:
Merci, monsieur le président.
Il y a un ou deux membres du comité qui n'ont pas assisté à la dernière séance, je vais donc résumer brièvement les faits.
M. Lemay et moi avions demandé à M. Don Head, directeur de Service correctionnel Canada, de nous fournir certaines données. Il s'est en fait engagé à le faire. Je dispose maintenant de renseignements, que je ne possédais pas à l'époque, selon lesquels le 13 novembre, il s'était engagé à nous transmettre ces données avant l'étude article par article du projet de loi du 16 novembre, et il a malheureusement envoyé la lettre au Bureau du ministre de la sécurité publique et de la sécurité nationale même si elle était adressée à la greffière du comité. Cette lettre est demeurée dans ce bureau jusqu'à ce qu'elle me soit remise, hier; le leader à la Chambre du gouvernement m'a remis hier une copie de cette lettre. Je crois que cette lettre a maintenant été distribuée à tous les membres du comité. C'est en tout cas l'information que m'ont communiquée mes collaborateurs cet après-midi.
Nous l'avons donc finalement reçue. Bien sûr, nous l'avons reçue après l'étude article par article et après le débat qui a eu lieu à la Chambre les lundi et mardi de cette semaine. Ni M. Head, ni le bureau du ministre, ni le ministre lui-même n'ont expliqué pourquoi le document ne nous avait pas été remis comme cela avait été promis au cours de la séance à laquelle M. Head a assisté le 4 novembre.
Il existe, à mon avis, de nombreux précédents, monsieur le président, qui indiquent que, lorsque ce type d'engagement est donné, le fonctionnaire qui l'a donné doit le respecter. Si M. Head avait estimé qu'il était tenu de communiquer cette lettre au ministre avant qu'elle soit transmise au comité, je ne sais pas très bien où il a tiré cette solution. Ce n'est pas la façon normale de procéder. Mais au moins, s'il l'a transmise au Bureau du ministre, les collaborateurs du ministre auraient dû la transmettre au comité en temps utile, selon l'engagement qui avait été pris envers le comité.
Si ces personnes ne pouvaient le faire, monsieur le président, elles auraient dû en informer le comité et celui-ci aurait pris des mesures appropriées pour obtenir le document avant de procéder à l'étude article par article en remettant cette étude à plus tard, en attendant d'obtenir les renseignements nécessaires.
Ces renseignements étaient manifestement pertinents. Je l'affirme même si je n'ai pu que parcourir cette lettre. Ces renseignements concernaient manifestement les questions que soulevait le projet de loi et ils auraient pu être utilisés pour qu'au moins M. Lemay et moi puissions expliquer pourquoi le projet de loi C-36 ne devrait pas être adopté tel que rédigé.
Monsieur le président, encore une fois, pour les quelques membres du comité qui n'étaient pas ici lundi, il faut maintenant, si je peux soumettre ma question de privilège à la Chambre, que le comité envoie un rapport à la Chambre pour informer de la situation le président, qui a le pouvoir de décider s'il y a eu réellement violation de mon privilège parlementaire et de celui de M. Lemay, et je crois, de celui de tous les membres du comité. Pour que le président puisse prendre cette décision, il doit avoir en main un rapport du comité expliquant ce qui s'est produit. J'ai également remis au comité un résumé du rapport qui me paraissait approprié. Je l'ai lu pour le compte rendu, lundi après-midi, au cours de notre dernière séance.
J'ajouterais qu'il serait bon d'agir rapidement sur cette question, comme je l'ai fait remarquer lundi. Pour invoquer un privilège, il faut le faire à la première occasion. Pour moi, l'occasion est apparue lundi matin lorsque j'ai constaté que le document que M. Lemay et moi avions demandé et qu'on avait promis de nous envoyer, ne nous avait jamais été remis, comme j'en avais été informé auparavant, et comme d'autres membres en ont également été informés, à mon avis. Nous ne l'avons, en fait, jamais reçu. Nous avons été informés du fait que cette lettre nous avait été remise. Nous avons pensé qu'elle avait été simplement égarée ou que nous ne l'avions pas vue.
J'ai découvert que nous ne l'avions jamais reçue et que pour une raison ou pour une autre, le bureau du ministre était intervenu dans ce processus. Le délai qui m'est accordé pour soulever une question de privilège a commencé à courir lundi. Je pense que la règle générale veut que ce genre de question soit soumise à la Chambre dans un délai d'un à deux jours. Nous en sommes maintenant au deuxième jour, et je pense qu'on pourrait même soutenir qu'il s'agit du troisième jour. Le président de la Chambre a déjà clairement déclaré, pas seulement celui-ci mais d'autres aussi, qu'il fallait agir rapidement dans ce genre de cas.
Il est donc absolument essentiel de l'examiner aujourd'hui, de préparer un rapport, de le transmettre à la Chambre demain ou vendredi, pour que je puisse soulever ma question de privilège devant la Chambre.
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Je vais essayer de garder mon calme, ce qui sera très difficile compte tenu des propos que je viens d'entendre de la part du secrétaire parlementaire.
Ce n'est pas notre faute si vous avez surchargé, et je dis bien « surchargé », le comité. Vous avez déposé neuf projets de loi. Vous voulez modifier à peu près tout le Code criminel, et vous voudriez qu'on fasse ça de façon expéditive. C'est ce que j'appelle du non-respect, et vous êtes non respectueux des membres de ce comité et de la Chambre des communes, point à la ligne. Le document qui est présentement en notre possession, on aurait dû le recevoir le 13 novembre. Quelqu'un l'a caché ou a oublié de l'envoyer et c'est le privilège des membres de ce comité et des membres de cette Chambre de le dénoncer. Je ne sais pas qu'elle sera la décision du président — je m'en doute un peu —, mais il me semble que c'est une attitude que nous devons dénoncer. Il faut que ça cesse.
Ce n'est pas notre faute si vous convoquez tellement de témoins que nous n'aurons pas le temps de les entendre. C'est dommage et je tiens à m'en excuser personnellement auprès des témoins qui ont fait un long trajet pour venir ici aujourd'hui. Tout le monde savait... Je m'excuse auprès du président, mais ce dernier savait, et vous le saviez aussi, que la discussion sur cette motion allait continuer aujourd'hui. Vous le saviez et vous avez quand même pris le risque d'inviter des témoins. Quand je vois la liste des témoins invités à comparaître aujourd'hui, je suis outré pour ces derniers. Je vous le dis et j'espère que vous allez le retenir: ce n'est pas vrai que vous allez nous bousculer, nous « bulldozer ». Vous allez prendre votre temps, vous allez vous calmer et on va faire ça tranquillement. Ce sont des projets de lois extrêmement importants. Par exemple, dans quelques minutes, plusieurs d'entre nous devront se rendre à la Chambre des communes pour parler du projet de loi . Ça n'arrête pas.
