SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 2 décembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Français]
En ce 2 décembre 2014, le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international tient sa 47e séance, qui sera télévisée.
[Traduction]
Nous poursuivons nos audiences sur les conséquences de la crise rwandaise 20 ans plus tard.
De Kigali, au Rwanda, nous recevons aujourd'hui Glenda Dubienski, la directrice internationale des opérations de la division rwandaise de HOPEthiopia.
Merci de vous joindre à nous. Je suis certain que la greffière vous a déjà donné les détails entourant la présentation de votre mémoire. Quand vous aurez terminé, nous allons passer aux questions du comité. Le tout devrait durer environ une heure.
Merci beaucoup. Nous vous écoutons.
Merci de me donner l'occasion de m'adresser au comité et de lui livrer mon témoignage sur la crise rwandaise, 20 ans après le génocide contre les Tutsis.
Je m'appelle Glenda Dubienski. Je suis Canadienne et j'habite au Rwanda. Je vous parle aujourd'hui en mon nom personnel, mais pour vous donner un peu de contexte, je précise que je suis conseillère de profession, co-fondatrice de HOPEthiopia, et responsable de la vision et directrice de HOPEthiopia, Rwanda. Je vais vous parler des cinq années que j'ai passées à aider les jeunes et les jeunes adultes rwandais à devenir maîtres de leur destinée, particulièrement les orphelins du génocide de 1994.
Mon travail consiste à encadrer les jeunes femmes et les jeunes hommes de 18 à 35 ans, qui appartiennent au groupe des jeunes et des jeunes adultes au Rwanda, pour les aider à gagner de l'autonomie. Vu mon ignorance évidente de la culture rwandaise et de la complexité que cela suppose, j'ai compris dès le début de mon mandat que je devais m'associer à des ONG locales fondées au Rwanda. Aujourd'hui, je travaille auprès et contribue au soutien de plusieurs ONG rwandaises, dont l'excellent travail est menacé par le manque de ressources.
Pour avoir travaillé avec des réfugiés congolais il y a quelques années, je constate qu'il y a des similitudes entre la culture du Rwanda et celle de l'est du Congo. J'espère que mon témoignage pourra vous éclairer non seulement sur la reprise du Rwanda après la crise, mais aussi sur la façon dont vous pourriez aider la RDC dans ce processus.
Je vous prie de m'excuser à l'avance si j'emploie des termes qui ne sont plus politiquement corrects pour qualifier certains groupes. Ce sont des termes qui étaient utilisés durant la crise de 1994 et il sera plus simple de reprendre cette terminologie pour expliquer la situation. Merci.
L'égalité entre les hommes et les femmes est de première importance pour le gouvernement rwandais. Pour vous rafraîchir la mémoire, la Vision 2020 du Rwanda, rédigée il y a 14 ans, repose sur les cinq piliers suivants: une saine gouvernance et un État efficace; le développement des ressources humaines et une économie fondée sur le savoir; une économie dirigée par le secteur privé; le développement de l'infrastructure; une agriculture productive et axée sur le marché.
Mais il est primordial de souligner que le facteur transversal de ce document est l'égalité entre les sexes. Cette position est mise en lumière par le fait que la majorité des sièges du Parlement sont occupés par des femmes, soit 51 sur 80, ou 64 %. Je crois que cette forte représentation des femmes par des femmes a eu des répercussions évidentes sur la question dont on discute aujourd'hui, car les femmes ont maintenant voix au chapitre dans ce pays.
Preuve concrète que les femmes victimisées peuvent aujourd'hui se faire entendre, le Rwanda s'est engagé à construire le premier centre de soins aux victimes de violence sexiste en Afrique de l'Est. Le centre sera sous la supervision du département de psychologie clinique de l'hôpital militaire du Rwanda. Il offrira différents traitements, dont des tests d'ADN afin d'identifier les agresseurs et d'obtenir justice pour les victimes.
Vu la position du Rwanda à l'égard des femmes qui sont et qui ont été victimes de viol et de violence sexuelle, les femmes sentent qu'elles peuvent légitimement dénoncer leur situation et demander de l'aide pour s'en sortir. Des campagnes de sensibilisation menées auprès de la population ont aussi permis d'en faire un sujet de discussion plus acceptable.
Bien que le Rwanda soit un pays en développement, il tente véritablement de faire cesser la violence sexiste. Cependant, comme il ne dispose que de six psychiatres, d'une ou deux infirmières en psychiatrie ou psychologues par district, et d'un seul hôpital possédant un département de psychologie clinique, le pays n'a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins de la population.
De plus, comme mes collègues de l'hôpital militaire du Rwanda me le répètent souvent, la psychologie clinique est un domaine très récent au Rwanda. Les interventions utilisées pour aider les victimes sont parfois superficielles, traitant souvent le comportement plutôt que la cause profonde. Les victimes d'un traumatisme vivent ainsi dans la peur constante et affichent des comportements antisociaux: promiscuité sexuelle, agressivité et irritabilité.
Le Rwanda a accueilli des intervenants externes pour enseigner de nouvelles pratiques d'intervention aux conseillers professionnels et bénévoles, et c'est ainsi que j'ai commencé à travailler pour le Rwanda, mais il reste encore beaucoup à faire.
Selon mon expérience auprès des victimes de viol et de violence sexuelle, et l'expérience des autres intervenants dans le domaine, ce qui déterminera la guérison des Rwandaises victimes de viol et de violence sexuelle durant la crise du Rwanda, c'est la gravité du traumatisme subi, qui renvoie souvent à la manière dont s'est passé le viol: viol individuel; viol collectif; viol à l'aide d'objets, comme des bâtons pointus ou des canons de fusil; esclavage sexuel; ou mutilation sexuelle. Le traumatisme est aussi plus grand si la victime a été témoin de la torture et/ou du meurtre de proches parents avant d'être violée.
