SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 4 décembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Français]
En ce 4 décembre 2014, nous débutons la 48e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Collègues, cette séance est télévisée.
[Traduction]
Nous recevons aujourd'hui à titre de témoin Moses Gashirabake, qui va contribuer aux témoignages sur le génocide au Rwanda, 20 ans après les faits, et sur ses incidences à long terme sur les survivants et les enfants du viol.
Monsieur Gashirabake, je vous cède la parole. Vous pouvez commencer.
[Français]
Je vous remercie, monsieur le président.
[Traduction]
Merci infiniment, monsieur le président et mesdames et messieurs les députés, de me permettre de comparaître devant vous et devant ce sous-comité extrêmement important sur les droits internationaux de la personne.
Je répète que je m'appelle Moses Gashirabake. J'ai survécu au génocide de 1994 au Rwanda à un très jeune âge. Professionnellement, j'ai une formation en politique et leadership sur les droits internationaux de la personne. J'étudie actuellement la common law et le droit civil à la Faculté de droit de McGill.
Je répète qu'il est pour moi extrêmement émouvant de comparaître devant vous aujourd'hui, puisque je ne suis devenu citoyen canadien qu'il y a environ cinq mois. J'ajoute que je suis très fier de ma nouvelle citoyenneté canadienne.
Avant de continuer, je tiens à mentionner qu'il m'aurait été presque impossible d'être ici aujourd'hui si je n'avais pas eu accès à l'éducation postsecondaire. En fait, j'ai grandi au Kenya, en tant que réfugié apatride et sans papier et survivant du génocide rwandais. J'ai été inspiré par le livre Un long chemin vers la liberté de Nelson Mandela. Je souligne d'ailleurs l'anniversaire de sa mort aujourd'hui.
Essentiellement, Nelson Mandela a dit que l'éducation était l'arme la plus puissante qu'on puisse utiliser pour changer le monde. J'en suis persuadé; il avait raison. Grâce à l'éducation, à mon travail acharné et à ma persévérance, j'ai réussi à changer quelque chose dans ma communauté locale et dans le monde.
Dans cet esprit de commémoration et par respect pour les victimes de la crise rwandaise de 1994, j'aimerais que nous observions un moment de silence.
[Le comité observe un moment de silence.]
M. Moses Gashirabake: Merci.
Vingt ans se sont effectivement écoulés depuis la crise rwandaise, mais il serait faux de prétendre que les effets du génocide de 1994 contre les Tutsis sont moins grands aujourd'hui. Ses effets sont très nombreux, et il serait impossible de les aborder tous en une séance. Des enfants nés du viol aux survivants du génocide qui doivent composer avec d'innombrables difficultés psychologiques, sociales, économiques et autres, les blessures de la crise rwandaise sont toujours bien présentes parmi nous. Elles se font sentir partout. Elles sont présentes partout dans le monde. Elles sont présentes ici, au Canada.
Compte tenu de la complexité des répercussions de la crise rwandaise, je vais me concentrer sur les difficultés liées à l'éducation des enfants qui ont survécu à la crise rwandaise à un très jeune âge, des enfants nés du viol, en fait, qui sont aujourd'hui de jeunes hommes et femmes dans la société canadienne, dans le monde et bien sûr, au Rwanda.
Le principal problème pour ces gens est l'accès réduit à l'éducation postsecondaire pour les enfants qui ont survécu à la crise rwandaise. Ce problème est directement lié aux difficultés socioéconomiques que vivent les autres minorités aussi au Canada et dans le monde en général.
L'accès réduit à l'éducation postsecondaire est un problème qui a pris de l'ampleur au Canada, particulièrement après la disparition des programmes de financement fédéral spécialisés. Je vais vous en donner un bon exemple, qui a eu une très grande incidence au Canada, celui de la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire. Il y a beaucoup d'autres exemples dont je pourrais vous parler aujourd'hui, mais je vais me concentrer sur les bourses d'études du millénaire.
La Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire était une organisation privée et indépendante créée par une loi du Parlement du Canada en 1998. Elle a reçu des fonds de dotation initiaux d'environ 2,5 milliards de dollars de la part du gouvernement fédéral afin de fournir des bourses chaque année pendant une dizaine d'années.
Cette fondation distribuait chaque année 325 millions de dollars sous forme de bourses à l'échelle du Canada pour favoriser l'éducation postsecondaire. Elle a également réalisé une étude sur l'accès à l'éducation postsecondaire par le biais du programme de recherche du millénaire. L'une des principales recommandations qui en est ressortie, c'est que les survivants du génocide de 1994, particulièrement les jeunes de 20 à 35 ans, ont moins accès à l'éducation postsecondaire...
Le mandat de la fondation des bourses du millénaire ciblait trois principaux objectifs. Elle devait d'abord améliorer l'accès à l'éducation postsecondaire pour tous les Canadiens, particulièrement pour ceux qui se heurtent à des obstacles socioéconomiques. Elle devait ensuite favoriser la réalisation des étudiants et leur engagement dans la société canadienne. Enfin, elle devait créer une alliance entre les organisations et les personnes qui militent en faveur de l'éducation postsecondaire pour les groupes défavorisés du Canada. Bien sûr, les survivants du génocide et les autres minorités peuvent être considérés comme des groupes désavantagés. Bien sûr, pour le Rwanda et d'autres pays qui n'ont pas le même pouvoir économique que le Canada, le problème devient encore plus compliqué.