Alors, prenez votre temps, respirez par le nez et déposez les documents. Vous saviez que vous deviez les déposer avant le 16 novembre et ça aurait pu être fait. J'ai la version française en ma possession; elle a été signée le 13 novembre. Il n'y a rien qui vous empêchait de nous les remettre et c'est cette omission qui me semble déplorable de la part du gouvernement.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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Je vais vous dire très rapidement ce que je pense sur la question de savoir si la motion qu'a présentée M. Comartin soulève une question de privilège parlementaire.
À mon avis, c'est effectivement le cas. Dans le cadre de l'étude d'un projet de loi, dans ce cas-ci le projet de loi , des membres du comité ont posé certaines questions à un des témoins. Le témoin a répondu qu'il possédait les renseignements qui lui permettraient de répondre à la question, mais qu'ils ne les avaient pas avec lui à ce moment-là. Il lui a alors été demandé s'il pouvait fournir ces renseignements aux membres du comité, par l'intermédiaire du président, avant le 16 novembre, étant donné que nous devrions procéder ce jour-là à l'étude article par article. Le témoin a clairement déclaré que oui, il était en mesure de le faire.
Le 16 novembre, nous nous sommes réunis pour l'étude article par article et certains membres du comité ont demandé où se trouvaient les renseignements que devait fournir ce témoin. On leur a dit que ces renseignements avaient été envoyés à leur bureau, et avaient été distribués à tous les membres du comité.
En réponse à la déclaration de M. Moore, ces membres, ayant été informés qu'ils se trouvaient en possession des renseignements dont ils estimaient avoir besoin pour exercer leurs fonctions et responsabilités de parlementaires et procéder à l'étude article par article, puisque ces renseignements devraient leur permettre de prendre des décisions au cours de cette étape, n'ont pas réagi à cette déclaration parce qu'ils ont pensé qu'eux ou leurs collaborateurs avaient commis une erreur.
Ce n'est qu'une fois terminée l'étude article par article que nous avons été informés, ou du moins que certains membres ont été informés, du fait que ces renseignements existaient, mais avaient été... J'hésite à utiliser le mot « détourné », mais s'étaient retrouvés sur le bureau du ministre et n'avaient pas été communiqués aux membres du comité. C'est ainsi que ces membres, M. Comartin en particulier et M. Lemay, ont procédé à l'étude article par article en se fondant sur une information erronée.
J'estime que cela concerne le privilège parlementaire. Nous avons le devoir et l'obligation de faire ce qui nous paraît nécessaire pour nous préparer à étudier un projet de loi qui nous a été renvoyé. Certains membres du comité ont estimé qu'ils avaient besoin de certains renseignements pour être en mesure de passer à l'étape de l'étude article par article. Il leur a été dit qu'ils obtiendraient ces renseignements. En fait, ils ne les ont pas obtenus, mais on leur a dit, à tort, qu'ils leur avaient été transmis.
À mon avis, cela concerne le privilège parlementaire et une atteinte possible à ce privilège.
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Quelqu'un d'autre veut-il intervenir?
Très bien. Je vais me prononcer sur la question de savoir si cet aspect concerne une question de privilège. Je vais utiliser comme référence le nouveau traité O'Brien et Bosc.
J'aimerais tout d'abord souligner le fait que je vais répartir en deux catégories les droits particuliers, comme on les appelle. Certains sont accordés aux députés individuellement et d'autres à l'ensemble de la Chambre. D'après tout ce que j'ai entendu, je pense que les droits dont il s'agit ici sont ceux qui sont accordés individuellement aux députés.
Ce droit comporte cinq aspects. Premièrement, il y a liberté de parole, qui n'est pas concernée ici. Il y a également l'immunité d'arrestation dans les affaires civiles, qui n'est pas concernée ici. Il y a aussi l'exemption du devoir de juré, qui, elle non plus, n'est pas concernée ici. Il y a l'exemption de l'obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal. Le cinquième est la protection contre l'obstruction, l'ingérence, l'intimidation et la brutalité. D'après les documents que m'a transmis M. Comartin et d'après les commentaires qu'il a formulés tant aujourd'hui que le 23 novembre, je pense qu'il fait référence à la protection contre l'obstruction et l'ingérence.
Mon rôle consiste à décider si l'affaire soulevée par M. Comartin concerne un privilège. Je note également que la question de privilège vise un ministre de la Couronne particulier et plus précisément le ministre de la Sécurité publique.
J'ai consulté la greffière et examiné l'ouvrage O'Brien et Bosc. Les présidents précédents ne se sont pas prononcés sur ce point. Il y a quelques affaires qui sont semblables et pour ceux qui souhaitent les examiner plus tard, je vous renvoie à la page 115 de l'ouvrage O'Brien et Bosc, et plus précisément à la note 242.
Le président Milliken a examiné, le 25 février 2004, la question de savoir s'il y avait, à première vue, atteinte au privilège concernant des déclarations trompeuses contenues dans le rapport sur les plans et priorités de 1999-2000 du ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux.
Le passage important comprend les deux phrases que je vais vous lire maintenant, qui se trouve, je le répète, dans la note 242 de la page 115:
Le président a indiqué qu'aucune preuve n'avait été présentée pour établir que les hauts fonctionnaires du ministère avaient l'intention délibérée de tromper les députés et de les entraver dans leurs fonctions. Il a toutefois précisé que, si le Comité permanent des comptes publics présentait de nouveaux éléments de preuve, il pourrait y avoir matière à question de privilège.
Je note qu'il a utilisé les mots « intention délibérée ». Je pense que les mots « entrave » et « ingérence » font référence à un élément intentionnel et à un élément délibéré.
J'aimerais citer un passage des commentaires de M. Comartin qui ont débouché sur l'examen de cette question aujourd'hui. Je fais référence aux commentaires qu'il a formulés le 23 novembre, lorsqu'il parlait d'une discussion qu'il avait eue avec M. Lukiwski, le leader adjoint à la Chambre du Parti conservateur.