D'autres facteurs sont aussi déterminants, comme la disponibilité de réseaux sociaux, par exemple la famille, l'église et la communauté immédiate; les traits de personnalité de la victime, notamment la résilience, la ténacité et l'estime de soi; et la spiritualité de la victime, car la foi joue un rôle prépondérant dans la vie des Rwandais. Savoir que la vie a une signification divine ou plus grande qu'eux, ou croire en la présence d'un être céleste, c'est déterminant pour eux.
Une femme dont l'enfant est issu d'un viol durant le génocide est probablement orpheline et gravement traumatisée d'avoir vu sa famille mourir devant elle. C'est une paria, une femme ternie par la semence de génocidaires. Une Tutsi portant l'enfant d'un Hutu est rejetée par les deux groupes. Si son église appuyait politiquement les extrémistes hutus, elle perd le soutien de son église, de même que sa foi envers sa confession religieuse et envers Dieu. Elle est dépourvue de tout réseau de soutien.
Les femmes qui ne trouvent pas d'aide et qui vivent depuis 20 ans avec les souvenirs, la maladie et les cicatrices du viol et de la violence sexuelle ont quand même besoin de soins intensifs. Elles souffrent de maladies mentales, comme la dépression ou des troubles dissociatifs, un désordre hautement débilitant. D'autres ont développé des dépendances aux drogues et à l'alcool en voulant apaiser leurs souffrances, et bien d'autres encore ont succombé à l'idée qu'elles n'étaient bonnes qu'à une chose et elles se sont tournées vers la prostitution.
Dans la culture rwandaise, les gens hésitent à exprimer leurs véritables sentiments en dehors du cercle familial. La famille passe avant tout au Rwanda. La majorité des survivantes de viol du génocide ont perdu leur famille, alors vers qui peuvent-elles se tourner? Les voisins se sont entre-tués et l'ensemble de la collectivité a tourné le dos au Rwanda pendant la crise. Le doute et la méfiance sont bien ancrés.
Pour guérir, les femmes doivent bâtir des relations de confiance, et cela prend du temps et de la volonté. Elles ont trouvé du réconfort auprès de personnes qui comprennent leur douleur, qui ont de l'empathie pour elles et qui ont connu les mêmes souffrances. Il est extrêmement bénéfique pour ces femmes d'avoir quelqu'un pour les aider à tisser des liens et pour les accompagner dans leurs démarches. Les survivantes nous confient souvent que c'est dans ce contexte qu'elles ont retrouvé une famille.
L'expérience nous montre que le développement des enfants nés d'un viol au Rwanda est déterminé par l'acceptation de la mère et l'attachement de l'enfant à celle-ci. Si la mère accepte son enfant et qu'elle arrive à créer des liens avec lui, l'enfant est plus susceptible de bien se développer et de devenir un citoyen responsable et productif. Toutefois, plus souvent qu'autrement, la mère n'accepte pas l'enfant, et quand les tentatives d'avortement échouent, elle tue ou essaie de tuer son enfant, l'abandonne ou décide de le garder.
L'enfant qu'on a gardé, souvent le portrait de son père, l'agresseur, est détesté et subit les foudres de sa mère, qui en veut toujours au violeur. Rejeté et mal aimé, l'enfant né d'un viol souffre de graves problèmes d'identité. Abandonnés de leur mère, nés d'un père inconnu, ces enfants se jettent souvent dans les drogues et l'alcool et affichent un comportement rebelle.
Depuis 2010, le gouvernement rwandais offre aux jeunes hommes de 18 à 35 ans des programmes de désintoxication et de la formation professionnelle. Certains de ces hommes sont des enfants du viol qui ont été abandonnés par leur mère, incapable d'en prendre soin. Forcés de vivre dans la rue, ils se tournent vers l'abus d'alcool ou de drogues. Le gouvernement prévoit ouvrir un centre semblable pour les filles au cours de la prochaine année.
Je travaille avec ces jeunes hommes et femmes, des enfants du viol, pour leur offrir des logements de transition et des soins médicaux, leur permettre de poursuivre leurs études, établir des entreprises coopératives, et prendre leur défense au besoin. Honnêtement, ce ne sont là que les bases de ce qu'un cadre parental tout juste adéquat pourrait offrir, et ces jeunes en sont très reconnaissants. Lorsqu'ils parlent de leur transformation, ils mentionnent toujours qu'ils ont trouvé un foyer et une famille. Les enfants, peu importe leur âge, ont besoin d'un lien sécurisant à une personne de confiance.
Encore là, le foyer et la famille font une grande différence dans la capacité d'un enfant du viol de se remettre des marques que laisse le rejet.
En conclusion, je crois que pour mettre un terme à ces injustices et permettre aux victimes de violence sexuelle d'en guérir, il faut appliquer rapidement des pratiques holistiques et adaptées au contexte culturel, de préférence par des intervenants locaux, et mener des campagnes de sensibilisation face à la violence sexuelle, commise en temps de guerre ou non. Je n'insisterai jamais assez sur le fait que les personnes qui ont réussi à s'en sortir sont celles qui ont reçu des soins de compassion à long terme. Celles qui en ont bénéficié sont les premières à l'affirmer. En étant accompagnées par une personne qui leur prête une oreille attentive, et en se faisant une place parmi d'autres qui comprennent leur situation, bien des femmes ont trouvé le chemin de la guérison, ou ont à tout le moins pu se remettre suffisamment de leur traumatisme pour aller de l'avant.
Finalement, un héros canadien, le général de la MINUAR, et aujourd'hui sénateur, Roméo Dallaire, a dit ceci lors d'une audience tenue à Calgary en janvier de cette année: le Rwanda est un modèle de guérison; aucune autre nation ne s'est aussi bien remise d'une telle crise.
Comme l'écrivain et journaliste Jean Hatzfeld, je crois que nous avons beaucoup à apprendre des Rwandais sur la réconciliation et la guérison des blessures de guerre, de même que sur la prévention de la violence sexuelle. Je vous encourage à poursuivre vos efforts pour apprendre de l'expérience du Rwanda.
Merci.
Merci.
Comme il nous reste 45 minutes, nous avons le temps de faire des tours de questions et réponses de six minutes.
Nous commençons avec vous, monsieur Sweet?
Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci beaucoup pour votre témoignage.
