SDIR Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 4 novembre 2014
[Enregistrement électronique]
[Français]
Bienvenue à la 42e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. En ce mardi 4 novembre 2014, cette séance est télévisée.
[Traduction]
Nous poursuivons notre étude sur les conséquences de la crise rwandaise, un enjeu que le sous-comité a récemment jugé bon d'examiner.
Aujourd'hui, nous accueillons deux témoins, qui représentent tous deux le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement. Le nouvel acronyme est MAECD. J'ai quelque peu de difficulté à m'y faire. Quoi qu'il en soit, M. Kenneth Neufeld est le directeur général du Bureau de l'Afrique de l'Ouest et du Centre du MAECD, tandis que Mme Leslie Norton est directrice générale de la Direction de l'assistance humanitaire internationale.
Je sais que vous avez déjà déterminé qui prendra la parole en premier; je vais donc vous laisser commencer. Lorsque vous aurez terminé, nous regarderons l'heure pour savoir combien de temps il nous restera. Nous diviserons ce chiffre par six de façon à déterminer la durée des séries de questions pour chacun des députés.
Veuillez commencer, s'il vous plaît.
Monsieur le président, je vais faire l'exposé, puis Leslie et moi répondrons aux questions et commentaires du comité.
Je remercie le comité d'avoir invité le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement à contribuer à votre étude des effets à long terme sur les survivantes et survivants des viols et de violence sexuelle perpétrés durant le génocide de 1994 au Rwanda. Comme vous l’avez déjà dit, je suis accompagné aujourd'hui de Mme Leslie Norton, directrice générale de la Direction de l'assistance humanitaire internationale du ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement, que l’on appelle maintenant le MAECD.
Il est toujours difficile de parler d'un sujet aussi profondément sensible que le génocide au Rwanda où plus de 800 000 personnes ont perdu la vie. Nous ne connaîtrons jamais le nombre précis de victimes ni de survivants. Nous savons toutefois, grâce aux nombreux témoignages de survivantes, que la violence sexuelle a été employée comme arme de guerre dans le but d'anéantir le moral des femmes, de leur enlever toute dignité, de les humilier, elles et leur famille, et de couper tout appui qu'elles auraient pu recevoir de leur communauté.
Selon les estimations du groupe d'experts international de haut niveau rassemblé à la demande de l'Organisation de l'unité africaine, des dizaines de milliers de femmes et de fillettes ont été violées, souvent à répétition, réduites à l'esclavage sexuel ou victimes de mutilation sexuelle. De nombreuses femmes ont été tuées après avoir été violées, d'autres ont été épargnées pour être ensuite violées. Les séquelles à long terme de ces terrifiantes brutalités font partie intégrante des conséquences du génocide.
Le génocide de 1994 a déstabilisé toute la région des Grands Lacs. Le Canada a significativement contribué aux efforts humanitaires internationaux pour réduire la souffrance des personnes au Rwanda et celle des réfugiés rwandais dans la région des Grands Lacs, y compris au Burundi, en Tanzanie et ce qui était le Zaïre à l'époque.
L'appui du Canada comprenait de la nourriture, de l'aide médicale, des abris, de l'eau potable et des dispositifs d'assainissement, des moyens de transport et un soutien logistique. Cette aide a été acheminée par l'entremise d'organisations qui figurent toujours aujourd'hui parmi nos plus importants partenaires en matière d'aide humanitaire: le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Programme alimentaire mondial et le Mouvement international de la Croix-Rouge.
De 1994 à 1997, la région des Grands Lacs a reçu la plus grande part du financement accordé par ce qui était alors l'ACDI parmi tous les conflits ou toutes les situations d'urgence. Dans la même période, plus de 65 % des allocations budgétaires déclarées et des dépenses pour les activités humanitaires commanditées par l'ACDI ont été assignées au Rwanda et à la Tanzanie.
Comme le sous-comité le sait bien, la déstabilisation de la région a eu des conséquences à long terme. Aujourd'hui, on déplore que le recours à la violence sexuelle comme arme de guerre est toujours pratique courante dans la région des Grands Lacs et en particulier dans l'ex-Zaïre, devenu aujourd'hui la République démocratique du Congo.
Le leadership du Canada et nos initiatives récentes dans la lutte contre la violence sexuelle et la violence fondée sur le sexe en RDC ont été abordés dans le cadre du rapport récent du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Je traiterai donc ici des initiatives récentes se rapportant au Rwanda.
En 2010, le MAECD a fourni 13,5 millions de dollars sur sept ans à l'organisation non gouvernementale canadienne Centre d'étude et de coopération internationale, ou CECI, pour appuyer un projet régional visant à mieux protéger les filles et les femmes au Rwanda, en RDC et au Burundi contre les séquelles physiques et psychosociales de la violence sexuelle. Ce projet offre de l'aide aux femmes survivantes, sensibilise les communautés et favorise les changements de comportement et de perception à l'égard des survivantes de violence sexuelle. L'an dernier, plus de 2 000 survivantes, dont 800 au Rwanda, ont ainsi pu obtenir d'importants services médicaux, psychosociaux et juridiques.
Le projet s'appuie sur l'expertise locale d'une ONG ou plutôt d’un regroupement de 11 associations rwandaises, congolaises et burundaises travaillant à l'avancement des femmes dans la région des Grands Lacs. Le projet vise également à faire de ce regroupement local un chef de file reconnu dans la lutte contre la violence sexuelle, aux niveaux national, régional et international. Déjà, l'Observatoire des questions de genre au Rwanda a invité le regroupement à partager son expertise avec la Police Nationale pour améliorer ses services aux survivantes.
