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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 067 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 30 avril 2015

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Français]

    En ce jeudi 30 avril 2015, je vous souhaite la bienvenue à cette 67e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. La séance d'aujourd'hui est télévisée.

[Traduction]

    Nous avons un problème, chers collègues. Comme vous le savez, nous avons trois témoins aujourd'hui, dont deux sont dans la salle avec nous en ce moment. Cependant, nous prévoyons que la sonnerie se fera entendre dans cinq minutes environ pour la tenue d'un vote. En vertu du Règlement, les comités comme celui-ci doivent suspendre automatiquement leurs travaux dès que la sonnerie se fait entendre. Vraisemblablement, à notre retour, il ne restera que deux ou trois minutes avant la période des questions.
    J'aimerais vous demander s'il y a consentement unanime pour procéder de la façon suivante: lorsque la sonnerie se fera entendre, le greffier et moi surveillerons l'heure. Nous suspendrons la séance cinq minutes avant la tenue du vote, dans environ 25 minutes. D'un point de vue pratique, il y aura seulement assez de temps pour entendre les témoignages, et non pour les séries de questions.
    Je propose que nous procédions ainsi.
    Des voix: D'accord.
    Le président: Toutes nos excuses aux témoins; cela échappe à notre contrôle. Avoir su, nous aurions planifié les choses autrement. Je suis désolé, car la partie la plus utile est souvent celle des questions et des réponses. Je sais que votre témoignage nous sera très utile.
    Je vous demanderais de commencer. Étant donné le temps dont nous disposons, vous n'aurez que 10 minutes chacun. Je ne sais pas qui de vous deux présentera son exposé en premier. Puis-je vous demander si vous en avez discuté entre vous?
    Madame Nemat, allez-y, s'il vous plaît. Merci.
    Premièrement, permettez-moi de tous vous remercier de m'accorder votre temps précieux. Je sais que vous êtes tous très occupés.
    Je suis ici pour parler de mon expérience en tant que prisonnière politique en Iran.
    J'ai grandi en Iran. Je suis chrétienne. Je suis née dans une famille chrétienne et à l'époque où je suis née, l'Iran n'était pas une république islamique. C'était en 1965, pendant le règne du shah. Mon père donnait des cours de danse de salon et ma mère était coiffeuse. J'ai grandi au son du cha-cha-cha et du tango; les femmes avaient les cheveux crêpés. Nous avions un chalet sur le bord de la mer Caspienne. J'étais une adolescente typique. À l'époque, l'Iran était gouverné selon des lois laïques. Je voulais devenir médecin.
    Puis, il y a eu la révolution et l'ayatollah Khomeiny a pris le pouvoir. Contre toute attente, je suis devenu activiste, et je le précise parce que je ne suis pas politisée. Ma famille n'est pas politisée. Il n'y avait jamais eu de politiciens dans ma famille.
    À l'époque, je n'étais qu'une adolescente, mais j'avais grandi en bikini sur la plage et je portais des minijupes. J'étais amoureuse de Donny Osmond parce que son émission était ma préférée.
    Lorsque la révolution a eu lieu, tout ce dont j'ai parlé est devenu illégal. Mon père, qui avait introduit la danse moderne en Iran, a dû fermer son studio de danse parce que la danse a été déclarée diabolique et illégale. J'ai suivi des cours de ballet, et ils ont été interdits. Porter le hijab est devenu obligatoire.
    Qu'en est-il de nos libertés, de nos libertés personnelles? À la révolution, on nous promettait la liberté, la démocratie et les libertés politiques, mais cela ne s'est pas produit. Nous avons même perdu nos libertés personnelles, ce qui nous a contrariés. Comme j'étais une jeune femme qui avait grandi en portant la minijupe, désormais interdite — plus notre aspect était répugnant, plus le gouvernement était heureux —, j'ai manifesté. Nous avons manifesté dans les rues de Téhéran, pas seulement parce que nous étions politisés, mais simplement parce que nous voulions nous amuser. Toutes les manifestations ont été réprimées par la garde révolutionnaire.
