 2002. Les procureurs étaient préoccupés par le fait que d'autres problèmes pourraient se poser si l'on changeait les règles du jeu de façon importante à ce moment-ci, puisqu'on accumule encore actuellement de l'expérience relativement à ces dispositions.
Ensuite, selon eux, il n'y a tout simplement pas de façon simple de traiter la charge de présentation inhérente à une poursuite contre le crime organisé. Quant à l'éventuelle liste, ils étaient d'avis qu'une telle méthode, voire toute méthode visant à traiter la charge à l'extérieur de la salle d'audience où l'affaire est entendue, produirait toutes sortes de nouveaux arguments et des contestations fondées sur la Charte. En fin de compte, même si la méthode résistait aux contestations, elle ne rendrait pas nécessairement les poursuites plus faciles.
Enfin, et voilà la bonne nouvelle, les procureurs estimaient que d'importants progrès avaient été réalisés, et que les poursuites deviendraient plus faciles et plus efficaces à mesure qu'on gagnerait en expérience. Selon eux, tenter de mettre en oeuvre une toute nouvelle méthode relativement à la charge de présentation, en particulier si elle comporte un processus de désignation par le gouvernement à l'extérieur de la salle d'audience, pourrait bien freiner les progrès.
Un processus de désignation des organisations criminelles par le gouvernement susciterait diverses contestations. En premier lieu, l'établissement d'une liste des organisations criminelles entraînerait inévitablement un examen très minutieux fondé de la Charte. Bien qu'un tel processus existe pour la désignation des groupes terroristes, il est plutôt récent et n'a pas encore été évalué dans le cadre d'une contestation. Prouver un élément matériel d'une infraction criminelle en s'appuyant sur un processus de désignation par le gouvernement soulève des questions sur certains des principes fondamentaux concernant la preuve dans une affaire criminelle. Si nous sommes d'avis que le processus d'établissement d'une liste des groupes terroristes devrait résister à une contestation devant les tribunaux, nous croyons qu'il vaut mieux attendre le résultat avant d'envisager d'instaurer un processus semblable pour les organisations criminelles.
En deuxième lieu, si les infractions d'organisations criminelles sont des affaires criminelles graves, elles sont néanmoins différentes des cas de terrorisme, qui comportent une dimension relative à la sécurité nationale en plus de la dimension criminelle. Les contestations liées à l'application d'un tel processus à d'autres cas que les affaires terroristes pourraient être encore plus importantes.
En troisième lieu, la démonstration que l'organisation criminelle visée dans un cas en particulier est la même que celle apparaissant sur la liste établie par le gouvernement poserait certaines difficultés, même dans les cas où un groupe relativement bien structuré comme les Hells Angels serait mis en cause. Si vous tentiez d'appliquer ce processus à une organisation beaucoup moins structurée, comme un gang de rue, l'affirmation selon laquelle le groupe précis dont serait membre l'accusé fait partie du groupe désigné pourrait toujours être contestée par la défense. Les groupes moins stables, en particulier les gangs de rue mais aussi toutes sortes d'organisations criminelles, ont des structures, des caractéristiques et des principes organisationnels très différents les uns des autres. Les contestations seraient variées et beaucoup plus importantes dans bien des cas.
La liste pourrait même être une arme à double tranchant. Elle pourrait fonctionner seulement pour un nombre relativement peu élevé des quelque 900 organisations criminelles qui seraient actives au Canada, notamment l'une des bandes de motards les mieux structurées, soit les Hells Angels, qui font l'objet de la motion. Le fait que certains groupes ne figurent pas sur la liste pourrait être évoqué par la défense comme un fait, puisque cela pourrait laisser croire qu'on n'a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable que l'organisation est une organisation criminelle.
N'oublions pas que selon le Service canadien de renseignements criminels, il existe plus de 900 groupes de ce genre. Les Hells Angels sont très visibles, tout comme d'autres groupes de motards. Cependant, les organisations criminelles sont très diversifiées, et certaines de celles qui posent le plus de problèmes à l'heure actuelle sont les gangs de rue, dont l'organisation est très souple et peu structurée.
L'existence d'une liste pourrait même ne pas vraiment réduire le travail de la police, qui consiste à recueillir des preuves de l'existence d'une organisation criminelle. En effet, même si un groupe figurait sur la liste, la police devrait tout de même recueillir des preuves pour une affaire qui sera entendue par un tribunal, puisque l'inscription du groupe visé sur la liste pourrait tout de même être contestée. Si le tribunal juge que la décision d'inscrire le groupe sur la liste n'est pas suffisante pour prouver hors de tout doute raisonnable que le groupe visé dans ce cas précis est une organisation criminelle, le procureur devra être en mesure d'établir sa preuve de la façon habituelle.
Il faut souligner que l'idée d'établir une liste semble obtenir un appui beaucoup plus important chez les policiers que chez les procureurs. Les procureurs que nous avons consultés étaient d'avis que la collecte des preuves et le travail de la police devaient rester rigoureux, peu importe l'existence d'une liste d'organisations criminelles.
Ce ne sont là que quelques-unes des préoccupations qui ont été soulevées. Cela ne signifie pas que la question est réglée. Le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF poursuivra son étude de la question et soumettra un rapport aux sous-ministres et aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux dès qu'il aura terminé son examen.