Le regroupement a également réussi à former un partenariat avec la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, la CIRGL, afin d'accroître l'impact de son travail de sensibilisation contre la violence sexuelle et l'impunité. La CIRGL est le principal forum international créé dans le but de trouver des solutions durables aux problèmes touchant à la paix, la sécurité et au développement dans la région. Il réunit les 12 chefs d'État de la grande région des Grands Lacs, y compris du Rwanda.
Le Canada a également contribué 4,3 millions de dollars en 2011 et 2012 à un projet de la Banque mondiale touchant la sexospécificité et offrant de l'aide technique aux programmes nationaux de désarmement, démobilisation et réintégration des anciens combattants au Rwanda, en RDC, au Burundi et en Ouganda. Ce projet a été mis sur pied suite au constat que les besoins particuliers des femmes n'étaient pas bien pris en considération par ces programmes. Parmi les résultats obtenus, notons que tous les programmes nationaux ciblés ont ajouté des éléments de sexospécificité à leurs programmes.
Une telle programmation canadienne et les résultats obtenus démontrent le chemin parcouru depuis 1994. Si nous devions identifier une lueur d'espoir dans l'expérience rwandaise, ce serait ceci: le génocide rwandais a instigué des changements significatifs au sein de la communauté internationale, dans son appréhension de la violence sexuelle en période de guerre comme dans la gestion internationale de ces actes criminels.
Les témoignages de ces courageuses Rwandaises qui ont survécu à la violence sexuelle ont permis d'intenter le tout premier procès pour agression sexuelle comme crime de guerre. Ces Rwandaises ont ainsi contribué à faire jurisprudence en droit international: désormais, les violeurs et auteurs de violence sexuelle comme arme de guerre peuvent être et seront tenus responsables devant la loi de ces crimes de guerre.
C'est une Canadienne, Mme Louise Arbour, qui a dirigé la toute première action pénale comme procureure en chef du Tribunal pénal international pour le Rwanda. Pour sa part, le gouvernement du Canada a résolument appuyé cette initiative inédite.
Dès le début, le Canada a été un partenaire des survivantes de violence sexuelle du génocide rwandais. Nous travaillons à poursuivre leurs efforts afin de mettre fin au viol et à la violence sexuelle comme arme de guerre. Nous sommes toujours de grands promoteurs de ces changements dans l'ordre international.
Par exemple, au mois de juin 1999, le Parlement du Canada a adopté des modifications à la Loi sur l'extradition du Canada et à d'autres lois, afin d'autoriser la remise de personnes accusées au TPIR. En 2000, le Canada a adopté la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, qui autorise le lancement d'un procès au Canada pour crimes de guerre commis à l'étranger. Deux Rwandais ont été accusés en vertu de cette loi et l'un d'eux a été condamné.
Outre sa part de contributions versées dans le cadre des quotes-parts, le Canada a fourni un million de dollars en contributions volontaires et a facilité l'assignation de plusieurs témoins devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le Canada est également membre du « groupe des amis du TPIR » à Dar-es-Salaam, avec les États-Unis, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Norvège.
Au-delà des victoires inédites remportées par les survivantes rwandaises au TPIR, le génocide rwandais a également établi de nouvelles normes mondiales sur le traitement des femmes en période de conflit. Ces normes éclairent et orientent la politique étrangère du Canada aujourd'hui.
Le Canada siégeait au Conseil de sécurité des Nations Unies lorsqu'il a adopté à l'unanimité, le 31 octobre 2000, la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité. Cette résolution historique incite toutes les parties à adopter des mesures particulières pour protéger les femmes et les filles contre la violence fondée sur le sexe en période de conflit armé, surtout le viol et d'autres formes de violence sexuelle. La résolution 1325 a été la première résolution du Conseil de sécurité à porter exclusivement sur les femmes dans des conflits armés. Elle insiste sur l'importance d'une participation égale et avérée des femmes dans tous les efforts de paix et de sécurité.
Depuis, six autres résolutions sur les femmes, la paix et la sécurité ont été adoptées au Conseil de sécurité. Par exemple, la résolution 1820 établit explicitement un lien entre la violence sexuelle comme tactique de guerre et les problèmes de paix et de sécurité touchant les femmes. La résolution 1888 exige que les missions de paix assurent la protection des femmes et des enfants contre la violence sexuelle pendant les conflits armés. Enfin, la résolution 2106, adoptée l'an dernier et coparrainée par le Canada, insiste pour que le Conseil de sécurité, les parties aux conflits armés, tous les pays membres et les entités des Nations Unies consentent davantage d'efforts pour mettre en oeuvre les mandats touchant les femmes, la paix et la sécurité et aident à tenir les contrevenants responsables de leurs actions.
En octobre 2010, le gouvernement a annoncé le Plan d'action national du Canada relativement à la mise en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU sur les femmes, la paix et la sécurité. Le plan d'action constitue une initiative pangouvernementale avec des objectifs concrets, des actions et des indicateurs de rendement qui mettent l'accent sur la participation des femmes et des filles aux processus de paix, à la protection de leurs droits de la personne et sur les mesures qui garantissent leur accès équitable à l'aide humanitaire et à l'aide au développement. Le gouvernement a présenté au Parlement des rapports d'étape annuels sur la mise en oeuvre du PANC pour les exercices financiers 2011-2012 et 2012-2013 et prévoit présenter le prochain rapport très bientôt.