    La vague d'arrestations massives des jeunes en Iran a commencé au printemps de 1981. Parmi mes amies, la première à être arrêtée s'appelait Shahnush Behzadi. Elle avait 15 ans. Elle avait peur des araignées. Nous étions camarades de classe depuis la troisième année. J'étais une fautrice de troubles; j'avais une grande gueule. À l'école, je protestais toujours. Quant à mon amie, c'était une des élèves les plus tranquilles, et elle a été la première à disparaître. Tous les jours, en arrivant à l'école, on constatait qu'il y avait une place vide. Quelqu'un manquait à l'appel; nous nous regardions et nous nous demandions jusqu'où cela pourrait aller. Voyez-vous, ils arrêtaient des jeunes de 15 et 16 ans. À quel point la situation pourrait-elle empirer?
    Dans ce monde, il n'y a pas beaucoup de questions bêtes, mais celle-ci l'est vraiment: « à quel point cela peut-il empirer? » Eh bien, cela a vraiment dégénéré.
    Ils sont venus m'arrêter le 15 janvier 1982. Il était environ 21 ou 22 heures. J'étais à la maison. Je m'apprêtais à prendre une douche. Je venais d'ouvrir le robinet et j'attendais que l'eau se réchauffe. On a sonné à la porte. Ma mère m'a appelée. J'ai ouvert la porte de la salle de bains et deux énormes fusils étaient pointés en ma direction. Des gens m'ont demandé si j'avais eu peur. Non. Ce n'est pas parce que je suis brave, au contraire. Toutefois, j'étais en état de choc. Un état de choc, c'est comme une armure, mais cela ne protège pas des balles; cela protège des émotions. J'ai perdu la capacité d'éprouver des émotions. Je crains que lorsqu'on se retrouve en état de choc, il est très difficile d'en sortir.
    Les gardes m'ont fait monter à bord d'un véhicule et m'ont conduite vers le nord, jusqu'à la prison d'Evin, qui est encore utilisée 35 ans plus tard. À l'arrivée, on m'a bandé les yeux; c'est ce qu'ils font aux prisonniers. C'est une technique d'intimidation. Ils m'ont fait parcourir une série de couloirs. Ils ont fini par me dire de m'asseoir. Je me suis assise. Plus tard — je ne sais pas combien d'heures plus tard; je ne saurais dire pendant combien de temps je suis restée assise là —, quelqu'un a dit mon nom. J'ai été conduite dans une pièce. Je ne voyais toujours rien, parce que j'avais encore les yeux bandés.
    Un homme m'a demandé si j'avais participé à des manifestations contre le gouvernement. J'ai dit oui; ce n'était pas un secret. Je n'avais pas porté de masque de ski dans les rues de Téhéran. J'avais évidemment participé à des manifestations. Mon directeur d'école était au courant. J'avais 16 ans. Les enseignants le savaient. Mes amis le savaient. Évidemment que j'avais participé à des manifestations.
    Ensuite, il m'a demandé si j'avais écrit des articles contre le gouvernement. J'ai indiqué que j'avais écrit des articles contre le gouvernement dans le journal de l'école. Puis, il a posé des questions sur les allées et venues d'une fille qui était l'amie d'une de mes amies. J'avais rencontré cette jeune femme une fois, mais je n'avais aucune idée de l'endroit où elle se trouvait. Si je l'avais su, je leur aurais dit. Je n'étais pas membre d'une organisation quelconque. Je n'avais reçu aucune formation sur la façon de se comporter pendant un interrogatoire. Si j'avais su où elle était, je leur aurais dit. Je ne voulais tout simplement pas être à cet endroit.
    Ils n'ont pas aimé ma réponse. Ils m'ont amenée dans une autre pièce et ont retiré le bandeau. J'étais dans une petite pièce en compagnie de deux hommes, Ali et Hamed. Ils m'ont menottée. À ce moment-là, ils ont ri parce que — c'était drôle — mes mains auraient pu glisser des menottes. À l'époque, je pesais 90 livres. Ils ont donc placé mes deux poignets dans un des bracelets, et lorsqu'ils l'ont refermé, mon poignet droit a craqué. La torture n'était même pas encore commencée.
