SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le jeudi 7 mai 2015
[Enregistrement électronique]
[Français]
Chers collègues, c'est aujourd'hui le 7 mai 2015 et nous tenons la 69e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Notre séance est télévisée aujourd'hui, ne faites donc rien d'extravagant.
Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui deux témoins dans le cadre de ce que nous appelons la Semaine de la responsabilisation de l'Iran. Il s'agit en fait de plusieurs semaines. Nous étudions la situation des droits de la personne en Iran.
Notre premier témoin est un représentant des Nations unies, Ahmed Shaheed. Il est le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l'homme en République islamique d'Iran. Nous entendrons ensuite Maziar Bahari, journaliste et producteur de film.
Chers collègues, nous allons procéder comme d'habitude. Nous commencerons par entendre les remarques liminaires de nos deux témoins. Une fois qu'ils auront terminé, le temps restant sera réparti entre les six membres du comité et c'est ce qui décidera du temps qu'il nous restera pour les questions et réponses.
Je crois comprendre que M. Shaheed va commencer.
Je vous invite à prendre la parole, s'il vous plaît.
Honorables membres du comité, c'est un grand plaisir pour moi de me retrouver ici pour vous parler de l'Iran.
Il y a six semaines j'ai beaucoup parlé de l'état des droits de la personne en Iran. Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies a voté pour renouveler mon mandat pour une autre année. La même semaine, l'Iran s'est engagé auprès des Nations unies à mettre en oeuvre 130 des recommandations qui ont été formulées lors du deuxième examen de l'Iran dans le cadre de l'examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme qui a eu lieu en octobre dernier. Comme pour l'examen d'il y a quatre ans, l'Iran a convenu d'accepter ces recommandations car bon nombre d'entre elles correspondaient à ce qu'ils faisaient déjà ou ce qu'ils étaient en voie de faire. Mais, bien entendu, l'examen sur quatre ans a montré que ce n'était pas le cas. J'espère sincèrement que l'on sera plus conscient de la nécessité d'encourager l'Iran à respecter ses propres engagements lors de l'examen périodique universel.
Certaines recommandations de l'examen périodique universel demandent au gouvernement iranien d'envisager de renforcer la protection des droits civils et politiques et de mettre fin aux pratiques qui violent ces droits. Elles exhortent également l'Iran à adhérer à plusieurs conventions qui abolissent le recours à la peine de mort, protègent contre la torture, traitent des droits des travailleurs migrants et font avancer l'égalité entre les sexes, qui sont tous des sujets qui suscitent de graves inquiétudes dans le pays.
Les recommandations portent également sur les améliorations à la protection de groupes vulnérables, dont les minorités religieuses, ethniques et sexuelles, et encouragent la création d'un institut national des droits de la personne pour se conformer aux critères des principes de Paris et enjoignent l'Iran à coopérer avec les mécanismes des droits de l'homme des Nations unies, y compris pour le mandat du pays.
Malheureusement, les rapports semestriels que le Secrétaire général des Nations Unies et moi-même avons présentés au conseil et à l'Assemblée générale semblent montrer un manque d'application des recommandations et dans bien des domaines dont nous avons parlé, la situation semble se détériorer gravement.
Certains aspects des lois, des politiques et des pratiques précédemment indiqués par les Iraniens et les Nations unies, par ses mécanismes, et qui figurent dans les huit rapports que j'ai présentés depuis mon entrée en fonction en 2011 continuent de créer une situation dans laquelle les droits sont compromis et la capacité d'améliorer les conditions est limitée.
Un certain nombre de projets de loi et de politiques contenant des dispositions qui semblent encore plus contraires aux garanties nationales et internationales sont en voie d'étude ou ont été adoptés dans les 12 derniers mois. Ces textes comprennent des dispositions qui semblent étendre l'influence exercée par le gouvernement sur les médias, la société civile, les organisations politiques et le secteur juridique et étendent apparemment les pouvoirs de la police à des civils pour faire appliquer les codes moraux de la religion islamique.
On peut en constater les effets négatifs dans les rapports qui sont sortis l'an dernier sur les arrestations de défenseurs des droits de la personne, d'avocats, de journalistes et de membres de minorités ethniques et religieuses et dans les lettres ouvertes et les communications confidentielles sur la torture et la violation des normes en matière de procès équitables. La fermeture de médias et les graves restrictions imposées sur Internet et les outils des médias sociaux se poursuivent également. Des politiques qui limitent encore davantage les perspectives économiques pour les femmes et qui les isolent en milieu de travail sont à l'étude ou sont déjà en train d'être mises en oeuvre par le gouvernement.
Une des plus graves préoccupations que j'ai mentionnées dans mon rapport est le taux extrêmement élevé des exécutions dans le pays, taux qui a continué à grimper ces derniers temps. L'Iran est le pays qui compte le plus grand nombre d'exécutions par habitant. J'ai écrit dans mon dernier rapport aux Nations unies qu'au moins 754 personnes ont été exécutées dans les 12 mois précédant mon rapport du mois de mars. Je suis très inquiet d'une nouvelle recrudescence des exécutions dans les derniers mois et les dernières semaines, avec 80 exécutions sur six jours. Certaines exécutions ont lieu en public. C'est une situation très inquiétante et une violation du droit international.
Un grand nombre de ces exécutions concernent des infractions liées à la drogue. Environ 30 % concernent des homicides. Soixante-dix pour cent concernent des infractions liées à la drogue sans crime grave, ce qui, en droit international, ne conduirait pas à la peine de mort. Au cours des quatre derniers mois de cette année, jusqu'à 400 personnes ont été mises à mort en Iran en vertu de ces lois.
Une des principales raisons pour lesquelles on a si souvent recours à la peine de mort en Iran tient à l'application de la loi en vigueur contre les stupéfiants. Je note que les autorités ont dit dans des conférences de presse l'an dernier que pour réduire ces incidents, il faudrait modifier la loi sur les stupéfiants, mais je n'en ai vu aucun signe. Il est également préoccupant que la peine de mort soit appliquée pour toute sorte d'infractions autres que l'homicide, y compris des infractions d'ordre sexuel et la corruption. Depuis un an, elle s'applique à un nombre toujours croissant de jeunes contrevenants, 17 depuis un an. Bon nombre des violations des droits de la personne ont trait au droit à la vie.
