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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 052 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 29 janvier 2015

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Français]

    Aujourd'hui, le 29 janvier 2015, nous tenons la 52e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Cette séance est télévisée.

[Traduction]

    Nous poursuivons notre étude de la situation des droits de la personne en Corée du Nord, à laquelle nous avons consacré un certain nombre de réunions au cours des dernières années.
    Aujourd'hui, nous accueillons deux témoins à qui je vais bientôt donner la parole. M. Cheolhyeon Jang comparaît à titre personnel. M. Kyung Bok Lee, président du Council for Human Rights in North Korea, témoignera également.
    Je fais un rappel au Règlement. Il ne devrait pas avoir de photographie une fois que la séance a commencé.
    Vous avez tout à fait raison.
    M. Sweet vient de me rappeler que puisque la séance a commencé, il faut arrêter de prendre des photos.
    Merci beaucoup, monsieur Sweet.
    Nous allons maintenant donner la parole à nos témoins.
    Chers témoins, j'aimerais tout simplement vous dire que vous pouvez vous répartir le temps qui vous est accordé. Une fois vos déclarations faites, les membres du comité vous poseront des questions. La durée de chaque série de questions et de réponses sera déterminée selon le temps qu'il nous reste, ce temps étant réparti entre les six députés qui vous poseront des questions.
    Je vous en prie, veuillez commencer.
    Bonjour.
    Tout d'abord, j'aimerais vous dire qu'en 2004, je me suis échappé de la Corée du Nord. Avant que je ne m'échappe, je travaillais au ministère du Front uni du Parti central de la Corée du Nord.
    Ce ministère est essentiellement une unité de contre-ingérence de la Corée du Nord. Nos opérations et nos services du renseignement avaient comme cible la Corée du Sud. J'étais chargé de la guerre psychologique. Mon travail consistait surtout à étudier les styles poétiques de la Corée du Sud, et ensuite je composais des poèmes comme le ferait un Sud-coréen. J'insérais des idéologies nord-coréennes dans la poésie, afin que les Sud-Coréens se trompent et pensent que l'auteur était un Sud-Coréen qui faisait les louanges de la Corée du Nord. Ce travail visait à faire penser à la fois les Sud-Coréens et les Nord-Coréens que Kim Jong-il et Kim Il Sung étaient les seuls qui pouvaient réaliser l'unification.
    La Corée du Nord applique ces stratégies partout. Elle voudrait que tout le monde voue un culte à Kim Il Sung et à Kim Jong-il. C'est l'un des piliers de la propagande. Ce type de propagande sert à laver les cerveaux des résidents de la Corée du Nord. Tous les médias nord-coréens diffusent cette propagande qui sert à manipuler les cerveaux des citoyens afin qu'ils pensent que les membres de la dynastie Kim sont des dieux.
    Aujourd'hui, j'aimerais vous dire que lorsque vous étudiez les droits de la personne en Corée du Nord, vous vous concentrez surtout sur les camps de travaux forcés. Mais si vous changez votre optique, vous aurez un portrait plus exact, car même si les camps de travaux forcés sont des prisons, la société entière peut être perçue comme une prison. Chaque règlement appliqué dans les camps de travaux forcés a son pendant à l'extérieur des camps dans la société nord-coréenne. C'est une dictature physique. Le gouvernement nord-coréen cherche à contrôler les esprits et les corps de ces citoyens. Les corps et les esprits des citoyens nord-coréens sont sous l'emprise totale des autorités. Comme la Gestapo des nazis, les autorités poursuivent les gens pour leurs pensées qui pourraient être différentes des diktats officiels, et on les met dans les camps de travaux forcés. Mais les Nord-Coréens sont encore pires que les nazis. Les nazis avaient des camps de concentration, mais ils n'y mettaient pas les Allemands. La Corée du Nord y enferme son propre peuple et le maltraite.
    J'aimerais vous décrire un peu plus comment la Corée du Nord cherche à manipuler les esprits. Il y a bien sûr la répression physique, mais la Corée du Nord cherche à manipuler les esprits et les coeurs des gens afin qu'ils voient en leur chef un dieu. Tout cela se fait par la propagande. Pour manipuler les esprits, les autorités ont le contrôle absolu de toutes les oeuvres artistiques et littéraires. Il y a un conseil qui revoit chaque oeuvre d'art avant qu'elle ne soit rendue publique. Sans l'accord du conseil, par exemple, il n'est pas possible de diffuser une simple chanson en public en Corée du Nord.
    Tout commence par le contrôle linguistique en Corée du Nord. Nous avons créé le culte de Kim Il Sung, Kim Jong-il et Kim Jong-un. Une terminologie particulière est utilisée lorsque nous parlons des chefs. En contrôlant la langue, les autorités nord-coréennes lavent le cerveau des citoyens et les manipulent, autant leurs esprits que leur corps.
    Si l'on regarde les slogans qui sont imposés aux Nord-Coréens, on apprend qu'on est tout simplement un bout de viande si l'on n'a pas intégré les idéologies. Essentiellement, il faut consacrer sa vie à la politique, ce qui veut dire être fidèle au chef. Si l'on n'est pas fidèle au chef, on n'est pas un véritable être humain, on n'est qu'un bout de viande. C'est ce que le slogan dit.
    Vous avez probablement entendu parler des nombreuses exécutions publiques menées par la Corée du Nord. On le fait parce qu'on veut que le peuple soit fidèle au chef et au parti. Si les gens ne sont plus fidèles, ce ne sont plus des êtres humains.
