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ENVI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT

COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 5 avril 2001

• 0914

[Traduction]

Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Good morning.

[Français]

Nous reprenons notre travail sur le projet de loi C-5.

[Traduction]

Nous avons un programme très chargé et nous sommes très heureux d'accueillir nos témoins, qui sont nos invités et aussi nos amis. Nous vous remercions d'être venus de si loin pour passer quelques heures avec nous au pays du froid.

Le premier point de notre ordre du jour a trait à une motion. Auparavant, je vais faire rapidement deux annonces suivies d'un éclaircissement.

Nous avons d'excellentes nouvelles de la côte Ouest, où Ballard Power Systems est en train d'équiper de piles à combustible un certain nombre d'autobus qui seront livrés au début de l'année prochaine aux services de transport public de dix villes européennes. Cela vient s'ajouter aux trois piles à combustible livrées à titre d'essai il y a environ trois mois à Los Angeles et à Vancouver à une société de transport public par autobus. Pour ceux qui se passionnent pour la question, voici la coupure de journal correspondante.

• 0915

En second lieu, une conférence sur le génome s'est tenue ce matin à 8 heures, juste au-dessous de nous. C'est un sujet qui doit retenir l'attention des politiciens, c'est le moins qu'on puisse dire.

Ceux d'entre vous qui s'intéressent à la question et qui n'ont pas pu assister à la conférence, et même ceux qui ont pu le faire, peuvent consulter une étude rédigée par la Bibliothèque du Parlement du Canada. Ce document vous permettra tout au moins de vous familiariser avec ce sujet très complexe, qui revêt une grande importance scientifique et qui, sur le plan de la santé humaine, est quasi révolutionnaire.

Certains d'entre vous m'ont posé ce matin des questions sur la motion que nous avons devant nous, et je vais demander à son auteur de nous la présenter. Je donnerai ensuite la parole aux membres du comité pour que nous en discutions. J'espère que cette discussion sera brève étant donné que nous avons des témoins à entendre.

Sans attendre davantage, madame Redman, êtes-vous prête à déposer la motion et à nous la présenter?

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Monsieur le président, je vais vous exposer la motion et en suspendre le dépôt. Si l'on présente cette motion, c'est pour demander au comité de se pencher sur notre calendrier de travail.

J'ai fait un certain nombre d'observations hier pour qu'il en soit pris acte dans notre procès-verbal, sachant que de nombreux membres de notre comité qui n'ont pas pu assister à la séance consultent souvent les transcriptions et peuvent ainsi se tenir au courant.

Notre comité a déjà montré qu'il était disposé à tenir des séances supplémentaires. J'ai présenté mardi dernier—et j'en avais informé le comité la semaine précédente—un plan de travail prouvant simplement que la totalité des témoins que notre comité avait convenu d'entendre étaient en mesure de comparaître si l'on organisait trois séances supplémentaires. Je n'étais certainement pas obnubilée par le calendrier; c'était un simple point de départ pour la discussion.

Nous avons tenu ces dernières semaines un certain nombre de séances très instructives. Nous avons tous convenu de la nécessité et de l'intérêt de la protection des espèces en péril au Canada. Je fais donc cette proposition pour que nous utilisions au mieux notre temps de manière à ce que le ministre soit invité à la fin de la comparution du groupe de témoins et que nous puissions avoir de bonnes discussions. Je vois que les questions posées par les membres du comité nous montrent bien qu'ils s'intéressent en priorité à certains domaines précis du projet de loi.

Nombre de mémoires qu'on nous fait parvenir ont déjà été présentés devant un comité qui a précédé le nôtre. Certains d'entre eux se réfèrent encore au projet de loi C-33 et non pas au projet de loi C-5. Il m'apparaît donc très clairement que sept ans de travail et de réflexion ont déjà été consacrés à ce projet de loi. Tout cet historique explique ma proposition. J'aimerais bien savoir ce qu'en pense le comité.

Le président: Merci, madame Redman.

Il n'y a qu'une petite précision à apporter. J'aimerais ajouter à ce que vous venez de dire que les seuls témoins entendus par le comité précédent au sujet du projet de loi C-33 étaient les représentants des gouvernements et de deux ONG seulement. Autrement dit, ce seront en grande majorité de nouveaux témoins qui vont être entendus, même par les députés qui siégeaient déjà au sein du comité avant la fin de la dernière législature.

J'ai sur ma liste M. Mills, M. Herron, Mme Kraft Sloan, Mme Scherrer, M. Bigras et M. Comartin.

M. Bob Mills (Red Deer, AC): Très brièvement, ce qui me préoccupe—et je dois vous dire moi aussi que je ne siégeais pas au comité auparavant et que toute cette question de témoins est nouvelle pour moi—c'est qu'à mon avis nous avons besoin de temps pour assimiler tout ce que nous entendons et pour faire le tour de toutes les dispositions de ce texte en posant nos questions. Bien entendu, alors que nous ne disposons que de huit heures pour entrer chez nous en fin de semaine, le vendredi ne nous plaît pas trop.

• 0920

Je pense que ce qu'il nous faut craindre surtout, c'est un problème de communication. Si les gens ont l'impression que l'opération s'est faite à la sauvette, j'ai bien peur que cela suscite des oppositions. J'aimerais donc que nous prenions notre temps pour être sûrs de faire un bon travail parce que nous voulons tous nous doter d'une loi qui donne des résultats. Je crains fort que nous ayons des difficultés si nous entendons des témoins quatre jours par semaine et si nous donnons l'impression de faire les choses à la va-vite.

Le président: Monsieur Herron.

M. John Herron (Fundy—Royal, PC): Monsieur le président, je suis d'accord avec l'orientation que Mme Redman cherche à donner aux délibérations de notre comité de manière à ce que ce projet de loi soit examiné le plus rapidement possible. Toutefois, les observations de M. Mills sont elles aussi tout à fait judicieuses. Si l'on donne l'impression d'examiner ce projet de loi à toute vitesse, nous risquons de nous aliéner dans une large mesure l'opinion canadienne. Je souscris donc aux arguments de M. Mills.

Je propose—c'est une simple suggestion, monsieur le président—que Mme Redman retire sa motion. Au sein de notre groupe, de notre équipe—on peut dire que l'entente a été bonne jusqu'à présent entre les membres du comité—il serait peut-être préférable de se réunir un lundi lors d'une séance marathon après avoir aménagé nos horaires à l'avance et d'entendre toute une série de témoins de 8 à 9 heures du matin jusqu'à 19 heures éventuellement—il s'agirait d'un lundi convenu à l'avance. Ce que les députés peuvent reprocher à mon avis à la proposition de Mme Redman, c'est qu'elle est éventuellement trop précise—le fait de fixer le lundi et le vendredi alors qu'il nous faudrait... avec une date limite... c'est trop nous demander.

Je lui propose bien amicalement qu'elle retire provisoirement sa motion pour que nous puissions éventuellement passer à la vitesse supérieure lors d'un jour donné. Nous pourrions ainsi nous efforcer d'examiner ce projet de loi le plus rapidement possible, mais sans toutefois que les gens aient l'impression que nous cherchons à court-circuiter la procédure.

Ce sont là mes commentaires, monsieur le président.

Le président: Très bien. Je vous remercie.

Nous allons maintenant entendre Mme Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Bien, monsieur le président.

En premier lieu, lorsque nous l'avons examiné avant l'élection, le projet de loi C-33 n'était pas étudié en comité, de sorte que les témoins qui se sont présentés éventuellement devant le comité n'ont pas pu en discuter. Ils n'ont pu parler que de la question en général des espèces en voie de disparition. Donc, pour commencer, nous n'avons pas eu de témoins qui se sont présentés devant notre comité pour traiter de ce projet de loi en particulier.

En second lieu, monsieur le président, qu'en est-il de notre calendrier de travail? J'entends des gens nous dire qu'il nous faut le comprimer. A-t-on élaboré un calendrier? Comme vous le savez, monsieur le président, cela fait deux jours que nous sommes absents tous les deux, depuis que cette motion a été déposée mardi devant le comité. Il serait donc utile que nous puissions en fait, je suppose que les autres membres du comité en ont un exemplaire—voir ce calendrier. Je suis arrivée à Ottawa hier soir. Je m'inquiète particulièrement au sujet des engagements antérieurs que j'ai pris envers les gens de ma circonscription, par exemple.

Je vous remercie.

M. John Herron: Puis-je invoquer rapidement le Règlement, monsieur le président, sans vouloir offenser Mme Kraft Sloan?

Même si je demande à Mme Redman de retirer aujourd'hui sa motion, je dois dire à sa décharge qu'elle a choisi de ne pas en discuter hier parce que le président et d'autres membres du comité, qui se sont toujours montrés très assidus, étaient absents. C'est pourquoi elle a attendu un jour de plus. Je lui demande quand même de la retirer, mais elle s'est efforcée de la présenter de bonne foi.

Le président: Je vous remercie.

Mme Karen Kraft Sloan: M. Herron interprète mal mes propos. J'ai simplement dit que je n'étais pas là mardi et mercredi. La motion a été déposée mardi. Le président et moi-même étions absents mardi. Je cherche maintenant à voir le calendrier de travail...

[Note de la rédaction: Inaudible]

M. John Herron: ...

Mme Karen Kraft Sloan: Merci, monsieur Herron, je suis heureuse de voir que les conservateurs reconnaissent la prééminence du Parti libéral du Canada.

J'en déduis qu'il faudrait se réunir le vendredi. J'ai déjà dû m'adapter à des calendriers chargés au sein de ce comité, mais voilà qui est tout à fait inhabituel.

Le président: Très bien, nous allons poursuivre la discussion.

Monsieur Bigras.

[Français]

M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Je vous remercie, monsieur le président.

Je veux redire ce qui a déjà été dit. Moi aussi, je suis un nouveau membre au comité. Je n'ai pas eu la chance, jusqu'à maintenant, d'étudier ce projet de loi. Plus on avance, plus je me rends compte qu'il est technique. On va avoir besoin d'y apporter un certain nombre d'amendements. Afin d'être capables de faire ça, il va falloir que l'on ait la chance de digérer le projet de loi et de bien l'assimiler afin d'être en mesure d'y proposer des amendements constructifs. Ça, c'est mon premier point.

• 0925

Deuxièmement, on nous arrive avec une motion comme celle-là... On planifie nos sessions de travail, non seulement par rapport à notre travail en comité et à notre travail parlementaire, mais aussi par rapport à notre travail dans notre comté. Je me suis engagé à rencontrer mes contribuables et mes concitoyens à mon bureau de comté le vendredi. Ça, ce n'est pas négociable. Donc, il n'est pas question que je participe à des séances le vendredi alors que j'ai planifié toute ma session parlementaire sur la base d'un travail qui se ferait du lundi au jeudi. Ça avait été entendu avec les whips.

Troisièmement, la majorité gouvernementale, je comprends bien ça. Combien de fois le projet de loi est-il mort au Feuilleton? Si ça avait été un projet de loi prioritaire, il aurait été adopté il y a déjà plusieurs mois, et on n'en serait peut-être pas là aujourd'hui.

Le président: Je vous remercie, monsieur Bigras.

Monsieur Comartin.

[Traduction]

M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président.

J'imagine que c'est ce qui arrive lorsqu'on est assez en retard—je ne vais pas répéter ce que d'autres intervenants ont déjà dit, je dirais simplement quelques mots. Je suis moi aussi un nouveau membre. Nous sommes assaillis d'une quantité d'informations nouvelles.

Je voudrais en revenir à l'observation que M. Bigras vient de faire au sujet des amendements. Comme lui, je considère que ce projet de loi exige de nombreux amendements, certains étant relativement mineurs et de pure forme, et d'autres portant sur des points tout à fait essentiels. Je ne peux pas imaginer que nous puissions avoir une vue d'ensemble avant d'avoir entendu tous les témoins, et il faut que ce soit fait de manière raisonnable. C'est pourquoi je suis réticent face au calendrier proposé par M. Herron. Le travail d'audience devant les tribunaux m'a appris qu'on ne peut tout simplement pas procéder ainsi; on ne peut pas assimiler toute cette information. N'importe quel juge ayant suffisamment d'expérience vous le dira et je pense, monsieur le président, que vous avez exprimé les mêmes sentiments par le passé. La quantité d'information que l'on peut absorber en une seule séance ou en un seul jour est limitée.

Je tiens à préciser, parce que personne d'autre ne l'a fait—c'est la façon dont j'envisage la situation pour l'instant—que nous n'allons pas entendre tous les témoins et procéder à l'étude article par article avant l'automne. Je ne peux pas imaginer que nous puissions y parvenir avant. Je pense que si nous acceptions cette réalité—et je recommande que nous le fassions—nous pourrions organiser la réunion proposée par M. Herron et essayer d'arrêter un calendrier plus raisonnable.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, le président est d'accord avec vous.

Monsieur Reed.

M. Julian Reed (Halton, Lib.): Monsieur le président, voilà sept ans que l'on cherche à traiter cette question en ces lieux. J'ai l'impression qu'il y a toujours de nouveaux membres qui arrivent au sein des comités. La presse commence à se demander si nous ne nous contentons pas de nous réunir pour faire la manchette des journaux sans faire rien de concret. Cette motion s'efforce de toute évidence d'encadrer notre travail parce que les enjeux apparaissent assez clairement et qu'il n'y a pas beaucoup de divergences entre les témoins. Telle ou telle catégorie de témoins va s'intéresser à un sujet donné mais, à mesure des comparutions, les enjeux se simplifient. Je vous avoue bien franchement que je n'ai pas l'intention de siéger encore ici dans sept ans pour entendre que nous n'avons pas suffisamment de temps à consacrer aux travaux de notre comité parce que nous avons d'autres obligations, et autres choses de ce genre. Nous avons tous d'autres choses à faire. Je suis disposé à traiter cette question en priorité.

Il est possible que le calendrier présenté dans cette motion ne soit pas parfait et qu'il faille éventuellement le modifier, comme l'a fait remarquer M. Herron. Toutefois, soyons sérieux, nous ne réussirons pas à faire grand-chose si nous... Nous pouvons toujours reporter cette étude à l'automne, prendre ensuite le congé de Noël, reporter l'étude au printemps suivant, et finalement ne jamais en voir le bout. Il y aura alors de nombreux incrédules, au sein de la population canadienne, pour nous reprocher d'avoir fait preuve de mauvaise volonté au départ.

• 0930

Le président: Madame Scherrer.

[Français]

Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Moi aussi, je suis nouvelle au comité et j'avais l'impression, mais je me trompe peut-être, que l'objectif de tous les membres de ce comité et des témoins était de s'assurer que cette loi entre en vigueur le plus rapidement possible, étant donné qu'on l'attend depuis si longtemps. On risque de perdre certaines espèces en péril en laissant les choses traîner pendant quatre, cinq, six ou sept ans. J'avais l'impression que c'était le message que j'entendais partout.

Je reconnais aussi l'effort de Mme Redman quand elle essaie de faire en sorte qu'on puisse entendre la majorité des témoins au cours de cette session. En tant que nouvelle députée, j'apprécierais beaucoup avoir la possibilité de réentendre tout le monde pour bien comprendre le projet de loi. Par contre, je comprends la réalité: il va bien falloir qu'on réussisse à adopter ce projet de loi. Je pense que l'objectif des membres du comité et de tous les témoins qu'on a entendus était d'adopter une loi qui va protéger les espèces en péril avant qu'on en perde en cours de route.

Je ne sais pas quelle est la proposition. Je ne détestais pas la proposition de M. Herron, qui disait que nous devions nous concentrer là-dessus pendant un certain temps. Je ne sais pas si on devrait faire un certain screening des gens. À deux reprises, j'ai entendu quelqu'un dire que c'était la cinquième fois qu'il présentait son mémoire. Un autre est venu et m'a dit que c'était la troisième fois qu'il présentait son mémoire. Je l'apprécie, parce que pour moi, c'est la première fois que j'entends ces mémoires, mais je me demande si, chaque fois qu'il y a quelqu'un de nouveau, on doit recommencer au début.

Je suis prête à faire une concession, celle de lire les textes si c'est nécessaire et de poser les questions nécessaires, si c'est la cinquième fois que les gens l'entendent, et de prendre en considération les documents qu'on a déjà reçus de la Bibliothèque, dans lesquels on nous fait part de tous les amendements qui ont déjà été proposés par les gens.

Je ne sais pas ce qu'on doit faire, mais il ne faut pas oublier que notre objectif premier, en tant que comité, est de s'assurer que la loi soit le plus parfaite possible, mais en tenant compte du fait qu'elle sera probablement imparfaite en bout de ligne, de toute façon. Je suis prête à me concentrer là-dessus. Cinq jours, c'est très long, mais si on pouvait se concentrer pendant ces journées pour en terminer, je serais d'accord qu'on se donne pour objectif d'adopter le projet de loi cette session-ci.