    Ils m'ont attachée à un lit de bois sans matelas. J'étais couchée sur le ventre. Ils ont retiré mes chaussettes et mes souliers. J'avais des souliers de course de marque Puma que j'avais payée une fortune. C'est étrange, parce que j'avais 16 ans et que je pensais à mes chaussures. Ils ont retiré mes chaussettes et mes chaussures, puis ils m'ont fouetté la plante des pieds avec un câble. Je parle vraiment d'un câble, et non d'un fil. C'était un câble de caoutchouc dur d'une épaisseur d'environ un pouce. C'est quelque chose de lourd, et il s'en servait pour me fouetter la plante des pieds.
    Il s'agit d'une des méthodes de torture les plus courantes au Moyen-Orient. Pourquoi? Parce que les terminaisons nerveuses se trouvent dans les pieds. À chaque coup, le système nerveux explose, puis retrouve son état normal, comme par magie. Ensuite, la personne est pleinement réveillée pour le prochain coup. J'ai commencé à réciter le « Je vous salue Marie », mais je l'avais oublié. J'ai commencé à compter. Je me suis rendue à six; j'avais oublié le chiffre suivant. Si le diable était apparu et m'avait offert de lui vendre mon âme en me promettant de me ramener à ma mère, j'aurais vendu mon âme sans hésiter. J'aurais fait n'importe quoi, vraiment n'importe quoi, pour sortir de cette pièce. Je n'en étais pas fière, mais c'est la pure vérité.
    Ils m'ont présenté des documents pour que je les signe. Je les ai tous signés, sans même les lire. S'ils m'avaient demandé d'admettre que j'étais Jésus-Christ, j'aurais admis être Jésus-Christ.
    Bref, j'ai été condamnée à mort. À l'époque — et c'est toujours le cas aujourd'hui —, être condamné à mort à la prison d'Evin était chose courante. Ma sentence a été commuée en emprisonnement à perpétuité et j'ai été envoyée au bloc cellulaire, où se trouvaient des centaines, peut-être des milliers d'autres jeunes femmes.
    Six mois après mon arrestation, j'ai été appelée pour un interrogatoire. Ali, mon interrogateur, était là. Il a fermé la porte derrière nous. Il m'a regardée droit dans les yeux et m'a dit: « Tu as été condamnée à mort, et j'ai commué ta sentence en emprisonnement à perpétuité. Tu resteras ici pour toujours et tout le monde s'en fout. » Eh bien, je le savais déjà. Puis, il a dit: « Tu vas devenir ma femme, sinon je ferai arrêter tes parents et ton petit ami. » Je savais qu'il était sérieux.
    J'ai été forcée à marier mon interrogateur. J'avais 17 ans. Cela ne veut pas dire que j'ai été libérée. On m'a emmenée dans une cellule d'isolement du bloc 209 de la prison d'Evin. J'ai été violée à répétition sous prétexte que j'étais mariée, et c'était tout à fait légal. Je ne pouvais rien y faire.
    C'est un résumé de mon histoire. Mon amie Shahnush, dont j'ai parlé plus tôt, a été exécutée en octobre 1981. Nous ne savons même pas où elle est enterrée. Elle a été exécutée avant même qu'on m'arrête. J'ai une photo d'elle dans mon ordinateur et de temps à autre, lorsque je suis découragée en raison de ce qui se passe dans le monde — je crois que vous conviendrez qu'il est facile de se laisser décourager —, j'ouvre le fichier et je regarde la photo, parce qu'elle a encore 15 ans et j'en ai maintenant 50. Maintenant, j'ai dépassé l'âge d'être sa mère. C'est injuste.
    À la prison d'Evin, je suis devenue un témoin, en somme. Comme je l'ai indiqué, beaucoup de ces jeunes femmes sont enterrées dans des fosses communes. En Iran, aucun mur commémoratif n'a été érigé à la mémoire des morts. Il y en aura, un jour. Mais d'ici là, à l'instar de tous ceux qui ont survécu, je n'ai pas seulement le devoir de me souvenir de leurs noms, j'ai aussi celui de me souvenir de leur histoire.
