:
Mon exposé ne sera pas très exhaustif puisque je n'ai été invité à cette fête surprise, pour ainsi dire, que vendredi dernier. Toutefois, je comprends la nature de cette modification de la Loi sur la Cour suprême voulant que tout nouveau juge désigné comprenne l'anglais et le français sans l'aide d'un interprète.
Je dirai d'entrée de jeu qu'il ne fait pas de doute que le plaideur a le droit d'être entendu dans la langue de son choix devant les tribunaux canadiens. Il s'agit d'un droit pour ce qui est des tribunaux visés par l'article 96.
Le concept de base ici doit être tranché comme il se doit, et il faut que le juge comprenne tout à fait les tenants et aboutissants de l'affaire. L'idéal, évidemment, est que le juge soit parfaitement bilingue. Or, il y a en a très peu au pays. De mémoire récente, il y avait feu le juge en chef Lamer, qui maîtrisait aussi bien l'oral que l'écrit.
Il est essentiel que l'affaire soit bien comprise et il faut que le système soit juste pour toutes les parties. Je suis toutefois tout à fait catégorique quand j'estime qu'à mon avis, c'est la compétence qui doit être le critère de nomination d'un juge. Ce doit être la priorité et tout le reste vient en prime. On aurait tort de remplacer la compétence par quoi que ce soit d'autre. À la Cour suprême en particulier, les choses doivent s'approcher de la perfection le plus humainement possible parce que les décisions ont des conséquences pour le pays tout entier.
Toute insuffisance linguistique de la part d'un juge est actuellement comblée au moyen de la traduction. À toutes fins utiles, j'étais unilingue et j'ai siégé à la cour pendant 14 ans en recourant à l'interprétation, que j'ai trouvée excellente. Il n'y a pas eu une seule cause en provenance du Québec ou d'ailleurs présentée en français où je n'ai pas eu le sentiment de bien saisir les faits et les arguments des parties.
Il est intéressant de signaler que l'ONU fonctionne de la même façon, mais avec plusieurs langues à cause de la nature de l'organisation.
Je sais que je vais avoir l'air de répéter la même rengaine, mais la compétence est ce qui doit présider ici.
Parfois, les choses se présentent différemment. Comme vous le savez, au Canada, des considérations géographiques jouent dans la sélection des six juges de la Cour suprême; autrement dit, ils doivent venir de différentes régions du pays. Constitutionnellement, le Québec a droit à trois juges. Je sais que la question a été posée lors de la comparution de Rothstein: comment un juge spécialisé en common law se sent-il quand vient le moment de se prononcer dans des affaires de droit civil? Très à l'aise. Tout comme les trois juges du Québec spécialisés en droit civil sont tout à fait à l'aise quand il s'agit de se prononcer dans des affaires de common law provenant des neuf autres provinces. Je ne vois donc pas de grave problème pour ce qui concerne la compréhension d'une cause au moyen de l'interprétation.
Je crois que ce serait tout un problème pour le pays dans son ensemble si la compétence n'était pas la première exigence pour une nomination à la Cour suprême. Dans le passé, les plaideurs ne se sont pas plaints, du moins, pas pendant que je siégeais à la Cour suprême. En outre, l'Association du Barreau canadien n'a jamais soulevé cette question.
En conclusion, je vous demanderais si la modification proposée nuira à qui que ce soit. Selon moi, si le premier critère de nomination à la Cour suprême n'est pas la compétence, les parties au litige pourraient en souffrir.
Merci, monsieur le président, cela met fin à mes remarques.
:
C'est donc le dernier endroit. Je vous posais la question, mais je me doutais bien de votre réponse. Comme on le sait, dans les cours inférieures, on trouve des juges bilingues. Le fait qu'ils soient bilingues assure automatiquement à un francophone la capacité de faire valoir ses droits dans sa langue. Ça assure aussi à un anglophone la possibilité de faire valoir ses droits dans sa langue. Ça veut dire que lorsqu'il a besoin de s'exprimer, il le fait dans sa langue. Il est certain que le juge devant lui sera en mesure de bien saisir l'importance du plaidoyer et il pourra faire valoir ses droits. On parle des cours inférieures.