Vous avez dit bien des choses concernant le petit nombre de psychiatres, de psychologues et d'infirmières disponibles dans chaque district, d'où l'existence de votre mission. Sachant que la famille occupe une place de choix dans la culture rwandaise, pour exprimer les douleurs et traverser les épreuves, a-t-on essayé de créer des réseaux réunissant les personnes dont la guérison a été plus rapide que la moyenne — revenons à la foi, puisque vous avez abordé la question —, afin de les jumeler à d'autres? On aurait ainsi un processus de guérison partagé et l'établissement d'une structure sociale qui se rapproche le plus possible de la structure familiale.
Oui. La meilleure façon de répondre à votre question serait de vous dire que plusieurs groupes de femmes ont été réunis par les circonstances, qu'on parle de dysfonction sociale, de troubles psychologiques ou même de pauvreté. Ces facteurs ont rassemblé des femmes, qui ont ainsi formé une famille naturelle, car elles ont eu l'occasion d'échanger entre elles. Les débuts sont peut-être modestes, mais petit à petit, à mesure qu'elles apprennent à se connaître, elles s'ouvrent de plus en plus et se créent par la même occasion un milieu très sécurisant. Dans ce contexte, elles forment réellement une famille.
Je ne sais pas ce que je peux vous dire de plus à propos de la famille. Les Rwandais sont très fermés au monde extérieur à la famille. Je vais vous donner un exemple. Une de nos classes de couturières diplômées, qui étaient nombreuses à avoir été victimes de viol pendant le génocide, ont dit être venues à notre centre pour avoir du soutien psychologique. Elles étaient absolument incapables de fonctionner et quelqu'un leur a conseillé de venir au centre. Reconnaissant qu'elles n'avaient pas seulement besoin de soutien psychologique, mais aussi d'un moyen pour se sortir de la pauvreté, nous avons créé une école de couture. Assises en rond, à coudre des courtepointes, elles se sont mises à raconter leurs histoires. À la graduation, la major de la première promotion a déclaré qu'elle était venue pour du soutien psychologique, qu'elle avait appris un métier, mais surtout, qu'elle avait gagné une famille. C'est une mère parfaitement compétente et fonctionnelle, qui a été capable d'accepter son enfant né d'un viol, et tout cela a été possible grâce à ce processus.
Est-ce que cela répond à votre question?
Merci. C'est encourageant compte tenu de la nature de ce que les Rwandais ont vécu. Nous avons entendu des témoignages brutaux sur les viols douloureux qui ont été commis. Vous nous avez aussi donné des détails déchirants. C'est bien d'entendre que des histoires ont connu un dénouement heureux.
Si j'ai bien compris, vous êtes là depuis cinq ans. Vous avez parlé de réconciliation. D'après les témoignages que nous avons entendus, je crois qu'il ne s'agit pas que de se réconcilier avec les agresseurs, mais aussi de se réconcilier avec le fait qu'il y a une stigmatisation culturelle lorsque des innocentes sont violentées et qu'elles portent le fruit de ce viol, leur enfant. Voyez-vous des progrès de ce côté? J'imagine qu'il faut énormément de temps pour que des changements culturels s'installent, mais avez-vous vu une progression dans les normes sociétales ou les attitudes envers ces femmes qui ont été des victimes et qui ont des enfants nés d'un viol? Est-ce que les choses changent?
Oui, je pense que les choses changent, car on déploie énormément d'efforts pour sensibiliser la population. Certains comprennent mieux la situation des femmes qui ont été violées pendant le génocide. Je crois que le témoignage le plus éloquent de cette évolution vient de la guérison de ces femmes et de la confiance qu'elles ont gagnée en cours de route et qui leur permet de dire la vérité tout haut. On remarque un changement. Les gens sont davantage prêts à écouter.
Je peux vous dire que les femmes qui viennent au centre pour la première fois ne peuvent même pas nous regarder dans les yeux. Mais quand elles partent pour lancer leur entreprise, elles marchent la tête haute. Les gens vont écouter.
Les métiers qu'on leur permet d'apprendre sont loin d'être uniquement une source de revenus. Ils leur donnent aussi les capacités psychosociales nécessaires à la guérison.
Absolument. Pendant que les femmes apprennent un métier, leurs enfants apprennent aussi à socialiser. Elles finissent par prendre soin mutuellement de leurs enfants, et les enfants par prendre soin mutuellement de leurs mères, alors c'est une vraie communauté qui se crée.
C'est un sujet très difficile pour tous ceux qui n'ont jamais vécu rien de tel. À vous entendre... J'ai grandi au Nouveau-Brunswick, et je me souviens que les femmes se réunissaient pour des corvées de courtepointe. Vous ne me voyez pas, mais je suis réellement assez vieux pour cela. J'étais tout jeune à l'époque et je me cachais sous la couverture pendant qu'elles travaillaient, et j'ai entendu toutes sortes de conversations. Elles parlaient de leur mari violent ou alcoolique et de toutes sortes de choses. Il y avait également des Premières Nations près de chez nous et elles avaient des cercles de discussion, où on faisait circuler une plume. Dans les années 1970, quand j'étais dans le mouvement syndical, on commençait à parler du harcèlement sexuel, des politiques sur le harcèlement et des choses comme cela. On s'assoyait en cercle et on faisait circuler un stylo. Dans tous ces exemples, il y avait quelque chose qui donnait aux gens la permission tangible de parler. C'est donc intéressant de vous entendre dire cela.
Le Canada a récemment commémoré ces événements horribles, et j'ai entendu le témoignage de survivants. Savez-vous s'il y a des programmes d'aide offerts à ces victimes au Canada?
C'est une très bonne question. Je viens de Calgary, en Alberta, et il y a là-bas une communauté rwandaise très dynamique, qui a aussi accueilli beaucoup de Burundais. Outre la communauté elle-même, je ne connais pas de groupe au Canada qui offre un tel soutien.
