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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 059 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 10 mars 2015

[Enregistrement électronique]

  (1310)  

[Français]

    Je vous souhaite la bienvenue à la 59e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international en ce 10 mars 2015.

[Traduction]

    La séance est télévisée aujourd'hui.
    Nous poursuivons notre étude du Programme Inter Pares en Birmanie.
    Nous avons aujourd'hui une série de témoins d'Inter Pares. Je vous prie de m'excuser pour le fait que nous n'avons que trois témoins figurant sur ma liste alors qu'il y en a six présents. À partir de ma gauche, nous avons Kevin Malseed, Rebecca Wolsak, Wahkushee Tenner, Jessica Nhkum, Philippa Curwen et Htwe Htwe.
    De par son mode de fonctionnement, le comité dispose malheureusement d'un peu moins d'une heure. Et nous devons avoir assez de temps pour les questions des six députés présents, mais je vais vous laisser tout d'abord faire votre exposé.
    Étant donné que l'on vous a fait entrer précipitamment pendant que les membres de l'autre comité partaient, je n'ai pas pu vous demander de quelle façon vous alliez procéder avec votre exposé. Êtes-vous un ou deux à faire un exposé? Rebecca Wolsak, est-ce avec vous que je dois négocier?
    Je vais vous expliquer. J'avais l'intention de faire quelques remarques liminaires qui seraient suivies d'un exposé de Wahkushee, puis de Jessica, après quoi, nous répondrions à vos questions.
    D'accord.
    Normalement, nous essayons de limiter à 10 minutes les présentations liminaires, y compris les exposés. Il ne vous arrivera rien si vous dépassez ce délai, mais c'est ce que nous préférons. Cela nous laisse suffisamment de temps pour les questions et les réponses qui nous permettent de creuser davantage les thèmes présentés dans l'exposé.
    Cela dit, c'est pour nous un honneur de vous recevoir. Nous vous remercions de votre patience et je vous prie de m'excuser pour ma prononciation et pour les problèmes que nous avons eus dans les préparatifs.
    Sur ce, je donne la parole à Mme Wolsak.
    Bonjour et merci de nous donner la possibilité de témoigner.
    J'aimerais tout d'abord vous féliciter de votre étude de 2013 sur les droits de la personne en Birmanie et des excellentes recommandations qu'elle contient.
    Je travaille à Inter Pares, qui est une petite organisation de justice sociale canadienne basée à Ottawa. Avant de céder la parole à mes collègues de Birmanie, je tiens à souligner le travail phénoménal qu'ils font dans le cadre d'un grand programme birman financé par le gouvernement du Canada et géré par Inter Pares.
    Nous travaillons avec le peuple de Birmanie depuis 1991. Pendant les 20 dernières années, nous avons eu un appui financier considérable de l'ACDI, et aujourd'hui, du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Notre travail porte essentiellement sur les communautés birmanes touchées par des conflits.
    Je tiens tout d'abord, en introduction, vous signaler une chose.
    Il y a en Birmanie deux luttes étroitement liées l'une à l'autre: la lutte pour la démocratie et la lutte pour l'autonomie des ethnies.
    Au cours des quatre dernières années, nous avons constaté des progrès du mouvement démocratique, mais ils sont quelque peu superficiels et ont malheureusement régressé l'an dernier.
    Aujourd'hui encore, des centaines de policiers antiémeutes ont réprimé des manifestations pacifiques tenues par des étudiants au nord de Rangoun. Une centaine de personnes, dont des manifestants, des villageois, du personnel médical, des moines et des journalistes, auraient été battues et plus de 120 arrêtées.
    S'agissant de la lutte pour l'autonomie des minorités ethniques, il est important de savoir qu'environ 40 % de la population s'identifient à une ethnie. Depuis 60 ans, des conflits se déroulent dans les États ethniques. Ils s'expliquent par le désir des peuples d'avoir un certain contrôle sur leur propre vie, de pouvoir parler leur propre langue, de pratiquer leur religion et de gérer leurs propres services sociaux, systèmes d'éducation et ressources. Ces gens aspirent en général à un système fédéral semblable à celui qui est le nôtre au Canada. Malheureusement, très peu de progrès ont été accomplis en ce sens.
    Nous croyons fermement que la démocratie et la paix durable ne seront possibles en Birmanie que si l'on met en place des processus inclusifs et l'on s'occupe des aspirations ethniques.
    Sur ce, je cède la parole à Wahkushee.

  (1315)  