    Merci beaucoup de votre temps.
(1310)
    Merci beaucoup.
    Monsieur Nasrullah, c'est votre tour, je crois.
    Monsieur le président, je m'appelle Shakib Nasrullah. Je suis un Baha'i d'Iran. Actuellement, j'habite et j'étudie à Montréal. C'est pour moi un honneur d'être ici devant vous pour vous expliquer, en partie, ce que ma femme, ma famille et moi avons vécu et vivons toujours.
    Aux fins de cet exposé, je vais me concentrer sur deux aspects généraux de la discrimination dont nous avons fait l'objet. Le premier est le refus d'accès à l'éducation et mon emprisonnement, qui est lié à cet enjeu. Le deuxième est la pression économique.
    À l'instar de tous les autres Baha'is d'Iran, il m'était interdit de m'inscrire à l'université en Iran. J'ai suivi les cours offerts par l'Institut baha'i pour l'enseignement supérieur, ou IBES, une initiative en matière d'éducation mise en oeuvre par la communauté baha'ie en réaction à l'interdiction d'accès à l'enseignement supérieur pour les membres de la communauté. Toutefois, dans ma famille, la persécution liée à l'éducation perdure depuis les années du primaire et du secondaire.
    Chaque année, pendant la période d'inscription à l'école, mes parents craignaient de ne pouvoir nous inscrire en raison de notre appartenance à la communauté baha'ie. Dans le passé, il est arrivé que l'expression de notre religion en classe entraîne un renvoi. Pour moi, l'école n'a jamais été un endroit sécuritaire, car les enseignants et les membres du personnel administratif tenaient parfois des propos haineux et calomnieux à l'égard des Baha'is.
    À titre d'exemple, j'ai un vif souvenir de la peur que m'inspirait un de mes enseignants de septième année. Cet enseignant se targuait à répétition d'avoir participé à une attaque contre les Baha'is de la collectivité de Yazd, où tous ont été tués ou forcés à partir du village. Il disait aussi que les Baha'is ne sont pas humains et qu'ils ont, en fait, une queue et des sabots. Je n'ai jamais révélé mon appartenance à la communauté baha'ie à mes rares amis d'école, et je ne les ai jamais invités chez moi, par crainte de conséquences inconnues.
    En 1999, sachant qu'être Baha'i m'empêcherait de m'inscrire à l'université, j'ai décidé de suivre les cours de psychologie offerts par l'IBES. C'était au cours de la première année après les importantes attaques coordonnées contre l'institut menées par les agents des services de renseignements, qui avaient saccagé environ 500 résidences des Baha'is dans l'ensemble de l'Iran. L'institut ne s'était toujours pas remis complètement de ces attaques, et nous devions prendre de grandes précautions lorsque nous allions à nos cours, qui étaient offerts dans des maisons privées.
    Après avoir obtenu mon baccalauréat, je suis venu au Canada en 2007 pour commencer une maîtrise. Je suis un des rares étudiants à avoir choisi cette voie. En 2009, après avoir obtenu une maîtrise en psychologie du counseling de l'Université McGill, je suis retourné en Iran pour enseigner à l'IBES et appuyer cette initiative. Comme je suis un Baha'i, l'ordre des psychologues et des thérapeutes de la République islamique d'Iran ne reconnaît ni mon diplôme de l'Université McGill ni mes études antérieures. Par conséquent, je ne pouvais exercer officiellement ma profession en clinique ou en pratique privée.
    Je venais de me marier et j'étais soumis à des pressions financières énormes. Avec l'aide d'un ami, j'ai eu la chance de trouver une clinique où je pouvais travailler officieusement à titre de psychologue. Tout cela s'est écroulé en mai 2011 lorsque les services de renseignements iraniens ont de nouveau attaqué l'IBES. J'étais avec un client lorsque mon ami est arrivé et m'a dit qu'ils avaient attaqué les maisons de nombreux Baha'is. Dans les jours qui ont suivi, j'ai reçu un appel et on m'a demandé de me présenter pour un interrogatoire. Mon interrogateur a exigé que je signe un document indiquant que je n'aiderais plus l'IBES ou que je n'aiderais plus des étudiants baha'is à avoir accès à l'éducation supérieure. J'ai refusé de signer.
