Bonjour. Je m'appelle Ani Mardian. Je suis ici au nom de la Armenian Church of Canada. Je suis accompagnée par le directeur du Bureau des relations gouvernementales, M. Deacon Arslanian. Nous vous offrons les salutations de l'archevêque Nathan Hovhannisian.
Merci de nous avoir invités à comparaître et de nous permettre de porter ce problème crucial à votre attention.
Nous sommes ici pour demander au gouvernement du Canada, par l'entremise du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, de joindre sa voix à la condamnation internationale des récents actes de violence qui mettent en péril la communauté arménienne historique du village de Kassab.
Nous souhaitons une intervention immédiate pour secourir et protéger la population arménienne ainsi que les autres minorités ethniques.
Il est d'importance capitale que le Canada, en tant que défenseur des minorités et des droits de la personne, fasse partie des nations qui condamnent ces attaques gratuites sur la scène internationale et demandent une intervention. Il est urgent d'offrir un soutien pour protéger la vie et le futur de ces habitants, qui, plus que jamais, ont désespérément besoin d'aide et de protection.
Les habitants de Kassab — qui sont en grande majorité d'origine arménienne —, ont été forcés de quitter leur patelin et de se réfugier dans la ville de Lattaquié, où ils sont maintenant regroupés dans une petite église et quelques pièces d'une école.
Outre le besoin de protection contre les groupes terroristes, ces habitants ont aussi un criant besoin d'aide matérielle pour leur permettre de passer à travers cette période extrêmement difficile. Rappelons qu'ils ont été forcés de quitter leurs foyers en vitesse, laissant derrière eux toutes leurs possessions, y compris leurs vêtements et leurs fournitures.
Craignant un traitement d'une dureté extrême de la part des groupes rebelles qui ont joué un rôle de premier plan dans le soulèvement en Syrie, les minorités se sont rangées du côté du président Assad afin d'obtenir une protection. Elles n'ont pas pris part aux combats et elles sont restées neutres. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elles ne sont pas en mesure de se défendre à l'heure actuelle.
De tous les Arméniens qui habitaient les grandes villes de Syrie avant la guerre, il n'en reste que quelques-uns qui sont toujours dans leur maison. La majorité — ceux qui avaient les moyens de partir — a déménagé dans d'autres pays ou, du moins, dans un coin de la Syrie où elle se croit plus en sécurité qu'à Kassab ou à Lattaquié.
Situé près de la frontière turque, dans le nord de la Syrie, le village de Kassab a été colonisé par des Arméniens à partir des XIVe et XVe siècles. Jusqu'à tout récemment, l'agglomération comptait environ 2 000 Arméniens. La beauté de Kassab en fait une véritable carte postale des villages côtiers de la Méditerranée. Mais, pour les Arméniens, la région a avant tout une valeur symbolique sur le plan historique, puisqu'elle nourrit leur identité depuis des siècles.
Selon les rapports de l'Associated Press, les rebelles syriens qui ont attaqué Kassab proviennent de différents groupes, dont le Front al-Nusra, une organisation affiliée à Al-Qaïda et basée en Turquie. On rapporte que les groupes militants ont attaqué le village sous le couvert des frappes d'artillerie turques. Les attaques s'étendent maintenant à toute la région et ciblent les résidents en fonction de leur religion et de leur origine ethnique.
Le 21 mars, les rebelles armés ont attaqué la populeuse région en entrant en Syrie par la frontière turque. Menacée de massacre, la population au complet a été forcée de fuir. Malheureusement, tous n'ont pas réussi à s'échapper, et certains ont perdu la vie de façon brutale.
La longue histoire des Arméniens dans cette région — des populations qui descendent des habitants d'anciennes principautés arméniennes — est marquée par la persécution et la destruction. Malgré cela, la résilience et l'adaptabilité de ce peuple ont fait en sorte que les survivants ont toujours su se refaire une vie prospère dans cette terre ancestrale. C'est malheureusement la troisième fois que les Arméniens en sont expulsés.