Compte tenu que vous avez mentionné un peu plus tôt que la Cour suprême est le dernier endroit où un citoyen canadien peut faire valoir ses droits, on est chanceux que ce ne soit pas une question de vie ou de mort, quand on est à la Cour suprême. Cependant, on ne peut pas aller plus loin.
Croyez-vous qu'un citoyen peut se sentir à l'aise et avoir l'assurance qu'il ne courra aucun danger, quant à la décision finale de la Cour suprême, à cause de sa langue?
Dans les cours inférieures, on garantit à cet individu qu'il pourra parler dans sa langue, que la personne devant lui aura la capacité de lui parler dans sa langue et de comprendre sa langue. On ne peut pas aller plus loin, je le répète, on ne pas aller dans une autre cour, on ne peut pas s'adresser à une autre instance, c'est la fin. Un peu plus tôt, vous ne pouviez entendre l'interprétation. Vous n'avez donc pas été en mesure de me comprendre, ce que je respecte, mais imaginez la situation si l'interprétation diffère encore plus de ce que je dis actuellement. Si jamais l'individu ne se fait pas bien comprendre à cause de l'interprétation, croyez-vous qu'un citoyen ou que l'avocat d'un citoyen sera en mesure de plaider et de faire valoir adéquatement les droits de son client?
:
Monsieur le juge, comme je le disais, votre point de vue me déçoit, et j'espère qu'il n'est pas partagé par une majorité de juristes. Je refuse de penser qu'il y a un divorce entre la compétence et la connaissance, d'une part, et le bilinguisme, d'autre part. Le député Godin a souligné dans son témoignage que cette obligation d'être bilingue s'appliquait aux tribunaux de juridiction fédérale. Or si cette obligation incombe aux juges de tribunaux fédéraux inférieurs à la Cour suprême, je pense que comme parlementaires, nous sommes fondés à penser qu'elle devrait aussi s'appliquer aux juges de la Cour suprême.
Je ne sais pas pour quelle raison vous n'avez pas appris le français et je ne porte pas de jugement là-dessus, mais nous avons le devoir, comme parlementaires, de dire que que si le projet de loi du député Godin est adopté, tous les juristes au Canada qui aspirent à la magistrature et se destinent à des niveaux de responsabilité supérieurs, comme ceux de la Cour suprême, devront apprendre le français, qu'ils soient en Alberta, à l'Île-du-Prince-Édouard, en Saskatchewan ou ailleurs. Dans votre cas, si une pareille obligation avait existé, vous auriez peut-être fait l'effort d'apprendre le français.
Je crois que le projet de loi du député Godin envoie un message clair à la prochaine génération de juristes. Je ne doute pas de votre érudition juridique et je ne doute pas non plus que vous ayez très bien servi la Cour suprême, mais si le message avait été clair au moment où vous avez appris le droit, peut-être auriez-vous fait l'effort d'apprendre le français.
J'aimerais connaître votre opinion sur cette question.
:
Vous m'avez posé une quinzaine de questions, et je vais tenter de répondre à certaines d'entre elles.
Premièrement, je doute que la majorité des juristes du Canada ou même du Québec appuient ce projet de loi. Ça, c'est le premier point.
Deuxièmement, dans mon propre cas, je n'ai jamais aspiré à la magistrature. On m'a offert un poste de juge quand j'étais à la fin de la cinquantaine. Il n'est donc pas réaliste de croire que quand on veut devenir juge, on n'a qu'à apprendre le français, parce que je ne crois pas que la plupart des avocats pensent à devenir juges. On ne devient pas juge par choix; on doit être choisi. Il ne suffit pas de réussir un examen pour devenir magistrat.
Devant les tribunaux inférieurs, comme vous l'avez indiqué, on peut plaider sa cause dans la langue de son choix, mais dans presque tous ces tribunaux... En Alberta, par exemple, il y a 90 juges parmi lesquels quelques-uns sont bilingues et peuvent entendre des causes en français. Dans les cours inférieures, ce n'est donc pas un problème. Il y a suffisamment de juges bilingues pour entendre les causes dans les deux langues. Il en va certainement de même aussi au Québec. Je suis sûr que c'est aussi le cas au Québec. Vous pouvez certainement plaider votre cause en anglais. Une décision de la Cour suprême édicte le droit de se faire entendre en français ou en anglais, mais cela nous ramène à la question de savoir si vous êtes prêt à dire à la population canadienne que vous n'offrirez pas le poste de juge à la Cour suprême au juriste le plus compétent parce qu'il ne pourra pas entendre de causes dans l'autre langue officielle sans interprétation?
