SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 17 février 2015
[Enregistrement électronique]
[Français]
À l'ordre, s'il vous plaît.
En ce 17 février 2015, nous tenons la 55e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
La séance d'aujourd'hui est télévisée, et nous accueillons deux témoins. Ce sont deux ex-députés de l'Assemblée nationale de la République du Soudan du Sud: M. Henry Odwar, qui est ici parmi nous; et Mme Sophia Gai, qui comparaît par téléconférence.
J'ai discuté avec les deux témoins, et nous avons convenu que c'est M. Odwar qui présentera son exposé en premier. Mme Gai présentera le sien par la suite. J'incite nos deux témoins à s'en tenir à des exposés de cinq à sept minutes pour que nous ayons le plus de temps possible à consacrer aux questions.
Monsieur Odwar, vous pouvez commencer.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui.
J'ai immigré au Canada en 1984, à Winnipeg, au Manitoba. Les gens étaient tellement surpris, même stupéfaits de mon choix. Je ne savais pas pourquoi, mais quelques mois plus tard, j'ai compris. De toutes les villes où je suis allée, Winnipeg est celle où il fait le plus froid.
J'ai fait mes études à l'Université du Manitoba, j'y ai obtenu ma maîtrise en géophysique et j'ai travaillé pour des entreprises de géophysique au Canada jusqu'en 2005, année où les rebelles, l'Armée populaire de libération du Soudan, et le gouvernement de Khartoum ont signé un accord de paix. Les gens qui voulaient que je les représente au Parlement m'ont appelé. À ce moment-là, des députés ont été nommés dans le cadre de l'accord de paix globale, l'APG. J'ai accepté sans broncher. J'ai quitté mon emploi et ma famille pour apporter ma contribution. Dans un sens, dans le contexte africain, il s'agit de faire sa part pour le village dans lequel on a grandi.
Lorsque je suis retourné au Soudan du Sud, j'ai siégé au comité de l'énergie et des mines et, en 2010, j'en suis devenu le président. J'ai occupé cette fonction jusqu'en juillet dernier. Conformément aux règles établies, il fallait que quelqu'un prenne la relève, et j'ai continué à travailler avec le comité. Toutefois, le 16 novembre 2014, j'ai dû quitter le Soudan du Sud, car je ne pouvais plus endurer ce qui se passe.
Je suis allé là-bas avec l'impression qu'il y avait de l'espoir pour les gens qui avaient souffert pendant autant d'années et que malgré leur souffrance, ils ont dû tirer des leçons pour faire en sorte que nous allions de l'avant en tant que pays uni rempli de promesses. Le Soudan du Sud est très riche dans le véritable sens du terme. Nous disposons de ressources minérales, de terres fertiles et d'autres ressources naturelles. Toutefois, depuis 2005, nous gaspillons certaines de nos ressources, en particulier par l'exploitation pétrolière. Le pays ne dépense pas un cent pour fournir des services aux gens qui devraient en recevoir. La plupart de ces ressources sont gaspillées par la corruption, par des contrats du gouvernement qui ne sont jamais annoncés, et j'en passe. Le système de gouvernance favorise la dictature. Le président veut rester à son poste et gouverner. Si l'on remet des choses en question, on devient un ennemi.
Au cours de la période durant laquelle j'étais en poste, le système judiciaire est presque devenu un service du président. Il est impossible d'adopter quoi que ce soit au Parlement sans obtenir l'accord du président. Si nous adoptons un projet de loi de crédit pour le budget annuel, personne ne le met en oeuvre. Les mesures budgétaires se prennent par des notes écrites: monsieur le ministre, pourriez-vous approuver ce montant pour tel projet?
Je crois que je ne parlerai pas beaucoup plus longtemps et que j'attendrai plutôt que vous posiez vos questions avant de vous en dire davantage à ce sujet.
Enfin, le processus de paix à Addis n'ira nulle part pour une seule raison: on ne peut pas conclure un accord de paix sans se pencher sur les causes profondes du conflit qui sévit actuellement au Soudan du Sud. L'Union africaine a empiré les choses en ne publiant pas le rapport du général Obasanjo. C'est le rapport qui révélerait au monde entier ce qui s'est passé, le rapport qui révélerait au monde entier quelles conditions propose la commission pour faire en sorte qu'il n'y ait pas de génocide au Soudan du Sud.
Je vous remercie de m'avoir écouté.
Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre notre deuxième témoin.
Madame Gai, vous pouvez commencer.
Merci beaucoup. Je veux en profiter pour remercier les honorables président et membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Très brièvement, je veux dire que c'est mon premier passage en Occident. Je suis née au Soudan du Sud et j'y ai grandi durant la période fragile au cours de laquelle une guerre civile faisait rage entre nous et le Nord. Après la signature de l'APG, en 2005, j'ai eu l'occasion de travailler au sein du parti Mouvement populaire de libération du Soudan, ou MPLS, qui était le principal parti au pouvoir, pendant presque quatre ans, jusqu'à ce que nous devenions indépendants en 2011. Je me suis ensuite présentée pour servir notre nation au Parlement.
De 2011 à l'année dernière, j'ai fait partie d'un comité sur l'eau et l'irrigation. J'ai également siégé au caucus parlementaire des femmes à titre de secrétaire générale. Maintenant que je vous ai donné un petit aperçu de mon parcours, permettez-moi d'ajouter que je suis allée aux États-Unis durant cette période difficile. J'ai pu aller aux États-Unis pour rendre visite à ma famille, qui s'y est installée il y a bien des années en raison de la guerre entre le Sud et le Nord du Soudan.
De plus, j'ai échappé à la mort. Durant la guerre, j'ai perdu des êtres qui m'étaient très chers: mes deux oncles et le vigile qui surveillait notre maison. J'ai échappé à la mort de justesse. Durant la nuit du 14, des amis qui me sont très chers et qui travaillent dans l'unité de sécurité m'ont fait sortir du pays en cachette. Ils nous ont conseillé de sortir de Djouba en raison du climat d'insécurité qui y régnait. Je dois remercier cet homme, car il est venu très tard le soir pour m'expulser du pays. Je n'y suis jamais retournée depuis ce temps, depuis le 14 décembre 2013. J'ai su plus tard que c'est le 15 décembre que nos êtres chers ont été tués.
