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Monsieur le président et membres du Comité permanent, M. Pruden et moi sommes heureux d'avoir été invités de nouveau pour discuter avec vous des questions relatives à la conduite avec facultés affaiblies. Je crois que la greffière a distribué un document du ministère de la Justice, intitulée
Questions relatives à la conduite avec facultés affaiblies, qui a été préparé par M. Pruden et moi-même. Il s'agit essentiellement du même document que celui que nous avons présenté l'an dernier, mais il a été mis à jour pour refléter l'entrée en vigueur, le 2 juillet 2008, des dispositions concernant la conduite avec facultés affaiblies contenues dans la Loi sur la lutte contre les crimes violents.
Nous avons appris de l'agent responsable du Programme d'expert en reconnaissance de drogues, ou ERD, de la GRC que le nombre d'accusations portées pour conduite avec facultés affaiblies par une drogue a quadruplé depuis l'entrée en vigueur de la loi, qui oblige le conducteur soupçonné de conduite avec facultés affaiblies par une drogue d'exécuter des tests de sobriété routiers normalisés et, en cas d'échec, de participer à une évaluation par un ERD.
Ce document ne parle pas de la loi récente sur la conduite avec facultés affaiblies par une drogue et se limite à la conduite avec facultés affaiblies par l'alcool. Nous sommes bien conscients que la loi n'est qu'une des mesures nécessaires pour réduire la conduite avec facultés affaiblies. Une approche coordonnée, comprenant l'application de la loi, l'éducation et le traitement des personnes qui ont une dépendance à l'égard de l'alcool et d'une drogue, est également importante.
[Français]
La conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes par 100 millilitres de sang, communément appelée alcoolémie supérieure à 0,08, constitue une infraction depuis 1969. On avait alors établi ce taux en se fondant sur un consensus scientifique. En fait, ce taux était inférieur à celui imposé aux États-Unis, lequel était de 120 milligrammes dans bon nombre d'États avant d'être réduit à 100 milligrammes. Récemment, tous les États américains ont adopté le taux de 80 milligrammes.
En ce qui a trait à la réduction de l'alcoolémie fixée par le Code criminel, les experts conviennent qu'avec une alcoolémie de 50 milligrammes, il y a une dégradation des habiletés utilisées pour la conduite d'un véhicule par rapport aux habiletés qu'a le conducteur lorsqu'il est sobre. En outre, un taux supérieur à 50 milligrammes est lié à un risque accru de collision, de décès et de blessure, surtout pour les jeunes conducteurs. Pour cette raison, de nombreuses administrations, notamment l'Australie et la plupart des États européens, ont établi une limite légale de 50 milligrammes, parfois même moins. Cependant, ces administrations n'infligent pas aux récidivistes les amendes et les peines d'emprisonnement minimales que le Canada applique aux délinquants ayant une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes.
Dans ces juridictions, une alcoolémie supérieure à 50 milligrammes entraîne généralement une amende, sauf en cas de récidive. Cependant, les experts ne s'entendent pas quant à savoir si l'on devrait lutter contre le risque, pour les conducteurs, lié à une alcoolémie se situant entre 50 milligrammes et 80 milligrammes seulement au moyen des lois provinciales ou si le Code criminel devrait en plus prévoir une infraction pour la conduite avec une alcoolémie se situant entre 50 milligrammes et 80 milligrammes.
Prévoir dans le Code criminel une infraction pour une alcoolémie supérieure à 50 milligrammes n'empiéterait pas sur les lois provinciales à cet égard. Actuellement, lorsqu'une personne est accusée, en vertu du Code criminel, de conduite avec une alcoolémie supérieure à 80 milligrammes, les provinces imposent une suspension administrative automatique du permis de conduire. Cette suspension est complètement indépendante de la décision sur l'accusation au pénal. De plus, toutes les provinces, sauf le Québec, imposent une courte suspension administrative du permis de conduire aux conducteurs qui ont une alcoolémie se situant entre 50 milligrammes et 80 milligrammes. Si le Parlement crée une infraction pour la conduite avec une alcoolémie supérieure à 50 milligrammes, les provinces pourront continuer à imposer des suspensions administratives à ces conducteurs.
Il y a deux possibilités pour la création d'une infraction relative à une alcoolémie supérieure à 50 milligrammes. Abaisser la limite légale de 80 milligrammes à 50 milligrammes serait l'option la plus simple, puisque les policiers et les procureurs n'auraient pas à changer la procédure avec laquelle ils se sont familiarisés. Cependant, on ne peut négliger les répercussions d'une telle infraction sur le système de justice pénale. Les personnes qui acceptent une courte suspension provinciale pour avoir conduit avec une alcoolémie supérieure à 50 milligrammes contesteraient probablement vigoureusement une accusation au pénal pour laquelle sont prévues une amende minimale de 1 000 $ et une interdiction de conduite d'un an. Deuxièmement, on pourrait créer une infraction distincte passible de peines plus légères et maintenir l'infraction existante relative à l'alcoolémie supérieure à 80 milligrammes.
[Traduction]
En ce qui concerne les tests d'haleine aléatoires, ou THA, des travaux de recherche indiquent que de nombreux conducteurs en état d'ébriété peuvent éviter de se voir ordonner de se soumettre à un test d'haleine parce que l'agent ne détecte pas d'odeur d'alcool ou de symptômes d'alcoolémie, qui sont nécessaires pour que l'agent puisse soupçonner qu'il y a de l'alcool dans l'organisme du conducteur et qu'il exige un alcootest. Il y a plus de chances que ces conducteurs soient dissuadés s'ils savaient que l'agent peut simplement leur demander de passer un alcootest. Néanmoins, il est probable que les THA devront un jour être justifiés en vertu de l'article premier de la Charte, étant donné que les THA nécessitent la détention du conducteur.
Un critère de l'arrêt Oakes exige qu'il y ait une proportionnalité entre les effets de la mesure restrictive et l'objectif poursuivi. À cet égard, les résultats de l'utilisation des THA, que j'ai indiqués en annexe dans le document, sont notables: en Irlande, une diminution des décès de 23 p. 100; en Nouvelle-Zélande, une diminution de 30 p. 100; dans le Queensland, en Australie, une diminution de 35 p. 100. Il faut noter, cependant, que les THA ont généralement été implantés dans le cadre d'une série de mesures qui comprenaient une diminution de la limite d'alcoolémie à 50 et une augmentation du degré d'application de la loi, ce qui fait qu'il est difficile d'isoler l'effet des THA.
Le succès des THA est tel que cette mesure a été recommandée par la Commission européenne dans le cadre de sa stratégie visant à réduire de 50 p. 100 les accidents de la route mortels. Les THA sont maintenant en vigueur dans 22 États membres de l'Union européenne.