Comme j'ai dit au début, il semble également que l'on s'efforce de diminuer encore les possibilités de faire appel à une aide juridique, notamment en arrêtant un certain nombre d'avocats. Des lois sont prévues pour mettre fin à l'indépendance du barreau et créer une association du barreau parrainée et contrôlée par le gouvernement. Cette mesure va encore réduire la capacité des Iraniens d'engager l'avocat de leur choix pour défendre leurs droits. C'est une préoccupation, et j'attire l'attention de la communauté internationale sur l'importance de se pencher sur ce sujet.
Quant à la liberté de la presse, les lois en vigueur sont déjà assez restrictives. Il existe 17 types de contenu inacceptable que la loi sur la presse interdit actuellement. On voit des nouveautés dans ce domaine, notamment le recours à la loi contre la criminalité informatique et la loi contre la cybercriminalité, qui datent de 2009 et de 2010 respectivement, et qui limitent et violent le droit des Iraniens d'accéder à l'information et de s'exprimer.
L'Iran affirme que les journalistes ne sont pas arrêtés parce qu'ils font leur travail, mais parce que l'Iran se sert de lois très vagues et très floues sur la sécurité nationale pour condamner des personnes qu'il perçoit comme des menaces à la sécurité mais qui font essentiellement leur travail de journalistes et de défenseurs de droits de la personne.
Le président Rouhani a fait campagne en promettant de donner plus de liberté aux médias et aux journalistes. Il y a eu, bien entendu, quelques gestes symboliques au début de son administration, mais des journaux ont été fermés et des personnes ont été poursuivies pour des activités qui seraient clairement considérées comme des activités normales pour des journalistes, particulièrement en droit international.
Je suis particulièrement inquiet de la question de l'égalité entre les sexes et du sort des femmes. L'Iran a raison de se vanter du niveau élevé d'éducation des femmes, mais comme je l'ai dit dans mon dernier témoignage ici, des lois sont venues limiter l'accès des femmes aux universités, en imposant un quota sur le nombre de femmes qui peuvent les fréquenter et des prétextes sexospécifiques qui limiteront encore leur accès à l'université. Il faut ajouter à cela un projet de loi appelé plan d'excellence familiale, qui vise à faire augmenter la population du pays à un niveau très élevé en très peu de temps. Cette loi limitera encore la capacité des femmes à accéder à l'emploi. Ces lois prévoient des mesures dissuasives pour empêcher les femmes d'occuper un emploi. Le plan exigera que les employeurs donnent la préférence aux hommes mariés ayant des enfants, suivis des hommes mariés. Ensuite seulement viennent les femmes. La mesure limitera davantage l'accès à l'emploi des femmes.
Un autre projet de loi, déposé en octobre dernier, concerne un plan visant à protéger le hijab et la modestie. Cette mesure imposera de nouvelles restrictions aux femmes au lieu de travail, notamment en limitant leurs heures de travail de 7 heures du matin à 10 heures du soir, sauf pour certains types de travail, comme les soins infirmiers et la profession médicale. En général, cette loi limitera encore la capacité des femmes de trouver du travail.
Le projet de loi cherche également à réglementer le code vestimentaire au travail, en ordonnant que les employés des secteurs public et privé qui ne se conforment pas au code vestimentaire soient pénalisés par une réduction allant jusqu'à un tiers de leur salaire.
J'ai maintes fois parlé du sort des minorités religieuses du pays, du fait que la constitution elle-même crée une hiérarchie de communautés et de religion, et que certaines communautés, les baha'is en particulier, sont laissées sans protection en vertu de la constitution. Qui plus est, les musulmans sunnites signalent que leur demande de permis pour la construction d'une mosquée à Téhéran leur est refusée depuis 1979. Le gouvernement ne l'a pas contesté et indique qu'ils sont libres d'aller prier dans n'importe quelle mosquée de Téhéran, ce qui n'est pas la même chose que d'avoir la mosquée islamique sunnite qu'ils voudraient construire.
D'autres communautés religieuses sont également persécutées, y compris les chrétiens, en particulier les musulmans qui se convertissent. L'horaire des messes en farsi est limité. Les bibles en farsi sont également limitées, ce qui impose de nouvelles restrictions à ces communautés et les empêche de pratiquer librement leur religion. L'Iran est signataire du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'a signé sans réserve, y compris l'article 18, qui exige que l'on accorde la liberté de conscience et de religion et la liberté de manifester sa religion.
Les baha'is sont bien entendu ceux qui souffrent le plus de cette politique de discrimination fondée sur la religion. En décembre dernier, plus d'une centaine de baha'is demeuraient en prison, y compris leur principal dirigeant. On constate de plus en plus d'incitations à la haine contre les baha'is et de discours haineux contre eux, une autre source de graves préoccupations.
J'ai signalé dans mon dernier rapport aux Nations unies qu'environ 70 chrétiens se trouvaient en prison. Il s'agit de personnes converties qui ont été arrêtées dans les 12 derniers mois. Les autorités ont tendance à cibler les maisons-églises en particulier pour trouver des gens d'origine musulmane.
J'aimerais conclure en disant que le tableau général de la situation des droits de la personne en Iran que j'ai acquis est extrêmement inquiétant, voire alarmant. La vie est toujours extrêmement difficile pour les gens du pays. Je tiens également à mentionner que mes efforts pour faire réagir le gouvernement de l'Iran n'ont réussi qu'en partie. Je n'ai pas encore pu visiter le pays, ils ne m'ont pas autorisé à y aller et ils ne m'ont pas dit non plus que j'étais le bienvenu. Cela dit, ils n'ont pas réduit ma capacité de rendre compte ni mes moyens d'investigation, dont des moyens techniques électroniques ainsi qu'une société civile iranienne baha'i bien organisée dans la diaspora, qui sont une source précieuse d'information.