Je ne parlerai pas beaucoup de l'origine du conflit et de ce qui s'est passé, car bon nombre d'entre vous savent ce qui s'est passé en ce qui concerne le conflit du MPLS et le problème qui touche le pays, tant au parti qu'au gouvernement. Ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a pas eu de coup d'État. Personne n'a planifié de coup d'État; il s'agissait seulement d'un conflit sur la réforme. Après que nous avons accédé à l'indépendance, les choses ont continué comme d'habitude, mais notre population n'avait pas accès aux services et nous nous sommes appauvris, à un point tel que notre famille vivait avec moins d'un dollar par jour.
Nous avons donné la chance à quelqu'un comme M. Riek et à d'autres leaders du MPLS. Ils voulaient qu'il y ait une réforme du parti qui dirigeait le pays. Compte tenu du fait que le parti n'a pas fait en sorte que les rêves et les aspirations du peuple du Soudan du Sud se réalisent et qu'il n'a pas tenu ses promesses concernant les questions de réglementation et de réforme, j'aimerais dire que ce problème a éclaté au pays.
Or, avant que la guerre tue des milliers d'êtres chers, il s'est passé tellement de choses. En 2010, différentes communautés ont été prises pour cibles. Certains d'entre vous savent peut-être que beaucoup de violations très graves ont été commises. Il y avait beaucoup de guerres et de conflits intertribaux. Des gens comme George Athor, ont perdu la vie, et sa communauté était ciblée; plus tard, il y a eu les Murle dans l'État de Jonglei dirigés par Yau Yau. Yau Yau a échoué; il a contesté et a été élu à l'assemblée législative, mais on l'a refusé, et plus de 4 000 familles ont été touchées.
De plus, les Fartit, de l'État du Bahr el Ghazal occidental ont également été une cible, et un certain nombre de membres de leurs familles ont été tués par les forces de sécurité du gouvernement.
Il y a l'État du Haut-Nil et les Shilluk. Ils ont également été ciblés parce que Lam Akol s'est battu contre le président aux élections de 2010. Enfin, il y a aussi les Nuer, dont beaucoup ont été pris pour cibles en 2013. Les faits existent. Des fouilles de domiciles ont eu lieu. J'ai même perdu les personnes les plus proches de moi; certaines ont perdu la vie à ce moment-là, en fait.
Je voulais vous dire que cette guerre n'est pas une guerre tribale. Il ne s'agit pas d'une guerre tribale. Le gouvernement veut faire de son mieux. Le président Salva maîtrise bien l'art de faire croire que c'en est une. Ce n'est pas le cas. De toute évidence, des Dinka sont du côté de M. Riek, dont l'enfant du regretté M. Garang, qui est le père fondateur de notre nation. C'est un Dinka et il est du côté de M. Riek.
Vous verrez dans certains camps que Lueth a trois ministres qui travaillent avec lui. Le problème n'est pas entre les peuples Nuer et Dinka. Nos communautés existent et vivent ensemble depuis que nous sommes au Soudan du Sud.
Ce qui est au coeur du conflit, c'est un groupe qui a été formé pour piller le pays, pour prendre chaque ressource du pays au détriment des autres. Voilà ce qui se passe réellement. Les décideurs créent le groupe... Il y a un conseil des aînés Dinka, au deuxième palier des décideurs, et le Warab, l'État d'origine du président, et le dernier palier décisionnel est une organisation chargée de la sécurité qui travaille dans l'ombre. Nous, au parlement, nous sommes là, comme l'honorable Odwar vient de le dire. Nous sommes là. Nous n'avons pas de pouvoir. Nous ne pouvons obliger personne à rendre des comptes. Il y a toujours de la corruption. Vous savez tous que le gouvernement a déclaré qu'environ 75 représentants du gouvernement avaient pillé le pays.
De plus, j'aimerais dire que notre pays est tombé entre de mauvaises mains. Avant la libération, des gens ont dit que nous obtiendrions les services que nous avions établis parce que c'est un droit qui appartient à chaque humain, peu importe son lieu de naissance. On grandit, on développe son pays, on offre une meilleure vie à sa famille et à ses enfants, et quand vient le temps de partir, on part en sachant que la paix règne dans le pays et que les enfants continueront dans la même voie.
Nous avons beaucoup de ressources. En 9 à 10 ans, nos ressources pétrolières ont rapporté plus de 20 milliards de dollars américains à notre pays. À cet égard, il n'y a aucun service. Des écoliers dans les villages sont toujours alignés sous des arbres. Il n'y a pas de cliniques, pas de médicaments, pas de personnel médical. Les cliniques sont très loin. Les routes sont dans un état lamentable. La seule route que nous avons a été construite par USAID, la route Nimule. C'est la seule route goudronnée au Soudan du Sud. Cet argent n'était pas le nôtre.
Beaucoup de préoccupations, beaucoup d'enjeux nous touchent, dont la corruption et les violations des droits de la personne. Le nombre de violations des droits de la personne est extrême parce que durant ces jours à Djouba, en particulier, c'est là que le monde a constaté ce qui s'est passé au Soudan du Sud. De graves violations ont été commises. On a tué des enfants, des femmes, des aînés, des personnes handicapées, des jeunes. Les gens qui font partie d'une tribu en particulier sont des cibles, surtout les Nuer. On constate que les gens qui font partie de l'organisation de la sécurité sont responsables de la plupart de ces graves violations.
Nos politiques étrangères sont très inefficaces. Notre constitution est toujours dans un état de transition. Après 9 ou 10 ans, cette année, nous n'avons pas établi de constitution permanente. Notre infrastructure est généralement en piètre état, mais nous avons beaucoup d'argent.
Cela dit, je vais m'arrêter ici pour que vous puissiez nous poser le plus de questions possible.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Chers collègues, à l'heure qu'il est, je pense que chacun de vous n'aura le temps de poser qu'une seule question, à moins que les réponses soient vraiment très courtes.
C'est Mme Grewal qui commence.