    Je m'appelle Wahkushee. Je suis d'origine karen et viens du sud-est de la Birmanie. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée à témoigner.
    J'aimerais tout d'abord exprimer toute ma gratitude au gouvernement canadien qui appuie depuis longtemps les organisations de sociétés civiles ethniques et qui aide directement les collectivités ethniques en Birmanie. Grâce à votre appui, nous avons pu créer notre organisation, la Women's League of Burma, bâtir les capacités des femmes, offrir des services et des appuis aux survivants et prendre leur défense.
    Depuis plus de 60 ans, il y a en Birmanie une guerre civile qui oppose le gouvernement central et les ethnies qui revendiquent l'égalité des droits au sein du système fédéral. Des millions de gens continuent d'être déplacés. Les nombreuses violations des droits de la personne commises par l'armée birmane peuvent être considérées comme des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité. Parmi ces crimes, mentionnons les viols et la violence sexuelle. Cela dure depuis des décennies. Selon les dernières recherches menées par des membres de la Women's League of Burma, rien n'a changé depuis que Thein Sein est devenu président et que le processus de réforme a été amorcé en 2011. Notre rapport intitulé Same Impunity, Same Patterns documente les cas de plus de 100 femmes qui ont été violées par l'armée birmane depuis l'élection de 2010. Étant donné que l'on restreint la documentation des violations des droits de la personne en Birmanie, nous croyons qu'il ne s'agit là qu'une petite fraction de ce nombre. Dans aucun de ces cas, les auteurs des crimes n'ont été poursuivis.
    Ces crimes ne sont pas seulement des actes spontanés de la part de soldats. Leur prévalence et leur nature systématique montrent qu'il s'agit d'une stratégie. L'armée birmane utilise le viol comme arme de guerre. Les civils sans armes considérés comme une menace sont délibérément ciblés. Parmi les viols documentés dans ce rapport, 47 ont été commis par des groupes et 28 des femmes ont été assassinées ou sont mortes à la suite de leurs blessures. Certaines n'avaient que huit ans, d'autres étaient grands-mères.
    Un autre rapport de suivi préparé par mon organisation et intitulé If They Had Hope, They Would Speak documente 14 autres cas de viol par des soldats entre janvier et juin 2014. Nombre des femmes qui ont survécu ont fui dans des régions qui ne sont pas sous le contrôle du gouvernement. Il s'agit de régions où l'aide humanitaire est totalement ou gravement restreinte par le gouvernement birman et où les organismes communautaires locaux jouent un rôle clé pour offrir l'aide humanitaire ou autre. Dans les États Kachin et Shan situés dans le nord, où nombre de ces viols sont commis, le seul moyen d'obtenir de l'aide qui permet de survivre est de recourir à un mécanisme communautaire officiel, mais l'ONU et la plupart des gouvernements ne financent pas ce type d'aide.
    Le gouvernement canadien montre l'exemple à d'autres gouvernements et donateurs internationaux en appuyant directement les organisations et collectivités opprimées par le gouvernement birman. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de cet appui de longue date et il est important qu'il se poursuive. Grâce à lui, nous pouvons continuer de lutter pour notre droit à l'égalité et à l'autodétermination.
    Malheureusement, il reste encore beaucoup de chemin à faire. Même si le gouvernement birman a signé un nouveau cessez-le-feu avec la plupart des groupes armés ethniques depuis 2011, il a jusqu'à maintenant refusé d'amorcer un dialogue politique. Il continue en outre de renforcer l'armée et de lancer des offensives militaires dans des régions ethniques, y compris contre des groupes qui ont déjà signé le cessez-le-feu. La violence sexuelle perpétrée par des soldats persistera tant que l'offensive se poursuivra. Mais la fin de l'offensive ne résoudra pas le problème si l'armée reste placée en dehors du contrôle civil. La solution qui mettra un terme à la violence sexuelle de la part de l'armée réside dans le changement de constitution qui placerait l'armée sous contrôle civil et accorderait des droits égaux à toutes les ethnies dans un système fédéral de gouvernement, qui mettrait fin à la guerre civile.

  (1320)  

    Il faut de toute urgence faire pression sur l'armée birmane afin qu'elle cesse ses abus sexuels et qu'elle amorce un processus de réforme politique.
    J'ai deux recommandations à faire au gouvernement du Canada. Premièrement, qu'il prenne les devants en demandant qu'une enquête internationale soit menée sur les violations des droits de la personne en Birmanie, et en particulier sur la violence sexuelle de l'armée. Deuxièmement, de poursuivre son appui direct aux organismes de la société civile ethniques qui offrent des services et protègent les droits des communautés dans les zones de conflits.
    Je vous remercie beaucoup de votre attention et donne la parole à ma collègue Jessica.
    Je vous remercie de nous avoir invités. Je suis Kachin et je viens du nord de la Birmanie. Avec l'aide du gouvernement canadien, des organisations communautaires comme la nôtre peuvent poursuivre leur travail afin d'améliorer la situation des droits de la personne et d'amener la paix.
    Je vais vous parler aujourd'hui de la guerre civile et des violations des droits de la personne qui se poursuivent dans les régions kachin, dans le nord de la Birmanie.
    Depuis l'entrée en fonction du gouvernement en mars 2011, il y a eu quelques changements positifs, surtout dans les villes centrales. Il y a un tout petit peu plus de liberté de la presse et des médias. La communauté internationale s'est réjouie de ces changements et a accru ses investissements et son aide au gouvernement. De nombreuses organisations non gouvernementales internationales sont désormais autorisées à travailler en Birmanie.
    Toutefois, dans les régions peuplées par des minorités ethniques, qui constituent plus de la moitié du pays, l'armée n'a pas arrêté sa militarisation et ses opérations pour contrôler les ressources naturelles que l'on trouve en abondance comme le jade, l'or et le bois. Dans le Kachin et le nord de l'État shan, les attaques de l'armée birmane ont commencé en juin 2011, seulement trois mois après l'arrivée au pouvoir du gouvernement actuel. L'énorme renforcement des troupes dans les régions a entraîné une forte augmentation des violations des droits de la personne, y compris des actes de violence sexuelle, des meurtres, des arrestations arbitraires, des disparitions, des parjures imposés par la force, de la torture et le travail forcé.
    Au cours des deux derniers mois, nous avons documenté des violations commises contre 14 hommes et femmes kachin, dont des cas de torture, de meurtre, de disparition et de viol. Aucun de ces cas n'a fait l'objet de poursuite, ni d'intervention de la justice.
    J'aimerais vous rapporter l'histoire de deux institutrices âgées respectivement de 20 et 21 ans. Elles faisaient du bénévolat dans un petit village kachin, au nord de l'État shan et séjournaient dans les locaux d'une église aux confins du village. Le matin du 20 janvier, une trentaine de soldats sont entrés dans le village et la nuit, ont pris le contrôle de la sécurité. Le lendemain matin, le 21 janvier, les institutrices ont été trouvées à moitié nues et assassinées dans leur hutte. Tôt dans la matinée, on avait vu un camion de l'armée quitter le village.
    Il est on ne peut plus clair que les soldats birmans avaient commis le crime, mais ceux-ci ont fait des menaces et accusé certain des villageois. Ils ont torturé deux garçons pour leur faire avouer le crime. Les autorités leur ont dit qu'on leur verserait 10 millions de kyats, soit 10 000 $ US, s'ils avouaient. Les médias du gouvernement ont rapporté que des poursuites seraient prises contre quiconque accuserait les soldats d'avoir commis le crime. Même si tout le monde sait la vérité, il est encore très difficile d'obtenir justice étant donné que la constitution de 2008 accorde l'impunité à l'armée.
    Au cours des quatre dernières années, la guerre menée dans les régions kachin a entraîné le déplacement de 120 000 personnes. Quatre-vingt mille d'entre elles ont trouvé refuge dans des zones contrôlées par les Kachin et les autres dans des villes situées dans des zones contrôlées par le gouvernement, qui empêche qu'une aide ne leur soit apportée. Il y a une pénurie d'aliments de base et de soins de santé, surtout pour les jeunes enfants et les femmes enceintes. Les femmes ne peuvent être soignées convenablement dans les camps réservés aux personnes déplacées et meurent en couches.
    À la suite de la guerre, d'autres problèmes comme la traite de personnes se sont aggravés. Les femmes et fillettes déplacées essaient de trouver du travail en Chine et finissent par être vendues comme épouses ou travailleuses du sexe.
    Pendant le conflit dans les zones kachin, notre organisation a documenté les violations des droits de la personne et les a rapportés à la communauté internationale. Nous avons sensibilisé les communautés à la traite des personnes et nous prenons soin des femmes qui arrivent à s'échapper dans les zones frontalières.