Il a déclaré qu'il — il faisait référence alors à M. Don Head —pensait qu'il les avait donnés — faisant ainsi référence, peut-on penser, aux renseignements que demandait M. Comartin — au « ministre de la Sécurité publique et de la Sécurité nationale., M. Lukiwski a confirmé plus tôt cet après-midi qu'en fait le ministre possédait ces renseignements, les avait eus depuis au moins la semaine dernière, lundi dernier, ne les avait pas vus, les examinait et nous les remettrait dans une semaine. »
Cela m'amène à me poser des questions parce que je pense que M. Comartin estime que les renseignements qu'il a obtenus de la greffière ainsi que de M. Lukiwski sont exacts et que le ministre n'avait pas pris connaissance de ces renseignements au moment où M. Comartin envisageait apparemment de soulever une question de privilège. Celui-ci affirme pourtant plus tard dans ses remarques : « Il y a eu une ingérence directe du ministre dans une situation où il n'aurait pas dû intervenir du tout ».
Là encore, je cite M. Comartin comme suit:
Que l'information ait été retenue intentionnellement ou non, le Ministre a néanmoins, sans raison valable, refusé de répondre à une question ou de fournir les renseignements demandés par le Comité, ce qui l'expose à être reconnu coupable d'entraves aux travaux des comités.
Je dois donc déduire des commentaires qu'a tenus M. Comartin au cours de notre dernière réunion qu'il n'est pas sûr si les renseignements ont été retenus intentionnellement ou non. Il allègue qu'ils l'ont été « sans raison valable ». Je ne sais pas si le ministre a eu la possibilité de répondre à cette allégation — il ne l'a certainement pas eue devant le comité. Je ne suis pas non plus convaincu que le seul fait de mentionner la possibilité de conclure à l'existence d'une entrave suffit à faire de cette affaire une question de privilège.
Pour résumer, je tiens à dire qu'une question de privilège ne peut être fondée sur une simple conjecture. Le fait d'alléguer qu'un ministère a violé les privilèges d'un député de façon délibérée et intentionnelle en entravant les activités d'un député, est une accusation extrêmement grave. Avant de conclure qu'une affaire concerne une question de privilège, je dois être sûr que le membre du comité qui soulève une telle question allègue qu'il y a eu un acte intentionnel et réel ayant eu pour résultat d'entraver ou de gêner l'exécution des fonctions d'un député.
Comme je le dis, l'ouvrage de O'Brien et Bosc ne contient pas de directive claire sur ce point. Il n'existe pas de précédent portant directement sur ce point. Je peux simplement tirer des conclusions des cas qui paraissent semblables à celui-ci et en arriver à une conclusion à partir de tout cela.
Je ne pense pas qu'on ait jamais voulu qu'une question de privilège puisse permettre de poser des questions exploratoires, même si je suis convaincu que telle n'est pas l'intention de M. Comartin ici. Le comité et M. Comartin lui-même ont les moyens d'obtenir, de la part du ministre, des précisions au sujet des motifs à l'origine du retard mis transmettre les documents que M. Head lui a fournis le 13 novembre ou vers cette date.
Je tiens également à faire remarquer qu'il arrive souvent que la transmission de renseignement soit retardée et ce, pour différentes raisons. Je peux imaginer différentes raisons qui expliqueraient pourquoi un ministre n'a pas été en mesure de fournir immédiatement des renseignements, et qui constitueraient une raison valable. Il est allégué ici qu'il n'existe pas de raison valable. Je pense qu'il nous incombe d'essayer de découvrir la cause de ces retards par d'autres moyens qu'en invoquant une question de privilège.
C'est pour ces motifs que je ne peux conclure que les faits que M. Comartin a soulevés concernent une question de privilège. Je tiens à assurer les membres du comité que les questions de privilège sont pour moi une chose très grave. S'il y avait lieu de traiter une situation donnée comme si elle concernait une question de privilège, j'agirais en conséquence.
Je vous remercie tous pour votre participation à ce processus.
Monsieur Comartin.
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Je vous remercie d'avoir modifié la formule. Je suis désolée, mais évidemment, je pensais commencer à 15 h 30.
[Français]
D'entrée de jeu, l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense tient à remercier le comité de cette opportunité de vous faire part de nos préoccupations relatives au projet de loi .
L'AQAAD compte plus de 600 membres pratiquant principalement en droit criminel, et chaque région est représentée au sein de notre comité administratif. Les besoins des régions sont très divers, et nous tentons, lorsque nous faisons des représentations, de voir tant les besoins des communautés nordiques que ceux des communautés urbaines.
L'AQAAD est consciente des récentes problématiques relatives aux fraudes ayant occasionnées des pertes substantielles à de nombreux citoyens. Le Québec a été particulièrement touché par l'usurpation de fonds investis par des particuliers, mais nous croyons que le système judiciaire répond adéquatement à cette situation. L'AQAAD a toujours eu pour position de principe d'être pour le respect de la discrétion judiciaire, donc, inévitablement, contre les peines d'emprisonnement minimales mandatoires.
Au cours des dernières années, nous avons assisté à une importante érosion du pouvoir discrétionnaire des juges, et nous déplorons cette situation. Des attaques répétées minent la crédibilité du système et mettent en péril son bon fonctionnement. Le projet de loi prévoit l'imposition d'une peine minimale d'emprisonnement de deux ans. Or, la Cour d'appel du Québec a donné le mot d'ordre, il y a déjà quelques années, en refusant d'imposer des peines d'emprisonnement avec sursis en matière de fraudes substantielles. On se souviendra des plaidoyers de culpabilité ou des verdicts dans le cadre de certaines choses touchant le Parlement de plus près, et la Cour d'appel avait vraiment donné le mot d'ordre que des peines d'emprisonnement fermes devaient être imposées. Nous reconnaissons donc ce principe et nous le respectons.
Par ailleurs, je pense que nous devons voir qu'il y a des cas d'exception et que des injustices importantes pourraient être créées. Les modifications proposées au paragraphe 1.1 de l'article 380 font référence à: « [...] la valeur totale de l'objet des infractions en cause [...] » ou, dans la version anglaise: « [...] the total value of the subject-matter of the offences [...]. Or, il faut se rappeler que via l'article 21 du Code criminel, il y a plusieurs façons de participer à une infraction qui pourrait englober une somme totale très importante, mais qu'un individu qui aurait eu un rôle très minime, ou secondaire, tomberait sous le joug des dispositions que vous préconisez. Alors, je pense qu'il faudrait prendre en considération le rôle spécifique, et que l'individualisation de la détermination de la peine n'est pas respectée par l'imposition de ce genre de peine minimale.