Merci, monsieur le président. Monsieur Odwar, madame Gai, je vous remercie beaucoup de comparaître devant le comité aujourd'hui. Les violations des droits de la personne sont terribles, peu importe où elles sont commises, et le Canada maintient toujours ses engagements à établir la paix sur notre planète et à défendre les droits de la personne des gens opprimés. Des atrocités ont été commises durant la guerre civile au Soudan, et votre témoignage met en lumière la situation sur le terrain.
Monsieur Odwar, en novembre passé, lorsque vous vous êtes joint à l'Armée populaire de libération du Soudan par opposition, vous avez dit que les troupes étrangères devraient se retirer du Soudan du Sud et retourner dans leurs pays respectifs pour protéger leurs propres peuples plutôt que les Soudanais. Toutefois, à mesure que les troupes de maintien de la paix de l'ONU, dont le nombre a atteint 4 000 ces derniers mois, partent, le problème de la violence ne fait que s'aggraver. Par exemple, la BBC révèle qu'en octobre dernier, presque 200 femmes et enfants ont été victimes de viol. Compte tenu de ces faits, soutenez-vous toujours ce que vous avez dit? Si c'est le cas, que fait le Soudan du Sud pour protéger sa population?
Lorsque j'ai parlé du retrait des troupes étrangères, je parlais des Ougandais, des Rwandais — d'autres troupes que celles qui servent au sein des Nations Unies — et du M23. Il s'agit d'un mouvement de guérilla qui lutte contre le gouvernement dans l'Est du Congo. Ces gens ont uni leurs efforts pour corrompre le gouvernement de Salva Kiir.
Au départ, les Ougandais sont venus en pensant qu'ils étaient invités par Salva Kiir. Je crois que toute nation souveraine a le droit de faire cela, mais s'ils viennent et se battent aux côtés des troupes du gouvernement, je crois que c'est contestable, car ils causent des souffrances à des Sud-Soudanais innocents.
Je crois également que l'Ouganda est présent au Soudan du Sud pour des raisons économiques. Je sais avec certitude qu'en février, Salim Saleh, le frère de Museveni, a reçu 70 millions de dollars pour fournir des produits alimentaires à l'Armée populaire de libération du Soudan, l'APLS. Il y a des intérêts économiques en jeu. L'an dernier seulement, le Soudan du Sud enregistrait un déficit commercial d'un demi-milliard de dollars en faveur de l'Ouganda. Aujourd'hui, au Soudan du Sud, tous les produits alimentaires qui sont consommés dans les villes viennent de l'Ouganda. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi, mais si cet intérêt économique se traduit par l'appui au gouvernement et par l'augmentation des dommages dans le pays, je ne crois pas que ce soit acceptable. Ce que je voulais donc dire, c'est que ces troupes étrangères devraient nous laisser tranquilles.
Merci.
Il y a également des milices soudanaises à la frontière, dans la région du Haut-Nil. Il y a des membres du Mouvement pour la justice et l'égalité, du MPLS-N, des Tora Bora. Toutes ces milices sont celles qui sont très actives dans l'État du Haut-Nil où elles sont financées et soutenues par le régime Kiir pour combattre.
De toute évidence, en ce qui concerne la guerre dans la ville de Bentiu, bon nombre d'entre eux ont dit qu'ils étaient à Bentiu pour des raisons commerciales, pour vendre leurs produits. Après que la guerre a éclaté, tous les gens se sont précipités vers des camps de la MINUSS, et ils étaient eux-mêmes à l'extérieur. C'était des soldats et ils combattaient aux côtés du gouvernement Kiir. Pour cette raison, bon nombre d'entre eux ont perdu la vie. Permettez-moi de vous signaler que les forces alliées causent beaucoup de tort, comme les Ougandais, et ils utilisent des bombes à sous-munitions contre notre population. Nous ne nous attendions pas à cela, car il est interdit d'utiliser ces bombes partout dans le monde, mais même l'ONU a constaté que de telles armes ont été utilisées dans le comté de Bor.
Pour revenir à ce que disait Henry, ce conflit serait maintenant terminé si l'Ouganda et les milices du Soudan du Nord ne s'en étaient pas mêlés. Nous aurions discuté, comme dans nos propres maisons. On ne peut pas se chicaner chez soi et aller chercher son voisin qui mettra de l'huile sur le feu, alors que la chicane concerne deux frères.
Merci.
Merci, monsieur le président.
Monsieur Odwar, je veux vous poser une question sur l'aide fournie par le Canada.
Nous nous sommes organisés avec d'autres partenaires humanitaires et nous avons offert des abris et des produits non alimentaires à 500 000 personnes parmi les plus vulnérables, aux rapatriés, nous avons accru l'accès à un approvisionnement d'urgence en eau, et nous avons également apporté notre aide évidemment sur le plan des mesures d'hygiène, par exemple.
Dans quelle mesure ces programmes font-ils en sorte que l'aide fournie parvienne aux gens qui en ont besoin, à votre avis?
Au Soudan du Sud, nous sommes très reconnaissants envers le Canada sur le plan humain et à l'échelle nationale.
Je sais que des Canadiens, surtout dans le cadre de Plan Canada — auparavant, il y avait l'ACDI, qui n'a plus le même nom maintenant, je crois —, ont aidé au renforcement des capacités, par exemple celles du ministère des Mines et de l'Énergie, avec le forage de trous de sonde.
Je sais que Plan Canada a établi un collège communautaire afin que des jeunes puissent suivre une formation et gagner leur vie. En ce qui concerne la rétinite, l'aide que le Canada fournit par l'intermédiaire de ces ONG est acheminée aux bons endroits. Toutefois, j'ignore si c'est le cas pour l'aide consentie de gouvernement à gouvernement. Le budget du Parlement ne contient aucune information sur l'aide provenant d'un tel pays.
J'ai des doutes quant à l'aide intergouvernementale, mais l'aide gouvernementale par l'intermédiaire des ONG est acheminée au bon endroit.
Vous avez parlé du retrait des forces d'autres pays africains. Si cela devait se concrétiser, quelles sont les possibilités de réconciliation dans le pays?
