SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 25 novembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Français]
À l'ordre, s'il vous plaît.
Aujourd'hui, le 25 novembre 2014, nous tenons la 45e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Notre séance est télévisée.
Aujourd’hui, nous revenons sur un sujet qui a occupé le comité dans le passé, c’est-à-dire, bien entendu, les droits de la personne au Venezuela.
Nous accueillons aujourd’hui deux témoins qui nous entretiendront de la détention arbitraire dans ce pays et des obstacles auxquels se heurtent les personnes qui s’opposent aux excès du régime. Lilian Tintori est ici pour parler de son époux, Leopoldo López, et Jared Genser témoignera également.
Je crois comprendre, madame Tintori, que vous interviendrez en premier, et que votre exposé sera suivi de celui de M. Genser.
Nous vous invitons à amorcer votre témoignage.
Merci beaucoup.
Bonjour.
Monsieur le président Reid, chers membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne, mesdames et messieurs, je m’appelle Lilian Tintori. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui. Contrairement à moi, mon époux, Leopoldo, est un politicien. Je comparais devant vous en ma qualité d’épouse et de mère de famille monoparentale depuis le 19 février 2014, date à laquelle Leopoldo, qui est un mari, un père et un politicien dévoué, a été injustement emprisonné par les autorités vénézuéliennes. Comme Leopoldo a été temporairement réduit au silence, je n’ai d’autre choix que de parler en son nom.
Certains d’entre vous sont peut-être au courant des problèmes qui sévissent actuellement au Venezuela et dont je vous entretiendrai. Ce que vous ne savez peut-être pas, à l’heure où je témoigne au Parlement du Canada, c’est que mon époux a de profondes racines canadiennes. Son arrière-grand-père était originaire de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Il a déménagé à Caracas au tournant du XXe siècle afin d’ouvrir là-bas une succursale de la Banque Royale du Canada. Il était toujours fier d’être Canadien même s’il avait passé la majeure partie de sa vie à Caracas.
Aujourd’hui, ma tâche la plus importante consiste à discuter avec vous des problèmes que le Venezuela affronte en ce moment et de la situation particulière de mon époux, Leopoldo. Depuis que le président Hugo Chavez a été élu en 1999, mon pays, qui était une solide démocratie, est tombé dans la dictature, mais, au cours des 15 dernières années, les choses ne sont jamais allées aussi mal qu’en ce moment. La présidence de Chavez a été marquée par la violence, l’inflation, des pénuries de marchandises, un manque d’indépendance judiciaire et une persécution croissante des journalistes et des adversaires politiques du régime.
À l’heure actuelle, le taux d’inflation au Venezuela s’élève à 65 %, soit le taux le plus élevé de l’Amérique latine. Aujourd’hui, d’autres Vénézuéliens et moi nous nous débattons quotidiennement pour nous procurer des produits de base comme du papier hygiénique, du riz, du café, de la viande, des couches et du lait pour nos nourrissons. Nous sommes forcés de faire la queue pendant des heures pour acheter des aliments et d’autres produits essentiels pour nos familles.
De plus, la sécurité dans mon pays est véritablement inquiétante. Le taux de meurtres au Venezuela s’élève à 25 000 par année, ce qui signifie qu’un Vénézuélien est tué toutes les 20 minutes. Et pourtant, en dépit de cette réalité déprimante sur le terrain, mon pays possède une merveilleuse constitution qui protège férocement les droits de la personne. Malheureusement, le gouvernement du Venezuela viole quotidiennement ces droits, en toute impunité.
Mon époux, Leopoldo, a passé les neuf derniers mois en prison après s’être volontairement rendu aux autorités, le 18 février 2014. Leopoldo est actuellement âgé de 43 ans. Cette année, il a passé son 43e anniversaire de naissance derrière les barreaux et sans sa famille, étant donné que nous n’étions pas autorisés à le visiter ce jour-là et pendant les quelques jours qui ont suivi.
Leopoldo fait de la politique depuis l’âge de 29 ans. Il est membre de l’opposition politique et, en 2000, il a été élu maire de la municipalité de Chacao, le quartier des affaires du centre de Caracas. Mon époux a occupé le poste de maire jusqu’en 2008, c’est-à-dire l’année de l’entrée en vigueur de règles injustifiées qui lui ont interdit de se présenter aux élections municipales.
N’eût été l’interdiction, Leopoldo se serait porté candidat à la mairie de la région métropolitaine de Caracas en 2008, une course que, selon les sondages, il aurait menée par 30 points de pourcentage. Une enquête conduite à cette époque laissait entendre que, dans le cadre d’élections hypothétiques, Leopoldo aurait obtenu plus de suffrages qu’Hugo Chavez.
Le gouvernement vénézuélien est clairement l’objectif premier de mon époux, et il a de bonnes raisons de l’être. MM. Chavez et Maduro n’ont pas tenu leurs promesses. Ils ont systématiquement démantelé nos droits fondamentaux: notre liberté d’expression, notre liberté d’association, notre liberté de presse et notre liberté de voter pour les candidats de notre choix.
Et pourtant, ces atteintes à nos droits n’ont pas dissuadé mon époux. En 2009, Leopoldo et d’autres jeunes chefs de l’opposition résolus ont fondé le parti politique Voluntad Popular, en tirant parti de l’appui populaire à l’égard des changements sociaux. Compte tenu de l’accroissement de la violence et du recul important de l’économie, Leopoldo a demandé que le gouvernement règle la crise actuelle sans faire preuve de violence et en ayant recours à des moyens constitutionnels. Plus précisément, il a réclamé la démission du président Maduro. Dans l’éventualité où cela ne fonctionnerait pas, mon époux a demandé la tenue d’un référendum visant à démettre le président de ses fonctions. Dans l’éventualité où cela ne fonctionnerait pas, il souhaitait que le gouvernement tienne une convention constitutionnelle en vue de réexaminer la façon dont les droits de la personne pourraient être protégés plus efficacement.
Ces trois idées sont tirées directement de la constitution vénézuélienne. En conséquence, les propositions de Leopoldo ont bénéficié d’un appui généralisé et ont été acceptées conjointement par tous les chefs de l’opposition politique, ainsi que par le mouvement des étudiants vénézuéliens.
Le 12 février 2014, qui marque la Journée de la jeunesse au Venezuela, quelque 500 000 personnes se sont présentées dans les rues de Caracas pour entendre mon époux et d’autres dirigeants de l’opposition politique, de groupes étudiants et de communautés parler de la façon dont nous pouvons changer notre pays. Après avoir écouté les discours, la foule s’est rendue au bureau du procureur public afin de présenter une lettre réclamant la libération des dirigeants étudiants qui avaient été arbitrairement arrêtés auparavant.