De plus, je pense qu'on doit rappeler que le Code criminel prévoit, pour toute fraude de plus de 5 000 $, une peine d'emprisonnement maximum de 14 ans. Donc, les juges ont toute la marge de manoeuvre nécessaire, les coudées franches, pour imposer des peines bien supérieures à ce qui est proposé, lorsque le cas est approprié.
Il y a également un autre article qui nous préoccupe. On voit qu'on veut pouvoir imposer la condition de ne pas travailler dans des milieux qui pourraient entraîner d'autres commissions d'infractions, mais le Code criminel prévoit déjà ces possibilités. Lors d'une ordonnance de probation, l'alinéa 732.1(3)h) prévoit que le tribunal peut imposer:
h) d’observer telles autres conditions raisonnables que le tribunal considère souhaitables, sous réserve des règlements d’application [...] pour assurer la protection de la société et faciliter la réinsertion sociale [...].
Alors, dans les ordonnances de probation, le Code criminel prévoit déjà cette possibilité. Sachez que les gens qui siègent au sein des comités de libération conditionnelle, tant au provincial qu'au fédéral, ont tous les pouvoirs pour imposer exactement ce genre de conditions. Et croyez-moi, ils font bien leur travail et ils imposent régulièrement toutes sortes de conditions pour protéger la société.
Donc, notre position de principe, en tant que représentants de l'Association québécoise des avocats de la défense, est que nous devons cesser d'usurper le pouvoir discrétionnaire des tribunaux. Je pense que ce projet de loi ne répond pas à un besoin légal et qu'il ne peut que répondre à un besoin politique. C'est ce qui nous inquiète: qu'il y ait une érosion constante de la discrétion judiciaire.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Le Bureau d'assurance du Canada est l'association commerciale nationale qui représente les assureurs habitation, automobile et entreprise. En tant qu'association commerciale nationale, nous avons une direction des services d'enquête qui compte 59 employés et que je dirige. Notre équipe comprend un certain nombre d'anciens policiers expérimentés qui passent leur temps à faire des enquêtes sur les organisations criminelles qui commettent des infractions contre les compagnies d'assurance, notamment les collisions simulées d'automobile et le vol de véhicule. Notre personnel consacre beaucoup de temps à cette tâche en raison de la croissance de crime organisé au Canada.
La fraude à l'assurance est un phénomène important au Canada. Pour la seule assurance habitation, entreprise et automobile, elle représente un montant d'environ trois milliards de dollars par an. En moyenne, 10 à 15 p. 100 de toutes les réclamations comportent un élément de fraude. Sachez que notre industrie a versé des réclamations s'élevant à 25 milliards de dollars en 2008 et vous pouvez constater toute l'ampleur du problème. Il faut bien savoir d'où viennent ces fonds; ils viennent des Canadiens sous la forme de primes supplémentaires.
Il y a longtemps que le crime organisé a vu dans la fraude à l'assurance une activité rentable. Pourquoi? Parce que c'est une entreprise à faible risque et très rentable. Les pénalités sont mineures, les tribunaux imposent rarement des peines d'emprisonnement, même pour des affaires où la fraude porte sur des sommes importantes. Cela fait peu de temps que j'occupe ce poste, mais j'aimerais vous parler d'un seul type de fraude à l'assurance qui est très sophistiqué: les fausses collisions de voiture.
Les faux accidents de voiture représentent une activité importante dans la région du Grand Toronto, qui est considérée comme la capitale canadienne des fausses collisions de voiture. Ces stratagèmes complexes font souvent appel à des criminels organisés associés à des entreprises de remorquage, des carrossiers, des techniciens juridiques, et des fournisseurs de soins de santé autorisés. Je les appelle aussi des centres ou des cliniques de réadaptation. Nous sommes en ce moment en train d'effectuer une enquête sur 41 fausses collisions d'automobiles associées à des dommages matériels frauduleux sur les véhicules et à des demandes frauduleuses d'indemnités d'accident du travail. Il ressort d'une enquête supplémentaire qu'il pourrait y avoir 116 autres fausses collisions à laquelle cette organisation criminelle aurait participé.
En tout, nous avons calculé que ce seul projet pourrait coûter aux assureurs et à leurs clients entre 20 et 25 millions de dollars en risque de fraude. Jusqu'ici, plus de 200 accusations ont été portées contre 38 individus.
Les faux accidents concernent non seulement les personnes qui causent intentionnellement la collision, mais également des conducteurs innocents qui se trouvent placés dans une situation où ils risquent de subir des blessures graves ou la mort. La technique « dépasser et bloquer » dans laquelle deux véhicules coincent intentionnellement un conducteur innocent est particulièrement dangereuse. Un troisième véhicule dépasse rapidement les deux autres et freine ensuite brusquement, ce qui amène le conducteur innocent à frapper l'arrière du véhicule se trouvant devant lui. Le véhicule frappé à l'arrière contient habituellement plusieurs passagers qui ont payé leur passage, de sorte qu'ils peuvent prétendre avoir été blessés. Ils présentent des demandes frauduleuses d'indemnités d'accident du travail, qui sont confirmées par des cliniques de réadaptation.
Selon des stratagèmes plus élaborés, un membre du groupe recrute des conducteurs ou des passagers qui doivent jouer chacun leur rôle dans un accident soigneusement conçu, choréographé et contrôlé. De faux témoins sont placés près du lieu du faux accident pour confirmer la version des faits des criminels et contredire le témoignage du conducteur innocent.
Les services d'enquêtes du BAC s'occupent en moyenne de 30 dossiers de ce genre par an. Malheureusement, les personnes condamnées reçoivent habituellement des peines d'emprisonnement avec sursis et le tribunal ordonne rarement le dédommagement de la victime. Pour pouvoir lutter contre le crime organisé, des organismes d'enquête comme le nôtre, les policiers et les poursuivants ont besoin d'autres outils. Il est urgent de renforcer le Code criminel pour punir sévèrement ce genre d'infractions et nous avons été heureux de constater que la Chambre des communes avait déjà adopté le projet de loi concernant le vol d'automobile.