(1310)
    J'aimerais vous donner comme exemple quelque chose que moi-même j'ai vécu. Dans la division du ministère du Front uni dans lequel je travaillais, un de mes collègues a été envoyé à un camp de travaux forcés. Nous avons accompagné mon collègue chez lui pour l'aider à faire sa valise avant d'aller au camp. Mais voyez-vous, cet accompagnement servait aussi à manipuler et à laver les cerveaux, ce qui faisait partie de notre quotidien au sein de l'organisation du parti. Ce que j'ai observé à la maison de mon collègue m'a étonné. Une fois qu'il avait fait sa valise et était prêt, des agents de sécurité nord-coréens sont arrivés et ont demandé à sa femme: « Êtes-vous prête à suivre votre mari au camp de travaux forcés ou allez-vous suivre le parti? » La femme a été obligée de dire qu'elle allait suivre le parti. Comment pouvait-elle faire autrement? Si elle avait répondu qu'elle allait suivre son mari, elle aussi serait envoyée au camp de travaux forcés. Les autorités l'ont obligée à faire un choix sur-le-champ: elle devait choisir immédiatement le parti ou son mari.
    Dès qu'elle avait fait son choix, les agents de sécurité nord-coréens lui ont pris son petit enfant. Pourquoi? Parce que la Corée du Nord punit par association. Ce bébé était le fils de son père: il allait accompagner son père au camp de travaux forcés. Cette femme a donc perdu son bébé même si elle avait choisi le parti, et nous ne pouvions rien faire, mis à part pleurer. Nous ne pouvions pas montrer nos larmes, car cela aurait été perçu comme de la trahison. Nous devions faire très attention, mais à l'intérieur de nos coeurs, nous sanglotions. Pensez-y: on venait de lui arracher son bébé. Elle l'allaitait encore, et on venait de lui arracher. Elle a commencé à pleurer et son lait est monté, et pour la première fois de ma vie j'ai vu des larmes de lait qui sortait des seins d'une mère qui allaitait. Nous pleurions tous au fond de nous-mêmes.
    Les exécutions publiques sont tout à fait courantes en Corée du Nord. Dans les régions rurales, ces exécutions ont normalement lieu dans les marchés, car c'est là où se retrouvent la plupart des gens. On choisit un endroit où les gens se réunissent. Ce n'est pas seulement un châtiment; c'est un moyen de propagande qui sert à laver les cerveaux des Nord-Coréens.
    J'ai pu m'échapper de la Corée du Nord, et je me suis d'abord rendu en Chine. Une fois que je me suis sauvé et que j'ai regardé le pays que je venais de quitter, j'ai compris la cruauté qui y sévissait. Ce que j'aimerais vous dire aujourd'hui, c'est que nous devons être sûrs de communiquer avec les Nord-Coréens qui souffrent de l'emprise sur leur esprit et des répressions physiques. Nous avons besoin de l'aide de l'extérieur pour ce faire.
    Lorsque vous regardez la Corée du Nord, il ne faut pas penser que ce n'est qu'une seule entité. Il faut savoir distinguer les autorités nord-coréennes et les citoyens. J'espère que le Canada se mettra du côté des citoyens. Que peut faire le Canada? Je crois qu'adopter un projet de loi sur les droits de la personne en Corée du Nord serait une première étape. Je suis ici aujourd'hui pour fournir mon témoignage et pour vous encourager à travailler sur un projet de loi qui porterait sur les droits de la personne en Corée du Nord.
    Merci beaucoup.
    Merci à vous.
     Monsieur Lee, je vous prie de commencer.
    Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs.
    Comme vous le savez tous, le rapport de la commission d'enquête des Nations Unies, publié en février dernier, a essentiellement dénoncé la Corée du Nord comme étant un État complètement tyrannique, pire encore qu'un État nazi, comme M. Jang l'a dit il y a une minute. La commission a également indiqué que le soi-disant chef suprême, ou souverain suprême comme moi-même je dirais, était un criminel qui devait être traduit devant la Cour pénale internationale. On ne peut plus nier que la Corée du Nord, la soi-disant République populaire démocratique de Corée, n'est plus un État souverain de la perspective de la responsabilité de protéger. Le rapport de la commission d'enquête le précise bien: « La communauté internationale doit assumer la responsabilité qu'il lui incombe de protéger le peuple de la République populaire démocratique de Corée des crimes contre l'humanité, le gouvernement de Pyongyang ayant manifestement échoué dans ce domaine. »
    À mon avis, la situation des droits de la personne en Corée du Nord est semblable aux situations de prise d'otages, dans la mesure où le peuple est l'otage d'un criminel et a donc besoin d'être protégé et secouru.
    Il existe cinq principes de la responsabilité de protéger en ce qui concerne l'obligation de la communauté internationale envers les États accusés, principes qui ont été établis par le professeur Irwin Cotler, expert international en la matière qui se trouve à être membre de votre fort admirable sous-comité.
    Je vous remercie, monsieur Cotler.
    Ces cinq principes de la responsabilité de protéger sont la responsabilité de se souvenir, la responsabilité de prévenir, la responsabilité de protéger, la responsabilité de poursuivre et la responsabilité de reconstruire.
    Moi-même, j'ajouterais un autre principe, c'est-à-dire la responsabilité de secourir, qui s'applique dans le cas de la Corée du Nord, car cette situation perdure et il y a un besoin urgent de secourir les gens plus que toute autre chose.
    Permettez-moi de vous proposer des mesures particulières qui s'appliqueraient à la situation en Corée du Nord. Tout d'abord, des mesures pour les gens qui sont otages. Comme je l'ai indiqué, nous devons secourir ceux qui ont réussi à échapper à leur bourreau, réfugiés qui risquent d'être rapatriés en Corée du Nord par la Chine ou un autre pays.
    Nous devons leur fournir une aide humanitaire, car les gens ont le droit de savoir, ces gens qui sont coupés du monde extérieur. C'est tragique, mais bon nombre, sinon la plupart des Nord-Coréens en Corée du Nord ne savent pas qu'ils sont des otages. Ils croient que leur souverain suprême les protège et s'occupe d'eux, alors que c'est un culte de la personnalité, culte qui lave leurs cerveaux, les rend moins qu'humains, et les asservit dès leur naissance.
    En leur communiquant des renseignements de l'extérieur de la Corée du Nord, vous aurez un outil puissant et efficace pour déprogrammer les cerveaux manipulés des citoyens et détruire le culte de la personnalité.
