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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 004 
l
2e SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 21 novembre 2013

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Français]

    Nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Aujourd'hui, le 21 novembre 2013, c'est la quatrième séance du comité.

[Traduction]

    En outre, dans le cadre de notre étude des droits de la personne au Sri Lanka, nous avons avec nous, à partir de Colombo, au Sri Lanka, à titre de témoin, M. Saravanamuttu. Il est le directeur général du Centre for Policy Alternatives.
    Bienvenue, monsieur Saravanamuttu. Vous pouvez commencer votre témoignage.
    Lorsqu'on examine la situation des droits de la personne au Sri Lanka, un aspect clé nous vient à l'esprit. C'est l'idée selon laquelle le Sri Lanka, une société multiethnique, multiconfessionnelle, et officiellement une démocratie fonctionnelle, bien qu'elle ait un certain nombre de défauts, connaît à l'heure actuelle de graves menaces. Ces menaces s'articulent autour de la militarisation institutionnelle, du quasi-effondrement de la primauté du droit et de la culture d'impunité en ce qui a trait aux violations des droits de la personne et à l'intolérance religieuse croissante.
    À l'heure actuelle, la politique du gouvernement en ce qui a trait à la gouvernance en général est principalement axée sur un développement économique hautement centralisé; toute discussion concernant la pertinence des droits civils et politiques en particulier est écartée, dans le meilleur des cas, et considérée comme subversive, dans le pire des cas. Cela est particulièrement évident dans le nord du pays, la province qui a été la scène de la dernière phase de la guerre.
    Dans cette mesure, l'attitude du gouvernement envers la réconciliation consiste à favoriser le développement économique, à oublier le passé et à aller de l'avant. Certains disent qu'il s'agit d'une tentative de bâtir la réconciliation sur du béton, en faisant référence à l'accent particulier qui est mis sur l'infrastructure économique.
    En effet, en ce qui a trait à l'importance accordée à l'infrastructure économique, c'est une démarche hautement centralisée. Les mégaprojets de développement économique sont conçus et mis en oeuvre par le centre, à partir du centre, sans la participation ou la consultation des membres de la société civile qui en connaîtront les répercussions directes. Ils se voient comme des spectateurs passifs quant aux décisions qui toucheront leur vie quotidienne. En témoignent très clairement les résultats de l'élection du conseil provincial du Nord, le 21 septembre, lorsque la campagne du gouvernement, fondée sur le développement économique, a été largement rejetée. L'alliance nationale tamoule a remporté 30 des 38 sièges au conseil provincial.
    Par conséquent, le Sri Lanka se trouve dans une situation que je qualifierais de post-guerre, par opposition à une situation post-conflit. Selon ma définition de la dernière notion, il s'agit d'une situation dans laquelle les racines du conflit ne sont pas entretenues et encore moins reproduites. Malheureusement, comme je vous l'ai indiqué, étant donné la militarisation des institutions, la chute de la primauté de droit et la culture d'impunité, ainsi que la croissance de l'intolérance religieuse, on assiste à la fois au maintien et à la reproduction des racines du conflit.
    Permettez-moi d'examiner chacun de ces aspects tour à tour.
    L'argument concernant la militarisation des institutions est pertinent dans l'ensemble du pays. L'armée participe à l'économie. Elle joue aussi un rôle dans la sphère éducative, si bien que les directeurs d'école sont intégrés dans le corps national des cadets, la sécurité sur les campus est assurée par l'armée et les cours d'orientation destinés aux étudiants universitaires de première année sont effectués dans des camps militaires et dispensés par des officiers de l'armée.
    Une fois encore, comme je l'ai dit, c'est une situation qui se ressent principalement dans le Nord, où les gouverneurs des provinces du Nord et de l'Est sont d'anciens militaires. Les agents du gouvernement dans certaines divisions de ces provinces sont aussi d'anciens militaires. Selon certains chiffres, la présence de l'armée dans ces provinces, dans le Nord plus particulièrement, se traduit par un ratio d'un soldat pour 10 civils. L'armée joue un rôle en matière de gouvernance dans le sens qu'elle a le dernier mot à dire pour ce qui est des projets de développement. Elle va même jusqu'à dire aux gens dans quelle langue l'hymne national peut être chanté. L'armée est présente dans les fonctions privées, des cérémonies de prix scolaires aux événements sportifs. L'armée joue un rôle dans l'économie, l'agriculture, l'achat et la vente de légumes, la gestion d'hôtels, de parcours de golf, etc.
(1305)
    Par-dessus tout, ce qui est particulièrement préoccupant, c'est la présence écrasante des militaires et leur ingérence dans la vie des gens. Encore en avril dernier, quelque 6 300 acres de terres privées ont été saisies par l'armée pour y bâtir des camps militaires et des entreprises. Ainsi, plus de 2 500 personnes contestent cette acquisition devant les tribunaux.
    Il y a une intrusion très poussée dans la vie quotidienne des gens. Il y a également des allégations de violation permanente des droits de la personne, sous la forme d'enlèvements, de disparitions et, en particulier, d'agressions.
    Par ailleurs, des accusations de violence à l'égard des femmes ont été portées contre les militaires. Pour la vaste majorité, ces accusations sont difficilement vérifiables, car les inhibitions culturelles des victimes et des témoins les empêchent de présenter des preuves concrètes à l'appui de ces cas, mais une telle violence a sûrement lieu.
    Voilà donc pour la question de la militarisation institutionnalisée; passons maintenant à celle de l'effondrement de la primauté du droit. On constate un très grand nombre de cas de crimes répréhensibles contre l'humanité, dans lesquels les violations ont abouti à des poursuites, puis à des mises en accusation, sans qu'il y ait toutefois de condamnations. Les contrevenants sont arrêtés, accusés et relâchés sous caution.