Ce projet de loi, le projet de loi , est une autre mesure positive qui lutte directement contre le genre de criminels organisés auxquels se heurte tous les jours notre industrie. L'aggravation des peines imposées aux fraudeurs indiquera clairement à la population que les Canadiens ne tolèrent plus que des criminels s'en prennent à leurs épargnes.
Il est temps de mettre fin à l'impunité des fraudeurs et le projet de loi propose des mesures efficaces qui vont dans cette direction. Nous invitons les parlementaires à adopter ce projet de loi.
Merci. Nous serons heureux de répondre aux questions des membres du comité.
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Merci, monsieur le président.
Je vais vous dire quelques mots de notre organisation. Nous existons depuis 57 ans. Elle a commencé principalement en Saskatchewan et elle a grandi au point où nous avons maintenant 380 organismes affiliés à notre fédération, et au total, plus d'un million de personnes âgées qui en sont membre.
Depuis ces dernières années, nos membres dépendent de plus en plus de leurs investissements individuels pour obtenir un revenu de retraite. Comme vous le savez, le nombre des personnes qui bénéficient d'un régime de retraite diminue depuis quelque temps, ce qui explique qu'un bon nombre de nos membres doivent investir eux-mêmes.
Nous savons que le Parlement examine le projet de loi et j'estime que cette mesure représente un pas dans la bonne direction. Je tiens toutefois à faire savoir aux membres du comité et au président que cette mesure ne répond pas tout à fait aux besoins de nos membres. Permettez-moi de vous donner un exemple.
Dans l'affaire Bre-X, il s'agissait de valeurs mobilières qui étaient vendues au public. Je peux vous dire que le président de Bre-X avait prévu depuis le début une façon de s'en sortir. Comment allez-vous arrêter le président Bre-X, qui vit actuellement, d'après ce que je sais, dans les îles Turks et Caicos ou ailleurs, en dehors du territoire canadien? Dans une certaine mesure, ce projet de loi n'aura aucun effet, s'il n'y a pas d'accord d'extradition.
L'autre aspect est que, lorsque des personnes âgées sont victimes de fraude, elles ont bien souvent honte de le signaler. Dans une certaine mesure, elles craignent les autres membres de leur famille, parce qu'ils pensent qu'elles auraient dû les consulter. Nous apprenons ensuite que quelqu'un se décide à porter plainte et que le fraudeur est poursuivi.
Vous savez, ce projet de loi ne contient aucune disposition qui prévoit que, lorsqu'une personne est déclarée coupable de fraude, elle n'est pas seulement déclarée coupable de la fraude commise contre la personne qui a porté plainte... Il devrait accorder le droit d'obtenir un dédommagement ou une indemnité à toutes les personnes qui ont été fraudées par l'accusé. Je pense que, jusqu'à un certain point, ce projet de loi est insuffisant.
Nous avons adopté une résolution au cours de notre congrès, qui précise l'orientation dans laquelle les personnes aînées voudraient s'engager. J'aimerais vous lire cette résolution:
Attendu que le 27 janvier 2009, le budget du gouvernement fédéral prévoyait la réforme de la réglementation des marchés des capitaux canadiens, et attendu que le groupe d'experts sur la réglementation des valeurs mobilières qui a préparé le rapport Hawkin, rendu public le 2 janvier 2009, recommande la réforme des divers régimes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières pour les réunir en un seul organisme de réglementation canadien, et attendu que les marchés des capitaux canadiens ont besoin d'une protection et d'une réglementation efficace et favorable aux actionnaires, et attendu que la majorité des provinces appuient la modification des régimes de réglementation des valeurs mobilières au Canada et attendu que la création d'une autorité unique de réglementation des valeurs mobilières renforcera la détection et les poursuites contre les auteurs de crimes graves commis sur le marché des capitaux, alors que le régime actuel fragmenté de réglementation provinciale des valeurs mobilières a montré son impuissance à empêcher ce genre de crimes, et attendu que la crise financière actuelle a montré que la plupart des provinces étaient disposées à appuyer une réforme prévoyant la création d'un organisme canadien unique de réglementation des valeurs mobilières; par conséquent, il est résolu que la Fédération nationale des retraités et citoyens âgés demandera au gouvernement fédéral et aux partis de l'opposition de créer un organisme national de réglementation des valeurs mobilières en adoptant des mesures législatives qui renforcent les droits des investisseurs.
La création d'un cadre de réglementation est très importante pour les personnes âgées, parce que pour nous, c'est la prévention qui pourra vraiment mettre fin à ces infractions. Avec un régime de réglementation robuste dans lequel, par exemple, nous pourrions placer dans des groupes différents les personnes qui vendent des valeurs mobilières ou qui fournissent des conseils dans ce domaine, et ce serait déjà un début. Si nous pouvions réglementer correctement cette profession par l'octroi de permis et le dépôt de cautionnement, cela serait également une bonne chose. Nous pensons que dans le domaine des criminels en cravate, en particulier en ce qui concerne les personnes âgées, la solution consiste davantage à prévenir qu'à punir, parce que, comme je l'ai dit, ces escrocs sont très intelligents. Ils ont toujours une porte de sortie. Nous savons qu'il est très dur de récupérer les sommes obtenues frauduleusement.
Bien souvent, ils les expédient à l'étranger, ils les transfèrent à d'autres membres de leur famille, par exemple, et cela rend les choses très difficiles. Pour la personne âgée moyenne, il est très difficile d'avoir accès au système judiciaire. Nous disons que la prévention est la réponse aux criminels en cravate, en particulier lorsqu'il s'agit de personnes âgées.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président et membres du comité.
Au nom des administrateurs de la Canadian Justice Review Board, je tiens à remercier les membres du comité de nous avoir donné l'occasion de comparaître ici cet après-midi. J'ai remis à la greffière du comité un mémoire qui présente, de façon détaillée, nos préoccupations et je crois savoir que vous en avez reçu des copies par voie électronique.
Le point essentiel dont j'aimerais vous parler est que le projet de loi traite uniquement de l'imposition de la peine, un aspect qui s'insère dans d'un très long processus et qui, par sa nature, offre au fraudeur de nombreuses occasions d'éviter en fin de compte toute sanction.
Le mémoire énumère ensuite quelques-uns des nombreux moyens utilisés par les fraudeurs pour s'en sortir. J'espère que vous allez les examiner à la lumière des dispositions de ce projet de loi. Mon collègue ici a fait allusion à certains moyens d'échapper aux sanctions.