Nous avons mené une étude dernièrement sur l'utilisation du viol et de la violence sexuelle comme arme de guerre. La communauté où vous vous trouvez en ce moment est loin d'être la seule à avoir été touchée par ce phénomène, alors les victimes sont probablement encore plus nombreuses qu'on peut l'imaginer, vu le niveau élevé d'immigration au Canada.
J'aimerais creuser un peu plus. Comment se comparent les besoins des enfants qui ont survécu à ce drame par rapport à ceux des mères? Les contextes sont différents. La mère a vécu directement toutes ces horreurs, alors que l'enfant a des échos de ce qui s'est passé, si je peux m'exprimer ainsi. Comment se distinguent leurs besoins respectifs?
Oh, mon Dieu. Ils ont des besoins vraiment différents, et pourtant très semblables. Les femmes ont évidemment vécu le traumatisme directement. Elles souffrent d'une forme ou une autre de trouble de stress post-traumatique, et celles qui n'arrivent pas à s'en remettre du tout perdent souvent contact avec la réalité, en proie à un désordre dissociatif. Ces femmes ne sont tout simplement pas en mesure de fonctionner dans ces conditions. Comme je le disais, certaines d'entre elles ont besoin de soins intensifs. On envisage en ce moment la possibilité de construire un centre voué spécialement à ces femmes, mais rien n'est certain, car cela semble très difficile à faire.
Pour les enfants, je crois qu'il y a plus d'espoir, car en bâtissant des relations solides avec eux, on peut véritablement les aider à s'élever au-dessus de tout cela et à rompre le cycle pour les générations futures.
Honnêtement, les enfants sont avides de tisser des liens avec une personne qui s'intéressera à eux et qui leur prêtera une oreille attentive. Ils ont grandi avec une mère qui, plus souvent qu'autrement, était incapable de leur donner de l'attention ou de répondre à leurs besoins fondamentaux. Si quelqu'un est là pour offrir ce genre de soins à ces jeunes, je pense que les possibilités sont énormes pour eux. Nous l'avons vu d'ailleurs. Je dis « je pense », mais je l'ai vu de mes propres yeux. En permettant aux femmes de se joindre à des groupes de soutien, elles ont elles aussi pu faire du chemin, mais les progrès sont beaucoup plus fulgurants avec les enfants.
Il y a un aspect pour lequel je ne sais pas si vous êtes en mesure de faire des commentaires. Cela concerne l'expérience des personnes déplacées qui se sont retrouvées dans des camps de réfugiés ou dans des pays d'Afrique de l'Est et d'Afrique centrale. Qu'ont-ils vécu? Êtes-vous au courant?
Après les événements, les gens ont fui le pays. Beaucoup se sont rendus dans des pays à proximité. Comment ont-ils été traités? Que leur est-il arrivé, en fin de compte? Sont-ils nombreux à être retournés au Rwanda?
Parmi les groupes de la diaspora, il y a un important mouvement de retour vers le Rwanda. Beaucoup de gens y retournent.
Si vous voulez savoir ce qu'il en est des réfugiés congolais, beaucoup sont venus il y a deux ans. Parmi eux, beaucoup parlaient le kinyarwanda. Donc, je suppose que bon nombre d'entre eux étaient d'origine rwandaise.
Quant à ceux qui y retournent pour s'y établir en permanence, il y a un énorme mouvement de retour au pays.
Merci, monsieur le président.
Merci de votre temps, madame Dubienski.
Dans l'une des mises à jour du bulletin d'actualités du site Web HOPEthiopia, on parle du parrainage de 20 femmes rwandaises, auxquelles on souhaite offrir des services de counselling.
Pouvez-vous nous parler des résultats obtenus pour ces femmes? En quoi consiste le prochain processus de sélection pour déterminer quelles femmes seront prises en charge, et de quelle façon?
Cinq groupes ont terminé leurs études à l'école de couture que nous avons mise sur pied en collaboration avec une autre ONG locale qui s'appelle la Tubahumurize Association, qui signifie « réconfortons-les ».
Nous avons une conseillère rwandaise qui travaille avec les femmes tous les jours. Elle est conseillère à temps plein. Toutes les femmes que nous accueillons n'ont pas obtenu leur diplôme d'études secondaires, et elles ne reçoivent aucune autre aide. La moitié des femmes de notre dernier groupe de finissantes sont des femmes qui sont sorties du milieu de la prostitution. La majorité de ces femmes ont eu un enfant né d'un viol. Pour ce qui est de la réussite du programme, nous leur enseignons également l'anglais, qui est maintenant une langue nationale reconnue au Rwanda. En outre, nous leur enseignons des compétences de base comme les mathématiques et les langues.
En ce qui concerne la situation actuelle des femmes de notre dernier groupe de finissantes — qui était probablement le plus complexe parce que la majorité d'entre elles ont été victimes de violence sexuelle grave —, elles ont démarré leurs propres entreprises et elles connaissent toutes du succès. Lorsque j'échangeais avec elles au moment de la remise des diplômes, elles avaient vraiment l'air plus grandes. Elles se tenaient plus droites; elles étaient confiantes. Je les ai vues interagir avec d'autres, sans qu'elles le sachent, et je ne les ai pas seulement vues se défendre; elles se portaient aussi à la défense de leurs voisines. Ces femmes sont très capables. Quant au processus de sélection, les femmes nous sont envoyées par les responsables du ministère des Affaires sociales du district où nous sommes enregistrés. Parfois, la mairesse adjointe et moi-même parcourons les rues et nous discutons avec de jeunes femmes qui se sont tournées vers la prostitution et nous leur suggérons de venir à l'école. Les femmes que nous accueillons ont toutes entre 18 et 35 ans.
En fait, dans la dernière cohorte que nous avons accueillie, il y a tout juste un mois, il y a une femme de 34 ans qui a un enfant né d'un viol qu'elle a subi pendant le génocide. Elle a grandement besoin d'aide. En un mois seulement, j'ai vu des changements chez elle.
À votre avis, par rapport aux enfants nés d'un viol et de violence sexuelle au Rwanda, quelles mesures pratiques pourrait-on prendre pour améliorer leur qualité de vie aujourd'hui? S'agit-il de l'éducation, de la formation professionnelle, des soins de santé, ou d'autres choses? Quelle aide la communauté internationale apporte-t-elle à cet égard?