En ce qui concerne les approches novatrices en usage dans d'autres pays, nous avons une meilleure connaissance des pratiques en vigueur aux États-Unis. Certains États américains ont connu un certain succès avec les tribunaux DWI — conduite avec les facultés affaiblies par l'alcool ou une drogue —, calqués sur les tribunaux en matière de drogue, et qui font appel à la surveillance électronique pour s'assurer que ceux qui sont frappés d'une interdiction de conduire sont pris. Toutefois, ces programmes sont coûteux et nécessitent une infrastructure complexe.
Aux États-Unis, les personnes qui échouent un test d'haleine sur un appareil de détection ou qui ont de mauvais résultats au test de sobriété routier normalisé sont tenues de fournir un échantillon d'haleine au moyen d'un alcootest approuvé pour utilisation au tribunal. Les tribunaux américains ont jugé que l'assistance d'un avocat n'est pas nécessaire dans le cas de ni l'un ni l'autre de ces tests parce que la police recueille des preuves physiques qui existent déjà. En effet, une alcoolémie inférieure à 80 libère la personne de toute accusation, tandis qu'une alcoolémie supérieure à 80 n'entraîne pas en soi une condamnation, étant donné que la poursuite doit tout de même prouver que la personne conduisait et que l'équipement fonctionnait de manière appropriée et qu'il a été utilisé de manière appropriée.
Comme vous le savez, notre Cour suprême a jugé que le fait d'exiger d'un conducteur qu'il subisse un alcootest au bord de la route sans qu'on lui accorde le droit à l'assistance d'un avocat n'était pas anticonstitutionnel. Bien que le conducteur soit détenu, la détention est justifiée comme une limite raisonnable parce qu'elle est relativement brève et que les résultats de l'alcootest ne peuvent pas être utilisés en cour. Il faudra étudier très attentivement la question de savoir si le fait d'exiger un test au moyen d'un alcootest approuvé sans le droit à l'assistance d'un avocat respecte les droits prévus par la Charte. L'analyse nécessaire de la Charte devra prendre en considération les objectifs à atteindre et la façon de porter atteinte le moins possible aux droits des personnes accusées qui fournissent des preuves qui pourraient être utilisées contre elles sans avoir droit à l'assistance d'un avocat.
Il est probable que cette question deviendra importante dans un avenir rapproché. Il existe maintenant des appareils très compacts qui peuvent agir à la fois comme des appareils de détection approuvés et des alcootests approuvés. Certains sont en usage en Californie et le Comité des analyses d'alcool est en train de déterminer si cette nouvelle génération d'appareils peut répondre aux normes canadiennes. Un appareil qui fonctionne bien sous le climat de la Californie pourrait ne pas fonctionner aussi bien au bord de la route dans les Prairies en janvier. Si ces appareils parviennent à respecter les normes strictes du CAA, il serait possible de faire la détection et le test à l'aide d'un alcootest approuvé au bord de la route. Toutefois, il n'y aurait pas beaucoup d'avantages si l'agent sur la route doit attendre des heures pendant que le conducteur tente de consulter un avocat.
Je ne dirai pas grand-chose au sujet des peines parce que la Loi sur la lutte contre les crimes violents comprenait des augmentations des peines. Le Manitoba a soulevé une préoccupation du fait que dans cette province, il s'agit d'un facteur aggravant pour une personne que d'avoir une alcoolémie supérieure à 160, alors, il y a un incitatif pour une personne qui présente une alcoolémie élevée de refuser de fournir un échantillon d'haleine. Aux États-Unis et en Australie, il est habituel d'avoir des peines liées à l'alcoolémie et d'appliquer la peine maximale à une personne qui refuse de fournir un échantillon d'haleine.
Enfin, je signalerais qu'une bonne partie de notre travail à titre de fonctionnaires a consisté à réagir aux décisions rendues par les tribunaux et aux progrès technologiques. Les dispositions du Code criminel relatives à l'analyse de l'haleine à l'aide d'un alcootest approuvé datent d'une quarantaine d'années et les modifications autorisant l'utilisation d'appareils de détection ont été ajoutées en 1979.
Il y a eu une série de modifications au cours des ans. À cause de ces modifications et de la jurisprudence complexe sur pratiquement chacun des articles, la loi est très difficile à comprendre. En 1991, le Rapport de la Commission de réforme du droit du Canada pour une nouvelle codification de la procédure pénale précisait ce qui suit:
Les règles qui régissent le dépistage et la preuve des infractions liées à la conduite avec facultés affaiblies sont inutilement complexes. Elles sont le résultat de réponses fragmentaires, d’une part aux progrès scientifiques dans le domaine, et d’autre part aux exigences sans cesse croissantes de la population quant à l’efficacité de la recherche et de la poursuite de délinquants. De ce fait, certaines dispositions sont à notre sens devenues carrément illisibles.
Le document sur les questions laisse entendre que l'examen de la loi dans son ensemble dans le but de la simplifier pourrait être avantageux. Si une réforme de la loi est recommandée à la suite de cet examen, il pourrait être approprié que le Parlement aide les tribunaux à comprendre quelle est l'intention du législateur en apportant les changements qui pourraient découler de cet examen par le biais d'un préambule ou de l'inclusion de principes. Le Parlement l'a déjà fait, par exemple, dans le cas des dispositions sur les peines prévues dans le Code criminel et dans le cas de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Merci.
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Dans votre mémoire, vous avez très bien synthétisé la question à laquelle doit répondre ce comité, c'est-à-dire s'il faut avoir recours au droit criminel pour abaisser la limite d'alcoolémie de 0,08 à 0,05.
Dimanche, je suis venu à mon bureau pour relire tous les témoignages que nous avions entendus. Je me suis souvenu que la majorité des témoins avaient dit que la mesure la plus efficace est la suspension administrative du permis de conduire. Comme vous l'avez mentionné, toutes les provinces, sauf le Québec, y ont recours. Je me demande si c'est la recommandation dans laquelle le comité ne devrait pas s'engager.
On nous a expliqué que la création d'une nouvelle infraction dans le Code criminel n'aurait pour conséquence prévisible que d'engorger le système de justice pénale, qui l'est déjà pas mal. On nous a même présenté des statistiques sur le nombre de cas qu'un procureur de la Couronne avait à traiter comparativement au nombre de cas que doit traiter un procureur de la défense.
Cela m'amène à vous poser deux ou trois questions auxquelles, je l'espère, vous aurez des réponses. Tout d'abord, quelles sont les conséquences de la suspension administrative du permis de conduire? Y a-t-il des conséquences, par exemple, sur le plan du droit pénal?
Cela m'amène à vous demander quel est le statut des différents codes de sécurité routière. Est-ce que ces codes dans les provinces n'ont que le statut de lois provinciales? Par conséquent, les provinces ne peuvent-elles que travailler avec la question d'amendes ou existe-t-il des incursions possibles dans le droit criminel? J'aimerais bien que vous m'éclairiez sur cela.