Je crois que cela ferait en sorte que le gouvernement s'empressera de négocier de bonne foi, parce qu'il semble que l'Ouganda donne son appui. À la fin de janvier, 7 000 Ougandais sont entrés à Nesitu, près de Djouba. Il y a maintenant environ 16 000 troupes ougandaises dans le Soudan du Sud.
Cette force n'incite en rien Kiir à parler de paix. Si ces troupes n'étaient pas là-bas, je pense qu'il serait possible de parvenir à un compromis, car à l'heure actuelle, ce sont les rebelles et les anciens détenus qui proposent des réformes et des mesures à prendre.
Or, le gouvernement passe à travers tout cela sans dire ce qu'il offre, car il dit qu'il a accepté de rencontrer le groupe et qu'il devrait proposer les changements qu'il veut. Le gouvernement défend le statu quo.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Odwar, madame Gai, je vous remercie de votre témoignage.
Monsieur Odwar, si je vous ai bien compris, vous avez dit que dans bon nombre de villages du sud — ou peut-être dans tous les villages —, les produits alimentaires sont fournis dans le cadre d'un contrat de 7 millions de dollars accordé à l'Ouganda. Seulement 4,2 % de la terre arable du Soudan du Sud est cultivée .
Pourquoi? Pourquoi une aussi grande partie de la terre n'est pas cultivée?
Ce n'est pas toute la terre du Soudan du Sud qui n'est pas cultivée. Le centre du pays est constitué principalement d'une plaine unie, qui est touchée par des inondations. Cependant, près des frontières séparant le pays de l'Éthiopie, du Kenya et de l'Ouganda, il y a surtout des hautes terres s'élevant à au moins 800 mètres d'altitude peut-être, et c'est à cet endroit qu'ont lieu la majeure partie des activités agricoles.
L'agriculture est en majeure partie une activité de subsistance. Une famille cultive sur une petite parcelle. Le gouvernement n'a pas présenté de politiques visant à inciter les gens à cultiver pour créer un surplus, pour gagner de l'argent, et peut-être envoyer leurs enfants à l'école. La plupart des activités agricoles sont menées pour la consommation personnelle et non à des fins commerciales. Or, l'Ouganda a compris qu'en travaillant fort, on gagne de l'argent, et c'est pourquoi dans la plupart des villes, c'est ce que l'Ouganda offre. Dans les régions rurales, bon nombre de personnes cultivent pour elles-mêmes et elles produisent ce dont elles ont besoin. Cependant, ce sont les gens qui sont dans les zones de conflits qui reçoivent les aliments, car ils n'ont pas le temps de cultiver. La plupart du temps, ils se déplacent ou sont dans des camps de détention. À Malakal, à Djouba et à Wau, il y a des PDIP — des personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays —, qui ne peuvent pas cultiver la terre à l'extérieur des camps. Je crois que la majeure partie des produits alimentaires et de l'aide sont acheminés aux gens qui ont été déplacés.
Vous avez parlé du rapport de la commission, qui est gardé secret, et vous avez dit qu'il serait impossible d'établir une paix durable si l'on ne s'attaque pas aux causes profondes du conflit. Compte tenu des fonctions que vous avez assumées et du fait que vous connaissez aussi bien votre pays, je me demande si vous voulez nous dire quelles sont les causes profondes auxquelles toutes les parties doivent s'attaquer pour instaurer une paix durable?
Je crois que l'UA allait dans la bonne direction lorsqu'elle a formé le comité dirigé par le général Obasanjo. Elle a le mandat d'analyser les causes du conflit actuel. Cela remonte loin dans le passé, même avant l'Accord d'Addis-Abeba de 1972. Après, lorsque le MPLS a été créé, dans la période de 1983 à 2005 lorsque l'APG a été conclu, des atrocités ont été commises.
Tout d'abord, les instigateurs de cette guérilla étaient des gens comme Gai Tut et Akwot Atem. Ces gens ont perdu la vie dans les mêmes circonstances que John Garang, et des villages entiers ont été exterminés. Lorsque Riek Machar s'est mutiné à Nasir, des officiers Nuer ont été tués, et il y a eu des représailles; les gens de Bor, les Dinka de Bor, ont presque été exterminés. On n'a rien fait. Lorsque Riek et Garang se sont réconciliés, on n'a pas examiné les causes de telles atrocités. Lorsque nous avons conclu l'APG, il n'y a rien eu de semblable à ce qui s'est passé en Afrique du Sud, où la Commission de vérité et de réconciliation a été créée.
Tout a été relégué aux oubliettes. À mon avis, ce n'est pas un coup d'État qu'il y a eu le 15 décembre 2013; on a plutôt tenté d'éliminer Riek et ses complices à cause de ce qui est arrivé dans le passé. À mon avis, les meurtres qui ont été commis dans les maisons sont des mesures de représailles qui ont été prises pour ce qu'on croit que les Nuer ont fait aux Dinka, à Bor.
Si l'on aide la commission de l'UA — qui a été mandatée pour se pencher sur les causes du conflit et les événements passés — à cacher la vérité, et si on arrive à établir une quelconque paix, les mêmes problèmes finiront par se reproduire.
Il y a des tensions interethniques. Une tribu prédomine au gouvernement. Un groupe ethnique en particulier est avantagé par la corruption. Des groupes ethniques dominent sur le plan militaire. L'emploi est basé sur le népotisme. Il y a tellement d'autres problèmes: accaparement de terres, installation de bovins sur des terres utilisées normalement pour l'agriculture de labour, actes atroces commis en toute impunité, meurtres d'agents de police. Jusqu'à maintenant, personne n'a encore rendu de comptes, et il y a tellement d'autres exemples. Si l'on ne se penche pas sur cela en profondeur et si nous ne cherchons pas de solution pour prévenir d'autres problèmes, je crois que peu importe l'accord de paix que l'on signera, cela ne fonctionnera pas.
J'aimerais ajouter quelque chose moi aussi.