Nous envisageons également d'autres options, comme le fait de permettre à un juge d'admettre d'office des décisions antérieures. Cette méthode offrirait l'avantage de pouvoir appliquer une décision judiciaire antérieure à une autre affaire, contrairement à un processus de désignation par le gouvernement ayant lieu à l'extérieur d'une salle d'audience.
Selon les procureurs à qui nous avons parlé, cette méthode pourrait elle aussi être contestée. C'est toutefois une option que nous avons envisagée, tout comme une mesure législative qui clarifierait le type de preuves qui pourraient être présentées pour prouver l'existence d'une organisation criminelle. À mesure que nous progresserons, nous pourrons trouver d'autres options. La question de la charge de présentation est très complexe et comporte de nombreux aspects. Nous allons donc continuer de l'étudier.
Merci, monsieur le président.
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Monsieur le président et honorables membres du comité,
Mon nom est Jocelyn Latulippe, je suis inspecteur-chef et directeur des services en enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec.
Je comparais également aujourd'hui à titre de représentant de l'Association canadienne des chefs de police, étant moi-même coprésident du comité sur le crime organisé. L'Association canadienne des chefs de police représente la direction des forces de maintien de l'ordre du Canada. Quatre-vingt-dix pour cent de ses membres sont des directeurs, directeurs adjoints et autres cadres supérieurs issus de différents services de police canadiens, tant municipaux que fédéraux. Notre association a pour mission de promouvoir l'application efficace des lois et règlements canadiens et provinciaux, et ce, au bénéfice de la sécurité de toutes les Canadiennes et tous les Canadiens.
Je désire tout d'abord préciser que les membres de notre comité engagés dans la lutte contre le crime organisé sont favorables à la proposition d'établir une liste d'organisations criminelles, ou un mécanisme, afin de lancer un message clair à certaines organisations nationales, mais également internationales, désireuses de venir s'établir au Canada. Je vais commencer ma présentation par les deux raisons principales de notre appui à une telle mesure, pour ensuite terminer par une conclusion plus globale sur ses effets.
Tout d'abord, pour les services policiers, la limitation de longues et coûteuses procédures judiciaires répétées, en termes d'effectifs spécialisés dans la lutte contre le crime organisé, est un enjeu. Les ajouts, au Code criminel, d'infractions d'organisation criminelle ont représenté une avancée importante en termes d'outils pour lutter efficacement contre le crime organisé au Canada. Ces nouvelles réalités législatives nous ont ensuite amenés à pousser plus loin nos efforts en matière d'enquêtes criminelles pour viser l'élimination des têtes dirigeantes d'organisations criminelles importantes au sein de nombreux projets, depuis l'avènement de ces dispositions. La durée des enquêtes s'est toutefois accrue, comme celle des procès, mais ces défis nous ont permis de nous dépasser, d'être plus patients, plus innovateurs et plus efficaces.
Cela a toutefois eu pour effet de diminuer notre présence sur le terrain, en termes d'effectifs spécialisés, en fonction de longues procédures de cour résultant de ces dossiers de haut niveau. La question fut alors de chercher à maintenir nos capacités opérationnelles de terrain malgré de longues procédures de divulgation et de cour. Nous avons pu améliorer les délais de divulgation de preuve avec des innovations en lien avec l'évolution des nouvelles technologies en matière de compilation de preuves. Ce travail se poursuit toujours. Toutefois, notre efficacité ne peut surmonter la durée des procédures en cour où, actuellement, bien peu de possibilités s'offrent à nous, et se voit davantage accrue par l'apparition de nouveaux moyens de défense qui étirent et allongent les procédures criminelles.
La proposition à l'étude aujourd'hui serait toutefois une avancée majeure et significative, afin d'éviter de refaire la même démonstration d'organisation criminelle à chaque procès, pour la même organisation. Cela permettrait d'épargner des semaines, voire des mois de témoignages et de préparations afin de démontrer des aspects déjà acceptés lors de précédentes procédures judiciaires, et constituerait donc une avenue importante pour nous permettre d'être encore plus efficaces dans notre lutte sur le terrain contre le crime organisé.
Il nous faut optimiser temps et ressources afin de mieux répondre, entre autres, aux phénomènes montants — et qui font l'objet de très difficiles enquêtes, je l'avoue — de l'infiltration de l'économie légale au Canada par les organisations criminelles, ou encore de la montée de violence déréglée de certaines organisations criminelles imprévisibles, tels les gangs de rue. Des effectifs chevronnés sont nécessaires, alors que les organisations criminelles ont compris que les policiers spécialisés retenus à la cour ne pourraient plus oeuvrer sur le terrain avant de longs mois. La mesure étudiée aujourd'hui optimiserait donc nos efforts.
Le deuxième motif à l'appui de cette proposition est d'empêcher le succès et l'intimidation faite par des organisations criminelles grâce à leur affichage à titre de groupes criminels.
Selon nous, un deuxième argument majeur milite en faveur d'un tel amendement. La mise en place de cette mesure permettrait de diminuer grandement l'efficacité des organisations criminelles dans leur capacité d'intimidation et de contrôle des crimes, ainsi que de favoriser le sentiment de sécurité au Canada. Je prendrai l'exemple du phénomène « motard » — soit les Hells Angels, présents au Canada depuis plusieurs années, notamment depuis 1977 — pour rappeler également que, présentement, les Hells Angels possèdent 34 chapitres au Canada, répartis dans 8 provinces, comptant 479 membres, dont 366 ont des casiers judiciaires pour des activités liées à des activités du crime organisé, soit 79 p. 100 d'entre eux.