Je pense que vous avez évoqué tous les problèmes importants.
De toute évidence, l'éducation est une priorité. Dans ce pays, l'éducation est gratuite, mais il faut tout de même payer les frais scolaires. Par conséquent, beaucoup de personnes n'y ont toujours pas accès. Les gens ont aussi des besoins considérables en matière de soins de santé. Cela concerne en partie les enfants nés d'un viol, qui sont souvent négligés et qui ont beaucoup de problèmes de santé. Certains de ces problèmes sont liés à la violence, tandis que d'autres sont liés à des infections qui pourraient avoir été contractées dans la région où ils vivent. La malaria est toujours un grave problème ici.
Je ne peux insister assez sur l'aide psychologique et psychiatrique. Il est vraiment essentiel de les aider à surmonter le traumatisme qu'ils ont vécu et le traumatisme vécu par la mère et qui leur a été transmis.
En ce qui concerne la communauté internationale, simplement pour vous donner une idée du nombre de personnes qui se sentent interpellées à venir travailler dans ce pays, 15 Canadiens ont pu participer au repas de l'Action de grâces. L'aide n'est pas suffisante. Actuellement, la situation au Rwanda semble être très bonne, mais pour les gens, les problèmes sont juste sous la surface.
Pouvez-vous nous donner des explications sur le rôle du Tribunal pénal international pour le Rwanda dans la foulée du génocide? A-t-il permis de condamner bon nombre des Hutus qui ont fui vers la République démocratique du Congo?
Oh, vous me posez une question de nature politique. D'après ce que j'ai observé, je dirais que je pense que justice a été rendue le mieux possible, étant donné le nombre d'auteurs de crimes qu'il y a au pays. Je pourrais vous parler davantage des procès devant les tribunaux Gacaca qui ont été tenus ici. Il s'agit d'instances judiciaires traditionnelles qui avaient été établies au Rwanda il y a de nombreuses années et qui ont été réinstaurées pour s'assurer que justice soit rendue.
Ce que j'ai observé, c'est que la réconciliation a été beaucoup plus profonde que ce que l'on aurait pu imaginer.
Quant au TPIR, je sais que beaucoup de génocidaires et de personnes qui ont orchestré cette crise sont toujours libres. Je pense que la communauté internationale doit s'engager fermement à ce que ces personnes soient traduites en justice.
Merci de votre témoignage et merci de nous parler de votre expérience personnelle.
Ma question porte précisément sur ce dont vous parliez par rapport à l'aide offerte aux enfants nés d'un viol. D'après ce que je comprends, le gouvernement rwandais offre de l'aide gouvernementale aux survivants du génocide, mais n'offre pas d'aide aux enfants nés d'un viol; ils n'y sont pas admissibles.
J'ai été frappé par votre commentaire selon lequel il est important que les enfants établissent des liens avec quelqu'un qui se soucie vraiment d'eux. Dans ce cas précis, on leur porte presque à croire que leur gouvernement est indifférent.
Ne serait-il pas important d'amener le gouvernement à offrir également cette aide aux enfants nés d'un viol, en particulier l'aide psychiatrique et psychologique dont vous avez parlé? Ce serait important et l'aide gouvernementale pourrait être utile à cet égard.
Je suis entièrement d'accord avec vous sur ce point. Que ces enfants n'aient droit à aucune aide n'a aucun sens. Ils sont un fardeau pour tous. C'est l'idée que l'on s'en fait, mais il ne devrait pas en être ainsi.
Personnellement, j'estime que le fait qu'ils n'ont pas droit aux mêmes mesures d'aide que les survivants du génocide n'a aucun sens.
Les parlementaires canadiens auraient-ils un rôle quelconque à jouer, parmi les autres enjeux bilatéraux dont nous traitons dans notre relation avec le Rwanda, comme par exemple exercer des pressions auprès de nos homologues rwandais pour essayer d'encourager le gouvernement à offrir une aide de ce genre aux enfants nés d'un viol?
En fait, je pense qu'il serait très sage d'encourager les parlementaires rwandais à prendre des mesures pour que ces enfants soient aussi pris en charge.
Selon mes observations, le gouvernement rwandais est aussi limité financièrement, manifestement, et il a même réduit les services offerts aux survivants du génocide. Je pense qu'il serait difficile d'offrir les services à d'autres personnes. Or, en même temps, je pense que c'est simplement une question de justice.
Je tiens ces propos, mais je dois être tout à fait honnête. Je pense que nous ne sommes pas en bonne position au Canada parce qu'en 2012, nous avons mis fin à notre programme d'aide au Rwanda. J'estime que les pétitionnaires doivent être irréprochables. Nous devons examiner de nouveau la question pour savoir si nous pouvons renouveler l'aide au Rwanda.
Je pense qu'il existe une fausse perception, parce que le Rwanda présente une croissance de 6 ou 7 %, environ. On oublie que malgré cette croissance, environ 45 % de la population vit dans la pauvreté. Les enfants nés d'un viol comptent parmi les plus vulnérables.
En tant que gouvernement, nous devrons peut-être faire deux choses. La première consiste à offrir de l'aide au Rwanda, une aide qui pourrait être ciblée pour les enfants nés d'un viol. Cela pourrait être une bonne façon de renouveler nos relations bilatérales avec le Rwanda. En même temps, nous aurions qualité, en tant que parlementaires, pour entreprendre des démarches auprès du gouvernement et du Parlement pour les inciter à faire de même.
Je suis très heureuse de vous l'entendre dire. Je suis très heureuse que vous ayez dit tout cela. Je suis totalement d'accord avec vous là-dessus. Je dois aussi dire que quiconque visiterait le Rwanda n'aurait probablement aucune idée de la statistique que vous venez de citer concernant le taux de pauvreté de 45 %. Le Rwanda excelle dans l'art de se présenter sous son meilleur jour. C'est très propre et très ordonné. C'est la première chose. La bonne gouvernance... Tout est ordonné. Toutefois, il suffit d'aller dans la vallée, dans n'importe quelle vallée, pour trouver la vérité. Ce sont de ces enfants dont vous parlez, ainsi que des enfants de ces enfants. Malheureusement, beaucoup de ces enfants se tournent aussi vers la prostitution, et ont des enfants à leur tour. Le cycle se perpétue.