Nous savons que trois piliers de gouvernance sont nécessaires pour qu'un système fonctionne: exécutif, judiciaire et parlementaire. Vous constaterez que la domination dont M. Odwar vient de parler est bien réelle. En gros, c'est la grande région du Bahr el Gahzal qui exclut la grande région du Haut-Nil et celle de l'Équatoria. Je voulais apporter cette précision pour que vous compreniez bien de quoi nous parlons.
À titre d'exemple, la République du Soudan du Sud a pour président Salva Kiir, qui est issu du peuple Dinka. Le Trésor, la Bank of South Sudan, est contrôlé par un Dinka de sa tribu et de son État, tout comme le ministère de la Sécurité intérieure et celui de l'Immigration et des Douanes. À la Sécurité nationale, toutes les forces organisées sont dirigées par les Dinka, qui viennent de n'importe quelle région du Bahr el Ghazal ou du Warab. Le ministre des Finances est un Dinka du Bahr el Ghazal. Le ministre des Mines et de l'Énergie, le chef d'état-major et le magistrat sont tous des Dinka du même État que lui, le Warab, ou de la grande région du Bahr el Ghazal. Les autres sont exclus avec les institutions qui ne sont pas très fortes. C'est ce qui a occasionné tous ces problèmes.
Pour ce qui est du gouvernement, il est faible. À la fonction publique, par exemple, les nominations sont faites en fonction des relations plutôt que des qualifications.
Dans le secteur économique, il n'y a pas de transparence. Il n'y a aucune reddition de comptes en ce qui concerne le budget national. Vous constaterez que la majeure partie de ce budget est consacrée à la sécurité, bien que les questions d'insécurité soient importantes et que les gens meurent. Le manque de démocratie au sein des partis est à l'origine de la dictature. À notre sens, Kiir est un dictateur, car il n'est pas ouvert et ne veut pas d'une démocratie.
Vous connaissez l'histoire du MPLS. Il a été formé par des volontaires du Soudan du Sud qui voulaient s'affranchir du Nord. Il est besoin de transformer et de sensibiliser ainsi que de rendre le parti conventionnel pour qu'il soit démocratique. On devrait aussi encourager la formation d'autres partis pour qu'il y ait une réelle multipartisanerie au Soudan du Sud.
Tous ces facteurs ont aggravé les causes profondes du problème actuel au Soudan du Sud.
Merci.
J'aimerais enchaîner sur ce que les deux témoins ont dit: quel rôle envisagez-vous pour le Canada, qui a grandement participé à l'aide internationale au développement et à d'autres initiatives du genre? Comme vous l'avez indiqué, les vraies questions sont celles de la corruption et de la reddition de comptes, de l'impunité et de la domination tribale. Je me demandais quel rôle nous pourrions jouer en tant que parlementaires pour aider à régler les questions relatives au processus de gouvernance, à l'impunité et à la domination tribale.
Permettez-moi de répondre.
Premièrement, comme M. Odwar vient de le mentionner, le gouvernement canadien a offert une aide. J'ajouterais simplement que vous nous avez beaucoup aidés. Vous pouvez jouer un rôle par l'intermédiaire de votre ambassade à Juba. Celle-ci ne tient pas compte du fait qu'il n'est pas possible de rejoindre les personnes qui ne font pas partie du gouvernement. Je veux que le gouvernement du Canada nomme un type d'ambassadeur en mesure d'assister aux pourparlers de paix pour que vous puissiez mieux connaître les vues des personnes à l'extérieur du gouvernement. Cela vous donnera aussi une vision claire des réformes auxquelles nous faisons allusion, ce qui vous permettra de connaître d'autres points de vue, dont celui de M. Riek, qui pourrait vous rencontrer en personne pour vous donner un supplément d'informations.
Je veux aussi que le comité fasse une visite spéciale. L'aide humanitaire que vous avez peut-être versée à l'ONU pour soutenir les camps de la MINUSS est louable, mais si les membres du comité ont l'occasion de se rendre à Juba, ils pourront mieux comprendre la situation réelle. Cela vous permettra de rencontrer les témoins qui s'y trouvent. Même si vous ne vous rendez pas à Bentiu ou dans la région du Haut-Nil, vous pourrez rencontrer les gens à Juba.
Je vous encouragerais aussi à le faire, car la situation à Juba est vraiment pitoyable. Les enfants de la communauté Nuer ne vont plus à l'école depuis maintenant un an. Cependant, si le Canada peut vraiment faire un effort pour offrir aussi... des possibilités, du moins à ceux qui souffrent vraiment... Même les enfants qui sont là-bas ont pour certains perdu leurs parents. C'est malheureux que certains d'entre eux n'aient plus d'avenir maintenant. Nombre d'entre eux finissent dans les rues de Juba, à nettoyer les chaussures pour d'aucuns parce qu'ils sont orphelins et affamés. Il est encore possible de leur venir en aide pour leur permettre de voir la vie sous un autre jour. Ils sont tous traumatisés. Ils ont perdu leurs parents. Personne ne prend soin d'eux. Nombre de ces enfants se retrouvent par milliers à Juba et dans les camps de la MINUSS. S'il y avait une possibilité d'établissement, ce serait bien. Le problème ne se limite pas à Juba; vous pouvez vous rendre près de la frontière éthiopienne où se trouvent les réfugiés ou rendre visite aux réfugiés en Ouganda pour avoir une vue globale de l'incidence de Ia guerre sur les familles et communautés sud-soudanaises.
Je suggérerais aussi que vous appuyiez la participation des femmes, car nous estimons ne pas être prévenues lorsqu'une guerre va éclater; en conséquence, des milliers d'entre nous ont péri au cours du massacre. Si elles avaient été informées à l'avance, certaines d'entre elles auraient pu prendre la fuite ou se protéger d'une autre façon et rester en vie.
Ce qui nous amène à la question du fédéralisme. En tant que fédération, le Canada peut nous aider à comprendre le fonctionnement d'un système fédéral, car c'est ce que nous voulons. Nous voulons choisir ce système pour que les gens ne se concentrent pas — n'immigrent pas — dans une seule région; ce type de situation se répète constamment à Juba. Nous voulons d'un système comme le vôtre au Soudan du Sud pour qu'il soit possible d'avoir accès aux ressources et de gagner sa vie même quand ont vit dans un village.