  (1325)  

    Nous avons habilité notre communauté en donnant des cours sur les questions politiques et en offrant, dans trois petites cliniques, des soins de santé primaire à 8 000 personnes. Nous croyons qu'en permettant à la communauté de se prendre en main et de se mobiliser, nous arriverons à changer notre pays à partir de la base. En conséquence, l'appui offert aux organisations communautaires dans les régions peuplées de minorités ethniques est très important afin d'arriver à une paix durable en Birmanie.
    En conclusion, je demanderais que le gouvernement canadien fasse pression sur le gouvernement birman afin qu'il commence à retirer les troupes du Kachin et d'autres zones de conflits ethniques et qu'il amorce un dialogue politique afin d'offrir davantage d'aide humanitaire par l'entremise d'organismes communautaires qui œuvrent pour les personnes déplacées dans les régions où vivent des minorités ethniques.
    Finalement, nous demandons instamment au Canada d'adopter une approche qui tienne compte des conflits dans toute action qu'il mène en Birmanie, y compris les grands projets d'investissement.
    Merci beaucoup de votre attention.
    Je remercie tous nos témoins.
    Nous avons probablement assez de temps pour des segments de cinq minutes chacun. Si le temps de réponse est allongé en raison de l'intervention de plusieurs témoins, il se peut que vous n'ayez le temps de poser qu'une seule question. Alors, si vous estimez que l'on a répondu à votre question et que l'avis d'autres témoins n'est pas nécessaire, n'hésitez pas à nous en informer. Ne perdez pas de vue que vous n'avez que cinq minutes pour votre série de questions.
    Monsieur Sweet, vous avez la parole.
    D'entrée de jeu, permettez-moi de vous dire que je n’ai pas de mots pour exprimer à quel point je suis déçu de voir que la situation n'a pas changé en Birmanie. J'ai passé en revue des témoignages de 2012. En fait, il s'agissait du dernier témoignage d'Inter Pares devant ce comité.
     Madame Wolsak, merci beaucoup d'être là.
     J'ai devant moi le sommaire d'un rapport de 2011 de l'organisme Médecins pour les droits de l'homme qui oeuvre en Birmanie. On y rapporte trois faits très dérangeants: l'armée a forcé les civils de Kachin à marcher devant les chars d'assaut pour faire sauter les mines antipersonnel; elle pille la nourriture et les réserves des civils; elle met le feu à des villages sans raison particulière. Or, même si je considère ces choses repoussantes, dégoûtantes et tout à fait inacceptables, je ne vois nulle part là-dedans que le viol a été utilisé comme arme de guerre en 2011. Maintenant, à l'inverse des améliorations promises, la Birmanie permet aux militaires d'être encore plus malicieux, et l'on apprend qu'ils commencent à cibler les femmes et à les attaquer.
    Je tenais simplement à dire à quel point cette situation me préoccupe, et notamment le fait que si peu de progrès ont été accomplis. En fait, il est plus juste de dire que les droits de la personne et la primauté du droit ont reculé.
    Je ne sais pas par quoi commencer. Je devrais peut-être demander si le gouvernement birman continue de réserver 25 sièges du parlement aux militaires ou s'il a rectifié la situation.
    Cette disposition fait partie de la constitution. La constitution de 2008 stipule que 25 % des sièges doivent être détenus par des officiers actifs; toute modification de la constitution exige une majorité de 75 % plus un vote.
    Y a-t-il quoi que ce soit qui ait été tenté en ce sens?
    Non.
    D'accord.
    L'organisme pour femmes que vous dirigez s'étend-il à tout le Myanmar, à toute la Birmanie? Est-il présent un peu partout ou concentré dans un État?
    La Women's League of Burma est composée d'organisations de femmes de différentes ethnies, alors nous travaillons dans presque tous les États dits ethniques. Des viols sont rapportés dans presque tous les États ethniques où le conflit fait rage.