Malheureusement, ce programme a pris fin en 2008 et a été remplacé par le programme des bourses d'études du gouvernement du Canada, qui ne cible pas les Canadiens défavorisés sur le plan socioéconomique. Aujourd'hui, selon Statistique Canada, sept jeunes Canadiens sur dix qui font partie des groupes minoritaires ont un accès réduit à l'éducation postsecondaire. Ils n'ont pas seulement du mal à payer leurs frais de scolarité, ils ont du mal à absorber les dépenses de la vie courante et à payer tous les frais inhérents aux études universitaires à temps plein.
J'aime bien mentionner les problèmes, mais je suis toujours heureux de proposer des solutions. Que le Canada peut-il faire? C'est très simple. Je pense que le Canada pourrait renouveler son engagement envers la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire ou un programme similaire qui permettrait aux jeunes survivants de la crise rwandaise d'avoir davantage accès à l'éducation postsecondaire. Par exemple, le programme des bourses d'études du millénaire pourrait continuer de cibler les étudiants ayant les plus grands besoins financiers, alors que le programme des bourses d'excellence se fonderait sur le mérite et d'autres facteurs comme le leadership, l'innovation, les réalisations universitaires et le service communautaire. Ce programme reconnaîtrait les besoins, parce que les besoins sont un peu laissés pour compte en ce moment, mais il continuerait du même coup de favoriser l'excellence.
De plus, il me semble très important de porter attention aux taux croissants de chômage chez les jeunes, qui se situent au niveau alarmant de 13,5 % au Canada en ce moment. La Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire ou un programme similaire pourrait également offrir du financement aux jeunes entrepreneurs qui n'ont pas les ressources nécessaires pour se lancer en affaires.
Le Canada est un pays qui a toujours pris soin des siens depuis sa création, il y a presque 150 ans. J'ai bon espoir qu'il saura déployer les efforts nécessaires pour mettre un frein au cycle de l'accès réduit à l'éducation postsecondaire pour les jeunes survivants de la crise rwandaise de 1994, parce que je suis persuadé que le fait d'aider les jeunes qui ont vécu les atrocités des événements horribles du génocide de 1994 au Rwanda contribuerait non seulement à une meilleure compréhension internationale, mais également à un meilleur avenir pour le Canada.
J'ai eu l'occasion de côtoyer de près la communauté rwandaise locale de Montréal et de constater moi-même le problème et l'accès réduit attribuables à un manque de ressources, parce qu'il y a des gens qui décident de quitter l'école pour aller travailler, faute de moyens. On parle des frais de scolarité, mais il y a aussi toutes les dépenses de la vie courante.
Je vais m'arrêter sur ces quelques mots. Je tiens à vous remercier de votre attention.
Merci beaucoup.
Ces observations tombent à point. Les gens qui s'expriment devant nous parlent parfois longuement et prennent tout le temps imparti. Du coup, nous aurons aujourd'hui un peu plus de temps que d'habitude pour les questions et les réponses. Je pense que nous pourrions donner six minutes à chacun.
Monsieur Sweet, je vais vous laisser briser la glace, s'il vous plaît.
Merci infiniment d'être parmi nous, monsieur Gashirabake.
Particulièrement à la lumière de votre engagement au sein de la communauté rwandaise et de la diaspora, au Canada, j'aimerais vous poser une question que j'ai posée à nos fonctionnaires lorsque nous avons commencé cette étude sur les conséquences du génocide rwandais, qui porte particulièrement sur les femmes violées et leurs enfants.
Je ne sais pas si vous êtes lié à la diaspora canadienne hors de Montréal, mais le cas échéant, ce serait très bien aussi. Cette diaspora essaie-t-elle de travailler en partenariat avec les personnes plus démunies, particulièrement au Rwanda, de même qu'avec le gouvernement du Canada, afin d'aider ces personnes à se rétablir psychologiquement de ce qu'elles ont subi et de leur fournir des ressources sur le terrain?
Je vous remercie de cette question.
Je pense qu'il y a d'excellentes occasions de collaboration et de partenariats avec la communauté locale montréalaise ou, à l'échelle internationale, avec le Rwanda et les Rwandais.
Il existe une organisation fantastique à Montréal, du nom de Page Rwanda, qui fait un travail extraordinaire. Elle collabore activement avec le Montreal Institute for Genocide and Human Rights Studies. Je suis moi-même diplômé de l'Université Concordia et j'ai eu l'occasion de collaborer avec cet institut à divers projets, mais le financement demeure toujours un problème. Comme le Canada est un pays qui défend les droits internationaux de la personne, qui respecte les droits de la personne et les favorise à différents égards, je crois qu'il pourrait financer davantage des organisations aussi extraordinaires que Page Rwanda.
Je dois mentionner que c'est un sujet très sensible. Il y a de très nombreuses femmes au sein de la communauté locale canadienne comme dans le monde qui ne sont pas prêtes à parler de leur expérience personnelle. Pas seulement des femmes, d'ailleurs, c'est aussi le cas de bien des jeunes survivants ou des victimes qui sont le fruit des atrocités commises.
Je crois qu'on pourrait en faire plus avec plus de financement et d'appui de la communauté et du gouvernement, dans un genre de partenariat public-privé entre le Canada et les organismes sur le terrain. Nous savons que nous avons d'excellentes idées et des projets fantastiques, mais il faut habituellement de l'argent pour les réaliser. Il y en a qui portent fruit, mais je pense qu'avec une plus grande collaboration...