Les motards, comme certains autres groupes criminels, ont compris depuis longtemps que leur marque de commerce facilitait le contrôle de la criminalité à leur profit. Est-il normal qu'une organisation criminelle puisse avoir pignon sur rue au Canada, qu'elle puisse s'afficher et promouvoir sa violence et sa réputation intimidante? De telles organisations criminelles ont compris que jamais l'on ne pourrait s'attaquer à leur emblème autrement que par le truchement de leurs membres, qui changent au gré des promotions et des règlements de compte. Notre tolérance a donc un effet sur leur efficacité. Elle facilite leur pouvoir d'intimider tous les citoyens afin de réaliser leurs activités criminelles et prises de contrôle importantes d'activités légales et illégales.
Bien que la loi, à l'alinéa 467.11(3)a) du Code criminel, prévoie que l'utilisation d'un symbole qui identifie l'organisation criminelle constitue un élément qui puisse permettre d'établir une participation aux activités de celle-ci, ces membres persistent à le faire. Une partie du problème résulte, selon nous, dans le fait qu'a priori l'organisation n'est pas criminelle aux yeux de la loi. Le message législatif est ainsi ambivalent.
Nous croyons que, bien que le Parlement ait choisi en 2001, autant pour les infractions d'organisations criminelles que pour les activités terroristes, de ne pas criminaliser l'utilisation des symboles eux-mêmes ou la simple appartenance à un groupe terroriste ou à une organisation criminelle, le fait de déclarer une organisation comme criminelle aiderait à décourager le port de symboles de cette organisation dans des contextes qui ne sont pas liés à la liberté d'expression.
Nous croyons fermement que le Canada doit envoyer un message clair aux organisations criminelles, qui s'affichent pour s'imposer et faire de l'intimidation, à savoir que dorénavant le risque sera encore plus grand que leur geste constitue une preuve contre eux. Il existe une différence entre faire de l'intimidation en affichant ses couleurs ou les couleurs d'une organisation que la loi ne considère pas comme criminelle en soi, et la faire sous les emblèmes d'une organisation criminelle législativement reconnue comme étant criminelle. Cela devrait altérer de façon significative la fierté de ses membres de s'afficher et leur pouvoir de régner.
Posons-nous la question suivante: comment réagissons-nous lorsque des membres d'organisation criminelle s'affichent malgré plusieurs déclarations des tribunaux établissant que leur organisation constitue une organisation criminelle? La plupart des citoyens diront qu'ils changent de file d'attente, de siège ou de voie de circulation devant ces gens qui arborent des symboles.
Que faisons-nous alors devant leurs regards, leurs commentaires ou leurs menaces lorsqu'ils arborent les symboles d'organisation criminelle? Il faut mettre un terme à cette situation, de sorte que ces organisations hésitent dorénavant à s'afficher comme criminelles et à utiliser leur réputation comme outil de peur et de succès. Leurs symboles affectent les Canadiens, mais aussi la mission de base des services de police au Canada, soit celle d'assurer un sentiment de sécurité aux citoyens et, au bout du compte, une qualité de vie au Canada.
Si une telle loi venait à exister, les organisations criminelles qui s'affichent et font de l'intimidation auraient plus de difficulté à se comporter comme des armées criminelles au vu et au su de tous. Il serait donc plus difficile pour leurs membres d'user de leur prestige pour gravir les échelons du crime et réussir à contrôler la vie des gens autour d'eux par leur affiliation, que nous rendrions illégale au Canada.
En conclusion, les avancées législatives en matière de criminalité organisée nous ont permis de mieux saisir l'importance de ces groupes, et de mieux connaître leurs tactiques et leurs structures de communautés parallèles, qui menacent l'équilibre de notre société souvent par leur seule démonstration publique d'appartenance à des groupes criminels. Nous avons aussi constaté que notre société moderne ne désire plus voir ces groupes s'afficher, sans risque, comme organisations criminelles violentes.
Un tel mécanisme nous permettra de mieux organiser notre travail pour limiter leurs pouvoirs, mais aussi pourra nous rendre plus efficaces afin d'atteindre le coeur de ces organisations, soit leur prestige qui leur permet de s'imposer et de brimer des libertés reconnues par les différentes chartes.
Je vous remercie de votre écoute et je demeure disponible pour les questions.
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Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Tout d'abord, j'ai choisi d'aller un peu plus en profondeur pour enrichir les présentations qui ont été faites.
Permettez-moi de me présenter. Je m'appelle Denis Mainville. J'ai plus de 26 ans d'expérience au sein du Service de police de la Ville de Montréal, le SPVM. En matière de crime organisé, j'ai plus d'une dizaine d'années d'expérience, ce qui me permet de faire le pont entre les organisations et les projets qui ont été réalisés dernièrement et publicisés. Il y a le projet SharQc de la Sûreté du Québec, le récent projet AXE de la SPVM et le projet SATELLITE mené au cours de l'été 2008, qui touchait trois principales organisations criminelles.
Ma présentation portera sur deux aspects. D'abord, je vous ferai part des difficultés rencontrées lors d'enquêtes portant sur des organisations criminelles, celles-ci étant d'ailleurs récurrentes depuis bon nombre d'années dans tous nos projets liés au gangstérisme. Ensuite, je vais parler des particularités et des structures des différents groupes criminels ainsi que des liens existants, par exemple les différences entre les Hells Angels et les gangs de rue, particulièrement au centre-ville de Montréal et dans le Nord de la métropole.