    Il y a deux cas en particulier, qui ont également été abordés par la Commission enseignements et réconciliation, dont les membres sont nommés par le président: l'assassinat de cinq étudiants sur la plage de Trincomalee dans l'Est et le meurtre de 17 travailleurs humanitaires à Muttur, dans l'Est également. Ces cas ont fait l'objet d'enquêtes, mais il n'y a pas eu de condamnations.
    Je pourrais vous citer nombre de cas semblables. Récemment, après la fin de la guerre, à l'extrémité sud du pays, un travailleur humanitaire britannique a été assassiné et sa conjointe, brutalement violée. À cause de la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, précédée par la visite de la haute-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme — sa plus longue visite au Sri Lanka —, on a tenté de procéder à des mises en accusation et à des condamnations, mais on ne sait pas encore ce qui en ressortira.
    En réaction à ces violations flagrantes, le gouvernement semble se borner à mettre sur pied des commissions. Prenons la question des disparitions forcées ou involontaires, sachant que le Sri Lanka compte l'un des plus grands nombres de cas recensés par le groupe de travail à Genève; force est de constater que ce même gouvernement a constitué quatre ou cinq commissions, sans toutefois rendre publics les rapports. Par conséquent, on ne sait pas si d'éventuelles recommandations ont été mises en oeuvre, mais on peut présumer, sans trop risquer de se tromper, qu'elles ne l'ont pas été, car le problème perdure.
    Il perdure aussi pour les familles des disparus. À plusieurs reprises, y compris lors de la rencontre avec la haute-commissaire aux droits de l'homme et au moment d'essayer de se rendre à Colombo, où se tenait la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, pour déposer une pétition en vue de participer à une exposition sur les droits de la personne et de rencontrer le premier ministre britannique David Cameron, des citoyens ordinaires ont fait l'objet d'intimidation et de menaces de la part des militaires, qui les ont empêchés de participer à de tels événements.
    La culture de l'impunité règne. Cela touche même le Sud et dans certains cas, des politiciens locaux associés au parti au pouvoir s'en sont tirés indemnes lors d'incidents comme des agressions sexuelles, des tentatives de meurtre, des actes de corruption, etc.
    Dans le contexte de la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth, comme dans celui de la visite de la haute-commissaire et en prévision des sessions imminentes du Conseil des droits de l'homme à Genève, en mars 2014, on a fait un effort pour assainir la situation, pour ainsi dire: toutefois, on se demande sérieusement s'il ne s'agit pas là tout simplement d'une mise en scène pour détourner les critiques ou, au contraire, s'il s'agit d'un effort beaucoup plus sérieux et honnête.
    Au bout du compte, toute la question de l'indépendance de l'appareil judiciaire a été mise en pleine lumière lors du processus de destitution de la juge en chef plus tôt cette année, geste qui a été déclaré inconstitutionnel et illégal par les plus hauts tribunaux du pays, la cour d'appel et la cour suprême.
(1310)
    Néanmoins, le gouvernement a imposé sa décision, et le Sri Lanka se retrouve maintenant dans une situation bizarre où il y a en fait deux juges en chef ou, autrement dit, un de jure et un de facto.
    La confiance à l'égard de la magistrature et à l'égard des militaires s'est détériorée. Par conséquent, les civils ordinaires n'ont pas suffisamment confiance dans les institutions de gouvernance et de justice pour pouvoir jouir pleinement de leurs droits.
    Cela est aussi amplement démontré par la vague croissante d'intolérance religieuse. Ces cinq dernières années, il y a eu une série d'attaques contre les lieux de culte chrétiens. De nouvelles églises évangéliques fondamentalistes ont été attaquées. Dernièrement, des attaques graves ont été commises envers la collectivité musulmane, y compris contre des mosquées, des salles de prières, des lieux de prières ainsi que des commerces de détail. Des organisations bouddhistes extrémistes ont injecté dans le discours public une propagande goebbelsienne et des propos haineux sous prétexte que les musulmans vont surpeupler le pays, qui cessera alors d'être un pays cinghalais. Elles ont notamment ciblé la certification halal de certains produits par la collectivité musulmane, conformément à sa foi.
    Cependant, il n'y a eu aucune mise en accusation, aucune condamnation pour ces attaques contre des mosquées, des salles de prières et des commerces de détail. Dans une affaire en particulier, la police a annoncé que le propriétaire de l'établissement avait plaidé pour que personne ne soit accusé afin d'éviter d'attirer le discrédit sur le pays et parce que les personnes qui auraient participé à l'attaque portaient des habits religieux, qu'ils étaient donc des moines et que des accusations équivaudraient à une critique injustifiée et inutile de la situation au Sri Lanka. La police a annoncé fièrement que c'était l'exemple par excellence de l'harmonie et de l'amitié communales et n'a rien fait.
    Plus de 150 actes ont été commis contre la collectivité musulmane entre janvier et septembre 2013. D'où la question suivante: comment des actes de violence de cette nature peuvent-ils être commis sans que les forces de l'ordre ne fassent quoi que ce soit, sans que le gouvernement et les politiciens ne condamnent catégoriquement de tels gestes? Les gens mentionnent la fois où le frère du président, qui est secrétaire à la Défense, donc responsable de l'ensemble de l'appareil de sécurité nationale, était l'invité d'honneur à l'inauguration de l'académie du leadership, à la demande de l'un des principaux groupes mêlés aux attaques contre la collectivité musulmane, soit le Bodu Bala Sena, ou force pour le bouddhisme, habituellement désigné par le sigle BBS.