Je suis vraiment ravi que le Parlement du Canada aborde cette question. Cela montre l'engagement du Canada. Comme je l'ai mentionné, je suis très fier d'être citoyen canadien. Son engagement est là, donc nous pourrions travailler ensemble avec les organismes sur le terrain et les instituts de recherche pour en faire encore plus.
L'un des endroits où il pourrait y avoir une plus grande collaboration... En fait, il y a deux choses qui me viennent immédiatement à l'esprit, à la lumière de votre témoignage. Je me demande d'abord si Page Rwanda, ou même n'importe qui au sein de la communauté rwandaise, a un partenariat avec le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration concernant le parrainage de réfugiés.
Il y a aussi un autre témoin qui a mentionné le manque de psychiatres, de psychologues et de thérapeutes. Je me demande donc s'il y a une volonté au sein de la diaspora d'aider les membres de la communauté à sensibiliser leurs pairs ou à retourner au pays pour un certain temps, six mois, un an, peu importe, pour trouver la force nécessaire pour aller chercher de l'aide.
Soit dit en passant, je sais très bien que ce n'est pas un problème unique au Rwanda: il y a beaucoup d'endroits au monde où il faudrait un plus grand nombre de psychiatres, de psychologues et de thérapeutes.
Absolument, je conviens qu'il y a une stigmatisation lorsque quelqu'un doit se rendre dans une institution de santé pour des problèmes de santé mentale. Comme vous l'avez mentionné, ce n'est pas un problème unique au Rwanda, c'est la même chose partout dans le monde. Il y a également un accès réduit à l'aide psychiatrique. Je pense qu'il pourrait y avoir une collaboration entre le Canada et le Rwanda pour que des psychiatres probablement mieux formés pour intervenir dans ce genre de contexte puissent aider les victimes.
L'une des choses les plus intéressantes, comme je l'ai mentionné, sur l'éducation postsecondaire... Je suis actif au sein de la communauté. Je suis ami avec beaucoup de jeunes du même âge que moi ou un peu plus jeunes, qui n'avaient jamais parlé de leur propre survie avant de commencer à étudier les droits de la personne à l'université. Quand on s'inscrit à l'université, même en sciences ou dans d'autres domaines, on peut habituellement explorer les sciences sociales, et dans la plupart des cas, la situation au Rwanda fait partie des discussions. La plupart des jeunes se sont sentis plus à l'aise de parler de leur propre expérience après avoir acquis une perspective universitaire de la situation au Rwanda.
Il est un peu difficile de lier l'aptitude à parler de ses propres expériences à l'exposition aux connaissances scientifiques, mais il est fascinant pour moi d'observer quelqu'un qui a eu l'occasion de recevoir une éducation postsecondaire, et la plupart des gens qui arrivent à parler de leur propre expérience entrent dans cette catégorie. C'est peut-être un champ de recherche intéressant qu'il vaudrait la peine d'explorer.
Je vous remercie d'être ici. Merci de prendre le temps de venir nous raconter votre histoire. Je vais entrer un peu dans votre vie privée, dans l'espoir d'en apprendre un peu de votre expérience personnelle.
Si je ne me trompe pas, vous avez été réfugié au Kenya, avec votre famille, de l'âge de 6 ans jusqu'à environ 20 ans.
Quel genre de ressources étaient mises à votre disposition? Vous avez mentionné dans votre exposé que vous avez été une personne apatride et sans papier pendant 12 ans. À quoi votre famille et vous aviez-vous accès pour survivre, premièrement pour composer avec la situation, avec ce qui vous était arrivé, à vous et à votre pays, et deuxièmement, qu'est-ce qui vous a permis de réaliser tout ce que vous avez réalisé aujourd'hui et de venir au Canada?
Soit dit en passant, je vous félicite d'être devenu un citoyen.
Pouvez-vous nous éclairer sur cette expérience? Qu'y avait-il pour vous aider?
Je vous remercie de cette question.
Je vous répondrai que je suis un survivant du génocide très chanceux, parce que si je suis ici aujourd'hui, c'est d'abord grâce à l'expérience de ma propre famille, grâce au travail acharné de mes parents, et ensuite grâce à mon propre travail acharné à l'école. J'ai réussi à obtenir des bourses sur la base du mérite scolaire. Ces bourses sont souvent très compétitives et ne sont accordées qu'à un nombre très limité d'étudiants. Beaucoup de candidats qualifiés sont probablement laissés de côté. Je dirais que mes parents insistaient beaucoup sur la réussite scolaire, même s'ils n'avaient pas eux-mêmes eu la chance d'avoir accès à l'éducation en raison des problèmes qui ont commencé dès 1959.
Je mentionnerai aussi que je ne suis probablement pas le réfugié type, en ce sens que j'étais établi à Nairobi. Mon père avait déjà travaillé en Afrique de l'Est, au Kenya. Sur le plan juridique, nous ne pouvions toutefois pas devenir citoyens kényans.