Monsieur le président, l'héritage tragique du Rwanda a éclairé la politique étrangère canadienne d'autres façons significatives. Le génocide comme les conflits dans d'autres parties du monde pendant les années 1990 nous ont enseigné de dures leçons et nous avons appris que bien des conflits entre États ne pouvaient être gérés par des interventions isolées d'ordre militaire, humanitaire ou de développement. C'est pourquoi, en 2006, le Canada a créé le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction ou GTSR. Ce nouvel outil confère au gouvernement une capacité souple et rapide de programmation, de déploiement et d'élaboration de politiques afin d'améliorer la capacité du Canada de prévenir les conflits et les crises et d'intervenir en pareilles situations.
La terrible réalité du génocide rwandais et les efforts courageux des femmes rwandaises qui ont survécu à la violence sexuelle ont incité la communauté internationale à prendre au sérieux le problème de la violence sexuelle en période de guerre. Le Canada est un fier allié de ces survivantes. Aujourd'hui, le Canada s'appuie sur ces efforts, en renforçant la capacité de la communauté internationale et la fermeté de son engagement à prévenir toute violence sexuelle comme tactique de guerre et en habilitant les survivants à tenir les contrevenants responsables de ces crimes de guerre.
Je vous remercie de votre attention, monsieur le président. C’est avec plaisir que nous répondrons à vos questions.
Merci beaucoup aux témoins d'être venus aujourd'hui et de nous avoir renseignés sur une histoire très tragique et, évidemment, sur les conséquences et l'héritage très tragiques que l'on observe au Rwanda.
En fait, vos commentaires me portent à m'éloigner des questions que je souhaitais vous poser initialement. J'ai un grand intérêt pour le Groupe de travail pour la stabilisation et la reconstruction. Récemment, j'ai lu un livre intitulé The Locust Effect, dans lequel l'auteur part de l'hypothèse selon laquelle offrir de l'aide sans offrir la sécurité signifie qu'une bonne partie de cette aide est réduite à néant par ceux qui chercheront à causer du tort aux gens par la suite.
À l'avenir, dans le cadre de l'aide offerte à divers pays — étant donné, en particulier, que vous avez mentionné le GTSR —, le MAECD cherchera-t-il à l'avenir à trouver des façons plus novatrices de veiller à ce que l'on commence par assurer la sécurité? Par exemple, lorsque nous offrons de l'aide, exigeons-nous que les gouvernements des divers États s'engagent fermement à assurer la sécurité?
Monsieur le président, comme je l'ai indiqué au début de mon exposé, la situation qui prévalait au Rwanda après le génocide a forcé la communauté internationale à se concentrer presque exclusivement sur la catastrophe pour l'humanité qui a découlé de ces événements tragiques.
De toute évidence, dans un tel contexte, le développement social et économique d'un pays est difficile, voire impossible. Je ne suis pas venu ici aujourd'hui pour parler de nos plans pour l'avenir concernant les programmes en général; il faudrait donc que je vous revienne sur cette question précise.
Il ne fait aucun doute que la loi et l'ordre, la paix et la sécurité et la stabilité sont des conditions nécessaires à la réussite des programmes de développement.
En effet; je n'avais aucunement l'intention de vous prendre au dépourvu, monsieur Neufeld. Je me demandais simplement quelle était la stratégie à cet égard, étant donné notre longue expérience. Nous verrons donc cela une autre fois.
En ce qui concerne la diaspora rwandaise au Canada, j'aimerais savoir s'il y a eu un partenariat quelconque, de façon officielle ou officieuse, avec les gens qui sont venus au Canada et qui y prospèrent afin de leur permettre de collaborer avec le gouvernement du Canada pour aider les personnes dont nous parlons actuellement, les victimes de viol et les enfants de ces victimes de viol. Ont-ils mis en place des initiatives quelconques? Les avons-nous encouragés à le faire, ou y a-t-il eu une collaboration à cet égard?
Je sais que des Canadiens d'origine rwandaise sont actifs dans diverses organisations non gouvernementales. Quant à la question de savoir si des initiatives précises ont été lancées ou appuyées directement par la diaspora, il faudrait que je vous revienne là-dessus.
Ce serait formidable. Merci.
L'autre aspect, c'est que le problème est en grande partie lié à la culture, en ce sens que les enfants des femmes qui ont été violées sont, en réalité, rejetés par la société. Évidemment, pour les femmes, ces enfants leur rappellent la personne qui les a violées.
Existe-t-il sur le terrain des initiatives qui visent à changer cette mentalité, à sensibiliser les gens au fait que ces jeunes hommes et ces jeunes femmes n'ont manifestement pas demandé à être dans cette situation et qu'ils n'en sont aucunement responsables?
Tout à fait. Je pourrais demander à ma collègue, Mme Norton, si elle a des détails sur certaines initiatives qui pourraient avoir été appuyées dans le cadre du mécanisme multilatéral.
En ce qui concerne le programme bilatéral, j'ai brièvement fait allusion à un projet qui portait précisément sur cet enjeu et qui a été mis en oeuvre avec le CECI, pas seulement au Rwanda, mais aussi dans l'ensemble de la région des Grands Lacs, car on observe le même problème particulièrement en RDC, et aussi dans les régions frontalières de la Tanzanie et au Burundi. Les activités liées à ce projet s'adressent précisément aux collectivités, aux survivantes ainsi qu'aux organismes et aux autorités qui appuient ces survivantes.
De même, le projet que nous menons actuellement avec la Banque mondiale vise l'intégration de ce genre de mécanisme dans les programmes du gouvernement de la région axés sur la réinsertion des gens dans leur ancienne collectivité. Dans le cadre de ce projet, on s'attaque à la question du traumatisme subi par les collectivités et par les personnes qui ont été victimes de violence sexuelle et aussi par les auteurs de ces crimes, d'ailleurs. On constate souvent que lorsqu'ils retournent dans les collectivités après avoir affronté la justice ou avoir reçu l'amnistie, les auteurs de ces crimes ont aussi besoin de soutien et de counselling.