J'ai pu interviewer quelque 600 Iraniens depuis mon entrée en fonction, dont plus d'un tiers se trouvent dans le pays. Même sans pouvoir me rendre sur place, j'ai pu obtenir de l'information dans le pays. Mes informations proviennent maintenant de sources officielles. L'Iran affiche bon nombre de ses propres activités en ligne. Les débats parlementaires sont affichés en ligne. Ces informations et leurs rapports sur les constatations me donnent assez d'informations sur lesquelles fonder mes rapports.
J'aimerais conclure en vous remerciant de l'intérêt que vous portez à mon travail et en rappelant que ce genre d'intérêt est précieux pour promouvoir les droits de la personne en Iran. Merci beaucoup.
Merci beaucoup, monsieur Shaheed. Vos remarques sont très complètes, comme d'habitude.
Monsieur Bahari, vous pouvez commencer quand vous voulez.
Merci, monsieur Shaheed.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, merci de m'avoir invité à témoigner ici aujourd'hui.
Je suis ravi de cette occasion de m'adresser au Sous-comité des droits internationaux de la personne. J'espère que ma contribution sera utile à la Chambre des communes.
Je remercie aussi M. Cotler et vous tous pour la tenue de cette quatrième Semaine annuelle de la responsabilisation de l'Iran. Vous avez créé une tribune importante pour nous tous qui nous préoccupons de l'avenir de l'Iran et du bien-être de tous les Iraniens.
Je voudrais préciser que dans mes commentaires, quand j'utilise les mots « régime » et « gouvernement », je ne parle pas de toutes les personnes qui travaillent pour le gouvernement iranien. Bien des gens au sein du gouvernement iranien sont contre la violation des droits de la personne dans le pays, mais ils ne disent rien, soit parce qu'ils y sont obligés, soit par intérêt personnel. Je pense qu'il y a toujours des gens très bien, femmes et hommes, qui travaillent pour ce mauvais régime. Je suis persuadé qu'un jour ils finiront par se joindre à la lutte du peuple iranien pour un gouvernement plus ouvert et responsable.
J'ai été arrêté pour avoir travaillé comme journaliste en juin 2009. Après 118 jours en prison, j'ai été relâché sous caution. En prison. j'ai été brutalement torturé, physiquement et psychologiquement. J'ai été humilié et menacé d'être ramené en Iran dans un sac si je parlais des injustices dont j'ai été témoin en prison. À cause de cette expérience, je crois avoir une bonne compréhension du fonctionnement du régime iranien, comment il essaie de faire peur aux Iraniens et comment il les contrôle par la peur.
Depuis que je suis sorti de prison, j'ai participé à diverses campagnes en faveur des droits fondamentaux des Iraniens, des droits de la personne et des droits des citoyens, y compris à une campagne « le journalisme n'est pas un crime » et une campagne « l'éducation n'est pas un crime », et en faveur du droit de la minorité religieuse baha'i à enseigner et à étudier dans les universités iraniennes.
Les autres sujets sur Internet de la série « n'est pas un crime », que j'ai enregistrés, comprennent la danse n'est pas un crime, le bonheur n'est pas un crime, et plus récemment, être un chien n'est pas un crime, qui a été lancé en réaction aux méthodes inhumaines de tuer les chiens des rues et au projet de certains députés iraniens d'interdire les animaux de compagnie.
Je reviendrai volontiers sur ce sujet un peu plus tard, mais dans mon témoignage, je vais m'en tenir au journalisme.
Selon Journalistes sans frontières, 46 journalistes, blogueurs et activistes Internet sont en prison aujourd'hui en Iran. Cinq journalistes en détention ont été tués depuis 1997. Le Comité pour la protection des journalistes affirme que depuis 2009, l'Iran est un des trois principaux pays qui arrêtent des journalistes.
Selon notre enquête dans le cadre de la campagne « le journalisme n'est pas un crime », quelque 300 journalistes professionnels et citoyens ont été arrêtés et incarcérés depuis l'élection présidentielle contestée de juin 2009.
Ces personnes ne sont pas de simples chiffres, ce sont des pères, des mères, des épouses et époux qui ont été arrachés à leur famille. Leurs noms ne sont pas connus à l'étranger. Très peu ont eu l'occasion de présenter leur cas au Parlement canadien et à la communauté internationale. Beaucoup ont été arrêtés dans de petites villes et villages d'Iran où la situation des droits de la personne est encore plus déplorable que dans les grandes régions urbaines.
J'ai eu la chance d'être parmi les quelques journalistes dont le nom est connu à l'extérieur de l'Iran. Ce matin, j'ai remercié les gens qui peuvent prononcer mon nom correctement.
L'autre journaliste à double citoyenneté actuellement en prison est Jason Rezaian, un reporter du Washington Post qui a été arrêté en juillet 2014. Selon son avocat, Jason a été inculpé d'espionnage et de trois autres délits graves. Jason pourrait passer jusqu'à 20 ans en prison s'il est reconnu coupable. Cette parodie de justice est typique de ce que vivent tous les jours beaucoup de journalistes iraniens.
Jason a été arrêté avec sa femme et deux autres amis. Sa femme et les deux amis ont été relâchés peu après, mais ils ont été avertis de ne pas en parler aux médias. Sans doute à cause de cas précédents semblables, la famille et les amis de Jason ont été menacés par les agents du renseignement des Gardiens de la révolution qui l'ont arrêté. On a dû dire à la famille que si elle parlait de Jason, sa situation s'aggraverait et il pourrait passer des années en prison.
C'est exactement ce qu'on a dit à ma famille. Mon tortionnaire m'a battu avant que j'appelle ma femme et m'a obligé à lui dire d'arrêter de faire campagne en ma faveur. Heureusement, ma femme vivait à des milliers de kilomètres de l'Iran, à Londres, en Angleterre, et elle a pu continuer à mener sa campagne pour ma libération. J'ai fini par être relâché grâce à l'incroyable campagne mondiale menée par ma famille, mes collègues et mes amis.
Je tiens à remercier les diplomates canadiens qui ont travaillé sans relâche pour ma libération pendant que j'étais en prison.
Jason a lui aussi présumément été obligé de faire des aveux devant la caméra. Le contenu exact de cette confession forcée n'est pas clair, mais selon un député de la ligne dure, il a avoué faire de l'espionnage économique, un crime qui n'est pas défini dans le droit iranien et qui a sans doute davantage à voir avec son travail de journaliste et ses chroniques sur les sanctions contre l'Iran.