(1315)
    Deuxièmement, en ce qui concerne les mesures que l'on pourrait prendre à l'égard de l'État ou de son chef, telles que des poursuites pénales devant la Cour pénale internationale saisie par les Nations Unies, vous les connaissez déjà et vous savez ce qu'il faut faire.
    De plus, je proposerais au Parlement d'interdire au chef suprême de venir au Canada. Je ne m'attends bien sûr pas à ce qu'il demande un visa pour venir au Canada, mais le message, la signification d'une interdiction de territoire par le gouvernement du Canada, si les citoyens de la Corée du Nord sont au courant, servira d'outil puissant et efficace pour démanteler le culte de la personnalité, car on leur dit toujours que c'est un héros.
    Nous souhaitons que ces mesures fassent partie d'un projet de loi sur les droits de la personne en Corée du Nord qu'adopterait le Canada et nous demandons au Parlement et au gouvernement de légiférer dans ce sens. Je suis sûr que compte tenu des circonstances, ce sont les mesures que le Canada peut et donc doit prendre. L'effondrement du régime est inévitable, comme le prédit M. Jang. Je crois qu'une loi sur les droits de la personne en Corée du Nord adoptée par le Canada donnera de l'espoir au peuple nord-coréen et sera la goutte qui fera déborder le vase.
    Merci.
(1320)
    Je remercie nos deux témoins.
    Chers collègues, il nous reste suffisamment de temps pour vous accorder une série de questions de six minutes.
    Monsieur Sweet, voulez-vous commencer?
    Merci, monsieur le président.
    Messieurs Jang et Lee, je vous remercie de votre témoignage.
    Monsieur Jang, vous travaillez dans un ministère qui livrait une guerre psychologique et physique. Vous avez indiqué que votre travail consistait à rédiger des poèmes pour que les Sud-Coréens en viennent à idolâtrer la Corée du Nord. Quelles étaient les autres pratiques de vos collègues dans ce ministère?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Dans notre ministère, nous rédigions des romans et des articles de revue, nous composions des chansons et nous réalisions des vidéos. Notre ministère s'occupait de la production. Le ministère ne faisait pas que de la poésie. Nous travaillions avec divers médias. Le ministère dans lequel j'ai travaillé sert de liaison culturelle. Depuis les années 1970 jusqu'à aujourd'hui, ce ministère participe à toutes sortes d'activités pour produire diverses formes de littérature et d'oeuvres d'art qui sont utilisées à des fins de propagande.
    Si vous regardez, par exemple, une publication qui s'appelle Uri Minjok Kkiri, qui veut dire « Nous ensemble », vous verrez que c'est une publication du ministère du Front uni. Grâce à son service médiatique, la Corée du Nord diffuse des éditoriaux et des articles qui servent tous d'outils dans la guerre psychologique menée contre la Corée du Sud. Le ministère publie divers textes et revues. À partir des années 1970, nous nous sommes servis du Japon comme véhicule, puisqu'il existe un groupe de Coréens au Japon qui soutiennent la Corée du Nord. Ce groupe nous a servi de véhicule pour que nos publications paraissent en Corée du Sud.
    Dans le passé, les mouvements de démocratisation en Corée du Sud étaient en fait des mouvements antigouvernementaux, c'est-à-dire que la Corée du Nord tentait d'utiliser les gens qui avaient participé au mouvement démocratique dans le passé comme outils afin de mener une guerre psychologique contre la Corée du Sud.
    Permettez-moi d'apporter une rectification. Le ministère du Front uni pour lequel il travaillait ne s'occupait pas de l'oppression physique de la dictature.
(1325)
    Monsieur Jang, cette activité a dû laisser des traces chez vous. Une fois que vous avez connu la liberté ici dans notre pays, combien de temps avez-vous mis pour lutter contre les séquelles psychologiques du lavage de cerveau dont vous avez été victime en Corée du Nord?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Le ministère pour lequel je travaillais était d'avis que nous devions en apprendre autant que possible sur la Corée du Sud. Pour mener une contre-ingérence, nous devions connaître l'ennemi afin de pouvoir le combattre. Donc nous étions à l'affût de toute expérience et de toute lecture utiles, mais quand je suis allé en Corée du Sud, la réalité était complètement différente de ce que j'avais lu dans les publications. Il a donc été très difficile de m'adapter à cette nouvelle société, et j'ai fait diverses tentatives et erreurs afin d'en arriver au point où j'en suis actuellement.
    Avez-vous reçu des menaces, par voie électronique ou de vive voix, d'agents nord-coréens depuis que vous vous êtes échappé?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Dès ma défection, lorsque je me suis sauvé, les autorités nord-coréennes ont émis un avis de recherche à mon égard. Depuis ma défection, j'ai reçu des menaces directes par l'entremise des médias officiels nord-coréens. Je ne peux même pas compter les menaces proférées, tant elles sont nombreuses. Maintenant, lorsque je suis en Corée du Sud, je bénéficie d'une protection 24 heures sur 24 du gouvernement.
    Merci.
    Monsieur Marston, allez-y.
    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Lee et monsieur Jang.
    Monsieur Lee, nous avons travaillé avec votre conseil des droits de la personne de la Corée du Nord depuis 9 ou 10 ans. Vous avez cité le rapport de la Commission des Nations Unies, que vous avez sous la main. Mme Sgro et moi-même en avons reçu des exemplaires hier soir à votre forum. Vous reste-t-il suffisamment d'exemplaires pour en donner aux autres membres du comité? Sinon, pouvez-vous en laisser un exemplaire à la fin de notre séance afin que notre comité puisse le consulter?
    Vous avez mentionné la responsabilité de protéger, R2P. Pour le compte des gens qui nous regardent, je voulais indiquer qu'il s'agissait de la responsabilité de protéger qu'il incombe aux Nations Unies. En ce moment, je n'ai pas de question pour vous, monsieur.
    Monsieur Jang, hier soir et aujourd'hui vous avez évoqué le risque d'effondrement du régime en Corée du Nord. Je ne suis pas sûr que les gens comprennent bien l'importance de ce risque pour la population de la Corée du Nord. En 2007, je me suis rendu en Corée du Sud. Dans la zone démilitarisée, nous avons vu de près les soldats nord-coréens. Ils étaient maigres, chétifs, de toute évidence mal nourris, et comme la plupart des gens le savent, un pays a intérêt à nourrir son armée d'abord. C'était donc une indication des conditions terribles que connaissaient la population de la Corée du Nord.