Voilà le genre de problèmes que l'on cherche à régler grâce à ces projets. Du côté multilatéral, il n'y a rien de précis.
Je vous sais gré d'être venu témoigner aujourd'hui.
Les événements survenus au Rwanda représentent un véritable effondrement social pour des Nord-Américains, dont l'existence est si calme comparativement à ce que les gens de là-bas ont vécu. L'an dernier — je crois que vous y étiez, monsieur Sweet —, on a marqué l'anniversaire de ce génocide à Hamilton. Certaines des personnes ont témoigné des atrocités commises, par exemple des victimes d'agression sexuelle qui étaient violées de nouveau par les policiers lorsqu'elles se rendaient au poste pour un signalement. Les atrocités ont été si nombreuses.
Si l'on prend les programmes de soutien dont vous avez parlé, ceux qui m'intéressent et dont il a été question dans le cadre du comité visaient précisément les enfants nés de viols et les répercussions de cet acte sur le reste de leurs vies. Dans bien des cas, ils sont éclaboussés par la honte qui pèse sur leur famille, en particulier leur mère.
Est-ce que vos programmes ont réussi à avoir une incidence positive sur ce plan ou à faire avancer le dossier?
J'aimerais revenir encore une fois au projet en collaboration avec l'ONG québécoise CECI, organisation qui vient en aide aux survivantes de violence sexuelle et qui appuie les 11 associations de femmes dans la région. L'organisation traite une vaste gamme de questions entourant la violence sexuelle.
Je n'ai pas de détails précis en main sur des projets concernant les enfants nés de viols, mais nous pouvons nous renseigner pour voir s'il y en a et vous revenir là-dessus.
Dans ma génération, nos cousins américains étaient au Vietnam, et lorsqu'ils sont partis, ils ont laissé derrière eux de nombreux enfants métissés qui ont été lourdement stigmatisés. Je présume que les Américains ont dû prendre des mesures à cet égard. Tout ce que le facteur honte implique n'est pas violent en soi, mais il pourrait servir de point de comparaison.
J'ai remarqué votre enthousiasme à l'égard du GTSR. Ce semble être une très bonne initiative. Dans l'ensemble, je pense que la communauté internationale en a tiré nombre de leçons. Le comité a étudié la question du viol comme arme de guerre, acte tragique qui semble être commis à bien d'autres endroits. Le mot qui revient sans cesse dans tout cela est « impunité ». Prend-on des mesures aux Nations Unies ou ailleurs pour traiter la question de l'impunité en ce qui touche ces crimes?
Oui. Dans mes remarques liminaires, j'ai parlé d'une série de résolutions adoptées par le Conseil de sécurité et du rôle du Canada comme parrain d'au moins une autre de ces initiatives et sa grande participation dans son élaboration. Les Nations Unies ont maintenant une politique de tolérance zéro en ce qui touche l'exploitation et la violence sexuelles. Je suis certain que vous avez entendu parler des cas antérieurs d'exploitation et de violence sexuelles dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies. C'est très traumatisant pour une collectivité lorsqu'il semble que les personnes venues pour aider font partie du problème. L'ONU a maintenant une politique de tolérance zéro qui interdit expressément aux gardiens de la paix d'avoir des relations avec des prostituées et des mineurs, et qui décourage aussi fortement toute relation avec un bénéficiaire d'aide humanitaire.
En juin dernier, le Royaume-Uni a tenu une conférence, le Sommet mondial pour mettre fin aux violences sexuelles dans les conflits. Il s'agit de la plus grande rencontre ayant jamais eu lieu dans le monde.
Oui, nous y avons participé activement.
Je pense que cela témoigne d'un changement d'attitude à l'échelle mondiale, et il est primordial que les outils dont l'on se sert pour aborder des questions comme l'immunité le reflètent.
S'agissant de la question de la lutte contre la violence sexuelle et de l'impunité dans la région des Grands Lacs, notre premier ministre a réitéré l'engagement du Canada à lutter contre la violence sexuelle en annonçant le lancement du projet intitulé Lutte contre l'impunité et appui aux survivants de violences sexuelles dans le cadre du Sommet de la Francophonie à Kinshasa en octobre 2012. Il s'agit d'une initiative qui fait fond sur les réalisations du Canada dans ce secteur depuis 2006. Elle vise à lutter contre l'impunité en accroissant l'accès à la justice dans certaines régions mal desservies, en mettant en place les mécanismes appropriés pour enquêter sur les crimes sexuels et poursuivre les agresseurs, et en renforçant les capacités et l'autonomie du personnel judiciaire.
Elle fait en sorte que le gouvernement et les organisations de la société civile soient en mesure de continuer à répondre aux besoins médicaux, juridiques, psychologiques et professionnels des survivants, et elle accroît l'engagement des collectivités à l'égard des projets de prévention des actes de violence sexuelle et sexiste. Il s'agit d'une initiative de 18,5 millions de dollars sur cinq ans, de 2013 à 2018, mise en oeuvre par le truchement du programme de développement des Nations Unies.
Merci à tous les deux d'être venus aujourd'hui.
J'étais au Rwanda il y a environ deux ans. Je me suis rendue à Kigali et j'ai rencontré M. Kagame, mais j'ai été vraiment attristée de voir ce qui s'était passé là-bas.
Premièrement, dans quelle mesure le régime Kagame et le Front patriotique rwandais ont-ils été efficaces pour traduire en justice les auteurs du génocide 20 ans après le fait? Est-ce que la population rwandaise estime qu'ils ont pris suffisamment de mesures à cet égard?