L'Ottawa Citizen d'hier contenait une opinion de M. James Morton intitulée « We need 21st-century law », (Nous avons besoin d'un droit pour le XXIe siècle). M. Morton est notamment professeur adjoint à Osgoode Hall. À mon avis, son article contenait un passage clé qui portait sur les questions que nous examinons ici aujourd'hui. M. Morton demande: « La meilleure façon de lutter contre les crimes consiste-t-elle à emprisonner les gens? » Il répond en disant que dans certains cas — les criminels en cravate — la réponse est sans doute oui, mais que dans d'autres cas, comme pour la plupart des crimes liés aux drogues, elle est probablement non. Il s'agit ici des criminels en cravate. Le projet de loi a pour but de lutter contre la criminalité en col blanc dans le contexte général de l'objectif du système de justice pénale qui consiste à prévenir la perpétration des infractions.
La fraude est définie dans le Code criminel, mais elle est parfois très difficile à établir. Si l'objectif est d'empêcher que la population subisse des préjudices, et plus précisément des préjudices financiers, il serait peut-être alors temps de définir dans le Code criminel d'autres activités indésirables qu'exercent les cols blancs, par exemple, la comptabilité créatrice. À mon avis, ce projet de loi serait considérablement amélioré s'il le faisait.
Si nous parlions uniquement de fraude, alors le Canadian Justice Review Board estime qu'une peine d'emprisonnement de deux ans n'a pas un effet dissuasif suffisant, en particulier, compte tenu des politiques actuelles de notre commission des libérations conditionnelles. Nous vous invitons, en tant que législateurs, à envisager une peine obligatoire de cinq ans d'emprisonnement.
Mme Hazel Magnussen, une de mes collègues qui travaille à Victoria, en Colombie-Britannique, et qui est également la secrétaire de la Canadian Justice Review Board, s'est spécialisée dans les questions touchant les droits des victimes. Au cours des deux dernières années au moins, elle a communiqué avec l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, M. Steve Sullivan, ainsi qu'avec un membre de notre conseil d'administration, M. Ted DeCoste. À la suite de ces discussions, ces personnes ont mis au point un cours que Ted DeCoste a réussi à faire insérer dans le programme des étudiants en droit de l'Université de l'Alberta, un cours de sensibilisation aux droits des victimes.
Étant donné que M. Sullivan va peut-être comparaître devant le comité, je ne voudrais pas lui couper ses effets, mais je tiens à vous faire savoir que le Canadian Justice Review Board partage les sentiments qu'il a exprimés dans un communiqué de presse du mois de novembre. Il a déclaré:
Je suis heureux de constater que le gouvernement fédéral prend des mesures pour s'attaquer à des problèmes importants touchant les victimes comme la criminalité financière et le dédommagement... Je m'inquiète toutefois de voir que la disposition du projet de loi qui touche le dédommagement s'applique uniquement aux victimes de fraude. Il faudrait veiller à aider toutes les victimes qui ont été dévastées financièrement à la suite d'une infraction.
Si vous permettez, j'aimerais revenir brièvement sur les commentaires que j'ai présentés il y a quelques instants et réitérer que ce projet de loi serait grandement amélioré s'il réprimait par le biais du Code criminel certaines pratiques socialement inacceptables, bien souvent associées avec ce que nous appelons le secteur financier et s'il prévoyait de lourdes sanctions pour ces comportements, comprenant le dédommagement.
La fraude n'est pas le seul problème. Je crois que la population trouve choquant ou très regrettable d'apprendre que de grandes escroqueries ont été commises et de découvrir ensuite que les fraudeurs qui ont admis leur culpabilité reçoivent ce que beaucoup considèrent comme étant des peines ridicules, comme la détention à domicile ou la libération conditionnelle anticipée après six mois d'emprisonnement.
Le projet de loi devrait viser à restaurer la confiance de la population dans le système de justice en donnant à notre société un cadre juridique qui s'applique au monde financier du XXIe siècle.
Pour terminer, j'aimerais remercier encore une fois le comité de m'avoir invité à comparaître. J'espère que vous allez examiner les recommandations que nous avons formulées.
Merci.
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D'abord, permettez-moi à mon tour de remercier le comité de m'avoir donné l'opportunité de m'adresser à lui. Je tiens à souligner que je suis devant vous aujourd'hui à titre de professeur de droit criminel et aussi à titre de coresponsable du programme de deuxième cycle de lutte contre la criminalité financière, un programme qui se donne à Montréal. Donc, j'ose espérer que j'ai une certaine neutralité par rapport à ce sujet.
Avant de faire mon exposé, j'aimerais répondre à la question que M. Lessard a posée tout à l'heure, à savoir si les peines minimales de deux ans pourraient être considérées comme consécutives s'il y a plusieurs fraudes dans un même dossier. À mon avis, la réponse est non parce que quand le Code criminel prévoit des peines consécutives, il le mentionne spécifiquement. On pense aux infractions en matière d'armes à feu. On ajoute que la peine pour ces infractions doit être consécutive. Il en va de même en ce qui concerne les infractions en matière d'organisations criminelles. Ce n'est pas le cas ici, donc, je ne pense pas que cela pourrait être vu comme étant consécutif, à tout le moins pas obligatoirement.
Mes observations porteront sur les six points principaux du projet de loi. Permettez-moi de commencer par la peine minimale de deux ans. Je crois que, effectivement, il y a encore des cas de fraude où les juges donnent des peines de moins de deux ans. On n'a qu'à penser à l'affaire Coffin qui s'est rendue à la Cour d'appel du Québec, il n'y a pas si longtemps, relativement au scandale des commandites. Donc, l'ajout d'une peine minimale de deux ans aura effectivement un impact, et je ne crois pas qu'il s'agira d'un impact à la baisse. Traditionnellement, quand on ajoute une peine minimale, un article, les juges augmentent la moyenne des peines, ils ne la diminuent pas. Donc, je ne crains pas un effet à la baisse.
Cela dit, il y a quand même des problèmes. Me Joncas parlait ici du cas du complice. C'est évidemment un problème. Le complice n'a pas le même niveau de responsabilité que l'auteur réel. On pourrait peut-être faire une exception pour lui.