    Si toutefois le régime s'effondrait, je ne crois pas que le monde serait prêt, monsieur. Faites-vous les mêmes mises en garde partout où vous vous rendez?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    J'essaie toujours de parler des atrocités commises en Corée du Nord, de la situation dans ce pays et je dis toujours que nous devons nous préparer à cet éventuel effondrement. Dans ce cas, le chaos sera total, irrémédiable. La Corée du Nord est différente, parce que son système de sanctions s'exerce contre trois générations considérées comme coupables par association. C'est ainsi que le régime a opprimé le peuple, et la colère qui éclatera contre lui sera incommensurable.
    Nous devons nous y préparer dès maintenant.
(1330)
    Quand je suis allé en Corée du Sud, dans la zone démilitarisée, il y avait une gare construite par le gouvernement, qui était destinée aux trains pour le nord du pays. C'est révélateur de l'état réel d'impréparation de la Corée du Sud, si elle est optimiste au point de penser que le changement serait si simple. Je ne perçois, dans le régime, aucune envie de céder des pouvoirs. Il peut le perdre. Comme vous dites, la colère pourra l'en priver. Il y a donc un écart énorme entre ces deux possibilités.
    Vous avez mentionné, monsieur Lee, la demande du gouvernement canadien d'une loi sur les droits de la personne en Corée du Nord. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la teneur et les répercussions que vous souhaiteriez qu'elle ait? Croyez-vous vraiment qu'elle aurait des répercussions directes sur le régime nord-coréen?
    Comme on l'a dit, le gouvernement peut survivre de deux façons: par la déification du chef suprême et par le contrôle physique. Supposons d'abord que le Canada se dote d'une loi sur les droits de la personne en Corée du Nord. Peu importe sa teneur, on en déduirait ici qu'on viole ces droits en Corée du Nord. En fin de compte, cela découle de la déification du chef suprême et du régime. Ce serait effectivement une insulte contre le régime, contre le chef suprême qui, en fait, est un héros. Si cette loi était connue du grand public nord-coréen, elle mettrait fin à cette déification, à ce culte de la personnalité. Je pense que c'est absolument important, même si c'est symbolique.
    J'ai une petite question pour M. Jang.
    Le chef de la Corée du Nord vient de visiter la Russie ou il la visite aujourd'hui. Qu'en déduisez-vous?
(1335)
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Le gouvernement de la Corée du Nord cherche d'autres points d'appui que sa seule popularité dans le peuple, parce que, à bien y regarder, les marchés nord-coréens dépendent en tout de la Chine. Il essaie de s'éloigner de la Chine et de cette situation. Actuellement, la Chine est très tiède pour la Corée du Nord. Voilà pourquoi le pays doit cesser de compter sur la Chine. La Chine, c'est l'aboutissement d'une réforme réussie de l'économie, mais la Corée du Nord n'est pas en posture d'appliquer de réformes. Le culte du chef a falsifié toute l'histoire de ce pays. Comme nous avons idéalisé les Kim, dès qu'ils ouvriront la société et l'économie, tout le monde apprendra la vérité à leur sujet, et le régime s'effondrera, en même temps que l'idéologie qui l'a soutenu jusqu'ici. Voilà pourquoi ils ne peuvent pas ouvrir les portes, tandis que la Chine continue d'exercer de fortes pressions pour que le pays s'ouvre.
    Dans cette situation, la Russie est la seule bouée de sauvetage. Et il faut aussi une date repère pour le faire, n'est-ce pas? Ici, nous voyons que c'est le 70e anniversaire de la libération de la Corée du Nord. C'est donc une célébration de l'intervention de la Russie, de l'Union soviétique, il y a 70 ans, pour libérer ce pays du Japon. La Corée du Nord croit que cet anniversaire est davantage une manifestation prorusse, tandis que la célébration de la fin de la guerre de Corée est prochinoise, parce que les Chinois, à cette occasion, sont intervenus et ont aidé le pays après la guerre. Cette insistance sur le 70e anniversaire de la libération révèle aussi que le régime penche davantage vers la Russie que vers la Chine.
    Merci.
    Madame Grewal.
    Merci, monsieur le président.
    Merci beaucoup, messieurs Jang et Lee, de vous être déplacés pour venir nous parler. Je vous suis reconnaissante d'avoir bien voulu venir nous entretenir des violations des droits de la personne en Corée du Nord et de la façon dont nous, les Canadiens, pouvons aider le peuple nord-coréen.
    Monsieur Jang, vous êtes un transfuge. Comment votre famille est-elle traitée depuis votre départ de votre pays? De plus, quelles mesures précises la Corée du Nord applique-t-elle pour empêcher d'autres agents de haut niveau de faire comme vous?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Quand je travaillais pour l'UFD, en Corée du Nord, j'avais droit à un traitement très spécial par rapport à mes concitoyens ordinaires. Cela se voyait dans les rations qu'on m'accordait.
    En Corée du Nord, on subdivise la population en catégories d'après le type de rations qu'elles obtiennent: les journalières, celles qu'on reçoit tous les trois jours, les hebdomadaires, les mensuelles. La plupart des Nord-Coréens reçoivent des rations mensuelles, mais les membres du parti central en reçoivent tous les jours, tous les trois jours ou hebdomadairement.
    Comme employé de l'UFD, je recevais, comme la plupart de mes collègues, essentiellement toute l'aide humanitaire envoyée au pays par la Corée du Sud. Nous en étions responsables. Nous l'obtenions les premiers. Les membres de mon service recevaient d'abord l'aide qui venait de Corée du Sud. Après ma fuite en Corée du Sud, j'ai travaillé pendant un certain temps pour un institut national. Quand j'étais en Corée du Nord, je travaillais sur la Corée du Sud, puis, une fois en Corée du Sud, j'ai travaillé sur des questions nord-coréennes.