Le projet ABBA a été mené en 2004-2005 et visait un gang de rue de l'arrondissement de Montréal-Nord, communément appelé « la rue Pelletier ». Cette opération a duré près de 13 mois et a entraîné des coûts de plus de 3 millions de dollars, sans compter le ratissage, bien entendu. Dans le cadre de ce premier projet de la SPVM, 25 personnes ont été accusées, dont 10 de gangstérisme.
Je vais maintenant vous parler des difficultés auxquelles on fait face, qui sont les mêmes que celles auxquelles on a été confrontés lors des projets qu'on a menés dernièrement. Une de ces difficultés concerne les ressources humaines requises, par exemple, pour les filatures et l'écoute électronique. Ces activités ne sont que quelques-unes parmi d'autres, mais elles sont essentielles à l'établissement de la preuve. Elles coûtent très cher et sont très laborieuses. Il faut d'abord établir les activités criminelles de l'organisation telles que les fraudes ou le trafic de stupéfiants. On ne peut pas viser tous les crimes en même temps, et il faut choisir, car l'établissement de la preuve est trop fastidieux et beaucoup trop lourd à gérer pour les organisations policières.
Il faut également établir les activités criminelles de chaque sujet visé. L'enquête sur 30, 40 ou 60 personnes est un travail fastidieux et nécessite de longues heures de travail, voire des mois ou des années. Il faut démontrer le rôle et le statut de chacun des sujets visés, ce qui n'est pas nécessairement facile dans le cas des gangs de rue, contrairement aux cas des criminels traditionnels comme les Hells Angels et les membres du crime organisé italien. Il faut aussi démontrer les liens existant entre eux. Il faut garder les surveillances contemporaines. C'est une notion nécessaire pour la cour.
Il faut procéder à la saisie d'exhibits — sigles, bijoux, vêtements ou autres — qui viendraient corroborer la preuve qui est souvent requise par la cour et qui n'est pas nécessairement établie dans le cas des gangs de rue. C'est la particularité à laquelle on revient. Aujourd'hui, nos jeunes ont cette particularité de suivre la mode. Les bijoux ne sont pas nécessairement un signe d'appartenance à une organisation comme les Hells Angels. Il est dangereux pour nous d'établir qu'un groupe criminel est visé simplement à cause de ses bijoux ou de sa tenue vestimentaire. Il faut être prudents par rapport à cette situation quand on parle des gangs de rue.
Bien entendu, il faut établir le lien commun, comme l'exige le gangstérisme. Il faut recueillir tous les éléments prouvant le gangstérisme. On se base sur environ 40 éléments lors d'une enquête policière, de sorte qu'il est très fastidieux de faire la preuve qu'il s'agit d'une organisation criminelle.
Le genre de preuve qui doit être recueillie présente un danger pour les sources, les témoins et les agents d'infiltration civils qui sont parfois utilisés. On doit démontrer de nouveau, et ces gens sont connus du milieu. Ça devient fastidieux.
La sécurité de nos interventions policières, entre autres lors d'installation de dispositifs ou d'entrée subreptice, représente une autre difficulté. On doit aussi composer avec la complexité des communications, par exemple les BlackBerry et autres appareils du genre que nous connaissons tous.
La présentation de la preuve devant la cour représente une autre difficulté. Chaque fois qu'on doit remonter une organisation criminelle, on doit refaire le profil de tous les individus visés, les têtes dirigeantes. C'est aussi très fastidieux pour les organisations policières. On peut parler de plusieurs semaines pour le simple profil qu'on doit actualiser de façon régulière.
Il y a deux types de preuve qu'on doit présenter, ce qui est aussi très particulier entre types d'organisations criminelles. On peut prendre deux routes pour établir la preuve: la route substantive et la route de l'argent. Souvent, on prend la route substantive pour déterminer le genre de crime visé, qu'il s'agisse de fraude ou de trafic de stupéfiants. La seconde route parallèle ne fait pas intervenir les mêmes acteurs, mais nécessite beaucoup plus de ressources et est beaucoup plus fastidieuse, de sorte que les enquêtes durent plusieurs mois.
Le temps consacré à l'enquête est limité. On dit souvent que l'enquête de gangstérisme peut prendre jusqu'à un an avec renouvellement, bien entendu. On croit que c'est long, mais là encore, pour nous, un an, c'est relativement court quand on doit recueillir toutes ces preuves. On n'est pas en mesure de se pencher sur les autres problématiques qu'occasionnent ces groupes criminalisés.
Chaque fois qu'il faut refaire une organisation criminelle, les témoins experts doivent démontrer à nouveau leur crédibilité à la cour, ce qui peut prendre plusieurs jours selon l'organisation policière, voire quelques semaines.
On a fait état plus tôt de la longueur des procédures judiciaires, mais il y a aussi la gestion de la preuve. De plus en plus, les preuves électroniques sur lesquelles les organisations policières se penchent sont très lourdes à gérer, et leur présentation devant les tribunaux est très fastidieuse.