Voilà certaines des recommandations que je peux faire, et je vous suggère aussi de rendre visite au président du MPLS dans l'opposition pour connaître son point de vue. Il vous faut par-dessus tout nommer un envoyé spécial qui assistera aux pourparlers pour avoir une vision globale des sujets abordés par les différents négociateurs.
Merci.
Je l'espère, car c'est un point que nous n'avons pas soulevé. Quel est le rôle du gouvernement soudanais al-Bashir dans tout cela? Nous sommes au courant de leurs attaques, entre autres, contre le peuple des monts Nouba. Je me demande simplement quel rôle il joue dans tout cela.
Avant d'y venir, permettez-moi d'enchaîner sur ce que Sophia vient de dire. Elle a parlé de solutions à court terme, mais pour que le Soudan du Sud adhère aux normes internationales, je pense que des pays comme le Canada devraient exercer des pressions sur l'UA, par le truchement de l'ONU et d'autres sources, pour qu'elle publie le rapport d'Obasanjo, car il jettera les bases de la réconciliation et permettra aux gens de tourner la page.
Deuxièmement, un embargo sur les armes pourrait inciter les gens à s'engager dans des pourparlers de paix, car aussi longtemps qu'ils recevront des balles et des bombes, ils voudront gagner. Cela ne fera que perpétuer le problème. Je pense que le fait d'exercer des pressions par l'intermédiaire de l'ONU et d'autres institutions — mais surtout l'ONU — pour imposer un embargo sur les armes des deux côtés nous aidera à trouver un terrain d'entente. Si l'on donne des bâtons à des gens qui se battent, ils croiront qu'ils pourront en obtenir d'autres pour gagner.
Quel est le rôle de Bashir? Je pense que Bashir est quelqu'un qui sourit probablement en se disant « je vous avais prévenus ». Il est en train de contrer les actions de Museveni. Ce dernier appuie le gouvernement alors qu'al-Bashir s'est rangé du côté des rebelles. Si cette situation n'est pas réglée, elle entraînera d'autres pouvoirs régionaux dans le conflit. On se retrouvera ensuite avec une situation comme en Somalie ou pire encore.
Si des extraterrestres de la planète X venaient sur Terre et voyaient ce qui se passe au Soudan du Sud, ils se diraient « regardez-moi ces humains » et pas « regardez-moi ces Soudanais » ou Africains ou autres. Je pense que, d'une façon ou d'une autre, le Canada a le devoir moral d'intervenir avec d'autres nations. Je l'ai dit et Sophia a renchéri.
Merci.
Sophia, vous vouliez insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une guerre tribale. J'aimerais entendre vos commentaires sur ce point. Premièrement, pourquoi est-il aussi important de préciser qu'il ne s'agit pas d'une guerre tribale? Deuxièmement, pourquoi d'autres personnes font valoir que c'en est une si ce n'est pas le cas?
J'ai insisté sur le fait qu'il ne s'agissait pas d'une guerre tribale parce que d'autres tribus ont aussi été touchées. Comme je vous l'ai mentionné plus tôt, la séquence a commencé avec les Dinka. Les Dinka Ngok ont été ciblés et, ensuite, ce fut au tour des Murle, des Shilluk, des Fartit et, maintenant, des Nuer, dans cette séquence. Ils ne sont pas pris pour cible à cause de leur appartenance à ce groupe, mais parce qu'un de leurs membres a des visées sur la présidence. C'est la question qui est ressortie très clairement.
Il y a un mois, deux semaines déjà, un mouvement a commencé à se former dans la grande région d'Équatoria. On a pris les armes contre Salva Kiir à cause de la situation dont il est question. Le président Kiir et son groupe voulaient diluer les principales questions pour examiner ce conflit comme s'il était d'origine tribale afin que personne d'autre ne puisse s'y joindre.
S'il s'agit vraiment d'une guerre tribale, aucune autre nation du monde ne sera impliquée, car elle sera perçue comme un différend entre peuples qui se battent et règlent leurs problèmes entre eux. C'est l'impression qu'ils veulent donner. Le problème n'est pas celui d'une guerre tribale, mais bien de la dictature du président Kiir qui est réfractaire aux réformes dans le pays. Cependant, il ne fait rien pour que le Soudan du Sud progresse. Ils ont échoué tant au sein du parti que du gouvernement.
Le problème du Soudan du Sud n'est pas celui d'une guerre tribale. Voilà pourquoi dans les deux camps, on peut voir que les Dinka sont du côté de Riek, tandis que les Nuer appuient Salva Kiir. S'il s'agissait clairement d'une guerre tribale, vous rangeriez-vous du côté de la personne qui se bat contre votre peuple? Bien sûr que non. Vous seriez du côté de votre peuple.C'est ce que je peux dire en somme.
Si je peux me permettre, j'ajouterais que ce qui a commencé le 15 décembre 2013 est un conflit tribal qui a mené au massacre des Nuer à Juba. En représailles, les Nuer ont ensuite commis des atrocités à Bor, Malakal et Bentiu. Cette partie du conflit était, à l'origine, tribale.
Maintenant, bon nombre de Soudanais du Sud voient cette situation comme une occasion d'apporter des changements à Juba. Nombre de tribus unissent maintenant leurs forces pour s'opposer à ce qui est maintenant perçu comme un gouvernement tribal à Juba. Si vous voyiez la concentration de richesse, les milliards accumulés et les dollars vendus dans les rues de Juba, vous verriez qu'ils appartiennent à un seul groupe ethnique. Si vous preniez le secteur de la sécurité, vous verriez que la plupart des postes importants sont occupés par des gens issus du même groupe ethnique. Il en va de même pour les tribunaux, dans lesquels sont tranchées, entre autres, les affaires criminelles et les questions constitutionnelles.
Bien des Soudanais du Sud estiment qu'il ne s'agit pas d'un gouvernement représentatif capable de faire progresser le pays. Ce qui a commencé comme un conflit tribal s'est maintenant transformé en un mouvement national pour instaurer des changements à Juba.
Merci.
Je veux clarifier un point.