[Traduction]

Le président: On part du principe que la session prend fin en juin. Elle ne prend pas fin en juin; elle peut se prolonger pendant des années. La session ne prend fin qu'à partir du moment où le gouvernement le décide.

Nous avons eu une excellente discussion. Je ne vois personne d'autres qui veut prendre la parole.

Madame Redman, voulez-vous déposer votre motion ou est-ce que cette discussion vous satisfait?

Mme Karen Redman: Je tiens à ce que l'on réaffirme la volonté collective des membres de notre comité de traiter des questions de fond de ce projet de loi et de rappeler que nous avons déjà indiqué notre intention de faire du temps supplémentaire.

Je tenais à ce que la discussion s'engage. Je suis tout à fait disposée à ne pas déposer la motion pour l'instant et à continuer à discuter avec les autres membres du comité pour considérer éventuellement—et je sais que nous allons faire une pause de deux semaines—les domaines du projet de loi qu'ils jugent fondamentaux ainsi que les modifications qu'ils sont prêts à apporter à notre échéancier.

Mon intention était de jeter les bases de la discussion. Je n'ai pas manqué d'apprécier que mes collègues aient bien compris que je ne cherchais absolument pas par là à entraver le comité dans son travail, et c'est pourquoi j'ai donné un préavis jeudi dernier. Nous avons effectivement abordé le sujet au cours de deux séances cette semaine et reporté la chose en attendant que le comité puisse en discuter dans son ensemble.

Le président: Je vous remercie.

Cela étant, nous pouvons considérer que tout a été dit. Nous étudierons la proposition de M. Herron, à savoir si les membres du comité sont prêts à organiser une séance marathon un lundi en tenant compte de l'observation faite par M. Bigras, et je suis pleinement d'accord avec lui, qui nous a fait remarquer que lorsqu'on organise plus de trois séances par semaine, la quantité d'information à assimiler est considérable.

• 0935

Je pense qu'il a parlé de digérer l'information, employant un terme que la culture française a inventé bien avant toutes les autres. Par conséquent, l'organisation d'une telle séance le lundi cause des difficultés lors des séances suivantes lorsqu'il faut bien assimiler tout ce qui a été entendu ce jour-là.

Voilà qui met fin à notre discussion—je vous remercie. Nous allons maintenant entendre les témoins.

J'ai le grand plaisir d'accueillir Brock Evans, directeur exécutif, et William Snape III, conseiller juridique, de l'Endangered Species Coalition des États-Unis; R.J. Smith, spécialiste des questions environnementales du Competitive Enterprise Institute; et enfin, M. Claudio Torres Nachón, du Centre mexicain du droit de l'environnement et de l'intégration économique du Sud. Bienvenido, mucho gusto.

Enfin, pour représenter l'International Wildlife Management Consortium, qui se trouve quelque part dans le monde, nous n'en savons pas l'adresse exacte, nous accueillons M. Eugene Lapointe, son président. Lorsque vous nous ferez votre exposé, nous vous demanderons de nous préciser à quel endroit de cette planète vous vous trouvez.

Qui va intervenir en premier? Vous pouvez prendre la parole, éventuellement pendant dix minutes.

M. Brock Evans (directeur exécutif, U.S. Endangered Species Coalition): Merci, monsieur le président.

Vous n'avez peut-être pas mon mémoire devant vous, mais il vous donne quelques précisions nous concernant. Notre organisation en chapeaute d'autres. Nous représentons quelque 430 organisations religieuses, associations scientifiques, organisations écologiques, associations de chasseurs et de pêcheurs et autres institutions des États-Unis. Nous avons été fondés en 1982 et nous avons pour mission de protéger la biodiversité aux États-Unis.

Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que tous les membres de votre comité, de nous avoir fait l'honneur de nous inviter pour vous faire part de notre expérience aux États- Unis et nous vous félicitons d'avoir entrepris cette tâche importante qui consiste à transmettre aux générations futures votre riche patrimoine biologique.

Nous venons ici vous faire part de l'expérience des États-Unis au sujet de la protection des espèces et des lois correspondantes, notamment de notre propre Loi de 1973 concernant les espèces en péril.

Nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas présumer de ce que doit faire le Canada de son propre patrimoine biologique. La culture, l'histoire et les traditions de nos deux pays sont différentes. Étant donné, toutefois, que vous vous apprêtez à mettre en place une loi adaptée aux besoins et au système politique propres au Canada, nous pensons pouvoir vous faire profiter de notre expérience. Nous pouvons vous offrir les leçons tirées des 28 ans d'application de notre loi.

Cela fait 28 ans que nous avons adopté notre propre Loi sur les espèces en péril. Nous considérons que ce fut une grande réussite et je vous en donnerai un peu plus tard les raisons dans cet exposé.

Tout d'abord, vous le savez certainement, les Américains ont le sentiment qu'ils ont grandement intérêt à ce que le Canada promulgue une loi détaillée et bien adaptée à ses besoins, car de nombreuses espèces sont communes à nos deux pays et se déplacent entre les frontières. Nous vous félicitons de vous pencher sur cette question et nous vous souhaitons le meilleur succès dans l'adoption d'une loi qui protège véritablement le riche patrimoine de plantes et d'animaux sauvages de votre pays, réputé dans le monde entier.

Pour ce qui est de la situation américaine, d'après les renseignements dont nous disposons, plus de 300 espèces d'oiseaux, de poissons et de mammifères migrent ou se déplacent entre nos deux pays. Certaines de ces espèces sont très communes et ne sont apparemment pas en danger de disparaître ou de voir leur santé diminuer. D'autres sont considérées comme très vulnérables, menacées ou en péril. D'après les renseignements fournis par le U.S. Fish and Wildlife Service, 44 de ces espèces transfrontalières figurent actuellement sur la liste des espèces menacées ou en péril conformément à notre Loi sur les espèces en péril. J'en ai apporté la liste, qui constitue l'annexe A de mon exposé, et que vous devez avoir devant vous.

Comme vous le savez, cette liste désigne les espèces et leur habitat essentiel qui bénéficient d'un haut degré de protection en vertu de la loi américaine. Dans le langage technique de notre Loi sur les espèces en péril, ces espèces ne peuvent être prises, c'est-à-dire qu'on ne peut ni les tuer ni détruire l'habitat dont elles ont besoin pour survivre, sinon pour se rétablir. Cette interdiction est catégorique en ce qui concerne les actions et les activités de nos organismes fédéraux. Une interdiction semblable s'applique aux organismes privés, y compris les sociétés, et ne peut être modifiée que si ces organismes se procurent un permis de prise, qui doit être négocié avec le gouvernement.

• 0940

Voilà pourquoi les États-Unis sont intéressés à vos réalisations: si l'on tue des membres d'espèces protégées en vertu de la loi américaine et gérées de façon à assurer un rétablissement complet des populations afin de pouvoir ultérieurement les retirer de la liste, ou que leur habitat est endommagé lorsqu'elles traversent au Canada, l'investissement biologique de notre pays dans ces espèces est miné, de façon irréparable dans certains cas. C'est pourquoi nous sommes venus vous encourager et vous souhaiter le plus grand succès.

Les actions que mène le Canada actuellement présentent un grand intérêt pour les contribuables américains. En effet, aux États-Unis, des millions de dollars de recettes fiscales ont déjà été investis au cours des 30 dernières années dans des actions visant à protéger bon nombre des espèces communes à nos deux pays et à en rétablir les populations. Je vous répète que nous ne pouvons, et ne présumons pas pouvoir dire au Canada comment agir sur son propre sol. Nous vous encourageons toutefois vivement à faire tout ce qui est en votre pouvoir pour adopter une loi qui garantira la protection de ces espèces transfrontalières.

Mesdames et messieurs, je vais maintenant faire quelques observations au sujet des effets positifs de la Loi sur les espèces en péril aux États-Unis. Grâce au régime de protection de la biodiversité prévu dans notre loi, deux effets positifs ont été constatés dans l'ensemble des États-Unis au cours des 27 ou 28 dernières années, depuis l'adoption de la loi: premièrement, le déclin rapide de nombreuses espèces en péril a été ralenti ou, dans certains cas, arrêté complètement; deuxièmement, certaines espèces sont maintenant en voie de rétablissement car leurs habitats vitaux sont protégés et les activités néfastes ont été atténuées ou stoppées.

J'ai joint deux annexes à mon mémoire. J'en ai ici quelques copies supplémentaires pour ceux qui en ont besoin.

L'annexe A, qui s'intitule Vers un rétablissement des populations, dresse la liste de 13 espèces, comme la fauvette des prés, qui sont désormais en bonne voie de rétablissement. Il y a aussi le condor de la Californie.

J'ai aussi un autre document, dont la photocopie n'est pas aussi bonne. Il s'intitule L'Amérique, leader mondial de la protection des espèces en voie d'extinction. On y donne des exemples, accompagnés de photographies, des espèces qui ne s'en sortent bien que parce que nous avons adopté il y a 28 ans une loi sur les espèces en péril.

Somme toute, notre Loi de protection des espèces en péril, bien que loin d'être parfaite, a donné les résultats escomptés dans le Congrès américain. Les espèces menacées d'extinction sont recensées au moyen des meilleurs renseignements scientifiques dont nous disposons. Elles sont inscrites sur la liste lorsque, selon les scientifiques—et non les politiciens—elles paraissent en voie d'extinction. La loi stipule clairement qu'à partir du moment où elles figurent sur la liste, leur habitat essentiel doit être établi et, comme nous l'avons mentionné précédemment, tous doivent mener leurs activités de façon à ne pas compromettre davantage les chances de survie de l'espèce.

Nous pouvons tous constater les résultats positifs de cette action soutenue, non seulement sur les plantes et les animaux sauvés d'une disparition certaine, mais aussi les millions d'acres qui constituent leurs principaux habitats: dunes côtières, forêts anciennes, marécages, paysages désertiques et précieux espaces ouverts entourés de banlieues en expansion qui constituent, comme vous le savez, un gros problème dans notre pays. Tous ces habitats vitaux et le patrimoine culturel inestimable qu'ils constituent n'existent encore aujourd'hui que grâce à l'adoption d'une loi très claire.

En adoptant leur Loi sur les espèces en péril, les États-Unis ont résolument déclaré qu'ils ne permettront pas, s'ils peuvent l'éviter, que d'autres espèces vivant sur leur territoire ne disparaissent. C'est le pouvoir que la loi nous confère.

Le chapitre suivant, que je vais sauter, monsieur le président, parce que nous manquons de temps, retrace l'évolution de la Loi sur les espèces en péril aux États-Unis. Nous tenions à faire savoir au comité que la loi de 1973, qui contient les dispositions en vigueur aujourd'hui, n'est pas apparue subitement du jour au lendemain.

La loi actuelle est le résultat de deux tentatives faites antérieurement, sans succès, pour protéger les espèces en péril sur notre territoire. La principale d'entre elles est la loi de 1966, dont je parle à la page 3 de notre mémoire. Pour l'essentiel, cette loi était d'application facultative. On nous disait que ce serait une bonne chose de protéger les espèces en péril et on nous priait de le faire. On priait ainsi les États et les organismes fédéraux d'agir, mais ce n'était que des voeux pieux. Je n'en dirai pas plus. Vous trouverez davantage de détails dans mon mémoire. Ce fut tout simplement un échec. Il en a été de même pour les modifications adoptées en 1969, qui ont constitué la deuxième tentative.

En 1973, on s'est rendu compte que la préservation des espèces en péril aux États-Unis nécessiterait des actions beaucoup plus globales. On s'est rendu à l'évidence: l'extinction d'une espèce est définitive et pour la prévenir, on ne peut compter ni sur le bon vouloir des États, des organismes fédéraux ou des particuliers à prendre des mesures, ni sur les bonnes intentions de quiconque.

Le seul moyen d'éviter véritablement la disparition d'une espèce est de conférer à une seule entité—le gouvernement fédéral—le pouvoir ultime de la protéger, et de confier à cette entité le mandat de prendre les mesures nécessaires. C'est la leçon tirée de notre loi. La plupart des États, en particulier ceux où se trouvaient la plupart des espèces menacées, n'avaient tout simplement pas la volonté politique voulue pour agir de leur propre initiative. Nous pourrons en reparler plus tard.

• 0945

Voici comment on peut résumer cette loi. La loi disposait qu'à l'avenir, la responsabilité ultime de protéger les espèces en péril appartiendrait au gouvernement fédéral et non plus aux États. Elle disposait également que tous les organismes fédéraux doivent protéger les espèces en péril et elle établissait un processus précis pour conserver leur habitat, qui reposait non pas sur les pressions politiques exercées mais uniquement sur des critères scientifiques. Elle autorisait les citoyens ordinaires à faire respecter les objectifs de la loi.

Les échecs des lois de 1966 et de 1969 nous ont appris qu'une approche volontaire, tout en constituant un bon point de départ, ne donnait pas nécessairement des résultats. Il faut avoir la garantie de l'application de la loi lorsque rien d'autre ne donne des résultats, et c'est ce que notre loi nous a permis de faire.

Nous avons constaté que peu de listes seront établies si les décisions finales sont laissées aux politiciens et non aux scientifiques, car de puissants intérêts économiques viendront toujours faire obstacle. Nous avons apporté certaines modifications à notre loi pour faciliter la prise en compte des intérêts économiques, et j'en cite quelques-unes à la page 6 de mon mémoire.

Nous avons appris que l'habitat nécessaire à une espèce pour survivre doit faire l'objet de mesures de protection sur toutes les terres. On n'empêche pas l'extinction d'une espèce par la seule interdiction de tuer des individus qui en font partie.

La loi doit aussi être appliquée et ce, pas seulement par le gouvernement fédéral. Sinon, des pressions politiques seront trop souvent exercées et le gouvernement refusera lui aussi d'agir.

Comme nous l'avons montré, la Loi des États-Unis sur les espèces en péril a eu des effets remarquables et très positifs sur l'écologie. Elle a protégé de l'extinction de nombreuses espèces, certaines inscrites sur la liste et d'autres pas, qui étaient en voie de disparaître. Grâce à cette seule loi, certaines d'entre elles ont commencé à se rétablir. Dans toutes les régions des États-Unis, des millions d'acres d'habitats essentiels abritant une grande diversité d'espèces qui, autrement, auraient été voués à l'exploitation minière et forestière ou pavés sont maintenant protégés. L'opération n'a pas été facile ni exempte de controverses, mais elle a bien donné les résultats escomptés.

Je demande à ceux qui protestent ou qui se plaignent de certains défauts de la loi ce que serait notre pays sans une Loi sur les espèces en péril. Quelles sont les espèces qui subsisteraient? De quels habitats disposerions-nous encore? Je peux vous garantir, tout particulièrement dans les zones en pleine expansion du sud-ouest de notre pays, qu'il resterait très peu d'espèces ou d'habitats intacts.

Je conclurai en disant que la loi a certes été controversée. Nos législateurs ont pris consciemment la décision d'affirmer que la biodiversité était une chose précieuse dans notre pays et qu'elle serait intégralement protégée si c'était dans l'intérêt public et si nous avions les moyens de le faire. Cette affirmation a été faite il y a près de 28 ans.

Notre Congrès a cherché à maintes reprises, tout particulièrement au cours des six dernières années, à abroger ou à affaiblir cette loi. Il n'y est jamais parvenu. Je pense que les conclusions politiques sont faciles à tirer. Cette loi bénéficie d'une très grande popularité au sein de la population américaine. Je dis souvent que bien des gens n'aiment pas la loi mais que la population elle-même l'adore. C'est ce qu'ont montré tous les sondages. Chaque fois que le législateur a cherché à l'abroger ou à l'affaiblir, il a presque toujours échoué. La loi est toujours en vigueur.

Pour finir, monsieur le président, je ferais observer que les conséquences les plus profondes de la Loi des États-Unis sur les espèces en péril se sont fait sentir non seulement sur notre territoire et sur notre précieux patrimoine biologique, que nous avons désormais la chance de transmettre à nos générations futures, mais aussi sur la population américaine elle-même. Même les poursuites qui apparaissent controversées, l'établissement des listes, les manchettes et autres manifestations font de plus en plus comprendre aux gens qu'il y a là un enjeu et les appuis se multiplient. Nous n'avons absolument aucune difficulté à trouver de nombreux appuis pour défendre aujourd'hui la loi dans la conjoncture politique actuelle.

Vous trouverez à l'annexe D, que vous n'avez peut-être pas devant vous, plusieurs éditoriaux en provenance de différents journaux nationaux, notamment le Chicago Tribune, un journal très conservateur, le Baltimore Sun et le New York Times, ce qui montre bien tout l'appui que recueille la loi dans la population et dans les médias.