  (1330)  

    C'est donc en dehors de la capitale.
    Les personnes qui sont dans la capitale et qui s'identifient comme des défenseurs des droits de la personne lancent-elles des appels à la justice dans les États périphériques? Il n'y en avait pas avant. La situation est-elle différente maintenant? Y a-t-il des champions de la cause qui osent formuler leurs inquiétudes, qui osent dire aux militaires de mettre la pédale douce et d'entreprendre des pourparlers de paix avec les minorités ethniques des États périphériques?
     Oui, nous travaillons en collaboration avec le Women's Organizations Network, qui est un autre organisme important pour la cause des femmes en Birmanie. Pour des raisons de sécurité, nous sommes basés en Thaïlande, mais la majorité de nos activités se déroulent en Birmanie. Nous travaillons encore ensemble. Lorsqu'il est question des militaires, ces organismes doivent être très prudents.
     Permettez-moi par conséquent de reprendre cette question. Ceux qui habitent la capitale et qui se décrivent comme des défenseurs des droits de la personne expriment-ils des préoccupations au sujet de la population des Rohingya, de celle de l'État de Kachin, à propos de toutes ces minorités ethniques, ou continue-t-on à taire ces sujets? Mettent-ils encore l'accent sur, comme vous l'avez dit, la lutte pour la démocratie dans la capitale et les régions environnantes?
    À Rangoon, il existe à coup sûr des défenseurs de ces questions, mais leur action se fait dans des conditions très difficiles et un espace de plus en plus restreint.
    Le risque est plus élevé qu'il ne l'était lors de votre premier passage devant ce comité, il y a trois ans?
    Oui, je crois bien que ce soit le cas.
    J'aimerais ajouter quelque chose à cela.
    Par exemple, dans le cas que j'ai rapporté — celui des deux enseignantes qui ont été violées et tuées — les gens ont soulevé cette question en ville. Les médias d'État ont affirmé que ceux qui avaient accusé les militaires allaient être arrêtés. Voilà la situation qui prévaut en Birmanie. C'est très difficile. Ces soldats ont leurs entrées partout. Nous ne pouvons jamais faire quoi que ce soit de la sorte puisque la loi les couvre et les protège déjà.
    Monsieur Marston.
     Je souhaite la bienvenue à tous nos témoins, et surtout à Rebecca, une fois de plus. Sachez que je l'apprécie.
    Je faisais partie de la délégation parlementaire qui s'est rendue en Birmanie. À ce moment-là, l'atmosphère était plutôt optimiste. Nous avons rencontré Aung San Suu Kyi durant une partie de l'après-midi et nous avons visité la chambre où, comme le faisait tristement remarquer M. Sweet, la représentation des militaires est de 25 %. Mais il y a pire encore: les deux généraux les plus haut placés du pays occupent les postes de président de la chambre haute et de président de la chambre basse, respectivement. J'ai pu parler à Aung San Suu Kyi. Tous les gens dans la rue nous disaient qu'elle allait devenir la prochaine présidente. Je lui ai dit qu'à mon avis, il n'y avait aucune chance pour que cela se produise à moins qu'elle n'arrive à conclure une entente sur le partage du pouvoir avec les deux généraux, attendu que ces derniers n'ont aucune raison de renoncer à ce qu'ils ont.
    Le bon côté, je crois, c'est que ces généraux vieillissent. Il serait peut-être possible de mettre de côté les différends passés et de leur permettre de passer à autre chose, mais il faudra des garanties... Je suis très très préoccupé.
    Nous avons mis sur pied une ambassade et y avons placé un ambassadeur. Je sens la déception de M. Sweet jusqu'ici. C'est un sentiment que nous avons tous, car nos attentes étaient si grandes. Ce que j'entends dire, c'est que l'impunité est au même niveau qu'elle l'a toujours été. Tant qu'il n'y a pas de primauté du droit et de justice pour les femmes qui se font attaquer, je pense que la situation continuera de se dégrader.
    Lorsque nous étions à Rangoon, on nous a montré un centre où l'on rassemblait les gens. J'en oublie le nom. Les organismes non gouvernementaux et d'autres intervenants se voyaient donner un certain budget. À l'époque, j'ai cru qu'il s'agissait peut-être d'une démarche purement cosmétique. Or, le centre permettait de rassembler des éléments sérieux de leadership et de leur donner des moyens.
    Pouvez-vous nous donner votre avis à ce sujet? Je m'excuse, mais je ne me souviens plus du nom de cet organisme.
    Je vois que mon intervention suscite un certain questionnement, ce qui me porte à croire que je vous ai peut-être induits en erreur. Je vais me renseigner, Rebecca, et vous revenir avec des explications.
    C'était un peu comme un centre d'incubation, et il était situé en plein coeur de la ville. Il y avait là certains activistes qui se sont battus pour les terres et pour une foule d'autres choses. On aurait dit qu'on leur fournissait un forum. Or, dans ce pays, un forum était quelque chose de très très risqué, et nous avons eu de grandes appréhensions quant à sa viabilité. C'était une initiative gouvernementale, alors je crois que c'était plutôt de la poudre aux yeux qu'autre chose.
    Avez-vous des commentaires à formuler à ce sujet?