J'aimerais faire un parallèle avec les enquêtes suivantes. Dernièrement, le projet d'enquête AXE visait trois organisations criminelles. Il a fallu faire la démonstration que chacune de ces organisations menait des activités criminelles. Je fais référence, entre autres, au groupe des Syndicate, qui est le groupe école des Hells Angels et un gang de rue de haute sphère visé par les plus jeunes du centre-ville de Montréal. Cette enquête s'est étalée sur plus de deux ans: 68 personnes ont été arrêtées, dont 25 ont été accusées de gangstérisme. Fait important à noter, 5 de ces personnes qui ont été accusées à nouveau de gangstérisme faisaient déjà partie d'une organisation criminelle qui, selon nous, était l'organisation des Syndicate.
Je vous ai parlé plus tôt de la longueur des enquêtes. Cette enquête a nécessité l'interception de 640 000 conversations et 11 000 heures de surveillance physique. De plus, la majeure partie du temps consacrée par les ressources humaines visait uniquement à démontrer qu'il s'agissait d'une organisation criminelle, alors que les dossiers antérieurs avaient été montés, particulièrement celui des Syndicate dans le cadre du projet CHARGE mené par l'Escouade régionale mixte, de Montréal, en 2004. Les difficultés encourues sont les mêmes que celles auxquelles on a été confrontés lors du projet ABBA. La particularité est la ramification. Il y a plusieurs groupes criminels, et il faut faire la preuve qu'il s'agit bien d'organisations criminelles.
Les sujets de gang de rue, membres du groupe école des Hells Angels connu sous le nom de Syndicate, dont plusieurs furent arrêtés dans le cadre du projet CHARGE mené par l'ERM en 2004, ont repris les mêmes activités criminelles dans le cadre du projet AXE et se sont restructurés de la même manière, malgré le fait que les têtes dirigeantes étaient détenues. Donc, cela n'a absolument rien changé. En 2004, ces personnes avaient la même structure. Une fois incarcérées, les têtes dirigeantes poursuivaient le même genre d'activités en prison. Il a quand même fallu démontrer à nouveau à la cour qu'il s'agissait d'une organisation criminelle, ce qui prend énormément de temps. Il a fallu d'ailleurs rouvrir le dossier CHARGE pour extraire toute la preuve qui avait été établie, alors qu'elle avait été présentée comme telle, et présenter cette preuve à nouveau à la cour pour établir encore une fois que l'organisation était criminelle.
Le projet Satellite ratissé en 2008 s'attaquait à un gang de rue violent du centre-ville de Montréal, où avaient eu lieu plusieurs activités telles que des tentatives de meurtre, des meurtres et de l'intimidation: 48 personnes ont été arrêtées, dont 12 ont été accusées de gangstérisme.
Voici les particularités du projet Satellite. Il est question d'un gang de rue traditionnel, plus jeune, agressif, instable et peu coordonné. Comparativement aux groupes criminels traditionnels tels que les Hells Angels, qui fonctionnent selon une structure hiérarchique bien établie où chacun possède un statut et un rôle particuliers alors que l'ensemble de leurs activités est voué aux bénéfices de l'organisation, les gangs de rue sont, quant à eux, très instables dans leur structure et plus ou moins organisés. Leurs actions et activités sont très imprévisibles, et ils ont peu ou pas de vision. Cependant, ils ont les mêmes objectifs que les autres organisations: générer des profits pour la tête dirigeante. Ils idéalisent les gangs de rue qui gravitent dans les hautes sphères d'activité tels les Syndicate — qui représentent un idéal pour les plus jeunes. Dans ce cas-ci, ce ne sont pas tous les sujets qui pourraient être reconnus au sein de l'organisation criminelle, mais bien les têtes dirigeantes et leurs principaux acolytes qui, eux, demeurent relativement stables.
En conclusion, le SPVM est favorable à ce qu'on puisse reconnaître certains groupes comme étant des organisations criminelles. De plus en plus, les groupes criminels qui sont arrêtés lors d'un ratissage récidivent et utilisent des méthodes de plus en plus raffinées: les prête-noms, les commerces, les lieux de rencontre, les intermédiaires et les communications sophistiquées. Ils travaillent en cellules ou en compagnies, selon l'organisation.
C'est donc dire que le processus d'enquête serait accéléré et nécessiterait moins de ressources qu'exigent présentement de telles enquêtes. Cela nous permettrait de nous attaquer davantage en profondeur aux activités illicites auxquelles ces groupes s'adonnent, tel le blanchiment d'argent. L'impact majeur se fait sentir sans contredit sur les ressources humaines, matérielles et surtout financières que ce genre d'enquêtes nécessite.
L'énergie et le temps consacrés à faire de nouveau la preuve qu'il s'agit d'une organisation criminelle seraient de beaucoup réduits et ne seraient pas préjudiciables à l'administration de la justice, bien au contraire.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins.
Je vais commencer par une question à M. Mainville ou à M. Latulippe et, si on a le temps, j'aimerais terminer par une question à M. Bartlett.
Messieurs les policiers, vous avez exprimé des sentiments très clairs sur les raisons d'avoir ou d'établir une liste d'organisations criminelles, comme celle qu'on a dressée dans le cas de la sécurité nationale, comme l'a dit M. Bartlett. Cela faciliterait énormément les tâches importantes comme préparer la preuve avec les procureurs, compléter l'enquête et amener la cause devant la cour.
Ma question s'adresse à M. Mainville ou à M. Latulippe. Je comprends, d'après les discussions, celles de ce matin et d'autres, que dans beaucoup de cas, il manque de ressources policières pour ces méga-procès, pour ces enquêtes qui durent très longtemps. La situation varie de province en province, mais le point commun est qu'il n'y a jamais assez de policiers, d'enquêteurs ou de procureurs.
