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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 012 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 13 février 2014

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Français]

    Bonjour. En ce 13 février 2014, nous tenons la 12e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.

[Traduction]

    Nous poursuivons notre étude de la situation des droits de la personne au Sri Lanka.
    Aujourd'hui, notre témoin se joint à nous par vidéoconférence, en direct du Royaume-Uni. Il s'agit de M. Alan Keenan, analyste principal et directeur de projet du Sri Lanka au sein de l'International Crisis Group.
    La procédure habituelle consiste à réserver 10 minutes pour l’exposé, à la discrétion du témoin. Ensuite, les membres du comité posent des questions. De toute évidence, le temps accordé pour chaque question dépendra du temps qu’il nous reste.
    Les personnes qui doivent partir avant la fin sont priées de m'en informer.
    Monsieur Keenan, la parole est à vous.
    Merci beaucoup. Je vous remercie de me donner l’occasion de vous présenter mon point de vue et celui de l’International Crisis Group sur la situation au Sri Lanka.
    Je vais me concentrer sur la situation actuelle et sur la prochaine réunion du Conseil des droits de l’homme de l'ONU, qui aura lieu le mois prochain à Genève. Je vous dirai dans quelle mesure le gouvernement sri-lankais a respecté les demandes formulées par le conseil l’an dernier ainsi que la résolution sur la promotion de la réconciliation et de la responsabilisation au Sri Lanka.
    Malheureusement, la réponse est simple: le gouvernement du Sri Lanka n'a pas respecté la résolution du Conseil des droits de l’homme de l’ONU adoptée l'an dernier. Cela semble plus évident sur le plan de la responsabilité pour les crimes présumés à la fin de la guerre civile, mais il n'y a pas que cela.
    L’International Crisis Group demeure préoccupé du fait que l’absence de responsabilisation au sujet de la fin de la guerre civile, l'insuffisante délégation des pouvoirs, la militarisation continue au nord et à l’est et l’autoritarisme croissant sur le plan de la gouvernance dans l'ensemble du pays sont tous des facteurs qui accroissent le risque de conflits futurs. Étant donné l’incapacité du gouvernement sri-lankais de régler ces questions à l'échelle nationale, le Conseil des droits de l’homme et l'ensemble de la communauté internationale ont un rôle important à jouer.
    Le gouvernement du Sri Lanka prétend favoriser la réconciliation et la responsabilisation grâce à son plan d’action national pour la mise en oeuvre des recommandations de la Commission enseignements et réconciliation, ou CER. En fait, il a ignoré les recommandations fondamentales de la CER qui étaient axées sur le rétablissement de la primauté du droit et sur des vérifications indépendantes du pouvoir exécutif et du pouvoir militaire. Le gouvernement n'a pas tenu compte des recommandations de la CER ni des demandes du public sur le rétablissement de l’indépendance des principaux organismes de surveillance, comme les services de police, les commissions des droits de la personne et les commissions de la fonction publique, qui ont perdu leur autonomie en vertu du 18e amendement à la Constitution, en 2010.
    En janvier 2013, le gouvernement sri-lankais a aussi réduit à néant ce qui restait de l’indépendance de l'appareil judiciaire en raison de la mise en accusation du juge en chef, pour des motifs purement politiques. Une série de mesures arbitraires et de déclarations politiques par le nouveau juge en chef, l’ancien conseiller présidentiel Mohan Peiris, ont fragilisé davantage l'institution et réduit la confiance qui lui est accordée.
    De plus, le gouvernement n’a fait aucun progrès important pour ce qui est d'enquêter ou d'intenter des poursuites, et ce, même dans le cas des rares dossiers liés aux droits de la personne sur lesquels il prétend enquêter.
    Tout d’abord, il n'y a eu à ce jour aucune arrestation ou accusation concernant le massacre de 17 travailleurs humanitaires de l'organisme français Action contre la faim en 2006.
    Aucune accusation n'a été portée dans l’affaire du meurtre des cinq étudiants de Trincomalee. Douze policiers ont été arrêtés l’an dernier — la cause a été entendue en première instance —, mais ils sont en liberté sous caution.
    Le gouvernement refuse toujours de publier le rapport de 2009 d’une commission d’enquête précédente sur les dossiers d'Action contre la faim et des cinq étudiants de Trincomalee, malgré la recommandation de la CER en ce sens.
    Sous le gouvernement actuel, aucune poursuite n'a abouti et peu d'enquêtes sérieuses ont été entreprises relativement aux dizaines de meurtres et d’attaques violentes contre des journalistes.
    La commission nommée au milieu de 2013 pour enquêter sur les personnes disparues — que le gouvernement affirme être l'un des mécanismes par lequel il met en oeuvre des recommandations de la CER — a, en réalité, des délais trop longs et des pouvoirs trop limités pour être efficace.
    De plus, les rapports que nous recevons actuellement du nord du Sri Lanka indiquent que la commission ne fonctionne pas de façon juste et conforme à la procédure. Les rapports font état de la participation active des militaires aux travaux de la commission et d’autres conflits d’intérêts importants.
    En outre, le gouvernement a refusé de divulguer les rapports de deux précédentes commissions sur les disparitions créées par le président Rajapaksa; n'a pas mis en oeuvre les principales recommandations d’une demi-douzaine de commissions d’enquête sur les disparitions forcées et n’a pas accédé aux demandes répétées du Groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées ou involontaires de visiter le pays. La négation répétée du droit des familles des personnes disparues de se rendre à Colombo et de participer à une manifestation publique rend manifeste le manque d'intérêt du gouvernement à l'égard de la recherche de la vérité sur ces questions.
(1310)
    Enfin, le gouvernement n’a toujours pas présenté au Parlement son projet de loi sur la protection des témoins et des victimes, malgré les promesses répétées à cet égard, promesses qui, en général, étaient faites tout juste avant une réunion avec des représentants d'un organisme de l'ONU. Le gouvernement le promet depuis 2006, mais rien de concret n'a encore été fait.
    L'institutionnalisation de l’impunité est particulièrement évidente dans le cas des allégations crédibles de violations graves du droit humanitaire international et des droits de la personne à la fin de la guerre, en 2009. Le gouvernement n'a mené aucune enquête indépendante sur les crimes présumés qui auraient été commis par ses troupes ou par les TLET, y compris ceux pour lesquels il existe une forte preuve visuelle prima facie d'exécutions extrajudiciaires.
    Le rapport du tribunal militaire d’enquête, créé en 2012, qui, selon le gouvernement, a exonéré les forces militaires de toute responsabilité pour la mort de civils, n’a toujours pas été publié. Sa méthodologie demeure inconnue. Aucune information sur la deuxième commission d’enquête militaire, censée enquêter sur les allégations découlant des preuves rendues publiques dans les reportages de la chaîne no 4, n'est accessible au public. Aucun suspect n’a été nommé et personne n’a été détenu.