Après avoir attendu pendant deux heures, les gens ont compris clairement que le bureau du procureur n’accepterait pas la lettre. Par conséquent, mon époux a ordonné à tous les manifestants de rentrer chez eux. Toutefois, un petit groupe de manifestants est resté en arrière, et la situation a rapidement pris un caractère meurtrier lorsque trois manifestants, dont un partisan du gouvernement et deux manifestants antigouvernementaux, ont été blessés par balle à la suite d’une marche principalement pacifique.
Mon époux et les autres chefs de l’opposition étaient partis depuis longtemps lorsque ces événements sont survenus. Le gouvernement du Venezuela soutient, au contraire, que Leopoldo a incité les gens à la violence. Les photos et les vidéos affichées sur YouTube montrent que les forces ont ouvert le feu sur des manifestants non armés.
Plus tard dans la soirée du 12 février, le bureau du procureur a lancé un mandat d’arrestation contre Leopoldo en raison de la violence qui s’était déroulée ce soir-là. Au cours de la soirée du 16 février, mon époux a déclaré sur YouTube qu’il allait se livrer aux autorités et a demandé qu’une démonstration pacifique ait lieu le 18 février. Vers midi, le 18 février, pendant que je me tenais à ses côtés, mon époux a prononcé un discours à l’intention de centaines de milliers de partisans, puis s’est livré pacifiquement aux autorités militaires.
Il a par la suite fait l'objet d'un certain nombre d'accusations, dont Jared Genser, mon avocat, vous parlera plus en détail.
Étonamment, même si le gouvernement admirait le fait que Leopoldo préconisait le changement par la non-violence et les voies constitutionnelles, il a tout de même déclaré par écrit que mon mari se servait de messages subliminaux pour inciter à la violence. Si mon mari était doté de super-pouvoirs, il aurait sûrement persuadé facilement le président Maduro de démissionner, ou ses geôliers de le libérer.
Je vais maintenant vous parler de ma situation et de celle de ma famille, au Venezuela, depuis l'arrestation de mon mari. Depuis le 19 février 2014, Leopoldo est emprisonné injustement au Venezuela. Depuis neuf mois, il est en isolement. Sur ces neuf mois, on l'a placé pendant six mois, de façon intermittente, en confinement 24 heures sur 24 en guise de punition arbitraire.
On le punit sans raison. La dernière fois que c'est arrivé, Leopoldo avait placé à la fenêtre, située à une hauteur de trois mètres — il faut donc être à l'intérieur de la cellule pour avoir accès à la fenêtre —, une affiche sur laquelle était écrit: ONU = Liberté pour les prisonniers politiques, car l'ONU avait demandé la libération de Leopoldo López et d'autres prisonniers politiques vénézuéliens. Le gouvernement du Venezuela a fermé le tribunal durant un mois et n'a rien répondu. Un mois plus tard, il a rouvert son bureau et a rejeté la décision de l'ONU.
Le président Maduro peut emprisonner mon mari physiquement, mais pas mentalement. Même si l'isolement cellulaire prolongé fait cruellement souffrir Leopoldo, il devient de plus en plus fort. Il lit, écrit, fait de l'exercice et prie dans sa cellule. Chaque minute passée en prison renforce sa détermination.
Nous allons tous survivre. Je l'espère, mais en toute honnêteté, c'est une situation très difficile pour moi et mes enfants. Je trouve difficile de m'occuper seule de ma famille et de craindre pour la sécurité de mes enfants et la mienne dans mon propre pays. Je ne me sens pas en sécurité; je vis dans la peur. Cela me brise le coeur d'avoir à expliquer à ma fille Manuela, après chaque visite, que son papa ne peut revenir à la maison et que parfois, les héros sont mis en prison au Venezuela.
J'aimerais conclure avec deux brèves histoires qui illustrent la façon dont le gouvernement vénézuélien traite mon mari.
Le 27 octobre, vers une heure du matin, les gardiens de la prison militaire où est détenu Leopoldo ont lancé trois sacs remplis d'urine et d'excréments humains contre les barreaux de la fenêtre de sa cellule. Ils ont fait la même chose à Daniel Ceballos, Enzo Scarano et Salvatore Lucchese, d'autres prisonniers politiques.
Il y a actuellement quatre prisonniers politiques qui sont détenus à la prison de Ramo Verde, mais il y a plus de 80 prisonniers politiques au Venezuela.
Il était couvert d'excréments; les murs de sa cellule également. Les autorités de la prison ont coupé l'alimentation en eau et en électricité, le laissant passer 15 heures couvert d'excréments et d'urine dans sa cellule. C'est dégoûtant et c'est horrible. Nous dénonçons ces gestes tant au pays qu'à l'extérieur du pays.
Récemment, Leopoldo a subi deux périodes de deux semaines de punition. En plus, le gouvernement a décidé de me punir de prendre la parole dans des tribunes comme celle-ci à l'étranger. Durant 40 jours, on m'a punie en m'empêchant de voir mon mari et de lui parler.
Au cours d'une récente visite à son père, Manuela, notre fille de cinq ans, lui a demandé s'il allait mourir en prison. Cela crève le coeur d'entendre une fillette de cinq ans poser une telle question à son père; tous les membres de notre famille étaient en larmes.
Tout ce que j'ai décrit constitue clairement une violation du droit vénézuélien et international. Je suis ici aujourd'hui pour implorer votre aide et votre soutien. Mon mari porte en lui une petite partie de votre grand pays. Ce dont il a besoin et tous les Vénézuéliens ont besoin, c'est que les gouvernements qui défendent les mêmes principes, comme le vôtre, expriment leur solidarité à l'égard des 72 prisonniers politiques encore détenus dans notre pays, y compris Leopoldo.
Je vous remercie beaucoup de votre attention, de votre intérêt et de votre soutien. Comme le disait Leopoldo, tous les droits pour tous. C'est notre objectif. Nous voulons la paix et un meilleur pays pour tous. Force et foi.
[Le témoin s'exprime en espagnol.]
Toutes mes paroles et mon travail partout dans le monde sont motivés par l'amour, celui que je ressens pour Leopoldo, pour mes enfants, ainsi que pour mon pays, le Venezuela.
Merci beaucoup.
Merci beaucoup.
Monsieur Genser, je vous invite à commencer. Je tiens seulement à mentionner qu'il ne nous reste que 30 minutes et que nous avons six intervenants. Je vous invite à en tenir compte, si vous le pouvez. Je sais que votre exposé est important, mais je veux simplement que vous gardiez cela à l'esprit.
Merci.
Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du sous-comité. Je suis heureux d'être à nouveau parmi vous aujourd'hui. Vous vous rappellerez sans doute que durant cinq ans, j'ai été l'avocat de Aung San Suu Kyi en matière de droit international. Je représente actuellement Liu Xiaobo et je me spécialise dans les affaires relatives aux prisonniers d'opinion.
Je ne mentionne pas seulement leurs noms parce qu'il s'agit d'un ancien et d'un nouveau client, mais parce qu'après avoir lu les discours et les écrits de Leopoldo López, comme je vous encourage à le faire, j'ai constaté qu'il ressemble beaucoup à eux, ainsi qu'à Václav Havel et Nelson Mandela, et qu'il deviendra bientôt, malheureusement, aussi connu qu'eux en raison de sa détention prolongée au Venezuela.
Il y a trois choses dont je veux vous parler rapidement cet après-midi. D'abord, je vous donnerai un peu plus de détails sur l'affaire elle-même, afin que vous soyez au courant des accusations portées contre lui et du manquement à l'application régulière de la loi. Je vous dirai ensuite ce que nous faisons à l'étranger et, enfin, ce que le Canada pourrait faire, selon moi, pour nous aider.
Leopoldo est accusé de quatre crimes: incitation à la violence, complot, incendie criminel et dommages matériels. Il pourrait être condamné à 12 ans de prison. Comme l'a indiqué Lilian, lorsqu'on lit l'acte d'accusation, on se croirait dans un roman de science-fiction. En bref, même s'ils reconnaissent qu'il prêche la non-violence et qu'il est en faveur de réformes constitutionnelles, ils disent qu'il utilise des messages subliminaux pour persuader les gens de commettre des actes violents. Il va sans dire que c'est tout simplement ridicule, et en tant qu'avocat, j'essaie de choisir judicieusement mes mots.
Il est détenu en violation des articles 19, 20 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Venezuela est partie. L'article 19 porte sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression, l'article 20, sur le droit à la liberté d'association, et l'article 21, sur le droit à la participation politique.
Le procès est tout aussi révoltant, et le gouvernement vénézuélien n'essaie même pas de faire croire qu'il s'agit d'un procès équitable. Toutes les violations que je vais vous décrire sont des violations de l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui porte sur les droits à l'application régulière de la loi.
Parlons d'abord de la présomption d'innocence. Durant l'année précédant la mise en détention de Leopoldo, Maduro a affirmé à 11 reprises que Leopoldo irait en prison et qu'une cellule était « prête » pour lui, pour citer ses paroles; il a dit très clairement qu'il allait le faire arrêter et mettre en détention. Depuis l'arrestation de Leopoldo, il y a neuf mois, le président Maduro a déclaré à la télévision nationale que Leopoldo avait, et je cite encore une fois ses paroles, « une folle vision messianique » et une façon de parler qui rend les gens fous.
Il a récemment parlé de Leopoldo López comme du meurtrier de Ramo Verde, la prison dans laquelle il est détenu. C'est intéressant à bien des égards, étant donné qu'il n'a évidemment jamais été accusé de meurtre. Je viens d'énumérer les accusations qui sont portées contre lui. Or, le président du pays dit qu'il est un meurtrier.
De plus, on lui refuse le droit à des communications privées avec ses avocats. Toutes les rencontres avec ses avocats sont soit enregistrées, soit observées en personne par les gardiens de prison. Le juge dans cette affaire a approuvé 100 témoins pour la poursuite, mais a refusé 58 des 60 témoins proposés par la défense. On prive carrément Leopoldo de son droit de présenter une défense dans cette affaire.
En outre, l'appareil judiciaire manque d'indépendance et d'impartialité. Il ne m'arrive pas souvent, en tant qu'avocat spécialiste des droits de la personne, d'en avoir la preuve. Habituellement, je sais tout simplement que c'est le cas. Après avoir confirmé les quatre accusations portées contre Leopoldo, la première juge qui a entendu sa cause a reçu un message texte d'un ami de Miami, qui lui demandait pourquoi elle avait fait cela. Elle lui a répondu qu'elle n'avait pas le choix: si elle ne le faisait pas, elle perdait son emploi. Cet ami a alors transmis le message texte à un journaliste, qui a confirmé que le numéro de téléphone était bien celui de la juge. Vous ne serez pas étonné d'apprendre que la juge ne s'occupe plus de cette affaire et qu'elle est maintenant en exil.
Le pouvoir législatif a joué un rôle encore plus scandaleux dans cette affaire. D'ailleurs, le président de l'assemblée nationale a été impliqué personnellement d'une manière que je qualifierais, en tant qu'avocat en droit international, d'étrange et de bizarre. Je pense que vous aurez la même impression. Entre le moment où Leopoldo a été accusé de ces crimes et celui où il s'est rendu aux autorités, le président de l'assemblée nationale s'est rendu à la résidence familiale au milieu de la nuit, avec 75 hommes armés et masqués, pour tenter de persuader en privé la famille de s'exiler. Le président de l'assemblée nationale a dit qu'il pensait, qu'il savait que Leopoldo était innocent, mais que le gouvernement vénézuélien ne pouvait plus le protéger, que sa vie était en danger et que l'avion était prêt. Ils n'avaient qu'un mot à dire et il emmènerait Leopoldo, Lilian et les enfants afin qu'ils quittent le pays.
Évidemment, Leopoldo a refusé cette offre.
Après son arrestation, le 18 février, il a été détenu, comme l'a mentionné Lilian, par des gardes militaires, des membres des forces armées. Il est étrange qu'il ait été détenu par des militaires et qu'il soit gardé dans une prison militaire, puisqu'il n'a jamais servi dans les forces armées et qu'il n'a jamais été accusé d'infractions à la justice militaire.
Après son arrestation, on l'a d'abord envoyé dans une base militaire, et il devait ensuite être conduit devant un juge pour sa première audience. Il se trouve que celui qui l'a mené au tribunal n'était nul autre que le président de l'assemblée nationale; il était seul avec lui dans la voiture, au sein d'un convoi militaire.
Imaginez si votre Président de la Chambre conduisait une personne accusée d'infractions criminelles à sa première audience au tribunal. Évidemment, il a tenté de persuader Leopoldo de partir en exil, ce que Leopoldo a refusé de faire. Je m'en voudrais de ne pas mentionner brièvement la torture causée à Leopoldo par l'isolement cellulaire prolongé et les traitements cruels, inhumains et dégradants à bien des égards.