À la fin de mes études secondaires, à l'âge de 18 ans, après tant d'années, je ne pouvais toujours pas obtenir la citoyenneté kényane. Essentiellement, le gouvernement kényan n'était pas prêt à accorder la citoyenneté aux nombreux réfugiés rwandais qui avaient afflué vers le pays au moment du génocide. La situation était très complexe sur le plan juridique. C'est difficile à comprendre au Canada, parce qu'au Canada, nous avons la primauté du droit, et le droit dicte que quand on passe trois ans de sa vie au Canada, et qu'on y est résident, soit on devient citoyen, soit on est renvoyé dans son pays. Ce n'était pas du tout le cas au Kenya.
Je dirais que j'ai eu énormément de chance et que c'est grâce aux encouragements et à la détermination de mes parents. Mon père était en affaires, donc il pouvait m'encourager de différentes façons. Malheureusement, mon histoire ne ressemble pas à celle de tous les autres qui sont défavorisés, non seulement sur le plan économique, mais également sur le plan social. Le réfugié se sent persécuté, mais il n'est pas reconnu sur papier en raison de dynamiques différentes dans le système politique.
Je dirais que j'ai été chanceux. À la fin de mes études secondaires, je ne pouvais malheureusement pas m'inscrire à une université kényane parce que je n'étais pas un citoyen kényan et que le gouvernement ne pouvait pas m'accorder de bourse. Heureusement, le Canada m'a accepté. J'ai dû élargir mes horizons et me tourner vers le Canada, puis par chance, encore une fois, j'ai été accepté ici. Je vis au Canada depuis six ans. Je suis passé par le processus de la résidence, puis je suis devenu citoyen il y a environ cinq mois.
En rétrospective, je peux lier tout cela au fait que quand on est désavantagé dans un domaine de la vie ou dans plusieurs, comme dans le cas des réfugiés, on n' a pas de pouvoir économique. On ne peut pas retourner dans son pays d'origine; les parents ont perdu tous leurs biens dans leur pays et n'ont pas d'emploi stable; on est envoyé dans un camp de réfugiés dans une partie très éloignée du pays; la vie est pratiquement finie.
Au Kenya — et je dois féliciter le gouvernement kényan pour cela —, l'éducation primaire est gratuite. Je ne me rappelle plus depuis quelle année, mais cela ne fait pas très longtemps, 10 ou 12 ans. Par contre, l'éducation secondaire et postsecondaire y coûte très cher. Si l'on n'a pas de bourse ou qu'on n'est pas citoyen, on a aucune chance.
Il est intéressant de souligner qu'au Canada, quand on se trouve en situation de désavantage socioéconomique, la même chose peut se produire. Le Canada a une bonne économie, mais il y a des gens dans notre société, comme les Autochtones et les minorités racialisées, qui sont catégorisés et qui sont désavantagés économiquement. Il arrive qu'ils n'aient pas accès à l'éducation postsecondaire pour cette raison. Malheureusement, la plupart des survivants du génocide se trouvent au bas de l'échelle, en situation d'extrême désavantage économique.
C'est un problème très complexe, mais je pense que le Canada pourrait en faire beaucoup pour y changer quelque chose, et je suis content que le comité étudie la situation.
Merci, monsieur Gashirabake, d’avoir pris le temps de venir ici pour nous faire cet exposé.
Vous avez survécu au génocide rwandais de 1994. Vous faites partie des gens qui étaient là quand cette tragédie s’est produite, des gens qui ont été témoins des tueries et qui en ont subi les conséquences. Je comprends que vous avez passé la plus grande partie de votre enfance à Nairobi, au Kenya, en tant que réfugié apatride sans papiers, mais vous avez surmonté une profonde adversité et vous avez beaucoup accompli sur le plan des études, tant au Kenya qu’au Canada.
Monsieur Gashirabake, à votre avis, quelles leçons est-ce que le Canada devrait tirer de la réponse internationale au génocide rwandais?
Merci pour cette question.
En 1994, la réponse du Canada n’était pas, probablement… Il n’en a pas fait assez, mais depuis ce temps, à mon avis, le Canada a fait beaucoup de choses. Il est important de souligner que, à l’époque, un responsable de l’armée canadienne qui travaillait pour la mission des Nations Unies a réellement essayé de convaincre New York de prendre des mesures préventives, mais on ne l’a pas écouté. C’est très triste parce que, si le télégramme avait été pris au sérieux, je pense que nous ne serions pas en train de parler de… Je ne serais probablement pas ici aujourd’hui comme témoin. Toutefois, je pense que nous pouvons tirer des leçons des erreurs du passé, et mettre tout particulièrement l’accent sur la prévention. À mon avis, c’est justement ce que fait l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia.
Comme vous l’avez dit, en tant que personne qui a été obligé de surmonter tant d’adversité — je pense que j’ai indiqué que j’ai été chanceux, parce que j’ai bénéficié de l’appui de mes parents et que j’ai réussi à surmonter tant de choses — selon moi, le Canada devrait reconnaître qu’un problème existe encore, même 20 ans après le génocide, et chercher des façons novatrices de collaborer avec les communautés existantes à Montréal. Il y a beaucoup de jeunes rwandais qui sont très déterminés à servir leur communauté locale et internationale. Je crois que nous pourrions tirer parti de cela et créer une certaine synergie entre le Rwanda et le Canada au pays.