Pour être honnête, les attaques à Bor ne ciblaient pas les Dinka, les civils. En fait, les civils ont réussi à s'enfuir. Nombre de ceux qui ont perdu la vie à Bor, notamment les Dinka, ont été victimes de tirs croisés. Ils n'étaient pas pris pour cible. Voilà pourquoi j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une guerre tribale.
C'était la même chose à Bentiu. Les Dinka n'ont jamais été ciblés à cause de leur origine ethnique. Vous verrez, par exemple, que lorsque les Lou Nuer sont venus à Bor pour sauver M. Riek, les Dinka qui se trouvaient dans cette ville n'ont pas été touchés.
À Malakal, lorsque les Dinka de Baliet ont vu que les soldats de l'armée blanche s'avançaient sur eux, ils leur ont tiré dessus dans les bateaux. Voilà pourquoi il y a eu des représailles.
En gros, le MPLS de l'opposition n'a pas ciblé de civils. La raison pour laquelle les nombres de Dinka tués à Bor ou à Makalal sont moindres, c'est que ceux qui sont morts ont été atteints par des tirs croisés. C'est ce qui est arrivé à nombre de ceux qui se battaient avec les troupes de Kiir. Ils n'ont pas été tués intentionnellement. Je dirais qu'ils essaient simplement de faire passer le conflit pour une guerre tribale afin qu'on ne discute pas des vrais enjeux.
Cependant, je suis moi-même issue de la tribu Nuer. Je vous ai dit pendant mes remarques liminaires que j'avais perdu deux oncles dans ma propre maison. J'ai eu l'audace de prendre les moyens pour que leur sang versé transforme le pays.
Il est difficile de trouver des avantages à tout cela. Personnellement, je n'arrive pas à haïr les Dinka. Je refuse de les détester, mais je peux haïr le président qui a ordonné qu'une armée distincte soit entraînée à l'extérieur de l'APLS pour cibler ma propre communauté, y compris moi. Je pourrais être morte. Alors les Dinka ne sont pas le problème. Ils ne sont pas tous méchants. C'est plutôt le système mis en place par M. Kiir pour cibler les Nuer et diluer le problème qui est mauvais. C'est ce que je voulais préciser.
Merci.
Merci, madame Gai, monsieur Odwar, de votre présence.
J’ai eu le privilège de visiter le Soudan du Sud en janvier 2012 en compagnie de l’Association parlementaire Canada-Afrique. En fait, je crois que nous étions la première délégation parlementaire canadienne et l’une des premières délégations internationales à visiter le pays depuis son indépendance.
J’ai été frappé par ce qui manquait à Djouba — loin de moi l’idée de manquer de respect envers votre pays —, mais j’ai également été frappé par l’espoir qui animait les gens. Nous avons rencontré des représentants des médias, et nous nous sommes rendus à Wau et y avons rencontré des gens qui profitaient de certaines initiatives qui leur étaient offertes par l’entremise de l’ACDI, en particulier des organisations de femmes dans la région qui en profitaient pour créer des moyens de subvenir à leurs besoins.
Après avoir rencontré de nombreux parlementaires, nous étions grandement préoccupés, mais nous espérions que c’était le début d’un dialogue et d’une coopération sur le plan parlementaire entre le Canada et le Soudan du Sud. Je suis donc très déçu d’entendre ce qui se passe quelque trois ans plus tard.
Monsieur, vous avez notamment dit que le Canada peut jouer un rôle en vue d’aider le Soudan du Sud à comprendre ce qu’est la gouvernance, et j’aimerais que vous nous en disiez plus long sur le sujet en gardant à l’esprit le commentaire que voici. Lorsque nous nous sommes présentés, j’ai dit à l’époque que j’étais député de l’opposition officielle. On pouvait lire la surprise sur le visage des parlementaires sud-soudanais, et j’ai eu des discussions par la suite avec eux. On m’a demandé ce qu’est l’opposition officielle et ses fonctions. L’un des parlementaires m’a demandé de lui expliquer pourquoi je n’étais pas encore mort. Cela m’a vraiment ouvert les yeux.
Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de la manière dont le Canada pourrait aider votre pays en matière de gouvernance? Vous pourriez tous les deux nous parler de la manière dont nous pourrions aider votre pays à ce sujet.
En fait, lorsque vous êtes venu visiter le pays, je vous ai serré la main. Il y a eu un coquetel à l’ambassade. Nous nous sommes déjà rencontrés.
La gouvernance au Soudan du Sud est l’un des domaines qui nécessitent une transformation complète. Lorsque l’APLS est sortie de la brousse, elle a conservé la mentalité selon laquelle le commandant en chef est le premier et le dernier à décider ce qui doit être fait. Personne n’a l’occasion de participer.
Au sein du gouvernement, c’est toujours le président. Même lorsque nous débattons de questions au Parlement, on est soit du côté du président ou soit contre lui. On se fait demander si nous sommes contre eux ou avec eux. Tout tourne autour de la présidence. Nos institutions n’ont aucune importance. Il y a toujours une directive qui provient d’en haut. Le Parlement est devenu un mécanisme d’approbation automatique. Le pouvoir judiciaire ne peut pas rendre de jugements indépendants sans que la présidence s’en mêle.
Si le ministère des Finances doit approuver des crédits, le dernier mot au moment de faire le chèque proviendra du J1, soit le bureau du président.
Je crois que le Soudan du Sud peut tirer beaucoup de leçons du Canada, en particulier en matière de réformes institutionnelles. Je me souviens très bien de cet aspect en ce qui concerne une ONG canadienne. Ses représentants voulaient venir et d’abord faire l’examen du ministère des Mines et de l’Énergie. Quels sont les employés qualifiés? Quelles formations veulent-ils? Le gouvernement aurait pu le faire avec tous les fonds dont ils disposent, mais rien n’a été fait. Vous êtes mon neveu, et je vous nomme responsable de ce portefeuille, et la vie continue. Si vous vous plaignez, vous êtes contre eux.