Voilà qui met fin à notre exposé. Il reste bien des choses à dire. J'attends avec impatience vos questions. Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Evans, de cet exposé concis et pertinent. Il s'est révélé plein d'enseignements.

Qui est le prochain intervenant? Monsieur Smith, soyez le bienvenu.

M. R.J. Smith (spécialiste des questions environnementales, Competitive Enterprise Institute): Monsieur le président, je tiens à vous remercier, vous et les membres du comité, de m'avoir invité à témoigner au sujet de ce texte de loi.

• 0950

Je considère qu'il est de la plus haute importance que vous entendiez un certain nombre de points de vue divergents en provenance des États-Unis concernant l'échec ou la réussite de notre loi et j'espère pouvoir vous aider dans vos décisions lorsque vous chercherez à protéger vos espèces au Canada.

Voici ce qu'écrit René Dubos, un éminent écologique:

    Étant donné qu'il y a d'infinis moyens de se tromper et une seule façon de bien faire les choses, le mieux que nous ayons à faire pour régler les problèmes contemporains et ceux de l'avenir est de tirer les leçons des succès du présent.

Le corollaire, c'est qu'il faut tirer les leçons des échecs du présent.

Nous nous connaissons depuis longtemps avec Brock Evans, et je pense pouvoir dire que nous sommes amis, mais nous avons des points de vue assez différents concernant le fonctionnement de cette loi et la façon de l'améliorer.

Je dirais que 28 ans après son adoption, la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition soulève de nombreuses polémiques, qu'il y a huit ans qu'elle attend d'être reconduite et que le Congrès ne parvient pas à corriger cette situation catastrophique. Surtout, sur le plan des politiques publiques, cette loi a été un échec—une catastrophe totale et sans remède.

Si l'on avait voulu délibérément se doter d'une loi portant préjudice à la faune, détruisant l'habitat et décourageant les propriétaires privés de protéger la faune sur leurs propres terres, il aurait été difficile de faire mieux qu'avec la Loi sur les espèces en voie de disparition aux États-Unis. Cette loi a porté un énorme préjudice à nombre des espèces qu'elle était justement chargée de protéger.

Après avoir analysé la liste des espèces en voie de disparition, je constate qu'en fait, au bout de 25 ans, aucune espèce ne s'est complètement rétablie et n'a été retirée de la liste en raison de la seule application de la loi elle-même sur les espèces en voie de disparition. Cette loi a bien entendu pour objectif de dresser la liste des espèces en voie de disparition, de les aider à se rétablir et de les retirer ensuite de la liste. Sur les 1 400 espèces recensées par la loi, on en a retiré tout au plus 27 de la liste. On en a écarté récemment quelques-unes de plus, mais l'analyse reste la même.

Selon le Fish and Wildlife Service des États-Unis, qui est chargé d'administrer et de faire appliquer la loi, sept de ces 27 espèces ont été retirées de la liste parce qu'elles ont disparu alors qu'elles étaient répertoriées. Il n'y a certainement pas de quoi se vanter de ce résultat. Ce même service signale aussi que neuf espèces ont été retirées de la liste en raison de données erronées, ce qui signifie qu'elles n'auraient jamais dû figurer sur la liste au départ. Lorsqu'on a procédé par la suite à une enquête, on s'est aperçu qu'elles ne réunissaient pas les conditions pour figurer sur la liste.

De plus en plus, des erreurs matérielles de ce type mettent en lumière les lacunes tragiques de la loi. Étant donné que la loi donne tout pouvoir pour arrêter toute plantation, tout aménagement ou tout projet sur des terres publiques ou privées lorsqu'ils sont susceptibles de porter préjudice à une espèce, les milieux écologistes ont avant tout tiré parti de la loi pour contrôler sans bourse délier l'aménagement des terres fédérales à l'échelle nationale.

Dès que les écologistes veulent bloquer la construction ou l'aménagement d'un barrage, d'une route, d'un aéroport ou d'un hôpital du gouvernement, ou empêcher un propriétaire privé de couper des arbres sur sa propre propriété, de construire une maison ou de labourer un champ, ils dénichent un animal ou une plante obscure, que personne ne connaît, et propose son inscription sur la liste des espèces en péril. Une fois que l'espèce est classée et que le projet est arrêté, les études systématiques et détaillées que font ensuite sur le terrain les biologistes professionnels permettent souvent de découvrir un grand nombre d'individus de l'espèce en cause alors qu'on n'avait pas voulu les voir au départ dans la hâte de bloquer le projet. Les biologistes du Fish and Wildlife Service se mordent alors les doigts et retirent habituellement l'espèce en cause de la liste en faisant état d'une erreur statistique. L'opération peut s'avérer bien entendu très coûteuse et gênante.

Enfin, sur les 27 espèces qui ont été retirées à l'origine de la liste, le service fait état d'un rétablissement pour 11 d'entre elles. Toutefois, des analyses approfondies et des entretiens avec une foule de biologistes et de fonctionnaires du gouvernement aux États-Unis et dans d'autres pays nous révèlent clairement qu'aucune des espèces que le Fish and Wildlife Service des États-Unis affirme s'être rétablie n'a enregistré en fait de véritable rétablissement. Pour huit d'entre elles, il y a là plus ou moins des erreurs statistiques commises au départ, que le service ne veut pas reconnaître, et pour les autres, la population s'est en fait rétablie pour des raisons autres que l'application de la Loi sur les espèces en voie de disparition. Le service n'est donc pas fondé à s'octroyer le mérite de leur rétablissement.

Ainsi, la baleine grise s'est rétablie parce que les États- Unis ont arrêté la pêche à la baleine des dizaines d'années avant l'adoption de la Loi sur les espèces en voie de disparition. Le faucon pèlerin, le pélican brun et l'aigle à tête blanche se sont rétablis parce qu'avant l'adoption de la Loi sur les espèces en péril, l'Agence de protection de l'environnement des États-Unis a interdit l'usage du DDT, qui avait sérieusement remis en cause la capacité de reproduction de ces espèces.

Aucune espèce ne s'est donc rétablie en raison uniquement de la Loi sur les espèces en voie de disparition. Sept des 27 espèces classées sur la liste ont disparu, 17 résultaient d'erreurs statistiques et les autres se sont rétablies pour des raisons autres que les dispositions de la loi.

• 0955

La raison—la faille rédhibitoire de la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition—c'est que cette loi a servi avant tout de moyen de contrôle gratuit de l'utilisation des terres du pays et non pas de moyen de protection des espèces rares.

Pratiquement d'un bout à l'autre du pays, les propriétaires fonciers qui se trouvent avoir des terrains abritant des espèces menacées ou en voie de disparition—ou simplement des terrains dont les habitats pourraient être utilisés par des espèces en voie de disparition si elles s'y trouvaient—se voient régulièrement empêcher de se servir de leur terrain ou de leur propriété, y compris lorsqu'il s'agit d'exercer des activités telles que la coupe de leurs propres arbres, la plantation de leurs cultures, le pâturage de leur bétail, le puisage de l'eau alors qu'ils disposent de droits d'irrigation de leurs champs, le débroussaillage le long des clôtures, le dégagement des abords de leur maison dans les zones sujettes aux incendies, l'établissement de clairières autour de leur maison et de leurs granges, ou même la construction d'une maison.

La leçon qu'en tirent les propriétaires de terrains privés en Amérique, c'est que plus le propriétaire soigne son terrain, plus il en fait un habitat pour la faune, plus il risque d'être sanctionné en perdant l'usage de ses terrains privés.

On vous enseigne dans vos premiers cours d'économie que lorsqu'on veut avoir moins de quelque chose, on la pénalise ou on la taxe. Si vous en voulez davantage, vous la subventionnez ou vous la récompensez. La Loi sur les espèces en voie de disparition pénalisant les activités de conservation et de bonne intendance menée par les propriétaires privés, ces derniers cessent d'en faire. C'est particulièrement le cas dans les régions du pays où les espèces en voie de disparition sont les plus répandues et où les difficultés sont les plus grandes.

Il s'agit par exemple des forêts de pins du sud-est des États- Unis, des collines boisées du Texas, des collines et des vallées côtières du sud de la Californie, de certaines régions forestières de la côte du nord-ouest du Pacifique et, plus récemment, des régions marécageuses et des berges des cours d'eau du sud-ouest des États-Unis.

Les propriétaires ne peuvent pas se permettre d'affecter une bonne partie de leurs terrains à l'habitat de la faune. Leurs terrains risqueraient alors de perdre toute leur valeur et leur usage économique et, en dépit du premier amendement de la Constitution des États-Unis et de la juste indemnisation que cette Constitution exige, ils ne seront aucunement indemnisés de cette perte.

D'ailleurs, par peur des conséquences de la loi, nombre de propriétaires fonciers s'empressent de supprimer toute forme d'habitat, stérilisant leurs terres, surtout lorsqu'il s'agit d'habitats susceptibles d'être utilisés par des espèces en voie de disparition. Voilà qui n'aide pas beaucoup les espèces en voie de disparition à se rétablir. La chose est bien connue, même si on en parle très peu. Ce ne sont pas seulement les agriculteurs, les éleveurs, les exploitants forestiers et les propriétaires du pays qui le disent. Les fonctionnaires les plus influents et les plus éminents des services fédéraux de la faune, les fonctionnaires des services de la pêche et de la chasse des États et les principaux responsables des grandes organisations écologiques nationales le savent bien eux aussi.

Voici ce qu'a déclaré Sam Hamilton, le responsable du plan de rétablissement, au sein du Fish and Wildlife Service des États- Unis, d'une espèce rare de fauvettes en voie de disparition, le Viréo à tête noire du Texas, lorsqu'une polémique a été déclenchée au sujet du classement de ces espèces sur la liste:

    L'incitation n'est pas la bonne ici. Si, sur ma propriété, on trouve un métal rare, la valeur de celle-ci augmente, mais si c'est une espèce rare d'oiseau qui l'occupe, sa valeur disparaît. Il faut faire en sorte que ce soit le contraire si l'on veut que le propriétaire souhaite que l'oiseau fréquente son terrain.

L'effet pervers de la Loi sur les espèces en voie de disparition a par ailleurs été relevé par Larry McKinny, directeur de la protection des ressources au ministère des Parcs et de la Faune du Texas. Voici ce qu'il a déclaré:

    Je n'en ai pas la preuve concrète, mais je suis convaincu que l'on a perdu une plus grande partie de l'habitat du Viréo à tête noire, et plus particulièrement de la fauvette à dos noir, dans ces régions du Texas depuis le classement de ces oiseaux sur la liste que ce n'aurait été le cas en l'absence de la Loi sur les espèces en voie de disparition.

Là encore, cette réflexion émane du directeur des programmes de la faune du ministère des Parcs et de la Faune du Texas et non pas d'un éleveur ou d'un propriétaire. Il a pu constater de visu quelles étaient les répercussions de cette loi sur les propriétaires fonciers.

Michael Bean, président du Fonds de défense de l'environnement au sein du programme de la faune, que tous les milieux écologistes considèrent comme étant plus ou moins le grand spécialiste des espèces en péril, a déclaré:

    On constate [...] de plus en plus [...] que les propriétaires privés gèrent délibérément leurs terrains de manière à écarter les difficultés liées aux espèces en péril. Les difficultés qu'ils cherchent à éviter sont celles qui proviennent de l'interdiction faite par la loi de faire disparaître des espèces en péril en modifiant leur habitat. Ils s'efforcent de tourner ces difficultés en [...] évitant d'avoir des espèces en péril sur leur propriété. Ils y parviennent en supprimant l'habitat que pourraient utiliser ces espèces. C'est le résultat inévitable du caractère punitif de la Loi sur les espèces en voie de disparition.

• 1000

En portant préjudice aux propriétaires qui composent avec la nature et qui perdent en conséquence l'usage de leurs terres ou de leurs récoltes sans être indemnisés, elle incite les propriétaires à se débarrasser de l'habitat de la faune et à stériliser leurs terres. Il en résulte une certaine mentalité qui fait que l'on prend le fusil, qu'on applique la politique de la terre brûlée et qu'on pratique la loi du silence, les propriétaires considérant la faune comme une catastrophe, comme une menace. C'est le genre de mentalité qu'il faut avant tout éviter si l'on veut pouvoir travailler avec les propriétaires privés du pays de manière à protéger notre patrimoine faunique.

En conséquence, la Loi sur les espèces en voie de disparition a mené à la catastrophe. Elle porte préjudice aux gens et à leurs propriétés ainsi qu'aux espèces et à leur habitat. Elle est mauvaise pour les espèces et pour les gens.

Il faut bien voir ici que les propriétaires privés n'ont pas peur d'accueillir la faune sur leurs terrains. Ils ont peur de la réglementation fédérale et des incursions des agents fédéraux sur leurs terres. Supprimez cette peur et vous verrez qu'ils seront à nouveau tout disposés à protéger la faune et l'habitat.

Le principal, à mon avis, c'est ce que nous pourrions faire au sujet de notre propre loi—et j'espère que vous l'envisagerez lorsque vous adopterez votre Loi sur les espèces en péril—c'est d'écarter de la loi les effets pervers et de cesser de pénaliser les particuliers qui s'intéressent à la conservation et qui prennent soin de l'environnement. Pour cela, il ne faut plus sanctionner les propriétaires des terres servant d'habitat en les empêchant de les utiliser.

L'important, c'est de collaborer avec les propriétaires privés du pays et non pas de s'opposer à eux. Si l'on veut que la Loi sur les espèces en péril rende service à la fois aux gens et aux espèces, il faut absolument remplacer les dispositions actuelles d'application obligatoire par certaines formes d'incitations, d'application facultative, de type non réglementaire.

En vertu d'une telle loi, le gouvernement n'aurait pas le pouvoir de prendre ou de réglementer une propriété privée pour protéger une espèce en voie de disparition ou son habitat. Pour protéger un habitat sur des terrains privés, il faudrait que le gouvernement passe avec le propriétaire un contrat convenant aux deux parties et souscrit volontairement.

Cela s'apparenterait tout à fait à ce qu'a l'habitude de faire notre ministère de l'Agriculture. Il protège les terres agricoles soumises à une forte érosion dans notre pays en proposant aux agriculteurs de les classer pendant un certain nombre d'années au sein du Programme des terres mises en réserve à des fins de conservation, et en les indemnisant ensuite au titre de cette collaboration.

Dans tous les États-Unis, les propriétaires de terrains cherchent à participer à ces programmes du ministère de l'Agriculture portant sur les terres, ou encore les marais, mis en réserve à des fins de conservation. Ils font la queue pour y prendre part. Ces programmes ont du succès parce que les agents du ministère de l'Agriculture se présentent à la porte des propriétaires avec un chèque. On a tendance à ouvrir volontiers la porte à des gens qui se présentent ainsi.

Malheureusement, lorsque les agents de la faune des États-Unis se présentent à la porte, c'est soit un fusil à la main, soit avec une citation à comparaître. Les propriétaires réagissent différemment dans ce cas.

Si, en Amérique, le gouvernement et les écologistes parviennent à collaborer avec les propriétaires pour que l'on plante et que l'on protège les prairies servant d'habitat à des espèces communes comme la sturnelle et le pinson des champs ainsi qu'au gibier et même à des espèces importées comme le faisan à collier, nous devrions certainement être en mesure de protéger un peu mieux l'habitat des espèces en péril, dont l'importance est bien plus grande.

De plus, ce n'est pas parce que l'on n'aurait plus les moyens de saisir les terres privées que la faune serait abandonnée à son sort. Il faut bien voir qu'il existe actuellement un certain nombre de lois fédérales et de lois des États qui interdisent que l'on tue ou que l'on capture la plupart des espèces aux États-Unis, notamment la Loi d'application de la Convention concernant les oiseaux migrateurs, qui protège intégralement presque toutes les espèces d'oiseaux de l'Amérique du Nord, depuis les plus communes jusqu'aux plus rares.

Dans le cadre d'un tel programme volontaire de coopération, le gouvernement aurait la possibilité de négocier tout un éventail de mesures de protection éventuelles. Il pourrait louer les terres aux propriétaires. Il pourrait souscrire des baux. Il pourrait acquérir des droits d'emprise ou des droits d'aménagement à des fins de conservation, ou même acheter purement et simplement les terres.

On pourrait ainsi payer les propriétaires de plantations ou les exploitants forestiers pour qu'ils retardent la coupe de leurs arbres pendant un certain nombre d'années afin d'aider les espèces qui fréquentent ces arbres à produire davantage de nichées, soutenant ainsi la population pendant 10 ou 15 ans. Au bout de tout ce temps-là, lorsque le bail passé avec le propriétaire aurait pris fin, les arbres coupés par le propriétaire et vendus à la scierie auraient 15 ans de plus, seraient de plus grande taille et rapporteraient davantage d'argent. Tout le monde y gagnerait véritablement.