Deuxièmement, est-ce que les Tutsis se sentent généralement en sécurité dans ce pays aujourd'hui ou ne sont-ils pas pleinement acceptés et intégrés dans la société? Des mécanismes ont-ils été mis en place pour prévenir les tensions raciales ou un autre génocide?
Monsieur le président, la question de resouder une nation après un événement aussi traumatisant qu'un génocide est manifestement primordiale dans un débat comme celui-ci. Je dirais que le ministère n'est probablement pas prêt à y répondre aujourd'hui.
Cependant, je pense qu'il est absolument essentiel de comprendre le processus dans le pays, et je crois que vous entendrez une série de témoins qui seront, sans aucun doute, prêt à en témoigner. Si vous voulez une opinion ou un point de vue ministériels précis, il me faudra vous revenir là-dessus. Je ne me suis pas préparé à répondre à cette question aujourd'hui, monsieur le président.
Merci.
À quel point la mission de maintien de la paix de l'ONU au Rwanda a-t-elle été efficace après le génocide au milieu des années 1990 et quelles mesures d'édification de la paix a-t-on prises depuis que les casques bleus ont quitté le Rwanda? Vous pouvez y répondre.
Je serai ravie de répondre, monsieur le président.
Merci beaucoup d'avoir posé la question.
Encore une fois, nous ne nous sommes pas préparés à parler de la mission de maintien de la paix en tant que telle. Nous pouvons cependant formuler des commentaires sur les efforts au plan humanitaire qui ont été déployés au lendemain du génocide et peut-être certains des résultats qu'ils ont donnés. Je pense que vous savez que le Canada a été très engagé auprès d'une gamme d'organisations humanitaires très importantes pour répondre aux besoins humanitaires après le génocide.
Nous allons devoir vous revenir à une date ultérieure pour ce qui est de l'efficacité de la mission de maintien de la paix en tant que telle.
Qu'est-ce que la communauté internationale peut faire pour venir en aide aux enfants nés de viols au Rwanda? Y a-t-il des mesures pratiques que l'on peut prendre pour améliorer leur qualité de vie par le truchement de programmes éducatifs ou de formation, d'établissements de soins ou autres?
Merci d'avoir posé cette question, qui est, au fond, une question de développement très importante.
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, au lendemain du génocide, le rôle de la communauté internationale a été, dans un premier temps, de réagir aux conséquences immédiates du drame, mais il s'est vite transformé; elle s'est ensuite penchée sur les besoins fondamentaux de toute nation, comme ceux d'offrir des soins de santé continus et pas seulement d'urgence,et de mettre en place des systèmes scolaires, des réseaux de transport et des systèmes judiciaires. Au cours des années qui ont suivi le génocide, le Canada a appuyé ces initiatives par le truchement de programmes bilatéraux.
Comme vous le savez sûrement, le Canada n'a plus de programme de développement bilatéral avec le Rwanda, car le gouvernement a décidé de cibler son aide humanitaire sur un nombre moindre de partenaires. Toutefois, pendant de nombreuses années, le Canada a été un partenaire bilatéral important du Rwanda et a fait des investissements considérables dans une vaste gamme de programmes, notamment pour régler les questions de soins de santé, les questions judiciaires relatives à la réconciliation, les questions relatives à l'utilisation et à la propriété des terres — toutes les questions sociales qu'il faut traiter pour retrouver une vie normale après un génocide.
Ces types d'initiatives se poursuivent maintenant avec le soutien qu'offre le Canada par, notamment, ses contributions de base aux organismes des Nations Unies et par l'intermédiaire d'un projet continu avec la Banque mondiale et du projet du CECI que j'ai mentionné tout à l'heure.
Merci à nos témoins d'être venus aujourd'hui et de nous rappeler les atrocités qui ont été commises.
Le Canada et la communauté internationale ont fait énormément de travail, mais est-ce qu'on en fait toujours suffisamment? C'était il y a 20 ans. Même s'il s'agissait d'un génocide, les gens ont le don de passer à autre chose. C'est terrible de penser de cette façon, mais c'est parfois la réalité.
À l'heure actuelle, combien d'attention les Nations Unies et d'autres organismes accordent-ils aux survivants du génocide rwandais? Comment d'attention accorde-t-on toujours à cette question, ou les gens préfèrent-ils la mettre de côté et ne plus y penser?
Merci d'avoir posé la question.
Avec le 20e anniversaire, je pense que avons vu que cet incident est toujours bien présent dans l'esprit des gens et qu'on lui accorde toujours beaucoup d'attention. L'on déploie toujours beaucoup d'efforts — y compris ceux que j'ai mentionnés dans mes remarques liminaires — que le Canada appuie, pour répondre aux besoins des survivants de cette terrible tragédie.
Je pense qu'il est clair que c'est toujours une question bien d'actualité pour les gens et qu'elle le restera pendant longtemps. Beaucoup d'enfants rwandais sont nés après le génocide, alors je suis sûr que dans une certaine mesure, certaines personnes aimeraient compartimenter ces actes et les garder en mémoire, mais aussi pouvoir vivre normalement en société.
J'aimerais simplement ajouter quelques points.
Nous sommes d'avis que le génocide rwandais a eu une incidence profonde sur la façon dont le Canada et la communauté internationale offrent de l'aide humanitaire aujourd'hui et sur les mesures que nous prenons pour protéger les populations touchées par une crise, y compris les femmes et les filles.