Il s'agit actuellement du cas le plus important de prisonnier politique au Venezuela. Le gouvernement a violé, en toute impunité, le droit de Leopoldo López à la liberté d'opinion et d'expression, à la liberté d'association, à la participation politique, à la présomption d'innocence, à des communications confidentielles entre avocat et client, à un appareil judiciaire indépendant et impartial, ainsi que le droit de ne pas être torturé ni soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants, ce qui contrevient également à la Convention contre la torture.
Si c'est ce qu'ils font subir au prisonnier politique qui retient le plus l'attention, imaginez ce que subissent les autres prisonniers politiques et les Vénézuéliens ordinaires lorsqu'ils se retrouvent dans la mire du gouvernement.
Nous avons fait beaucoup de progrès dans le dossier de Leopoldo au cours des derniers mois. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a demandé sa libération. Nous avons eu une rencontre très positive avec le haut commissaire aux droits de l'homme à Genève. Il a demandé publiquement la libération de Leopoldo López et du maire Ceballos, qui est aussi concerné par la demande de l'ONU au sujet de tous les prisonniers politiques.
Le secrétaire général de l'Organisation des États américains a déclaré que tous les prisonniers politiques du Venezuela doivent être libérés. Lilian a rencontré le premier ministre espagnol, qui a demandé publiquement la libération de Leopoldo. Le président Obama a aussi demandé publiquement sa libération. Les comités de rédaction du New York Times et du Washington Post ont publié le même jour des éditoriaux dans lesquels ils demandaient la libération de Leopoldo et d'autres prisonniers politiques, le jour même où Maduro arrivait à New York pour l'ouverture de l'Assemblée générale des Nations Unies. Évidemment, Human Rights Watch et Amnistie Internationale ont également demandé sa libération.
Même si cette liste peut sembler impressionnante, comme vous le voyez par les résultats, en réalité, nous n'avons pas encore atteint notre objectif, soit de faire libérer Leopoldo et tous les prisonniers politiques du pays, de mettre fin à l'impunité et de traduire en justice les forces de sécurité qui ont assassiné 42 personnes et tué des civils innocents qui manifestaient pacifiquement. Il y a eu plus de 3 000 détentions, comme l'a mentionné Lilian, et quelque 250 personnes sont poursuivies pour diverses infractions présumées.
Nous avons besoin de votre aide et de votre soutien. Nous avons besoin que le Canada, pays épris de liberté, exprime sa solidarité envers le peuple vénézuélien durant ces heures très sombres.
Je terminerai en mentionnant trois choses que le Canada pourrait envisager de faire et qui seraient très utiles. La première serait de voir si votre Parlement pourrait, avec l'appui de tous les partis, évidemment, adopter une motion demandant la libération de Leopoldo et de tous les prisonniers politiques du Venezuela ainsi que le redressement de l'ensemble de la situation sur le plan des droits de la personne au Venezuela.
Un nouvel ambassadeur du Venezuela sera à Ottawa pour présenter ses lettres de créance en janvier. Je souhaite que tous les députés qui le verront — c'est un ancien major-général des forces armées vénézuéliennes — lui disent clairement que selon tous les partis politiques canadiens, le Venezuela doit s'occuper de façon prioritaire de ses problèmes en matière de droits de la personne.
Je vous demande instamment de tenir compte du fait que vous aurez entendu Lilian ici aujourd'hui quand vous rencontrerez les ambassadeurs étrangers, en particulier ceux des pays d'Amérique latine, afin de leur demander ce qu'ils font pour tenter de régler la situation au Venezuela.
Enfin, bien que Lilian en ait peu parlé, il est important de souligner à quel point la situation est dangereuse pour elle et pour sa famille là-bas. Nous avons vraiment besoin de la voix forte du Canada pour nous assurer qu'elle, ses enfants et sa famille seront en sécurité. Chaque fois qu'elle sort du pays pour participer à un événement comme celui-ci, elle risque littéralement sa vie et met sa famille en danger.
Ce n'est pas qu'une question théorique. À la télévision nationale, le président du pays a accusé Lilian d'être complice de la CIA pour essayer de faire extrader l'ancien chef des services du renseignement des forces de sécurité du Venezuela qui était détenu à Aruba l'été dernier et dont les États-Unis demandaient l'extradition.
Ces accusations sont, bien entendu, scandaleuses et profondément troublantes, mais elles montrent aussi la peur que Leopoldo inspire au gouvernement et au président, et surtout Lilian, compte tenu de l'important message qu'elle diffuse dans le monde entier.
Ce fut pour moi un réel plaisir de témoigner devant vous aujourd'hui. Je vous sais vraiment gré de votre temps et de votre appui.
Merci beaucoup.
Merci, monsieur Genser.
Chers collègues, compte tenu du temps qu'il nous reste avant la fin de la réunion, je dois vous limiter à une question chacun à moins que vous n'obteniez une réponse très brève.
Nous allons commencer par M. Sweet.
Merci, monsieur le président. Je comprends parfaitement.
Madame Tintori, vous êtes une femme courageuse. Votre époux est très courageux de refuser l'exil pour rester là-bas et être un symbole d'espoir pour ceux qui luttent pour un meilleur Venezuela. Nous espérons sincèrement que la situation se termine le mieux possible pour vous, vos enfants et votre époux.
Monsieur Genser, je suis ravi de vous revoir et merci pour le bon travail que vous accomplissez.
J'ignore comment mes collègues se sentent lorsqu'ils entendent un témoignage comme celui-ci, qui montre à quel point les pouvoirs judiciaires, législatifs, policiers et militaires ont sombré dans la corruption et ce, en toute impunité. Il est même difficile de formuler une question fondée sur les valeurs démocratiques occidentales que nous essayons de respecter.
Cela dit, maintenant que votre époux est détenu avec nombre d'autres prisonniers politiques, y a-t-il des leaders toujours en liberté qui continuent d'organiser des manifestations? Je crois comprendre que la dernière dont nous ayons entendu parler s'est déroulée en septembre, pour veiller à ce que la question reste bien présente dans l'esprit des gens au Venezuela. Bien que les pressions internationales soient utiles et que nous en exercerons, ce sont vraiment les Vénézuéliens ordinaires qui ont font une différence.
Le mouvement est-il toujours fort?
Oui. Il n'y a pas de manifestations parce que, depuis le 12 février, nous vivons la pire répression de l'histoire du Venezuela. Nous avons répertorié plus de 3 343 détentions arbitraires. Des organismes comme Provea et Foro Penal ont recensé plus de 50 cas de torture, mais nous avons beaucoup de cas de torture. La répression militaire est à l'origine de 43 meurtres dans les rues, alors les gens rentrent chez eux. Nous vivons dans la peur. Nous ne voulons pas que d'autres gens meurent. Nous ne voulons pas que plus de sang soit versé dans les rues — voilà pourquoi nous ne manifestons plus.