:
Merci, monsieur le président. Merci à vous, monsieur Major, d'être venu.
Sans vouloir vous offusquer, j'ai assisté...
M. John Major: Ne craignez pas de m'offusquer.
M. Joe Comartin: Merci. C'est justement où je veux en venir.
J'ai assisté à la nomination des quatre derniers juges de la Cour suprême. Chaque fois, on a employé une méthode différente, mais j'ai eu une très bonne idée de qui étaient tous les candidats. Ces audiences étaient confidentielles et je ne peux entrer dans les détails, mais je peux vous dire, monsieur Major, que dans tous les cas, il y avait d'excellents candidats parfaitement bilingues. De plus, s'ils siégeaient déjà à une cour d'appel, ils avaient présidé des procès et des audiences, comme ils auraient eu à le faire à la Cour suprême.
Essentiellement, donc, je mets en doute votre affirmation selon laquelle les candidats compétents et bilingues au poste de juge à la Cour suprême n'existent pas. J'ajouterai ceci: non seulement ils existent, mais ils sont de plus en plus nombreux. Avec les années, de plus en plus d'avocats et de juges compétents seront candidats à la Cour suprême.
:
Bonjour, monsieur le juge.
Permettez-moi de partager mon expérience personnelle. Je suis allé à la Cour suprême du Canada. Je ne plaidais pas, mais j'accompagnais un collègue qui plaidait en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je suis convaincu que ce que vous avez répondu un peu plus tôt à la première question de M. Storseth était tout à fait valable, mais je veux simplement que vous sachiez comment un avocat se sent lorsqu'il arrive à la Cour suprême du Canada. On ne va pas à la Cour suprême du Canada tous les jours, et lorsqu'on le fait, c'est qu'on doit défendre une cause importante.
Pour moi, c'est non seulement d'être entendu qui compte, mais c'est aussi d'être compris. À cet égard, j'ai un peu de difficulté face aux juges qui ne peuvent pas suivre ce qui se dit en français, par exemple. Ce peut être lors d'échanges avec le juge Lamer ou avec un autre juge présent. Vous savez comment ça se passe, car vous avez une très longue expérience, que je ne nie pas. C'est ce qui est important pour nous.
La réalité apparaît souvent de façon différente. Nos clients se demandent pourquoi le juge ne comprend pas ce qui se dit, pourquoi il a besoin de traduction, alors que nous avons toujours plaidé dans des instances où il était possible d'avoir des juges parfaitement bilingues.
Vous comprenez qu'il est important pour plusieurs groupes d'avoir ce sentiment d'être entendus et compris. Être entendu est différent d'être compris. Cette subtilité est importante pour nous. Les juges de la Cour suprême du Canada, la plus haute instance, doivent pouvoir nous comprendre dans la langue française, par laquelle on s'exprime, que l'affaire soit en première, en deuxième ou en dernière instance.
:
Sauf votre respect, monsieur le juge, ce n'est pas comme ça que j'entends ma question.
J'ai quelques années d'expérience. Bien évidemment, je ne nie pas les vôtres. Toutefois, je crois que quand un juge est nommé à la Cour suprême du Canada — je pense au juge Lebel, par exemple, et à tous les juges qui sont là —, de toutes façons, il est nommé parce qu'il est très compétent. Je ne connais pas de juges qui ont été nommés à la Cour suprême du Canada et qui ne sont pas compétents. Peut-être que vous en connaissez, mais moi, je ne peux pas en connaître, car je n'y suis allé qu'une fois, même si je prends toutefois connaissance de tous les jugements.
La compétence est le premier critère, c'est tout à fait exact. Mais en plus de cette exigence, nous demandons également de pouvoir être compris par les juges qui nous entendent. De plus, la question ne se pose pas de cette façon, pour mon client. Celui-ci n'a pas le choix. Peut-être qu'en première instance, c'est différent. Cependant, à la Cour suprême du Canada, ils sont toutes et tous compétents, selon moi, sans aucune exception. Je crois donc que la capacité de parler la langue française ou de la comprendre est une exigence qui devrait s'ajouter.
:
Merci, monsieur le président.