Un autre élément encore plus important est la notion du montant de la fraude. On veut ajouter une peine minimale pour les fraudes d'un million de dollars et plus. À mon avis, cette peine minimale ne s'appliquerait pas dans des cas comme celui de Vincent Lacroix. Pourquoi? Parce que dans le cas de Vincent Lacroix, même si sa fraude totale est de 115 millions de dollars, ses fraudes individuelles sont toutes inférieures à un million de dollars. Dans ce contexte, tous les chefs d'accusation seraient probablement pour des fraudes inférieures à un million de dollars, et il n'aurait pas, sous aucun chef d'accusation, une peine minimale de deux ans. À la fin, cela ne changera pas énormément, parce que sa peine totale va dépasser deux ans. Cependant, à mon avis, le fait de prendre en considération le montant de la fraude est une mauvaise idée parce que s'il y a plusieurs victimes, la fraude peut dépasser un million de dollars dans sa globalité, mais être inférieure à un million de dollars pour chacune des victimes.
À l'inverse, le montant de la fraude n'inclut pas le bénéfice de l'accusé. Par exemple, si je vends des immeubles qui valent 2 millions de dollars et que je dis à mes clients que je suis reconnu par l'APCHQ alors que c'est un mensonge, même si je ne retire aucun bénéfice, même si j'ai l'intention que l'immeuble soit effectivement construit, cela constitue une fraude, et le montant de cette fraude est égal à la valeur de l'immeuble, c'est-à-dire 2 millions de dollars, même si mon bénéfice personnel se limite à mon profit dans l'immeuble. Donc, le fait de fixer le montant d'un million de dollars comme montant de la fraude, à mon avis, pose problème.
Élément encore plus important, l'ajout d'une peine minimale et l'augmentation des peines maximales — on a eu les deux, dans le cas de l'article 380 — devraient être faits de façon globale. Ici, on s'attaque à la fraude, mais on ne s'est pas attaqué à l'agression sexuelle avec une arme blanche, qui est prévue à l'article 272 du Code criminel, ou à l'inceste, qui est prévu à l'article 155 du Code criminel. La société pourrait-elle percevoir cette façon de procéder comme étant une hiérarchisation des crimes? Ne pourrait-on pas se dire, aux yeux des citoyens, qu'une fraude de plus d'un million de dollars est plus grave qu'une agression sexuelle avec un couteau ou plus grave que l'inceste? Le message qui est envoyé par le projet de loi est que c'est effectivement le cas, parce qu'il y a une peine minimale de deux ans en matière de fraude.
Donc, jouer avec certaines parties du Code criminel, ajouter des peines minimales à certains endroits et ne pas en ajouter à d'autres pourrait envoyer un message bizarre. Cela devrait être fait de façon globale. Les peines minimales ont une raison d'être. Ça peut être bon, mais il faut le faire de façon peut-être un peu plus globale.
Quant au dédommagement des victimes, à mon avis, cela ajoute peu parce que c'est déjà prévu à l'article 738. Donc, le projet de loi ne change rien à cet égard. Il fait simplement conférer aux juges certaines obligations. Mais en soi, cela ne facilitera pas le dédommagement des victimes. Le problème demeure la difficulté d'établir le montant réel des pertes en droit criminel, ce qui va faire en sorte que de toute façon, les victimes vont devoir aller au civil.
D'autre part, évidemment, il y a l'insolvabilité réelle de l'accusé ou encore l'insolvabilité apparente. Dans le cas de l'insolvabilité réelle, l'accusé n'a pas d'argent, il ne peut pas payer. Dans le cas de l'insolvabilité apparente, il faut savoir où il a mis cet argent. S'il l'a caché dans un paradis fiscal, l'ordonnance de dédommagement ne changera rien.
L'ajout à la liste des circonstances aggravantes est essentiellement une codification du droit actuel. Encore là, on n'augmente pas la protection des citoyens en matière de fraude. C'est intéressant de codifier le droit actuel, mais cela devrait se faire dans le cadre d'une réforme plus globale du Code criminel. Certaines parties du code sont à jour et ont vraiment été améliorées, tandis que d'autres parties ne le sont pas. Par exemple, l'article 181 sur la publication de fausses nouvelles, qui a été déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême en 1992 dans l'arrêt Keegstra, se trouve toujours dans le Code criminel. Quand on parle de mise à jour du Code criminel et qu'un article déclaré inconstitutionnel par la Cour suprême en 1992 se trouve toujours dans le code, je pense qu'un ouvrage de réforme est à faire.
Par rapport à la quatrième mesure intitulée « Obligation pour le juge de noter les circonstances aggravantes et de motiver son refus d'ordonner un dédommagement », je ne comprends pas pourquoi c'est exigé dans le cas de la fraude alors que ça ne l'est pas dans le cas d'autres crimes. Qu'est-ce qui fait que le juge devrait spécifiquement noter les circonstances aggravantes ou atténuantes dans un cas de fraude mais qu'il ne devrait pas le faire, par exemple, dans un cas d'agression sexuelle? J'ai de la difficulté à comprendre pourquoi on exige une telle mesure.
La mesure 5, qui est probablement la plus intéressante du projet de loi, à mon avis, s'intitule: « Interdiction de veiller aux affaires d'autrui ». Comme cela a été souligné tout à l'heure, cela couvre un domaine plus vaste que la probation. La probation est d'une durée maximale de trois ans et ne peut s'appliquer que si l'emprisonnement est d'une durée maximale de deux ans.
Ici, de telles limites ne sont pas imposées. Sauf erreur, le modèle que vous avez en tête, c'est beaucoup plus le modèle de l'interdiction de conduire avec facultés affaiblies. On sait que dans le cas de conduite en état d'ébriété, le juge peut ordonner, par exemple, une interdiction de conduire de 10 ou 15 ans, ou même une interdiction à vie, à la suite d'une condamnation. À mon avis, c'est une très bonne idée que de vouloir une mesure similaire en matière de fraude.
Évidemment, cependant, cela pose la question de la surveillance de ces ordonnances d'interdiction de s'occuper des affaires d'autrui. En matière de conduite automobile, c'est relativement facile. Des policiers sur les routes peuvent procéder à des vérifications aléatoires des permis de conduire. En matière d'affaires d'autrui, cela veut-il dire que la personne sera soumise à un agent de probation pour le reste de l'ordonnance? On peut présumer que oui, mais l'idée est très intéressante et c'est probablement la mesure du projet de loi qui offre le plus de protection au citoyen. Quand on parle de prévention de fraude, de protection des citoyens, c'est vraiment la seule mesure dans le projet de loi qui est clairement dédiée à cette idée.