  (1335)  

     Cela pourrait être deux ou trois différentes choses, mais je préfère m'abstenir de répondre.
    C'est un centre qui relève directement du gouvernement.
    Oui. Désolé.
    Très bien.
    Avez-vous des choses à proposer pour les recommandations que le comité pourrait inclure dans sa déclaration au...?
    Nous avons commenté la situation il y a trois ans. Que pouvons-nous faire de plus pour vous aider? Comment pourrions-nous intervenir pour faire pencher le gouvernement d'une certaine façon?
    Comme je l'ai dit, nos deux recommandations sont les suivantes: assumer le leadership pour réclamer une enquête internationale sur les violations des droits de la personne en Birmanie, notamment en ce qui a trait à la violence associée aux militaires, et continuer de fournir un soutien direct aux organismes ethniques de la société civile qui donnent des services à leurs communautés et protègent les droits des leurs.
    De plus, il y a eu ce Sommet mondial pour mettre un terme à la violence sexuelle en période de conflit qui avait été organisé par le gouvernement britannique. Le Canada a aussi pris des engagements aux termes de la déclaration connexe. Voilà pourquoi il est important qu'il assume une direction à cet égard.
    Merci.
    Ce soir, à la Chambre des communes, nous allons parler de l'utilisation du viol comme arme de guerre en République démocratique du Congo. Il s'agit en fait d'un rapport qu'a produit ce comité. J'ai de la difficulté à mettre « démocratique » et « Congo » côte à côte, mais là n'est pas la question. Comme l'a mentionné M. Sweet, la question est le fait que le viol soit utilisé de façon aussi horrible qu'il l'a toujours été, certes, mais aussi qu'il semble maintenant très répandu dans le monde entier. La situation est très préoccupante et les parlementaires s'en inquiètent beaucoup.
    Merci, monsieur Marston. Votre temps est écoulé.
    D'accord. Merci.
    Vous avez terminé juste à temps.
    Je m'attendais à ce qu'il y ait une question à la fin de votre intervention et j'ai cru que j'allais avoir de la difficulté à vous interrompre. Merci.
    Madame Grewal, c'est à vous.
    Je remercie nos témoins d'être venues ici nous parler de la violation des droits de la personne chez les Birmanes.
    C'est navrant de voir ce qui s'est passé récemment en Birmanie et les changements qui ont eu lieu. Lorsque nous avons terminé notre rapport, en 2013, nous avions l'espoir d'un coup de barre dans l'intérêt de la démocratie et d'améliorations au chapitre des droits de la personne dans l'ensemble du pays. Or, la Birmanie d'aujourd'hui est en régression et elle semble s'accrocher à ses vieilles habitudes de non-respect des droits de la personne. Récemment, le gouvernement birman a examiné la possibilité d'adopter des mesures législatives qui brimeraient les femmes en limitant les mariages interconfessionnels et les conversions, et en permettant à l'État de réglementer la planification familiale.
     Pourquoi le gouvernement souhaite-t-il apporter ce type de changement?
     En fait, le gouvernement birman affirme que le projet de loi sur les mariages interconfessionnels vise à protéger les femmes, mais c'est faux, et la protection dont nous avons besoin n'est pas dans ce projet de loi. En effet, les mesures proposées limitent les droits des femmes et elles ne sont pas en harmonie avec le droit international. Le gouvernement dit qu'il s'en servira pour protéger les femmes. Nous travaillons très fort pour empêcher ce projet de loi d'avancer, d'aller de l'avant.
    Les regroupements de femmes en Birmanie et dans les régions dites ethniques travaillent très fort pour freiner ce processus, mais ces femmes sont victimes d'intimidation, surtout celles qui sont à Yangon. Les femmes activistes reçoivent plus de 100 messages d'intimidation par jour. Elles reçoivent des menaces de mort au téléphone si elles ont des réserves au sujet de la loi sur les mariages interconfessionnels.

  (1340)  

    Auriez-vous d'autres commentaires à formuler à ce propos?
     Je pense que des choses comme la loi sur les mariages interconfessionnels et ces autres lois sont fidèles aux tactiques utilisées par le gouvernement birman pour créer des divisions et monter les groupes les uns contre les autres. C'est sa façon d'attiser le nationalisme et d'éviter que la population s'en prenne à lui.
    Le gouvernement a délibérément nourri la haine des musulmans dans toute la Birmanie. Cela a donné lieu à toute cette violence dont vous avez entendu parler au cours des dernières années. En présentant les musulmans comme étant une menace, on a tenté de faire en sorte que la population se range du côté du gouvernement et de l'armée, ce qui n'était pas le cas auparavant.
     Les risques de violence sont-ils plus élevés pour les défenseurs des droits de la personne et les femmes qui participent à la vie publique et politique en Birmanie? Si c'est oui, pouvez-vous nous donner un ordre de grandeur? Et, le cas échéant, croyez-vous que ces risques accrus sont attribuables au fait que les personnes qui revendiquent sont des femmes?
    Surtout dans le cas de la loi sur les mariages interconfessionnels, ce sont les femmes et les organisations de femmes qui travaillent activement à freiner ce processus, mais il y a également d'autres partisans. Oui, ces personnes sont exposées à plus de risques, et elles doivent faire attention. Comme je l'ai dit tout à l'heure, elles reçoivent sans cesse des appels téléphoniques et des messages de menace, ce qui signifie que les défenseurs des droits de la personne qui travaillent à Yangon ne sont pas en sécurité.
    La Birmanie tiendra bientôt ses premières élections fédérales depuis le changement démocratique survenu en 2011 et 2012. Ces élections favoriseront-elles l'évolution du régime démocratique, ou ne feront-elles que perpétuer la violation des droits de la personne? Qu'en pensez-vous?
    En ce qui concerne ces élections, nous pouvons dire que l'armée restera au pouvoir, à moins d'une réforme constitutionnelle, parce que la constitution garantit la protection de l'armée, et 25 % des sièges seront toujours détenus par des militaires. De plus, c'est le parti militaire qui en sortira vainqueur; la situation restera donc la même, et les droits de la personne continueront d'être bafoués, à moins que nous fassions en sorte que l'armée relève de l'autorité civile grâce à des modifications constitutionnelles.
    Merci.
    Monsieur le président, est-ce qu'il me reste du temps?
    Non, vous avez en fait dépassé un peu votre temps de parole.
    Nous passons maintenant à Mme Sgro.
    Je salue votre courage et votre dévouement, et je vous remercie infiniment de votre présence.
    Je suis toutefois attristée d'entendre vos témoignages, parce que je croyais, moi aussi, que la Birmanie se dirigeait dans la bonne direction, et nous avions bien hâte de voir la suite des choses. C'est très triste d'apprendre que le pays n'a pas fait beaucoup de progrès en ce sens.
    Madame Nhkum, vous avez dit dans votre exposé que vous espérez que le Canada adoptera une approche qui tient compte des conflits dans toute intervention en Birmanie, y compris les projets d'exploitation des ressources. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?
    À l'heure actuelle, les investisseurs étrangers en Birmanie, surtout les grands investisseurs, doivent faire preuve de beaucoup de prudence, parce que les richesses naturelles se trouvent, en grande partie, dans les régions peuplées par des minorités ethniques, ce qui représente plus de la moitié du pays. Des conflits font toujours rage, et si les investisseurs n'analysent pas les préoccupations liées aux conflits, cela ne fera qu'exacerber les conflits et les violations des droits de la personne dans la région.
    Par exemple, en 2011, l'armée a attaqué la région de Kachin, parce qu'une compagnie d'électricité chinoise y était venue faire un investissement; le gouvernement birman a donc envoyé beaucoup de troupes dans la région, et c'est ainsi que le conflit a éclaté. Bien entendu, dès que l'armée birmane intervient quelque part, il y a lieu de s'attendre à une recrudescence des violations des droits de la personne. Voilà pourquoi.