Merci monsieur le juge de votre présence ici aujourd'hui. Nous sommes heureux de vous avoir comme témoin.
Quelques observations que vous avez faites m'ont particulièrement frappé. Tout d'abord, il va sans dire que tout plaideur a le droit de s'exprimer dans sa propre langue officielle. De plus, vous avez insisté sur le fait que la traduction est, à l'évidence, probablement très bonne à la Cour suprême du Canada. Pour ce qui est de donner la priorité à la compétence, en tant que gouvernement, lorsque nous choisissons les juges pour la Cour suprême, je dois dire que je suis d'accord avec vous que la compétence doit en effet primer.
Quelqu'un a dit qu'à un moment donné, les gens décident qu'un jour ils seront juges à la Cour suprême du Canada, et qu'ils peuvent donc commencer à prendre des cours pour devenir bilingues d'où qu'ils viennent au pays. Je ne crois pas que ce soit réaliste du tout. Je ne pense pas que c'est comme cela que la plupart des vies ou des carrières des gens évoluent.
Qu'en pensez-vous? Je sais qu'il n'y a pas qu'un chemin qui mène à la Cour suprême, mais dites-nous pourquoi cette prémisse vous semble irréaliste.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
[Français]
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d'abord vous remercier de me donner l'occasion de vous exposer ma position concernant le projet de loi , qui modifie un article de la Loi sur la Cour suprême concernant le bilinguisme des juges.
Au cours des 40 années qui se sont écoulées depuis la sanction royale de la Loi sur les langues officielles, les droits linguistiques au Canada se sont imposés et ont progressé dans le cadre d'une discussion complexe à laquelle trois interlocuteurs principaux ont donné le ton. Amorcée par le Parlement canadien dès la formation de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, cette conversation mobilise également le public canadien et les tribunaux, en particulier la Cour suprême du Canada.
Cette conversation entourant l'application de la Loi sur les langues officielles et la Charte canadienne des droits et libertés a permis à une nouvelle jurisprudence de s'établir, et ce, au gré des relations entre les populations anglophones et francophones du Canada. D'ailleurs, ces relations définissent notre passé, alimentent notre présent et conditionnent notre avenir.
[Traduction]
L'un des énoncés les plus éloquents sur l'importance de la langue comme élément de l'identité individuelle et collective nous vient d'une décision rendue par la Cour suprême dans la cause Ford, en 1988:
La langue n'est pas uniquement un moyen de communication interpersonnel et un moyen de rayonnement. Ce n'est pas seulement le véhicule d'un message latent ou manifeste. La langue est elle-même un message, un référent pour la loyautés et les animosités, un indicateur du statut social et des relations interpersonnelles, une manière de délimiter situations et sujets ainsi que les buts visés par la société et les immenses champs d'interrelations, tous chargés de valeurs, qui caractérisent chaque communauté linguistique.
Cette vision de la Cour suprême influence en partie ma position concernant le débat qui nous réunit aujourd'hui.
Le caractère bijuridique du système judiciaire canadien est un autre facteur qui m'a influencé. Le Canada n'a pas qu'un système juridique, il y en a deux. Nous sommes l'un des rares pays à jouir de l'avantage d'avoir à la fois la common law, issue de la Grande-Bretagne, et le Code civil, qui remonte au droit romain et ensuite au Code Napoléon de la Nouvelle-France, laquelle est devenue le Bas-Canada et finalement le Québec. Il s'agit d'un immense atout pour notre tradition juridique et pour beaucoup de nos avocats pratiquant au sein des deux traditions, qui ensemble couvrent presque le monde entier.
John Henry Merryman, juriste américain, a écrit: « On ne saurait surestimer l'influence de la tradition civiliste sur le droit particulier de chaque nation, sur le droit des organisations internationales et sur le droit international. »
Cela ne veut pas dire que tous les juges de la Cour suprême devraient recevoir leur formation en common law et en Code civil. Mais ils devraient pouvoir entendre les arguments d'un avocat formé dans l'une ou l'autre, en anglais ou en français, sans avoir besoin d'interprétation. Comme vous le savez, les lois canadiennes ne sont pas traduites: elles sont rédigées en anglais et en français. Les juges des tribunaux supérieurs du pays doivent pouvoir saisir la nuance lorsqu'il y a un écart entre les deux versions.