On pourrait aussi payer les propriétaires qui favorisent la faune en érigeant des plates-formes, en construisant des boîtes servant de nid ou en aménageant certains types d'habitat pour la reproduction. L'un des grands avantages d'une loi d'application volontaire et de type non réglementaire serait cependant de supprimer les effets pervers de la loi actuelle.

• 1005

Les propriétaires n'auraient plus peur de faire leur devoir, d'aider la faune et de l'accueillir sur leurs terres. Nombre de propriétaires fonciers seraient par conséquent disposés à entretenir de leur plein gré l'habitat de la faune et de prendre des mesures pour favoriser l'habitat des espèces en voie de disparition. Par conséquent, le coût d'application d'une loi non impérative serait bien moindre que celui de l'application d'une loi draconienne et répressive exigeant ensuite l'indemnisation de la saisie ou de la perte de la valeur économique des terrains privés.

Les propriétaires fonciers seraient à nouveau disposés à s'associer à la protection de la faune, comme ils l'ont toujours été pendant la plus grande partie de ce siècle aux États-Unis, et aussi au Canada, tant que la loi coercitive de protection des espèces en voie de disparition aux États-Unis ne les a pas braqués contre la faune et ne les a pas amenés à avoir peur de faire le nécessaire pour la protéger.

Les propriétaires cesseraient de stériliser leurs terres et affecteraient à nouveau à la faune les terrains de moindre valeur, tels que les berges, les haies, les brise-vent, les lignes de clôture, les sommets des collines, les affleurements, etc. Nombre de propriétaires seraient disposés à laisser les amis du pic à face blanche et de la chouette tachetée du Nord pénétrer sur leurs terres et construire des boîtes servant de nid pour aider ces espèces à se rétablir et à se repeupler, parce qu'ils ne risqueraient plus de voir leur terrain être mis en jachère à partir du moment où ces oiseaux en voie de disparition y nichent.

On se doit de citer l'exemple aux États-Unis du Centre de conservation privé qui, au sein du programme du Competitive Enterprise Institute, établit des dossiers sur les bonnes initiatives privées en matière de conservation. L'espèce que nous avons retenue est celle du canard huppé. Cette magnifique espèce de petit canard est bien connue. C'est le canard le plus coloré d'Amérique du Nord. Il niche dans des cavités, dans des souches d'arbres. En 1920, il avait pratiquement disparu parce que nous avions coupé les forêts de toutes nos basses terres. Heureusement pour ce canard, il n'y avait pas à l'époque de Loi sur les espèces en voie de disparition et les Amis du canard huppé sont allés voir tous les propriétaires d'Amérique du Nord pour leur demander s'ils pouvaient construire sur leurs terrains des nids artificiels pour que cette espèce y niche, ce qui leur a été accordé bien volontiers parce que les propriétaires ne risquaient pas d'être pénalisés s'ils abritaient des canards sur leurs terrains.

La réussite a été si complète qu'il n'y a aujourd'hui dans l'est des États-Unis qu'une seule espèce de canard aussi abondante que celle-ci et, lors de la saison de chasse au canard, le ministère de l'Intérieur demande aux chasseurs d'en tuer davantage pour alléger la pression qui s'exerce sur les autres canards, en difficulté du fait de la sécheresse.

Nous pourrions faire la même chose pour la chouette tachetée, en voie de disparition, si nous ne pénalisions pas les propriétaires dès qu'elle se présente sur leur terrain. Personne ne va installer une cage devant permettre à la chouette tachetée de nicher parce que dès qu'une chouette tachetée vient utiliser le nid, on ne peut plus se servir de son terrain. Si au lieu de décourager les gens, on les encourageait, je pense que l'on pourrait profiter de la faune tout en retirant les bénéfices d'une société libre.

Je vous remercie.

Le président: Merci, monsieur Smith, de cet exposé éloquent.

De manière à bien comprendre l'orientation idéologique de votre institut, est-il vrai qu'il est d'accord avec l'abandon de l'appui donné par les États-Unis au Protocole de Kyoto?

M. R.J. Smith: Nous considérons qu'il se produit un réchauffement naturel de la terre. Notre planète passe par de très grands cycles. C'est pourquoi nous n'avons plus une couche de glace de deux milles d'épaisseur ici même. Les couches de glace du pléistocène ont disparu en l'absence de centrales thermiques ou de véhicules familiaux sillonnant les routes. Nous ne pensons pas que la quantité de dioxyde de carbone anthropique rajoutée à l'atmosphère, lorsqu'on la rapproche des variations naturelles à la base, doive nous obliger à réduire de façon draconienne le niveau de vie de la population mondiale, si cela peut répondre à votre question.

Le président: Oui, je me réfère à un article de Washington daté du 27 mars 2001 intitulé: «Le CEI se félicite de ce que les États-Unis cessent d'appuyer le Protocole de Kyoto». Vous confirmez donc.

M. R.J. Smith: Oui. Il se trouve que je ne travaille pas sur cette question, mais je suis bien évidemment d'accord avec cela...

Le président: Merci, monsieur Smith.

M. R.J. Smith: ...et j'espère que d'autres instituts seront heureux eux aussi que l'on en finisse avec l'accord de Kyoto.

Le président: Je vous remercie.

Se«or Nachón, quiere prende la palabra?

M. Claudio Torres Nachón (directeur, Centre du droit de l'environnement et de l'intégration économique du Sud (Mexique)): Si, gracias, por favor. Se«or presidente, muchas gracias.

Je voudrais savoir si je peux parler espagnol ou si vous avez l'interprétation? Non? Alors je vais parler en anglais.

Je ne parle pas français. Excusez-moi. J'aimerais bien, j'ai essayé, mais ce n'est vraiment pas merveilleux.

Je vous remercie de m'avoir invité. Je suis mexicain, originaire de l'État de Veracruz, dans le golfe du Mexique. Je suis particulièrement heureux d'être ici parce que le Canada et le Mexique se partagent le même voisin et ont des problèmes communs à bien des égards.

• 1010

Je vais vous parler des efforts qu'ont fait ces deux dernières années la société civile mexicaine ainsi que le gouvernement mexicain pour doter le pays de sa première loi fédérale sur la faune. Nous avons tiré bien des leçons de cette opération. Il a fallu relever de nombreux défis et tirer parti de nombreuses possibilités. Nous comprenons les enjeux de cette discussion, qui a cours en fait dans le monde entier, puisqu'il s'agit de savoir comment protéger et utiliser l'environnement. Comment le protéger sans remettre en cause les droits des citoyens au sens large?

La leçon que nous en avons tirée, c'est qu'il faut en fait avoir une vue globale et faire preuve d'un minimum d'originalité, et c'est pourquoi je tiens à vous dire que les ONG mexicaines et que le gouvernement du Mexique lui-même s'intéressent à ce que vous faites parce que vous n'ignorez pas que nous avons plus de 40 espèces qui migrent entre le Mexique et le Canada, pour lesquelles il y a une interaction entre ces deux pays. Certaines d'entre elles, comme le monarque, sont bien connues, et d'autres le sont moins. De toute façon, je considère que le Canada a une véritable responsabilité globale.

À la réflexion, je vous rappelle par ailleurs que le Canada a la réputation d'être un pays démocratique très progressiste. Les regards sont tournés vers vous et tout ce que vous allez faire aura des répercussions sur ce que feront les autres pays. Le Mexique est un pays dont la biodiversité est considérable et nous nous attendons à ce que vous nous aidiez à protéger les différentes espèces qui franchissent les frontières de nos deux pays.

Nous sommes préoccupés par un certain nombre de lacunes qui nous paraissent fondamentales dans le projet de loi sur les espèces en péril. La première d'entre elles porte essentiellement sur la protection de l'habitat. Nous considérons que le gouvernement fédéral canadien devrait étendre sa protection de l'habitat bien au-delà des terres fédérales et imposer l'application de la loi dans tous ses domaines de compétence y compris, par exemple pour ce qui est de l'habitat des espèces migratrices. C'est ce qui nous inquiète en particulier.

De même, nous sommes quelque peu préoccupés par la liste des espèces. Nous savons qu'il y a un comité qui s'appelle le COSEPAC. Nous nous demandons quel va être le statut de ce comité. Nous estimons qu'il doit être indépendant et qu'il doit avoir plus de pouvoirs et pratiquement le dernier mot lorsqu'il s'agit de savoir quelles sont les espèces qui vont être classées sur la liste pour ne pas que ce genre de décision devienne politique.

Nous nous inquiétons aussi de l'efficacité de l'application. Je suis assez surpris de voir cette situation parce que, même au Mexique, nous avons un régime qui permet à n'importe quel citoyen de se présenter devant un tribunal administratif pour lui dire qu'à son avis le gouvernement n'agit pas comme il le devrait et qu'il convient d'instituer une procédure pour y remédier.

Là encore, je reconnais évidemment—et je suis sûr que vous en êtes bien conscients—que bien souvent au Mexique l'application de la loi ne donne pas toute satisfaction. Parallèlement, je vous rappelle que la composition de votre population n'est pas la même. Ici, au Canada, je peux voir que vous êtes une nation riche qui, non seulement dispose des moyens économiques, mais aussi des moyens intellectuels, de réfléchir véritablement à ces questions très délicates. Au Mexique, nous avons des millions d'habitants, plus de la moitié de la population, qui vivent dans les montagnes, dans la plus grande pauvreté. Pour l'essentiel, ils n'ont pas accès à la justice, et c'est là une situation bien différente que je tenais à souligner.

• 1015

C'est tout pour l'instant, et je vous remercie une fois encore.

Le président: Très bien. Muchas gracias.

Monsieur Lapointe, vous voulez intervenir? Vous avez la parole.

M. Eugene Lapointe (président, International Wildlife Management Consortium): Merci, monsieur le président.

Je vais tout d'abord répondre à votre question en vous disant qui je suis. Je pense que c'est bien naturel.

Je suis un Canadien qui a quitté le Canada il y a 19 ans et qui dans l'intervalle a passé quelque 14 ou 15 années à voyager par toute la terre. Même si je reste très fier d'avoir un passeport canadien, je ne crois pas que je puisse dire que j'ai un domicile dans ce monde. Vous avez donc bien raison de faire observer que j'habite quelque part sur la planète.

En règle générale, lors de mes déplacements, je m'efforce au maximum de dormir et de me reposer, mais j'ai été dérangé lors de mon dernier grand voyage. Dimanche dernier, j'ai pris un vol de nuit de neuf heures entre l'Argentine et la Floride et, pour mon malheur, j'ai reçu avant mon départ d'Argentine une copie du projet de loi C-5. Je n'ai donc pas pu dormir, parce que j'ai passé toute la nuit à essayer de comprendre les principes qui sous-tendent ce projet de loi.

En 1974, en qualité de chef de la section des lois du programme des échanges internationaux au sein du ministère de l'Industrie et du Commerce, dans un bâtiment situé pas très loin d'ici, j'ai pris part à l'élaboration des décrets et des ordonnances ministérielles visant à mettre en oeuvre la nouvelle Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES). Si je ne me trompe, il s'agissait là de la première liste exhaustive qui ait été élaborée au Canada pour ce que l'on appelle les espèces en péril, ce qui englobait, bien entendu, non seulement les espèces canadiennes, mais aussi toutes les espèces jugées en péril au plan international. Je n'aurais jamais pensé que 27 ans plus tard je reviendrais au Canada traiter de ce même sujet.

J'ai été associé pendant ces 27 ans à la mise en oeuvre de la convention CITES, tout d'abord en tant que fonctionnaire canadien, comme membre des délégations canadiennes, puis en tant que président de comités internationaux, l'un d'entre eux ayant été chargé en 1976 d'harmoniser et de coordonner les lois nationales visant à assurer une bonne conservation de la faune.

Par la suite, tout au long des années 80 pratiquement, j'ai été secrétaire général de cette convention et très impliqué dans le processus d'adoption de lois et de règlements, tant au niveau national qu'international. Plus récemment, j'ai été le fondateur et je suis devenu président de l'IWMC World Conservation Trust, dont l'un des objectifs premiers est de guider les gouvernements en leur conseillant les meilleurs moyens d'aborder la question des espèces en péril.

On peut dire sans risque de se tromper que même si elle s'applique à l'échelle internationale, la CITES est reconnue et acceptée sans discussion comme étant la principale convention sur les espèces en péril dans le monde. Le commerce international n'est qu'un domaine assez restreint, mais il a de grosses répercussions sur des questions telles que la protection de l'habitat.

Je me suis efforcé de considérer le projet de loi C-5 à la lumière de ce que j'appelle «les hauts et les bas» de la CITES. Dans toutes les activités qui ont trait à la faune, on applique aujourd'hui cette notion assez nouvelle qu'on appelle le principe de précaution. Je tiens à ce que l'on applique ce principe de précaution à mon intervention en vous demandant de ne pas vous tromper sur mon compte; j'ai lutté pendant toute ma vie pour la protection des espèces en péril et, en raison de l'expérience que j'ai acquise, je crois savoir assez bien quels sont les moyens qu'il convient d'employer pour protéger les espèces sauvages.

• 1020

Je considère que le projet de loi C-5 soulève bien des difficultés, tout en reconnaissant que ses rédacteurs ont dû faire des prodiges pour arriver à un texte assurant la protection et la conservation des espèces sauvages. Je pense avoir réussi à cerner certains grands problèmes, là encore en tirant parti de l'expérience acquise au niveau international avec la CITES et au sein des projets nationaux correspondants qui allaient dans le même sens.

La première grosse faille qui m'apparaît dans la loi, c'est l'emploi d'une terminologie vague et l'absence de définition de cette même terminologie. Dans l'un et l'autre texte officiel du projet de loi, le terme «conservation» revient à 47 reprises. C'est probablement le mot dont on abuse le plus dans le monde en ce moment. Tous les extrémistes se targuent d'être des adeptes de la conservation. Je ne pense pas que l'on puisse jamais s'entendre sur la définition du terme «conservation».

Une organisation comme celle des Sea Shepherd de Paul Watson, dont la principale activité consiste, par exemple, à couler des bateaux de pêche à la baleine dans la mer du Nord ou à éperonner des bateaux de pêche en haute mer se qualifie elle-même d'association de conservation des Sea Shepherd.

Des organisations que l'on connaît bien ici, telles que l'IFAW ou la Humane Society des États-Unis, qui ont mis au point un contraceptif destiné aux éléphants de l'Afrique du Sud, en grand danger de disparition, ont fait savoir qu'il s'agissait là du plus grand projet de conservation des éléphants d'Afrique que l'on n'ait jamais mis en oeuvre. Partout dans le monde, il y a des gens qui reprennent à leur compte le mot «conservation», mais toujours avec un sens différent, dans un contexte différent.

Je pense que toute loi traitant de la conservation doit au minimum fixer des critères de base n'excluant pas toutes les acceptions du terme «conservation».

D'autres formulations ont créé bien des difficultés à l'échelle internationale, dans la CITES et dans le texte de la convention dont vous disposez, puisqu'avant de classer une espèce donnée dans la liste, il faut le faire «en consultation avec les États qui l'abritent». Vous avez adopté la même formulation. Le mécanisme de consultation est indispensable. Toutes les parties prenantes auront leur mot à dire. Toutefois, si ce mécanisme de consultation n'est pas bien défini, de même que le rôle qu'il jouera dans la décision prise en définitive, il peut servir de prétexte à des échappatoires et à l'ingérence d'intérêts qui ne devraient pas intervenir dans le mécanisme de classement sur les listes.

L'absence de véritable information scientifique sur la «menace imminente» est quelque chose qui m'inquiète véritablement, et c'est un moyen auquel on a trop souvent recours pour incorporer une espèce à la liste sans véritablement tenir compte des conséquences de ce classement.

Il y a aussi l'expression «approche fondée sur de multiples espèces et sur l'écosystème» qui prend un sens totalement différent dans les différentes régions du monde, selon ce à quoi elle s'intéresse. Il faut que cette formulation soit mieux définie et affinée, principalement dans les différents secteurs de la pêche, si l'on veut véritablement pouvoir s'en servir.

Si je rapproche, par exemple, le terme «rétablissement» des interdictions prévues dans le projet de loi C-5, j'en conclus que la possibilité de recourir à de nombreux outils de rétablissement efficaces est exclue par la loi.

Il y a donc beaucoup à dire des difficultés que peut entraîner la terminologie vague et générale du projet de loi et je considère que cela pourrait remettre en cause ses objectifs.

• 1025

Je suis aussi réticent quant à la portée donnée à la notion d'interdiction. Un journaliste américain a déclaré un jour à propos du problème de la drogue: «L'interdiction n'est pas la solution; c'est le problème.» Je ne vois pas d'autres moyens que d'appliquer ce principe à toutes les activités humaines.