    La politisation de la police et l’impunité relativement à la violence progouvernementale a favorisé l'apparition de nouvelles formes de violence interethnique tout au long de 2013, jusqu'en 2014. Des groupes nationalistes-bouddhistes radicaux, comme le Bodu Bala Sena — Force bouddhiste — et Sinhala Ravaya — le rugissement du peuple cinghalais — continuent leurs violentes et régulières attaques contre les musulmans, les chrétiens et leurs lieux de culte. L’incapacité de la police d'empêcher les attaques — il y en a eu plus de 100 — ou d'arrêter les responsables tend à confirmer l'opinion largement répandue selon laquelle la violence est approuvée par le gouvernement.
    Malgré l’engagement souvent réitéré du gouvernement à l'égard de la mise en oeuvre complète du 13e amendement à la Constitution, le gouvernement refuse de permettre au conseil provincial du Nord nouvellement élu de mettre en place une administration efficace. Le gouverneur, un ancien général qui a été nommé par le président et qui est à sa solde, a bloqué les tentatives du conseil de nommer les principaux fonctionnaires et de créer les ministères nécessaires en vertu de ses pouvoirs constitutionnels. Le gouvernement n’a démontré aucune volonté de renoncer à son contrôle réel de l’administration civile dans le Nord.
    La demande du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies faite au gouvernement de « parvenir à un accord politique [...] sur la décentralisation du pouvoir au bénéfice des provinces » a également été minée par l’insistance du gouvernement Rajapaksa de résoudre les questions de décentralisation et de réforme de la Constitution seulement par l'intermédiaire du comité parlementaire spécial qu’il a nommé et qui est dominé par le gouvernement, malgré le rejet du processus par le parti principal, l'Alliance nationale tamile, et tous les autres partis d’opposition.
    Il n'y a eu aucune réduction apparente ou vérifiable du nombre de troupes stationnées dans le Nord et l’Est, ni de l'ingérence constante de l’armée dans les affaires civiles des deux provinces, malgré l'appel à la démilitarisation de la région lancé par le Conseil des droits de l’homme et la CEF.
    Le bilan sur cet ensemble de questions n'est pas très positif. Le refus du gouvernement de mener une enquête indépendante et crédible sur les crimes de guerre présumés pose particulièrement problème, surtout dans le contexte du démantèlement délibéré des institutions nationales chargées d'assurer la primauté du droit et l'élimination des autres formes de recours à l'échelle nationale. En conséquence, il incombe au Conseil des droits de l’homme de créer une commission d’enquête internationale.
     L’International Crisis Group estime que le Conseil des droits de l’homme devrait s’appuyer sur l’expérience positive des commissions internationales antérieures en veillant à ce que l’enquête comprenne les éléments clés suivants. Premièrement, enquêter sur toutes les violations présumées du droit international humanitaire et des droits de la personne commises entre septembre 2008 et mai 2009, tant par les forces gouvernementales sri-lankaises que par les combattants des Tigres de libération de l’Eelam tamoul, ou TLET. Deuxièmement, établir les faits et circonstances de ces violations et de ces présumés crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Troisièmement, identifier les responsables. Quatrièmement, assurer la protection des témoins, au besoin. Cinquièmement, préserver les preuves des crimes présumés. Sixièmement, détenir le pouvoir d'enquêter sur les conséquences toujours présentes des événements de 2008 et 2009, y compris sur les allégations de mauvais traitements envers les détenus, les disparitions forcées, la violence sexuelle et la poursuite d'une importante militarisation du Nord et de l’Est, qui semble en grande partie viser la destruction des preuves et l'intimidation des témoins potentiels. Enfin, il faut demander au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme de fournir le soutien administratif, technique et logistique nécessaire pour que la commission puisse s’acquitter de son mandat.
(1315)
    Bien qu'il soit probable que la commission se voie refuser l’entrée au Sri Lanka, elle devrait être en mesure de recueillir et de vérifier, selon des normes élevées, un grand nombre de preuves qui s'ajouteraient à celles recueillies en 2010 et 2011 par le groupe d'experts sur la responsabilité nommé par le Secrétaire général de l'ONU. On continue de trouver des preuves crédibles et importantes, à la pièce, mais il serait possible d'en trouver davantage si les témoins pouvaient compter sur une enquête de l’ONU visant à recueillir et protéger les éléments de preuve et disposant des ressources nécessaires pour le faire.
    En terminant, permettez-moi de vous expliquer pourquoi nous pensons qu’une enquête internationale est essentielle pour souligner le caractère inacceptable des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, pour demander aux responsables de rendre des comptes et pour offrir d’autres avantages politiques pour la santé à long terme du Sri Lanka.
    Premièrement, elle remettrait en cause l’impunité institutionnalisée du Sri Lanka, ce qui est une étape nécessaire pour la stabilité démocratique à long terme.
     Deuxièmement, elle permettrait d’obtenir un portrait plus complet de l’ampleur de la souffrance des civils, un témoignage obtenu dans un mandat intergouvernemental qui serait par conséquent moins facile à réfuter pour le gouvernement sri-lankais et ses partisans.
    Troisièmement, elle fournirait des preuves des violations commises par les TLET sous une forme qui rendrait les faits plus difficiles à nier pour les Tamouls et les organisations tamoules, ce qui nuirait à la perpétuation de l'idéalisation des TLET.
     Quatrièmement, elle montrerait aux victimes de crimes de guerre qu'ils n’ont pas été abandonnés par la communauté internationale et contrecarrerait les demandes de plus en plus pressantes de certaines organisations de la diaspora tamoule pour l'adoption de mesures plus radicales.
     Cinquièmement, elle permettrait de sauvegarder et de rétablir la crédibilité du droit humanitaire international et des droits de la personne, qui a été gravement endommagée. Elle préserverait aussi la crédibilité du Conseil des droits de l’homme de l'ONU par rapport au refus du gouvernement sri-lankais de se soumettre à ses résolutions antérieures.
     Enfin, elle permettrait de pallier en partie les lacunes du système des Nations Unies — décrites comme un échec systémique en 2008 et 2009 — après l’examen interne du Secrétaire général sur les actions des Nations Unies au Sri Lanka.
    En fin de compte, il reste encore beaucoup à faire, bien sûr. Une commission d’enquête internationale ne permettra pas de résoudre tous les problèmes du Sri Lanka. Dans l'île, la crise liée à la reddition de comptes et à la gouvernance démocratique est beaucoup trop profonde et trop complexe pour être résolue rapidement.
    Je serais heureux de discuter avec vous des autres mesures que pourraient prendre le Parlement du Canada et ses partenaires internationaux pour favoriser une paix durable au Sri Lanka.
    Merci beaucoup.
(1320)
    Merci beaucoup.