  (1345)  

    C'est terrible.
    Dans ce cas, puis-je vous poser une question sur certaines des sociétés minières canadiennes qui exercent des activités là-bas? Comment pouvons-nous aider? Lorsque vous dites qu'il faut tenir compte des conflits, devons-nous imposer plus de restrictions, plus de conditions? Si des entreprises vont là-bas pour maximiser leur potentiel, comment pouvons-nous nous assurer que vous obtiendrez une certaine protection et qu'il faudra respecter des conditions avant de procéder aux investissements? Par « conditions », j'entends la protection des habitants, surtout des femmes contre des actes comme le viol.
    À l'heure actuelle, pour autant que je sache, il n'y a pas de grands projets d'investissements canadiens. D'après ce que nous pouvons observer, la situation est bien trop risquée, et je pense que jusqu'à maintenant, les entreprises canadiennes ont compris cela et elles n'ont pas... Il n'y a donc pas de projets miniers canadiens pour le moment, à notre connaissance.
    Par ailleurs, lorsque Jessica a parlé d'une approche qui tient compte des conflits, je crois qu'il s'agit vraiment d'une approche générale qui concerne assurément le commerce, mais aussi le développement. Alimenter les conflits s'avère étonnamment facile. Par exemple, si vous appuyez le gouvernement dans ses efforts de faire construire, au sein d'une communauté ethnique, une école dans laquelle le programme d'études sera contrôlé par le gouvernement, cela pourra attiser de nouvelles tensions, si bien que vous n'obtiendrez pas les résultats escomptés.
    À ma connaissance, presque toutes les ambassades à Rangoon comptent parmi leur personnel des spécialistes en matière de conflits. Je crois que l'ambassade du Canada n'en a pas encore un; ce serait donc utile. Mais je ne suis pas sûre.
    Vous avez aussi dit que le financement vient à échéance et que vous avez récemment présenté une proposition de programme quinquennal en vue de renforcer la stabilité et le caractère multiculturel de la Birmanie. Votre rôle consisterait à surveiller les stratégies locales afin de documenter les violations des droits de la personne, etc. Pourriez-vous nous expliquer un peu plus comment vous vous y prendriez?
    Nous espérons continuer de travailler avec la société civile ethnique. Même si, concrètement, la situation n'a pas beaucoup progressé ces dernières années et qu'elle a en fait régressé, nous gardons espoir. Il s'agit donc d'un contexte où il y a un manque de progrès, mais aussi un regain d'espoir; c'est un moment crucial où il faut commencer à examiner des plans concrets de vision pour un pays fédéral.
    Par exemple, dans le domaine de la santé, nous collaborons avec des organismes de santé locaux et nous tentons de déterminer quel type de système de santé fédéral leur conviendrait à l'échelle nationale. Nous avons d'ailleurs fait venir ici leurs représentants pour qu'ils étudient le système de santé fédéral canadien. Ils examinent cette vision et la façon dont elle pourrait être mise en oeuvre en Birmanie. Nous aimerions donc poursuivre nos efforts pour les aider à concrétiser cette vision.
     Madame Tenner, vous nous avez demandé de réclamer une enquête internationale sur la violence sexuelle perpétrée par l'armée.
    J'ose espérer que le Canada, ainsi que beaucoup d'autres pays, relèveront ce défi. Travaillez-vous sur la scène internationale pour faire avancer les choses dans ce dossier?
    Oui, quand nous sommes allés devant l'ONU, surtout à l'occasion de son assemblée générale, dans le cadre de notre voyage de lobbying, nous avons essayé de soulever les mêmes enjeux et de formuler les mêmes recommandations. De plus, quand nous sommes allés au Royaume-Uni, à l'occasion du sommet mondial, nous avons également recommandé la même chose pour la tenue d'une enquête indépendante.
    En Birmanie, les droits de la personne sont bafoués depuis un certain temps, mais aucune enquête n'a encore été réalisée. Nous avons besoin d'une enquête indépendante.