    La convergence de tous ces éléments montre que le Sri Lanka se trouve aujourd'hui dans une situation tout à fait critique en ce qui concerne les droits de la personne. Le grand public, la politie, la population ne jouissent pas pleinement de leurs droits. Ils sont plutôt traités comme des sujets, étant donné que le pouvoir est en plus dynastique. L'idéologie prédominante repose sur un discours tout à fait triomphaliste qui impose la loi de la majorité. Elle s'appuie sur la militarisation. Par conséquent, nous semblons nous éloigner du modèle d'une démocratie officielle qui fonctionne et d'une société multiethnique et multiconfessionnelle pour nous rapprocher de quelque chose de beaucoup plus homogène, centralisé et contrôlé et qui, à cet égard, s'écarte de l'idée de ce que devrait être une démocratie animée, vivante et dynamique.
    Comme l'a dit la haute-commissaire des Nations Unies dans sa dernière déclaration à la presse avant de quitter le Sri Lanka et dans sa déclaration orale au Conseil des droits de l'homme, nous nous dirigeons vers l'autoritarisme. Certains d'entre nous ne seraient pas d'accord et diraient que nous y sommes déjà, que la situation n'est déjà pas très reluisante sur le plan des droits de la personne et qu'il faut absolument réagir.
(1315)
    C'est pourquoi certains segments de la société civile mettent leur espoir encore une fois dans les sessions du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, prévues en mars 2014, et dans la possibilité qu'il adopte une nouvelle résolution sur le Sri Lanka qui persuadera et forcera notre gouvernement à prendre la question des droits de la personne plus au sérieux.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Chers collègues, nous avons assez de temps pour des tours de questions et de réponses de six minutes. Comme d'habitude, je vais utiliser le chronomètre. Je vois que M. Marston a un chronomètre encore plus gros que le mien.
    Quoi qu'il en soit, monsieur Sweet, à vous de commencer.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Monsieur Saravanamuttu, nous sommes heureux de vous accueillir. Votre témoignage est très puissant et très convaincant.
    Vous avez parlé de l'institutionnalisation du militarisme. Vous avez parlé de l'intrusion accablante des militaires et, vers la fin de votre exposé, vous avez dit que les citoyens ne jouissent pas de tous leurs droits.
    Nos derniers témoins nous ont dit que la raison pour laquelle il n'y a pas beaucoup de manifestations contre le gouvernement, c'est qu'après tant d'années de combat, la vaste majorité de la population est prête à tolérer ce mouvement vers l'autoritarisme.
    Êtes-vous d'accord?
    Si l'on pense à ce qui s'est produit depuis la défaite des TLET aux élections générales et présidentielles de 2010, et ensuite aux élections aux conseils provinciaux et aux administrations locales, il est très clair que le président et la coalition au pouvoir ont remporté des majorités considérables.
    La population éprouve certainement beaucoup de reconnaissance et de gratitude envers le gouvernement et le président qui ont mis fin à la guerre et qui ont défait le terrorisme. Cependant, il y a des segments au sein de cette collectivité qui participent à certaines activités et qui sont particulièrement ciblés.
    Je pense que chacun vit une réalité différente. Si quelqu'un travaille dans la presse et ose critiquer le gouvernement, on lui rappelle le nombre de journalistes qui ont été tués, ou qui ont fui le pays, l'autocensure, qui est le contexte dans lequel les médias fonctionnent dans notre pays ou alors, les fourgonnettes blanches arrivent et cette personne « disparaît ». Tout dépend de ce que font certaines personnes ou segments de la société et dans quelle région du pays ils vivent.
    Bien sûr, nous pourrions également dire, au sujet des résultats des élections dans le Nord, que c'est une toute autre histoire.
(1320)
    Avez-vous l'impression que la population en général commence à se rendre compte de ce qui se passe, c'est-à-dire que le régime actuel utilise son capital politique? La population est épuisée par de longues années de lutte, et le régime en profite pour estomper les divisions entre le judiciaire, le militaire et le législatif. Faute de meilleurs mots, les gens sont-ils en train de se réveiller et de voir qu'on les mène lentement sur la voie de l'autoritarisme?
    Je crois que oui.
    Depuis 2009 et la défaite des TLET, il y a eu des manifestations populaires contre la politique du gouvernement qui ont été réprimées par l'armée et les forces spéciales qui tiraient pour tuer, en se servant de munitions réelles. Cela s'est produit en 2011, en 2012 et encore en 2013. Des villageois exigeaient de l'eau propre. Trois d'entre eux ont été tués, et plusieurs autres ont été brutalement agressés.
    Je pense que les gens reconnaissent que l'autoritarisme se répand vers le reste du pays également, mais qu'il n'a pas encore atteint une masse critique. Le gouvernement rappelle sans cesse à la population que c'est lui qui a défait le terrorisme et insiste donc sur la gratitude et la reconnaissance des citoyens. Il leur rappelle constamment ce grand exploit.
    Oui, je pense certainement qu'ils le font avec un mépris téméraire et en toute impunité.
    Avant-hier, j'ai lu un article sur la réponse du gouvernement aux observations du premier ministre Cameron; plutôt que de les prendre au sérieux, le gouvernement les a balayées du revers de la main, parce que le premier ministre n'aurait pas respecté le protocole diplomatique.
    Oui, absolument.
    C'est tout à fait une réponse qui reflète l'idée que la meilleure défensive, c'est l'attaque. Les gens au pouvoir vont essayer de tirer le maximum du nationalisme inné de la population et d'assimiler l'amour de la patrie à la loyauté envers le gouvernement.
    J'ai posé la question à nos fonctionnaires il y a quelques jours, mais ils n'étaient pas au courant. Saviez-vous qu'il y a un programme destiné à, faute de termes plus justes, reprogrammer les membres des TLET après leur désarmement?
    Est-ce que ce programme existe et, dans l'affirmative, est-ce qu'il vous préoccupe?