Le président de l'Arménie, Serge Sargsyan, dit que Kassab a été attaqué par des militants turcs en 1909, et que la population arménienne a été déportée par les Ottomans. Nombre d'Arméniens sont morts à cette occasion, alors qu'ils tentaient de traverser à pied les déserts de Syrie. La fuite forcée qui nous occupe revêt une profonde signification pour tous les Arméniens. L'exode de Kassab rappelle en effet les premiers jours du génocide arménien commis sous le couvert de la Première Guerre mondiale.
Monsieur Albrecht, les Canadiens d'origine arménienne vous remercient d'avoir soulevé ce problème du ciblage délibéré des groupes religieux et des groupes ethniques lorsque vous vous êtes adressé au Parlement, le 25 mars dernier, pour faire part de vos préoccupations quant au sort réservé à la communauté arménienne de Kassab.
M. David Anderson, secrétaire parlementaire du ministre des Affaires étrangères, a répondu à votre question au nom du gouvernement.
M. Anderson a reconnu que les violations commises à l'encontre des citoyens et fondées sur la religion et l'ethnicité sont une violation des droits fondamentaux de la personne. C'est donc comme enfants du peuple arménien — ce peuple qui est maintenant éparpillé dans le monde entier et qui, à cause des pires violations de ces droits de la personne, forme aujourd'hui l'une des grandes diasporas de la planète — que nous vous demandons avec une urgence renouvelée d'aider nos compatriotes en Syrie.
Nous vous prions de rallumer l'espoir par de l'aide et des mesures directes pour assurer la sécurité afin d'éviter que cette population soit à nouveau celle qui sera oubliée pendant que la crise sévit. Comme l'Histoire nous l'a si bien enseigné, les erreurs du passé sont difficiles à effacer. Il faut agir maintenant: c'est la meilleure façon d'avoir une incidence sur le cours des choses.
Les attaques ciblées de plus en plus fréquentes perpétrées récemment par les extrémistes font que les membres de la communauté chrétienne arménienne sont encore une fois expulsés de leurs foyers et peut-être même de leur patrie. Nous vous exhortons vivement de demander en notre nom au gouvernement du Canada de prendre toutes les mesures nécessaires pour aider sans tarder la communauté arménienne de Kassab. Notre espoir le plus cher est que l'urgence des atrocités et les circonstances locales sinistres dans lesquelles elles sont commises engendrent une réponse favorable.
Au nom du bureau des relations gouvernementales du diocèse et des fidèles de notre église répartis dans tout le pays, nous demandons au Canada d'agir de façon particulière sur les deux fronts suivants: la diplomatie et l'aide humanitaire en Syrie. Du généreux montant de 353 millions de dollars qui a été promis pour l'aide humanitaire en Syrie, nous vous prions instamment d'en consacrer une partie directement aux besoins immédiats des familles arméniennes. Nous vous demandons de travailler en étroite collaboration avec votre allié de l'OTAN dans cette région — en l'occurrence, la République de Turquie — pour fermer les frontières qui entourent la région de Kassab afin d'empêcher les extrémistes inspirés par Al-Qaïda de faire des incursions sur ce territoire.
L'Armenian Church Diocese of Canada est prêt à collaborer de toutes les façons imaginables pour assurer la mise en place d'un mécanisme viable et transparent afin d'acheminer toute l'aide qu'il sera possible de rassembler pour cette cause.
En terminant, j'aimerais citer Albert Schweitzer, théologien et philosophe allemand, qui disait: « L'humanité consiste dans le fait qu'aucun homme n'est sacrifié à un objectif. »
En tant que champion des droits et libertés de la personne, le Canada doit défendre ses valeurs et travailler à faire cesser les effusions de sang en cours. Nous vous prions de fournir l'aide qu'il faudra pour permettre aux Arméniens de la communauté de Kassab de réintégrer leurs demeures légitimes dans l'honneur et la dignité.