Donc, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit, et je suis très heureuse que vous en ayez parlé.
Merci.
Je me demande aussi si vous avez des commentaires sur la façon dont le Rwanda a mis en oeuvre son processus national de réconciliation. Encore une fois, il me semble que l'aide aux enfants nés d'un viol devrait en faire partie. Avez-vous une idée de ce qu'il en est ou des commentaires à formuler concernant le processus national de réconciliation entrepris par le Rwanda. Encore une fois, que peuvent faire le gouvernement canadien et les parlementaires canadiens pour offrir de l'aide à cet égard?
Évidemment, la participation à l'effort de réconciliation est très forte; une bonne partie se fait sur le plan personnel. Nous avons même entretenu des liens avec leur commission de vérité et réconciliation dans le cadre de notre collaboration avec la division rwandaise de HOPEthiopia. Je ne sais pas ce que je peux dire à ce sujet. Quiconque présentait de nouvelles idées sur la façon de faciliter la réconciliation était accueilli à bras ouverts. Pour être honnête, je pense que ce pays a reçu un déluge d'informations sur les méthodes de réconciliation et beaucoup de personnes se sont réconciliées et ont accordé leur pardon. Il y a également eu des situations de pardon forcé, en quelque sorte — vous savez, le genre de situation où l'on dit aux gens de pardonner et de tourner la page —, ce qui ne fonctionne pas, manifestement. C'est un processus, et je pense que le gouvernement commence à s'en rendre compte et qu'il fait preuve d'un peu plus de souplesse.
C'est un pays dans lequel il est intéressant d'oeuvrer. La paix y règne, évidemment, mais pour être honnête, je dois également dire qu'il existe des tensions sous la surface. Le génocide ne remonte qu'à 20 ans. Il faut plus de discussions, plus de sensibilisation et les gens doivent avoir plus d'occasions d'échanger et de faire valoir leurs points de vue respectifs. Je pense que le Rwanda fait des efforts considérables en ce sens.
Ma question est la suivante. Mes activités ont longtemps été liées à l'Éthiopie et au Rwanda, et je me demandais pourquoi vous avez choisi ces deux pays.
En fait, nous avons une vision pour l'Afrique de l'Est. Nous sommes maintenant présents en périphérie de l'Afrique de l'Est. Non; pour être honnête, nous avons commencé en Éthiopie. J'y suis arrivée en 2009 avec une équipe de conseillers. L'homme qui m'aidait à diriger l'équipe m'a dit qu'on m'avait trompée et qu'il était évident qu'on amènerait une personne avec l'instinct maternel dans un pays rempli d'orphelins. Donc, mon coeur est au Rwanda. J'aime ces gens.
Encore une fois, merci de témoigner aujourd'hui.
J'aimerais simplement clarifier quelque chose. Il a été dit que près de 45 % des Rwandais vivent sous le seuil de la pauvreté. Le Canada n'est-il pas à mi-chemin d'un engagement qui consiste à fournir 13,5 millions de dollars sur sept ans? Est-ce terminé, comme M. Cotler l'a indiqué? Sinon, quel est l'effet de ce financement sur l'atténuation de la pauvreté au Rwanda?
Je suis désolée, je ne peux répondre à cette question.
Je crois comprendre que le Canada n'offre plus de financement au Rwanda. Je crois savoir qu'il en est ainsi depuis deux ou trois ans.
Le programme bilatéral d'aide économique du Canada pour le Rwanda a pris fin en 2012. Cependant, il y a une participation canadienne, que vous avez mentionnée. Le projet a commencé en 2010 et prendra fin en 2017. Les 13,5 millions de dollars concernent ce projet, qui existe toujours, mais il s'agit d'un projet précis en collaboration avec une ONG.
Très bien. Merci.
Plus de 67 % des femmes qui ont été violées pendant le génocide rwandais ont été infectées par le VIH et le sida. Savez-vous combien de personnes sont séropositives pour le VIH au Rwanda, actuellement? Pouvez-vous me parler des traitements qu'elles pourraient recevoir?
Je suis désolée; je n'ai pas les statistiques sur le nombre de personnes séropositives pour le VIH en ce moment. Toutefois, les antirétroviraux sont offerts gratuitement aux personnes séropositives. Je crois que le financement provient de la Fondation Clinton. En ce qui concerne le traitement, les antirétroviraux offrent une certaine souplesse. Il n'existe pas qu'un seul régime. En cas de problème, il y a des solutions de rechange.
Donc, les personnes séropositives y ont accès facilement. Selon notre expérience, la majorité des femmes avec lesquelles je travaille sont séropositives, et elles répondent très bien aux traitements médicamenteux auxquels elles ont accès ici. Je dis « très bien »; il y a une femme qui a reçu son diagnostic il y a 19 ans — elle a été infectée pendant le génocide — et elle est toujours en bonne santé.
Merci.
Selon vous, quelles leçons les pays donateurs comme le Canada peuvent-ils retenir de l'expérience rwandaise, en particulier par rapport à l'aide offerte aux survivantes de violence sexuelle et à leurs enfants?
Le Canada peut accorder des subventions à des ONG locales. J'entends par là des ONG qui sont vraiment présentes dans les quartiers démunis, qui travaillent auprès de ces gens, qui sont déterminées à travailler à long terme, qui ont établi des liens avec des organismes locaux et nationaux et qui sont capables de faire le travail qui s'impose.
Je ne saurais insister assez sur l'engagement à long terme, surtout en ce qui concerne les personnes dont nous parlons aujourd'hui. Un financement ponctuel n'aidera pas, mais un engagement à long terme, oui.
Selon vous, comment les parlementaires canadiens pourraient-ils contribuer à réduire la stigmatisation que subissent les survivantes de violence sexuelle et leurs enfants dans les pays touchés par des conflits?