En conséquence, il arrive que d'autres questions criminelles en souffrent. Selon vous, est-ce que le besoin est du côté des enquêtes, du procès, ou des deux? L'enquête finit par le dépôt d'accusations. Puis, il y a ce que Réal Ménard et d'autres ont décrit comme des méga-procès, avec plusieurs accusés, qui durent longtemps.
Ensuite, vous avez un problème de ressources parce que vos policiers et vos enquêteurs sont affectés au procès. Dans quel secteur voyez-vous vraiment la nécessité d'alléger le besoin?
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Je voudrais d'abord faire un commentaire général. J'aimerais beaucoup qu'on puisse relire vos mémoires à tous les trois — il y avait beaucoup d'informations — à tête reposée avant la rédaction de notre rapport. Alors, seriez-vous assez aimable pour en laisser une copie à la greffière afin que nous puissions vraiment les relire? Il y a beaucoup d'informations.
Ensuite, j'aimerais beaucoup que M. Bartlett dépose les documents auxquels il s'est référé pour le forum, quand les procureurs se sont réunis.
Je n'oublierai jamais de ma vie le moment où l'on a commencé à débattre la question de la loi anti-gang. J'avais rencontré Allan Rock, ministre de la Justice à ce moment-là. Les hauts fonctionnaires de ce ministère étaient contre une loi anti-gang. Ils disaient qu'on pouvait gagner la bataille en invoquant les dispositions de complot.
C'est Pierre Sangollo, du SPVM, qui m'avait très bien fait voir pourquoi il fallait établir de nouvelles règles de droit. Je souscris à l'ensemble des interrogations que M. Bartlett a fait valoir. Il serait dangereux, à ce moment-ci, de s'arrêter à ça. Le débat doit aller plus loin que ça.
Je vais beaucoup plaider pour qu'il y ait une liste comme celle-là, à partir de trois critères. D'abord, il faut qu'il y ait eu une déclaration judiciaire. Un ministre qui se lève un matin et qui n'aime pas tel groupe parce qu'il prétend que c'est une organisation criminelle ne pourrait pas prendre un décret en conseil. Il faut qu'il y ait un décret en conseil. Il faut que les parlementaires étudient la liste et qu'elle soit révisée régulièrement. Toutefois, je ne me laisserai pas arrêter par des arguments technocratiques.
Ensuite, il y a certaines choses que j'aimerais bien comprendre, et c'est pour ça qu'il faut qu'on revoie vos mémoires. L'objectif qu'on poursuit est très simple: on veut éviter d'avoir à refaire la preuve que les organisations qui ont déjà été déclarées criminelles par une cour de justice le sont. Pour ce qui est des individus, c'est compréhensible. Cependant, une liste des organisations criminelles ne pourrait jamais en comprendre 900. M. Randall Richmond, vous vous le rappellerez, monsieur le président, nous a dit qu'il y avait eu 3 organisations criminelles au Canada: les Hells Angels, les Rock Machines et les Bandidos. On ne parle donc pas de 900 groupes; on parle de 3 groupes.
Monsieur Mainville, vous avez dit que pour chacun des procès, pour chacune des enquêtes qui impliquent des millions de dollars, il faut refaire le profil de chacun des criminels. Vous avez aussi parlé de deux routes: la route substantive et celle de l'argent. J'aimerais que vous nous donniez des explications à ce sujet.
J'aimerais aussi que vous nous parliez de la liste des 40 critères dont vous vous inspirez, et peut-être même que vous la déposiez. Les responsables de notre service de recherche nous avaient parlé d'une liste qui avait été rendue par la justice dans l'arrêt R. c. Carrier. On relevait environ 9 éléments, mais vous parlez de 40. J'aimerais comprendre davantage.
Je reviendrai par la suite à M. Latulippe.
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Je vais vous expliquer tout d'abord le principe de la route
substantive, et ensuite, celui de la route de l'argent.
Chaque organisation criminelle a des gens, des acteurs, qui vont travailler au niveau du crime visé comme tel. Il va donc y avoir des rôles, des statuts pour chacun, bien entendu. Certains vont commettre des vols de véhicules à moteur, d'autres vont faire de l'intimidation, d'autres s'occuperont du trafic de stupéfiants. Chacun aura son rôle bien établi.
Par contre, les profits générés par le trafic de stupéfiants vont souvent impliquer d'autres gens, complètement en dehors de ça. C'est eux qui vont contrôler l'argent, les caches d'argent, qui vont acheter la drogue, qui vont transiger. Il y a certains liens qui se font, des liens établis. Cependant, je vous dirais que, selon mon expérience, les stupéfiants sont rarement directement liés à cet argent.
C'est ce qui fait qu'on a deux routes à prouver. Ce ne sont pas les mêmes acteurs, ce qui fait qu'il faut démontrer que les profits générés par les biens issus de la criminalité ou, du moins, par les activités criminelles ont servi tout au long, que l'argent soit saisie en cours d'opération ou à la fin d'enquête. Ce sont les difficultés qu'on retrouve souvent lors des enquêtes sur le crime organisé, bien entendu. La particularité d'une organisation criminelle est que jamais les routes ne se suivent, à cet égard
Cela répond-il à votre question?