Je vais être très franc, selon moi, il faudrait affecter plus de fonds à la mise en branle de certains des programmes. Ce n’est pas seulement une question de financement; il faudrait aussi veiller à mettre en place les ressources nécessaires pour offrir la possibilité de faire des études. Essentiellement, il faut enseigner à quelqu’un comment attraper des poissons plutôt que de leur donner des poissons. Comme je l’ai mentionné en parlant du dernier point, j’ai rencontré une douzaine de groupes de jeunes rwandais à Montréal, à Ottawa et à Toronto, qui essaient de lancer des projets d’entrepreneuriat. Or, encore une fois, le financement est un problème. Si vous pouviez reconnaître le fait qu’il s’agit d’une catégorie de jeunes qui ont vécu une situation difficile bien particulière et les aider à s’en sortir, cela aurait des répercussions positives dans les années à venir.
Les tribunaux gacaca ont été créés pour accélérer les poursuites judiciaires et, en même temps, pour offrir aux auteurs d’un crime une tribune où ils pourraient demander pardon.
Est-ce que ces tribunaux ont été efficaces? Si oui, ont-ils donné lieu à la condamnation des nombreux Hutus qui se sont enfuis au Congo?
C’est une question très compliquée, mais je vous remercie de la poser.
Pour ce qui est des tribunaux gacaca, dans la culture rwandaise, quand deux parties entrent en conflit, le village se réunit toujours pour résoudre le problème. Étant donné qu’il y a eu tant de criminels et tant de victimes, à l’échelle communautaire, ils ont été efficaces. Tout comme c’est le cas dans tout système judiciaire, il y a toujours place à l’amélioration, parce qu’il faut compter sur les témoins et ce que les gens apportent sur le terrain.
Quant à la question des réfugiés congolais, c’est un problème très compliqué avec lequel je me débats moi-même. Je fais mon possible pour obtenir des renseignements, mais il s’agit d’un problème compliqué pour lequel je devrais peut-être me préparer davantage avant d’y répondre.
En général, est-ce que les Tutsis se sentent plus en sécurité dans la société rwandaise aujourd’hui, ou existe-t-il encore une certaine tension raciale? Est-ce que le président Kagame a mis en place des freins et contrepoids pour prévenir un autre génocide?
Je ne suis pas retourné au Rwanda depuis 1994, ce qui fait que je ne suis probablement pas la personne la mieux placée pour dire si les Tutsis se sentent en sécurité au Rwanda. Cependant, d’après ce que j’entends — un membre de ma famille vit au Rwanda depuis quelques années — les dirigeants ont déployé énormément d’efforts à cet égard. Il y a toujours place à l’amélioration, mais si vous comparez le Rwanda d’avant 1994 au Rwanda d’aujourd’hui, selon le témoignage des gens sur le terrain — et, en fait, j’espère pouvoir visiter le pays bientôt pour voir ce qui en est de mes propres yeux — beaucoup d’efforts ont été déployés. Peut-être que vous pourriez examiner l’évolution de la situation, mais parfois il est très difficile de mesurer exactement où en sont les choses.
À mon avis, les gens se sentent très différemment, parce que, soyons honnêtes, en 1994, on pouvait être tué sur-le-champ parce qu’on était un Tutsi ou parce qu’on sympathisait avec les Tutsis. Je crois que la situation est différente. Il faudrait peut-être en faire plus, mais pour vous dire exactement ce qu’il faudrait faire et vous donner une réponse objective, j’aurais besoin d’obtenir beaucoup plus de renseignements de personnes qui sont sur le terrain.
Monsieur Gashirabake, je me joins à mes collègues pour vous remercier de votre présence et de votre témoignage aujourd’hui et aussi de nous avoir rappelé l’héroïsme de Nelson Mandela, demain étant l’anniversaire de son décès. Il se trouve que, comme je vous l’ai mentionné, avant l’audience, nous avons tenu une conférence de presse regroupant des représentants de tous les partis pour réclamer la libération de trois prisonniers d’opinion, qui ont justement été inspirés par Nelson Mandela.
Vous avez souligné le fait que M. Mandela a en quelque sorte sonné le clairon quand il a exhorté les gens à utiliser l’éducation comme agent de changement. Cela vous a amené à parler de vos préoccupations concernant l’éducation postsecondaire ici au Canada. Je crois que votre appel pour plus de ressources tombe à point étant donné que, tout comme mes collègues, je crois, je viens de recevoir une lettre du ministre des Finances, qui est présentement en train de dresser le budget. Il demande à chacun de nous de formuler des recommandations quant à ce que le budget devrait contenir.
Vous nous avez parlé de l’importance d’améliorer l’accès à l’éducation postsecondaire, surtout compte tenu de l’accès réduit suite à l’annulation de la Fondation des bourses d’études du millénaire. Je pense qu’il s’agirait là d’une suggestion importante à faire au ministre des Finances
Cela m’amène à la question du Rwanda. Comme vous le savez peut-être, bien que le gouvernement rwandais fournisse de l’aide aux survivants du génocide, il n’en fournit pas aux enfants nés du viol. En même temps, si je puis me permettre cette remarque, en 2012, le gouvernement du Canada a mis fin à l’aide au développement qu’il fournissait au Rwanda, en faisant valoir, je crois, que le Rwanda semblait jouir d’une croissance de 6 %. Toutefois, cela masque un taux de pauvreté de 45 % au Rwanda.
J’ai deux questions. Premièrement, à votre avis, est-ce que le Canada devrait renouveler son aide au développement au Rwanda? Deuxièmement, si le Canada prenait cette décision, est-ce que cela le mettrait dans la position de pouvoir demander au gouvernement rwandais d’aider les enfants nés du viol?