Vous savez peut-être qu'après le génocide, on a procédé à la toute première évaluation multidonateurs de l'intervention humanitaire internationale. Il s'est agi de l'évaluation systématique la plus exhaustive d'une intervention internationale à l'époque. Elle a permis de cerner nombre de faiblesses et de points forts dans le système d'aide humanitaire en ce qui touche l'alerte avancée, la coordination, la reddition de comptes, la protection des civils, la sécurité des travailleurs humanitaires ainsi que la distribution des secours, et a donné lieu à une transformation complète du système d'aide humanitaire internationale. On a aussi déployé toute une gamme d’efforts à grande échelle pour professionnaliser le système d’aide humanitaire en tant que tel ainsi que les travailleurs. Nous avons vu, par exemple, la création de ce que nous appelons les normes du projet Sphère, qui sont un ensemble de normes universelles minimales visant à améliorer la qualité de l’aide humanitaire offerte ainsi que la reddition de comptes des acteurs du secteur.
Fait très important, on a élaboré des normes de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et les ONG en cas de catastrophe humanitaire. Deux ou trois autres éléments d’intérêt ont aussi fait surface. Bien qu’il soit peut-être impossible d'établir un lien direct entre eux et les mesures prises au lendemain du génocide, celles-ci ont vraiment engendré de nombreux changements dans le système actuel.
Elle explique aussi pourquoi le Canada exige aujourd’hui que ses partenaires soient signataires du code de conduite de la Croix-Rouge, pourquoi ils suivent les lignes directrices en matière d’intervention en cas de violence sexiste en situation d’urgence humanitaire et pourquoi ils ont des politiques sexospécifiques. Ils doivent rendre des comptes au gouvernement du Canada lorsqu’ils reçoivent du financement fédéral. Ces mesures ont engendré un surcroît d’études sur le besoin de protéger les femmes et les filles en situation d’urgence humanitaire et expliquent pourquoi on a créé des mécanismes de protection comme GenCap, qui est une capacité d’appoint puisqu'elle permet de choisir des candidats dans un répertoire lorsque l’on manque d’intervenants en situation de crise humanitaire. Ce type d’outil existe.
Je veux aussi dire que le Canada s’exprime aussi très très énergiquement dans tous les contextes multilatéraux dans lesquels il siège comme membre d’un comité ou État membre des Nations Unies ou lorsqu'il est question de nos autres partenaires qui ont des groupes de soutien des donateurs. Nous sommes l’un des intervenants qui s'exprime le plus énergiquement sur le besoin de formuler des politiques et de faire en sorte que, si les programmes et les politiques en matière de violence sexiste n’ont pas réussi à sensibiliser suffisamment les gens… Bien des partenaires en sont arrivés à ce point grâce aux prises de position du Canada dans ces forums internationaux.
Je pense que l'on peut applaudir le Canada pour le leadership dont il a fait preuve dans ce dossier.
Dans bien d'autres pays, le viol continue d'être une arme contre énormément de femmes. Il semble qu'il soit toujours commis en toute impunité. Personne ne semble jamais en payer le prix, sauf les femmes elles-mêmes et les enfants nés de ces viols.
Prend-on des mesures pour traduire en justice les auteurs de ces atrocités?
Oui, merci. Tout à fait. C'est une question dont le Canada, de même que le reste de la communauté internationale, est saisi et pour laquelle il a pris de nombreuses mesures concrètes, comme j'y ai fait allusion dans mes remarques liminaires. Le génocide rwandais et la violence sexuelle qui en a fait partie intégrante pendant et après les faits peut être perçu comme le moment où l'attitude de la communauté internationale a changé. On a pris un certain nombre de résolutions très concrètes, et on a ensuite pris un certain nombre de mesures très concrètes pour les appliquer.
Le forum le plus récent a été la rencontre que j'ai mentionnée au Royaume-Uni en 2014 dans le cadre de laquelle la communauté internationale s'est rassemblée pour discuter, d'abord et avant tout, de la prévention de la violence sexuelle et ensuite de la façon de punir ceux qui s'en servent comme arme de guerre. Je ne pense pas que l'on doute qu'il s'agisse de travaux en cours très nouveaux et très récents au plan historique, mais je crois que les efforts qui ont été pris récemment montrent à quel point la communauté internationale est déterminée à faire le nécessaire pour régler cette question.
Je vous remercie beaucoup de votre exposé d’aujourd’hui.
L’utilisation de la violence sexuelle comme arme de guerre prend-elle sa source dans l’histoire des tribus hutues ou tutsies, ou est-ce un outil religieux qui sert à certains groupes, comme nous pouvons le constater de nos jours à de nombreux endroits?
L’origine de la violence sexuelle comme arme de guerre est certainement un sujet chargé et très complexe. Je ne suis pas prêt à répondre à cette question. J’estime, monsieur le président, que c’est le genre de questions que je prendrais en note et que je ramènerais à mon ministère afin d’obtenir ses conseils.
D’accord.
Comprenons-nous complètement l’histoire tribale de cette région? À la suite de toute cette violence sexuelle et de cet horrible événement, certaines de ces femmes ont-elles réintégré leur ancienne résidence, ou ont-elles été rejetées par leur famille ou leurs anciennes communautés? Après tout, cela date d’il y a 20 ans, comme Mme Sgro l’a indiqué. Y a-t-il eu certains… retours chez ces gens?
Monsieur le président, je demanderais que nous puissions chercher des renseignements à ce sujet et les remettre plus tard au comité. Cependant, je peux dire que le Rwanda a mené activement un vaste processus de divulgation des faits et de réconciliation, qui a été appuyé par la communauté internationale, et que, pendant les années qui ont suivi le génocide, la société rwandaise s’est considérablement normalisée.