Les aveux forcés sont devenus un des outils privilégiés du régime iranien depuis 35 ans. J'ai également dû faire des aveux sous la contrainte quand j'étais en prison. Je me suis senti envahi et sali. Je me suis senti violé. C'était un viol qui s'est passé devant les caméras et qui a été ensuite affiché sur YouTube.
Dix mois après l'arrestation de Jason, le gouvernement iranien n'a toujours pas annoncé la raison de son arrestation et de son incarcération. Nous n'avons appris les chefs d'inculpation que grâce à l'entrevue que son avocat a donnée à l'agence de presse associée aux Gardiens de la révolution. Ce flagrant manque de responsabilité est typique de la République islamique d'Iran. Selon certains experts juridiques, les chefs d'accusation annoncés par l'avocat dans l'entrevue sont en contravention de l'article 24 de la Constitution de l'Iran ainsi que des obligations du gouvernement en vertu de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
De plus, le juge qui présidait la cause de Jason est un violateur notoire des droits de la personne. L'Union européenne a désigné le juge Abolghassem Salavati comme une personne s'exposant à des sanctions pour des violations contre les droits de la personne. Ce même juge m'a condamné pour divers chefs d'accusation à 13 ans et demi d'emprisonnement in absentia après mon départ d'Iran. Si vous vous demandez à quoi correspondent les six mois, c'était pour avoir affiché sur Facebook la photo de l'ancien président Ahmadinejad en train d'embrasser un garçon. Le juge Salavati a estimé qu'en ne retirant pas la photo, je laissais entendre que l'ex-président Ahmadinejad était homosexuel.
Les journalistes en Iran sont harcelés tous les jours par des fonctionnaires tels le juge Salavati et ses agents. Même ceux qui ne sont pas emprisonnés sont constamment sous pression et harcelés. Ils doivent travailler dans les limites dictées par un régime qui impose une des censures les plus dures du monde. Les journalistes vivent constamment sous la menace de la fermeture de leurs journaux et de leur site Web.
Le régime trace de nombreuses lignes rouges et interdit de parler de nombreux sujets. Dépasser ces lignes rouges et parler de ces sujets interdits sont considérés comme des crimes. Dans bien des cas, l'interprétation de ces lignes rouges est laissée à des juges comme M. Salavati. De nombreux juges sont persuadés par les agents de sécurité et les interrogateurs d'interpréter les lignes rouges aussi durement que possible. Selon mon interrogateur, la justice iranienne est à toutes fins pratiques entre les mains des interrogateurs et non des juges.
Ces interprétations rigoureuses des lignes rouges sont des outils efficaces pour faire pression sur les publications et les journalistes. Récemment, un journal a été fermé parce qu'il avait insulté le prophète Mahomet, la ligne la plus rouge des lignes rouges. Bien entendu, les lois iraniennes ne précisent pas ce qu'est une insulte. Le journal Mardom-e Emrooz, en français « Gens d'aujourd'hui », a été fermé plus tôt cette année pour avoir publié sur sa page couverture la photo de George Clooney déclarant « Je suis Charlie », après le massacre des dessinateurs de Charlie Hebdo à Paris en janvier 2015. Le fait de mentionner cette citation dans le journal a été interprété comme un appui aux bandes dessinées insultantes et accessoirement insultant pour leur prophète; par conséquent, le procureur général de Téhéran a ordonné la fermeture de ce journal populaire.
Le président Hassan Rouhani a été élu en 2013. Il a promis des réformes, un meilleur respect des libertés civiles et une plus grande liberté de la presse, mais rien de tout cela ne s'est concrétisé depuis son élection. Non seulement le président Rouhani a passé sous silence les violations des droits de la personne qui ont cours dans le pays, mais encore il a longtemps contesté le fait que le journalisme n'est pas un crime en Iran et que les journalistes ne sont ni gardés en détention ni emprisonnés pour la seule raison qu'ils font leur travail.
Il est vrai que l'appareil judiciaire et les forces de sécurité, qui ne sont pas contrôlés par le président, sont les principaux responsables des violations des droits de la personne en Iran, mais selon le principe 113 de la constitution iranienne, le président de la république assume la direction du pouvoir exécutif et il est responsable de l'application de la constitution par les autres branches du gouvernement. En outre, le principe 24 de la constitution stipule que les journalistes peuvent accomplir leur travail en toute liberté et que toute restriction à la liberté de la presse est inconstitutionnelle. Selon la constitution iranienne, le président a le devoir de protéger la liberté d'expression, à défaut de quoi il commet un manquement à ses devoirs.
Le moins que beaucoup d'Iraniens attendent de leur président, c'est qu'il fasse preuve d'honnêteté à leur égard. Si le président Rouhani croit qu'il n'est pas en son pouvoir de réfréner les violations des droits de la personne commises par les Gardiens de la révolution et les forces de sécurité, il devrait en informer les millions d'Iraniens qui ont voté pour lui. S'il ne peut rien faire pour mettre un frein à ces violations, il devrait à tout le moins aborder la question de son manque de pouvoir.
J'ai moi aussi voté pour M. Rouhani en 2013, me disant qu'il s'agissait du moindre de deux maux, vu les choix offerts au peuple iranien. Je voulais au moins croire à une partie de ses promesses et j'espère encore qu'il réussira à en tenir certaines au cours des deux prochaines années.
J'espère également qu'il peut entendre mon témoignage d'aujourd'hui, ou plutôt, en lire la traduction en farsi. Les agents du renseignement iranien traduisent tout, alors je suis certain que la traduction se rendra jusqu'à lui d'une manière ou d'une autre.
Pour conclure, j'aimerais souligner que ce témoignage ne représente pas seulement mes opinions personnelles. Mes propos ont été choisis en concertation avec bon nombre de mes collègues en Iran et à l'extérieur du pays. Elles traduisent le point de vue de beaucoup de prisonniers et journalistes iraniens censurés, tant en exil qu'en Iran.
Merci beaucoup.
Je vous remercie.
Chers collègues, il est 13 h 35. En pratique, il nous reste 25 minutes, soit quatre minutes chacun. Cela veut probablement dire une seule question par personne, à moins que vous ne receviez une réponse très brève à votre première question.