    Il y a eu des programmes de réadaptation des membres et des cadres des TLET qui ont capitulé... [Note de la rédaction: difficultés techniques]... Certains d'entre eux, en fait, la majorité d'entre eux ont été réhabilités et libérés. Cependant, l'un des défis auxquels ils font face, c'est que la population ressent toujours à leur égard une certaine mesure de suspicion et de méfiance. On craint également que les militaires les aient utilisés comme délateurs. Certaines allégations ont été formulées récemment, et je souligne qu'il s'agit bien d'allégations, au sujet d'abus dans le processus de réhabilitation, mais dans l'ensemble, on juge que celui-ci a été mené de manière très équitable.
    C'est l'impression que j'ai eue en écoutant vos observations préliminaires. C'est une bonne chose, car, bien sûr, pendant qu'ils sont sous leur contrôle, ils sont à une étape vulnérable de cette réhabilitation.
    Est-ce que le public éprouve de la compassion envers les 40 000 veuves de guerre? Est-ce que le gouvernement les traite de manière équitable? Quelle est leur situation à l'heure actuelle?
(1325)
    Premièrement, ce qui est intéressant, c'est qu'étant donné le contrôle de l'information dans notre pays, c'est-à-dire le contrôle par le gouvernement et l'autocensure de la part des médias, je pense que bien peu de Sri-Lankais connaissent ce chiffre.
    Deuxièmement, aucune mesure n'a été prise à l'égard des ménages dirigés par des femmes pour les aider à retrouver un moyen de subsistance.
    Troisièmement, ces femmes doivent adopter des stratégies de survie évidentes dans un contexte très militarisé, et il circule toutes sortes d'allégations d'agressions sexuelles, également.
    L'une des principales demandes à la fin de la guerre, c'était que le gouvernement fournisse des renseignements précis sur le nombre de personnes qui avaient capitulé et sur le nombre de détenus; on voulait savoir si ces personnes avaient été forcées de « disparaître », si elles étaient retraçables ou si elles étaient décédées. Au bout du compte, ces femmes ont besoin de savoir si elles sont réellement veuves ou pas, si elles héritent des biens, si elles peuvent se remarier, etc. Il y a une dimension pratique, en plus des aspects émotifs et du deuil personnel.
    Merci.
    Nous passons maintenant au prochain membre, M. Marston. Je crois savoir que vous allez partager votre temps avec Mme Sitsabaiesan.
    Oui, merci. Je m'en réjouis, car un grand nombre de membres de la diaspora sri-lankaise habite dans la circonscription de la députée de Scarborough—Rouge River; il est important de leur assurer un accès direct à ce comité.
    Monsieur, je tiens à vous remercier. Vous avez parlé des élections dans le Nord. J'aimerais savoir quelle a été, en général, leur validité. Y a-t-il eu ingérence? Vous semblez presque insinuer que les élections dans le Nord étaient meilleures que celles dans le Sud, mais peut-être que j'ai mal interprété vos propos.
    Oui, pendant la campagne électorale dans le Nord, les militaires en uniforme et en civil, c'est-à-dire la force de défense civile, ont multiplié les actes d'intimidation et les menaces envers la population. Ce n'est pas tellement différent de ce qui s'est produit lorsque Navanethem Pillay, la haute-commissaire des Nations Unies, est venue en visite et que les personnes qui lui ont parlé ont reçu le même traitement.
    Il y a eu bien des cas d'intimidation de ce genre. À cet égard, les élections se sont déroulées dans le contexte d'une violence institutionnalisée. La présence même des militaires dans certains districts du Nord, comme à Mullaitivu et à Kilinochchi, était particulièrement intimidante, étant donné leur nombre et le rôle qu'ils jouent.
    En outre, il y a eu un autre incident, au début de l'année; étant donné le rapport entre les militaires et les civils, que j'ai déjà mentionné, le bureau de distribution d'un des principaux journaux régionaux, l'Uthayan, a été détruit. L'imprimerie de ce journal à Jaffna a également été incendiée. Des réunions de l'Alliance nationale tamoule ont eu été perturbées.
    Rien de cela n'aurait pu se produire sans la collusion et la complicité des militaires...
    Permettez-moi de vous interrompre un instant. Croyez-vous que la structure et le fonctionnement de l'appareil électoral étaient honnêtes, ou pensez-vous qu'il y a eu de l'ingérence?
    Pour ce qui est du processus électoral, du point de vue du ministère des Élections, les élections se sont déroulées correctement à cet égard. Ce qui a constitué un véritable obstacle et qui a miné l'intégrité du processus électoral, c'est la violence dont je vous parlais.
    Je pense que c'est la réaction de la population à cette violence qui a produit un résultat conforme à la volonté générale des citoyens.
    Merci.
    Maintenant, monsieur le président, je laisse la parole à ma collègue. Merci beaucoup.
    Merci, monsieur.
    Madame Sitsabaiesan, s'il vous plaît.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Saravanamuttu, de vous être joint à nous.
    Vous avez beaucoup parlé de la militarisation continue des collectivités du Nord et de l'Est, et de l'ensemble du pays en général. M. Sweet a parlé des 40 000 veuves de guerre. D'après ce que disent les membres de la collectivité et certains des journaux que vous avez mentionnés, je pense que ce nombre est en réalité plus élevé. J'ai entendu dire qu'il y avait 90 000 veuves.
    Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la culture de l'impunité qui sévit toujours sur l'île et de quelle manière elle nuit aux femmes et à leur capacité de poursuivre leur vie? Pensez-vous qu'elles ont vraiment accès à un gagne-pain pour pouvoir diriger leur foyer? Comme vous l'avez affirmé, à l'heure actuelle, sur l'île, la plupart des ménages sont dirigés par des femmes. Quelles sont les conséquences de la culture de l'impunité et de la militarisation continue de la collectivité?
    Je vous cède le reste de mon temps.
(1330)
    Le nombre de 40 000 se rapporte aux ménages dirigés par une femme, dans la province du Nord. Je pense que le total pour le Nord et l'Est est d'environ 90... [Note de la rédaction: difficultés techniques].