Il est difficile pour nous de le faire en ce moment étant donné que nous avons mis fin à notre aide au Rwanda. Cependant, si nous pouvions renouveler cette aide, peut-être que, en même temps, nous pourrions chercher par la voie bilatérale à convaincre le Rwanda d’aider les enfants du viol. Qu’en pensez-vous?
Merci beaucoup pour cette question importante, monsieur Cotler.
Pour répondre à votre première question, oui, je crois que le Canada devrait fournir une aide au développement au Rwanda, parce que, à mon avis, il s’agit d’un problème d’ordre humanitaire. Comme vous l’avez mentionné, malgré le fait que le Rwanda jouit d’un taux de croissance très élevé sur le continent africain, pas seulement en Afrique de l’Est, beaucoup de Rwandais vivent dans la pauvreté.
Quant à votre deuxième question, selon moi, il s’agirait d’une occasion intéressante de demander au gouvernement rwandais de fournir aussi de l’aide aux enfants du viol. À mon avis, un gouvernement a une responsabilité humanitaire à l’égard de ses citoyens. Il doit donc être en mesure de veiller à leur bien-être et de leur fournir une aide de ce genre.
À long terme, le Rwanda essaie d’être un pays autosuffisant. Il s’agit d’un excellent objectif. Les dirigeants visent l’autosuffisance, mais, compte tenu des problèmes qui existent au pays, je pense qu’il serait important qu’ils fournissent cette aide.
Je vous remercie aussi d’avoir dit que vous recommanderiez au ministère des Finances d’améliorer l’accès à l’éducation postsecondaire au Canada, mais aussi à l’étranger. Je pense qu’il faudrait en faire plus à ce chapitre. Par conséquent je vous en remercie.
Monsieur Gashirabake, vous avez vécu des expériences remarquables — si je puis m’exprimer ainsi. Vous avez fui le génocide rwandais et vous avez réussi à survivre. Vous avez vécu au Kenya en tant que réfugié avec votre famille. Ensuite, vous êtes venu au Canada et vous avez obtenu un diplôme de l’Université Concordia, ayant été un étudiant modèle. Maintenant, vous êtes le président de l’Association des étudiants noirs en droit de l’Université McGill.
Je me demande si vous pourriez nous dire si votre expérience ici au Canada a influencé votre façon d’envisager le génocide rwandais et le travail que vous effectuez auprès des survivants du génocide et d’autres réfugiés et, si oui, de quelle manière?
Encore une fois, merci de me poser cette question importante.
Mon expérience au Canada est extrêmement positive. J’ai déjà mentionné que je me considère très chanceux parce que, quand je me suis inscrit à Concordia en tant qu’étudiant de premier cycle, ma communauté à l’université m’a beaucoup soutenu. Quand j’ai commencé à suivre des cours en droits internationaux de la personne, c’était la première fois que je parlais en public de mes propres expériences. Le plus que j’en parlais, le plus que je sentais que je me déchargeais d’un fardeau que je portais, et plus j’en parle, moins le fardeau semble lourd.
J'ai vécu des expériences enrichissantes sur le plan des études et aussi en étant très actif au sein de la collectivité. Selon moi, l’engagement communautaire, le fait de servir la collectivité qui m’a aidé, est un devoir civique très important. L’Université Concordia a insisté sur cela.
Par la suite, une chose a entraîné une autre. Quand on assume une responsabilité, cela mène à une autre responsabilité, et on finit par réellement oublier qu’on est un réfugié et un survivant du génocide rwandais. On devient un citoyen canadien. Cela a été une expérience très positive. J’ose espérer que mon parcours… Je dirais que c’est parce qu’on m’a aidé — et, bien sûr, l’aide financière en est l’aspect le plus important, à mon avis. Mon père est décédé il y a deux ans; je ne bénéficie donc plus d’un soutien de sa part.
Pour moi, le fait de pouvoir être ici aujourd’hui et d’occuper le poste de président de l’Association des étudiants noirs en droit du Canada est une autre façon de redonner quelque chose à cette communauté de Montréal, au Québec, et aussi au reste du Canada, qui m’a appuyé. Je me sens bien, et c’est vrai que l’on reçoit plus que l’on donne.
Si les jeunes pouvaient avoir les mêmes possibilités que j’ai eues, si on leur offrait plus de possibilités de faire des études postsecondaires et aussi l’occasion d’être actifs au sein de leur collectivité, beaucoup de jeunes deviendraient d’excellents citoyens canadiens, d’excellents citoyens rwandais et d’excellents citoyens d’autres pays. N’oublions pas que le problème ne se limite pas au Rwanda; il y a des problèmes en Syrie et dans beaucoup d’autres pays, et les réfugiés viennent au Canada. La manière dont nous les accueillons, les traitons et leur venons en aide influencera grandement le genre de citoyens qu’ils deviendront. Je crois qu’il est important de faire cela.
Merci de nous avoir fait part de votre témoignage aujourd’hui.
Est-ce que des étudiants qui font des études postsecondaires, ici au Canada, par exemple, retournent au Rwanda pour transmettre ces connaissances? Pouvez-vous nous donner des chiffres qui nous indiqueraient comment ces connaissances aident les gens au Rwanda?
Absolument, et je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question.
Un de mes très bons amis est le premier Rwandais à avoir été admis à la faculté de droit de McGill. Il a obtenu son diplôme en 2011. Au cours de sa dernière année de droit, il a fait un stage à la Cour suprême du Rwanda.