  (1350)  

    Votre temps est écoulé, madame Sgro. Je vous ai même accordé quelques minutes de plus.
    C'est maintenant au tour de M. Lauzon.
    Je vais céder mon temps de parole à M. Sweet, parce que je ne siège au comité qu'à titre de remplaçant. Je crois que M. Sweet a des questions plus pertinentes à poser.
    Très bien. Monsieur Sweet.
    Merci, monsieur le président.
    J'aimerais poser d'autres questions sur ce qui se passe aujourd'hui sur le terrain aux femmes qui sont victimisées.
    Les victimes de viol ont-elles actuellement accès à des services de soutien psychologique ou à des soins médicaux? Comment font-elles pour obtenir de l'aide après avoir été victimisées?
    En raison du manque de fonds, nous sommes malheureusement incapables de venir en aide aux femmes. Nous leur demandons toujours des renseignements, mais nous avons également l'intention de travailler avec les victimes afin de créer un regroupement des survivantes et de fournir des refuges et des services de soutien psychologique à ces femmes.
    Dans les zones de conflits, il est difficile de faire le suivi des survivantes. Après avoir été violées, ces femmes déménagent secrètement dans d'autres régions. Parfois, leur village est brûlé, si bien qu'elles doivent s'installer dans une autre région. Voilà pourquoi il est difficile de faire un suivi, mais dans la mesure du possible, il y a des maisons d'hébergement dans certaines régions. Nous construisons des maisons d'hébergement avec l'appui d'Inter Pares par l'entremise du Centre du secours birman. Nous essayons aussi de mener une campagne de sensibilisation et de tenir des discussions au sein de la communauté ethnique sur la violence envers les femmes, notamment durant la journée internationale d'action contre la violence faite aux femmes.
     Nous appuyons également les femmes qui ont besoin d'une aide urgente. Par exemple, si elles doivent s'adresser aux tribunaux, elles auront peut-être besoin d'un peu d'argent pour y arriver. Nous n'avons pas assez de fonds, mais nous pouvons faire une certaine contribution. Si elles ont besoin d'aide médicale, ou si elles doivent être hospitalisées à cause de leurs blessures, nous pouvons apporter une contribution modeste, mais ces services ne sont pas entièrement financés, parce que nous n'avons pas tous les fonds nécessaires.
     Qu'en est-il des enfants nés de viols? Comment prend-on soin d'eux? Sont-ils abandonnés dans certains cas? Est-il nécessaire de recourir à des services d'adoption et à ce genre de choses, ne serait-ce que pour offrir des services aux femmes qui doivent élever ces enfants dans des conditions très difficiles?
    Malheureusement, nous n'avons pas de mesure de soutien adaptée à leurs besoins.
    D'accord.
    Voici ma dernière question. Je crois comprendre que la Convention baptiste a une présence assez importante en Birmanie. Si je me souviens bien, Inter Pares a déjà témoigné ici, aux côtés de cette organisation. Nous avons reçu beaucoup de témoins sur ce sujet.
    Y a-t-il une bonne collaboration entre tous ces groupes humanitaires, ces groupes religieux, ces ONG, pour s'assurer que l'aide est mise à profit de façon optimale et pour aider le plus de gens possible?
    La façon la plus efficace serait d'accorder les fonds aux organisations communautaires locales qui travaillent sur le terrain, car même si on trouve certains refuges dans les grandes villes, il reste que les crimes sont commis dans les régions rurales. Les gens des villes ne veulent pas se rendre dans les régions rurales à cause de l'insécurité, d'autant plus qu'ils ne parlent pas la même langue, et il en va de même pour les gens locaux. La langue est donc un obstacle à la compréhension.
    Permettez-moi de vous parler brièvement de deux cas sur lesquels nous nous penchons.
    Voici un cas récent, qui date d'avril dernier. Il s'agit d'un viol commis par l'armée birmane, dans le cadre d'une intervention offensive dans l'État de Kachin. Une fille kachin de 17 ans a été violée, et elle a voulu aller devant les tribunaux pour obtenir justice. Une de nos organisations locales lui est venue en aide. Nous avons donc porté l'affaire devant la cour et nous avons interjeté appel, mais on nous a dit qu'il n'y avait aucune preuve. En effet, après le viol, la victime n'était pas allée voir un médecin pour subir un examen médical; elle n'avait donc pas de preuve. Mais comment pouvait-elle y avoir accès, sachant qu'elle a été violée dans une région montagneuse, où il n'y a même pas de clinique? Dans le système judiciaire en Birmanie, selon le mécanisme d'application pour les cas de viol, la première étape pour une victime de viol consiste à s'adresser au bureau national de la condition féminine et de l'enfance. Ces services sont offerts dans la zone urbaine, mais les viols sont commis dans les régions rurales. Seules les organisations qui travaillent sur le terrain avec la société civile peuvent venir en aide à ces victimes.
    Voici un autre cas, qui s'est déroulé dans le nord de l'État de Shan, à Kutkai. Une jeune victime de viol collectif est allée en cour parce qu'elle tenait à obtenir justice. Elle a déclaré avoir été violée par deux soldats, mais on lui a dit: « Ah bon, et où sont-ils? Vous n'avez pas réussi à les attraper, alors pourquoi devrions-nous vous aider? Vous nous faites honte. Nous vous traînerons devant les tribunaux. » La victime était très gênée, mais elle a dit: « Pourquoi est-ce que je prétendrais avoir été violée? Dans notre culture, c'est très mal vu et j'en ai tellement honte. Pourquoi alors vous dirais-je que j'ai été violée si ce n'était pas le cas? » À ce stade-ci, les tribunaux, les soldats et les policiers se contentent de lui dire: « Non, vous êtes en train de nous accuser, alors ne revenez plus ici, sinon nous vous poursuivrons en justice. »
    Il existe de nombreux cas semblables, qui mettent en cause non seulement des viols, mais aussi des violations des droits de la personne. Il est même impensable de s'adresser aux tribunaux et à la police, parce que les victimes sont, à bien des égards, doublement victimisées; elles se cachent donc dans leur communauté et elles pleurent leur sort.