Commençons par M. Sweet. Nous verrons par la suite s'il y a place pour une deuxième question pour chacun. Tout dépendra du temps des réponses.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais simplement souligner une chose, pour le compte rendu. Je l'ai dit la dernière fois, mais j'aimerais approfondir un peu plus. Comment sommes-nous — nous, ou n'importe quel observateur — censés accorder le moindre degré de véracité ou de crédibilité au président et aux négociateurs du dossier nucléaire iranien alors qu'ils n'arrêtent jamais de prendre de nouveaux engagements quant à l'adoption de mesures visant à remédier aux violations de droits de la personne, et que non seulement ils ne respectent pas ces engagements, mais encore, ils intensifient la barbarie et la tyrannie auxquelles ils soumettent leurs propres concitoyens?
Nous venons tout juste d'entendre les témoignages de M. Bahari et de M. Shaheed comme quoi personne n'échappe réellement à la persécution, que ce soient les femmes, les jeunes, les musulmans sunnites, les chrétiens ou les baha'is. Rien ne change, malgré les promesses mille fois réitérées.
Cela dit, j'espère pouvoir poser une deuxième question, s'il est possible d'y répondre brièvement.
Monsieur Shaheed, savez-vous ce qu'il advient du pasteur Saeed Abedini en ce moment? Est-il toujours en vie et en sécurité? Est-il toujours en prison?
Merci pour cette question.
Je suis très inquiet pour la santé et la sécurité du pasteur. Des rapports très inquiétants ont été publiés sur son accès aux soins de santé et, bien sûr, ses conditions de détention. L'information que j'ai remonte à quelques semaines, mais les derniers rapports sur sa santé, son accès aux services et les conditions de détention dans la prison où il est détenu sont très préoccupants.
Merci, monsieur Shaheed.
Monsieur Bahari, quelle est votre réaction à ce commentaire émis en réponse à une question posée par le journaliste et animateur Charlie Rose au sujet de Jason Rezaian sur le réseau de télévision public américain PBS, le 28 avril? La réponse de Mohammad Javad Zarif a été la suivante: « Nous n'emprisonnons pas les gens pour leurs opinions....Le gouvernement a mis en place un plan visant à améliorer, à renforcer les droits de la personne dans le pays... »
Vous pouvez répondre moins brièvement. L'idée n'était pas de réduire la longueur de vos réponses, mais bien de s'assurer que les questions ne sont pas trop longues afin de vous laisser la parole. Vous avez encore du temps.
C'est un mensonge, je ne peux rien dire de plus. Un pur mensonge. M. Zarif sait que c'est faux. Certaines personnes essaient de l'interpréter autrement, en disant que techniquement parlant, ce n'est pas un mensonge, puisqu'il était question de Jason Rezaian et que techniquement encore, Jason Rezaian n'a pas été arrêté à cause de son travail de journaliste. Tout le monde sait que c'est un mensonge, mais malheureusement, c'est un régime fondé sur le mensonge. Même certains partisans pensent qu'un mensonge pieux est justifiable s'il est nécessaire pour protéger vos intérêts.
Merci, monsieur Bahari. Permettez-moi, monsieur le président, de souligner que la présence de M. Bahari parmi nous illustre bien la personnalité de cet homme qui, après avoir été emprisonné et torturé, est encore capable d'affirmer que le régime compte des gens probes. Cela en dit long sur votre noblesse de caractère, monsieur Bahari. Merci beaucoup pour votre témoignage.
Je commencerai avec M. Bahari. Tout d'abord, lorsque Rouhani s'est présenté aux élections, vous l'avez appuyé parce que, comme vous l'avez dit, entre deux maux, il faut choisir le moindre. Croyez-vous que le fait qu'il n'ait pas donné suite à certaines des promesses sur lesquelles il avait fait sa campagne relève de son propre choix ou est-ce que cela résulte des pressions exercées par son entourage?
Je pense qu'il s'agit d'une combinaison de deux choses: la limite de son pouvoir en tant que président du pays et aussi le fait qu'au fond de lui-même, Rouhani n'est pas un démocrate. C'est un homme d'affaires. C'est un politicien pragmatique et comme tel, il sait que le respect des droits de la personne et la non-persécution de certains groupes, notamment les baha'is et les chrétiens, sont bons pour les affaires. C'est aussi un homme qui fait passer ses intérêts personnels avant tout. Alors, lorsque l'appareil judiciaire, les Gardiens de la révolution et la police persécutent différents groupes, il ferme les yeux parce qu'il ne veut pas compromettre sa propre situation.
Ce qui s'est passé, c'est que les élections présidentielles de 2013 ont coïncidé avec les négociations sur le nucléaire. Les gens ont voté pour Rouhani parce qu'ils ne voulaient plus que leur pays soit considéré comme un État paria et Rouhani représentait la meilleure façon de sortir de l'impasse nucléaire.
Monsieur Shaheed, la lauréate d'un prix Nobel et avocate iranienne Shirin Ebadi a comparu devant ce comité. Le professeur Akhavan a également témoigné devant nous à quelques reprises. Profondément attachés à leur pays d'origine et partageant le même vif intérêt pour son avenir, tous deux affirment que tout changement systémique visant à remédier aux atteintes aux droits de la personne et aux nombreuses violations, par l'Iran, de sa propre constitution, doit se faire de l'intérieur et non de l'extérieur. Beaucoup de gens critiquent M. Obama pour le plan qu'il a mis au point afin d'empêcher la prolifération des armes nucléaires. Ils disent que ce plan n'arrêtera pas la prolifération, au mieux, il la retardera.
Je suis curieux d'entendre vos observations sur mon premier point. Selon vous, un mouvement pour le changement serait-il viable dans ce pays?
Cela fait quatre ans que j'observe la situation en Iran. Au cours de ces quatre années, j'ai vu le gouvernement démanteler systématiquement tout espace et toute structure au moyen desquels les gens auraient pu faire valoir davantage leurs droits. La société civile est maintenant sérieusement amputée dans le pays. Il y a trois ou quatre ans, il était encore possible d'organiser des manifestations et de lutter contre l'adoption de lois qui servaient les seuls intérêts des parlementaires. Maintenant, même cela n'est plus possible.