L'opération qui consiste à conserver la faune est bien différente de toutes les autres activités humaines. Il faut faire participer les gens. Nous ne pouvons tout simplement pas les couper de leur responsabilité de gardien de la nature et des éléments qui la composent en prononçant des interdictions. On ne peut rien obtenir en criminalisant la population, en faisant qu'elle se sente coupable. Par contre, on peut obtenir beaucoup de choses en faisant en sorte que les gens se sentent responsables des espèces, de la nature.

Je pense que le modèle norvégien est particulièrement intéressant en ce sens qu'il a impliqué les pêcheries, le secteur de la pêche à la baleine, les chasseurs, les pêcheurs sportifs et tous ceux qui s'intéressent véritablement à la conservation, ce qui a amené la présentation, lors du dernier forum économique de Davos, en Suisse, d'un rapport qualifiant la Norvège de pays le plus écologiste du monde.

Le dernier problème que j'ai relevé sur ce point est celui des difficultés que l'on rencontre en général pour sortir une espèce de la liste. Pour de trop nombreuses organisations écologistes dans le monde, le classement des espèces sur la liste est une grande victoire. C'est un grand jour: «Nous avons réussi. Cette espèce figure désormais sur la liste».

En ce qui me concerne, que l'inscription sur la liste soit justifiée ou non, c'est un bien mauvais jour, parce que cela signifie qu'il y a quelque chose qui ne va pas, soit au niveau de la procédure, soit à la suite d'une évolution naturelle ou de l'intervention de l'homme. C'est toutefois un jour à marquer d'une pierre noire. La victoire s'obtient le jour où l'on parvient à sortir une espèce de la liste, où l'on peut dire que l'on a réussi quelque chose, que l'on a atteint l'objectif.

Ce fut là un gros problème en ce qui concerne la CITES au fil des années. Les premiers critères d'inscription et de retrait de la liste, arrêtés à Berne en 1976, se sont révélés très efficaces pour inscrire une espèce sur la liste, mais totalement inadaptés pour la sortir de la liste. Il était impossible de retirer une espèce de la liste.

Les nouveaux critères ont été élaborés en 1994. On procède désormais à une réévaluation de ces critères en compagnie d'autres organisations internationales, comme le Comité des pêches de la FAO ou d'autres institutions internationales, de manière à trouver le moyen de retirer une espèce de la liste et de changer cette mentalité qui veut que ce soit un grand jour lorsqu'on inscrit une espèce sur la liste.

Je résumerai mon impression du moment au sujet de ce projet de loi en disant que le monde industrialisé passe par une crise très pernicieuse. En raison des pressions qui s'exercent, parfois en provenance d'un public mal informé, les pays industrialisés ont cette tendance à reporter sur les plantes et les animaux sauvages la bonne conscience politique qui s'exerçait envers les gens, ce qui amène un transfert aux conséquences très dommageables, un transfert des droits de la personne aux droits des animaux et un transfert sentimental de l'espèce humaine envers l'espèce animale.

J'ai peur que dans sa forme actuelle ce projet de loi nous entraîne dans cette voie. Le gouvernement se sent particulièrement obligé de prendre des mesures pour sauver les espèces parce que, s'il ne le fait pas, il sera accusé de tous côtés de se comporter en dinosaure, insensible au sort des espèces.

• 1030

Il faut d'un autre côté apaiser les passions en sensibilisant le public. Il est indispensable d'avoir un mécanisme légal permettant de corriger la situation des espèces sauvages en voie de disparition. Il faut cependant que l'approche soit bonne. Essayer de la corriger, comme on l'a proposé, après l'adoption de la loi—il est déjà difficile d'avoir une bonne législation protégeant à la fois les espèces et les gens—confine à l'impossible.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci, monsieur Lapointe.

Je crois comprendre que M. Snape aimerait faire une rapide intervention. Allez-y.

M. William Snape III (conseiller juridique, U.S. Endangered Species Coalition): Merci et bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité.

C'est un grand honneur pour moi de comparaître aujourd'hui devant ce comité du Parlement canadien.

Même si je dois reconnaître que je suis américain à 100 p. 100—un Yankee—j'adore votre pays, votre peuple et la beauté majestueuse de vos paysages.

Mon sentiment est clair: je souhaite que toutes vos espèces sauvages aient des populations en santé et viables, et qu'il en soit de même pour toutes les espèces sauvages de l'Amérique du Nord, pour toutes les générations à venir.

Avant de commencer, je vais vous parler un peu de moi et des deux publications que j'ai apportées. J'ai mis autant de copies que j'ai pu dans ma mallette. Je regrette de ne pas en avoir pour tout le monde. C'est un livre que j'ai publié, dont j'ai rédigé certaines parties, et qui s'intitule Biodiversity and the Law. Il y a toute une section et plusieurs chapitres consacrés à la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition. J'en ai trois exemplaires, dont un qui est relié, que je donnerai à celui qui me posera la meilleure question.

J'ai aussi un ouvrage qui s'intitule State Endangered Species Acts, une publication qui traite de nos États, à l'image de ce qui se passe pour vos provinces. Il faut relever qu'on y évoque les relations fédérales aux États-Unis, question qui intéresse, je le sais, le Canada et votre comité. Il y a aussi une loi type qui ne convient pas exactement à ce que vous voulez faire, mais je crois que ce modèle pourrait être utile dans certains cas. J'en ai cinq exemplaires et je vous les ferai passer tout à l'heure.

Laissez-moi dire quelques mots de la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition avant de vous faire part de mes observations au sujet du projet de loi C-5. Le fait que l'on ait osé, en 1973, et plus particulièrement par la suite, réglementer la propriété privée au moyen des dispositions de la Loi sur les espèces en voie de disparition a soulevé l'ire d'une minorité certes réduite, mais très agissante, aux États-Unis. Nous avons aux États-Unis le cinquième amendement de notre Constitution qui interdit de saisir une propriété privée. Par conséquent, chaque fois que le gouvernement fédéral cherche à imposer quoi que ce soit au sujet des propriétés privées, une très petite minorité de la population des États-Unis, très militante, pousse immédiatement les hauts cris.

Elle n'aimait pas la loi en 1973, elle ne l'aimait pas en 1983 ni en 1993, et elle ne l'aime toujours pas aujourd'hui.

Dans leur majorité toutefois, y compris certains secteurs industriels et certaines entreprises qui ne sont pas pleinement satisfaits de la loi, les Américains ont appris à s'en accommoder. Ce que je voudrais vous faire comprendre aujourd'hui, c'est que les grands principes de la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition ne sont plus vraiment contestés dans notre pays. Ce qui est en cause, ce sont de très importants aménagements qu'il convient d'apporter, dont on peut discuter lorsqu'on cherche en fait à régler les problèmes de fond, et je suis d'accord avec R.J. sur ce point, même si je n'accepte absolument pas ses généralisations. Je suis tout disposé à discuter des aménagements devant être apportés à la loi américaine pour en améliorer l'application.

Je voudrais maintenant aborder deux points précis du projet de loi C-5 sur lesquels je pense pouvoir apporter quelques éclaircissements tirés de l'expérience que nous avons pu faire aux États-Unis.

Il y a tout d'abord le principe de l'inscription et du retrait de la liste selon des critères scientifiques. Claudio Torres Nachón a parlé du COSEPAC. Aux États-Unis, nous aimons à dire que tant que les choses marchent, il ne faut pas y toucher. Je considère que les Canadiens peuvent être fiers du COSEPAC. C'est un organisme qui jouit d'un prestige international. D'après ce que j'ai pu voir, il a procédé à d'excellentes études scientifiques. Je pense que vous courez au devant des difficultés, à mon humble avis, en cherchant à politiser le mécanisme d'inscription sur la liste. Vous allez subir des pressions de toutes parts. Si vous voulez en fait rendre compte précisément du patrimoine naturel du Canada, il faut que ce soit les scientifiques qui élaborent la liste.

• 1035

Quant aux autres décisions prises en vertu de la loi, je pense qu'il nous faut tenir compte des répercussions socio-économiques. Nous évoquerons plus tard ces répercussions socio-économiques éventuelles mais, pour ce qui est de la liste elle-même, pour que l'on en reconnaisse l'intégrité, il faut absolument qu'elle s'appuie sur d'excellents critères scientifiques.

Cela m'amène à parler de la partie du projet de loi C-5 dont je pense que vous n'avez qu'à vous féliciter—j'aimerais que nous ayons la même disposition aux États-Unis. Il s'agit de l'article traitant des espèces préoccupantes, l'idée étant d'éviter au départ que certaines espèces soient menacées ou deviennent en voie de disparition selon des méthodes qui plairaient à mon avis à R.J. Smith—volontairement, en cherchant à ce que tout le monde y gagne avant qu'il y ait une crise.

Je pense que c'est évidemment la bonne façon de procéder parce que, comme le dit M. Lapointe, le jour où on inscrit une espèce sur la liste est à marquer d'une pierre noire. La Loi sur les espèces en péril n'a pas été faite pour ça. Son but est d'éviter que l'on ait à recourir à la loi. Je suis d'accord sur ce point.

Lorsqu'on compare les situations canadiennes et américaines sur le plan biologique, on constate que vous avez la chance d'avoir moins de crises qu'aux États-Unis. Notre population est en pleine expansion, dans bien des régions du pays—il ne reste plus de régions vierges désormais—la croissance démographique et le développement économique humain se heurtant au fait aux derniers bastions de nature vierge.

Au Canada—et je vous envie—vous n'en êtes pas arrivés là. Je pense que vos dispositions qui s'appliquent aux espèces préoccupantes devraient heureusement vous éviter d'en arriver à ce genre de crise. Je n'insisterai jamais trop là-dessus. C'est la bonne nouvelle que je tiens à vous annoncer ce matin.

Ce qui me rend moins optimiste, c'est qu'à mon avis il vous faut élaborer des normes de protection de l'habitat dans ce projet de loi. Évidemment, c'est vous qui devrez prendre la décision—c'est simplement un conseil que je vous donne—mais d'un point de vue scientifique il est indéniable que dans 90 p. 100 des cas, c'est l'habitat qui est la première cause du déclin des espèces en voie de disparition. Nombre d'études aux États-Unis et dans le monde l'ont montré.

Revenons rapidement sur ce qu'a dit R.J. au sujet du canard huppé. Personne, à mon avis, n'a jamais affirmé que la baisse de population du canard huppé venait de la perte de son habitat. Je pense qu'on l'a trop chassé et trop tué, mais nous pourrions y revenir plus tard.

Il y a en fait aux États-Unis deux normes différentes s'appliquant à la perte et à la protection de l'habitat. Il y a une norme qui s'applique aux intérêts privés—en fait aux pouvoirs non fédéraux de sorte qu'il s'agit en fait des particuliers et des organismes des États—qui relève d'un système particulier. Il y a ensuite un autre système qui relève du gouvernement fédéral et qui fait intervenir un organisme fédéral. Les deux systèmes sont voisins mais restent cependant distincts.

J'évoquerai un instant le cas des particuliers parce que la Cour suprême des États-Unis s'est en fait prononcée sur la réglementation de l'habitat se trouvant sur des propriétés privées, l'arrêt le plus récent, et celui qui a fait le plus de bruit, étant l'arrêt Sweet Home. J'aimerais avoir un site Internet à votre intention, je n'en ai pas. Je pourrais faire parvenir des copies à tous les membres du comité s'ils le désirent. Cet arrêt a été rédigé par la majorité conservatrice Rehnquist-Scalia... En fait, je retire ce que je viens de dire; celui-ci s'est prononcé avec la minorité dans cet arrêt. La décision est cependant très claire: il faut qu'il y ait un lien de cause à effet, qu'il y ait une relation évidente entre la destruction de l'habitat et la preuve que l'on porte préjudice à la faune. Il s'ensuit qu'aux États-Unis, la Cour suprême a fixé des critères très stricts pour que des propriétaires privés ou des États soient tenus responsables de leurs agissements aux termes des dispositions de la Loi sur les espèces en voie de disparition.

C'est une décision très importante, qui ne me plaît pas, je l'avoue, et avec laquelle je ne suis pas pleinement d'accord. Il n'en reste pas moins que ceux qui craignent que la Loi canadienne sur les espèces en péril risque de faire litière du développement économique et de la vie des gens n'auront qu'à se tourner vers le modèle américain pour voir qu'il n'en est rien.

D'ailleurs, en entendant M. Smith, on a comme l'impression que l'économie américaine est en plein marasme et que nous sommes en quelque sorte aux prises avec une dépression catastrophique. Disons qu'il y a peut-être des gens qui le pensent ce matin à Silicon Valley. En réalité, bien évidemment, l'économie américaine se porte très bien.

• 1040

Je vais vous donner un exemple précis. En Oregon, le pays de la chouette tachetée, la conjoncture économique n'a jamais été aussi bonne depuis 40 ans. Tous ceux qui ont prédit que la crise de la chouette tachetée allait faire capoter l'économie de l'Oregon se sont complètement trompés. En fait, on s'est aperçu que la raison pour laquelle les gens déménagent en Oregon, pour laquelle les entreprises de haute technologie s'installent en Oregon, pour laquelle les industries de services s'implantent en Oregon, c'est parce que cet État possède justement tous les avantages naturels que la Loi sur les espèces en voie de disparition cherche à protéger.

Je vais dire quelques mots des incitations et du problème connexe de l'indemnisation. J'ai lu les dispositions du projet de loi C-5 traitant de l'indemnisation. Là encore, vous m'excuserez, mais je dois vous faire remarquer que cette disposition n'est pas justifiée. Je ne pense pas qu'il vous faille créer un droit qui vous oblige à payer quelqu'un pour obéir à la loi.

J'estime cependant que la question de l'indemnisation est plus large. C'est là, à mon avis, qu'il faut aménager la Loi sur les espèces en voie de disparition des États-Unis... J'irais même jusqu'à ajouter que nous pourrions peut-être nous entendre avec M. Smith sur ce point, en ce sens qu'il faut se doter à la fois aux niveaux parlementaire et législatif, ainsi qu'au niveau réglementaire, je pense, celui du ministre de l'Environnement, d'un certain nombre d'outils incitant les propriétaires fonciers à faire leur devoir.

Je ne suis pas familiarisé, évidemment, avec tous les programmes administratifs canadiens, puisque je suis ressortissant des États-Unis, mais laissez-moi vous citer plusieurs exemples concernant mon pays qui vous mettront éventuellement la puce à l'oreille en ce qui a trait au vôtre. R.J. en a évoqué un. Nous avons un grand programme agricole qui prévoit le versement de crédits, au titre des activités de conservation, aux agriculteurs qui protègent la faune, y compris celle qui est en péril. Je pense que c'est un excellent programme.

Certaines dispositions réglementaires permettent aux propriétaires fonciers d'agir essentiellement comme ils l'entendent pour prendre certaines mesures de conservation. Nous parlons ici de refuges. Du fait de l'aménagement de ces refuges, le pic à face blanche des forêts du sud-est des États-Unis est en bonne voie de rétablissement.

Nous avons incité le président Bush à prévoir dans son plan global de réductions fiscales de 2 000 milliards de dollars des dégrèvements s'appliquant aux mesures effectives prises en faveur de la conservation. Ainsi, on pourrait dégrever à perpétuité l'impôt successoral qui s'applique aux agriculteurs et aux propriétaires ruraux qui gèrent leurs terres conformément à la politique du développement durable et obtiennent effectivement des crédits ou des remboursements d'impôts parce qu'ils ont pris résolument des mesures en faveur de l'habitat des espèces en voie de disparition. Je regrette de devoir dire que, pour l'instant, ce plan de réductions d'impôts de 2 000 milliards de dollars n'englobe pas encore de dispositions fiscales de ce type, ce que je trouve scandaleux, mais nous faisons tous nos efforts pour l'obtenir.

J'ai eu vent de la rumeur qui veut que votre comité ait au minimum discuté, ou du moins certains de ses membres, du principe d'un fonds fiduciaire pour les espèces en péril qui permettrait d'apporter ces différents types d'incitations. Je pense, là encore, qu'il vous faut prendre bien soin de ne pas créer de droits. Ne permettez pas aux propriétaires d'exiger de l'argent pour obéir à la loi. Je considère toutefois qu'il est justifié de mettre sur pied un programme pour que ceux qui contribuent activement à la réalisation des objectifs de la loi puissent être indemnisés, et le soient effectivement.

Il y a enfin la relation de cause à effet qui me gêne au sujet de l'indemnisation. Il est extrêmement difficile d'attribuer à un règlement en particulier la baisse effective de la valeur d'un terrain. Voyez la volatilité des marchés des valeurs mobilières. Considérez les fluctuations des prix des terrains dans certaines régions. Il y a des marchés qui s'ouvrent et d'autres qui ferment. Il y a les caprices de la météorologie. Il faut tenir compte des autres règlements. Je pense que vous êtes sur une pente savonneuse à partir du moment où vous payez les gens pour obéir à la loi.