    Actuellement, pour prévenir le départ de transfuges de haut niveau, la Corée du Nord interdit d'abord tout voyage à l'étranger à ceux qui détiennent les plus grands pouvoirs. Les dirigeants de l'OGD, l'Organization and Guidance Department de la Corée du Nord, n'ont absolument pas le droit d'aller à l'étranger. Les diplomates, bien sûr, doivent aller à l'étranger, mais le pays prend en otages des membres de leurs familles, qui ne peuvent pas les suivre et qui restent au pays. Seuls les diplomates et peut-être un seul membre de leur famille ont le droit d'aller à l'étranger. Le reste de la famille est détenu en otage au pays.
    Merci.
    Ma question s'adresse à vous deux. Comme des témoins l'ont déjà mentionné devant le comité, le régime nord-coréen se sert de l'arme alimentaire. À quoi est censée servir la famine à grande échelle, pour le régime? De plus, comment la Corée du Nord est-elle capable ou a-t-elle les moyens de nourrir la population en général?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Il y a deux catégories de Nord-Coréens. Il y a ceux qui distribuent les faveurs, l'élite, et ceux qui s'alimentent au marché. Il y a ceux qui comptent sur les rations et qui en obtiennent beaucoup par rapport à ceux qui comptent sur les marchés. Ceux qui reçoivent des rations suffisantes sont loyaux au parti, bien sûr, et seulement un petit nombre reçoit des rations suffisantes. Mais la plupart des Nord-Coréens sont dans la catégorie qui s'alimentent sur le marché, parce qu'ils ne peuvent pas vraiment compter sur les rations pour vivre.
    De 1994 à 1999, environ 3 millions de Nord-Coréens sont morts de faim. Pourquoi? Surtout parce que nous n'avons pas de marché. Ensuite, ce n'est pas parce que nous manquons de riz: c'est à cause du système. Nous n'avions pas de droits de la personne. Voilà pourquoi ils sont morts de faim.
    Je prétends que la Corée du Nord aurait facilement pu abandonner son programme nucléaire pour consacrer l'argent ainsi économisé à l'achat de riz pour le peuple, mais elle a choisi de pousser plus loin le développement de son programme nucléaire. Elle y a consacré plus d'argent... Pendant que trois millions de Nord-Coréens crevaient de faim, elle a consacré environ 800 millions de dollars à un mausolée pour Kim Il Sung. Ces gens, elle ne les considérait pas comme des personnes, mais simplement comme une autre statistique. Ils n'étaient pas importants. Ce n'étaient pas des personnes.
    Maintenant, la Corée du Nord quémande sans cesse de la nourriture au monde extérieur. Est-ce pour le peuple? Non. Je pense que c'est pour les personnes loyales au régime, les quelques privilégiés rationnaires. Il n'y a qu'eux qu'elle tient à nourrir. Elle veut maintenir ce régime totalitaire, bien sûr, et, pour cela, elle demande de l'aide alimentaire à l'étranger.
(1340)
    Voyez-vous s'accomplir des progrès tangibles vers une société ouverte et libre en Corée du Nord? Pour quand prévoyez-vous l'ouverture de la Corée du Nord au reste du monde?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Comme je l'ai dit, tant que la Corée du Nord persiste dans le culte de la personnalité, la déification des Kim, il faut oublier l'ouverture de la société. Il faut que le chef soit un dieu, et tous les autres Nord-Coréens sont gardés en otages de cette cause.
    Actuellement, cependant, les autorités nord-coréennes ont essentiellement perdu la capacité de distribuer les rations. Elles perdent donc leur maîtrise de la société. Elles font semblant de ne pas voir les marchés qui apparaissent. Je pense que cela constituera la force qui s'opposera au gouvernement nord-coréen. Il ne combat pas des ennemis de l'extérieur; il combat les marchés qui surgissent au pays. Si ces marchés populaires continuent de prospérer, je pense que la Corée du Nord changera un peu. Avant, les gens pensaient à être loyaux au parti, mais, maintenant, avec l'apparition de ces marchés, ils pensent à des choses concrètes, à ce qu'ils peuvent acheter. Avant, la filière hiérarchique était très simple, et il fallait seulement obéir, mais, maintenant, le marché a créé un nouvel ordre de l'offre et de la demande. Ces marchés font émerger un nouvel ordre.
    Tant que le régime nord-coréen reste braqué sur le culte de la personnalité, le changement ne pourra jamais venir par le haut. Nous pouvons seulement espérer un changement par le bas. Vous et les autres pays, vous ne devriez pas parler aux autorités coréennes: vous devriez vous intéresser davantage au peuple nord-coréen et à ce que vous pouvez faire pour appuyer ses efforts pour faire prospérer plus de marchés dans ce pays.
    Monsieur Cotler, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens d'abord à féliciter M. Lee pour avoir parlé de l'importance d'une loi sur les droits de la personne en Corée du Nord. Ce serait, comme vous dites, un motif d'espoir pour les Nord-Coréens eux-mêmes. Cette loi est intrinsèquement et symboliquement importante. J'ai déjà rédigé une motion détaillée sur la Corée du Nord et je voudrais d'une loi sur les droits de la personne en Corée du Nord. Mais cette loi d'initiative parlementaire n'irait nulle part, malheureusement. J'espère que, peut-être à la fin des témoignages d'aujourd'hui, le comité envisagera une motion pour recommander au gouvernement l'étude d'une telle loi, parce qu'il serait beaucoup plus important que cette initiative émane du gouvernement.
    Je tiens ensuite à exprimer ma reconnaissance pour l'ajout du sixième élément, la responsabilité de secourir, à la responsabilité de protéger.
    Ma question, maintenant: Récemment, le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon a bien accueilli de prétendues ouvertures du gouvernement nord-coréen pour améliorer l'accès, comme il l'a dit, à la surveillance des droits de la personne et à des indications selon lesquelles ce gouvernement favoriserait un accès amélioré aux organismes de secours humanitaire. Que pensez-vous de la déclaration du secrétaire général et comment cela touche-t-il toute votre démarche à l'égard de la Corée du Nord et le constat de la commission, par le régime, de crimes contre l'humanité?