Je suis désolé de vous interrompre, madame Norton, mais je souhaitais simplement vous demander si le processus de divulgation des faits et de réconciliation avait produit un rapport final unique. De quelle façon le processus s’est-il déroulé? Je pose, bien entendu, la question parce que, si le rapport existe, il pourrait constituer une source utile de renseignements qui pourrait nous aider à répondre à des questions aussi chimériques que celle posée par M. Schellenberger.
Il faudrait que je vous communique plus tard la teneur exacte de son produit. Je crois comprendre que le processus visait surtout à régler les divisions à l’échelle communautaire.
D’accord, mais le processus constituerait une source unique de données, en ce sens qu’il s’appliquait à l’ensemble du pays d’une façon très généralisée, laquelle n’est pas susceptible d’être reproduite par un autre processus, quel qu’il soit.
Merci beaucoup.
À propos de la question relative aux retours qui ont suivi le génocide, je tenais simplement à ajouter que les programmes d’aide humanitaire et de développement financés par le gouvernement du Canada mettaient vraiment l’accent sur le rapatriement, la reconstruction du Rwanda et la création des conditions propices au retour des victimes. Bien que je ne sois pas en mesure de vous citer le nombre de femmes revenues par rapport au nombre d’hommes ou d’enfants, il s’agissait d’un nombre substantiel et, à l’époque, nous nous préoccupions surtout de créer les conditions qui permettraient aux gens de revenir. De plus, notre aide était réellement axée sur les abris, l’eau et les installations sanitaires, ainsi que sur la présence d’écoles pour accompagner ces approvisionnements de secours.
Certains des programmes mis en oeuvre là-bas visaient-ils à aider les enfants de ces femmes violées? S’ils ont été proscrits, ils doivent maintenant commencer à être assez âgés. Ont-ils été acceptés dans certaines de ces collectivités, ou ont-ils été totalement rejetés?
Si je me souviens bien, certaines des ONG, avec lesquelles nous faisions équipe et qui mettaient en oeuvre des programmes et des projets en notre nom, portaient leur attention sur les ménages ayant des femmes ou des enfants à leur tête. À cette époque, la communauté internationale était certainement consciente de ce problème, et elle essayait de faire en sorte que les gens dans une telle situation puissent retourner dans leur collectivité.
Le génocide, c’est-à-dire la tentative d’éliminer un peuple, est un processus à plusieurs volets très complexe; la réaction au génocide peut être aussi complexe et comporter autant de volets que l’acte lui-même. La réaction immédiate consiste à aider ceux qui ont été atteints, c’est-à-dire les femmes et les familles qui ont subi ces atrocités. Toutefois, d’après certains des documents que j’ai lus, ceux qui ont glissé entre les mailles du filet sont les quelque 20 000 enfants nés de ces viols. Dans de nombreux cas, les gouvernements — et je ne peux pas parler au nom du gouvernement canadien — se sont efforcés d’aider les femmes qui avaient été violées et leurs communautés. Mais les enfants nés de ces actes n’étaient pas considérés comme des victimes du génocide. Par conséquent, bon nombre des programmes mis en oeuvre ne tenaient pas compte d’eux, et ces enfants ne pouvaient pas y avoir accès.
Ces enfants sont maintenant âgés de 19 ou 20 ans. Ils deviendront les parents des futures communautés du Rwanda. J’aimerais que nous tirions des leçons d’eux, de ce qu’ils ont vécu, ainsi que des mères qui ne pouvaient pas regarder leurs enfants parce qu’ils leur rappelaient ce qu’elles avaient traversé et ce qu’ils étaient. Les Hutus ne les acceptaient pas parce qu’ils étaient nés de mères tutsies, et les Tutsis ne les acceptaient pas parce qu’ils étaient les enfants de « génocidistes », comme on dit parfois.
Qu’avons-nous fait, le cas échéant, et que pouvons-nous faire pour mieux nous préparer à intervenir dans les situations futures? Cela se produit toujours dans la République démocratique du Congo. L’utilisation du viol comme arme de guerre est un processus très ciblé. Que pouvons-nous apprendre de cette horrible expérience afin de mieux nous préparer à aider ceux qui auront besoin de notre aide dans les mois ou les années à venir?
Comme ma collègue, Mme Norton, l’a signalé, le travail effectué par l’ensemble des organisations des Nations Unies a été profondément influencé par cette expérience, et ces organisations ont adopté de nouvelles normes, élaboré de nouvelles procédures et pris de nouveaux engagements en vue de travailler dans des contextes comme celui-ci. J’estime qu’une partie de ces mesures orientera les futures interventions.
Un autre élément important de notre intervention dans cette région a été réalisé par des organisations non gouvernementales et des organisations communautaires, comme les 11 associations de femmes que j’ai mentionnées plus tôt. Parce que ces organisations exercent leurs activités à l’échelle communautaire et qu’elles sont composées de gens qui sont soit directement touchés par les événements, soit des voisins ou des membres de la famille des gens qui sont durement touchés par les événements, ces organisations comprennent dans leurs moindres détails les conséquences des événements et les mesures qui s’imposent. Ces organisations possèdent ce savoir, et elles mettent en oeuvre des programmes au Rwanda et dans la région — dans la République démocratique du Congo, au Burundi et en Ouganda — en tirant parti de l’expérience qu’elles ont acquise en travaillant au Rwanda.
Voilà, je pense, la réponse à votre question, monsieur.
Pourrais-je ajouter quelques observations?
J’ai été très impressionnée par votre question à propos des leçons que nous pouvons tirer et de la façon dont nous pouvons nous préparer pour l’avenir. En fait, l’avenir est déjà à nos portes.
Dans le cadre de nos programmes actuels d’aide humanitaire, nous appuyons divers efforts déployés à l’échelle mondiale qui visent à prévenir la violence sexuelle commise au cours de crises humanitaires et à aider les survivants.