Au lieu de cela, nous avons lancé un mouvement dans la rue pour tenter de recueillir les signatures de tout le monde afin d'obtenir le retrait constitutionnel, électoral et pacifique du gouvernement Maduro. La constitution nous donne différentes façons de destituer le gouvernement, par exemple la constituyente. Il faut six millions de signatures et, en ce moment, les gens signent les pétitions de Voluntad Popular et de différents groupes de l'opposition dans les rues du Venezuela.
C'est très difficile, car on ne peut pas parler dans les médias. Il y a de l'oppression partout, que ce soit à la télévision, à la radio ou dans la presse écrite. Nous n'avons pas la liberté d'expression, car les médias sont sous le contrôle du gouvernement. C'est très difficile et ce n'est pas d'hier. En 2007, le gouvernement a fermé RCTV, l'une des plus grandes stations de télévision au Venezuela. Et cela ne s'est pas arrêté là: il a congédié des caricaturistes, des écrivains, des journalistes, de bons travailleurs parce qu'il voulait les faire taire.
Je parle au nom de Leopoldo López. Je suis son épouse, mais je parle aussi au nom des familles qui sont en prison, de tous les prisonniers politiques, notamment Daniel Ceballos, Enzo Scarano, Salvatore Lucchese, Rosmit Mantilla, Christian Holdack. Je représente leurs familles ainsi que celles de ceux qui ont été assassinés ce mois-ci. Nous ne voulons ni mort, ni violence. Je représente aussi les personnes en exil. Celles qui se taisent parce qu'elles ont peur. Dans tous mes messages et à toutes mes réunions, je parle au nom de ces personnes aujourd'hui réduites au silence. C'est difficile, mais il nous faut continuer.
En ce moment, les gens signent les pétitions. Huit Vénézuéliens sur dix veulent du changement au Venezuela, alors la majorité des gens font front commun sur ce plan; nous voulons un meilleur pays; un pays progressif, pacifique et de bonne volonté. C'est très important à savoir. Ensemble. Il nous arrive souvent d'être divisés entre Chavistas et non-Chavistas. En ce moment, c'est comme cela. Les problèmes qui étaient les nôtres, les problèmes quotidiens, nous lient dans les files d'attente pour acheter de la nourriture et des couches. Alors le Venezuela a changé, et nous sommes maintenant unis dans notre volonté de changement.
Merci d'être venue témoigner aujourd'hui. Il est important d'entendre un témoignage de première main. D'emblée, je tiens à vous dire que nous appuyons la libération de votre époux et celle des autres prisonniers politiques.
J'aimerais revenir un peu en arrière. Dans le cadre de ce comité, nous avons entendu des témoignages divergents au fil des ans. Je me rappelle que, au départ, les gens ont célébré la révolution dans une certaine mesure. Dans certaines parties du monde, la perception était qu'un certain nombre de familles très riches avaient gouverné le Venezuela pendant des années et que cette révolution incarnait peut-être un changement positif. Les personnes qui sont venues témoigner devant nous à l'époque ont raconté comment elles portaient la constitution à ce moment-là, la nouvelle constitution, et comment, pour la première fois, elles avaient le sentiment d'avoir voix au chapitre.
Alors ce n'est pas la première révolution qui a mal tourné. Le témoignage que vous nous livrez aujourd'hui est très troublant. Pour ceux qui croyaient au départ... et je me souviens comment les gens avaient l'impression que la révolution cubaine était une bonne chose à l'époque.
Pour en venir à ma question, le groupe de travail des Nations Unies et le haut-commissaire ont demandé la libération de votre époux. Dans les deux cas, quelle a été la réponse du gouvernement?
Le juge du procès a fermé le tribunal. Le tribunal, le greffe de la cour, a été fermé pendant un mois. Malheureusement, il n'a pas été fermé que pour le procès de Leopoldo: cette juge était saisie de 861 affaires visant des personnes, des familles vénézuéliennes. J'y étais, j'ai fait la file. C'est stupéfiant qu'on ait pu fermer la porte pendant un mois, mais de ne pas répondre de ses actes au titre du droit international? Ce n'était pas constitutionnel puisque le Venezuela est signataire du traité des Nations Unies. Le Venezuela fait partie des Nations Unies; il est membre du Conseil de sécurité.
Alors nous étions vraiment sous le choc, après avoir tant attendu que, une fois le tribunal rouvert, la juge rejette la demande parce que la décision des Nations Unies était incomplète. Elle a dit non. Nous pensons que la juge ne suit pas la loi de la façon que...
Mais telle est la justice que nous avons maintenant au Venezuela. C'est très triste. Nous en sommes conscients. Leopoldo en est conscient. Leopoldo sait qu'en ce moment, nous sommes témoins de la vérité concernant la justice au Venezuela. Maintenant, nous attendons pendant que nos avocats appellent de sa décision. En ce moment, le document des Nations Unies est devant la cour d'appel. Nous sommes dans l'attente. Ces jours sont très importants, car j'espère que Leopoldo sera avec nous et notre famille avant Noël. C'est ce que nous espérons. Ces jours comptent beaucoup, car la cour a besoin de répondre.
J'aimerais simplement mentionner, en une phrase, qu'en réponse à notre rencontre avec le haut-commissaire et à la photo dans laquelle il est photographié avec Lilian qui tient le drapeau vénézuélien, le gouvernement vénézuélien les a vertement tancés et a rejeté entièrement leurs accusations, faisant valoir qu'elles étaient inventées de toutes pièces, qu'elles n'étaient pas pertinentes, et qu'elles portaient ouvertement atteinte à leur souveraineté.
Le Venezuela a signé volontairement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est parti à ce traité et a le devoir de s'y conformer. De toute évidence, il ne le fait pas.
Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier les témoins du temps qu'ils nous accordent et de leurs témoignages.
Madame Tintori, j'ai suivi la situation de près au Venezuela. J'ai rencontré María Corina Machado et des Vénézuéliens qui étudient ici à Ottawa pour discuter de la situation dans votre pays et des mesures que le Canada et la communauté internationale peuvent prendre pour trouver une solution satisfaisante à l'instabilité politique qui règne là-bas.
Votre époux est un leader de l'opposition politique. Il est en prison depuis février pour incendie criminel et meurtre — tentative relativement transparente de faire taire un vif critique du gouvernement. Vous avez dit dans une récente interview avec les médias que « ... les Colectivos veulent eux-mêmes un changement, les Chavistas veulent eux-mêmes un changement ».