En outre, votre ministère a-t-il effectué des études sur l'effet dissuasif de la suspension du permis de conduire? Des témoins nous ont dit que c'est beaucoup plus efficace parce que c'est immédiat et qu'on évite de différer la conséquence jusqu'à un procès qui peut se dérouler dans un an ou dans 18 mois.
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Merci d'être venus nous rencontrer cet après-midi.
Je vais m'adresser à M. Greg Yost.
Vous avez déjà comparu devant nous, et nous avons tenu des discussions. Je veux bien comprendre votre introduction. Il s'agit de la normalisation de 0,08 à 0,05. Je vais vous expliquer ma question de la façon suivante.
Au Québec, lorsqu'un individu est condamné, il perd son permis de conduire pour une période pouvant aller jusqu'à 12 mois, doit payer les nouvelles amendes, écope d'un casier judiciaire et, dans certains cas, ne peut même pas, de ce fait, aller aux États-Unis. Dans certains cas, si c'est la volonté du juge, il doit installer un anti-démarreur à ses frais pour une période de 12 mois. Pendant trois ans, il est obligé de verser au gouvernement — parce que c'est le gouvernement qui nous assure — une somme couvrant une assurance supplémentaire. Enfin, si le gouvernement pense que l'individu est alcoolique, celui-ci doit subir de nouveau un examen médical, ce qui entraîne des frais également. En fin de compte, si vous additionnez tout ce que le gouvernement du Québec exige à la suite d'une condamnation, même sans avocat ou sans mesure visant à accélérer le processus, vous pouvez voir que vous avez presque tout ça en main.
La question que j'ai à vous poser est régulièrement posée aux parlementaires, surtout par l'entremise des médias. Imaginez que vous avez été condamné et que vous plaidez coupable. Vous avez blessé quelqu'un, vous vous êtes blessé dans la voiture puis, durant votre séjour en prison — on parle en effet d'une faute grave —, vous recevez une indemnisation de la Société de l'assurance automobile du Québec, en vertu d'un régime hors faute. Quand je parle du Code criminel à ces gens, ils sont tout mêlés. Il faut essayer de démêler les choses. Un individu responsable d'une faute criminelle qui est blessé reçoit une indemnisation en prison, chez nous. Comme vous le savez, c'est pour nous un grave problème parce que ça relève du provincial.
La question que M. Ménard vous a posée est très pertinente. Que le taux soit à 0,05 ou à 0,08, les gens seront tout aussi choqués. Je me demande pourquoi vous nous suggérez que le taux soit de 0,05. En ce qui nous concerne, nous avons besoin du 0,05, mais à la lumière de ce que je vous ai dit sur la situation au niveau provincial, j'aimerais savoir quel est selon vous l'avantage d'un taux de 0,05.
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Premièrement, je dirais que les conséquences dont vous parlez s'appliquent grosso modo dans toutes les provinces. Par exemple, l'assurance privée d'un individu sera plus élevée en Ontario après une condamnation pour conduite avec facultés affaiblies. Tout ce dont vous parlez s'appliquerait si on passait simplement de 80 à 50. Les conséquences seraient les mêmes.
J'ai mentionné dans mes remarques la possibilité d'établir quelque chose entre 0,05 et 0,08. Ce serait peut-être une procédure sommaire, moins grave du fait que la personne ne serait pas aussi dangereuse que d'autres. Je ne sais pas quelle attitude la Société de l'assurance automobile du Québec aurait dans le cas d'une condamnation impliquant un taux se situant entre 0,05 et 0,08. Si le Québec décidait d'imposer une suspension administrative, ces gens auraient pleinement le droit d'ajouter des conséquences sur le plan de l'assurance. Cet aspect n'a rien à voir avec le Code criminel.
Vous parlez de blessures et de peine d'emprisonnement, ce qui est une affaire très grave. Ça va relever du Code criminel et donner lieu à une interdiction de conduire pendant plusieurs années. En effet, les conséquences sont sérieuses au Canada. Il est fort probable qu'elles soient, dans les cas où le taux est de 0,08, les plus sévères que j'aie vues. En Australie et aux États-Unis, on n'impose ni une amende minimale de 1 000 $ ni une interdiction d'une année. Encore une fois, je ne crois pas qu'on aura beaucoup plus de succès en rendant les peines du Code criminel plus sévères. Il n'y a rien dans le Code criminel pour les cas où le taux se situe entre 0,05 et 0,08. Il revient à ce comité de décider si ces personnes, qui sont plus dangereuses que les personnes sobres, devraient aussi faire face à une condamnation au criminel et, dans l'affirmative, quelles seraient les peines acceptables.
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Merci, monsieur le président.
Merci pour votre exposé, messieurs. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur deux points plus particulièrement. L'un est ce que M. Petit et d'autres ont évoqué, je crois, ou le sujet sur lequel ils vous ont amenés, à savoir les moyens de dissuasion. L'autre porte sur la simplification des diverses mesures prévues au Code.
En ce qui concerne les mesures de dissuasion, monsieur Yost, quand vous répondiez à la question de M. Murphy, je crois vous avoir entendu dire qu'une suspension provinciale est en fait un moyen de dissuasion très efficace, et que la révocation immédiate du privilège de conduire pourrait en être un aussi. J'aurais été porté à croire que tout le processus judiciaire, c'est-à-dire la condamnation au criminel, le procès public, l'obligation de se présenter devant un tribunal provincial... et même si les accusés plaident coupables, s'ils sont malchanceux, il y a fort à parier qu'un journaliste local assistera à l'audience. J'aurais cru que la sanction prévue au Code criminel — avoir un casier judiciaire et tout ce que cela comporte — dissuaderait les gens davantage que disons, une simple réduction de la limite légale à 50 milligrammes et une suspension immédiate du permis de conduire pour trois mois conformément aux lois provinciales, au lieu de recevoir, comme M. Ménard l'a mentionné, une sanction pénale. J'aimerais bien que vous nous en disiez un peu plus sur les mesures de dissuasion.
S'il reste ensuite du temps, vous pourriez peut-être conclure votre réponse à la question de M. Comartin. J'ai l'impression que la plupart des pressions exercées sur les tribunaux provinciaux par les procureurs tournent autour de la complexité du libellé du Code, les différents jugements, qui ont en fait fourni des interprétations de divers aspects de la législation criminelle relative à la conduite avec facultés affaiblies. Pourriez-vous nous expliquer, en termes simples, comment le Comité pourrait contribuer à simplifier le Code pour augmenter le nombre de poursuites et d'accusations portées?
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Je vais commencer par les mesures de dissuasion. Bien entendu, je suis stupéfait que malgré le niveau des peines prévues dans le Code criminel, les gens prennent quand même le volant après avoir consommé de l'alcool. On serait porté à croire que ces peines suffiraient à les dissuader, mais ce n'est pas le cas apparemment.