Sincèrement, ce que nous avons vu en Iran il y a quelques années, une société civile très active et capable de se mobiliser a été démantelée par ce que je crois être un mélange de persécution, de régression et autres changements, ne laissant pour ainsi dire que très peu de place à un mouvement endogène.
Je suis d'accord avec le fait qu'il doit y avoir une appropriation nationale du changement. C'est ce qui fait la durabilité du changement. Cependant, si on regarde ce qui se passe ailleurs dans le monde, on peut voir que ce qui maintient l'élan vers un changement positif, c'est la combinaison de l'appropriation interne et du soutien international.
Lors de l'examen périodique de l'Iran, il s'est produit ce qui se produit trop souvent: ils se sont dit d'accord avec les recommandations, mais ne les respectent pas. Je crois que l'une des façons d'appuyer ce que vous dites au sujet des pressions internationales, c'est de garder l'oeil sur l'Iran.
Il s'agissait plutôt d'un commentaire, parce que je n'avais que 20 secondes.
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins de leur présence,
Monsieur Shaheed, en mars, vous avez laissé entendre que la situation en Iran se détériorait encore plus sous la présidence de M. Rouhani. Vous nous avez mis en garde contre le fait que les autorités iraniennes continuaient de harceler, d'arrêter, de persécuter et même d'emprisonner de nombreux membres de la société qui expriment des critiques à l'égard du gouvernement ou qui dérogent ouvertement des faits officiellement reconnus. Notre gouvernement est profondément troublé par l'échec continu et délibéré du régime iranien à respecter les obligations et les engagements nationaux et internationaux en matière de droits de la personne. Nous avons appliqué des sanctions, notamment les sanctions prévues par le Règlement d'application de la résolution des Nations Unies sur l'Iran, nous avons fait des déclarations publiques pour appeler l'Iran à honorer ses obligations en matière de droits de la personne.
Que pensez-vous que les États pourraient faire de plus pour améliorer la situation des droits de la personne en Iran?
Beaucoup plus, en fait, qu'ils ne le pensent.
Bien sûr, la première chose est de continuer d'accorder une attention soutenue et d'exercer des pressions. Une deuxième consisterait, je crois, à faire participer plus largement toute la communauté des défenseurs des droits de la personne, notamment le système des Nations unies. Il existe en Iran une équipe de pays des Nations unies dont certains des programmes mettent les membres en contact avec le gouvernement. Les membres de cette équipe pourraient prêter une attention plus étroite aux droits de la personne. Le fait d'être membre de l'ONU peut soutenir et encourager ces gens à s'intéresser de plus près aux droits de la personne. L'ONUDC, l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, a un programme visant à appuyer la lutte contre le commerce de la drogue au pays. Ce programme pourrait devenir plus soucieux des droits de la personne ou plus axé sur la primauté du droit et l'appareil judiciaire, de sorte que les autres pays auraient des voies de recours pour exhorter le gouvernement à faire ses devoirs en ce qui concerne les violations des droits de la personne.
Advenant le dénouement de la question nucléaire avec l'Iran, risquons-nous d'assister à un relâchement des pressions exercées par la communauté internationale pour le respect des droits de la personne? Quelles mesures pourraient être prises pour éviter que la signature d'un accord nucléaire ne se fasse au détriment des droits de la personne?
Je ne pense pas qu'un accord nucléaire allégerait tout d'un coup la pression sur les droits de la personne, mais cela pourrait créer une distraction. Je pense que du fait que les violations des droits de la personne se poursuivent dans le pays, les gens et les autres pays resteront préoccupés par ce sujet. Compte tenu de l'ampleur des persécutions dont vous avez parlé, il est juste et normal d'être préoccupés.
Il sera important de donner plus d'espace au peuple iranien pour qu'il se fasse entendre, d'écouter plus de victimes de violations des droits, de les encourager davantage pour qu'elles parlent d'elles et donc faire en sorte que leur propre engagement envers les droits de la personne demeure fort, indépendamment d'autres considérations, qui sont également légitimes et existent en parallèle.
Merci, monsieur le président.
Je tiens à louer nos témoins pour leur témoignage exemplaire et d'excellente qualité.
Puisque je dispose d'une minute et demie supplémentaire, je vais poser deux questions, une pour chacun.
La première s'adresse à Maziar Bahari.
Vous nous avez parlé de quelques-unes de vos initiatives et vous avez dit que le journalisme n'est pas un crime et que l'éducation n'est pas un crime, et le dernier, comme vous l'avez dit, les chiens ne sont pas un crime. Vous avez indiqué que si vous avez plus de temps, vous pourriez élaborer sur ces questions. Je voudrais vous donner ce temps sur l'un ou l'autre de ces sujets.
Monsieur Shaheed, comme nous l'avons dit, la Semaine de responsabilisation de l'Iran s'est déroulée pendant que les négociations nucléaires éclipsaient, voire aseptisaient, les violations des droits de la personne. Nous voulions sonner l'alarme sur ces violations des droits de la personne. Comment pouvons-nous faire en sorte que cette alarme soit entendue?
Nous allons commencer avec vous, Maziar.
Merci beaucoup de votre question.
Comme l'a dit M. Shaheed, je pense que le régime iranien tente de limiter autant que possible l'espace pour le peuple iranien, en particulier les jeunes Iraniens, de leur refuser l'espace physique par la persécution, l'incarcération, la torture et la répression des différents journaux et publications, mais il est également très actif dans le cyberespace.
Il ne faut pas oublier que le régime iranien est finalement un régime analogique qui existe dans un monde numérique. C'est un régime très semblable au régime de l'Union soviétique, qui réussit très bien à bloquer les radios ondes courtes, à fermer les journaux et à emprisonner les gens, mais quand il s'agit des médias sociaux, de la technologie numérique d'Internet, la population iranienne a toujours une longueur d'avance.
Dans nos initiatives, qui sont surtout des initiatives en ligne, nous essayons de donner ce cyberespace aux militants et à la société civile d'Iran. Comme M. Shaheed l'a bien dit, la société civile iranienne est physiquement restreinte, mais il existe un dialogue très dynamique et très animé dans le cyberespace qui a un effet inévitable sur le discours physique de la société civile.