Quel est le climat au Venezuela qui fait en sorte que le désir de changement excite autant les passions dans toutes les sphères de la société, tant parmi les membres de l'opposition que les partisans du gouvernement? Pourriez-vous nous en parler brièvement?
Oui. Nous avons senti dans la rue et vu dans les scrutins et les institutions — les institutions publiques — que nous sommes maintenant en majorité. Tout le monde veut un changement, y compris les collectives, qui sont des groupes armés du gouvernement. Elles parlent à la télévision du besoin de changement. Nous voulons vivre en paix. Nous n'avons pas l'estado de derecho. Nous n'avons pas la primauté du droit au Venezuela. Nous ne l'avons pas.
Nous vivons dans la peur, car il n'y a aucun contrôle. Nous vivons une situation catastrophique. Nous vivons une véritable situation catastrophique, et les gens veulent être en sécurité, ils veulent avoir à manger et bénéficier des articles de base dont ils ont besoin pour vivre normalement. À l'heure actuelle, les Vénézuéliens sont au désespoir. Je suis certaine et j'espère de tout coeur que nous aurons le changement dont nous avons besoin. L'an prochain, nous aurons des élections parlementaires, mais je pense qu'avant cela, M. Maduro a besoin d'intervenir. La première chose qu'il doit faire, c'est libérer Leopoldo López et tous les prisonniers politiques.
Le 12 février, trois personnes sont mortes. On a abattu un étudiant, Bassil Da Costa... Nous avons vu la vidéo; vous pouvez la voir sur YouTube, la vidéo et la photographie. Il a été abattu par la police d'État. Il y a aussi eu Redman — un autre garçon — et Juancho Montoya, un leader de la collective. Le frère de Juancho Montoya a appelé à la libération de Leopoldo López dans les médias. Leopoldo López n'est pas un meurtrier. Leopoldo López n'était pas là lorsque son frère est mort dans la rue.
Alors c'est dingue que nous soyons en vie et que nous connaissions la vérité et que nous ayons un gouvernement qui ment, derrière notre dos et dans les médias, qui ment sous serment. Et il ne fait pas que mentir. Il parle aussi grossièrement, et nous n'aimons pas cela; ce n'est pas ce que nous voulons pour le Venezuela.
Votre question et votre réponse ont, en fait, pris quatre minutes. Je suis désolé, mais nous devons continuer.
Monsieur Cotler, s'il vous plaît.
Monsieur le président, je tiens aussi à remercier nos témoins d'être ici aujourd'hui. Vous avez mentionné, à juste titre, que les mots de Leopoldo López nous rappellent ceux de Václav Havel ou de Mandela, comme la violation de ses droits, tant substantiels que procéduraux, nous rappelle la violation de ceux de prisonniers politiques comme Liu Xiaobo.
Lilian, vous me rappelez les héroïnes comme Avital Sharanksy, qui a travaillé et contribué ouvertement à la libération de son époux, et je suis convaincu que cela se produira aussi dans votre cas.
J'ai deux questions très brèves à poser quoique les réponses pourraient ne pas l'être autant. La première: le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a fait valoir que la détention de Leopoldo López était arbitraire, illégale et contraire au droit international. Quels ont été certains des points précis qu'il a soulevés dans son opinion? Et la seconde: l'Organisation des États américains a-t-elle pris position concernant les aspects juridiques de cette affaire?
Brièvement, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a conclu que ses droits prévus aux articles 19, 20 et 21 et 14 du PIRDCP ont été violés — grosso modo tous les droits que je viens de décrire — et de façon claire et sans équivoque. Ce qui est intéressant concernant le fait que le gouvernement du Venezuela a rejeté la décision et affirmé qu'elle portait atteinte à sa souveraineté est qu'il a choisi de participer de son plein gré à l'affaire. En fait, il a présenté une réponse longue et très détaillée que le groupe de travail a étudiée et à laquelle notre équipe juridique a pu répondre pour présenter ses observations. Alors si l'argument est que cet organe n'a pas la compétence pour entendre l'affaire, l'on se demande pourquoi le gouvernement du Venezuela a choisi de comparaître devant lui de son plein gré et de lui répondre. Il est clair qu'il comprend qu'il s'agit d'une décision contraignante et qu'il n'aime tout simplement pas le résultat. C'est vraiment ce qui s'est passé ici.
En ce qui concerne l'OEA, elle a malheureusement été profondément divisée. Nous avons eu beaucoup de difficulté à convaincre les gouvernements latino-américains de critiquer ouvertement le gouvernement du Venezuela. L'OEA n'a pas pu agir comme un organe même si son secrétaire général, M. Insulza, s'est montré favorable et a maintenant publié deux déclarations en notre faveur et devrait en publier d'autres ultérieurement. Nous aurions bien besoin de l'aide et du soutien de votre gouvernement, de vous tous parlementaires, lorsque vous rencontrez des ambassadeurs des pays latino-américains dans la région, pour leur poser la question suivante: que faites-vous dans le cas du Venezuela? Là est la véritable question.
Le soutien international est extraordinaire, mais vous remarquerez qu'aucun président latino-américain n'a demandé la libération de Leopoldo López. C'est profondément décevant et cela en dit long sur la triste situation actuelle en Amérique latine en ce qui concerne le Venezuela.
Selon vous, quelle sera l'issue de la procédure d'examen en appel, dans la mesure où vous pouvez...?
Notre avocat au pays, Juan Carlos Gutiérrez, nous a dit clairement et sans équivoque que l'issue de l'affaire est déjà prédéterminée et qu'il n'y pas même un mince espoir pour Leopoldo López d'avoir autre chose qu'une déclaration de culpabilité et une très longue peine d'emprisonnement.
Malheureusement, nous nous attendons à ce que la cour d'appel refuse d'accepter la décision du Groupe de travail sur la détention arbitraire, mais Leopoldo a dit qu'il ne retournerait pas en personne au procès tant que la cour d'appel n'aurait pas rendu cette décision d'une façon ou d'une autre.
J'ai une question rapide. Y a-t-il un organe juridique, comme la Commission interaméricaine des droits de l’homme, vers qui l'on pourrait se tourner pour obtenir de l'aide?
Le gouvernement du Venezuela s'est retiré il y a quelques années de la Convention interaméricaine relative aux droits de l'homme, ce qui, techniquement, signifie que nous pourrions nous adresser seulement à la commission, comme le prévoit la charte de l'OEA, mais que nous ne pourrions pas porter l'affaire devant la cour, qui a le pouvoir de rendre une décision exécutoire. La voie à suivre est difficile.