    Quelques jours plus tard, l'interrogateur nous a appelés, trois de mes amis et moi, et nous a sommé de nous rendre à la tristement célèbre prison d'Evin. C'est devant cette prison qu'a été arrêtée la journaliste canado-iranienne Zahra Kazemi, qui a ensuite été torturée et assassinée. Donc, nous sommes entrés à la prison d'Evin. Nous étions tous psychologues. Deux d'entre nous étaient des diplômés de l'Université d'Ottawa, située près d'ici, et j'étais diplômé de l'Université McGill. Les accusations officielles portées contre nous étaient les suivantes: agissements et conspiration contre le régime; agissements contre la sécurité nationale; membre d'une institution baha'ie. Les deux premières accusations sont identiques à celles qui ont été portées contre les nombreux Baha'is actuellement incarcérés en Iran, dont beaucoup de mes amis.
(1315)
    Pendant que j'étais en isolement à la prison d'Evin, mon interrogateur a affirmé qu'il pouvait s'assurer que j'y demeure à perpétuité et qu'à moins d'obtempérer, je ne reverrais plus jamais ma femme et ma famille. La torture physique se limitait à des gifles ou des coups de poing, mais la torture émotionnelle et psychologique était extrêmement intense.
    Même si j'étais accusé d'agissements contre la sécurité nationale et de collusion contre le régime, toutes les questions de l'interrogatoire étaient axées sur mon appartenance à la communauté baha'ie, sur mon travail à la clinique en tant que membre de cette communauté et sur les cours de psychologie que je donnais aux étudiants baha'is. Plus précisément, l'interrogateur avait un vif intérêt à l'égard des raisons qui me poussaient à demeurer en Iran alors que je pouvais facilement retourner au Canada et y habiter. Je vais citer ce qu'il m'a dit un jour: « Si tu as une maîtrise d'une université canadienne, pourquoi ne retournes-tu pas là-bas pour y demeurer? Je te garantis que je ne te permettrai jamais de travailler, même dans les villages les plus petits et les plus éloignés d'Iran. » J'ai répondu que j'étais Iranien et que je voulais demeurer en Iran pour servir les Iraniens. Or, il semble que ce n'était pas ce qu'il voulait entendre. En fait, il a tenu sa promesse et s'est assuré que je serais renvoyé de la clinique.
    J'ai eu la chance de sortir de la prison d'Evin après 10 jours, mais mes trois amis, contre lesquels les mêmes accusations ont été portées, sont toujours emprisonnés. Comme j'ai quitté l'Iran en 2012 pour poursuivre mes études de doctorat à l'Université McGill, le tribunal révolutionnaire a prononcé ma peine en mon absence. Je ne connais pas les détails précis de la peine d'emprisonnement qui m'a été imposée, car les autorités iraniennes refusent de fournir des documents écrits aux Baha'is, probablement afin de ne laisser aucune trace de ces persécutions.
    Monsieur le président, à ma sortie de la prison d'Evin, j'avais perdu mon emploi, comme ce fut le cas pour mon père immédiatement après la révolution de 1979, simplement parce que je suis un Baha'i. Ma femme et ma famille étaient constamment en état d'alerte et étaient traumatisées par les appels téléphoniques des services de renseignements iraniens. Les membres de ma famille qui se trouvent toujours en Iran reçoivent encore de tels appels et font l'objet de pressions constantes pour payer la caution négociée par mon père pour ma libération temporaire. Pour mon père, payer une telle somme l'obligerait à vendre son entreprise.
    Voilà qui résume certaines des choses qui me sont arrivées, des choses que vivent actuellement beaucoup de mes amis de la communauté baha'ie en Iran.
    Merci beaucoup de m'avoir écouté, monsieur le président.
(1320)
    Merci, monsieur Nasrullah.
    Monsieur Akhavan.

[Français]

     Monsieur le président, distingués membres du comité, j'aimerais d'abord vous remercier de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.