Nous avons lancé il y a environ deux ans une initiative appelée L'éducation n'est pas un crime, une campagne pour donner à la minorité religieuse baha'ie le droit d'étudier et d'enseigner dans les universités. Comme vous le savez, les baha'is ne peuvent pas enseigner ni étudier à l'université. J'ai réalisé un documentaire intitulé To Light a Candle. Nous avons ensuite placé ce documentaire en ligne en farsi pour tous ceux qui voudraient le télécharger. D'après ce que nous savons, et bien entendu, nous ne pouvons pas avoir de statistiques officielles, différents groupes de personnes téléchargent ce film et le regardent ensemble.
Nous avons également organisé une autre campagne internationale l'an dernier, le dernier vendredi de février, dans près de 400 villes dans le monde, de la Nouvelle-Zélande à Hawaï. Tout le monde a regardé le film le même soir. La campagne est toujours en cours. Dans la deuxième phase de la campagne, nous voulons créer des peintures murales et des graffitis partout dans le monde, encore une fois avec l'aide des citoyens, pas seulement les baha'is ou les Iraniens, mais d'autres aussi, afin de sensibiliser sur cette question.
Les journalistes iraniens peuvent consulter le site Web Le journalisme n'est pas un crime pour rester en contact entre eux. Comme je l'ai dit dans mon témoignage, bien des gens dans le monde ne connaissent pas les noms et les visages de ces journalistes iraniens. Ce sont seulement des statistiques: 45, 56, 65. Elles ne veulent rien dire, c'est pourquoi nous essayons de documenter chaque personne qui a été en prison en Iran. Nous avons commencé en 2009 et nous avons maintenant un mur de la honte. Le site va être remanié et nous allons organiser différents événements dans le monde et différents festivals.
Nous offrons également une aide psychologique et juridique aux journalistes. Les gens qui sont arrêtés ne connaissent pas leurs droits. Lorsque leurs biens sont confisqués, ils ne savent pas si c'est légal ou non. Dans la salle d'interrogatoire, l'interrogateur peut citer différents articles de la constitution qu'ils ne connaissent pas. Nous donnons aux journalistes et à leur famille l'accès à des conseils juridiques, mais des avocats sont également disponibles pour donner des conseils.
Il y a de nombreux autres sujets dans la rubrique « n'est pas un crime ». Comme vous le savez, des jeunes gens qui dansaient sur la chanson Happy ont été arrêtés. Les jeunes connaissent peut-être la chanson Happy de Pharrell Williams, c'est pourquoi nous avons créé un site pour le bonheur n'est pas un crime.
Le dernier est « être un chien n'est pas un crime », qui a gagné en quelques jours 5 600 adeptes sur Facebook car les traitements inhumains par le gouvernement iranien vont au-delà des personnes. Les chiens errants sont tués dans les rues des villes de l'Iran. Nous pensons, et je pense que la majorité des jeunes Iraniens le pensent également, que la vie doit être respectée. Voilà pourquoi ils ont réagi positivement à notre campagne.
Merci beaucoup. C'est une question fondamentale.
Je suis persuadé qu'un accord sur le nucléaire n'est pas la fin de quoi que ce soit. Je pense que c'est le début d'une nouvelle phase. C'est comme un but en première période plutôt que le but en or qui termine le match. On doit maintenir et jouer le jeu pour défendre ses intérêts.
On dit depuis longtemps déjà que la sécurité, la paix et le développement sont étroitement liés. Sans droits de la personne, nous n'avons ni paix ni développement ni sécurité.
Si nous recherchons la sécurité dans un accord sur le nucléaire, il devient important de se rendre compte que si les pays concernés ne respectent pas vos droits de la personne, ce pays va continuer d'être une source de préoccupation.
Nous ne sommes pas préoccupés par les droits de la personne en Iran parce que le pays possède une arme nucléaire, nous le sommes parce que ces violations représentent une situation très grave pour les valeurs que nous chérissons. Les pays qui violent les droits de la personne deviennent un problème pour eux-mêmes, pour leurs voisins et pour d'autres également.
Ces préoccupations ne vont pas disparaître quel que soit l'accord nucléaire conclu. Une fois qu'ils auront un accord, n'importe lequel, que faudra-t-il pour maintenir cette transparence? La responsabilisation, la bonne foi et la performance s'appliquent toutes presque à égalité à ces entreprises et aux questions des droits de la personne. Si les pays ne sont pas prêts à répondre tous et partout de la même manière à ces préoccupations, comment peut-on se sentir en sécurité sur tous les fronts?
Je maintiens que l'on ne peut pas séparer la sécurité du respect des droits de la personne. En fin de compte, si la stabilité nous préoccupe et si la sécurité nous préoccupe, nous devons prendre en compte le fait que la démocratie et le respect des droits de la personne font partie intégrante d'un tout. Nous devons donc le garder à l'esprit.
Vous avez parlé des raisons pour lesquelles le président actuel a été élu. Quel choix avaient-ils dans l'élection d'un candidat quelconque.
Non. C'est ce que je dis. Il était le meilleur parmi un mauvais choix. Ils ont dû passer par le filtre du Conseil des gardiens. Beaucoup de gens ont bien sûr été rejetés, y compris d'anciens présidents. Ceux-ci étaient les seuls à pouvoir être élus. Les gens ont été assez sages pour voter pour le candidat le moins apprécié du chef suprême de l'Iran.
Ce qu'il faut comprendre au sujet des élections de 2013, c'est que Rouhani a été élu en réaction aux élections de 2009 et que des millions de personnes sont descendues dans les rues pour protester contre le truquage des élections de 2009. Le régime n'a pas voulu que cela se reproduise et a permis aux gens de voter pour la personne qu'ils ont choisie.
S'agissant des pressions qu'exercent d'autres pays sur ceux qui ont des problèmes de droits de la personne, ces pressions donnent des résultats parce que même les dictateurs et ceux qui violent les droits de la personne se soucient de ce que le monde pense d'eux. Ils sont pointés du doigt. C'est une des raisons pour laquelle l'administration Obama a fait marche arrière concernant les sanctions.