Voilà que, il y a environ un mois, on m’a aussi offert l’occasion de faire la même chose au Rwanda cet été. Ce sera très important pour moi d’y retourner, de voir ce qui se passe là-bas et d’apporter une contribution au pays. Mon ami est revenu avec tant d’expériences positives, et je crois que nous avons besoin de cela. Je dois beaucoup au Canada, mais je dois aussi beaucoup à mon pays d’origine, malgré le fait que je n’y suis pas retourné depuis le génocide.
Absolument, il est important pour les jeunes de retourner au pays. Plus de jeunes devraient le faire, mais je crois qu’il est important de créer… Le monde devient un village planétaire, et plus nous partageons, plus il y aura moyen d’améliorer les choses.
Le fait de vivre au Canada a complètement changé ma façon d’envisager des notions comme la diversité et l’ethnicité. En ce moment, je dirais que je suis un citoyen du monde, parce que cela veut dire… Je suis à Montréal depuis six ans. Bien sûr, je ne prétendrai pas que c’est un endroit parfait où vivre, mais c’est beaucoup meilleur que la plupart des endroits où je suis allé, et nous devons partager la même expérience là-bas...
J’ai eu l’occasion de retourner au Kenya. Chaque fois que j’y retourne, je parle du Canada. J’aime bien faire part de mes bonnes expériences. Espérons qu’elles pourront être partagées en tant qu’expériences humaines, parce que l’humanité est contagieuse. À mon avis, nous pouvons apprendre les uns des autres. De la même manière que les Canadiens peuvent apprendre des Rwandais, les Rwandais, les Kényans et d’autres encore peuvent apprendre des autres; cela va dans les deux sens.
Vous avez dit que vous espériez bientôt visiter le Rwanda; vous venez de faire allusion à cela. Êtes-vous libre de retourner au Rwanda sans craindre d’être en danger?
Voilà une bonne question. Le danger qui existait pour moi n’existe plus. J’ai fait mes recherches, et je suis heureux de dire que c’est bien le cas maintenant. Ce sera un honneur pour moi d’y retourner.
D’accord.
Vous avez dit que le Canada pourrait peut-être en faire plus au chapitre de l’éducation postsecondaire. De nombreux témoins nous ont dit qu’il existe une grande pénurie de psychologues et de psychiatres au Rwanda. Parfois, il y en a seulement six dans une grande collectivité. Si le Canada devait lancer un programme de spécialisation pour former des psychiatres et des psychologues, qui retourneraient ensuite travailler au Rwanda, est-ce que cela serait utile? On m’a dit que beaucoup de Rwandais auraient besoin de soins de ce genre.
Savez-vous combien de personnes quittent le pays pour faire des études en psychologie ou en psychiatrie — ou qui font ces études au pays — en ce moment, alors que les habitants du Rwanda éprouvent de si grands besoins? Ne considérez-vous pas que ce serait une excellente initiative, qui permettrait d’aider beaucoup de gens?
Oui, absolument. Ce serait une excellente façon d’apporter une contribution directe au pays. On pourrait créer un programme pour faire venir des médecins rwandais pour qu’ils se spécialisent en psychiatrie, ou pour faire venir des diplômés du niveau secondaire et de programmes collégiaux pour qu’ils étudient la psychiatrie et deviennent des médecins, après quoi ils retourneraient au Rwanda.
Quant à la question de retourner au pays, je pense qu’il faudra voir au cas par cas. Quand des personnes vont dans un autre pays, ils peuvent y créer des liens et finir par y rester. Cela devient un choix personnel de retourner. J’ai déjà été témoin de ce que l’on appelle l’exode des cerveaux, où l’on fait venir un groupe de jeunes d’un pays en développement et, ensuite, quand ils obtiennent leurs diplômes, ils restent ici. Peut-être que nous pourrions faire des recherches pour voir s'il y aurait moyen de créer des incitatifs pour que les jeunes retournent dans leur pays.
Je crois que ce serait un programme absolument formidable. On pourrait aussi faire la même chose en invitant des Canadiens… Eh bien, malheureusement, nous n’avons probablement pas assez de fonds pour faire venir des psychiatres Canadiens pour qu’ils fassent part de certaines de leurs expériences à des psychiatres existants ou à ceux qui sont en formation.
En ce moment? Je n'en suis pas certain. Le nombre a peut-être augmenté, mais pas de façon dramatique. Je ne sais pas si la qualité est meilleure qu'elle l'était ou pire. Je n'ai pas fait ce type de recherche. Je crois qu'il y a plus d'universités qu'il y en avait en 1994, mais je ne suis pas certain de la qualité de leur enseignement.
Je connais mieux la situation au Canada, mais peut-être que c'est un endroit intéressant pour me...
Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne les personnes qui viennent ici. Mes ancêtres ont quitté l'Allemagne et l'Écosse pour venir ici il y a fort longtemps, environ 150 ans. Nous sommes des Canadiens transplantés, tout comme vous; la différence, c'est que dans mon cas, cela s'est fait il y a six générations. Alors je comprends; mes ancêtres ne voulaient pas repartir.
Je me dis que nous pourrions peut-être envoyer des professeurs dans ces universités et faire en sorte que les programmes de formation en psychiatrie et en psychologie soient bien mis en oeuvre dans le pays. Ces personnes pourraient alors aider les Rwandais comme ils ont besoin de l'être.