[Traduction]

    C'est un honneur d'avoir de nouveau l'occasion de témoigner au comité. Je tiens à remercier chacun d'entre vous de la détermination dont vous faites preuve depuis longtemps afin de vous assurer que la question des droits de la personne en Iran ne tombe pas dans l'oubli, en particulier à une époque où, à peu de choses près, la question du nucléaire a relégué la question des droits de la personne en Iran à l'arrière-plan.
    J'aimerais commencer par vous parler de ce qui s'est passé au cours des deux ou trois dernières années sous la présidence de M. Rouhani, des promesses de réformes et des progrès qui ont été réalisés pour trouver une solution à la question nucléaire.
    Évidemment, personne ne dirait qu'il ne faut pas miser sur la diplomatie. Personne ne dirait que la guerre ou des sanctions sont souhaitables ou représentent des solutions viables à ce problème. Toutefois, comme je l'ai dit maintes fois au comité au fil des ans, le problème en Iran n'est pas lié à la capacité nucléaire, mais à la nature du régime. Il y a dans le monde de nombreux pays qui ont une capacité nucléaire, mais qui ne suscitent que très peu de préoccupations. Ce qui est préoccupant, c'est la nature d'un régime dont le pouvoir s'appuie sur le terrorisme, la violence et une idéologie religieuse extrémiste.
    La question est la suivante: tandis que se déroulent les négociations nucléaires et qu'on fait le pari selon lequel mettre un terme à l'isolement de l'Iran favorisera en quelque sorte une transformation politique du régime — l'habilitation de soi-disant pragmatistes qui prônent le retour de l'Iran dans le concert des nations —, qu'en est-il de la situation sur la scène nationale au moment même où le président Rouhani, le ministre des Affaires étrangères Zarif et d'autres ont entrepris une opération de charme et font des concessions pragmatiques sur divers enjeux liés à la politique étrangère?
    Je vais d'abord vous parler de la situation des droits de la personne en Iran. En guise d'aperçu de ce qui est, à mon avis, représentatif de la situation réelle des droits de la personne en Iran, on pourrait dire qu'au mieux, malgré toutes les promesses du président Rouhani d'adopter une quelconque charte des droits et d'assouplir bon nombre des restrictions imposées aux citoyens iraniens, la situation des droits de la personne est identique à celle qui prévalait sous la présidence de M. Ahmadinejad. Au pire, elle s'est détériorée, ce qui est le cas, en fait. Tandis que le régime fait des concessions sur le plan des affaires étrangères, le message que transmettent les tenants de la ligne dure aux citoyens iraniens est qu'ils ne devraient pas avoir la fausse impression que les concessions faites à la communauté internationale se traduiront par des réformes importantes sur la scène nationale.
    Diverses recommandations ont été présentées à la République islamique d'Iran dans la foulée de l'Examen périodique universel des Nations unies. La République islamique d'Iran a accepté 126 de ces recommandations. Selon des rapports préparés par des organismes de défense des droits de la personne reconnus, parmi ces 126 recommandations, cinq — seulement cinq — ont été pleinement acceptées. La réalité, c'est que le taux d'exécutions en Iran demeure alarmant; par habitant, ce taux est le plus élevé au monde. Cette année, le taux d'exécutions est le plus élevé des 12 dernières années. Croyez-le ou non, le taux actuel d'exécutions est plus élevé qu'il l'était sous la présidence de M. Ahmadinejad.
    Mon amie Marina s'est demandé si la situation pouvait empirer. Eh bien, il semble que ce soit le cas. Il n'y a eu aucun changement par rapport à la censure et à la répression à l'égard des médias et de la société civile. La peine d'emprisonnement imposé au chef du Mouvement vert, M. Mousavi, est toujours en vigueur. Il est en détention à domicile depuis maintenant près de cinq ans, sans qu'aucune accusation officielle ait été portée contre lui. La persécution à l'égard des minorités ethniques et religieuses s'est intensifiée. Je parlerai de cet enjeu dans un contexte régional plus vaste.
    Pour examiner cette réalité, nous devons comprendre ce que j'appellerai le triangle des violations des droits de la personne, de l'autoritarisme et de l'hyper corruption en Iran.