    Pour ce qui est de la façon dont ça touche les femmes, on peut d'abord parler de leur statut particulier au sein de la société, et des nombreuses incidences, sociales, culturelles et économiques.
    En ce qui concerne leur accès aux ressources, aucune mesure spéciale n'est prévue pour les femmes qui ont à rebâtir leur maison et retrouver un moyen de subsistance pour faire vivre leurs enfants. Il n'y a pas de mesure spéciale prévue pour elles, et cela crée un problème.
    Il y a aussi la question des successions de biens. Il y a tout un ensemble de questions associées à la propriété foncière. Pensons aux propriétés qui appartenaient à une famille ayant été déplacée et qui ont été usurpées par les membres d'une autre collectivité. Ce n'est qu'un exemple, mais cela a certainement un impact.
    Là encore, aucune mesure spéciale n'est prévue pour traiter particulièrement de la propriété foncière et pour accélérer le règlement des différends au sujet de ces biens. On a essayé de régler les problèmes en émettant des circulaires sur la propriété, etc., mais ces démarches favorisaient très nettement le gouvernement central. D'ailleurs, dans un cas, notre organisme s'est adressé aux tribunaux pour demander que soit annulée cette mesure qui avait, à notre avis, des effets discriminatoires.
    Les femmes sont confrontées à de nombreux défis et difficultés dans ce domaine. Je le répète, à cause des inhibitions culturelles, on ne sait pas tout au sujet des agressions sexuelles. Les organisations de la société civile sur le terrain nous disent que bon nombre de cas ne sont pas signalés.
    Plus récemment, dans trois villages du district de Kilinochchi, des allégations ont été faites au sujet de stérilisations forcées: on aurait donné des contraceptifs à des femmes sans leur consentement et sans leur expliquer ce qui se passait. Cela se passe à l'heure où je vous parle.
    Il faudrait d'abord avoir l'honnêteté de reconnaître ce qui se passe, afin que des mesures puissent être prises pour y remédier. En faisant comme si de rien n'était, on n'avance pas. Et bien entendu, cela alimente la frustration, la colère et la déception.
    Merci.
    Merci, madame Sitsabaiesan.
    Passons maintenant à Mme Grewal, si vous le voulez bien.
    Merci, monsieur le président, et merci à M. Saravanamuttu.
    Vous avez dit dans votre témoignage que la haute-commissaire des Nations Unies, après sa visite au Sri Lanka, a déclaré au Conseil des droits de l'homme que ce pays se dirige vers un régime autoritaire. Après l'envoi de cette déclaration, les Nations Unies ont-elles pris des mesures?
    Oui, la haute-commissaire est venue en août dernier. Elle a passé une semaine au Sri Lanka, et c'est le plus long séjour qu'elle ait fait dans un pays du monde. Cette déclaration a été faite à une conférence de presse, à la fin de sa visite. Comme l'exigeait la résolution de mars 2013 sur le Sri Lanka, elle a présenté oralement un rapport de la situation, dans lequel elle a repris les propos tenus à la fin de sa visite au Sri Lanka. Un rapport complet sera produit en mars 2014 sur les progrès effectués dans le cadre de la résolution de mars 2013. Une autre résolution pourrait alors être adoptée.
    Mis à part l'aide aux activités de développement au Sri Lanka, les Nations Unies n'ont pris aucune mesure. Une section du conseil consultatif sur les droits de la personne du PNUD est basée à Colombo. Le gouvernement refuse toutefois qu'un bureau local du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme s'y installe ou que l'ONU intervienne plus activement en ce qui concerne la situation des droits de la personne. En revanche, le gouvernement a créé d'autres commissions. Il peut s'agir d'un exercice de pure forme visant à répondre aux critiques auxquelles on s'attend en mars 2014, plutôt que d'un effort sérieux et sincère pour régler la situation.
(1335)
    D'après ce que je crois comprendre, le gouvernement du Sri Lanka a investi dans de nombreux projets de développement au cours des dernières années. Est-ce que cela a contribué au processus de réconciliation et à l'unité nationale?
    Les projets de développement du gouvernement ciblaient surtout l'infrastructure économique, la construction de routes, ce genre de choses. Le problème, particulièrement dans le Nord, c'est qu'il n'y a pas eu de consultations suffisantes, le cas échéant, avec la population pour savoir quelles sont ses priorités. Il s'agit surtout de pêcheurs et d'agriculteurs. On craint donc que le développement des infrastructures et du tourisme, sur lequel se concentrent surtout les politiques économiques et gouvernementales, soit destiné à répondre aux besoins de l'extérieur des provinces. On craint qu'à défaut d'investissements suffisants dans les personnes, les effectifs destinés à ces activités de développement économique proviennent de l'extérieur de la province, ce qui risque d'opérer un changement démographique sous prétexte de faire du développement. En l'occurrence, on alimenterait des sources de conflits pour reproduire des sources de conflits.
    Comme bien d'autres pays, le Sri Lanka a traversé une récession économique en 2008 et 2009 et travaille depuis à retrouver la croissance économique. Quel effet a la situation économique actuelle sur le processus de réconciliation et sur l'attitude qu'on a en général à l'égard des atteintes aux droits de la personne? Cela a-t-il été propice à la croissance économique?
    Je pense que, pour l'ensemble du pays, on a l'impression que cela n'a pas été suffisamment inclusif. Pour ce qui est des efforts de développement économique dans le Nord, le verdict public a été manifeste dans les résultats des élections du conseil provincial du Nord en septembre dernier.
    Grâce à la défaite du terrorisme, nous avons une occasion sans précédent d'aller de l'avant avec le développement économique. L'investissement direct étranger sera crucial pour que notre croissance franchisse le cap des 10 %. On n'y est pas encore. Nous visons à peu près 2,5 millions de touristes d'ici 2016. Rien ne prouve encore que ce genre d'objectif pourra être atteint.