[Français]
Si le Parlement adoptait ce projet de loi, cela enverrait un message éloquent aux facultés de droit du pays: bien connaître les deux langues est un préalable pour avoir la pleine maîtrise du droit et pour être admis aux postes les plus importants et les plus prestigieux de la magistrature canadienne.
La dualité canadienne, de par sa nature, signifie que les citoyens ont le droit d'être servis par l'État dans la langue de leur choix. C'est en effet un droit que d'être unilingue. L'État est officiellement bilingue, donc le citoyen n'a pas besoin de l'être. Les citoyens du Canada peuvent y mener toute leur vie une existence prospère en parlant une seule langue officielle, sans devoir apprendre l'autre. Ainsi, le fardeau du bilinguisme repose sur l'État et, plus particulièrement, sur ceux qui exercent un rôle de leadership au pays.
Le Parlement a reconnu la nécessité pour tout tribunal fédéral de pouvoir mener des procédures en français comme en anglais. Fait paradoxal, il n'y a qu'une seule exception: la Cour suprême. À mon avis, cela a perpétué une malheureuse séparation.
[Traduction]
II y a plus de 30 ans, Ie regretté Jules Deschênes, juge en chef de la Cour supérieure du Québec, prononçait à Toronto un discours où il faisait une mise en garde contre ce qu'il a appelé Ie « séparatisme juridique ». Je cite:
« Le Québec a fait montre de la volonté et de I'aptitude nécessaires pour contribuer à I'édification d'un [...] système de droit fédéral, mais il s'est heurté à la communauté juridique du reste du Canada qui, dans sa grande majorité, s'est fermée à cette idée en ignorant purement et simplement la contribution du Québec, avait-il déclaré. Actuellement, au Canada, il existe une séparation de fait sur Ie plan juridique, mais elle a été imposée au Québec de I'extérieur et non par Ie Québec de I'intérieur. »
II mentionnait que les travaux en droit commercial, en droit criminel et en droit administratif réalisés au Québec passaient totalement inaperçus dans Ie reste du Canada, et que les jugements des tribunaux québécois n'étaient pas suffisamment cités par les juristes anglophones.
L'une des choses impressionnantes à propos de la Cour suprême est de voir à quel point elle est devenue plus bilingue dans les trois décennies qui ont suivi I'allocution du juge Deschênes. Mais il suffit encore d'un juge unilingue pour que toutes les discussions se déroulent dans une seule langue.
[Français]
La discussion entourant la nomination de juges bilingues n'est pas un sujet nouveau. Comme mes prédécesseurs, j'ai déjà exprimé mon opinion à ce sujet devant divers forums. Au mois de mai 2008, je me suis présenté devant le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes et j'ai donné mon avis sur le processus de nomination d'un prochain juge à la Cour suprême. À ce moment, je signalais que la connaissance des deux langues officielles devait être l'une des compétences recherchées chez les juges siégeant au plus haut tribunal du pays. Je notais également qu'une telle exigence démontrerait à l'ensemble du public canadien l'engagement du gouvernement du Canada envers la dualité linguistique, de façon symbolique et pratique à la fois.
Un an plus tard, je demeure du même avis. En effet, il me semble essentiel qu'une institution aussi importante que la Cour suprême du Canada soit non seulement composée de juges ayant des compétences juridiques exceptionnelles, mais qu'elle soit le reflet de nos valeurs et de notre identité canadienne en tant que pays bijuridique et bilingue.
Nous savons tous que la Loi sur la Cour suprême prévoit que la composition de la cour doit refléter une représentation régionale. Ce principe important bénéficie d'un fort appui, tant du public que des parlementaires. Je trouve cependant curieux que l'on utilise ce principe comme argument pour s'opposer à la reconnaissance du bilinguisme en tant que compétence essentielle. J'ai également du mal à accepter l'argument selon lequel exiger le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême porterait atteinte aux droits d'un individu unilingue qui pourrait vouloir accéder au banc de la plus haute cour de justice du pays.
D'une part, la connaissance d'une langue est une compétence qu'il est possible d'acquérir. D'autre part, le bilinguisme est déjà une obligation pour les juges de plusieurs cours du pays et pour quelque 72 000 postes de l'administration fédérale, dans le but de servir la population canadienne adéquatement. Je ne crois pas que la barre doit être placée plus bas pour les juges de la Cour suprême.