(1325)
    Il est inusité de constater que M. Larijani, le dirigeant du Conseil des droits de l'homme, a récemment mis en garde ceux qui exagèrent l'ampleur de la corruption au sein du gouvernement — selon le rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme, M. Ahmed Shaheed — et a donné instruction aux organismes d'application de la loi de poursuivre les personnes qui dénoncent la corruption.
    Pourquoi une telle affirmation? Je le dis parce qu'alors que le Canada se présente devant l'Assemblée générale des Nations Unies comme il le fait depuis tant d'années — ce qui est louable — pour parrainer la résolution sur les droits de la personne en Iran, il est devenu l'un des principaux centres de blanchiment d'argent pour des initiés de la République islamique d'Iran. Vous vous souvenez certainement du cas de M. Khavari, qui remonte à quelques années. M. Khavari a longtemps été directeur de la banque Sepah qui, selon le Département de la Justice des États-Unis, est le pivot financier du programme nucléaire iranien et des opérations terroristes du pays à l'étranger, y compris les opérations de la force Al-Qods et du Hezbollah.
    Une simple recherche sur Internet vous permettra d'apprendre que M. Khavari dirigeait la banque Sepah à l'époque où il est devenu admissible à l'obtention de la citoyenneté canadienne en vertu de la Loi sur l'immigration. Que faut-il pour comprendre, sans tenir compte de son passé très douteux, qu'il n'était pas présent au Canada pendant la période minimale de trois ans requise en vertu de la Loi sur l'immigration? Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas pris de mesures contre M. Khavari? Quelle crédibilité avons-nous si nous permettons l'entrée d'une corruption de cette ampleur sur notre territoire? Outre les questions liées aux droits de la personne, ne comprenons-nous pas les répercussions en matière de sécurité que pourrait avoir l'incroyable réseau d'influence qu'il est possible de créer au pays avec de telles sommes? J'ai soulevé cet enjeu pendant de nombreuses années. J'ai personnellement soulevé cette question auprès du ministre de l'Immigration et du ministre des Affaires étrangères. Nous devons réfléchir longuement et sérieusement à l'importance que nous accordons au règlement de ce problème.
    J'aimerais aussi vous parler brièvement de la situation des droits de la personne, pas seulement en Iran, mais dans l'ensemble de la région, au moment où nous observons une détérioration alarmante de la situation en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen. Tout cela s'est produit dans l'ombre des négociations nucléaires. C'est dans ce contexte que l'Iran a accru son influence dans la région.
    Toutefois, nous ne sommes pas ici pour parler de géopolitique, mais de droits de la personne. Certes, les pays ont le droit d'accroître leur influence par des moyens légitimes, mais ils n'ont pas le droit de le faire en commettant des atrocités contre des civils. C'est le seul enjeu sur lequel je souhaite m'attarder.
    Comme elle le fait pour exercer son pouvoir sur le territoire national, la République islamique d'Iran utilise la terreur et la violence pour accroître son influence dans la région. Elle mène des guerres par procuration: elle fait appel à des alliés et des insurgés sur lesquels elle exerce un contrôle total et elle intervient directement par l'intermédiaire d'opérations de la force Al-Qods. Cette force est l'organe des gardes révolutionnaires d'Iran chargé des opérations à l'étranger, cette même force Al-Qods dont le banquier est M. Khavari, un citoyen canadien, cette même force Al-Qods qui a participé en 1994 à l'attentat à la bombe contre le centre culturel juif de Buenos Aires qui a fait 90 morts. Nous avons vu récemment ce qui est arrivé au témoin vedette dans cette affaire: il a été mystérieusement assassiné à Buenos Aires.
    La question des droits de la personne en Syrie et en Irak est directement liée à l'Iran. La commission d'enquête indépendante des Nations unies a maintes fois fait état du rôle des gardes révolutionnaires de l'Iran et du Hezbollah, sans lesquels le régime Assad n'aurait jamais pu survivre, et dont les forces ont joué un rôle direct dans les atrocités commises à l'égard des civils.