    Je dois mentionner qu'aux yeux de certains, il y a, à l'extérieur du Sri Lanka, une cagnotte appartenant à la diaspora tamoule et dont il faudrait profiter. Les membres de cette diaspora, je pense, hésitent toutefois à envoyer de l'argent au Sri Lanka, de crainte qu'il se retrouve dans les coffres du gouvernement central, pour le service de la dette contractée probablement pour acheter des armes pendant la guerre ou pour servir à d'autres projets de développement. Il y a encore aussi... Si des membres de la diaspora tamoule venaient investir au Sri Lanka, il faudrait leur offrir la double nationalité, pour éviter qu'ils aient à payer les impôts que paient les ressortissants étrangers lorsqu'ils viennent dans notre pays.
(1340)
    Merci.
    Merci, madame Grewal.
    Monsieur Cotler, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Merci pour votre exposé, monsieur Saravanamuttu, et plus particulièrement pour le travail du centre.
    Ce que je trouve particulièrement déconcertant, c'est non seulement la flopée d'atteintes aux droits de la personne, mais aussi la culture de l'impunité qui y est assortie. Il faut une reddition de comptes si l'on veut une réelle réconciliation.
    Premièrement, que peut faire la communauté internationale? Quelle est la mesure la plus efficace que peut prendre la communauté internationale pour lutter contre la culture de l'impunité, de manière à tendre vers la réconciliation?
    Je pense, par exemple, à la mise en oeuvre des recommandations formulées par la Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, conformément à une décision du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies.
    Dans la même veine, quelle est l'influence du Canada au Sri Lanka? À votre avis, comment cette influence peut-elle servir à lutter contre la culture de l'impunité, à promouvoir la reddition de comptes et à nous rapprocher de la réconciliation?
    À l'heure actuelle, c'est au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, à Genève, que la communauté internationale se penche sur la question du Sri Lanka. Les deux résolutions de 2012 et 2013 ont comme point de référence la Commission enseignements et réconciliation, nommée par la présidence, et les recommandations qui en ont découlé.
    Au sujet de la reddition de comptes, les résolutions révèlent que le rapport de la commission et les recommandations contiennent des écarts et des lacunes, mais en ce qui concerne les recommandations orientées davantage vers la gouvernance et les droits de la personne, elles sont très satisfaisantes et doivent être mises en oeuvre rapidement. La communauté internationale demande qu'on aille plus loin que la commission en ce qui concerne la reddition de comptes.
    En réaction, le gouvernement du Sri Lanka a demandé aux tribunaux militaires de répondre: « Écoutez, ces accusations ne sont pas fondées, et aucun fait ne les appuie ». Aucune mesure n'a été prise, mais il s'agit bien sûr d'une situation plutôt étrange, étant donné que les principales accusations ont été portées à l'encontre de l'armée et que celle-ci semble enquêter sur sa propre affaire. Il est donc nécessaire de faire pression et de faire preuve de persuasion à l'endroit du gouvernement du Sri Lanka afin que des enquêtes indépendantes soient faites.
    Si les ressources sont insuffisantes au pays et que la crédibilité des institutions du pays est insuffisante et inadéquate pour faire ces enquêtes indépendantes, il est possible de demander à la communauté internationale de contribuer ainsi que de participer à ce mécanisme de reddition de comptes; par exemple, si l'on devait adopter un modèle ou un hybride, sans doute, de la Commission de vérité et de réconciliation de l'Afrique du Sud, il devrait y avoir une surveillance internationale très bien définie au sujet des progrès, ou de l'absence de progrès, grâce à ce mécanisme en matière de vérité et de réconciliation. Sans la dimension internationale et mandatée par, disons, le Conseil des droits de l'homme, ou encore mieux par le Conseil de sécurité — mais il y a des incidences politiques internationales qui pourraient très bien l'empêcher — bref, sans composantes internationales, rien ne se passera.
    Au sujet du deuxième point portant sur l'influence du Canada, je pense qu'étant donné que le Sri Lanka assumera la présidence du Commonwealth au cours des deux prochaines années, et compte tenu de la déclaration formulée à la fin de la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth au sujet des droits de la personne et de la primauté du droit, entre autres, le Canada, en sa qualité de membre important et influent du Commonwealth, devrait utiliser son influence afin de s'assurer que la déclaration ne soit pas seulement un bout de papier, du vent et de la rhétorique, mais que tous les pays y adhèrent. Que ce soit dans le cadre de travail du Commonwealth ou du Conseil des droits de l'homme, le Canada peut faire appel à ses bureaux dans les pays avec lesquels il a de bonnes relations pour les informer et les sensibiliser à ce qui se passe au pays dans l'ensemble.
    Évidemment, je pense qu'en ce qui concerne les relations bilatérales, on dit continuellement que la protection des droits de la personne est absolument essentielle pour une unité et une réconciliation significative.
(1345)
    Je vous remercie pour vos deux réponses très complètes à mes deux questions.
    Permettez-moi de vous poser une question sur la reddition de comptes. Elle porte bien sûr sur la participation du CPA et votre participation au litige d'intérêt public en ce qui concerne la question du retrait de l'ancienne juge en chef du Sri Lanka et de son remplacement par l'ancien procureur général.
    Quelles pourraient être les incidences du retrait de l'ancienne juge en chef sur toute la question de la reddition de comptes et de la réconciliation?
    Je pense que dans l'esprit de bien des gens, la procédure de destitution n'a fait que parachever la prise de contrôle de l'État. La magistrature, qu'on considérait peut-être jusqu'alors comme étant indépendante du gouvernement et comme un protecteur des droits des citoyens, s'est alors rapprochée de l'exécutif au point d'en être un autre organe. Cette grotesque procédure de destitution a grandement miné la confiance des citoyens et la crédibilité du processus judiciaire.