Merci, messieurs d'être venus aujourd'hui.
Je pense que le sujet est très important. Je pense aussi au fait qu'au Québec, — je suis de la province de Québec — c'est aussi un sujet très important et très à la mode, ces temps-ci.
D'abord, je tiens à vous féliciter. Il est tout à votre honneur d'avoir mené, récemment, une vaste opération policière dans la région de Montréal, et je pense qu'on commence à marquer des points. Cependant, la question qu'on doit se poser, c'est: comment faciliter votre travail pour être certains que nous, les citoyens, nous sentirons en sécurité face à votre façon de travailler?
J'aimerais poser une première question à M. Bartlett, qui pourra peut-être y répondre une peu plus facilement. La question a été posée directement par M. Lemay, c'est au sujet de l'appartenance. Il faut faire la preuve de l'appartenance. Si on place une organisation criminelle sur une liste, il faut démontrer qu'il y a appartenance et vous avez vu, messieurs les policiers, qu'il y a beaucoup de critères.
Y aurait-il possibilité de travailler sur le plan de la preuve afin de faciliter le travail des procureurs de la Couronne, par exemple, en faisant ce qu'on appelle une « inversion de la charge de la preuve »? Un acte d'accusation pourrait dire que telle personne est membre de telle organisation, et l'accusé aurait à faire la preuve du contraire. Cela ne veut pas dire que le problème serait réglé. Je sais que vous avez déjà pensé à cela, je sais qu'il y a déjà eu des inversions de la charge de la preuve et je sais que, quelquefois, les juges le font pour faciliter le travail des procureurs. Avez-vous songé à cette possibilité?
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Je voudrais m'adresser à messieurs les policiers, M. Latulippe et M. Blainville.
Monsieur Latulippe, un peu plus tôt vous avez parlé des gangs de rue. Vous les avez nommés, et je pense que tout le monde les connaît. Vous avez parlé des Hells Angels, des triades — je ne suis pas sûr si on doit utiliser ce terme — la Cosa Nostra, la mafia. Ces groupes sont implantés au Québec depuis très longtemps. Il y a aussi les bleus et les rouges à Montréal, qui ont l'air de se diviser des territoires.
Une chose pose problème, car je veux vraiment vous aider. M. Réal Ménard a mentionné un élément très important. Il a dit, dans un discours à la Chambre en 1995, que les groupes organisés utilisaient des entreprises légales en restauration ou en construction pour envoyer de l'argent. Récemment à Radio-Canada, un certain M. Gravel, journaliste, a parlé de la construction. La FTQ-Construction était reliée... Ça ne semble pas sentir bon.
Comment va-t-on faire? On parle de grosses organisations; on ne parle pas du gars qui vend au coin de la rue; on parle de très grosses organisations. Comment va-t-on faire pour faire face à ce dont parlait M. Réal Ménard?
Voyez-vous ce que je viens de faire? Je viens de faire une association, qui avait été faite par des journalistes, et tout le monde se demande s'il va falloir interdire le logo de la FTQ-Construction en plus! Là, je tombe dans quelque chose d'énorme. Comment pourriez-vous nous guider à travers tout ça, maintenant?
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Je suis malheureux de la confusion qui semble s'installer. Je ne crois pas que ce comité est à la recherche de raccourcis juridiques qui feraient en sorte que, lorsqu'il y aurait des accusations en matière de gangstérisme ou d'infractions apparentées, on ait à faire la preuve devant le tribunal, à savoir quel individu a commis, ordonné ou facilité... Ce n'est pas de ça qu'on parle.
Voici de quoi l'on parle. On demande si c'est possible, en matière de terrorisme, d'avoir une liste qui existe. C'est souvent pour des infractions qui n'ont même pas été commises au Canada — et par une liste qui a même été établie d'un commun accord au niveau de la communauté internationale.
Je comprends la nuance: les individus ne sont pas nécessairement accusés de terrorisme avant qu'il y ait une deuxième étape, mais ce que l'on recherche, c'est la possibilité, une fois qu'il y aura eu une déclaration juridique.
Donc, l'idée de prendre connaissance d'office n'est pas une bonne comparaison parce qu'il y aura déjà eu de la jurisprudence. Prenons par exemple le jugement de l'Ontario qui a déclaré les Hells Angels illégaux. Si cette cause se rendait à la Cour suprême, le problème serait réglé. On sait qu'il y a des appels, mais on n'a jamais la garantie que ça ira jusqu'à la Cour suprême.
Pour moi, la comparaison avec l'idée de « prendre connaissance d'office » n'est pas une bonne comparaison. On dit que si quatre cours de justice à l'échelle du Canada déclarent qu'une organisation X, qui s'appelle les Hells Angels dans ce cas, est une organisation criminelle aux termes de l'article 477, on devrait pouvoir éviter, comme société, de prouver à nouveau que l'individu appartient à une organisation criminelle. Pour le reste, en ce qui concerne l'accusation personnelle de l'individu, compte tenu de la Mens Rea et l'Actus Reus, je ne voudrais pas vivre dans une société où l'on est accusé par procuration. Je veux que la justice suive son cours pour des individus.
Je comprends mal la comparaison avec l'idée de « prendre connaissance d'office ». Et, encore une fois, j'aimerais qu'on situe le débat là où il doit être, c'est-à-dire une liste d'organisations criminelles une fois qu'une déclaration judiciaire est intervenue.