Par exemple, au Parlement, nous votons à main levée. Le scrutin secret est tabou, parce que les autres ne pourraient pas voir ceux qui sont avec eux et ceux qui sont contre eux. Je me souviens d’une situation alors que j’étais membre d’un comité d’examen. Le président avait nommé un certain Telar. Tout le pays ne voulait pas de lui comme ministre de la Justice. On nous a intimidés en voulant nous forcer à voter à main levée, mais nous avons tenu notre bout. Nous avons dit qu’il fallait un scrutin secret pour faire approuver cette nomination. Le résultat était alors de 105 voix contre plus ou moins 90. Cependant, lorsque nous avons tenu un scrutin secret pour faire approuver cette nomination, ceux qui s’y opposaient ont gagné par 145 voix contre moins de 80. Il y a un certain pouvoir dans le scrutin secret.
Ce qui a déclenché le présent conflit au sein du parti, c’est que le président a refusé de faire élire par scrutin secret les membres du parti en poste. Il voulait un vote à main levée pour voir ceux qui étaient de son côté et ceux qui étaient contre lui. Si vous ne votez pas comme lui, vous êtes exclu du parti et vous vous retrouvez sans emploi. Qui plus est, au Soudan du Sud, c’est le gouvernement qui offre des emplois. Il y a de l’intimidation. Ce n’est pas le type de gouvernance que nous voulons dans notre pays.
En ce qui concerne le fédéralisme, bon nombre de gens veulent rester dans leur cour pour qu’il y ait une concurrence entre les États sur la manière d’assurer la gouvernance et la prestation des services aux citoyens.
Par contre, ce n’est pas ce que Djouba veut. Tout doit être centralisé. Environ 20 % de toutes les ressources que nous avons générées, soit plus de 20 milliards de dollars, sont dépensés au sein du gouvernement central. On ne sait pas à quoi sert cet argent. Je crois que le Soudan du Sud a beaucoup à apprendre du Canada. Je crois que, grâce à du soutien direct entre les institutions, aux ONG... Grâce aux ONG, beaucoup de Sud-Soudanais ont reçu de la formation, et je crois que ce serait utile que cela se poursuive.
Je ne sais pas si Sophia aimerait ajouter quelque chose.
Merci.
Merci beaucoup.
Le député a mentionné les aspirations des gens et l’espoir qu’il avait vu dans leurs yeux lors de notre indépendance en 2011. Pour être bien honnête, je dirais que les simples citoyens gardent espoir. Nous sommes plongés dans une guerre tragique qui nous a volés et qui a été imposée aux gens. Les Sud-Soudanais veulent avoir un meilleur pays. Ce désir d’avoir un meilleur Soudan du Sud a mené à notre indépendance du Nord, parce que les habitants du Nord ne nous laissaient pas, durant ces années, nous gouverner nous-mêmes.
Pour cette raison, bon nombre de Sud-Soudanais veulent un système fédéral. Pourquoi le faisons-nous? Cela faisait partie de la politique du MPLS en matière de développement des villages en vigueur avant la guerre et après l’indépendance. Les gens veulent vivre chez eux. Ils veulent une certaine croissance, ils veulent travailler d’arrache-pied et ils veulent voir croître ce qui est vraiment important dans leur vie.
Sur ce, je dirais que le gouvernement canadien peut nous aider quant au fédéralisme et à l’adoption d’un système de gouvernance efficace. Comment les ressources sont-elles distribuées dans un système fédéral? Donnons-nous au gouvernement national...? Le gouvernement national prend-il plutôt toutes les ressources pour ensuite les redistribuer aux États et aux comtés?
Je me souviens de ce dont M. Odwar vient de parler. Je me rappelle qu’un député avait présenté une motion en 2012 au Parlement. Cette motion concernait notre monnaie. Notre monnaie est très faible une journée, puis est très forte le lendemain. Cela influe sur les salaires des employés qui ne gagnent pas beaucoup, parce que le marché augmente en même temps que le cours de notre monnaie. Ce député a demandé au Parlement de convoquer le président de la banque centrale pour qu’il vienne expliquer l’instabilité de notre monnaie. C’était un enjeu important. Les groupes qui appuient la fluctuation, parce qu’ils ont des banques auxquelles vendre la monnaie... Certains la vendent dans les rues, comme M. Odwar vient de le mentionner. Les responsables ont compris qu’ils devront rendre des comptes à ce sujet, et vous ne devinerez pas ce qui s’est passé ensuite. Ils sont allés chez le député pour le menacer et lui faire retirer sa motion. Ils ont également tenté de lui offrir un pot-de-vin. Ils lui ont apporté de l’argent et lui ont dit que, si c’était une question d’argent, ils lui en donneraient, mais qu’il devait d’abord retirer la motion qu’il a présentée au Parlement. Le député a refusé. Plus tard, le frère aîné du député a malheureusement été tué pendant la guerre. Le député a été pris pour cible. Des gens l’ont appelé pour lui dire qu’ils s’en venaient, et il a disparu. Lorsqu’il s’est enfui, son frère est resté, et il a été tué.
Notre pays a besoin de beaucoup de réformes institutionnelles et de supervision. Notre pays a également besoin d’un coup de main pour se relever et adopter les normes internationales ou régionales. Par exemple, nous parlons d’aide humanitaire. Or, le budget national a approuvé 500 millions de dollars pour organiser des élections que le gouvernement a prévu de tenir en juin, sauf qu’on entend maintenant que les élections ont été annulées et que le mandat du président a été prolongé. Comment pouvons-nous parler d’élections et de tout cet argent, alors que nos citoyens sont confinés dans des camps dans la capitale et à l’extérieur? On voit que le gouvernement a un problème, et un pays stable comme le Canada peut en fait aider le Soudan du Sud à se relever pour qu’au moins nous ayons vraiment notre indépendance. Nous voyons le système de gouvernance qui peut faire progresser notre pays.
Merci.
Je remercie nos deux témoins de leur présence aujourd’hui. Vos témoignages ont été très utiles, et vous nous avez donné des réponses complètes.
Je dois maintenant conclure la séance, parce que nous avons grandement dépassé l’heure prévue. Merci aux deux témoins de leur présence.
Chers collègues, on se revoit jeudi.
La séance est levée.
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