    Maintenant, nous sommes aux prises avec l'affaire des barbares de l'EIIS qui se plaisent à diffuser leurs décapitations sur les médias sociaux, mais il ne faut pas oublier que malgré la barbarie de cette organisation, le nombre de civils assassinés par l'EIIS ne représente qu'une petite portion des quelque 200 000 civils tués par le régime Assad. Le régime Assad ne fait peut-être pas la promotion sur YouTube des tueries de masse qu'il commet, mais il n'en demeure pas moins qu'il s'agit, et de loin, de la plus grande menace à l'égard des droits de la personne en Syrie.
(1330)
    La situation en Irak doit aussi être examinée à la lumière du fait que les milices chiites — comme la brigade Badr —, qui mènent la charge contre l'EIIS, sont aussi mêlées à de graves violations des droits de la personne contre les sunnites. Ce n'est certainement pas la solution qui permettra d'assurer une stabilité durable en Irak.
    Pourquoi? Parce que le Moyen-Orient est maintenant au bord du précipice. Ce qui se passe, en réalité, c'est une guerre par procuration entre l'Iran et l'Arabie saoudite fondée sur l'extrémisme idéologique et l'instrumentalisation du schisme entre les chiites et les sunnites et celui entre les Perses et les Arabes. Cela aura des conséquences catastrophiques.
    Je reprends encore une fois aux propos de mon amie Marina Nema: la situation peut-elle empirer? Les choses pourraient s'aggraver considérablement, étant donné que le schisme entre l'islam chiite et l'islam sunnite ne divise pas seulement l'Irak et la Syrie: il se transpose en Iran et en Arabie saoudite sous forme de politique fondée sur l'ethnie et la religion. N'oublions pas la minorité arabe en Iran. N'oublions pas la minorité chiite en Arabie saoudite.
    Bien que je vous sois très reconnaissant de continuer à soulever cet enjeu à une époque où la tendance est de l'occulter au nom d'un soi-disant pragmatisme, je demanderais simplement au comité de comprendre que la situation au Moyen-Orient pourrait empirer considérablement. Le Canada et la communauté internationale doivent élargir la discussion au-delà de l'EIIS et de la question nucléaire. Il faut comprendre que d'ici à ce qu'une solution quelconque ait été trouvée à cette radicalisation croissante et à ces guerres d'identité, nous nous rencontrerons de nouveau ici bientôt pour discuter de situations encore plus tragiques.
    Merci.
    Merci, monsieur.
    Je tiens à remercier tous nos témoins.
    Chers collègues, j'ai indiqué que je vous informerais lorsque les 25 minutes seraient écoulées. Nous en sommes à 23 minutes et 50 secondes. Malheureusement, comme je l'ai indiqué, nous devrons lever la séance sans avoir eu l'occasion de poser des questions.
    Toutes nos excuses aux témoins.
    Monsieur Akhavan, vous êtes arrivé au moment où j'expliquais ce qui se passait. La sonnerie se fait entendre pour la tenue d'un vote. Nous avions besoin du consentement unanime du comité, ne serait-ce que pour entendre votre témoignage. Il y aura un vote à la Chambre des communes dans deux ou trois minutes seulement. Malheureusement, nous devons mettre fin à la réunion avant d'avoir pu passer aux questions, et ce, même si nous avons entendu des témoignages de très grande qualité aujourd'hui, à mon avis.
    Oui, monsieur Cotler?
    Je n'ai besoin que de 10 secondes, monsieur le président.
    Je conviens avec vous que nous avons entendu les témoignages de très grande qualité. Je tiens simplement à dire qu'à 19 heures, dans la salle du Commonwealth, nous tiendrons une tribune publique à laquelle participeront nos témoins. Ceux parmi nous qui pourront y assister ce soir auront peut-être l'occasion de leur poser des questions.
    Dans le corridor sud?
    Oui; c'est à 19 heures, dans la salle du Commonwealth.
    Le président: Très bien.
    L'hon. Irwin Cotler: Merci.
    Merci beaucoup, chers collègues.
    Merci beaucoup aux témoins aussi.
    La séance est levée.
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