(1345)
    Il y a quelques mois, lorsque l'Assemblée générale de l'ONU essayait d'adopter la résolution, les autorités nord-coréennes ont voulu négocier. En échange de la suppression des passage désapprobateurs de la résolution, elles proposaient d'autoriser le rapporteur spécial de l'ONU à visiter la Corée du Nord. En même temps, nous apprenions, d'après les renseignements obtenus par satellite, qu'un camp de prisonniers, Yodok, était soudain en train de disparaître, tout comme ses installations. C'était peut-être pour montrer au rapporteur spécial que ce n'était pas un camp de prisonniers politiques, mais seulement une ferme collective. Autrement dit, on essaie de nous tromper. Quant à nous, nous affirmons que les autorités doivent démanteler leur réseau de camps de prisonniers politiques et non les installations matérielles du camp. Comme elles peuvent transférer les détenus dans d'autres camps, elles ne démantèlent pas vraiment le système. Cela fait 20 ans, je pense, que la communauté internationale a entamé le dialogue sur la question nucléaire. Avec quels résultats? Aucun.
    Les autorités sont totalement fermées et totalement intraitables. Sur le plan diplomatique, donc, c'est vrai, la communauté internationale, notamment le gouvernement sud-coréen et le gouvernement canadien peuvent entamer le dialogue, mais nous devons nous assurer de bien comprendre que les affirmations de ce gouvernement ne sont que des paroles vides, qui manquent de sincérité. Il faut donc être prudent. La plupart du temps, nous sommes perdants, parce que, comme l'a dit M. Jang, les sociétés occidentales, la communauté internationale sont ses dupes depuis si longtemps et continuent de l'être.
    Nous devons donc nous occuper de la Corée du Nord.
M. Cheolhyeon Jang (traduction de l'interprétation):
    Le régime nord-coréen a réagi au rapport de la commission d'enquête. Pas parce qu'il a changé d'attitude à l'égard des droits de la personne. Il voulait que le chef suprême soit convoqué par le tribunal international. Voilà pourquoi. Comme je l'ai déjà dit, ce régime repose sur la déification du chef. La communauté internationale le cite maintenant. Elle veut le convoquer devant le tribunal. Voilà pourquoi le régime n'a pas pu s'empêcher de poser pour la galerie. Ce n'est pas qu'il ait vraiment changé d'attitude à l'égard des droits de la personne en Corée du Nord. Si c'était vrai, il aurait aboli son régime de terreur. Mais il continue de produire beaucoup de prisonniers politiques et il conserve sa police secrète. Il fait semblant. Ne soyons pas dupes.
(1350)
    À ce sujet, je tiens à ouvrir une parenthèse pour mentionner que, en 2014, la Corée du Nord a participé à l'examen périodique universel aux Nations Unies. Le Canada a formulé sept recommandations de mesures à prendre par la Corée du Nord. Parmi celles qui ont été rejetées, il y en avait deux intéressantes: la fermeture des camps de prisonniers et, encore une fois, et cela a un lien avec ce que vous venez de dire, monsieur Jang, la reddition de comptes pour les violations des droits de la personne. C'était deux des quatre recommandations canadiennes rejetées.
    Si vous permettez, j'ai une très petite question, monsieur le président.
    Récemment, comme vous le savez, Shin Dong-hyuk s'est rétracté sur certaines parties du récit de son évasion de la Corée du Nord. Est-ce que cela aura des répercussions sur les conclusions de la commission d'enquête concernant les crimes contre l'humanité commis par la Corée du Nord et est-ce que cela empêchera le Conseil de sécurité des Nations Unies de saisir la Cour pénale internationale de ces crimes contre l'humanité?
    Pardon, mais est-ce que la question s'adresse à moi?
    Oui à vous ou à M. Jang.
    Sa rétractation est très malheureuse. Il a modifié son récit, mais, l'essence de son témoignage concerne ce qui se passe en Corée du Nord, particulièrement dans les camps de prisonniers politiques. Il a modifié son récit de la torture qu'il a subie à 20 ans, et il a dit 13 ans au lieu de 20; il dit avoir subi de mauvais traitements dans le camp 18 plutôt que 14. Voilà pourquoi on évalue la crédibilité de son témoignage. C'est très malheureux. Mais, comme je l'ai dit, ce qui se passe dans les camps de prisonniers de Corée du Nord est vrai. Voilà pourquoi je pense que sa rétractation n'aura pas de grandes conséquences; pas vraiment.
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Je n'ai entendu qu'une partie de la question, mais j'aimerais dire quelque chose. Comme certains l'affirment, on ne sort pas vivant des camps de prisonniers politiques. Lorsque les gens entendent parler de ces camps, ils parlent toujours du camp de Yodok, mais il s'agit d'un camp de rééducation en quelque sorte. C'est pourquoi certaines personnes survivent à ce camp.
    Le régime a libéré des gens, mais malheureusement, il n'y a pas de survivants de ces camps de prisonniers politiques maintenant, car le régime nord-coréen a exécuté ces gens. C'est pourquoi il n'y a pas de survivants. Le fait que M. Shin s'est rétracté sur son récit est fondé sur cette réalité.
    Si le régime nord-coréen est prêt à démanteler ses camps de prisonniers politiques, s'il a une liste de gens qu'il est prêt à libérer, s'il est prêt à faire cela, il devrait nous montrer la liste.
    Le président: Merci.
    Tout dépend de la définition qu'on donne à un camp de prisonniers politiques. D'autres survivants de camps de prisonniers politiques disent que le niveau de châtiment, d'isolement et de torture est un peu différent. Dans le cas du camp 18, il ne s'agit pas d'une zone de contrôle total.