Ce qui est un peu paradoxal dans ce dossier, c'est que le gouvernement du Venezuela s'est en partie retiré de la convention à cause de la décision prononcée dans l'affaire concernant l'exclusion politique de Leopoldo López, qui a été entendue par la cour interaméricaine. Le gouvernement du Venezuela a affirmé que le système interaméricain était discriminatoire à son égard et qu'il coopérerait davantage avec l'ONU, notamment le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, qu'il considère comme plus objectif, plus raisonnable et plus conforme à ses opinions et à ses intérêts. Il a indiqué qu'il allait coopérer davantage avec le conseil et les organismes de l'ONU qui surveillent la mise en oeuvre des traités internationaux.
Bien entendu, le gouvernement du Venezuela affirme maintenant qu'il n'appuiera pas la décision du Groupe de travail sur la détention arbitraire, ce qui contredit ce qu'il a lui-même écrit lorsqu'il a expliqué les raisons de son retrait de la convention interaméricaine.
Merci d'être venus témoigner aujourd'hui. Vous m'avez vraiment ouvert les yeux sur ce qui se passe au Venezuela.
Vous avez demandé à ce que le Canada s'élève contre le gouvernement du Venezuela et qu'il demande la libération de prisonniers politiques dans ce pays. Jusqu'à maintenant, combien d'États ont pris position et demandé la libération de votre mari et d'autres prisonniers politiques? Votre réponse pourrait me donner une idée de ceux qui appuient votre initiative sur la scène internationale.
Il y a entre autres les Nations Unies. Le Groupe de travail sur la détention arbitraire a demandé la libération immédiate de Leopoldo López. Le haut-commissaire en a ensuite fait autant et demandé que tous les prisonniers politiques au Venezuela soient libérés, à l'instar du président Obama aux États-Unis, du premier ministre Mariano Rajoy en Espagne et d'Insulza. Nous avons également obtenu l'appui d'un groupe d'anciens présidents européens, d'Amnistie Internationale et de Human Rights Watch.
J'aimerais seulement mentionner que, même si nous n'avons pas noté tous leurs noms, une multitude de parlementaires de différents États et de partis politiques de tous genres dans le monde entier ont fait part à titre personnel de leur soutien et de leurs préoccupations et demandé la libération de Leopoldo. Nous notons leurs noms dans la mesure du possible.
La réalité, c'est que nous déployons des efforts intenses depuis quatre ou cinq mois. Au début de sa détention, nous voulions naturellement comprendre ce qui se passait sur le terrain, la réalité à laquelle nous étions confrontés et s'il était possible d'en arriver à une résolution diplomatique. Après avoir conclu que ce ne serait pas possible, nous avons commencé à sensibiliser le public et à chercher du soutien à l'échelle internationale.
Le comité reçoit à divers moments des gens dont les témoignages diffèrent. Il arrive que nous donnions suite à ces témoignages, mais il est parfois trop tard lorsqu'un rapport est publié. Serait-il utile dans le cadre de vos démarches que le comité déclare d'ici peu son appui à votre initiative?
Oui, ce serait grandement utile, comme vous pouvez vous l'imaginer. Il faut d'abord savoir que des prisonniers politiques et des étudiants sont détenus et torturés depuis neuf mois. Hier, El Gato et Baduel ont été torturés à la prison d'Uribana. On leur a cassé les genoux et des côtes. Ce n'est pas facile. Cela s'est produit hier.
Nous travaillons. Nous prenons toutes ces mesures pour mettre fin à la violation des droits de la personne. Pour le Venezuela et, je pense, le reste du monde, le Canada est tout d'abord un emblème des droits de la personne. C'est pourquoi une déclaration du Canada et du Parlement serait aujourd'hui grandement utile et significative dans le cadre de notre lutte.
Je signale que Lilian — vous ne le croirez peut-être pas; j'ai moi-même été surpris — est, bien entendu, une force avec laquelle il faut compter sur le terrain. Il est encore plus intéressant de savoir que 1,4 million de personnes suivent son fil Twitter, ce qui est plus que pratiquement tous vos parlementaires et tous vos ministériels. Leopoldo a quant à lui environ 3,4 millions d'abonnés. Une déclaration formulée aujourd'hui par votre sous-comité serait donc transmise à cinq ou six millions d'utilisateurs de Twitter. Je qualifierais un tel appui de tous les partis siégeant au Parlement du Canada d'énorme bouffée d'air frais, d'oxygène et d'espoir pour préparer de meilleurs lendemains.
C'est une question d'humanité et de dignité, pas de politique. Nous nous battons pour une cause que nous avons en commun avec le reste du monde.
Bienvenue. Je vous remercie tous les deux de votre témoignage et de votre bravoure.
Notre comité entend très souvent des témoignages concernant des gouvernements qui agissent en toute impunité, ce qui est la situation à laquelle vous faites face au Venezuela. J'ai dit à maintes reprises que cela revient essentiellement à intervenir de manière rationnelle auprès d'une personne ou d'une entité irrationnelle. C'est très difficile.
Au moment où votre lutte s'intensifie et où vous tentez d'obtenir le soutien dont vous avez besoin, vos démarches visant à faire libérer votre mari suscitent-elles des craintes pour sa sécurité?
Je vis dans la peur. J'ai peur qu'on n'empêche de visiter Leopoldo en prison lorsque je reviens au pays après avoir fait ce genre de travail, donné ce genre de témoignage. J'ai peur qu'on me punisse. Je crains toujours d'être persécutée par la police. Je suis d'ailleurs constamment accompagnée d'une voiture de police, du gouvernement. Ses occupants me saluent et j'en fais autant, et ils me disent qu'« ils doivent me suivre. » Ce n'est pas une bonne chose; c'est difficile.
Dans mon for intérieur, je me sens toutefois bien parce que je fais ce qui doit être fait pour mon pays et mon mari, et je ne peux pas m'arrêter. La première fois que je me suis rendue à la prison, un des militaires à Ramo Verde m'a dit: « Si tu te la fermes, tu auras droit à des visites; sinon, ce sera ta dernière. » J'ai répondu: « Je vois; mets fin à mes visites, car je ne peux pas m'arrêter. » Je parle de droits de la personne, de respect. Je parle de tous les Vénézuéliens qui sont réduits au silence et persécutés.
María Corina Machado est une de mes partenaires, et elle ne peut pas quitter le Venezuela parce qu'on lui a interdit de voyager pour parler de son pays. C'est incroyable. Nous vivons dans la peur, mais je ne me plains pas parce que ma présence ici est la preuve que je suis toujours en vie.