À la dernière réunion, des témoins nous ont dit qu'ils croyaient que la communauté internationale était sur le point de réussir avec les sanctions, qu'elles étaient sur le point d'aboutir à un résultat, quand elle a fait marche arrière. On a notamment invoqué le fait que si on isole le pays, la stigmatisation n'est pas efficace. Elle ne l'est que s'il existe une relation.
Je veux savoir ce que vous pensez de cet équilibre entre avoir une relation et l'efficacité de la stigmatisation. Si l'on va très loin, que la stigmatisation est forte et que l'on ne se parle plus, on n'a plus la relation nécessaire pour qu'il y ait un effet.
Il faut bien comprendre que le gouvernement iranien n'est pas la Corée du Nord. Ce n'est pas l'Irak de Saddam Hussein. Ce n'est pas l'Allemagne nazie. C'est un pays autoritaire, mais pas totalitaire. C'est un oxymore. C'est une république islamique, comme ils l'appellent eux-mêmes.
C'est un régime autoritaire avec un chef suprême qui a le pouvoir ultime sur le militaire et les affaires étrangères, mais en même temps, ce régime a été porté au pouvoir par une révolution très populaire et il a besoin du peuple pour le soutenir.
D'un côté, ils doivent être au pouvoir par tous les moyens possible, mais de l'autre, ils doivent rechercher une légitimité. Si on aborde la question iranienne de ce point de vue, les sanctions fonctionnent pour faire pression sur le régime iranien, mais elles ne fonctionnent pas si on veut changer le régime. On peut changer certaines choses au sein du régime avec les sanctions, mais on ne peut pas changer le régime.
En fin de compte, l'histoire iranienne montre que les Iraniens supportent très mal l'ingérence étrangère parce que l'Iran a été au carrefour de différentes cultures. Il a été envahi depuis qu'Alexandre le Grand a envahi la Perse et brûlé Persépolis. Les Arabes ont ensuite envahi l'Iran, puis les Mongols et enfin les forces alliées.
Les Iraniens supportent vraiment très mal toute sorte de pression étrangère, mais dans le même temps, les jeunes Iraniens aimeraient être en contact avec le reste du monde. C'est un équilibre très délicat: quelle pression peut-on exercer sur le gouvernement iranien et où?
Monsieur le président, tout d'abord, je tiens à remercier et à féliciter les deux témoins d'aujourd'hui pour leur témoignage extrêmement important. C'est très important pour le sous-comité.
Je me sens également très privilégié car en tant que juriste spécialisé dans le droit international et le droit international des droits de la personne, ce sont des questions dont j'ai traité toute ma vie. Je vous remercie donc de ce témoignage.
Je voudrais poser quelques questions à M. Shaheed.
Je sais à quel point les mécanismes de l'examen périodique universel des Nations unies sont importants pour les questions dont nous traitons. Ayant participé à ces mécanismes au fil des ans, depuis 23 ans en fait, je connais très bien les couloirs du Palais des Nations à Genève. Je connais leur influence relative parfois sur les États membres examinés. Je connais les possibilités limitées des conclusions et des recommandations réellement mises en oeuvre par les États membres.
À quel point est-ce important de continuer d'utiliser ces mécanismes?
Je sais que le Canada a présenté chaque année des résolutions à l'ONU condamnant les violations des droits de la personne en Iran. Quelle est l'importance de ces initiatives pour un pays comme l'Iran et ce qui s'y passe?
J'aimerais faire deux observations à ce sujet.
Premièrement, il y a ce qu'on appelle le modèle de la spirale dans la littérature sur la promotion des droits de la personne. Certains pays veulent garder une bonne réputation. L'Iran fait attention à sa réputation. Il participe de façon limitée dans l'espoir tactique d'alléger la pression, mais finalement il est pris dans des situations plus difficiles dans le pays. Dans ce cas, il faut déterminer ce qui permettrait à l'Iran, de son point de vue, de poursuivre en toute sécurité sa collaboration et d'intégrer une structure qui peut conduire à des changements à long terme. De cette façon, il serait important de continuer d'utiliser ces mécanismes à condition de faire un effort en ce sens. Je pense que l'on peut faire davantage dans le contexte des Nations unies pour opérationnaliser ces recommandations et les poursuivre à l'avenir.
La résolution que le Canada a proposée à l'Assemblée générale de l'ONU reste la barre la plus haute que l'Iran doit atteindre et le message le plus fort adressé à l'Iran sur ce qu'il doit faire. Par conséquent, elle est très utile pour aider tout le monde, les Iraniens, et si l'on doit aller...
Encore une fois, contrairement à d'autres pays, comme nous l'avons dit ici, comme la Corée du Nord et d'autres, l'Iran se soucie plus de sa réputation que la Corée du Nord, de sorte qu'il participe à Genève et à New York. Il essaie de faire élire des membres de l'Iran dans divers organes de l'ONU. Parfois, ils sont élus et d'autres fois non. Ce discours à l'Assemblée générale, pour asseoir sa réputation, l'incite à faire quelques changements.
Le suivi doit être plus cohérent et plus approfondi pour en arriver à une conclusion plus efficace.
Je crois vraiment aux principes et aux objectifs de l'Organisation des Nations Unies. Je pense qu'aucun pays ne devrait jamais hésiter à rappeler aux autres États membres que nous sommes liés par la Charte des Nations Unies. Je pense qu'il faut le dire et le redire aux autres États membres. Je pense que le Canada ne doit jamais hésiter à le faire. Êtes-vous d'accord?
Absolument, je pense qu'il incombe aux membres des Nations unies de veiller à ce que tous les autres fassent avancer les objectifs communs, fixent la norme commune d'il y a 70 ans maintenant, quand la Charte des Nations Unies a été adoptée. Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur.
Merci beaucoup.
Chers collègues, notre temps est vraiment écoulé.
Tout d'abord, je remercie nos témoins qui, je le pense, méritent des remerciements de nous tous pour leur excellent témoignage et leur capacité à se concentrer sur les faits et sur ce qui est important et de nous le transmettre. Nous l'apprécions beaucoup. Merci à vous tous également.
La séance est levée jusqu'à mardi prochain.
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