    Comme ils l'ont dit, un vrai camp de prisonniers politiques peut se définir comme une zone de contrôle total. Je crois comprendre que le camp de Yodok comporte deux parties. Il y a une zone de contrôle total dont on ne peut jamais sortir. Nous ne savons pas comment on y traite les gens, car ils sont condamnés à y mourir. Personne ne le sait, car il n'y a pas encore eu de survivants. Dans d'autres camps, des gens sont libérés après des années peut-être, après avoir purgé leur peine. Il y a des survivants
    En général, qu'il s'agisse d'une zone de contrôle total ou non, nous considérons toujours les camps de travail comme des camps de prisonniers politiques. En ce sens, je ne suis pas d'accord avec lui lorsqu'il dit qu'il n'y a pas de survivants de camps de prisonniers politiques; je pense qu'il y en a.
(1355)
    Monsieur Hillyer, c'est à votre tour.
    Vous avez dit que faire entendre raison au régime s'avère pratiquement impossible et que nous devrions plutôt porter notre attention sur le peuple.
    Que pouvons-nous faire pour appuyer et encourager ou inspirer le peuple puisqu'il nous faut passer par le filtre du gouvernement?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Je crois que la communication d'information provenant de l'extérieur du pays est le moyen le plus efficace.
    Pourquoi? Parce que les Nord-Coréens vivent dans une zone de contrôle total. Ils vivent dans une société entièrement contrôlée. Ils ne peuvent pas se déplacer librement, ni sortir du pays. Ils sont isolés du reste du monde et la seule information qu'ils reçoivent, qui n'a servi qu'à leur laver le cerveau depuis leur naissance, c'est celle qui déifie les Kim. Ils ne peuvent pas faire de comparaison. Ils ne savent rien du reste du monde et ne peuvent pas faire de comparaison entre leur milieu de vie et un autre. Nous devons faire en sorte que les Nord-Coréens sachent ce qui se passe à l'extérieur de leur pays pour qu'ils réalisent que leur situation est inacceptable et qu'ils vivent dans une société qui est inacceptable. À mon avis, c'est la première mesure que nous devons prendre.
    Ensuite, nous devons déterminer comment nous pouvons aider le peuple nord-coréen et non le régime. Il s'agirait tout d'abord de sauver les transfuges. Environ 28 000 transfuges ont atteint la Corée du Sud. Ils sont très chanceux. Bon nombre de gens sont en Chine ou en Asie du Sud-Est et veulent se rendre en Corée du Sud, mais ils ne peuvent pas. Environ 100 000 d'entre eux sont présentement en fuite. Nous devons être en mesure de les aider à se rendre en Corée du Sud ou dans d'autres pays libres. Selon moi, c'est un rôle qu'il nous faut jouer, car nous contribuerons ainsi à provoquer la chute du régime.
    Comme je vous l'ai dit, en Corée du Nord, on punit des gens par association. On punit trois générations. Si un membre de votre famille a fui le pays, tous les membres de votre famille seront considérés comme des traîtres à la nation. Dans cette situation, tous les membres de la société nord-coréenne, tous les Nord-Coréens, seront considérés comme des gens infidèles, car ils connaissent un membre de leur famille qui a fui. Il nous faut aider ces gens pour qu'il y ait plus de transfuges et que les gens qui fuient puissent le faire sans encombre et se rendre dans des pays sûrs.
    Nous devons faire disparaître le culte de la personnalité, la déification des Kim. Comment? Je ne crois pas que ce soit si difficile. Nous devons maintenir nos diffusions en Corée du Nord, par les ondes. Nous devons également continuer à mettre des brochures dans des endroits dans le pays où c'est possible de se les procurer. Nous devons dire aux Nord-Coréens que les trois générations de la dynastie des Kim ont légué trois générations d'esclavage aux Nord-Coréens, Je pense qu'en leur disant simplement la vérité, nous pouvons changer les mentalités du peuple nord-coréen.
(1400)
    Merci.
    Je veux seulement vous dire que je me fis à l'heure qu'indique ma montre, qui diffère un peu de celle de l'horloge qui est ici. Il reste encore quelques minutes à notre séance.
    Avez-vous terminé, monsieur Hillyer?
    Oui. Je dois faire une déclaration en vertu de l'article 31 du Règlement.
    D'accord.
    Monsieur Benskin, allez-y, s'il vous plaît.
    Comme je l'ai dit après avoir entendu l'un de nos témoins précédents qui vient de la Corée du Nord, en écoutant ce que vous dites, les deux bras me tombent. Je vous remercie tous les deux de votre témoignage, de votre franchise et du courage dont vous faites preuve en nous racontant tout cela.
    En tant qu'artiste, j'ai toujours été fier du travail de mes collègues artistes et du mien. Je suis convaincu que nous pouvons changer le monde un poème à la fois. Ce que vous avez dit sur les outils qui sont utilisés pour soumettre le peuple nord-coréen est pour le moins décourageant. Vous nous avez dit que vous avez participé à la composition de poèmes, ainsi qu'à l'écriture de romans et d'autres outils de communication servant à laver les cerveaux des Nord-Coréens. D'autres témoins nous ont dit, et vos propos vont dans le même sens, qu'une des choses qui aidera à mettre un terme au régime et à cette situation, c'est de transmettre l'information au peuple nord-coréen. On nous a dit que l'information, par des émissions de télévision, passe en cachette à l'aide de clés USB et de CD.
    Quelles autres mesures prend-on? Il faudrait faire le même type de choses pour détruire, je suppose, ou déprogrammer les cerveaux, comme vous le dites. Vous avez parlé un peu plus tôt de la langue de contrôle. Pourriez-vous nous expliquer un peu de quoi il s'agit et ce que vous voulez dire?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
    Je ne crois pas que cette réalité existe dans votre langue, mais en coréen, il y a un système honorifique dans la langue. Il s'agit de montrer le plus grand respect, du respect et simplement... Disons que les gens qui ont une reconnaissance égale ont un système linguistique différent.
    Le système honorifique ne peut être utilisé que pour parler des membres de la famille du chef, les Kim. Ils ont droit à la terminologie la plus honorable. On ne peut utiliser ce registre pour personne d'autre. Il y a donc une catégorisation dans la langue même. On divise les gens en différentes classes. Il y a un registre qui s'applique à la famille du chef et au chef.