Par exemple, en 2014, nous avons fourni 10 millions de dollars à des organisations humanitaires expérimentées afin qu’elles puissent développer leur capacité de prévenir et de réduire la violence sexuelle, ainsi que leur capacité de renforcer l’ensemble du système humanitaire international et son aptitude à protéger les femmes et les jeunes filles contre la violence qui leur est faite dans des situations d’urgence.
Prenons l’exemple de l’Irak. Nous appuyons à la fois les efforts du HCR et du CICR pour prévenir la violence sexuelle là-bas et pour y répondre. Ces organisations fournissent aux survivants des soins médicaux, des conseils d’ordre psychosocial et de l’aide juridique.
Comme vous l’avez probablement entendu, nous avons annoncé, en octobre 2014, que nous apporterions une contribution de 10 millions de dollars à la lutte contre la violence sexuelle et fondée sur le sexe dans les régions touchées par l’EIIL, en plus de l’aide humanitaire que nous fournissons aux Irakiens touchés par la crise en Irak.
D’autres exemples que je pourrais vous citer seraient la Somalie, le Soudan du Sud, la République démocratique du Congo, le Mali et la République centrafricaine. Nous soutenons également le Comité international de la Croix-Rouge afin qu’il travaille avec les gouvernements nationaux à accroître les poursuites intentées dans les cas de viol en renforçant les lois et les politiques nationales, et à consolider les préparatifs d’urgence et les interventions en cas de violence sexuelle liée à des conflits.
Au cours des crises humanitaires d’aujourd’hui, les projecteurs sont pointés plus que jamais vers les problèmes de violence sexuelle et fondée sur le sexe. Je crois que le système a beaucoup appris au cours de la crise au Rwanda, et nous continuons d’en apprendre davantage au cours de chaque nouvelle crise.
Votre temps de parole est écoulé, monsieur Benskin, mais vous pouvez poser une autre question étant donné que vous êtes le dernier intervenant.
Je souhaite poser une question rapide. Les survivants comprennent-ils les enfants nés de la violence sexuelle? Je pense que c’était le plus gros problème. D’après plusieurs personnes auxquelles j’ai parlé et les documents que j’ai lus, c’était un problème qui, selon elles, n’était pas cerné suffisamment, un problème auquel on ne pensait pas. Les enfants sont-ils également considérés comme des survivants, ou ce terme s’applique-t-il seulement aux femmes qui ont subi ces actes horribles?
Je peux peut-être amorcer le processus en fournissant une réponse. Immédiatement après toute crise humanitaire, nos partenaires procèdent à une évaluation approfondie de la vulnérabilité. Si ces enfants et ces femmes sont jugées vulnérables, ils auront assurément accès à l’aide humanitaire.
Si vous posez la question à propos du cas particulier du Rwanda, je peux vous dire que, de 1998 à 2001, j’étais chargée du dossier de l’aide humanitaire destinée à la région des Grands Lacs et que les enfants nés de viols n’étaient pas victimes de discrimination par rapport aux enfants orphelins pour d’autres raisons ou aux ménages dirigés par des femmes. L’optique de la communauté humanitaire dans ces circonstances, c’est effectivement la vulnérabilité. C’est le critère qu’ils utilisent parce qu’ils respectent les principes humanitaires de neutralité, d’impartialité et d’indépendance. Si des besoins existent, ils interviendront en fonction de ces besoins.
Avec la permission du comité, j’aimerais soulever un certain nombre de questions factuelles.
J’ai conscience que vous n’êtes peut-être pas les personnes qui sont en mesure de répondre à ces questions. Toutefois, voilà les genres de questions quantitatives dont les réponses nous seraient utiles, et j’espère que vous pourrez apporter quelques éclaircissements à leur sujet.
Nos analystes, qui préparent toujours de la documentation à notre intention avant la tenue de ces réunions, nous informent qu’à peu près deux tiers des femmes qui ont été violées durant le génocide ont été infectées en même temps par le VIH. Bien sûr, il est difficile pour des personnes infectées par le VIH de survivre pendant 20 ans en toutes circonstances et, en l’occurrence, les circonstances n’étaient pas idéales. Savez-vous combien de ces femmes sont décédées soit en raison de leur infection, soit en raison de l’attrition qui survient au cours d’une période de 20 ans?
D’accord.
Deuxièmement, si deux tiers des femmes violées ont développé le SIDA, puis-je présumer qu’un important pourcentage de ces 20 000 enfants sont maintenant orphelins, en ce sens que le seul parent avec lequel ils avaient des contacts est décédé depuis? Avez-vous des renseignements sur ces 20 000 enfants qui sont effectivement devenus orphelins?
En ce qui concerne ma troisième question ayant trait à ce sujet, je précise que nous savons qu’en général, ces enfants ont été rejetés par la société. Avons-nous des renseignements quantitatifs quant au pourcentage de ces enfants qui ont été abandonnés, qui sont devenus orphelins ou qui ont été élevés hors d’un contexte familial normal, c’est-à-dire dans la mesure où l’on pouvait établir un contexte familial normal, quelles que soient les circonstances? Pour tenter de déterminer où ils se trouvent, avez-vous une idée de leur statut?
Fort bien. Ces renseignements sont très utiles. Nous allons continuer de chercher des réponses à ces questions. Je voulais savoir ce qu’il en était. Il aurait été dommage de ne pas obtenir ces renseignements s’ils avaient été à votre disposition.
Nous vous savons gré à tous les deux d’avoir pris le temps de comparaître devant nous aujourd’hui. Les renseignements que vous nous avez communiqués ont été très utiles. Nous vous sommes effectivement très reconnaissants d’être venus.
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