    Merci.
    Cela met fin à cette série de questions.
    Monsieur Schellenberger, à vous la parole.
    Merci, monsieur, de votre exposé. Le risque que l'on court quand on est l'un des derniers à intervenir, c'est que la plupart de vos questions ont déjà été posées.
    Le CPA engage des poursuites d'intérêt public touchant les droits linguistiques. Pourriez-vous expliquer comment les droits linguistiques s'inscrivent dans le processus de réconciliation global au Sri Lanka? Les droits des minorités linguistiques sont-ils respectés dans votre pays?
    Depuis 1987, en vertu de la constitution du Sri Lanka, il y a deux langues officielles, le cinghalais et le tamoul. De 1956 à 1987, le cinghalais était la seule langue officielle du pays. Or, très peu a été fait pour veiller à ce que les dispositions de la constitution sur les langues officielles soient mises en oeuvre, autrement dit, pour s'assurer que les Tamouls... [Note de la rédaction: difficultés techniques]... peuvent s'exprimer dans leur langue, faire une déclaration à la police, par exemple, en tamoul et communiquer en tamoul avec les représentants de l'État. D'ailleurs, dans le Nord particulièrement, où la présence militaire est grande et où les policiers, entre autres, ne parlent pas tamoul; cela ne fait qu'exacerber les divisions.
    Il existe un ministère national des Langues nationales et de l'Intégration sociale, mais son budget est dérisoire, ce qui, encore une fois, reflète le peu d'importance que cette question revêt pour le gouvernement. Ainsi, plus tôt cette année, dans le Nord, les militaires ont dit à des écoliers qu'ils ne pouvaient chanter l'hymne national en tamoul, qu'ils devaient le chanter en cinghalais.
    Le gros bon sens nous dit que cet enjeu pourrait servir à rassembler les collectivités plutôt qu'à les diviser. Mais il faudrait un investissement stable de ressources suffisantes pour faire en sorte que l'État parle à ses citoyens dans leur langue, comme le prévoit la constitution, et qu'il ne les marginalise pas en les forçant à signer des documents, par exemple, rédigés dans une langue qu'ils ne comprennent pas. Cet enjeu pourrait grandement contribuer à susciter une conversation, un dialogue et une meilleure communication au sein des collectivités, ce qui, bien sûr, contribuera à la réconciliation et à l'unité.
    Quelles sont les pistes de solution les plus prometteuses, selon vous, pour la réconciliation et la responsabilisation dans votre pays?
    À mon avis, la voie la plus prometteuse est la suivante. Quand je tiens des rencontres et des discussions avec les habitants du Nord, par exemple, ils me disent une chose bien simple. Ils affirment que le gouvernement leur dit que nous ne formons qu'un peuple, que nous ne devrions plus nous décrire comme des Cinghalais, des Tamouls ou des musulmans, que nous sommes tous des citoyens du Sri Lanka, que nous appartenons tous au même pays et que nous sommes tous des citoyens égaux. Ils font valoir que l'égalité doit se fonder sur le respect de soi, le respect mutuel et la dignité et qu'ils ne peuvent exister dans l'oubli du passé. Il faut reconnaître ce que les citoyens ont vécu. Quand cela sera fait, nous pourrons débattre des divers mécanismes et processus, mais ils souhaitent d'abord que l'État, le gouvernement, reconnaisse ce qu'ils ont vécu, les épreuves qu'ils ont traversées. Ce n'est qu'alors qu'ils pourront commencer à se considérer comme des citoyens égaux.
(1350)
    Je sais que vous avez déjà abordé la question des médias et de leur traitement par le gouvernement, mais, à votre avis, comment les médias sri-lankais pourraient-ils contribuer à instaurer un climat favorable à la réconciliation et à la responsabilité au Sri Lanka? Je sais que vous avez des inquiétudes au sujet du respect de la liberté de la presse. Quelle pourrait être la contribution des médias?
    Peu importe les agissements antérieurs et actuels du gouvernement et en dépit de l'autocensure, je crois que les médias doivent faire un peu d'introspection et se demander s'ils font partie du problème ou de la solution. Les médias nous informent mal de la gravité des violations des droits de la personne, c'est-à-dire des problèmes auxquels font face les citoyens qui veulent invoquer la loi dans un contexte militarisé.
    Comme je l'ai dit plus tôt, par exemple, combien de citoyens sri-lankais ordinaires savent que, dans le Nord, entre 90 000 et 100 000 foyers sont dirigés par des femmes?
     Nous avons récemment mené une enquête et constaté que seulement 30 % des répondants — il s'agissait d'un sondage national — avaient entendu parler de la Commission enseignements et réconciliation. Si la réconciliation et l'unité sont la priorité absolue pour le gouvernement, il devrait consacrer davantage de ressources pour informer la population de ce qu'exigent la réconciliation et l'unité. C'est une façon de rassembler les citoyens. À cet égard, les médias pourraient en faire beaucoup plus.
    Merci, monsieur.
    Merci, monsieur Schellenberger.
    Pour les dernières interventions, je crois savoir que M. Jacob et Mme Sitsabaiesan partageront leur temps.

[Français]

    Monsieur Jacob, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie notre témoin d'être ici avec nous cet après-midi.
    Ma première question est la suivante. En tant qu'organisation de la société civile, dans quelle mesure votre organisme se sent-il libre de commenter et de contester les actions du gouvernement du Sri Lanka, de la police sri lankaise et de l'appareil militaire? En particulier, les menaces de la part de groupes armés non étatiques vous inquiètent-elles?

[Traduction]

    Notre organisation a dû relever des défis pour accomplir son travail, mais nous sommes convaincus qu'il faut poursuivre nos efforts, défendre les droits de la personne et, en le faisant publiquement, nous espérons nous prémunir contre d'éventuelles représailles.