Nous avons parlé de la révocation du permis. Il est question ici d'une personne passible d'une amende minimale de 1 000 $, mais être frappée d'une interdiction de conduire pendant un an... En pareil cas, cette interdiction ne constitue pas le plus grand moyen de dissuasion pour la plupart des gens. L'avantage des suspensions administratives provinciales cependant, c'est qu'elles s'appliquent maintenant immédiatement dans toutes les provinces, je crois. Je sais que c'est le cas au Manitoba, qui a été la première province à mettre en oeuvre cette mesure, car j'y ai travaillé quand j'étais là-bas. Si vous dépassez la limite de 80 milligrammes, on vous révoque votre permis et vous ne pouvez pas conduire pendant 90 jours, ou peut-être même plus. On peut avoir recours à une procédure administrative d'appel, qui ne sert habituellement à rien, car on n'y retrouve pas les parties compliquées du Code criminel. On semble se concentrer sur les questions suivantes: Étiez-vous derrière le volant? Votre alcootest a-t-il affiché un taux supérieur à 80 milligrammes? Ce sont là des questions assez simples à répondre.
Pour ce qui est de simplifier le Code, notre comité fédéral-provincial reconnaît depuis de nombreuses années que c'est un problème. Toutefois, nous avons élaboré les dispositions relatives à la conduite avec facultés affaiblies, et les mesures qui ont été intégrées dans le projet de loi C-2. Nous nous réunissons maintenant assez régulièrement et nous passons en revue le Code pratiquement ligne par ligne avec les procureurs provinciaux qui s'occupent de ce genre de cas tous les jours, et qui disent: « on bloquait ici, on bloquait là ».
Je vais vous donner un exemple simple. Si on n'administre pas l'alcootest dans les deux heures, on perd la présomption d'identité. La Couronne doit alors appeler un toxicologue, qui dira: « Eh bien, son taux d'alcoolémie est de 150 milligrammes deux heures et demie plus tard ». Le toxicologue doit ensuite faire un rétrocalcul, etc. Dans certains États australiens, l'échantillon est prélevé dans les deux heures, puis on fait simplement des ajouts à partir de là. Ça fait simplement partie de la loi: 15 milligrammes seront ajoutés chaque heure après deux heures, car on sait que la personne est en phase d'élimination, alors à quoi bon appeler un toxicologue et passer par tout ce processus? Il serait donc possible d'intégrer ce genre de mesure simplifiée dans le Code criminel.
Juste la semaine dernière, je suis tombé sur un cas où encore une fois, le taux d'alcool d'un individu était supérieur à 80 milligrammes après trois heures. Ce cas s'est retrouvé devant la Cour d'appel de l'Ontario parce que dans sa déclaration sous serment au nom de la Couronne, le toxicologue a dit: « Je présume qu'il n'a pas absorbé de grandes quantités d'alcool avant de prendre le volant et qu'il n'a pas consommé d'alcool après son arrestation ». Il y a ensuite le jargon scientifique. Le juge a déclaré: « Eh bien, vous avez établi qu'il n'a pas pris d'alcool entre-temps ». C'est vrai, car les policiers l'avaient placé sous surveillance. Il a ajouté: « Mais vous n'avez pas déterminé s'il avait consommé quoi que ce soit, ou une grande quantité de boissons alcoolisées, juste avant qu'il prenne le volant. » Le juge a alors rejeté la déclaration sous serment et le calcul selon lequel l'individu affichait un taux d'alcool de 130 milligrammes, si je me souviens bien; il faudrait que je revérifie. C'était 190 milligrammes au moment où il conduisait, mais le juge a déclaré un non-lieu parce que les policiers n'avaient pas déterminé qu'il n'était pas...
Comment les policiers sont-ils censés garder quelqu'un sous surveillance pendant 15 minutes avant de l'arrêter? Ils l'arrêtent en bordure de la route.
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Ce que vous dites est très intéressant, maître Yost. J'ai beaucoup pratiqué en tant qu'avocat de la défense — je pratiquais le droit criminel — et j'ai plaidé plusieurs causes concernant les facultés affaiblies.
Une chose me préoccupe. À mon avis, ce qui fait peur aux automobilistes, ce sont les roadblocks effectués sans avertissement, sans préavis. Cela représente beaucoup plus de coûts, cela signifie que les policiers doivent être plus présents, etc.
Au Québec, on a vu une réduction draconienne de la conduite avec facultés affaiblies. Contrairement à ce que disait Me Petit, en vertu du Code de sécurité routière du Québec, pour ce qui est des jeunes de moins de 16 ans, ou de ceux de 16 ans à 18 ans qui attendent d'obtenir un permis, c'est la politique de tolérance zéro. Dès l'instant où il y a une odeur d'alcool, la personne perd automatiquement son permis probatoire. Cela constitue déjà une forme d'éducation.
Je suis préoccupé par deux arrêts de la Cour suprême que j'ai lus et que je suis à relire. Selon les arrêts Orbanski et Elias, la Cour suprême disait, en 2005, que s'il y avait des tests d'haleine aléatoires... Je vais lire le paragraphe 55. La Cour suprême dit, et je cite: « Il va de soi que réduire le carnage attribuable à l'alcool au volant demeure pour le gouvernement un objectif impérieux et valable. ». Donc, cela pourrait contrer l'application de l'article 1 de la Charte.
Je vous ai bien compris. Vous semblez très partagé face à l'idée de réduire le taux d'alcoolémie de 0,08 à 0,05, en raison de tout ce que cela coûterait, de tout ce que cela veut dire, surtout sur le plan criminel. Est-ce bien votre avis qu'il serait beaucoup mieux d'avoir plus de tests aléatoires, plus de roadblocks et plus de prévention, de sorte qu'il reviendrait aux provinces de décider d'un taux d'alcoolémie entre 0,05 et 0,08 et qu'elles auraient la discrétion d'agir? À partir de 0,08, cela relèverait du Code criminel. Vous ai-je bien compris?
Bonjour. Je m'appelle Phil Downes. Je vous transmets les salutations de mon collègue Bill Trudel, président du Conseil canadien des avocats de la défense, que bon nombre d'entre vous connaissent. Nous sommes encore une fois extrêmement honorés d'avoir l'occasion de comparaître devant le Comité pour l'aider dans ce travail très important.
Je suis un avocat de la défense en droit criminel à Toronto, mais vous devriez savoir que j'ai été procureur de la Couronne pendant huit ans. Je crois donc apporter une perspective éclairée, équilibrée et utile à votre étude de ces questions difficiles.
Comme vous le savez sans doute, notre conseil a été créé en novembre 1992 avec l'encouragement de la ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Kim Campbell. Nous comptons des représentants partout au pays dans le but d'offrir une tribune où l'on peut se faire entendre et donner une perspective à l'échelle nationale sur des questions de justice pénale. Nous veillons, d'abord et avant tout, à ce que le droit criminel évolue en toute conformité avec les principes de la justice fondamentale et d'une manière pratique et réalisable dans l'ensemble du pays. Nous vous sommes très reconnaissants de nous donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui. J'espère que nous pourrons fournir des commentaires constructifs sur les questions urgentes dont est saisi le Comité.