C'est ainsi qu'aux États-Unis, en dépit de toutes les menées d'une petite minorité très agissante en faveur de l'indemnisation, tous ces efforts ont échoué en raison précisément de ce que je viens vous dire.

Avant de conclure, je dirai quelques mots de l'application de la loi, parce qu'en matière d'environnement, pratiquement tout est là. On peut avoir en théorie une excellente loi, mais il ne se passera rien sur le terrain si on n'applique pas effectivement ses dispositions.

Je considère ici qu'il nous faut en revenir à la notion de bon sens, qui est évidemment très subjective. Chacun d'entre nous va la définir différemment. Je suis prêt cependant à soutenir jusqu'au bout qu'une réglementation de ce type doit faire appel à la politique de la carotte et du bâton. Il faut d'un côté avoir des règlements clairs et de l'autre des incitations faisant en sorte que les gens appliquent ces règlements.

• 1045

Si toutefois vous instaurez un programme d'application volontaire, sans réglementation, je pense que non seulement les gens se désintéresseront des programmes d'incitations, mais à mon avis il serait naïf de penser... Il est possible que ça marche au Canada, mais il est indéniable que ça n'a donné aucun résultat aux États-Unis. Lorsqu'elle était d'application volontaire, la loi n'a tout simplement pas été suivie. Je sais que les États-Unis ont la réputation d'être chicaniers et vous pouvez toujours vous moquer de moi puisque je suis avocat de métier. J'en reviens cependant là encore à la nature humaine; il faut réglementer la conduite humaine et lui fournir aussi des incitations. Je pense que les deux vont de pair.

Je sais que l'on a rapidement évoqué la question des particuliers qui font respecter la loi, mais je n'en parlerai pas, faute de temps. Je ferai simplement remarquer que ce genre de mesure existe depuis au moins 1388. Au temps du roi Richard II, en Angleterre, il y avait une loi exigeant que l'on cure les rivières pour y retirer le fumier et les détritus. Je sais que ce principe d'intervention privée est aussi enraciné dans le droit civil français. Je considère donc que la possibilité pour les citoyens d'aider le gouvernement à faire appliquer la loi et à mettre en oeuvre un programme responsable et transparent relève d'une longue tradition historique, et je vous conseille de l'envisager.

Je terminerai sur une note positive en disant que même si nous avons dû mener de dures batailles aux États-Unis au sujet de la Loi sur les espèces en voie de disparition... J'ai d'ailleurs participé dernièrement à l'une d'entre elles à Tucson, en Arizona, dans le sud de l'Arizona, dont la croissance est très rapide, comme l'est celle de Phoenix, bien entendu. Il y a là-bas une polémique au sujet d'une petite chouette du nom de chouette naine des cactus ferrugineux. L'association des constructeurs en est encore toute bouleversée parce qu'elle gagnera ce trimestre un peu moins de millions de dollars que prévu. En fait, la collectivité locale a suivi. Elle a suivi, pas parce qu'elle est opposée à la croissance, pas parce qu'elle veut arrêter le développement économique, mais parce qu'elle a été aux prises pendant des années avec les difficultés dues à une croissance débridée, sans pouvoir les surmonter tant qu'elle n'a pas pu se prévaloir de la Loi sur les espèces en voie de disparition.

Je dirais que le conflit a été très fructueux. Les propriétaires privés ont désormais toutes sortes d'incitations à agir dans le bon sens. Je pense que vous pourrez constater, il y a eu d'ailleurs des sondages, que plus de 80 p. 100 des habitants de Tucson sont très satisfaits des mesures d'encadrement de la croissance, qui n'ont pas été causées par la Loi sur les espèces en voie de disparition mais que cette dernière a certainement catalysées.

N'oubliez pas non plus que l'application d'une réglementation publique de ce genre peut être imposée par tous les intervenants, non seulement par les écologistes, mais par l'industrie, les entreprises, les particuliers. En dernière analyse, il faut que l'on puisse arrêter un projet avant que des dégâts irréversibles ne se produisent, parce qu'alors il est trop tard. S'il s'avère que les dégâts ne sont pas aussi graves que ne le disent les écologistes ou certains citoyens, le projet peut alors être relancé. Il faut cependant que cette loi prévoit la possibilité d'arrêter et de réfléchir.

La toute dernière chose que je dirais avant de conclure c'est que, contrairement à ce que laisse entendre M. Smith, la Loi sur les espèces en voie de disparition aux États-Unis a été un succès. Quelque 60 p. 100 des espèces classées par la loi, y compris celles qui viennent d'être inscrites sur la liste et qui, bien évidemment, ne peuvent se rétablir immédiatement, soit sont en voie de rétablissement, soit se sont stabilisées du fait de la loi. C'est le propre service de comptabilité de notre gouvernement qui le dit. Le Fish and Wildlife Service publie tous les deux ans un rapport en matière de rétablissement et ces statistiques sont tirées du dernier rapport.

Je vous remercie de m'avoir écouté.

Le président: Merci, monsieur Snape.

Bien, j'ai beaucoup de noms sur ma liste. M. Mills, M. Bigras, M. Comartin, suivis de Mme Carroll, de Mme Kraft Sloan, de M. Savoy, de Mme Redman et de M. Reed. Je demanderais à chacun de ne pas dépasser cinq minutes.

Monsieur Mills.

M. Bob Mills: Merci, monsieur le président. Merci, messieurs, d'être venus comparaître en ces lieux.

J'ai beaucoup de questions à poser et un certain nombre de commentaires à faire. Bien sûr, je n'aurai pas le temps de tout aborder en cinq minutes, mais je vais voir ce que je peux faire.

Tout d'abord, je considère, et je pense que nous sommes tous d'accord, que le projet de loi C-5 fait appel aux bonnes volontés et à l'esprit de coopération. J'ai cherché à faire passer ce message à la population. En lisant votre mémoire, monsieur Evans, le seul que nous ayons reçu à l'avance, j'ai constaté qu'il y avait beaucoup de bâtons et pas beaucoup de carottes. Les gens qui m'écrivent ou qui me téléphonent, et ceux que je rencontre, me disent qu'il n'est pas question de préconiser le système des États- Unis, qui effectivement fait largement appel à la politique du bâton, qui s'appuie énormément sur la réglementation, qui ne prévoit aucune indemnisation et qui est très dur envers l'industrie et les propriétaires fonciers. La plupart affirment que le résultat d'un tel programme serait une politique de la terre brûlée, pratiquant l'extermination en douce.

• 1050

Je dois dire aussi à nos témoins que lorsque j'ai pu me présenter avec des chèques du Service canadien de la faune, le sort réservé au programme de protection de l'environnement en a été totalement transformé. J'en ai déjà parlé à certains d'entre vous.

Je crois, comme M. Lapointe, que l'important est de bien le faire comprendre à la population canadienne. Je déduis des observations de M. Snape qu'il doit habiter en ville étant donné qu'il se réfère constamment à un milieu urbain et qu'il ne se soucie aucunement des éleveurs, des agriculteurs et des propriétaires terriens, qui risquent d'être affectés sur le plan économique par cette décision et de perdre en fait la possibilité de gagner leur vie parce que le gouvernement en a décidé ainsi. Lorsque vous nous dites que l'on ne doit pas prévoir d'indemnisation, je ne pense pas que vous teniez compte de ces gens. C'est à n'en pas douter ce que nous disent nombre de propriétaires fonciers, et d'entreprises, des États-Unis.

J'ai donc l'impression que les avis sont divergents ici, et cela ne nous aide certainement pas à trancher. Je pense que le Canada est très différent des États-Unis. J'en suis fier, j'en suis heureux, même si je ne fais certainement pas preuve d'anti- américanisme. Je pense que s'il nous fallait mettre en oeuvre votre Loi sur les espèces en voie de disparition, ce serait la fin d'un grand nombre d'espèces en péril et nous en aurions 1 200 sur notre liste au lieu de 300 et quelque.

Ce sont là quelques éléments de réflexion que je soumets à votre attention.

Le président: Je suppose, monsieur Mills, que la question est la suivante: où habitez-vous, monsieur Snape?

M. William Snape: Effectivement, j'habite maintenant à Washington, D.C.—de même que vous êtes tous obligés d'habiter Ottawa pendant une partie de l'année. J'ai vécu un certain temps au New Jersey, en Californie et en fait dans le Montana. En fin de compte, je me considère néanmoins comme un gars du New Jersey, que l'on appelle le verger des États-Unis.

M. Bob Mills: Êtes-vous un propriétaire rural?

M. William Snape: Cet État était rural il y a 20 ans, lorsque j'y ai grandi, il s'agit de la région située au sud-est du New Jersey, qui n'est pas près de New York.

Pour ce qui est de l'indemnisation, c'est peut-être une question de définition. Il est possible que nous ayons des divergences sur les détails. Je ne vais pas ergoter. Toutefois, je ne suis pas contre l'indemnisation, contre les paiements consentis aux propriétaires. Je suis contre un programme comportant des droits d'indemnisation, par opposition à des projets faisant appel à des incitations. Je considère effectivement qu'il y a là une différence. Vous ne serez peut-être pas d'accord avec cette façon de procéder, mais je crois qu'au moins, sur le plan des principes, il nous faut faire cette distinction.

M. Bob Mills: Nous considérons cela comme un dernier recours. Je ne pense pas qu'il faudra procéder à de nombreuses indemnisations si l'on collabore au départ avec les propriétaires, si on les fait participer—je pense que M. Smith et plusieurs d'entre vous ont évoqué la chose—à cette opération plutôt que de leur dire, nous allons acheter votre terre, la prendre. Ce n'est pas ce qu'ils souhaitent. Ils veulent collaborer avec nous—ce sont des adeptes de la conservation et de l'environnement et ils s'intéressent véritablement à ces espèces et à ces territoires. Rejeter carrément l'indemnisation en disant que cela revient tout simplement à les payer pour enfreindre la loi, voilà qui est un peu fort. Il ne s'agit pas de cela. Monsieur Smith, qu'en pensez-vous?

M. R.J. Smith: Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que nous devons faire en sorte que le gouvernement s'entende avec les propriétaires pour qu'il y ait une véritable collaboration, que les propriétaires sachent exactement ce que veut faire le gouvernement et comment y parvenir. Il faut de véritables partenariats volontaires auxquels le propriétaire peut s'associer de son plein gré, sans qu'on lui force la main sous prétexte d'écologie, comme cela se passe pour la plupart de nos programmes aux États-Unis, tels que les refuges. On vous dit que vous pouvez librement vous instituer en refuge mais, si vous ne le faites pas, vous pouvez être radié du jour au lendemain. Si vous vous instituez effectivement en refuge, selon toute probabilité vous ne serez alors pas radié pour ce qui est de l'espèce en cause. Finalement, on vous fait une offre que vous ne pouvez pas refuser.

La participation des gens n'est donc pas vraiment volontaire. Par ailleurs, toujours sur le même sujet, environ 40 p. 100 de ceux qui se sont institués en refuge du pic à face blanche avaient déjà aménagé leurs terres auparavant et se sont joints au programme par la suite, c'est le cas par exemple des terrains de golf—40 p. 100 des participants au programme en Caroline du Nord sont des clubs de golf. Je ne pense donc pas que cela indique que les propriétaires qui ont véritablement besoin d'exploiter leurs terres participent de leur plein gré au programme.

• 1055

Troisièmement, je pense qu'il faut indemniser à la pleine valeur du marché toutes les ressources ou les terrains privés saisis, ou toute perte d'usage du fait de la réglementation. Je vous le répète, les propriétaires n'ont pas peur de voir la faune sur leur terrain. Ils ont peur que les agents fédéraux y pénètrent pour leur dire ce qu'ils doivent et ne doivent pas faire. Il n'est pas difficile d'éviter une telle situation et de faire en sorte qu'ils aident volontiers le pays à protéger les espèces et à assurer leur rétablissement. J'espère que vous agirez dans ce sens. J'aurais aimé que vous le fassions.

M. Bob Mills: C'est exactement ce que l'on va me dire des centaines de fois au cours des deux prochaines semaines, lorsque nous allons rencontrer publiquement les propriétaires, les éleveurs, etc.: «Si vous prévoyez cette disposition, il n'y aura aucun problème, nous collaborerons à la protection des espèces. Si vous ne la faites pas figurer, on tombe dans le système des États-Unis.»

Le président: Merci, monsieur Mills.

[Français]

Monsieur Bigras.

M. Bernard Bigras: Merci, monsieur le président.

On a une belle brochette de témoins qui va nous permettre d'aborder une question qu'on n'a pas touchée jusqu'à maintenant. C'est toute la question de la protection de l'environnement dans un contexte de libéralisation des marchés.

Vous n'êtes pas sans savoir qu'on est sur le point d'ouvrir les échanges commerciaux aux trois Amériques. Dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain, certaines entreprises se sont permis d'utiliser le chapitre 11 sur les relations entre les entreprises et les gouvernements pour contester juridiquement des lois et des réglementations canadiennes, avec les conséquences que cela a pu avoir.

Je voudrais savoir si, lors de votre analyse du projet de loi, vous avez vu des dispositions qui pourraient faire en sorte qu'une entreprise puisse contester juridiquement le projet de loi tel qu'il est formulé actuellement, avec les conséquences que cela pourrait comporter. Je voudrais avoir votre avis à cet égard.

M. Eugene Lapointe: Merci.

Vous abordez là un problème majeur qui va très loin, si on regarde, par exemple, l'Organisation mondiale du commerce. Que veut dire, par exemple, l'aspect de la protection de la nature et de la protection de l'environnement vis-à-vis des relations commerciales entre certains pays et certaines industries?

Il y a une chose qui est certaine. C'est qu'à l'heure actuelle, entre l'Organisation mondiale du commerce, la FAO, le Comité des pêcheries de la FAO en ce qui concerne particulièrement la question du commerce international des produits de la pêche, on élabore tout plein de mécanismes pour essayer d'arriver à quelque chose qui protège le commerce international et les relations internationales, de façon globale.

Par contre, il y a des situations qui ont été corrigées par des appels qui ont été logés auprès de l'Organisation mondiale du commerce. Par exemple, dans les cas du thon, de la pêche aux crevettes et des tortues de mer, des lois sur l'environnement, comme on l'a vu surtout aux États-Unis, ont servi à bloquer des activités économiques normales, mais surtout à contrer des programmes de gestion, par exemple un programme d'aquaculture très correct, et des activités de pêche traditionnelles.

Ce conflit entre le commerce et la protection de l'environnement est quelque chose qui va parfois à l'encontre des objectifs visés, aussi bien du côté de l'environnement que du côté des relations internationales.

M. Bernard Bigras: Je parle dans le cadre de ce projet de loi-ci. Est-ce que vous avez vu des dispositions qui pourraient faire en sorte qu'une entreprise non canadienne puisse contester un article du projet de loi tel que formulé? On a vu des cas comme ceux de Ethyl Corp. et Sun Belt. Ce sont des réalités. Est-ce que, sur la base de ce projet de loi, il y a des risques potentiels de contestation juridique?

M. Snape pourrait peut-être répondre.

• 1100

[Traduction]

M. William Snape: Sur la question de l'indemnisation, le meilleur exemple que je puisse vous donner est celui de l'achat de MacMillan Bloedel par Weyerhaeuser. Si un gros propriétaire foncier américain n'est pas indemnisé comme il estime devoir l'être en vertu de la loi canadienne, je peux vous assurer qu'il va poursuivre le gouvernement en se réclamant de l'ALENA. Je pense que c'est très clair.

Accessoirement—et je réponds ici à M. Mills—je considère que les règles de l'Organisation mondiale du commerce ont accéléré la concentration dans les campagnes du Canada et de l'Amérique du Nord. Le triste sort réservé aux petits agriculteurs et aux petits éleveurs est lié au fait qu'ils ne sont plus compétitifs et qu'ils ne peuvent plus réaliser des économies d'échelle en raison de la façon dont l'OMC considère toute la question des subventions et des aides aux exportations agricoles.

Par conséquent, les petites et moyennes entreprises agricoles des États-Unis—sans que ce soit nécessairement vrai pour le Canada—sont, à un point que vous ne pouvez même pas imaginer, davantage lésés par les grandes sociétés agricoles que par la Loi sur les espèces en voie de disparition.

La dernière chose que je tiens à faire observer—et j'essaie toujours de me concilier les vues de M. Mills sur la question de l'indemnisation—c'est que les défenseurs de la faune, mon groupe y compris, indemnisent les éleveurs et les agriculteurs dont le bétail a été attaqué par les loups. Nous avons étendu ce programme aux grizzlys. Dans un tel cas, je pense que le conseilleur a aussi été le payeur, et pas avec de l'argent du gouvernement fédéral.