    Il nous reste assez de temps pour accorder six minutes pour les questions des députés.
    Monsieur Sweet, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Keenan, merci beaucoup de votre témoignage. Il est formidable de pouvoir compter sur quelqu'un qui a une feuille de route aussi bien remplie que vous et qui a été très présent sur le terrain au Sri Lanka.
    Voilà pourquoi la première question est la suivante. Vous avez mentionné l'appui croissant du public à l'égard des recommandations de la CEF, et des témoins nous ont dit que la population du Sri Lanka aimerait que l'on fasse quelque chose pour examiner les présumées violations des droits de la personne. Or, il y a eu tant d’années de guerre; les Sri-Lankais sont simplement reconnaissants de la paix qui existe en ce moment et cela ne fait plus vraiment partie des préoccupations du public. Y a-t-il un changement à cet égard actuellement?
    Je pense que cela dépend des enjeux dont il est question.
    À l'instar d'analystes que je respecte, je remarque un malaise croissant chez de nombreux Cinghalais quant à l'orientation que prend le gouvernement actuel sur une série de questions comme la primauté du droit, les abus de pouvoir des policiers, la corruption, la mauvaise gestion de l'économie, le coût élevé de la vie, etc. Il existe un malaise croissant à l'égard du gouvernement, qui était auparavant largement appuyé par la majorité cinghalaise.
    Je pense que la communauté tamoule est insatisfaite de ce gouvernement depuis longtemps, et cela s'applique aussi à la population musulmane, surtout après la série d'attaques de ces dernières années contre des mosquées et des entreprises détenues par des musulmans. Toutefois, je pense qu'il y a un mécontentement croissant parmi les Cinghalais.
    Toutefois, pour ce qui est de la CEF, il faut savoir que ses recommandations n'ont pas fait l'objet d'une grande diffusion. Tandis que le gouvernement se présente à Genève avec son plan d’action national joliment ficelé en décrivant toutes les mesures qu'il a prises, la réalité c'est qu'au Sri Lanka, on parle très peu de la CEF et de ses recommandations. En fait, il a fallu plus d’un an pour qu’elle soit traduite en cingalais et en tamoul et elle n’est pas encore diffusée à grande échelle.
    Je pense que les recommandations de la commission seraient très bien accueillies par les gens, y compris les Cinghalais, si elles étaient connues. Or, elles ne le sont pas. Il y a beaucoup de mécontentement, mais il n’est pas clair que cela se rapporte à la CEF.
    Mon dernier point, c’est qu’il n’y a malheureusement pas de réelle opposition politique au gouvernement. Les divers partis d’opposition sont désunis, désorganisés et incapables de défier le régime avec efficacité, malgré le mécontentement croissant du public.
    Nous avons entendu beaucoup de témoignages concernant le Sri Lanka, mais vous avez éloquemment énuméré les nombreux problèmes liés au gouvernement Rajapaksa: militarisation, autoritarisme, échec de la décentralisation dans le Nord, absence d’enquête sur les violations des droits de la personne. Vous en avez très bien dressé la liste. Je ne les répéterai pas tous.
    Par contre, vous n’avez pas mentionné ce qui semble être une guerre sans merci contre les médias. J’ai remarqué que les diplomates du pays en poste à l'étranger utilisent même les médias sociaux pour attaquer tous ceux qui osent parler d'aspects liés à de possibles violations des droits de la personne. À mon sens, à la lumière de votre témoignage et de toutes mes observations, il semble que le régime se dirige résolument vers la tyrannie totale.
(1325)
    Je ne la qualifierais pas nécessairement de tyrannie totale, mais il y a manifestement une concentration accrue du pouvoir, comme ce fut le cas pendant les dernières années de la guerre. Je pense qu’à ce moment-là, cela visait en partie à contrôler étroitement l'appareil d'État de façon à prendre toutes les mesures possibles pour vaincre les TLET, y compris ce que nous croyons être de nombreuses violations du droit humanitaire international: disparitions, meurtres, etc.
    Cependant, la machine utilisée pour gagner la guerre — un pouvoir très centralisé et fortement militarisé — a été maintenue et radicalisée, à mon avis. Elle a notamment ciblé les journalistes. Donc, dans ma longue liste, j'ai mentionné l'impunité continue pour les auteurs de dizaines d’agressions de journalistes, dont de nombreux meurtres. On observe une autocensure largement répandue dans presque tous les médias.
    Cela dit, il y a encore une certaine résistance. Dans certains contextes, il est encore possible de s'exprimer. Les syndicats organisent régulièrement des grèves et les professeurs d’université ont exprimé leur point de vue lors d'une importante grève, il y a un an. Donc, il existe encore des voix. Ce n’est pas la tyrannie complète, à mon avis. Habituellement, les Sri-Lankais sont très actifs sur le plan politique et ne se gênent pas pour critiquer le gouvernement. Donc, je pense que la forte concentration du pouvoir du gouvernement Rajapaksa est l’une des choses les plus surprenantes. Il s'agit d'une anomalie dans l'histoire du Sri Lanka. Il est à espérer que l'équilibre se rétablira et que d’autres voix se feront entendre de façon efficace.
    Les membres du Commonwealth ont pris certaines mesures, et le premier ministre aussi, bien sûr, en ne participant pas à la dernière réunion. Croyez-vous que les pays du Commonwealth peuvent user de leur influence pour presser le gouvernement sri-lankais à mettre en oeuvre ses propres recommandations de la CEF de façon légitime et à régler ces questions liées aux droits de la personne?
    Pour être honnête, il n'est plus temps pour le Commonwealth d’agir et d’être en quelque sorte un mécanisme de surveillance ou de pression qui inciterait le gouvernement du Sri Lanka à améliorer son comportement en matière des droits de la personne. C'est le rôle qu'il devait jouer avant ou pendant la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth. Malheureusement, très peu de gouvernements ont suivi l’exemple du Canada. C'est le cas de la République de Maurice. En Inde, le premier ministre indien s'est abstenu d'y assister. Il y a eu d'autres critiques; le premier ministre britannique s’est également rendu au Sri Lanka, mais a été très actif et a vivement critiqué le gouvernement du Sri Lanka sur la question des droits de la personne. Toutefois, je pense que le Commonwealth n’est pas le mécanisme qui permettra d'être efficace, dans le cas présent.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à Mme Sitsabaiesan.
    Monsieur Keenan, merci de témoigner.
    Reprenons là où M. Sweet s'est arrêté, à savoir que le Commonwealth n'est pas la tribune indiquée nous permettant de prendre des mesures. Nous savons tous qu'à Genève, en mars, l'UNHCR et le Conseil de sécurité se réuniront. Qu'est-ce que le Canada devrait faire en prévision de la réunion de l'UNHCR et pendant la réunion du Conseil des droits de l'homme?
    Quel devrait être le rôle du Canada?