J'ai apporté un document sur le Conseil canadien des avocats de la défense. Si vous voulez en savoir plus, n'hésitez pas à prendre un exemplaire.
Nous sommes fermement convaincus que le véritable progrès dans la réforme de la justice pénale ne passe que par la coopération entre toutes les parties. Le Comité directeur national sur l'accès à la justice est justement une initiative qui prône une telle coopération. Je suis sûr que ceux qui y participent, qu'il s'agisse d'agents de police, de procureurs de la Couronne, d'avocats de la défense, de juges, de groupes de victimes, de politiciens ou de fonctionnaires, vous diront que lorsqu'ils se réunissent, ils ont beaucoup plus de points en commun que de divergences d'opinion. Les buts sont fondamentalement les mêmes: des collectivités sûres, des procès équitables, l'utilisation efficace des ressources et une reconnaissance des valeurs constitutionnelles qui sont à la base de notre système de justice pénale.
Cela dit, permettez-moi d'aborder certaines des questions particulières qui sont à l'étude. Je vais d'abord traiter de la proposition concernant le taux d'alcoolémie permis. Dans un certain sens, la limite nous importe peu. Qu'elle soit de 0,08, de 0,05, de 0,01 ou de zéro, nous comprenons l'effort, je suppose. En chiffres absolus, cette limite est en grande partie sans intérêt pour nous et, en soi, elle n'a rien à voir avec la question de l'équité; c'est un choix à faire.
À notre humble avis, toute décision visant à abaisser le taux d'alcoolémie permis doit tenir compte des graves conséquences pour l'administration de la justice au Canada. De nos jours, la charge de travail dans nos tribunaux provinciaux est, dans bien des cas, au bord du point de rupture. Il faudrait donc éviter de l'accroître, à moins qu'il soit évident que les résultats nets l'emporteront sur les coûts accrus qui en découleront inévitablement. Nous estimons que cet exercice engendrera d'énormes coûts financiers, logistiques et autres pour les provinces et les villes partout au Canada qui tiennent les rênes de nos tribunaux et de nos services policiers.
Pensez aux problèmes pratiques qu'il faudra régler avant même d'aller en cour. Si je ne me trompe pas, il y a un an, le Comité a entendu des témoignages sur le temps qu'il fallait aux agents de police pour effectuer une enquête sur une affaire de conduite avec facultés affaiblies, et on avait dit qu'il fallait en moyenne quatre heures environ. Si on veut abaisser la limite permise, il faudra alors s'attendre à ce qu'on fasse plus d'enquêtes et à ce que les agents de police de chaque service policier au pays exigent, à juste titre, plus d'effectifs et plus de ressources. À cause de l'abaissement de la limite, les agents de police auraient sûrement plus d'occasions d'arrêter quelqu'un pour des motifs valables. Il faudrait ensuite amener cette personne à une station de police et lui administrer un alcootest, ce qui signifie un plus grand nombre d'éthyloscopistes et d'éthylomètres. De plus, si quelqu'un est arrêté, il a droit à de l'aide juridique gratuite; attendez-vous donc à ce que les divers régimes d'aide juridique partout au pays demandent plus de ressources.
Ne soyez pas surpris si le nombre des accusations suspendues pour un délai déraisonnable augmente considérablement. Notre représentant en Nouvelle-Écosse m'a dit qu'on peut raisonnablement s'attendre à un délai d'un an avant de pouvoir obtenir une date pour un simple procès de deux jours; c'est la même histoire dans de nombreuses régions de l'Ontario. D'après mon expérience sur le terrain, je peux dire que les procureurs dans bien des provinces et territoires n'ont vraiment d'autre choix que de régler ces accusations par voie de plaidoyer à une infraction provinciale parce qu'ils savent qu'ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour présenter l'affaire en cour à cause du nombre de causes dont ils sont déjà saisis.
Selon moi, on doit être convaincu que les avantages d'abaisser le taux d'alcoolémie l'emporteront sur les coûts énormes liés à une telle décision. Pouvons-nous être sûrs qu'un tel changement n'engendrera pas une baisse des ressources policières consacrées au dépistage et à l'évaluation des récidivistes dangereux qui présentent un plus grand risque de tuer quelqu'un sur la route? À notre avis, la diminution presque invariable des cas de conduite avec facultés affaiblies depuis 1981 et ce, sans qu'on ait abaissé le taux d'alcoolémie, indique que les facteurs sociétaux ont vraiment beaucoup plus de poids pour changer les comportements que l'abaissement d'un taux d'alcoolémie particulier. J'y reviendrai dans ma conclusion.
Je n'ai pas parlé de la technologie — il n'y a pas assez de temps — mais il faut garder à l'esprit que les appareils qui sont utilisés, les éthylomètres, sont, dans certains cas, vieux de 25 ans, et leur fiabilité est toujours très douteuse. À mesure qu'on réduit le taux d'alcoolémie, on augmente l'éventualité que des gens innocents sur le plan des faits soient accusés parce que la fiabilité, d'après nous, diminue proportionnellement avec le taux d'alcoolémie permis.
Permettez-moi de passer à la question des tests d'haleine aléatoires. Il est important de comprendre en quoi cela consiste vraiment. Je crois qu'un bon exemple — du moins, en Ontario — serait les programmes RIDE dont vous avez déjà parlé aujourd'hui. Dans le cadre de ces programmes, la police a le droit d'arrêter systématiquement chaque conducteur et de l'interroger sur sa consommation d'alcool et ce, sans motifs précis. Les agents de police sont formés à cette fin; ils font ces évaluations en posant des questions très simples. Cela nous amène à une question: qu'en est-il des compétences des agents de police dans la conduite de ces enquêtes si nous croyons qu'ils ont besoin d'un motif tout à fait raisonnable pour exiger un échantillon d'haleine? Nous estimons que grâce à de l'expérience et à une formation adéquate, ils peuvent conclure si une personne a consommé de l'alcool ou si elle ment lorsqu'elle dit le contraire. Le seuil est très bas.
Voulons-nous que la police puisse simplement soumettre à une épreuve de dépistage chaque conducteur arrêté en bordure de la route, dans le cadre d'un programme RIDE? Quel en sera l'effet sur le temps qu'il faudra pour administrer ce programme? Préparez-vous donc à ce que les tribunaux disent que ce genre de dépistage aléatoire, sans recourir à un avocat, ne constitue plus une violation raisonnable et justifiable en vertu de la Charte. N'oubliez pas que la Cour suprême du Canada a statué que ces types de programmes allaient à l'encontre de la Charte mais qu'ils étaient justifiés aux termes de l'article 1.