Merci.
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La persécution des chrétiens est une situation très particulière. On ne peut pas dire que seuls les Arméniens, les Grecs ou les autres chrétiens ont été persécutés. Le dernier événement qui est survenu, soit l'attaque à Kessab, en est une dimension très spécifique.
Vous savez fort bien que la Turquie est en train de vivre des élections municipales. L'élection présidentielle suivra en août 2014. En 2015, il y aura des élections générales. Présentement, la confusion qui existe en Turquie est énorme.
Étant donné que je suis né là-bas et que j'y ai vécu 31 ans, je connais très bien ce qui s'y passe. Quand il y a un problème à l'intérieur du pays, la meilleure façon de s'en occuper, c'est de détourner l'attention à l'extérieur des frontières. C'est ce qui s'est passé.
La dernière cible, c'est Kessab. Ce village vivait en paix depuis des années. D'ailleurs, ses habitants sont tous des retraités. Le village de Kessab a été pris pour cible. Évidemment, les habitants se sont finalement réfugiés à Lattaquié.
Je ne sais pas si vous êtes au courant de cette situation. Il y a un communiqué qui vous a été envoyé la semaine dernière. Ce communiqué retranscrit ni plus ni moins un sorte de fuite en provenance du cabinet à Ankara. Lors de cette réunion, il y avait le ministre des Affaires extérieures, le numéro un de la sécurité nationale et le chef de l'état-major militaire. La quatrième personne présente était le numéro deux des Affaires extérieures. Apparemment, l'opposition, qui est en train de lutter contre le gouvernement actuel, aurait créé cette fuite. Tout ce qui a été capté a été mis sur YouTube.
De cette fuite, on comprend très bien que le numéro un de la sécurité nationale a fait une proposition. Il a dit qu'ils allaient envoyer quatre ou cinq guérilléros ou volontaires en Syrie qui allaient diriger des fusées sur la Turquie. Il a proposé qu'ils allaient prendre cela comme point de départ pour envahir la Syrie. C'est écrit textuellement. Vous l'avez dans votre courriel. La semaine dernière, nous l'avons envoyé à au moins 350 élus ou représentants officiels du Parlement canadien. Tout cela est connu.
C'est pourquoi, quand vous me posez la question sur une affaire très générale et qui était une affaire intérieure de la Syrie, je ne critique pas le régime syrien et, comment dire, je ne le rehausse pas non plus. Toutefois, le problème est qu'on attend l'occasion. Au Moyen-Orient, c'est ce genre de jeu et de scénario qui est mis en oeuvre. Ce n'est pas nouveau. Cela existe depuis des années.
Dans mon esprit, c'est très clair. En 1915, les Arméniens ont été massacrés. On a appelé cela un génocide. Ce génocide continue. La phase finale, c'est le village de Kessab.
Cela se produit toujours à l'approche de la date historique du 24 avril. Est-ce une coïncidence ou non? Je ne le sais pas.
Est-ce que cela répond à votre question, monsieur?
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Merci, monsieur le président.
Notre réunion d’aujourd’hui en ce qui concerne les questions précises liées à la population de Kassab vient à un moment où il y a eu un certain nombre de jalons historiques — si l’on peut utiliser ce terme par rapport à ce qui se passe en Syrie —, dont la plupart ont été annoncés cette semaine ou dans les 10 derniers jours.
Le premier, c’est que cette guerre en Syrie a maintenant fait 150 000 victimes. Le deuxième, c’est que 10 millions de Syriens ont maintenant besoin d’une aide humanitaire. Le troisième a été annoncé aujourd’hui: un million de réfugiés syriens sont passés au Liban, malgré les problèmes que connaît ce pays, comme la rareté de l’eau et de la nourriture, etc. Le quatrième, c’est que la livraison de l’aide humanitaire est bloquée et, le cinquième, c’est que moins de 20 % des promesses d’aide humanitaire ont été honorées.