    Mon récent voyage à Genève me porte à croire que le Canada fait ce qu'il doit faire, c'est-à-dire travailler en étroite collaboration avec d'autres gouvernements pour appuyer ce qui sera certainement une résolution de suivi parrainée et présentée officiellement par le gouvernement américain, une résolution qui exigera probablement des mesures encore plus fortes que celles proposées dans les deux résolutions antérieures. Je pense que le Canada appuie activement les États-Unis et cherche à avoir l'appui d'autres pays pour obtenir une majorité au conseil, une majorité forte qui renforcerait la résolution.
    D'après ce que nous avons entendu, la résolution des États-Unis exigera la tenue d'une enquête indépendante. Y a-t-il autre chose qui renforcerait la résolution? Devrions-nous envisager la tenue d'une enquête indépendante sur les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité qui ont eu lieu pendant la dernière phase de la guerre? Devrions-nous aller au-delà de cela ou devrions-nous examiner ce qui se produit encore sur l’île? Quel devrait être l'élément principal de cette résolution, à votre avis?
(1330)
    À l'heure actuelle, l'une des grandes questions est de savoir quel genre d’enquête sera exigé. La portée, les pouvoirs et les ressources varient d'une commission à l'autre. Ce que nous demandons, c’est une commission d'enquête classique à grande échelle qui aurait le pouvoir de se pencher sur... J’ai énuméré quelques-uns des éléments essentiels pendant mon exposé. Cependant, la commission devra impérativement se pencher sur la période horrible de septembre 2008 à septembre 2009. Elle devra avoir la capacité de protéger les témoins. Elle devra avoir les ressources pour se déplacer, car elle ne pourra entrer au Sri Lanka parce que le gouvernement sri-lankais a clairement indiqué qu’il n'autoriserait pas un tel organisme à entrer au pays.
    Or, nous préférerions cette solution à l'autre solution qui est discutée, soit de mandater simplement le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme de mener sa propre enquête. Ce serait mieux que rien et ce serait un pas en avant, mais ce ne serait pas un progrès aussi convaincant. Nous croyons que la forme et l’ampleur des crimes commis à la fin de la guerre civile au Sri Lanka sont comparables à ce qui a eu lieu dans beaucoup d’autres endroits pour lesquels on a instauré des commissions d’enquête.
    Avant la Syrie, il s'agissait probablement des pires atrocités de ce siècle. Certes, le siècle débute à peine, mais il n'en demeure pas moins que ce sont des crimes très graves. Ils doivent être traités comme les autres malgré le fait que près de cinq ans se sont écoulés depuis les événements.
    Merci.
    Nous savons que le Tribunal permanent des peuples a récemment tenu des audiences et qu'il a conclu que le génocide a eu lieu et se poursuit dans l’île. Cela se fait notamment par la saisie des terres. J’ai su par Twitter que vous êtes au courant que je suis allée récemment au Sri Lanka. J’ai rencontré certains membres de ma famille qui n’ont pas accès à leurs terres parce qu'elles sont maintenant dans la zone militarisée. Leurs terres ont été saisies. Pourriez-vous parler davantage des saisies de terres qui ont eu lieu et qui se poursuivent? Jusqu'où ira ce gouvernement dans la « cinghalisation », si vous me permettez ce terme, ou la réinstallation de Cinghalais dans les territoires traditionnels tamouls?
    C'est une importante question. Il est impossible de connaître la superficie exacte des territoires saisis par l’armée, d’autres entités de l’État ou des entreprises liées sur le plan politique. Eh bien, ce n’est pas impossible, mais nous ne le savons pas. Toutefois, c’est considérable. On parle de dizaines de milliers de personnes déplacées. Est-ce 25, 30, 80 ou 90? C'est difficile à dire, en partie parce que le gouvernement complique grandement l’accès aux informations en ne permettant pas à l’ONU de procéder au recensement complet des personnes déplacées comme c’était le cas auparavant, par exemple.
    Je pense cependant que beaucoup de terres ont été saisies, c'est certain. Il est important de préciser, aux fins du compte rendu, que certaines terres ont été restituées. Ainsi, le gouvernement a cédé des terres qu’il avait précédemment utilisées ou réclamées pendant la guerre, généralement sans indemnisation. Or, beaucoup d'autres terres n'ont pas encore été rendues et beaucoup de terres ont été saisies depuis.
    À mon avis, il existe beaucoup de raisons de croire que cela fait partie d’une stratégie plus générale de refus qui vise à modifier lentement l’identité ethnique et culturelle du Nord. C'est extrêmement préoccupant, tant sur le plan de la justice que sur le plan de la prévention des conflits, qui est le mandat de l’International Crisis Group.
    Bien que le gouvernement n'ait pas signifié officiellement qu'il vise à modifier la démographie ou la composition culturelle du Nord, je pense qu’il y a suffisamment d’indices montrant que les premiers jalons pour y arriver sont en place, soit l’infrastructure et les politiques. Je voudrais simplement citer les propos tenus par le secrétaire du ministère de la Défense, Gotabaya Rajapaksa, le frère du président, lors d’une entrevue très inquiétante qu'il a accordée en juillet dernier et qui n'a pas été très médiatisée. Au cours de l'entrevue, il a déclaré qu’il n’était pas naturel que la province du Nord soit une province à majorité tamoule et que si on n'avait pas interrompu le cours naturel des choses, la province serait majoritairement cinghalaise, comme le reste du pays.
    Il ne dit pas explicitement que c’est ce qu'il préconisera. De toute évidence, sa déclaration vient appuyer l'hypothèse selon laquelle on vise la « cinghalisation » du Nord et, en fin de compte, un changement démographique permanent.
(1335)
    Il ne reste malheureusement pas assez de temps pour une autre question. Si nous en avons le temps, j'essaierai de vous redonner la parole.
     Madame Grewal, la parole est à vous.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais aussi remercier M. Keenan de s'être joint à nous aujourd'hui pour nous mettre à jour sur la situation actuelle des droits de la personne au Sri Lanka.
    Après la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth en novembre 2013, vous avez fait valoir que l’Inde et l’Afrique du Sud sont deux pays qui « devraient paver la voie à la création d'une coalition internationale forte afin d'amener le gouvernement Rajapaksa à abandonner ses politiques les plus dangereuses. »
    Donc, à votre avis, comment l’Afrique du Sud et d’autres États membres peuvent-ils établir des mécanismes internationaux pour enquêter sur les présumées violations du droit international commises par les deux parties au cours de la guerre civile?