L'éducation est extrêmement importante. Je suis très heureuse de voir ce que l'on a inclus dans le programme d'études secondaires, du moins ce que j'ai pu constater en Alberta. Je pense que c'est extrêmement utile, et sensibiliser les jeunes est le point de départ tout indiqué.
Merci de votre témoignage. Assez étrangement, cela fait chaud au coeur d'entendre parler de certaines des réussites du travail que vous accomplissez. À mon sens, cette étude porte vraiment sur les leçons que nous pouvons tirer grâce aux interactions avec non seulement les victimes de violence sexuelle utilisée comme tactique de guerre, mais aussi les enfants.
Mon collègue, M. Cotler, a fait valoir que l'aide gouvernementale n'est pas accessible aux enfants. Puisque les enfants sont l'avenir du pays, si on les laisse pour compte — ou si on les abandonne, sans vouloir utiliser un mot trop fort —, on risque sans aucun doute de miner les progrès qui sont réalisés dans ce pays.
Quel type d'aide offre-t-on? Je crois que vous avez dit qu'en 2010, on a mis en place un projet pour aider les jeunes hommes âgés de 18 à 35 ans qui sont des enfants nés d'un viol, mais on attend toujours la création d'un centre semblable pour les jeunes femmes.
À part ce projet, y a-t-il d'autres programmes qui sont mis à la disposition des enfants nés d'un viol?
Il y aura un centre semblable pour les jeunes femmes plus tard en 2015. Ce projet ne s'adresse pas seulement aux enfants nés d'un viol. Il est destiné aux personnes qui souffrent de toxicomanie et d'alcoolisme, comme c'est le cas de bon nombre de ces enfants.
En ce qui concerne l'aide disponible, j'ai appris que certaines ONG appuient ces enfants à l'école. La plupart de ces enfants reçoivent de l'aide sous cette forme. Dans le cas des femmes qui viennent à notre organisation, nous payons les frais de scolarité de leurs enfants. Peu importe si les enfants sont nés d'un viol ou non, ils sont parrainés de la même façon.
Vous avez parlé tout à l'heure de l'importance de la famille et de la façon dont les victimes forment leurs propres familles en se sentant réunies par leurs expériences communes. Avez-vous observé le même phénomène dans le cas des enfants nés d'un viol? La deuxième partie de la question est la suivante: quels efforts déploie-t-on pour aider les parents à se réconcilier avec leurs enfants et à nouer ce lien ou, du moins, à relâcher la tension qui existe entre les deux à cause de la façon dont l'enfant a été conçu?
En ce qui concerne les enfants, nous observons la même situation. Ils trouvent un terrain d'entente, ce qui les rapproche. Ils s'entraident. C'est comme si les femmes et les enfants deviennent membres d'une même grande famille. Par exemple, une femme pourra s'occuper de l'enfant d'une autre, etc. Il semble y avoir un esprit d'entraide globale.
Pour l'autre question, je suis désolée, mais pouvez-vous la répéter? Je l'ai oubliée.
Moi aussi.
Ah oui, la deuxième partie de la question, c'est: quels efforts déploie-t-on, s'il y a lieu, pour aider les parents à se réconcilier avec leurs enfants, ou cela fait-il partie du même processus?
Désolée pour cet oubli.
Une chose que je dois mentionner au sujet de la culture rwandaise, c'est que les femmes sont souvent valorisées lorsqu'elles ont des enfants. Si vous avez des enfants, c'est merveilleux. Si vous en avez 10, c'est fantastique. Cela peut sembler étrange, mais cette valorisation joue en faveur des femmes et les aide à tisser des liens avec leur enfant. Souvent, ces femmes finissent par comprendre que l'enfant est un cadeau, peu importe les circonstances dans lesquelles il a été conçu. C'est un cadeau qui leur a été confié et, en cela, il s'agit d'une bénédiction.
Grâce à une telle prise de conscience, il est beaucoup plus facile de s'occuper de son enfant et de l'aimer. Évidemment, ce ne sont pas toutes les femmes qui y arrivent. Parmi les femmes avec qui j'ai travaillé, peut-être la moitié d'entre elles parviennent à adopter une telle position. Cette particularité de la culture rwandaise aide les mères à établir un lien avec leur enfant, mais il faut dire que la psychothérapie est aussi d'un grand secours. Lorsqu'on aide les femmes à prendre contact avec leur colère et tous les sentiments liés au traumatisme qu'elles ont vécu, elles se rendent compte que l'enfant n'est pas la raison de leur colère. C'est très utile pour la guérison. Ensuite, le fait d'avoir l'enfant... en se sentant accepté, l'enfant s'ouvre alors à sa mère.
L'enfant se demande toujours qui est le père. C'est, à mon avis, une question que chaque enfant se pose. Il y a toujours un peu de tension, mais plus on amène les gens à parler, plus on obtient des résultats intéressants.
J'ai une dernière question à vous poser sur un sujet que vous avez évoqué tout à l'heure. Un des objectifs de notre étude est de tirer des leçons de cette expérience pour que nous puissions améliorer nos interventions dans des régions qui connaissent actuellement le même sort. D'ici 10, 15 ou 20 ans, nous verrons le même genre de résultats dans des endroits comme la République démocratique du Congo, qui traverse une crise semblable et où le viol est utilisé comme arme tactique.
Vous en avez parlé tout à l'heure, mais à votre avis, quels types de mesures pouvons-nous prendre dans de telles régions pour assurer une intervention plus efficace et plus prompte face à ce genre de crises et de résultats, c'est-à-dire comment pouvons-nous réagir et cibler nos ressources, tant humaines que financières?
En ce qui concerne les ressources humaines, je crois qu'il faut beaucoup d'éducation. La formation des formateurs est très importante ici, au Rwanda, et dans la République démocratique du Congo. C'est une mesure qui serait très bien accueillie, car, je le répète, il est vraiment difficile d'obtenir de l'assistance psychologique et de l'aide psychiatrique dans cette région.