[Traduction]
Afin de respecter la population canadienne, il est important de garantir que toute la population canadienne soit servie par des juges de la plus haute distinction et de la plus grande compétence, qui puissent entendre et comprendre une cause dans I'une ou I'autre des langues officielles. Étant donné la complexité et I'importance exceptionnelle des affaires entendues par cette cour, un juge devrait pouvoir écouter les arguments qui lui sont présentés, et ce, sans intermédiaire, afin de saisir les arguments juridiques nuancés et complexes.
Je reconnais I'importance que la sélection des candidats à la magistrature soit principalement fondée sur les compétences professionnelles et Ie mérite de chaque candidat. Dans Ie cadre du processus de nomination des juges, Ie bilinguisme est un critère important et devrait être un des facteurs prépondérants du mérite et de I'excellence juridique d'un candidat.
La modification que propose Ie projet de loi suggère que Ie bilinguisme soit une condition préalable de nomination. J'appuie fortement cette modification.
Merci beaucoup.
Je suis maintenant prêt à répondre a vos questions.
:
Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, monsieur Fraser, pour vos commentaires. Je partage entièrement vos opinions. D'ailleurs, je n'avais pas constaté cette contradiction que vous avez clairement soulignée, à savoir qu'au Canada, pour obtenir certains postes de cadres dans la fonction publique ou pour être général dans l'armée, il faut être bilingue, mais qu'on peut siéger à la Cour suprême sans avoir à remplir cette même exigence. Il est très utile que vous l'ayez soulignée de façon aussi simple et éloquente à la fois.
[Traduction]
Certains diront que la compétence comme juriste, les connaissances en droit et la compréhension du rôle de la magistrature — les éléments qu'on associe traditionnellement à la compétence d'un juge — devraient être les seuls facteurs pris en considération pour les nominations à la Cour suprême. Ajouter une exigence liée au bilinguisme ou aux compétences linguistiques abaisserait la barre et donnerait à des candidats moins qualifiés la chance d'être nommés à la cour, alors que des personnes peut-être plus compétentes mais unilingues verraient leur candidature bloquée.
Que répondez-vous à cela? C'est une réaction irréfléchie. Le juge de la région atlantique qui a remplacé le juge Bastarache, le juge Cromwell, est le parfait exemple d'un juriste compétent hautement qualifié et bilingue provenant de la Nouvelle-Écosse.
Que répondez-vous à ces critiques?
:
Merci, monsieur le président. C'est toujours un plaisir d'accueillir M. le commissaire. Je suis extrêmement heureux, pour ne pas dire euphorique, d'entendre votre témoignage, parce que j'étais un peu — je le dis en tout respect — déçu du témoignage précédent.
Je crois que le projet de loi de notre collègue M. Godin est essentiel si on veut envoyer un message clair. Le mérite qu'il a est qu'il permettra de préparer la prochaine génération de juristes, en leur indiquant la règle du jeu. Dans notre système de droit, on n'accède pas nécessairement par concours à la Cour suprême, c'est une question de nomination. Il y a peut-être parfois quelques variables partisanes, mais on ne doute pas que la Cour suprême soit nantie de juges très compétents. Si on se destine à la magistrature, on saura que parmi les facteurs d'appréciation de la compétence, il y aura la connaissance des deux langues. C'est extrêmement important.
J'ai été un peu surpris. Un collègue que je ne nommerai pas a posé, tout à l'heure, une question qui pourrait échoir à votre domaine de compétence. On a demandé au juge si, à sa connaissance, des plaintes avaient déjà été déposées au sujet de l'utilisation du français devant la Cour suprême. L'intervenant qui vous précédé, avec tout le respect qu'on doit à la fonction qu'il a occupé, a traité ça avec une certaine désinvolture.
À titre de commissaire, êtes-vous en mesure de nous donner de l'information sur des représentations dont vous auriez fait l'objet de la part des membres de la communauté juridique devant l'incapacité de certains juges? Je comprends que ce domaine est délicat, mais avez-vous déjà eu des plaintes à cet égard?
:
Je dirais deux choses à ce propos. Tout d'abord, malgré tout le respect que je lui dois, je ne crois pas qu'une personne unilingue soit dans la meilleure position pour évaluer la qualité de l'interprétation.