    Par rapport à la dernière question, je pense que la tribune appropriée, c’est à l’occasion de la réunion du Conseil des droits de l’homme, le mois prochain. L’Afrique du Sud et l’Inde sont des membres importants du conseil. L’Afrique du Sud a été réélue au conseil cette année. Elle n’en faisait pas partie lorsque les résolutions précédentes sur le Sri Lanka ont été adoptées. L’Inde y siégeait et elle a appuyé les deux précédentes résolutions parrainées par les États-Unis, ce qui était un changement important étant donné que l’Inde, à l’instar de beaucoup d’autres pays qui font partie du Mouvement des non-alignés, s'est toujours opposée à ce qu’on appelle les « résolutions visant nommément certains pays » proposées par le conseil.
    L’appui de l’Inde était donc très important. Je pense que cela témoignait de l’importance de la préoccupation, de la tristesse et de la déception du gouvernement indien à l’égard de l’évolution de la situation au Sri Lanka. À titre d’exemple, mentionnons les promesses non tenues des hauts fonctionnaires du gouvernement sri-lankais à l’égard de leurs homologues indiens.
    Nous espérons que l’Inde appuiera aussi la résolution qui sera présentée à la prochaine réunion. Nous voudrons aussi voir ce que fera l’Afrique du Sud, qui participe aussi à une initiative discrète visant à réunir l’Alliance nationale tamoule et le gouvernement, et peut-être aussi quelques groupes de la diaspora tamoule, afin de travailler à la réconciliation à long terme. Bien que ce soit une initiative qui pourrait être utile à long terme, la coopération du gouvernement sri-lankais est nécessaire, ce qui n’est pas acquis, malheureusement. C’est, je crois, la tangente que semble prendre l’Afrique du Sud.
    Nous aimerions que cette initiative ne les empêche pas d’appuyer les mesures nécessaires en matière de responsabilisation, en particulier une commission d’enquête internationale. Nous pensons que les deux vont de pair et nous espérons que l’Afrique du Sud verra aussi les choses dans cette optique.
    L'Alliance nationale tamoule a remporté une victoire écrasante lors de l’élection du Conseil provincial du Nord, en septembre. Or, l'administration du président Rajapaksa se montre plutôt réticente à autoriser le transfert de pouvoirs. Peut-on prendre des mesures au Sri Lanka afin de favoriser la mise en oeuvre du transfert?
    Malheureusement, c’est du gouvernement que relève surtout la mise en oeuvre des mesures qui doivent être prises au Sri Lanka. Comme vous l’avez souligné — et que je pense que beaucoup commencent à l’accepter —, le gouvernement ne semble pas disposé à profiter de l’ouverture créée par l’élection du conseil provincial.
    Je pense que ce qui est tout à fait frappant, c’est non seulement la volonté de l’Alliance nationale tamoule et de M. Vigneswaran, le ministre en chef nouvellement élu, de travailler dans le cadre des pouvoirs très restreints et limités accordés en vertu du 13e amendement, mais aussi la volonté d’essayer de travailler dans un esprit de compromis. De façon générale, cet esprit de compromis n’a pas été réciproque, même si le gouvernement laissait parfois entrevoir cette possibilité.
     Pour le gouvernement canadien, il pourrait être intéressant de chercher à savoir quel rôle les banques de développement et l’ONU pourraient jouer dans le Nord pour aider le Conseil provincial du Nord et pour faire connaître publiquement et en privé son intérêt et son désir de travailler en étroite collaboration avec le conseil.
    Si des signaux forts émanaient de l’ONU, y compris du Programme des Nations Unies pour le développement, dont le chef régional est en visite au Sri Lanka en ce moment même, mais aussi de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement, deux organismes auxquels le Canada donne beaucoup d’argent chaque année et qui font un travail considérable de développement dans le Nord... Idéalement, ce travail se ferait en étroite collaboration avec le conseil nouvellement élu. Pour cela, le gouvernement central doit donner son accord. Les responsables de la Banque mondiale et les chefs des divers organismes des Nations Unies devraient se tourner régulièrement vers le gouvernement de Colombo et lui dire: « Nous voulons travailler avec ce conseil. Nous voulons appuyer la décentralisation. C’est ce que demande l’ONU. C’est ce que vous dites vouloir faire. Laissez-nous vous aider et aider le conseil. »
    Voilà ce que devrait demander le Canada dans son rôle en tant que membre adhérent de tous ces organismes et toutes ces institutions.
(1340)
    Qu'elle ait lieu au pays ou à l'étranger, la violence contre les femmes et la sécurité des femmes sont des questions très importantes pour moi. Au Sri Lanka, le gouvernement a principalement rejeté les problèmes de sécurité des femmes. Nous savons qu’il y a eu des accusations de violence sexuelle faite aux femmes tamoules par l’armée. Pouvez-vous nous parler des autres difficultés que doivent surmonter les femmes au Sri Lanka?
    Oui. C’est une question sérieuse. C’est aussi une question à laquelle il est difficile de répondre de façon très détaillée étant donné la forte militarisation de la province du Nord, en particulier.
    L’International Crisis Group a publié il y a un peu plus de deux ans un rapport intitulé Sri Lanka: Women's Insecurity in the North and East, qui décrit en détail les aspects fondamentaux de la situation, les facteurs qui ont contribué à insécuriser les femmes, tant sur le plan économique que social, mais aussi par rapport à la violence sexuelle. Ces mêmes facteurs, qui ont un grand rôle... Ce que je veux dire, c’est que le facteur fondamental, c’est la forte militarisation jumelée à l’absence totale de recours fiables, c'est-à-dire l'absence d’institutions fiables vers lesquelles une victime de violence sexuelle peut se tourner pour porter plainte, comme un service de police ou un organisme judiciaire juste et équitable, ce qui favorise le maintien de cette situation.
    Il y a de plus en plus de rapports, qui n’ont pas encore été pleinement vérifiés, mais il ne fait aucun doute, selon les rapports que je reçois de femmes militantes, d’autres organismes actifs dans le nord et d’autres personnes qui interviewent les femmes tamoules qui ont quitté le Sri Lanka et qui demandent maintenant l’asile dans divers pays, que la violence sexuelle faite aux femmes tamoules est très grave. Il est très difficile de vous donner des chiffres exacts ou de vous donner une idée des tendances, mais il y a beaucoup de preuves qui nous portent à croire qu’il s’agit d’un problème très grave.
    Merci.
    Monsieur Hsu.
    Merci, monsieur le président.
    Premièrement, je tiens à m'excuser de déroger à la procédure habituelle, mais je voulais présenter une motion de M. Cotler, puis demander le consentement unanime pour reporter toute discussion sur la motion à la fin de la réunion. La motion est la suivante, datée du 4 février 2014:
QUE le sous-comité invite le Conseiller spécial des Nations Unies pour la prévention du génocide, M. Adama Dieng, à témoigner devant lui le 25 février 2014 au sujet de la responsabilité des Nations Unies et de la communauté internationale de faire de la sensibilisation contre les atrocités de masse et de prendre les mesures nécessaires pour les combattre.