Quant aux ressources financières, je crois vraiment que le financement d'ONG communautaires, locales ou nationales, qui font preuve de compassion et qui visent à fournir un encadrement à long terme, serait un très bon investissement.
Cela peut paraître comme une réponse courte et simple, mais c'est ce qui fonctionne, d'après mon expérience.
Vous savez quoi? Il est intéressant de noter que le génocide a pour objet de déshumaniser les personnes. Ces femmes ont été déshumanisées. Ce qui leur donne le sentiment de faire partie de l'humanité, c'est quand une autre personne les accompagne, leur consacre du temps et fait des efforts dans leur intérêt. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elles arrivent à reconnaître leur valeur et à se libérer des préjugés à leur égard. C'est très utile lorsqu'on voit ces gens retrouver leur estime de soi, ce qui permet d'affranchir le pays des ramifications à long terme de la violence sexuelle.
Merci, monsieur Benskin.
Il ne nous reste que quelques minutes, et, si les membres du comité me le permettent, j'aimerais poser deux ou trois questions d'ordre contextuel.
Le génocide a eu lieu sur une très courte période durant la première moitié de 1994. Évidemment, dans les faits, toute personne qui a été victime de viol à ce moment-là devait avoir un certain âge et, maintenant, ces victimes ont 20 ans de plus. Je me demande donc, tout d'abord, quelle est la tranche d'âge des victimes de viol qui sont encore vivantes aujourd'hui. C'est ma première question.
Voici la deuxième question: travaillez-vous uniquement avec ces personnes et leurs enfants, ou y a-t-il d'autres personnes dans le groupe de femmes qui n'ont pas vécu directement la même expérience?
Il y a d'autres personnes dans le groupe. Nous ne travaillons pas uniquement avec ces femmes. À vrai dire, nous nous sommes rendu compte que l'inclusion d'autres personnes dans leur groupe donne de très bons résultats. Cela aide à normaliser leur expérience.
Oui, nous travaillons avec ces personnes, et la plus jeune d'entre elles aurait probablement 25 ans, parce qu'elle a été violée à 5 ans, mais c'est la plus jeune avec qui j'ai travaillé. Je suis désolée, car je n'ai pas de statistiques. Je crois qu'il serait très difficile d'obtenir ces chiffres parce que la plupart des femmes, selon moi, n'en parlent toujours pas. On rapporte qu'environ 500 000 femmes ont été violées durant le génocide de 1994.
Si je vous pose la question, c'est, en partie, parce que nous avons du mal à conceptualiser cela ici. Nous devons donc poser la question. Par ailleurs, je constate que les besoins changent avec le temps. Évidemment, en ce qui concerne la réconciliation avec un enfant né du viol, certains des problèmes ont été bien réglés, et d'autres moins bien, il y a 18, 19 ou 20 ans. Il s'agit maintenant de femmes qui sont tombées enceintes à la suite d'un viol et qui ont eu un enfant. Cet enfant est maintenant à la fin de l'adolescence. Je crois, en fait, que tous les enfants auraient à peu près le même âge dans le cas des victimes directes du génocide.
Je suppose qu'on voit là une génération qui est clairement définie non pas nécessairement par les mères, mais par les enfants. À mon avis, on pourrait identifier les enfants puisqu'ils constituent un petit groupe.
Cela soulève une question. Y a-t-il lieu d'affirmer que les gens dans cette tranche d'âge, c'est-à-dire essentiellement les jeunes âgés de 19 ans, qui représentent une proportion importante de la population rwandaise, sont plus ou moins définis par les autres comme étant un produit du viol à cause de leur âge?
Ce n'est pas nécessairement le cas — du moins, pas d'après mon expérience.
Je ne me souviens pas de la tranche d'âge exacte de la majorité des Rwandais. Je crois que 65 % de la population se trouve dans la catégorie des jeunes ou des jeunes adultes. Cela représente la vaste majorité de la population, et cela comprend le groupe des 19 à 20 ans. Non, les gens ne semblent pas supposer automatiquement que ces jeunes sont le produit du viol.
D'accord.
J'ai une dernière question à vous poser. Vous avez parlé d'une femme qui, à l'âge de 19 ans, a été infectée par le VIH. Je pensais que toutes les femmes qui ont été infectées par le VIH à l'époque sont maintenant décédées, mais ce n'est évidemment pas le cas. Cette femme est-elle une exception? Parmi les femmes séropositives, y en a-t-il quelques-unes qui ont survécu, ou leur nombre est-il plus important que ce que j'avais supposé?
Non, il y a un grand nombre de femmes qui ont été infectées. Il faut aussi se rappeler que les Tutsis représentaient 10 % de la population rwandaise à l'époque; cela vous donne une idée des chiffres. Cette femme est certainement une exception. Parmi les personnes qui ont été diagnostiquées une année après le génocide, il y en a seulement deux qui sont encore vivantes. Pourtant, les médicaments antirétroviraux utilisés ici semblent donner des résultats très efficaces pour lutter contre la souche du VIH qui existe dans la région.
C'est très utile.
Merci beaucoup. Votre témoignage nous a beaucoup aidés, et nous vous sommes très reconnaissants d'avoir pris le temps de nous parler. J'ignore quel est le décalage horaire, mais je suppose qu'il se fait très tard dans la soirée. Je vous remercie donc d'avoir veillé si tard pour contribuer à notre étude.
Chers collègues, je vous prie d'attendre un instant. J'aimerais qu'on s'occupe d'un autre point à l'ordre du jour.
Le 27, nous avons adopté une motion concernant Leopoldo Lopéz. Selon la procédure, cette information est consignée dans notre procès-verbal, mais personne ne sera au courant de la résolution tant que nous n'aurons pas publié un communiqué de presse, et il faudra d'abord que nous nous mettions d'accord là-dessus. Par conséquent, je demande votre permission pour publier un communiqué de presse disant que nous avons adopté la motion le 27 novembre.
Des voix: D'accord.
Le président: Voilà, c'est tout. Merci beaucoup.
La date de la prochaine réunion vous sera communiquée plus tard. La séance est levée.
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