    Du côté des écrits, il y a l'idéologie du Juche. Elle s'inscrit dans les publications des ministères. Par exemple, dans la poésie, en Corée du Nord, on ne peut pas utiliser le mot « larmes » pour une personne en général. On ne peut pas l'utiliser. Il y avait un poète très célèbre en Corée du Nord: Kim Chul. Il a écrit « rosée » plutôt que « larmes » étant donné qu'il ne pouvait pas employer le mot « larmes », mais ils ont compris. Il a passé 15 ans dans un camp de prisonniers.
    Cette idéologie est à la base de tout. Des choses sont prescrites pour chaque type d'écrits. Pour l'essentiel, c'est utilisé, légalement, uniquement comme outil de propagande. Le ministère du Front uni comprend une division de littérature qui élabore des moyens de tout contrôler dans la culture populaire. Toutefois, il n'y a pas de culture populaire, car personne n'est autorisé à présenter ses propres chansons. On ne peut rien décider, même en ce qui concerne une pierre tombale. Sur une pierre tombale, on ne peut inscrire que le nom et la date de naissance du défunt, car les gens peuvent lire ce qui est inscrit sur la pierre tombale et le régime ne veut pas que quiconque puisse lire quelque chose qu'il n'a pas lui-même prescrit.
    Vous ne pouvez probablement pas imaginer un tel contrôle, mais tout commence par la langue: ce qu'on peut utiliser et ce qu'on ne peut pas utiliser.
(1405)
    Je veux ajouter quelque chose. Lorsque nous parlons de liberté d'expression, cela suppose la liberté d'exprimer sa pensée. Liberté d'opinion rime avec liberté d'exprimer sa pensée. Toutefois, lorsque nous parlons d'expression, nous pouvons exprimer nos idées, et en même temps, nous pouvons exprimer nos sentiments. D'accord? Maintenant, ils ne peuvent pas exprimer librement leur pensée, bien entendu, et ils n'ont même pas la liberté d'expression, la liberté de ressentir librement. C'est ce qu'il veut dire.
    En plus, ils ne sont pas libres de ressentir librement. Vous savez quoi? Si l'on exprime ses sentiments, ils sont alors exprimés. Par exemple, Jang Song-thaek, l'oncle de Kim, a été exécuté. Entre autres crimes, il a applaudi sans enthousiasme. C'est l'un des crimes qu'il a commis. Il faut applaudir sans réserve. Cela veut dire qu'on ne peut pas s'exprimer librement. Il a applaudi sans enthousiasme parce qu'il ne se sentait pas bien, vous savez. Autrement dit, le régime contrôle même comment on se sent. Si j'en ai le temps, en dehors du cadre de votre séance, je pourrai vous parler. Puisque vous avez dit que vous êtes un artiste, j'espère que nous continuerons notre discussion plus tard. Merci.
    Me reste-t-il du temps?
    Oui, monsieur Benskin.
    Merci.
    Cela dit, je vais revenir à une question que mon collègue a posée. Monsieur Jang, vous avez dit que le régime est en train de... ou du moins, on a l'impression que le régime s'écroulera. La question de mon collègue était la suivante: sommes-nous prêts?
    Concernant ce que vous venez de dire au sujet de l'état d'esprit de la population, il me semble que la plupart des révolutions — printemps arabe, guerre civile, etc. — découlent d'un rejet de certaines attitudes, d'attitudes politiques, par exemple. Toutefois, il s'agirait ici du rejet d'un mode de vie, de leur propre mode de vie, de leur lien avec le monde. À votre avis, comment le changement ou la chute du régime touchera le peuple de la Corée du Nord lorsque ce type d'idéologie, cette déification, s'effondrera?
M. Cheolhyeon Jang (Interprétation):
     Plus les Nord-Coréens montent dans la société, plus ils comprennent que quelque chose ne va pas; les gens des classes supérieures se rendent compte que quelque chose ne va pas. Pourquoi n'y a-t-il pas de révolution? C'est probablement parce que si une personne fait quelque chose de mal, les trois générations de sa famille seront punies. Ce châtiment collectif par association constitue probablement la plus grande menace. Les gens doivent trahir leur famille pour le faire et participer à un soulèvement.
    À cause de mes paroles, trois générations de ma famille pourraient être envoyées dans un camp de travail. C'est ce qui se passe. Il s'agit peut-être de la loi la plus néfaste en Corée du Nord.
    Beaucoup de Nord-Coréens croient maintenant que c'est inacceptable, mais je pense qu'à l'heure actuelle, ils ont besoin des encouragements et de l'aide du reste du monde. Les pays libres doivent continuer à leur donner de l'information, à les encourager, à leur garantir qu'effectivement, le régime de leur pays est inacceptable. Ils doivent continuer à les encourager et à leur dire que le culte de la personnalité, la déification, c'est inacceptable et à faire en sorte que le peuple nord-coréen le croit profondément et qu'un plus grand nombre de Nord-Coréens le croient.
    À mon avis, pour que la Corée du Nord change, il faut que l'attitude des pays libres change, et il faut que la Corée du Nord soit plus courageuse. Il en est de même pour nous. Je crois que la loi sur les droits de la personne en Corée du Nord ne doit pas être qu'une déclaration. Il faut qu'elle donne de l'assurance et du courage aux Nord-Coréens, et je pense que cela leur permettra vraiment de faire preuve de plus de courage dans leurs actions.
    Merci.
(1410)
    Merci.
    Merci, monsieur Benskin.
    Je remercie nos deux témoins. Vos témoignages étaient vraiment très bons.
    Monsieur Lee, allez-y, s'il vous plaît.
    Avant de partir, je veux vous laisser le rapport officiel du commissaire d'enquête. J'espère que vous pouvez l'accepter.
    Notre greffier le prendra. Il fera partie des dossiers du comité, et tous les membres du comité pourront le consulter. Merci beaucoup.
    Chers collègues, je vous remercie. Nous nous réunirons de nouveau mardi pour une séance de planification à huis clos.
    La séance est levée.
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