    Voilà la motion que je présente, mais je demande le consentement unanime pour reporter toute discussion à la fin de la réunion.
    Mettons la question aux voix de cette façon: premièrement, y a-t-il consentement unanime pour adopter la motion sans discussion?
    Si ce n'est pas le cas, je propose de faire ce que propose M. Hsu. Sans tarder, je vous demande si...
(1345)
    Nous devons en discuter.
    Nous devons en discuter. Très bien. Nous reportons donc cette discussion à la fin de la réunion.
    Monsieur Hsu, vous avez le temps de poser des questions au témoin.
    Monsieur le président, merci d'avoir entendu ce point. Je m'excuse encore une fois.
    Monsieur Keenan, vous avez parlé de cet appel à une enquête internationale.
    Ma première question, qui mène à la seconde, concerne l'absence du premier ministre Harper à la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth. Quel a été l'effet de cette décision au Sri Lanka?
    Je me demande si nous avons perdu la communication.
    Monsieur Keenan, avez-vous entendu la question de M. Hsu?
    Oui. En réalité, il y a eu deux réunions des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth.
    Il y a eu la réunion telle qu’elle a été représentée dans les médias internationaux et le reste du monde, pour laquelle, à mon avis, la décision du premier ministre du Canada de ne pas participer a pavé la voie à une critique plus générale de la situation des droits de la personne au Sri Lanka. Je pense que c'était une prise de position valable en raison de l'effet qu'elle a produit. Elle a accru la sensibilisation sur cet enjeu. Je crois que cela a notamment permis au premier ministre Cameron d’y assister, et il a tenu des propos très musclés à ce moment-là.
    Au Sri Lanka, en revanche, surtout en raison du contrôle qu’exerce le gouvernement sur les médias, la plupart des Sri-Lankais, en particulier les locuteurs cinghalais, dont la seule source de nouvelles est presque entièrement contrôlée par le gouvernement — directement ou indirectement —, s'ils étaient au courant de l’absence du premier ministre du Canada, cela leur a été présenté comme sans importance, un exemple de l'ingérence occidentale et une sorte d'hypocrisie occidentale, etc. On a considéré cela comme injuste ou sans importance, ce qui n'a probablement pas eu beaucoup d'effet sur l’opinion des Sri Lankais, ou au moins des Cinghalais, sur la nature de la réunion du Commonwealth et sur son succès ou son échec.
    Merci.
    À la lumière des preuves d'une concentration accrue du pouvoir au sein de l'exécutif et de ce que l’on pourrait appeler — je crois même que vous avez utilisé ces termes exacts — une culture d'impunité au sujet des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis dans les phases finales de la guerre civile et aussi après, que peut-on faire, à l’exception d’une enquête internationale?
    Y a-t-il des choses que nous pouvons faire pour lutter contre la culture d'impunité?
    C'est une question directe et extrêmement importante, mais il n'y a pas de réponse simple.
    Un des aspects, à mon avis — et je pense que cela a commencé autour de la réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth —, c'est que les autres gouvernements ont cessé d'accorder le bénéfice du doute au gouvernement Rajapaksa. Il faut cesser de le traiter comme un gouvernement qui n'est pas exactement ce que l’on souhaite, mais qui est peut-être sur la bonne voie ou qui fait son possible tout en étant confronté à de nombreux problèmes difficiles, comme bien d’autres gouvernements. Je pense que cela commence à être plus évident, grâce à des déclarations très claires sur la nature du gouvernement sri-lankais et sur la nécessité du changement, grâce au soutien accordé à toutes les communautés sri-lankaises et aux membres de toutes les communautés qui tentent de résister et de créer un avenir plus démocratique.
    Bien que la question des événements de la fin de la guerre et de la nécessité d'une enquête internationale soit essentielle, je pense qu'il est important de ne pas considérer uniquement le problème du Sri Lanka comme un problème ponctuel qui est survenu à la fin de la guerre ou comme l’absence de droits démocratiques pour les Tamouls. Il y a également eu une grave détérioration des droits démocratiques des musulmans et des Cinghalais et ces questions doivent aussi être réglées. Je pense que si l’on souhaite un jour régler la question fondamentale qui est au coeur de la guerre civile, le partage du pouvoir entre les Cinghalais et les Tamouls, il faut à cette fin mettre en place des institutions démocratiques et libérales efficaces qui fonctionnent bien. Il faudrait les reconstruire, même avec un gouvernement prêt à aborder la question ethnique.
    Que peut-on faire? Fondamentalement, je pense que cela signifie que la question doit être mise à l’avant-plan sur la scène internationale, mais qu’il faut aussi avoir recours à toutes les institutions internationales. J’en ai mentionné quelques-unes dans ma réponse à la question précédente de votre collègue. Tous les organismes des Nations Unies ont des responsabilités.
    À cet égard, je crois qu’il est important pour le Canada d’exiger la mise en oeuvre complète du nouveau plan d’action « Les droits avant tout » du Secrétaire général de l'ONU, qui fait suite au rapport de son examen interne des actions de l'ONU au Sri Lanka et qui conclut, comme je l'ai indiqué, à un échec systémique de l'ONU. En réponse à cela, il a mis en place une nouvelle politique, « Les droits avant tout ». Malheureusement, rien n’indique que tous les organismes des Nations Unies la mettent en application au Sri Lanka. Je pense que c'est une chose sur laquelle le Canada pourrait insister.
(1350)
    Merci.
    Monsieur Schellenberger, la parole est à vous.
    Vous avez six minutes.
    Monsieur Keenan, je vous remercie de votre exposé.
    Je suis relativement nouveau au comité, mais une chose que j'ai remarquée dans de nombreuses régions en difficulté c’est que la primauté du droit... Il me semble qu’au Sri Lanka, la primauté du droit est appliquée par l'armée. Je ne crois pas que l’application de la primauté du droit par une organisation militaire soit le moyen idéal pour favoriser la réconciliation dans un pays qui a été en conflit. Pour moi, la seule façon de régler le problème au Sri Lanka est de mettre fin aux tergiversations et de prendre des mesures plus draconiennes. Nous devons commencer à nous montrer d’intransigeants envers ces gens.
    Un de mes collègues est très critique de l'ONU et de son efficacité à bien des égards. Depuis que je siège au comité, il y a eu tant de choses pour lesquelles le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme... Comme vous le savez, les rapporteurs effectuent des visites dans divers pays qui leur permettent d’entrer. Le rapporteur est-il autorisé à se rendre au Sri Lanka pour rendre compte de la situation des droits de la personne? L’ONU souhaite-t-elle encore la tenue de ce genre d’études?