    J'ai moi-même reçu des menaces de mort. Je suis constamment la cible d'attaques diffamatoires de la part des médias de l'État. Le gouvernement a fait poser des affiches un peu partout au pays me condamnant et m'accusant d'être sécessionniste et un Tigre tamoul, un membre des LTTE, parce que j'adopte des positions que le gouvernement n'approuve pas. Nous avons aussi été nommés dans les accusations relativement à la destitution de la juge en chef.
    L'espace que peut occuper la société civile rétrécit constamment, et il n'y a qu'une poignée d'organisations prêtes et aptes à prendre position, mais dans le discours public, nous sommes contrôlés par les autorités. Pour le gouvernement, nous sommes des traîtres, des agents à la solde de puissances étrangères, des sympathisants des LTTE, etc. Nous courons constamment le risque d'être détenus à l'aéroport, d'être arrêtés, d'être menacés ou de « disparaître ». Notre réalité quotidienne, c'est d'être qualifiés de traîtres et d'agents de puissances étrangères dans les médias contrôlés par l'État.
(1355)

[Français]

    Merci.
    Monsieur le président, me reste-t-il encore un peu de temps?
    Oui. Il vous reste quelques minutes.
    Monsieur Saravanamuttu, je vais vous poser une deuxième question. Votre organisme a fait un récent sondage sur la démocratie dans le Sri Lanka d'après-guerre. Pourriez-vous nous parler des résultats de ce sondage?

[Traduction]

    Merci. Oui.
    Selon les résultats de notre sondage, les Sri-Lankais n'ont pas une opinion très flatteuse des institutions et du gouvernement, et surtout pas des politiciens. Les répondants étaient aussi d'avis que la situation économique est moins bonne qu'avant, notamment au chapitre de la qualité des aliments et des biens de consommation. En outre, il y a eu une augmentation du nombre de répondants qui ont affirmé avoir renoncé à se faire soigner par un médecin, parce qu'ils n'en avaient pas les moyens.
    Nous avons parlé de la situation linguistique un peu plus tôt, et c'est intéressant. Ainsi, plus de 70 % des répondants ont affirmé que pour être Sri-Lankais, il fallait parler cinghalais. Une proportion égale a affirmé que la langue officielle du pays est le cinghalais. Les Sri-Lankais ont donc, dans une certaine mesure, de fausses idées sur la loi et la connaissent mal. Ils s'inquiètent de la conjoncture économique et de leur sécurité physique. Les résultats du sondage ne donnent pas l'impression que la population est satisfaite.
    Je souligne que ce sondage a été mené en août et septembre. Il est probable que les opinions aient changé d'une façon ou d'une autre depuis.
    Merci, monsieur Saravanamuttu.
    J'ai une question sur la confiscation des terres et les changements en matière de logement. Je sais qu'il y a eu réaménagement. Ceux qui sont sur le terrain me disent qu'il y a de la reconstruction et qu'on érige des complexes d'habitation. On me dit aussi qu'on est en train de reconstituer des colonies militaires et que ce sont les familles de militaires qui habitent dans ces nouveaux logements, et non pas les personnes déplacées. Autrement dit, c'est un autre pas vers la militarisation permanente de ces collectivités. Est-ce vrai? Quelle est la réalité, qu'avez-vous vu et entendu sur le terrain? Est-ce qu'on confisque aussi des terres?
    Oui, on confisque des terres. Le cas le plus grave est celui des 6 300 acres de terres privées qui ont été confisquées en avril dernier. Cela a fait l'objet d'une procédure judiciaire. L'armée installera des camps permanents dans le Nord et dans l'Est. On y enverra aussi les familles. On construit des logements et des infrastructures pour elles. Pour le logement des personnes déplacées, vous savez sans doute que le gouvernement indien nous donne environ 50 000 maisons, mais seulement 1 000 ont été installées jusqu'à présent. Les autres sont en voie de construction.
    Les listes de bénéficiaires de logements ont aussi suscité des questions. Il y a encore des personnes déplacées qui vivent en famille d'accueil ou dans des camps de transit. La situation du logement est encore très problématique.
(1400)
    Avez-vous encore une question?
    Oui, merci.
    Vous dites que la liste des bénéficiaires a suscité des questions. Est-ce parce qu'on ignore qui figure sur cette liste ou parce que ceux qui y figurent ne sont peut-être pas des personnes déplacées ou qu'il s'agit plutôt de gens qu'on veut déplacer d'une région du pays à une autre?
    Les deux sont possibles.
    Les listes de bénéficiaires sont établies par le gouvernement du Sri Lanka. Dans ce contexte, le gouvernement du Sri Lanka comprend les forces armées. Ces listes ont été dressées avant que le conseil provincial soit élu. Certains ont allégué qu'on faisait venir dans la province du Nord des habitants d'autres régions et qu'on donnait la priorité aux citoyens sri-lankais d'origine cinghalaise qui vivaient dans le Nord, mais que la guerre avait déplacés. Il y a eu des allégations.
    De même, certains continuent d'alléguer qu'on accorde un traitement de faveur aux pêcheurs cinghalais pendant la pêche saisonnière dans les provinces du Nord et de l'Est. Toutes ces questions illustrent la crainte selon laquelle on réalise des changements démographiques sous le couvert du développement et de la sécurité nationale.
    Merci beaucoup, monsieur Saravanamuttu.
    Merci beaucoup, monsieur Saravanamuttu. J'ai bien peur que notre temps soit écoulé, mais je peux vous assurer que tous les membres du comité vous sont très reconnaissants de nous avoir exposé la situation de façon si complète.
    Merci beaucoup de m'avoir invité.
    Merci.
    Chers collègues, la séance est maintenant levée.
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