Voilà qui ne dissipera peut-être pas toutes vos inquiétudes, mais cela vous montre que nous considérons que ces choses doivent être indemnisées à certains niveaux, mais pas de droit par le gouvernement.

Je vous remercie.

[Français]

Le président: Est-ce que vous avez d'autres questions?

M. Bernard Bigras: Oui. Ça répond plus ou moins à ma question. Vous avez donné un exemple ayant trait à l'indemnisation. Cependant, certaines ententes—je pense au MERCOSUR et au Groupe des Trois—et certains accords bilatéraux qui ont été signés par certains pays ne prévoient aucune disposition environnementale. Il y a, à mon avis, quelque chose d'inquiétant dans ce qui s'en vient dans le cadre de la Zone de libre-échange des Amériques.

Est-ce qu'il y a une façon de se prémunir contre la contestation juridique potentielle? Est-ce que nous ne devons pas nous assurer d'avoir des dispositions qui obligent des pays à respecter la réglementation nationale, de permettre aux pays d'adopter des normes plus élevées que ce qui est entendu sur le plan international et d'éviter que des investisseurs puissent arriver dans les pays et entraîner une réduction des normes environnementales?

Monsieur Evans, je voudrais avoir votre avis là-dessus. Même si l'Accord de libre-échange nord-américain n'est pas un exemple, est-ce qu'il ne faut pas se donner des dispositions et établir une commission internationale de coopération renforcée pour éviter les contestations juridiques comme celles qu'on a connues jusqu'à maintenant dans le cadre de l'Accord de libre-échange nord-américain?

[Traduction]

M. Eugene Lapointe: Je ne sais pas si je peux vraiment répondre à cela, mais là encore il y a une constante. Toutes les conventions internationales existantes en matière de protection de la faune, qu'il s'agisse de la CITES, de la FAO ou autres, prévoient que l'on peut imposer, au niveau national, des mesures plus strictes.

Pour en revenir à la question que vous posez au départ, je ne vois pas de prime abord qu'il y ait une disposition susceptible de créer des difficultés d'un point de vue canadien. Il vous faut toutefois considérer ce qui se passe de l'autre côté des frontières, chez vos partenaires commerciaux, par exemple. C'est pourquoi on a posé ce principe des mesures nationales plus strictes.

On a vu dans différentes régions du monde des programmes de gestion d'une grande valeur échouer en raison de l'existence d'une législation nationale plus stricte en matière de faune. Ce fut le cas aux États-Unis, où un programme de protection du caïman yacare au Brésil, du plus grand intérêt, a échoué parce que l'on n'a pas voulu reconnaître que cet animal figurait sur la liste des espèces en voie de disparition.

Le danger ne vient donc pas nécessairement des dispositions que vous prenez ici. Il peut venir des autres pays. L'Union européenne a elle aussi pris l'habitude d'imposer des mesures nationales plus strictes qui vont à l'encontre des relations commerciales normales.

Je pense que votre dernière question portait sur la possibilité d'instituer un organisme international. J'ai l'impression que ce que vous proposez irait contre les droits souverains des nations indépendantes. Il faudrait essayer d'instaurer une collaboration dans le cadre d'organisations comme l'OMC, la convention CITES, la FAO et les Nations Unies, au sein desquelles on a convenu que l'existence de mesures nationales plus strictes ne pouvait pas entrer en conflit avec les lois de l'environnement ou encore avec les normes qui régissent les relations commerciales ou internationales.

• 1105

Le président: Monsieur Evans, très rapidement.

M. Brock Evans: Je pense, messieurs, qu'il y a là aussi un problème très grave. Si la population d'un pays donné choisit d'appliquer des normes plus strictes de protection de son environnement et de son patrimoine, je pense que l'on aurait tort de passer outre en se prévalant d'une quelconque norme de libre-échange avec un autre pays qui avantage l'industrie d'un pays au détriment de celle de l'autre. C'est aussi un gros problème chez nous.

Nous nous efforçons d'y remédier en faisant face et en luttant devant les tribunaux et au sein des institutions internationales, par tous les moyens possibles. Je vous encourage certainement à le faire de votre côté. Si nous réussissons à faire front en Amérique du Nord, en adoptant par exemple une bonne loi sur les espèces canadiennes, qui revient à protéger le patrimoine, de même qu'une loi américaine et une loi mexicaine, nous serons en mesure de tenir tête au reste du monde pour lui faire adopter les normes qui s'imposent et l'inciter aussi à le faire. Je pense que la situation actuelle n'est pas bonne, et nous luttons d'ailleurs pour que ça change.

Le président: Monsieur Nachón, adelante, por favor.

M. Claudio Torres Nachón: J'aimerais faire une ou deux observations.

Tout d'abord, je considère que L'ALENA n'a pas été négocié de manière très démocratique. On n'en a même pas discuté publiquement au Mexique. Le chapitre 11 permet d'appliquer la notion «d'expropriation» même à la réglementation de l'environnement, ce qui est de toute évidence très regrettable.

S'il y a une leçon à tirer pour la ZLEA, c'est que les dispositions concernant l'environnement ne doivent pas figurer dans un traité parallèle comme dans l'ALENA. Il faut qu'elles constituent un traité distinct afin qu'il ne puisse y avoir d'échappatoires.

Le président: Monsieur Bigras, je vous remercie.

La parole est à M. Comartin.

M. Joe Comartin: Monsieur Nachón, les papillons monarques proviennent de la région du monde dans laquelle j'habite et je n'ai pas pu obtenir un complément d'information concernant leur destruction au Mexique, il y a un mois environ, 10 p. 100 de la population ayant disparu. On entend dire que la cause pourrait être l'usage illégal de pesticides ou encore de très mauvaises conditions climatiques. Avez-vous des précisions à nous donner à ce sujet?

M. Claudio Torres Nachón: Oui. L'habitat des monarques se trouve en plein milieu de l'État du Michoacan, un État très pauvre situé sur la côte ouest du Mexique. J'y étais tout dernièrement, deux semaines environ avant cet incident. Il faisait assez froid, mais il semble aussi que des bûcherons agissant dans l'illégalité, venus couper la forêt de cette région, ont pulvérisé des pesticides dans l'un des parcs servant de sanctuaire. Les responsables de l'administration l'ont confirmé dans un premier temps puis, après avoir procédé à des analyses, ont déclaré qu'il n'y avait aucun résidu de pesticides sur les fleurs. Le problème reste donc entier.

Je vous tiendrai au courant de cette affaire une fois rentré au Mexique. Je poserai la question aux responsables de l'administration, qui ne manqueront pas de nous aider.

M. Joe Comartin: Monsieur Smith, nous ne connaissons rien de votre organisation à part les commentaires faits par notre président au sujet de votre position concernant le protocole de Kyoto. Pouvez-vous nous parler un peu de votre organisation? Qui la finance? Qui en fait partie?

M. R.J. Smith: Nous sommes un groupe de réflexion sur les politiques publiques, non partisan et à but non lucratif, siégeant à Washington, D.C., qui préconise la liberté des marchés, le respect de la propriété privée et la limitation de l'intervention des gouvernements. Nous examinons toute une gamme de réglementations des gouvernements et nous essayons de proposer des solutions de rechange. Dans le domaine de l'environnement, nous étudions les moyens de faire intervenir les marchés, les mécanismes du marché, le système des prix et les incitations liées aux droits de propriété pour atteindre les objectifs fixés en matière d'environnement sans avoir à se rabattre systématiquement sur une lourde réglementation et sur l'achat de terres par les gouvernements.

• 1110

Chacun est libre de nous verser une cotisation. Notre personnel compte une quarantaine de membres. Nous avons un budget de quelque 3 millions de dollars par an. Nous sommes un tout petit groupe de réflexion, infiniment plus petit, par exemple, que la National Audubon Society, l'un des groupes pour lesquels a travaillé M. Evans. Nos fonds proviennent pour un tiers des particuliers, pour un tiers de fondations subventionnaires et pour un tiers des sociétés. On nous dit toujours que les groupes de pression conservateurs sont financés par l'industrie, mais je vous ferai remarquer par ailleurs que les groupements écologiques sont eux aussi financés par cette industrie. Je suis d'ailleurs prêt à parier que chaque fois qu'un groupe industriel nous verse un sou, la National Audubon Society reçoit un dollar ou dix dollars de cette même organisation.

Au sujet des monarques, je vous dirai que j'ai déjà été dans la région et que là encore tout est question de droits de propriété et d'incitations. On nous rebat les oreilles au sujet de l'écotourisme et du rôle qu'il peut jouer, mais pour qu'il ait du succès, il faut que la population qui vit sur place en retire un profit. Pendant trop longtemps, l'écotourisme a consisté à faire venir de riches Européens et Américains dans des avions américains ou européens, qui descendent dans des hôtels à propriété américaine ou européenne et qui ensuite prennent des guides américains ou européens. Il n'y a pas d'argent à gagner pour les gens qui sont sur place, qui ne sont aucunement incités à protéger l'habitat ou les espèces que l'on vient voir.

Je sais que s'est posé le problème de la propriété des forêts dans cette région; les sapins et les pins qui abritent les monarques en hiver. On pourrait mettre en place un système sans que cela soit difficile au départ. Plutôt que de traverser ces villes à 100 kilomètres à l'heure, les autobus pleins de touristes, de gros autobus Mercedes qui soulèvent un nuage de poussière et des volées de cailloux dans les rues des villages, devraient s'y arrêter pour que les touristes achètent dans les magasins et les boutiques locales, fassent tourner le commerce de poteries et de tissus imprimés avec des motifs de monarques, etc. Si les habitants de ces localités pouvaient rentabiliser en quelque sorte leurs ressources grâce à l'écotourisme, je pense que ce serait un grand pas en avant et que l'on n'aurait plus à s'exclamer: «Tiens, voilà des gens affamés qui coupent des arbres». Que peut-on attendre d'autres de gens qui ont faim?

M. Joe Comartin: Monsieur Snape ou monsieur Evans, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, notre charte ne garantit pas chez nous les droits de propriété. Je suis donc quelque peu intrigué par votre point de vue sur l'absence d'indemnisation. Je pense que, de manière générale, quelles que soient les orientations politiques, tout le monde s'oriente chez nous en faveur d'un régime d'indemnisation. D'autres représentants, ceux des provinces canadiennes, sont d'ailleurs déjà venus nous dire qu'ils avaient institué certains régimes d'indemnisation mineurs dans ce domaine. Je ne sais pas comment vous faites, aux États-Unis, pour vous passer d'un régime d'indemnisation étant donné votre cadre constitutionnel.

M. William Snape: Je vais vous répondre très rapidement et je laisserai ensuite à Brock le soin de mettre les points sur les i. Cela s'explique par le fait qu'il n'y a pas énormément de conflits irréconciliables. Les quelques conflits qui s'avèrent insolubles finissent par faire l'objet d'un financement, les responsables de la réglementation font preuve de créativité et l'on parvient à sortir de l'impasse.

Je crois savoir que la propriété privée au Canada représente quelque 10 p. 100 du territoire canadien et est entre les mains d'environ 25 p. 100 de la population canadienne—j'espère que je ne me trompe pas dans les chiffres. Si, comme je le pense, ces chiffres sont plus ou moins exacts, il s'agit en fait de se demander ce que vont pouvoir faire le gouvernement fédéral et les provinces pour protéger les espèces en péril. Sur ce point, j'ai d'excellentes nouvelles des États-Unis puisque 99,9 p. 100 des projets ont été menés à bien—seule une poignée de projets ont été arrêtés par les dizaines de milliers de consultations menées entre les divers organismes. D'ailleurs, les crédits d'un certain nombre d'entre eux ont fini par être supprimés par le Congrès parce que l'on s'est rendu compte que ces projets n'en valaient pas la peine au départ.

M. Joe Comartin: Qu'entendez-vous par projets?

M. William Snape: La construction d'un barrage, d'une route forestière.

M. Joe Comartin: Il s'agit d'aménagements.

M. William Snape: Ce sont des mesures prises par un organisme fédéral pour autoriser des travaux ou y participer directement.

M. Brock Evans: Puis-je ajouter une chose? Comme l'a déclaré Bill et d'après ce que je peux voir dans les statistiques, la situation de nos deux pays est très différente sur le plan de la propriété privée. Un bâtiment devant être construit par un promoteur privé risque davantage d'être endommagé par un avion qui s'écrase que d'être arrêté par la Loi sur les espèces en voie de disparition. Cela vous montre à quel point il est rare que cette loi bloque un projet. Je n'en connais que très peu d'exemples. Par contre, elle oblige le promoteur, le propriétaire privé, l'éleveur, l'agriculteur, à modifier son projet. C'est le jeu des permis de prise et des plans de conservation de l'habitat.

• 1115

La situation décrite par M. Smith était plus vraie il y a 10 ou 15 ans qu'aujourd'hui parce que notre gouvernement, pour répondre à un certain nombre de ces préoccupations, s'est doté d'une série de programmes souples—refuges, interventions définies à l'avance, plans de conservation de l'habitat, etc. Toute la différence est là.

Dans les régions du sud de la Californie et de Tucson, en Arizona, dont a parlé Bill Snape, et là où les besoins de développement se font pressants et où l'argent et les pressions politiques exercent aussi une énorme influence, l'intervention de la Loi sur les espèces en voie de disparition n'a pas empêché la construction de maisons, de routes et d'autres équipements. Par conséquent, nous sommes dans la bonne voie aux États-Unis.

M. Joe Comartin: Mon temps est presque écoulé, monsieur Evans. Parlons de la chouette tachetée, car c'est le sujet qui préoccupe M. Mills. Voici ce que nous entendons dire au Canada: 100 000 emplois ont été perdus dans le secteur forestier en raison des mesures de précaution prises en faveur de la chouette tachetée, des localités entières ont été ruinées. Voilà quelles sont ses craintes. Avez-vous des commentaires à faire?

M. Brock Evans: Oui, bien sûr, parce que je suis moi-même originaire de Seattle, dans l'État de Washington. Je suis un spécialiste de ce que l'on appelle les forêts parvenues à maturité. J'essaierai d'être bref ici. Tout ce que je peux vous dire, c'est que chaque fois que nous avons gagné en justice, le nombre d'emplois devant être touché a grimpé—on a parlé dans l'autre camp de 10 000 emplois, puis de 20 000, de 30 000 et enfin de 100 000, chiffre que vous entendez probablement mentionner à l'heure actuelle. En fait, c'est éventuellement quelques centaines d'emplois, tout au plus un millier, qui vont être affectés. Le gouvernement a prévu dans un tel cas des programmes de formation.

En réalité, l'économie forestière est florissante à l'heure actuelle dans ma région du nord-ouest du Pacifique. Elle se porte très bien. On a réussi à donner un coup d'arrêt à la liquidation des dernières forêts anciennes qui nous restaient, à protéger l'habitat irremplaçable et à passer, avec cinq ou six ans d'avance, à une économie axée sur le bois de repousse, qui est la nôtre à l'heure actuelle. L'économie est en pleine expansion dans cette région. Cet exemple est bien mal choisi par le camp d'en face, parce que c'est tout simplement faux.

Le président: Merci, monsieur Comartin.

J'ai maintenant sur ma liste Mme Carroll, Mme Kraft Sloan, M. Savoy, Mme Redman, M. Reed, M. Laliberte et le président.

Madame Carroll.

[Français]

Mme Aileen Carroll (Barrie—Simcoe—Bradford, Lib.): Monsieur Smith, vous pouvez être à l'aise.

[Traduction]

Le président vous a demandé ce que vous pensiez du protocole de Kyoto, mais je m'abstiendrai de vous demander votre point de vue au sujet de notre législation sur les armes à feu.

Entre 1994 et 1999, KPMG a procédé à une enquête au Canada. Les questions s'adressaient aux PDG canadiens. KPMG leur a demandé quel était le facteur important qui les incitait à améliorer leur performance en matière d'environnement. Quatre-vingt-douze pour cent d'entre eux ont répondu que c'était le respect des règlements et 16 p. 100 ont cité les programmes d'application volontaire du gouvernement. J'imagine que l'on doit en conclure que les deux choses sont nécessaires mais, étant donné qu'au Canada environ 70 p. 100 de nos espèces en péril se trouvent sur les terres et dans les eaux appartenant au domaine public, et non pas sur des terrains privés, la menace ne vient pas ici des entreprises. J'aimerais donc savoir ce que vous en pensez compte tenu de ce que vous avez dit jusqu'ici.