    Il y a plusieurs rapporteurs des Nations Unies, une dizaine, je crois, et ils se penchent sur divers aspects. Le gouvernement sri-lankais a autorisé en août dernier la visite de la Haut-Commissaire aux droits de l'homme. Par la suite, en septembre, elle a présenté un compte-rendu verbal au Conseil des droits de l'homme. Elle a vivement critiqué la situation qu’elle a observée lors de sa visite. Elle a notamment mentionné le harcèlement dont les témoins et les personnes qui lui avaient parlé ont fait l’objet de la part des militaires et de la police. Cela s’est produit alors qu’elle était toujours au pays, ce qu’elle a trouvé tout à fait choquant. Elle a parlé de « tendances autoritaires croissantes » pour décrire la direction prise par le gouvernement.
    Je crois que le gouvernement lui a permis d’entrer au pays pour pouvoir dire qu’il a collaboré avec le Haut-Commissariat. Or, ce qu’il importe de savoir, c’est que beaucoup d'autres rapporteurs spéciaux — surtout ceux chargés de se pencher sur les exécutions extrajudiciaires, la torture, la justice transitionnelle — et le Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées ou involontaires ont demandé à entrer au pays. Beaucoup d'entre eux le demandent littéralement depuis des années et le gouvernement sri-lankais refuse. Ils ne peuvent malheureusement pas se rendre au Sri Lanka sans y être invités par le gouvernement.
    Je conviens que le système international n'a pas tous les outils dont il a véritablement besoin, malheureusement. Et même lorsqu’ils existent, il faut souvent beaucoup de temps pour mettre la machine en marche.
    Lorsqu’ils y sont, on les conduit probablement là où le gouvernement veut qu’ils aillent.
    Encore une fois, le Sri Lanka s’est-il transformé en pays sous emprise familiale? Vous avez mentionné que son frère est à la tête de l'armée, qu’il y a des oncles et ce genre de chose. La famille a-t-elle pris le contrôle?
(1355)
    Pas entièrement, mais c'est certainement une préoccupation. Un des frères est secrétaire au ministre de la Défense; dans les faits, il est à la tête des militaires. Un autre est le ministre du Développement économique. Un troisième frère est le président du Parlement et joue un rôle très important dans la procédure parlementaire et dans le contrôle du programme politique. Parmi les cousins, il y a des ambassadeurs, des chefs de ministères, des conseillers provinciaux, des ministres en chef. La liste est plutôt longue, et c'est sans précédent dans l'histoire du Sri Lanka. C'est extrêmement préoccupant.
    La famille ne contrôle pas encore la totalité du gouvernement. Le mécontentement est croissant, même au sein du gouvernement et au sein du parti au pouvoir, le Parti de la liberté du Sri Lanka, sur le fait que seuls les membres de la famille Rajapaksa détiennent un véritable pouvoir au gouvernement. Je pense que cela pourrait créer des problèmes, au bout du compte.
    À mon avis, la militarisation d'une partie du nord et de l'est du Sri Lanka représente un premier obstacle aux efforts visant à mettre fin au grand nombre de violations des droits de la personne, qu'il s'agisse de racisme, de violence sexuelle ou autre.
    Que pouvons-nous faire pour encourager le gouvernement sri-lankais à démilitariser la région? Et compte tenu du fait que les Nations Unies sont au courant des atrocités commises au Sri Lanka, pourquoi n'y a-t-il pas eu d'effort concerté pour mettre sur pied une mission de maintien de la paix visant à affaiblir l'armée sri-lankaise?
    Pour répondre à la dernière question, l'ONU est un organisme compliqué qui comprend différentes entités. La plus puissante est le Conseil de sécurité, au sein duquel cinq pays ont un droit de veto. Parmi ceux-ci se trouvent la Russie et la Chine, qui, depuis un certain temps, donnent toutes les deux un appui considérable au gouvernement sri-lankais. On ne peut donc rien faire au Conseil de sécurité, certainement pas mettre sur pied une force de maintien de la paix ou prévoir une intervention de la sorte. De toute façon, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure solution.
    Par exemple, pour ce qui est de maintenir la paix, il faut comprendre que les troupes sri-lankaises servent parfois de Casques bleus dans un certain nombre de pays. Cela procure des revenus considérables et une certaine légitimité à l'armée sri-lankaise. Certaines troupes sont peut-être honorables et respectueuses des lois, mais l'institution dans son ensemble a refusé d'assumer la moindre responsabilité par rapport à ce qui semble être des allégations crédibles de crimes de guerre. L'armée elle-même refuse de mener des enquêtes sérieuses, ou de laisser le soin à d'autres de le faire. Il faudrait en tenir compte lorsque les Nations Unies songent à employer des troupes sri-lankaises. Je pense que cela mérite un examen et un questionnement plus approfondis.
    Est-ce qu'il me reste plus de temps?
    Je suis désolé, mais votre temps est écoulé.
    Merci beaucoup, monsieur Keenan.
    Monsieur Benskin, vous avez six minutes.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Keenan, je vous remercie d'être venu témoigner et du travail dont fait foi certains des rapports que j'ai trouvé le moyen de lire en vitesse. Je suis moi aussi nouveau au sein de ce comité. Je dois dire que cette information me fait légèrement tourner la tête.
    Il me semble que beaucoup d'éléments sont examinés comme s'il s'agissait de suppositions, notamment la question de la violence sexuelle au Sri Lanka. Vous en avez parlé un peu plus tôt. Il semble y avoir une certaine retenue étant donné que c'est très difficile à quantifier. On ne dit pas carrément que cela se produit.
    Étant donné que mon travail précédent consistait, je suppose, en une étude de la nature humaine, je pense qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Quand on regarde d'autres pays où il y a des cas vérifiables de violence sexuelle utilisée comme arme, il est extrêmement difficile de croire ou difficile, premièrement, de prendre position et de dire que cela se produit peut-être et, deuxièmement, de le mettre en évidence de manière à que des mesures concrètes soient prises à cet égard le plus tôt possible.
(1400)
    Eh bien, oui. Je formulerais cela en disant que lorsque des forces gouvernementales composées principalement de membres du même groupe ethnique commettent des crimes et jouissent d'une impunité quasi totale depuis de nombreuses années, et qu'elles exercent un contrôle serré sur une population ayant une autre appartenance ethnique et constituée de nombreux ménages dirigés par des femmes dont le mari ou le père est mort, on obtient sans aucun doute une situation où il serait étonnant qu'il n'y ait pas beaucoup de violence sexuelle directe ou de relations sexuelles contraignantes sous une forme ou une autre, et où des femmes pauvres aux débouchés économiques limités offrent des services sexuels en échange de nourriture ou d'argent. Le contraire serait étonnant.
    Mais nous devons être prudents. D'ici à ce que nous ayons de véritables témoignages et que nous commencions à constituer un vrai dossier de cas, il vaut mieux ne pas faire d'allégations sans preuve à l'appui. À l'évidence, les conditions sont réunies, et les témoignages semblent indiquer un problème très grave de violence sexuelle et, bien sûr, de relations sexuelles et de prostitution de plus en plus répandu, et cela se ferait souvent avec un soutien de facto de l'armée et de la police. Il y a donc de nombreuses raisons de croire qu'il s'agit d'un véritable problème.