J'ajouterais que nos représentants au Yukon, à qui j'ai parlé de cette question, ont également des réserves quant à la criminalisation de personnes qui sont déjà marginalisées par la pauvreté et des accusations au criminel et qui pourraient faire l'objet d'une plus grande intervention policière si les épreuves de dépistage aléatoires étaient mises en place. Nous croyons que la population serait préoccupée, et à juste titre, de voir que les épreuves de dépistage aléatoires multiplient les cas déjà nombreux d'invasion de la vie privée.
Passons maintenant à la question des antidémarreurs. Pratiquement tout le monde pense que c'est une bonne idée. Pourquoi? Parce que ça fonctionne et, selon nous, ça permet de réduire efficacement le nombre de récidivistes. Comme vous le savez, le Code prévoit une réduction de la période d'interdiction à partir de la date de condamnation si le conducteur installe un antidémarreur. Le hic, c'est que la plupart des provinces n'ont pas mis en oeuvre ce programme. À notre avis, le gouvernement fédéral devrait envisager de prendre des mesures pour s'assurer que les provinces appliquent cette disposition. La Nouvelle-Écosse, à ma connaissance, l'a adoptée assez récemment. D'après ce que nos représentants de cette province nous ont dit, le premier effet que les avocats de la défense au criminel ont remarqué, c'est la croissance importante du nombre de plaidoyers de culpabilité parce que les gens se rendent compte qu'ils peuvent éviter le plus grand inconvénient — c'est-à-dire l'incapacité de conduire — par l'installation d'un antidémarreur, ce qui est un moyen de dissuasion efficace contre l'alcool au volant, particulièrement pour les récidivistes. De plus, cette option ne les prive pas de leur gagne-pain.
Nous pensons qu'il est également crucial de reconnaître les disparités régionales et les différentes répercussions que ce programme ou que la révocation du permis de conduire pourraient avoir. La situation d'un fermier dans une région rurale en Alberta dont le permis a été révoqué pendant un an est très différente de celle d'une personne qui vit dans un condo au centre-ville de Montréal ou à Vancouver. Au Yukon, où le transport public à l'extérieur des grands centres est presque inexistant, une révocation du permis de conduire signifie que les gens perdent essentiellement leur moyen de subsistance. Il est donc très important de ne pas perdre de vue les disparités régionales dans ce programme.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'appelle Jan Westcott. Je suis le président et chef de la direction de Spirits Canada, également connue sous le nom de l'Association des distillateurs canadiens.
Nous vous remercions de nous donner l'occasion de comparaître devant vous aujourd'hui pour vous faire part de la position de notre industrie concernant les moyens pour réduire l'incidence de la conduite en état d'ébriété.
Nous sommes une association commerciale nationale qui représente les producteurs et les commerçants de spiritueux de distillation au Canada. Nous utilisons des produits agricoles canadiens, surtout des grains provenant du Canada central et de l'Ouest, pour produire des spiritueux de distillation, que nous vendons au Canada et que nous exportons à quelque 162 pays partout dans le monde.
Nous sommes en fait les plus grands exportateurs de boissons alcoolisées au pays et nous sommes fiers de notre produit le plus réputé, le whisky canadien — que certains d'entre vous, on l'espère, connaissent bien — et qui demeure le whisky le plus vendu aux États-Unis, notre plus grand marché.
Nous importons et vendons une vaste gamme de spiritueux produits dans d'autres pays et, de concert avec nos entreprises membres, nous vendons plus de 80 p. 100 de tous les spiritueux sur le marché canadien.
Un des objectifs fondamentaux de l'Association et de ses membres, c'est de favoriser la consommation responsable de toutes les boissons alcoolisées. Fidèle à cet objectif, l'industrie participe à un large éventail d'activités, notamment la commandite de campagnes d'intérêt public, des programmes de sensibilisation ciblée et des publicités dans les médias. Toutes ces activités visent à mieux sensibiliser les gens à l'importance de la modération. En fait, bon nombre de nos initiatives sont axées sur la prévention de l'alcool au volant.
Nous collaborons également avec des organisations reconnues dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre la toxicomanie ainsi qu'avec le milieu universitaire pour mener des recherches et trouver de nouvelles idées en vue de lutter contre l'abus d'alcool. De plus, nous travaillons avec tous les paliers de gouvernement pour élaborer des politiques afin d'éradiquer le problème de l'alcool au volant.
Dans cette veine, nous avons fait partie du premier groupe qui a exhorté la mise à jour de l'approche canadienne visant à réduire les risques associés à la consommation abusive de l'alcool. À ce titre, nous avons eu le privilège de siéger à divers comités de direction et groupes de travail pendant trois ans, ce qui s'est soldé par la création de la nouvelle stratégie nationale sur l'alcool du Canada. Cette stratégie a été officiellement lancée en 2007 par Santé Canada, le Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies et l'Alberta Alcohol and Drug Abuse Commission.
Conscients du fait que la stratégie est tout simplement un plan destiné à réaliser des progrès pour régler les problèmes liés à l'abus d'alcool, nous continuons de travailler activement en vue de concrétiser la stratégie grâce à la mise en oeuvre de nouveaux programmes et stratégies.
Dans ce contexte, je veux vous faire part de nos observations sur certaines des questions que vous étudiez actuellement.
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Pour toute une série de raisons, nous sommes contre l'abaissement de la limite du taux d'alcoolémie prévue dans le Code criminel de 0,08 à 0,05 p. 100. Il se trouve que l'ensemble des provinces et territoires canadiens, à l'exception du Québec, dont le gouvernement a examiné et rejeté l'adoption de telles mesures administratives il y a environ 14 mois... Il y a eu tout un débat dans cette province, à l'issue duquel on a conclu que ce n'était pas le moment. Le reste des provinces et des territoires maintiennent et appliquent des sanctions administratives, avec suspension de permis et retrait immédiat du véhicule aux conducteurs qui ont bu et dont le taux d'alcoolémie est inférieur à 0,08 p. 100. Ces procédures administratives sont déjà efficaces pour les personnes dont le taux d'alcoolémie est de 0,05 gramme par litre de sang, et dans quelques provinces où ce taux est encore plus bas. Tout cela est fait dans le but de mettre rapidement hors d'état de nuire sans trop de remous des conducteurs potentiellement dangereux. De plus, sous l'égide du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé, on améliore ces programmes administrés localement de façon à ce qu'ils soient plus efficaces pour dissuader les gens de prendre le volant après avoir consommé de l'alcool.
Il convient aussi de noter que le groupe hétéroclite de personnes qui ont entrepris la création de la nouvelle stratégie nationale canadienne de lutte contre la consommation d'alcool ont sciemment omis, parmi leurs 41 recommandations, d'inclure toute proposition visant à abaisser le taux légal permis actuellement. Ce groupe de gens, composé de membres d'organisations pour toxicomanes et d'experts en la matière, de représentants des milieux médicaux et universitaires, de groupes d'intérêt, des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi que des administrations municipales, des communautés autochtones, de la police, de la sécurité routière et des milieux de la recherche, ainsi que de l'industrie, ont choisi de ne pas modifier le seuil, croyant qu'il serait beaucoup plus avisé et efficace de réduire ou d'éliminer la conduite en état d'ébriété que de modifier la loi dans sa forme actuelle. Et si certains croient que le groupe n'a pas pris en compte la conduite avec facultés affaiblies, j'aimerais attirer leur attention sur cinq recommandations distinctes de la stratégie nationale en matière de lutte contre la consommation d'alcool qui concernent directement la conduite en état d'ébriété.