Je pense à la mère de Génesis Carmona, une des filles qu'un militaire a tirée au visage. Elle est morte dans sa maison... à l'entrée de ce bâtiment, en protestant. Tout ce qu'elle demandait, c'est un meilleur pays, et un militaire l'a tirée en plein visage. [La témoin s'exprime en espagnol.], sa mère, se bat pour que justice soit rendue à sa fille. Je pense constamment à [La témoin s'exprime en espagnol.] et à la mère de Bassil Da Costa, un étudiant qui a été assassiné le 12 février.
Je pense toujours à toutes les victimes que je représente partout dans le monde, et je dois continuer. Nous devons poursuivre nos démarches. À vrai dire, nous sommes persuadés que le Venezuela changera.
Dans cette optique, quel genre de pressions internationales suggériez-vous à part les déclarations? Vous avez parlé de celle du président Obama. Vous voulez également que notre comité en fasse une. À votre avis, quelles autres formes de pressions internationales pourraient se révéler efficaces pour soutenir votre cause?
Eh bien, je pense que la déclaration du haut commissaire de l'ONU est très importante à l'échelle internationale étant donné que l'ONU est un organisme qui protège et défend les droits de la personne. Cela arrive en tête de liste dans le cadre de notre lutte. En s'appuyant sur cette déclaration, de nombreux États peuvent unir leurs voix pour demander la libération de Leopoldo López et d'autres prisonniers détenus au Venezuela.
De plus, ceux qui ont rencontré Maduro ou qui le connaissent peuvent lui dire de libérer les prisonniers politiques. Aucune démocratie n'est possible tant que des prisonniers politiques sont détenus sans preuve valable. Il n'y a aucune preuve contre les étudiants ou Leopoldo. Je dénonce d'ailleurs vivement le procès de Leopoldo, car aucune preuve et aucun témoignage ne démontrent sa culpabilité.
Permettez-moi d'ajouter rapidement que la présence au procès de l'ambassadeur du Canada au Venezuela — ce qui est possible en principe, quoiqu'il n'y a que quatre sièges d'observateurs —, le simple fait de se présenter, envoie un message au gouvernement du pays. Vous pouvez également vous assurer de toujours demander quelle est la situation des prisonniers politiques chaque fois que le sujet du Venezuela est abordé, ou demander au nouvel ambassadeur du Venezuela au Canada de comparaître devant votre comité pour que vous puissiez aborder d'une même voix des questions préoccupantes.
Il y a évidemment une multitude d'autres outils, des moyens diplomatiques d'exercer des pressions sur le gouvernement du Venezuela. Vous pouvez entre autres collaborer avec des gouvernements aux vues similaires pendant les réunions des Conseils des droits de l'homme à Genève ou prendre des mesures par l'entremise de l'OEA, dont vous êtes membres. Je pense que le gouvernement peut procéder de diverses façons pour apporter une contribution. Le simple fait d'être solidaire publiquement — et nous le mentionnons parce que cela jette un voile de protection sur Lilian et sa famille — permet d'indiquer clairement au président Maduro qu'il y aura des conséquences si on s'en prend à elle ou à des membres de sa famille. Je crois que c'est ce qui importe le plus.
La dernière chose que je vais mentionner — je sais que le temps est limité — est que nous avons seulement parlé des violations corroborées par des preuves. La réalité, c'est que nous savons que l'on procède également au Venezuela à des exécutions extrajudiciaires, mais nous n'avons pas de preuves matérielles à l'appui. Je vais vous donner deux exemples.
Le premier a eu lieu le 12 février lorsque trois prisonniers sont tombés sous les balles des forces de l'ordre. Un leader étudiant a tenu dans ses bras une des autres victimes qui est morte d'une balle dans la tête, ce qui s'est carrément produit dans la rue. Il a ensuite quitté la scène couvert de sang et envoyé un gazouillis pour dire que quelqu'un venait tout juste de mourir dans ses bras; qu'était-il advenu de son pays? Trois heures plus tard, il était assis dans sa maison lorsque trois hommes masqués et armés de mitraillettes l'on abattu avant de s'enfuir. Était-ce un crime de rue? C'est évidemment ce qu'on a dit, mais le gazouillis a été largement diffusé, et il me semble improbable que ce soit une coïncidence.
L'autre exemple concerne les pressions intenses que le gouvernement exerce sur Leopoldo et ses plus proches amis et alliés, qui sont littéralement tous morts, cachés ou en exil. Ses deux meilleurs amis, dont les femmes étaient très proches de Lilian, ont été abattus. Ils étaient partis faire une randonnée il y a quelques mois. Ils venaient tout juste de ranger leurs motos lorsqu'on les a tirés à bout portant. Leurs portefeuilles, l'argent qui s'y trouvait et leurs motos sont restés là, ce qui en dit long sur la possibilité que ce soit tout simplement un crime de rue. Pour moi, cela indique clairement qu'on va s'en prendre à la moindre occasion à tous ceux qui sont proches d'eux. Le fait qu'un grand montant d'argent, des cartes de crédit et les motos n'aient pas été volés signifie sans aucun doute que ce n'était pas du tout un crime de rue qui a mal tourné. L'objectif était de faire comprendre à Leopoldo qu'on peut s'en prendre à eux, peu importe où ils se trouvent.
Voilà ce qu'est devenu le Venezuela, et c'est pourquoi nous avons tous désespérément besoin de votre aide et de votre soutien, en particulier Lilian et sa famille. Pour conclure, je vais ajouter que Leopoldo m'a clairement dit qu'il ne sera pas le premier prisonnier politique à sortir de prison, mais le dernier. Si on lui propose une libération anticipée, il refusera. Il ne quittera pas la prison à moins que tous les autres prisonniers politiques soient également libérés. Il faudra autrement recourir à la force pour le faire sortir. À mes yeux, cela en dit long sur le genre d'homme à qui nous avons affaire, sur la vision qu'il a pour son pays et sur l'importance d'être tous solidaires de personnes aussi braves que Leopoldo, Lilian, leurs enfants et leurs familles, qui ont désespérément besoin de notre aide.
Pour donner suite aux propos de Gary Schellenberger, j'ai préparé une résolution et une déclaration que nous pourrions adopter. Je peux la lire maintenant à voix haute, si j'arrive à lire ma propre écriture, ou, compte tenu du temps qu'il nous reste, la faire retranscrire pour notre prochaine réunion. Je pourrais alors la distribuer, et nous pourrions en faire notre premier point à l'ordre du jour.
Je crois que c'est de cette façon que nous allons procéder. Merci beaucoup, monsieur Cotler.
Merci, monsieur Genser. Vous pouvez toujours compter sur nous pour avoir à coeur ce genre de questions et prendre des mesures concrètes pour y donner suite. Madame Tintori, au nom des habitants de votre pays, nous saluons votre courage et, bien entendu, celui de votre mari. Merci beaucoup.
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