Pris ensemble, tous ces facteurs constituent une catastrophe sans précédent. Je n’ai même pas parlé du reste, du témoignage que nous avons entendu au sujet de la violence sexuelle faite aux femmes, etc.
Donc, ma question pour les témoins, c’est qu’étant donné que ce n’est pas... J’ai eu le plaisir de vous rencontrer et j’ai aussi eu l’occasion de discuter du sort des gens de Kassab qui ont déménagé à Lattaquié. La question est la suivante: comment pouvons-nous mettre l’accent sur les graves préoccupations de la communauté de Kassab tandis que se déroule en Syrie une catastrophe humanitaire?
Comment pourrions-nous amener le gouvernement canadien à en faire une priorité étant donné les difficultés liées aux promesses générales en matière d’aide humanitaire concernant notamment la réinstallation des réfugiés au Canada?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur temps et de leurs exposés. Comme vous le voyez, j’ai très peu de temps et je voudrais poser mes deux ou trois questions en même temps et vous pourrez y répondre en bloc.
La première porte sur le fait que l’une des raisons pour lesquelles le régime Assad a l’appui de nombreuses minorités religieuses, c’est la sécurité relative qu'il leur accorde. Comment les Arméniens ont-ils été traités pendant qu’Assad exerçait un plein contrôle de la Syrie? En quoi cela se distingue-t-il du traitement réservé aux autres groupes chrétiens?
Ma deuxième question est la suivante: si les rebelles réussissaient à intimider le régime Assad, à quel résultat pourrait-on s’attendre en ce qui concerne les Arméniens en Syrie? Entre la retraite des rebelles ou celle du régime Assad, quel résultat serait le plus susceptible d’avoir, sur le plan de la sécurité, un effet positif pour les Arméniens?
Voici ma troisième question, qui est plutôt brève. En Syrie, les clivages ethniques et religieux sont l’un des problèmes importants qui entraînent chez les gens, chez les familles, un sentiment d’insécurité en présence de voisins ou d’autres groupes. Donc, comment la communauté arménienne a-t-elle appris à composer avec cette insécurité en Syrie?
Merci.
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Il faudrait que ma réponse soit longue, mais comme je n'ai pas assez de temps, je serai très bref.
D'abord, il faut mentionner qu'après le génocide de 1915, tous les pays du Moyen-Orient ont accepté ces réfugiés. Ces réfugiés ont eu leur place. Je ne dirais pas que c'était une place de choix, mais ils ont eu leur place, et ce, comme réfugiés. Ils ont travaillé dans ces pays, que ce soit au Liban, en Égypte, en Syrie ou n'importe où au Moyen-Orient.
À l'heure actuelle, on se remet dans une position telle qu'une guerre va survenir en Syrie. Sans vouloir accuser qui que ce soit, il y a le mouvement islamiste qui peut provoquer cela. Il est évident que ce sont les minorités qui vont en payer le prix. Dans tout l'environnement du Moyen-Orient, il est sûr que ce sont les chrétiens qui, à un moment donné, vont payer le prix de cette nouvelle philosophie ou de ce nouveau mouvement qui existe au Moyen-Orient.
Les Arméniens ont une place très particulière en Turquie. S'il y a le moindrement une certaine effervescence, il est évident que les Arméniens sont toujours les premiers à en payer le prix. Dans une perspective de guerre en Syrie, ce pays serait confronté à la Turquie parce qu'il n'y a pas d'autres concurrents à cet égard. Toutes les minorités chrétiennes en paieraient le prix, à commencer par les Arméniens. C'est un fait. Selon moi, c'est très clair. C'est ce que j'ai vécu, c'est ce que j'ai vu et c'est ce que je vois encore. J'espère que je ne vais pas voir la même chose la semaine prochaine.
C'était la réponse à votre deuxième question. Puis-je savoir quelle était votre première question?
[Traduction]
J'aimerais y répondre.