La recommandation 37 consiste à endosser et à soutenir la « Stratégie de réduction de la conduite avec facultés affaiblies (SRCFA 2010) ». Vous en avez probablement déjà entendu parler et je vais y revenir dans une minute.
La recommandation 38 vise à adopter le modèle de suspension à court terme des permis de conduire et les autres mesures qui s’adressent aux personnes ayant pris le volant avec un taux d’alcoolémie inférieur, tel que proposé par le Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé ou CCATM .
La recommandation 39 vise à renforcer l’application de la loi concernant l’alcool au volant, notamment pour faire taire les rumeurs persistantes selon lesquelles la police ne porte pas d'accusations criminelles à moins que les conducteurs aient des taux d'alcoolémie supérieurs à 0,10 p. 100.
Dans la recommandation 40, on demande au gouvernement de se concentrer sur les conducteurs dépendants de l’alcool ou à risque élevé ainsi que sur les récidivistes — ceux dont les taux d'alcoolémie sont souvent bien au-dessus de la limite légale permise — et d'utiliser activement et de manière plus répandue la technologie permettant d'empêcher ces groupes de personnes bien identifiées de prendre le volant.
La recommandation 41 prévoit l'instauration d'un programme d'immatriculation par étapes et l'adoption de dispositions relatives à la tolérance zéro — c'est-à-dire un taux d'alcoolémie nul — pour tous les conducteurs âgés de 21 ans et moins.
Les membres du Groupe de travail sur la stratégie nationale sur l'alcool croyaient fermement que ces mesures — plutôt que celles consistant à rabaisser le seuil criminel — étaient celles qui permettraient d'enregistrer les meilleurs résultats dans le laps de temps le plus court pour combattre l'alcool au volant.
Je ne vais pas me perdre dans les détails relatifs aux différentes mesures caractérisées par ces cinq recommandations, mais je serais ravi de répondre à toute question les concernant.
J'aimerais maintenant aborder une notion dont vous parleront souvent les tenants d'un abaissement du taux légal au Canada. Ils vous diront que d'autres pays modifient leurs politiques pour ramener le taux d'alcoolémie à 0,05 p. 100 et que le Canada fait mauvaise figure parce qu'il ne leur emboîte pas le pas. Étant donné le désir très profondément ancré des Canadiens de ne pas aller à contre-courant — c'est une notion populaire — , et même si c'est en partie fondé, cela traduit vraiment une image déformée de la réalité. Ce qui est vrai, c'est que beaucoup de pays abaissent le taux d'alcoolémie à 0,05 p. 100, et même à des niveaux inférieurs dans certains cas. Mais ce qui est faux, c'est de dire que ces pays font de ce taux leur seuil criminel.
Dans une étude réalisée en 2002 par l'Université d'Ottawa pour le compte du Conseil canadien de la sécurité — qui a été mise à jour en 2006 —, il est établi que la vaste majorité des pays qui ont fixé le taux d'alcoolémie à 0,5 gramme d'alcool par litre de sang l'ont fait par le biais de sanctions administratives et non en modifiant leur droit pénal. J'ai cru comprendre que le Conseil canadien de la sécurité était en train d'actualiser les données de cette étude pour qu'elles reflètent mieux la réalité d'aujourd'hui. D'ailleurs, l'étude a révélé que beaucoup de pays faisaient exactement la même chose que les provinces et territoires canadiens appliquent depuis longtemps déjà, c'est-à-dire des suspensions administratives immédiates, pour empêcher les conducteurs en état d'ébriété de reprendre le volant. Ils n'appliquent pas le droit pénal pour criminaliser la conduite quand le taux d'alcoolémie est de 0,05 p. 100, comme certains proposent que nous le fassions ici.
J'aimerais revenir un instant sur ce que nous faisons dans ce pays pour combattre la conduite en état d'ébriété, et les résultats obtenus. Il y a environ un an, des représentants du Conseil canadien de la sécurité ont comparu devant ce comité. J'aimerais vous rappeler quelques-uns des faits qu'ils vous ont rapportés. Ils ont dit que 851 personnes avaient perdu la vie en 2005 dans des accidents de la route causés par des chauffards en état d'ébriété. Parmi ces décès, 459 étaient attribuables à des conducteurs dont le taux d'alcoolémie dans le sang dépassait la limite légale de 0,08. Ils ont ensuite déclaré que le nombre de morts sur les routes en 2005 avait baissé de 34 p. 100 par rapport à 1995, année où l'on avait déploré 1 296 victimes dans des accidents impliquant des chauffeurs ivres. En partie, ils ont attribué cette baisse au fait que les gouvernements provinciaux et Transports Canada, ainsi que de nombreuses organisations non gouvernementales, avaient fait des efforts concertés pour s'attaquer à ce problème. Le CCATM a coordonné les efforts à tous les niveaux pour élaborer et améliorer des mesures destinées à réduire l'incidence de la conduite en état d'ivresse. L'une des actions les plus significatives menées au Canada est l'intervention policière que je viens de mentionner auprès des conducteurs ayant un taux d'alcoolémie supérieur ou égal à 0,05 p. 100.
Mon collègue vient de parler des avancées technologiques, et j'aimerais dire que j'appuie leur application. De nombreuses organisations vouées à la sécurité et spécialisées en la matière ont indiqué que de nouveaux dispositifs étaient maintenant disponibles, comme l'interrupteur d'allumage, et elles recommandent leur utilisation pour les récidivistes qui constituent une menace pour la sécurité du public. Le gouvernement fédéral devrait faire davantage pour faciliter l'emploi de ces systèmes et travailler avec les provinces et les territoires afin de déterminer pourquoi ils ne sont pas davantage utilisés. Ces instruments permettent de sauver des vies en mettant hors d'état de nuire des alcooliques notoires. Leur utilisation devrait être généralisée. Quand on sait que la très grande majorité des décès dûs à l'alcool sur les routes sont causés par des chauffards dont le taux d'alcoolémie est nettement supérieur à la limite légale de 0,08 p. 100, il y a lieu de s'inquiéter que ces dispositifs ne soient pas plus répandus.