Et j'aimerais, monsieur Bartlett, m'assurer qu'on comprend bien la différence. Je vous rappelle que vos hauts fonctionnaires, qu'on tient en haute estime, étaient opposés, dans les années 1990, à une loi anti-gang. J'ai rencontré, avec Allan Rock, des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice. Si on les avait écoutés, on n'aurait jamais eu de loi anti-gang en vertu de laquelle plus de 1 000 accusations ont été portées au Québec, et qui se sont soldées par 200 condamnations. Je ne dis pas ça pour vous provoquer. Je sens un discours sèchement technocratique qui, de mon point de vue, nous éloigne de l'objectif qu'on doit poursuivre, comme société, mais je serais prêt à recevoir vos commentaires.
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Ma foi, je croyais que nous parlions de la désignation d'organisations criminelles par le gouvernement, qui s'inspirerait largement du processus retenu pour les groupes terroristes.
M. Joe Comartin: Très bien, mais pas moi.
Me William Bartlett: Quand j'ai entrouvert une autre possibilité, celle de songer à un processus permettant à un juge de prendre connaissance des conclusions d'un autre tribunal ou des faits établis par celui-ci, M. Ménard a dit que la connaissance d'office, comme nous disions, n'était pas opportune.
Si ce que vous suggérez, c'est que nous demandions à un tribunal d'établir qu'une organisation criminelle existe sans qu'aucune accusation criminelle n'ait été portée, ce serait un processus assez peu connu dans notre droit pénal. Celui-ci repose sur des accusations portées contre des personnes et ensuite présentées à la cour.
Il serait peut-être possible d'avoir un processus permettant de faire rapport des conclusions de fait; peut-être, je n'en suis pas certain. C'est une question que le groupe de travail sur le crime organisé du CCHF étudie. Mais il conviendrait peut-être d'autoriser la connaissance d'office comme présomption réfutable, pour la cause à l'étude, d'une décision rendue par un autre tribunal où les faits semblent être les mêmes. Il existe certains principes de droit pénal qui se fondent sur une base beaucoup plus limitée, mais ce serait peut-être une façon d'y arriver.
Quant à un processus par lequel le tribunal, dans l'abstrait, serait saisi d'une cause où il devrait décider si une organisation criminelle existe ou non — ce serait alors les tribunaux qui procéderaient tout le temps à la désignation —, je pense que les tribunaux s'inquiéteraient beaucoup d'un processus de ce genre. Ce que je veux dire, c'est que cela me fait penser un peu à une commission royale d'enquête ou à une enquête judiciaire ou à quelque chose du genre. Les tribunaux participent parfois aux enquêtes judiciaires dans lesquelles des choses particulières sont en cause, mais demander à un tribunal d'établir, aux fins du droit pénal, un fait précis, que ce soit la désignation d'une organisation criminelle ou autre chose, serait une suggestion lourde de conséquences.
Je pensais que nous parlions ici d'un processus de désignation gouvernementale semblable à l'établissement d'une liste de groupes terroristes. Les préoccupations dont vous nous avez fait part sont certes valables, parce qu'il s'agit d'un processus du gouvernement. Les tribunaux chercheront donc à appliquer cela à une cause dont ils seront saisis où quelqu'un est accusé d'avoir commis une infraction.
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Je trouve qu'il est très, très intéressant que certaines personnes s'opposent aux listes, à moins que les listes ne répondent à un certain but. Je pense que je suis un peu perplexe, parce que je me suis senti un peu plus près de MM. Latulippe et Mainville, qui ont un travail à faire. Ils pourraient dire qu'ils n'ont pas de temps à perdre à cette argumentation ésotérique et aux avocasseries. Il y a des méchants là-bas qu'il faut arrêter. Quelque chose les empêche de le faire et ils estiment que l'établissement d'une liste est un moyen de sauter un des obstacles.
Quand vous devenez policier, on vous dit que la common law est une chose facile à comprendre. Tout simplement, le commun des mortels, devant certaines circonstances, croit qu'une chose est bonne ou mauvaise, et ça fait partie de notre droit. Mais je crois que dans notre société actuelle, la loi est devenue très compliquée, à tel point que Monsieur Tout-le-monde ne la comprend plus. Ce sont ces gens justement qui s'adressent à MM. Latulippe et Mainville pour leur demander pourquoi diable on ne fait rien. Puis ils se tournent vers des gens comme Me Bartlett pour les prier de nous rédiger des textes de loi.
Cela me fait penser au canard et à l'ornithorynque. Ils ont tous les deux un bec et des pattes palmées. Je ne sais pas ce qu'en dit un ornithorynque, mais vous pourriez croire que c'est un canard. Un avocat vous dira que ses plumes ne sont pas vraiment des plumes, mais du poil et donc, que ce n'est pas un canard mais un ornithorynque. Je suppose que c'est l'argument qu'on présente ici. Dire cela peut sembler étrange. Mais en ce moment, j'en suis à essayer de rédiger une loi qui réglera le problème et je suis perplexe quand j'écoute des personnes qui s'opposent habituellement aux discussions et à ce que vous proposez.
Très simplement, maître Bartlett, si vous parliez à quelqu'un chez Tim Horton, comment expliqueriez-vous à ces gens la différence entre une liste de terroristes et une liste de criminels organisés et comment les tribunaux voient cela?
Bien entendu, s'il reste du temps. Excusez-moi.
Le président: Il reste une minute.