Vous avez dit pendant votre exposé que les survivants, qu'il s'agisse des victimes ou des enfants nés de ces atrocités, sont toujours réticents à parler ouvertement de leur expérience. Je suppose que cette question est au coeur même de notre discussion, c'est-à-dire pas seulement la façon d'aider ces personnes, mais aussi la façon de tirer des leçons de cette expérience pour élaborer des méthodologies et des formations qui permettront d'intervenir dans des situations semblables ailleurs dans le monde.
J'ignore la taille de la communauté au Canada, mais quelles initiatives y entreprend-on pour aider ces personnes à lâcher prise, à se sentir libérées, à commencer à parler de leur expérience et à se soulager de ce poids qui pèse sur elles, comme vous l'avez mentionné? Quels types d'activités ou d'initiatives se déroulent dans la communauté au Canada et y en a-t-il qui soient aussi transposées ou appliquées au Rwanda?
Merci d'avoir posé la question.
J'ai vu des initiatives comme celle que j'ai mentionnée tout à l'heure avec Page Rwanda, notre fonds universitaire, qui offre aux gens un espace sécuritaire pour s'exprimer. On a aussi mené un projet avec Concordia pour enregistrer les témoignages et encourager les autres à partager leur propre histoire.
En outre, j'ai vu des possibilités intéressantes avec les jeunes. Au cours des trois dernières années, l'Association canadienne des jeunes Rwandais a été créée à Ottawa, Montréal, Edmonton et Toronto. Nous avons récemment eu un gala dans le cadre duquel les jeunes ont exprimé leur culture, entre autres, en musique, en poésie et en récits. Je pense que ce pourrait être une tribune intéressante pour partager des expériences.
Je n'ai pas vu cela au cours des trois dernières années. Cela s'est surtout produit au plan universitaire, mais pas dans le cadre d'une initiative jeunesse communautaire. Peut-être que nous pourrions y songer.
Comme je l'ai mentionné, la question la plus épineuse a été, et continue d'être, l'accès au financement. Sans le financement pour gérer ses programmes, il est un peu difficile de concrétiser ses nombreuses idées et possibilités. Je crois que nous avons l'occasion de tirer parti de la création de ces associations dans différentes villes au Canada et d'encourager d'autres villes à le faire.
En gros, l'on prévoit maintenant d'établir un réseau pour jeunes, d'étudier les possibilités de bourses d'études et d'encourager nos jeunes à envisager ces options. Il y a aussi la question de l'entrepreneuriat. J'ai vu des jeunes intéressés à fonder des petites entreprises, mais encore une fois, le financement pose problème. C'est peut-être à cet égard que la communauté pourrait intervenir et appuyer ces jeunes qui ont parfois du mal à trouver du travail lorsqu'ils terminent certains des programmes. Au bout du compte, les diplômes universitaires sont très utiles, mais j'ai vu des jeunes qui sont intéressés à se lancer en affaires.
Je sais que vous vous attachez à l'éducation et c'est une question très importante, mais j'aimerais avoir votre perspective au plan communautaire.
Quelles sont, selon vous, les choses que nous devrions prendre en compte pour aider les gens qui réussissent à se rendre au Canada, mais qui portent le poids de ce qui leur est arrivé à eux ou de ce qui est arrivé à leurs familles ou à leur pays? Quelles sont les initiatives que nous devrions prendre pour faciliter leur guérison et leur transition vers leur nouvelle vie au Canada?
Premièrement, je pense qu'il faut reconnaître le fait que ces personnes portent un poids très lourd. Elles doivent aussi faire face aux difficultés socioéconomiques associées à l'immigration, comme le climat canadien, bien entendu, mais il n'y a pas que cela.
Je pense qu'il y aurait lieu de fonder un centre pour les Rwandais au Canada. Ce serait un endroit intéressant où les gens pourraient se réunir, bénéficier d'un soutien et se sentir en sécurité. Il pourrait y avoir un psychiatre sur place ainsi que des membres de la communauté qui ont vécu différentes expériences et des jeunes professionnels et autres personnes intéressées. On pourrait offrir un programme, des séances et des activités communautaires pour encourager les gens à parler de leur expérience en toute sécurité.
Je pense que plus ils se vident le coeur, plus ils seront capables de s'intéresser à autre chose. Les problèmes de santé mentale peuvent empêcher les gens de réussir dans la vie. Je crois qu'il serait intéressant de regrouper toutes ces questions sous un même toit et de fonder un centre pour les Rwandais. Sur l'île de Montréal seulement, je crois qu'il y a plus de 5 000 Rwandais. Je sais qu'il y en a plus si vous combinez les communautés d'Ottawa et d'autres villes comme Toronto et Edmonton et d'autres collectivités au Canada. Je crois qu'il serait intéressant de fonder un centre.
Merci.
Cela met un terme à notre période de questions. Elle a duré un peu plus longtemps que prévu, mais si les membres du comité me le permettent, il nous reste un point à discuter à huis clos. J'aimerais maintenant remercier notre témoin.
Merci beaucoup, monsieur Gashirabake. Nous vous savons gré d'être venu.
Je vais suspendre la séance le temps que nous passions au huis clos, ce qui veut malheureusement dire que tous ceux qui ne sont pas membres du comité doivent quitter la pièce. Merci beaucoup.
[La séance se poursuit à huis clos.]
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