  (1355)  

    Merci.
    Monsieur Benskin.
    Merci de votre présence. Comme l'ont dit mes collègues, votre témoignage fait certainement réfléchir.
    Notre comité a été saisi de la question du viol comme arme de guerre utilisée dans divers coins du monde. Comme mon collègue l'a souligné, nous examinons maintenant un rapport sur la République démocratique du Congo. Nous avons étudié à fond cette activité odieuse qui sévit partout dans le monde, et cela m'attriste d'apprendre que la situation en Birmanie a maintenant empiré.
    Le travail que vous effectuez est d'une grande importance. Permettez-moi de demander un éclaircissement au sujet de vos organisations, et je m'adresse à Wahkushee et Jessica: travaillez-vous sur le terrain en Birmanie, ou êtes-vous essentiellement des expatriées qui travaillent en dehors de la Birmanie?
    Notre bureau principal est situé à Chiang Mai, mais toutes les activités et les organisations membres se trouvent dans les différentes régions ethniques, c'est-à-dire dans les zones de conflits.
     Je salue le courage dont vous faites preuve dans le cadre de votre travail, d'après le témoignage que vous nous avez accordé.
    À ce stade-ci, qu'est-ce qui vous motive à poursuivre le travail? Il y a, me semble-t-il, systématiquement de moins en moins d'options. Vous dites que les femmes se font refuser l'accès au système judiciaire, sous prétexte qu'elles n'ont pas de preuves, et elles se font dire d'aller dans une clinique, sachant très bien qu'il n'y en a pas.
    Qu'est-ce qui vous encourage à continuer de faire le travail qui s'impose? Comment le Canada et les autres pays occidentaux peuvent-ils vous aider à obtenir des résultats plus efficaces dans le cadre de votre travail?
    Oui. En fait, j'ai moi-même vécu dans un camp de réfugiés en 1995. Je suis allée à l'école là-bas.
    J'ai commencé à travailler auprès de l'organisation des femmes en 2001, et je ne pourrai jamais quitter cette organisation parce que j'ai vu des gens qui ont souffert. Toute ma famille s'est installée dans d'autres pays, comme le Canada et la Norvège, mais dans mon cas, si je laisse tomber les gens, surtout les femmes et les enfants, je me sentirai coupable. C'est pourquoi je ne pourrai jamais quitter cette organisation, et je continue ce travail jusqu'à maintenant.
    Il y a encore de l'espoir. Je travaille depuis plus de 15 ans; si je n'ai pas d'espoir, alors j'aurai l'impression d'avoir perdu mon temps au cours des 15 dernières années. Voilà pourquoi j'ai toujours bon espoir que la situation changera dans mon pays pour que nous puissions y retourner et vivre en paix.

  (1400)  

    À l'heure actuelle, les ONG et les organisations pour lesquelles vous travaillez sont-elles raisonnablement protégées contre l'incursion militaire?
    Nous sommes la première cible.
    Il n'y a pas vraiment d'autres organisations qui surveillent le dossier militaire. Nous sommes toujours aux aguets; nous surveillons toujours les questions militaires, le cas échéant. C'est pourquoi nous avons un réseau en Birmanie. C'est aussi pour cette raison que notre bureau se trouve en Thaïlande ou à la frontière, en vue d'assurer la sécurité. Mais nous pouvons faire des aller-retour, et nous disposons de meilleurs moyens de communication.
    D'accord. C'est ce que je voulais savoir.
    Comment pouvons-nous mieux vous aider à accomplir votre travail?
    Comme nous l'avons dit tout à l'heure, le financement a pris fin. Nous craignons que maintenant, une bonne partie de l'aide soit fournie par l'entremise du gouvernement birman à l'intérieur du pays. N'oublions pas que la bataille qui fait rage en Birmanie concerne également les droits des minorités ethniques.
    C'est pourquoi il est important que l'aide soit offerte des deux côtés de la frontière, de sorte qu'elle soit durable. De plus, il faudrait un espace inclusif pour les réformes démocratiques. D'où l'importance d'un appui continu de la part du gouvernement canadien aux régions peuplées par des minorités ethniques et aux organisations communautaires ethniques.
    Vous voudriez donc que cet appui soit accordé directement aux communautés ethniques, plutôt que par l'entremise du gouvernement birman.
    Oui, c'est exact.
    M. Malseed veut faire une observation.
    Je tiens à préciser qu'une grande partie du travail de ces groupes se trouve en Birmanie. Souvent, quand les gens font allusion à la Birmanie, ils veulent dire la région centrale du pays, plutôt que les États ethniques. Toutefois, de nombreux groupes ont des bureaux dans les États ethniques de la Birmanie et en Thaïlande, comme solution de rechange. Ils travaillent donc dans les États ethniques.
    En Birmanie, le contrôle gouvernemental ne couvre pas tout le pays. Ainsi, des pans entiers du pays sont dotés d'une administration mixte, où les gouvernements ethniques exercent autant, sinon plus, de contrôle que le gouvernement lui-même. Nous pouvons travailler efficacement dans ces régions sans l'approbation du gouvernement, mais bien entendu, si l'armée gouvernementale intervient dans la région, nous devenons alors une cible.
    Merci à tous nos témoins d'aujourd'hui.
    Nous vous sommes reconnaissants de votre présence ici et de votre témoignage. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Certains de ces renseignements sont tout à fait pertinents, étant donné que nous tiendrons ce soir un débat d'adoption, au terme duquel la Chambre décidera d'adopter un rapport de notre sous-comité sur le viol comme arme de guerre.
    Le témoignage que vous nous avez fourni aujourd'hui montre, malheureusement, que ce problème persiste, ce qui est décourageant.
    La séance est levée.
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