    Mais l'impunité et l'intimidation des témoins sont des pratiques si répandues qu'il est très risqué pour les femmes de dénoncer la situation. Le cas d'une femme violée il y a quelques années dans le Nord s'est retrouvé devant les tribunaux. Selon ce que m'ont dit des avocats qui l'ont défendu, elle est souvent appelée à comparaître. Ils disent qu'elle est interrogée de manière intimidante. Un des principaux suspects a pris la fuite. Dans ce contexte, combien de femmes voudraient soumettre leurs cas à la police ou aux tribunaux, lorsque les plus braves d'entre elles se font traiter de cette façon? Il est très difficile d'obtenir des preuves solides lorsque les gens ont peur de parler.
    Merci.
    J'aimerais juste vous donner matière à réflexion. En ce qui a trait aux commentaires du frère du président concernant la cinghalisation du Nord, ma préoccupation est que nous avons déjà assisté dans d'autres pays — et la nature humaine est ainsi faite — à un nettoyage ethnique qui mise sur la violence sexuelle pour créer un mouvement comme celui-ci, où les femmes sont ensuite ostracisées à cause de la culture locale. Elles sont mises à l'écart de leur communauté en raison d'une chose qui leur est arrivée ailleurs.
    À mon avis, il s'agit potentiellement — du moins, théoriquement — d'un élément essentiel du déclin du peuple tamoul dans le Nord. Pensez-vous que mon hypothèse est tirée par les cheveux?
    Je ne sais pas. Ce n'est certainement pas tout à fait invraisemblable, et il y a certainement lieu de s'en préoccuper et d'examiner la question le plus soigneusement possible. Cela dit, je crois qu'il y a suffisamment de problèmes graves en matière de droits de la personne dans toutes les collectivités du Sri Lanka, particulièrement au sein de la communauté tamoule du Nord, et que nous devons faire attention de ne pas aller au-delà des preuves que nous avons.
    Comme je l'ai déjà dit, les femmes dans le Nord sont sans aucun doute particulièrement vulnérables. C'est une vulnérabilité structurelle attribuable à la forte présence militaire, aux disparités de pouvoir sur le plan ethnique, à la faiblesse économique des femmes et à toute sorte d'autres facteurs négatifs dans le Nord.
    Est-ce — je crois que c'est votre principale question — plausible que la violence sexuelle fasse partie d'un plan visant à changer la nature du Nord et à affaiblir les Tamouls? Je ne sais pas. Je crois que nous ne pouvons pas encore prouver que cela fait partie intégrante d'un plan, mais je ne pense pas que ce doit être le cas pour considérer cela comme un problème déjà suffisamment important pour que la communauté internationale s'y attarde beaucoup plus et que les organismes internationaux qui travaillent dans le Nord prennent des mesures concrètes.
    Même s'ils sont beaucoup moins nombreux qu'avant, un grand nombre d'organismes des Nations Unies et d'organisations non gouvernementales internationales travaillent encore dans le Nord. Des agences de développement s'y trouvent. À mon avis, ils doivent tous en faire beaucoup plus en utilisant leur présence pour comprendre ce qui se passe et pour dire ce qu'ils peuvent découvrir sur la situation.
(1405)
    Je suis désolé, monsieur Benskin, mais nous n'avons plus de temps. Je vous ai accordé environ une minute et demie supplémentaire. Je suppose que notre réunion serait terminée si je ne me fis pas à l'horloge. Je vais donc dire qu'il n'est pas encore 14 heures, mais vous pouvez tous voir ce qu'il en est vraiment.
    Permettez-moi de m'adresser à notre invité. Merci beaucoup de votre témoignage. C'était très utile au sous-comité. Nous vous sommes très reconnaissants d'être resté réveillé aussi tard et d'avoir enduré les pépins de notre système de communication.
    Merci.
    Je vous en prie.
    Merci de m'avoir invité. Vous avez posé de bonnes questions.
    Chers collègues, je vais vous demander de faire preuve d'indulgence pour que nous puissions régler certaines questions de calendrier, y compris pour ce qui est de la motion présentée par M. Hsu.
    J'aimerais seulement mentionner —je crois que c'est pertinent, et je n'essaie pas de dicter comment la réunion doit se dérouler — que j'essaie simplement d'attirer votre attention sur des problèmes concernant l'horaire de la semaine concernée.
    Premièrement, nous nous sommes déjà mis d'accord pour entendre Paul Bhatti ce jour-là, le 25. Nous pouvons faire volte-face, mais je vous fais seulement remarquer que cette réunion devait servir à cela. À vrai dire, c'était le dernier point que nous avons abordé au sujet du calendrier.
    J'aimerais également attirer votre attention sur un problème concernant le 27. Son Altesse l'Aga Khan s'adresse à la Chambre ce matin-là. Nous avons adopté l'horaire du mercredi par voie de motion; ce qui a été fait avant. Tous les leaders parlementaires se sont entendus là-dessus, et nous allons donc utiliser l'horaire du mercredi. L'Aga Khan prendra la parole à 11 heures. Je crois qu'il aura terminé à 13 heures, et je propose donc que le comité se réunisse même si la Chambre suivra l'horaire du mercredi. Je suggère une salle sur la Colline, peut-être celle-ci, ou une autre rue Wellington. Je vais laisser notre greffière s'en occuper. Je propose que nous poursuivions nos délibérations en traitant de la question qui est déjà prévue pour ce jour-là.
    Pour ce qui est d'Adama Dieng, il s'agit donc vraiment de voir à quel genre de compromis nous pouvons en arriver. Diverses possibilités s'offrent à nous, y compris une séance supplémentaire.
    Si vous le permettez, je vais donner la parole à M. Hsu.
    Je serai très bref. Je voulais juste dire que M. Dieng, dont les connaissances seront selon moi très utiles au comité, ne sera en ville que ce jour-là. Je sais que d'autres témoins ont déjà été invités, et je demanderais donc au président et au greffier d'envisager la possibilité de commencer à 12 h 30 la réunion prévue ce jour-là pour pouvoir accorder une demi-heure à M. Dieng, ou de prévoir une autre petite réunion à un autre moment le même jour pour profiter de son passage à Ottawa.
    Je sais qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps, mais j'aimerais proposer que nous passions à huis clos.
    Très bien. Cela ne peut pas faire l'objet d'un débat, et je vais donc demander sans plus tarder: qui sont ceux qui souhaitent poursuivre à huis clos?
    (La motion est adoptée.)
    Le président: La majorité est d'accord, et je demanderais donc à ceux qui ne sont pas concernés de quitter la salle.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
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