Dans une étude réalisée en janvier 2008 pour le compte de Transports Canada, la Fondation de recherches sur les blessures de la route au Canada a rapporté que 55 p. 100 des conducteurs blessés mortellement avaient un taux d'alcoolémie dans le sang supérieur à 0,16 p 100. Donc, plus de la moitié de ces conducteurs ivres avaient atteint plus de deux fois la limite permise. Trente pour cent avaient un taux d'alcoolémie compris entre 0,08 et 0,16 p 100. Dix pour cent des conducteurs mortellement blessés avaient moins de 0,5 gramme d'alcool dans le sang, alors que seulement 5 p. 100 de ces chauffeurs avaient un taux d'alcoolémie compris entre 0,05 et 0,08 p. 100.
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Merci à vous deux pour ces exposés.
La plupart de mes questions s'adressent à M. Downes.
Je suis avocat, mais pas en droit criminel. Dans la première partie de votre exposé — vous plaisantiez peut-être, et c'est très bien, parce que comme tout le monde, j'aime les bonnes blagues —, vous avez dit, en parlant au nom d'une organisation, que la limite vous importait peu. J'aimerais que vous reveniez là-dessus, car que le taux soit fixé à 0,05, 0,06, 0,07 ou 0,08 p. 100, cela constitue une grave infraction et a des conséquences sérieuses pour les clients que représente votre groupe. Il existe un intérêt public très fort pour la prévention des accidents. Contrairement au vol d'une poule, à du vandalisme ou à une entrée par effraction, où il y a une preuve physique d'un méfait, dans ce cas-ci, la sanction a un caractère préventif, d'une certaine manière. Si vous dépassez la limite permise et prenez le volant, mais que vous n'avez encore causé aucun accident, il existe la preuve factuelle d'un risque de nuire. Par conséquent, le risque révélé par un taux d'alcoolémie élevé constitue véritablement le noeud du problème.
Pourriez-vous reconsidérer cela et me dire sérieusement quel serait le taux d'alcoolémie approprié pour les avocats de la défense?
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Oui, nous l'avons fait. À ce propos, j'aimerais dire plusieurs choses. La première est qu'au cours des 15 dernières années, tous les gouvernements, et j'insiste là-dessus, ont fait des efforts beaucoup plus concertés. Permettez-moi de vous donner un exemple.
Pendant cette période, de plus en plus de provinces se sont mises à appliquer la suspension administrative, et il semble que ce soit maintenant quelque chose d'acquis. Cela varie d'une province à l'autre, et les taux aussi. Dans certaines provinces, si on vous arrête pour une infraction, vous pouvez faire l'objet d'une suspension de 12 heures: vous stationnez votre voiture et revenez la chercher le lendemain. Dans d'autres provinces, ce délai est de 24 heures. Ce que nous faisons tous, c'est essayer de généraliser ces pratiques pour que les citoyens comprennent les risques qu'ils encourent lorsqu'ils se font prendre.
Il s'est aussi passé une autre chose, et le CCATM a émis plusieurs recommandations. Il est important pour une province de savoir ce qui se passe dans une autre province. Les gens bougent beaucoup dans ce pays. S'ils ont un dossier dans une province, même si ce n'est que pour deux ou trois suspensions administratives, il est bon que la province dans laquelle ils iront s'établir connaisse leurs antécédents. Donc, l'administration de ces mécanismes s'améliore et se resserre. L'une des plus grandes tâches à venir consistera à faire comprendre cela au public pour qu'il connaisse les risques associés à la conduite en état d'ébriété.
Par ailleurs, auparavant, lorsque vous étiez arrêté deux ou trois fois, cela ne figurait dans aucun registre. On n'en gardait aucune trace.
L'une des recommandations que commencent à suivre plusieurs provinces est que lorsqu'un automobiliste se fait arrêter, disons, trois fois en deux ans avec un taux d'alcoolémie compris entre 0,05 et 0,08 p. 100... On se fait une idée du type de personne et de conducteur qu'il est. Cela peut indiquer qu'il prend une mauvaise tangente et qu'il serait peut-être temps d'intervenir.
Je pense qu'il y a eu toute une série d'interventions sur lesquelles on a très peu attiré l'attention du public. C'est de la bonne gouvernance, dans un sens, et cela démontre l'efficacité de programmes qui, selon moi, donnent de meilleurs résultats.
Mes questions s'adresseront surtout à M. Downes.
Je ne suis pas avocat et je n'essaierai pas de jouer au plus malin avec vous, parce que je ne dispose que de quelques minutes, et j'ai besoin que vous me répondiez de façon succincte.
Vous parliez plus tôt des principes de la justice... Vous avez poursuivi en affirmant que cela ne signifiait pas grand-chose, que c'était surtout une question de brasser des affaires. Cette affirmation a d'ailleurs fait réagir. Certains pourraient croire qu'il s'agissait d'un lapsus, mais je crois que vous avez déjà répondu à la question.
Une autre question qui revient souvent, c'est de savoir ce que tout cela représente pour vos clients potentiels: le fardeau énorme qu'ils doivent porter sachant qu'ils pourraient être accusés de conduite avec facultés affaiblies ou faire l'objet d'une accusation criminelle. C'est mon collègue du NPD qui vous a posé la question. Vous avez ensuite parlé de contestation judiciaire.
Mais quand on parle de conduite avec facultés affaiblies, on parle aussi des victimes. Les victimes n'ont pas le privilège de se présenter devant une cour d'appel ni de porter leur affaire devant la Cour suprême, parce qu'elles ne sont plus là pour se défendre. L'intention ici, c'est davantage de voir à la protection des victimes, plutôt que des personnes commettant l'infraction. C'est pourquoi le public, pas les personnes accusées et trouvées coupable de conduite avec facultés affaiblies, mais les simples citoyens, les gens qui nous élisent pour les représenter, veulent que nous continuions à nous pencher sur ce problème. Ce sont eux qui décident des objectifs politiques.
J'aimerais connaître vos impressions à ce sujet. Il est vrai que ce n'est pas une mince affaire d'être accusé au criminel, par contre, l'idée générale est de protéger le public d'un crime potentiel qui a la plupart du temps de graves conséquences.
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Merci, monsieur le président.
Merci de nous avoir présenté vos mémoires aujourd'hui.
Pour faire suite aux questions de M. Norlock, je suis d'accord avec vous, monsieur Downes, pour dire que d'un point de vue juridique, le chiffre a probablement peu d'importance; cela devient arbitraire. Il sera toujours difficile d'arriver à un consensus là-dessus.
Ce qui me préoccupe davantage, c'est l'application uniforme de la loi dans l'ensemble du Canada. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez. Si on poursuit dans le même ordre d'idées, dans certaines provinces, comme la mienne, l'Alberta, une personne qui échoue l'alcootest sur place est assujettie à une suspension de 24 heures. Je ne sais pas si la limite est de 0,05 ou pas. Dans d'autres provinces, on applique une suspension de 12 heures. Au Québec, à ce que je comprends, il n'y a pas de suspension administrative.
En tant qu'association nationale d'avocats de la défense, n'avez-vous pas des réserves à l'égard de l'application inégale de la loi? Est-ce que ça ne viendrait pas uniformiser les choses d'avoir recours au Code criminel?