Quand je vois un film en français avec des sous-titres anglais, je suis en mesure de me dire que je n'aurais pas traduit cette phrase de cette façon. Par contre, quand je vois un film en allemand avec des sous-titres, je ne peux pas juger si le film a été bien sous-titré ou mal sous-titré.
Je sais qu'un des témoins, cette semaine, a fait remarquer qu'il avait des réserves face à l'interprétation de son propre plaidoyer devant la Cour suprême. Ce témoin a fait des remarques semblables il y a un an, quand on a comparu devant un comité. Je me demandais si c'était exagéré.
Je suis souvent très impressionné par le travail des interprètes. C'est un travail extrêmement difficile. J'admire beaucoup le travail des interprètes. J'en connais plusieurs et je trouve qu'ils font un travail magistral. Il n'empêche que j'ai déjà visionné, sur CPAC, une de mes comparutions devant un comité et j'ai dit à ma femme que ce n'était pas tout à fait ce que j'avais dit.
Quand on exprime des nuances, il est souvent possible que l'interprétation passe un peu à côté du sens exact de ce qu'on voulait dire. Ce pourrait être le cas d'un avocat qui plaide devant la Cour suprême.
On n'a pas reçu de plainte relativement au système d'interprétation, mais on a reçu deux plaintes relatives à certaines incapacités d'autres tribunaux fédéraux, car il y avait une pénurie de juges bilingues. J'ai parlé de ce problème au ministre de la Justice.
Bonjour, monsieur Fraser. On se voit régulièrement à plusieurs comités. Je vous souhaite la bienvenue au Comité permanent de la justice et des droits de la personne.
Vous savez que cette question nous intéresse, d'autant plus qu'il s'agit d'un projet de loi émanant d'un député. Naturellement, vous avez vu que le projet de loi est très simple. Ce n'est pas parce qu'on met beaucoup de mots qu'on veut dire beaucoup de choses. Parfois, on met peu de mots et ça veut dire beaucoup de choses.
Je m'intéresse à quelques mots qui proviennent directement du projet de loi, et je cite: « [...] qui comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète. »
J'ai déjà posé cette question lors d'une réunion qui portait sur le même sujet. On sait que je viens d'une province où c'est unilingue, en français. La Loi 101 s'applique à toutes les étapes, même devant les tribunaux, etc. Mon collègue qui a présenté ce projet de loi vient d'une province qui est officiellement bilingue. Vous comprenez la différence. Naturellement, le projet de loi C-232 vise à établir le bilinguisme institutionnel. Vous êtes ici pour témoigner. On dit « sans l'aide d'un interprète ». Vous avez entendu un peu plus tôt, qu'il y a ici plusieurs avocats. M. Dosanjh a peut-être déjà été procureur général dans sa province. Étant unilingue, il ne pourrait même pas accéder à la Cour suprême. Je ne le pourrais peut-être pas, même si je suis bilingue, car je n'ai peut-être pas les compétences requises. Il y a autre chose, comprenez-vous? Il y a toutes sortes de choses.
Vous connaissez peut-être la Cour suprême. Nous envoyons des mémoires, des requêtes, il y a des procédures pour obtenir l'autorisation de se présenter devant la Cour suprême, Ça se fait dans la langue d'origine, par exemple le français. Même si mon vis-à-vis est anglophone, je vais parler dans ma langue. Cependant, comme M. Lemay l'a dit un peu plus tôt, une personne s'occupe des dossiers. Si on utilise les mots « sans l'aide d'un interprète », ça voudra dire que le juge qui va lire mon dossier devra lire tous les mémoires dans la langue de l'avocat ou du client, que ce soit en français ou en anglais. Il devra se taper toutes les requêtes dans la langue de l'individu, peu importe d'où il vient. Il devra comprendre non seulement en écoutant, mais il devra aussi avoir une bonne compréhension en lisant. Si on dit « sans l'aide d'un interprète » ce n'est pas uniquement quand quelqu'un nous parle, c'est aussi pour toutes les matières que nous recevons.
Comment avez compris l'expression « sans l'aide d'un interprète »? Est-ce uniquement à l'écoute, au parlé ou à l'écrit? C'est important, n'oubliez pas. Ça coûte cher.