Finalement, le sixième aspect du projet de loi porte sur la « Déclaration des victimes au nom de la collectivité ». À mon avis, cela se fait déjà et le projet de loi ajoute peu à la situation actuelle, sinon que cela permet peut-être de mieux encadrer la façon de fonctionner. Par contre, cela n'améliore pas la capacité de protection.
En conclusion, permettez-moi de faire un commentaire plus général sur le projet de loi. Je suis d'accord sur ce qu'on disait tout à l'heure: les fraudeurs peuvent être dissuadés. La fraude n'est pas un crime impulsif comme certains meurtres ou certaines agressions sexuelles. Ce n'est pas un crime lié à une toxicomanie comme la vente ou la possession de stupéfiants. C'est un crime habituellement réfléchi et planifié. Dans ce contexte, le fraudeur fait souvent une analyse coûts-bénéfices. Il se pose la question à savoir quels sont les bénéfices de commettre un crime et les coûts potentiels. À cette étape, la dissuasion peut jouer un rôle important. Cela dit, la dissuasion s'appuie sur deux éléments: la sévérité de la peine et la certitude de la peine. Je vois qu'ici, on travaille beaucoup sur le plan de la sévérité de la peine et c'est louable.
Cependant, si une personne a une chance sur 100 d'écoper d'une peine de 14 ans, le rapport coûts-bénéfices est quand même à son avantage. C'est pourquoi il ne faut pas uniquement travailler sur la sévérité de la peine, mais aussi sur la certitude de la peine. Attrapons-nous plus de fraudeurs? Les attrapons-nous plus vite? Cela pourrait avoir effectivement un effet dissuasif.
Je termine en vous donnant l'exemple de M. Madoff, aux États-Unis. Tout le monde croit qu'une peine de 150 ans, dans le cas de M. Madoff, a un effet dissuasif. Lorsque j'ai pris connaissance de l'affaire Madoff, je me suis dit, d'une certaine façon, que je regrettais presque de ne pas avoir fait comme lui. Pourquoi? Parce qu'il a mené une vie extraordinaire, dans les plus grands hôtels et les plus belles résidences de cette planète; il a voyagé et mené une vie qu'on peut à peine imaginer. Évidemment, il écope de 150 ans de prison, mais il a 70 ans. Si je compare les coûts et les bénéfices, dans son cas, je ne suis pas certain qu'il y ait un élément dissuasif.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup. Je vous remercie pour vos témoignages et votre patience lors des travaux du comité. J'ai des questions à poser à MM. Kube et Roy. Malheureusement, monsieur Nichol, je n'ai pas entendu votre présentation. C'est pourquoi je ne vous poserai pas de question.
Le projet de loi tel que rédigé ne s'applique qu'aux actes criminels de fraude, en général. Comme vous l'avez mentionné, ça ne couvre pas les cas comme celui de Bre-X. Un prospectus frauduleux avait été émis par une compagnie. Ça ne s'applique pas non plus aux délits d'initié, et ainsi de suite.
Croyez-vous que le projet de loi devrait être amendé de façon à ce qu'il s'applique à d'autres actes frauduleux déjà considérés comme criminels, afin d'assurer l'égalité, si je peux me permettre cette expression?
Monsieur Roy, vous avez dit qu'il serait peut-être louable de créer une exception pour les complices de fraude, étant donné que la preuve démontre souvent, hors de tout doute raisonnable, évidemment, que leur rôle a été minimal. À votre avis, comment pourrait-on s'assurer, en termes de libellé, de tenir compte d'un complice qui a joué un rôle quand même assez important dans l'affaire? Pourrait-il s'agir de facteurs aggravants qui détermineraient si la personne devrait être assujettie à une peine minimale obligatoire?
On a aussi parlé de l'interdiction de s'occuper des affaires d'autrui imposée à une personne condamnée pour fraude. Si on amende le projet de loi pour donner au juge le pouvoir d'imposer une telle interdiction, va-t-il falloir amender d'autres articles du Code criminel pour s'assurer que ça a du sens? Je veux parler ici de ce que vous avez mentionné plus tôt, soit la probation, le suivi auprès de la personne qui fait l'objet de l'interdiction.
Merci.
[Traduction]
Ai-je été assez brève?
Ma question s'adresse à MM. Dubin et Prouse. Je ne sais pas lequel des deux peut me répondre.
Quand on est avocat et qu'on pratique soit le droit criminel soit le droit civil — c'est ce que j'ai fait pendant presque 30 ans; je suis encore avocat inscrit à l'ordre du Barreau —, on sait bien souvent que, dans bien des cas de fraude, il y a des assurances qui couvrent la fraude, c'est-à-dire que les compagnies d'assurances sont obligées de payer le client, à moins que celui-ci n'ait participé à la fraude.
Il y a aussi les cas qu'on a connus récemment. Pour poser la problématique, disons que beaucoup de gens travaillent dans le domaine des valeurs mobilières, et il y a des courtiers qui sont réassurés entre eux justement pour prévenir des fraudes potentielles. Par exemple, dans le cas de Vincent Lacroix, il y avait un groupe qui était remboursé et un groupe qui ne l'était pas. Cela dépendait des types de contrats ou de compagnies qui étaient derrière cela.
J'étais peut-être absent au moment où vous avez pu en parler, mais voici comment je comprends le point principal à ce sujet. Dans la plupart de ces cas, comme le disait M. Roy, lorsqu'un individu, un particulier, par exemple une personne retraitée, fait l'objet d'une fraude, il n'est pas couvert parce que la personne qui lui a prétendument vendu un quelconque contrat n'avait pas de licence, etc. Il est alors tout seul aux prises avec son problème.
Pour votre part, au Bureau d'assurance du Canada, quelle est la totalité des pertes, en ce qui concerne vos clients, ceux que vous assurez?
Je comprends que vous nous appuyez — j'en suis très content — , mais de quel ordre de grandeur parlez-vous quand vous dites que vous perdez de l'argent? Je sais qu'au Québec, vous en avez perdu beaucoup ces derniers temps, mais en Alberta, il y a une fraude de 100 millions de dollars, et dans d'autres provinces, c'est encore... Pouvez-vous me donner un ordre de grandeur, quand on parle de fraude?