Ensuite, si vous avez des commentaires à faire, monsieur Evans, j'aimerais bien les entendre. Mon temps va bientôt être écoulé et, lorsque tout le monde va intervenir à son tour, j'aimerais bien savoir en outre, au cas où l'on ne me redonnerait pas le micro, quels sont aux yeux de M. Evans les deux points les plus intéressants de la législation américaine dont nous devrions nous inspirer. Je vous demanderai ensuite quels sont à votre avis les deux points les plus faibles ou les pires, dont nous devons aussi tirer la leçon.

Merci, monsieur le président.

M. R.J. Smith: Vous l'avez dit, une grande partie du territoire canadien relève du domaine public. Il est évident que les questions qui se posent ne sont pas les mêmes que pour une Loi sur les espèces en péril ou en voie de disparition sur des terrains privés.

Il est clair, cependant, que certaines solutions prétendues «novatrices» que l'administration Clinton et le secrétaire Babbitt sont censés avoir découvert au sujet de la loi donnent de bien meilleurs résultats pour les grosses sociétés propriétaires de grandes superficies que pour les petits propriétaires terriens.

• 1120

Ainsi, une entreprise qui souscrit à un grand plan de conservation de l'habitat sur plusieurs années, impliquant de multiples espèces, sur un territoire étendu, devra éventuellement mettre deux ans et dépenser 2 millions de dollars pour procéder à toutes les enquêtes biologiques, faire les formalités juridiques, etc. S'il s'agit par exemple d'une grosse société d'exploitation forestière qui possède cinq, six ou sept millions d'acres, le gouvernement l'obligera à mettre de côté un demi-million d'acres servant de réserve. Elle pourra utiliser le reste de son territoire et elle ne fait pas une mauvaise affaire.

Elle peut alors se faire passer aux yeux du public pour une société soucieuse de l'écologie, qui se préoccupe de l'environnement. Ce faisant, elle sait que ses petits concurrents, les petites sociétés d'exploitation forestière, les propriétaires de lots privés, etc., ne peuvent pas en faire autant et doivent cesser leurs activités. Elle en retire un avantage sur la concurrence.

Lorsqu'on l'autorise alors à faire de grosses coupes sur ses terres parce qu'elle souscrit à ce programme, les chouettes qu'elle dérange vont souvent se réfugier sur les terres de ses voisins—le propriétaire d'un petit lot boisé ou un petit agriculteur ayant des bois dans le voisinage. Ces derniers se retrouvent alors avec cette charge et ne peuvent plus couper leurs arbres. C'est pourquoi vous entendrez souvent dire aux grandes sociétés qu'elles adorent ce genre de programmes. Elles sont prêtes à participer parce qu'elles ont suffisamment de terres et d'argent. Elles veulent simplement être certaines de leur coup et connaître les règles.

Mme Aileen Carroll: L'enquête nous révèle qu'elles agissent d'une certaine manière lorsqu'elles y sont incitées par la réglementation et non pas par une politique d'application volontaire.

M. R.J. Smith: Bien sûr, on peut faire dire toutes sortes de choses aux sondages. On a fait de nombreux sondages aux États-Unis auprès des travailleurs de l'acier en leur demandant s'ils préféraient regarder des émissions télévisées montrant de jolies femmes légèrement vêtues ou payer davantage d'impôts pour voir Shakespeare à la télévision publique. Ils ont choisi Shakespeare.

Mme Aileen Carroll: J'imagine que c'était un sondage sérieux.

M. R.J. Smith: Il y a certains sondages qu'il faut prendre avec un grain de sel.

Mme Aileen Carroll: Merci, monsieur Smith.

Monsieur Evans, avez-vous quelque chose à répondre?

M. Brock Evans: Les sociétés n'auraient jamais agi ainsi en l'absence d'une loi stricte les obligeant à le faire. Nous nous félicitons qu'elles le fassent; nous les encourageons à le faire. Nous pouvons toujours discuter pour savoir si elles en font suffisamment.

Si nous conservons une si grande partie de nos habitats naturels, de nos forêts, de nos déserts et de nos espaces libres, c'est parce que nous avons pris nos responsabilités et qu'elles ont compris qu'il leur fallait agir. La loi les a obligés à réagir et c'est effectivement une bonne chose. Je ne veux pas trop épiloguer. Des millions d'acres de la forêt ancienne que j'aime sont désormais protégés parce que l'on a bien fait les choses, même si ça pourrait être mieux.

J'en viens à votre question concernant les trois points positifs et les trois points négatifs. Ce n'est pas nécessairement dans cet ordre, mais je dirai que les trois meilleures choses sont l'établissement de listes selon des critères scientifiques, l'intervention des règles scientifiques et la séparation de la science et de la politique. Cela fait une énorme différence.

J'irai dans le même sens que Bill au sujet du COSEPAC. Vous pouvez tous être fier d'une institution aussi respectée.

Il y a en second lieu le mécanisme de consultation des organismes en vertu duquel aucun organisme fédéral ne peut construire un barrage ou une route, ou encore pulvériser des pesticides avant d'avoir consulté un biologiste. Ce fut une révolution au niveau de la planification et de la coopération de nos organismes. Pour la première fois, un organisme dont la mission était de construire des barrages devait tenir compte de l'environnement à tous les niveaux. Cela a transformé les politiques internes du secteur et les modes de pensée. Ce fut une merveilleuse chose qui a tout changé pour le mieux.

Enfin, il y a la souplesse des solutions. R.J. peut toujours critiquer ces solutions, qu'il s'agisse des refuges, des interventions fixées à l'avance ou de la conservation de l'habitat et des espèces. Je vous invite instamment à vous pencher sur ces solutions et à en tirer les enseignements. Les sociétés se bousculent pour les appliquer sur des millions d'acres. On protège désormais des espèces et des territoires qui ne l'avaient jamais été.

On peut toujours faire mieux. C'est ainsi que 200 000 acres sont consacrées à des refuges en Caroline, offrant ainsi aux pics un territoire plus étendu que jamais sous forme d'habitat consacré aux espèces en voie de disparition. On obtient des résultats et les propriétaires coopèrent de leur côté.

Je terminerai par les points faibles. Il y a des lacunes, et je suis d'accord sur ce point avec R.J. Il convient de fournir de meilleures incitations aux propriétaires. C'est une lacune de la loi que nous nous sommes efforcés de corriger en 1982. Nous avons modifié la loi jusqu'à un certain point, mais on pourrait en faire plus. Je pense que le principe qui consiste à payer les gens simplement pour obéir à la loi est un principe très dangereux. Il devrait y avoir un moyen de remédier aux situations vraiment difficiles, s'il y en a.

Comme l'a fait remarquer Bill, dans 99,9 p. 100 des cas, il n'y a pas de problème dans notre pays. Les choses ne se sont vraiment pas passées comme on l'a entendu aujourd'hui. Le gros point faible, c'est l'absence de financement. Vous faites bien mieux votre travail que nous. Je crois savoir que vous avez déjà arrêté des crédits ou prévu de l'argent pour ce genre de choses. Nos organismes manquent de fonds pour établir les listes et c'est une véritable foire d'empoigne pour répertorier les habitats. Nous cherchons à surmonter toutes ces difficultés. Ce n'est pas facile non plus dans notre pays.

• 1125

Le président: Je vous remercie.

La parole est à Mme Kraft Sloan.

Mme Karen Kraft Sloan: Merci, monsieur le président.

Il y a une question sur laquelle je veux revenir. L'un d'entre vous, monsieur Evans ou monsieur Snape, a déclaré qu'il y avait très peu de conflits irréconciliables concernant la Loi sur les espèces en voie de disparition. J'ai aussi relevé que vous disiez—et je trouve cela quelque peu préoccupant en tant que passagère qui prend l'avion pour les États-Unis—qu'un projet risquait davantage d'être bloqué par un avion tombé du ciel que par la présence d'une espèce en voie de disparition sur la propriété. Il m'apparaît donc, en écoutant ces commentaires, qu'il y a des centaines d'appareils qui s'écrasent tous les jours aux États-Unis. J'espère sincèrement que ce ne sera pas le cas la semaine prochaine.

Quoi qu'il en soit, monsieur Smith, vous faites un certain nombre d'affirmations sur votre site Internet: selon vous, tout d'abord, et vous l'avez en quelque sorte rappelé devant notre comité, la loi n'a pas permis le rétablissement d'une seule espèce en voie de disparition; en fait, elle a quasiment ruiné d'innombrables propriétaires fonciers. Par ailleurs, dans un communiqué de presse répondant au secrétaire de l'Intérieur, Bruce Babbitt, qui annonçait le retrait de la liste du faucon pèlerin, vous avez déclaré qu'il s'agissait là d'une déclaration vraiment inacceptable et en fait scandaleuse. J'aimerais savoir sur quels rapports vous vous fondez pour faire ces affirmations et pour vous opposer à celles de l'autre camp.

M. R.J. Smith: Le Fish and Wildlife Service des États-Unis n'a rien à voir avec le rétablissement du faucon pèlerin. La Loi sur les espèces en voie de disparition n'a pas servi en fait à assurer le rétablissement des faucons pèlerins.

Mme Karen Kraft Sloan: Excusez-moi, monsieur Smith, mais la question que je vous posais au fond, c'est si vous aviez des rapports pour appuyer cette affirmation?

M. R.J. Smith: Je pourrai vous faire parvenir tous les rapports que vous voulez. Je vous conseille de contacter le Peregrine Fund, l'organisation privée qui élève depuis 30 ans des faucons pèlerins en captivité pour les relâcher en pleine nature et qui l'a fait sans relâche au fil des années jusqu'à ce que l'on ait retrouvé la population antérieure à l'usage des DDT et que l'on puisse dire que cette espèce est pleinement rétablie. Elle l'a fait en dépit des objections et des obstacles qui ont été mis sur sa route, bien souvent par le Fish and Wildlife Service des États-Unis et par nombre d'organisations de conservation et de défense de l'environnement.

Mme Karen Kraft Sloan: Monsieur Smith, est-ce que ces rapports ont été revus par des pairs?

M. R.J. Smith: Oui.

Mme Karen Kraft Sloan: Qui les a revus?

M. R.J. Smith: Ils ont été revus par des scientifiques de tout le pays. Presque tous les grands spécialistes mondiaux des rapaces ont pris part aux travaux du Peregrine Fund à Boise, en Idaho, qui élève des espèces rares d'oiseaux de proie et qui les relâche en pleine nature.

Mme Karen Kraft Sloan: Vous affirmez donc que ces scientifiques sont d'accord avec vous pour dire que la Loi sur les espèces en voie de disparition a mené les propriétaires privés quasiment à la ruine.

M. R.J. Smith: Non, vous confondez deux choses. Vous mélangez le problème du faucon pèlerin avec le reste.

Ils s'accordent tous à dire que la Loi sur les espèces en voie de disparition n'a eu aucune incidence sur le rétablissement des faucons pèlerins. Ce programme aurait réussi qu'il y ait ou non une loi.

Mme Karen Kraft Sloan: Et vous avez des rapports revus par les pairs...

M. R.J. Smith: Oui madame...

Mme Karen Kraft Sloan: ...évoquant le fait que d'innombrables propriétaires ont été quasiment menés à la ruine aux États-Unis?

M. R.J. Smith: Je peux vous communiquer toutes sortes d'études à ce sujet.

Mme Karen Kraft Sloan: Elles sont revues par des pairs?

M. R.J. Smith: Certains oui, d'autres non. Tout dépend de ce que vous entendez par pairs.

Mme Karen Kraft Sloan: Au Canada, ce serait les membres de la Société royale du Canada, qui revoit les études scientifiques de leurs pairs. Est-ce que ces rapports ont été revus par des pairs travaillant au sein d'une organisation similaire aux États-Unis? Je ne connais pas bien votre système.

M. R.J. Smith: Ce n'est peut-être pas toujours le cas parce que la plupart de ces situations se présentent lorsqu'un petit propriétaire ne peut plus aller utiliser son terrain.

Ainsi, comment faire revoir par des pairs le cas que M. Mills connaît très bien, je pense, soit celui de M. Shuler, un éleveur de moutons de Dupuyer, au Montana, qui habite dans une région où le grizzly est protégé?

• 1130

Constamment, des grizzlys venaient tuer ses moutons. Une nuit, il a vu par la fenêtre trois grizzlys passant rapidement sous les lumières qu'il avait disposées tout autour de sa maison pour se protéger, et qui se dirigeaient vers sa bergerie. Il a pris son fusil pour défendre ses moutons, sa propriété. Il a tiré une fois et deux des grizzlys se sont sauvés. Le troisième l'a attaqué et il l'a abattu. Le grizzly s'est relevé et l'a chargé à nouveau. Il a tiré une nouvelle fois et le grizzly a disparu.

Le lendemain matin, il est allé vérifier si le grizzly était mort; il n'en était rien. Il s'est fait charger à nouveau et l'a finalement tué. C'est alors que le Fish and Wildlife Service des États-Unis lui a imposé une amende de 7 000 $ pour avoir tué un animal appartenant à une espèce en voie de disparition.

Selon la loi, la légitime défense justifie que l'on s'en prenne à un animal appartenant à une espèce en voie de disparition. Le Fish and Wildlife Service des États-Unis a cependant allégué que ce moyen de défense ne s'appliquait pas dans ce cas étant donné que cet éleveur s'était exposé lui-même au danger en cherchant à défendre son bien alors qu'il aurait dû rester chez lui et laisser le grizzly tuer tout son troupeau.

Mme Karen Kraft Sloan: Monsieur Smith, ce n'est qu'une anecdote.

M. R.J. Smith: Comment soumettre ce cas à l'examen des pairs? C'est tout simplement la réalité. Tout le monde le sait; on l'a vu à la télévision, on en a parlé dans les journaux, etc. Il se produit des histoires de ce genre dans tous les États-Unis.

Mme Karen Kraft Sloan: Je regrette, monsieur Smith, mais ce n'est qu'une anecdote.

Il est précisé par ailleurs sur votre site Internet que vos études ont un caractère éminemment scientifique et, lorsque vous faites des déclarations de ce genre, lorsque vous vous présentez devant un comité parlementaire, je suis en droit de m'attendre à ce que vos histoires, comme vous les appelez, soient entérinées par des rapports visés par vos pairs.

Lorsque je consulte un rapport au Canada, qu'il émane d'une source canadienne, américaine, européenne ou mexicaine, lorsque je veux savoir à quel point il est crédible, je veux qu'il ait été examiné comme il se doit par des pairs.

Les anecdotes sont très utiles pour permettre de comprendre un point de vue mais, pour prendre de bonnes décisions politiques, il nous faut aussi nous appuyer sur des critères scientifiques sérieux.

Le président: Votre temps est écoulé.

Monsieur Smith, est-ce que vous voulez répondre brièvement?

M. R.J. Smith: Oui.

Je me ferai un plaisir de remettre au comité les statistiques et les tableaux que nous avons élaborés sur ces différentes espèces après avoir interrogé un certain nombre de personnes tant au sein du Fish and Wildlife Service fédéral que des organismes de chasse et de pêche des États.

Le président: Merci, monsieur Smith.

Monsieur Savoy, madame Redman, monsieur Reed, monsieur Laliberte puis le président.

M. Andy Savoy (Tobique—Mactaquac, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci à tous d'être venus aujourd'hui.

Je pense que vous m'avez appris aujourd'hui, comme l'a fait observer M. Mills, que lorsqu'on applique la politique de la carotte et du bâton, il faut absolument se servir des deux choses à la fois. Toutefois, c'est lorsqu'on privilégie nettement le bâton par rapport à la carotte que l'on peut lire dans les revues des éleveurs du Sud des offres de vente garantissant «aucune espèce en péril sur ce terrain».

Lorsque je vois ce genre d'annonce, j'en déduis immédiatement que l'on s'est débarrassé des espèces en péril. Je pense qu'en procédant ainsi, on démotive complètement les gens qui veulent faire de la conservation, et il nous faut en tenir compte ici, au Canada, au sujet de la LEP.

Pouvez-vous nous citer des mesures d'incitation positive—je sais que vous en évoquez quelques-unes, monsieur Snape—dans les deux cas? Je pense qu'il nous faut faire la différence ici entre les petits et les gros propriétaires terriens.

Les petits propriétaires sont tributaires des lois de l'économie bien plus que les gros. On peut coopérer et communiquer un peu plus avec eux—sans oublier le fait qu'à mon avis ils ont une responsabilité dans le cadre de leur entreprise vis-à-vis de la conservation.

Pouvez-vous nous exposer certaines mesures d'incitation positive que nous pourrions envisager au sujet des petits et des gros propriétaires—en l'occurrence, la politique de la carotte par opposition à celle du bâton?

M. William Snape: Je veux bien commencer, si vous me le permettez.

M. Andy Savoy: Oui. J'aimerais entendre M. Snape, M. Evans et M. Smith, s'il vous plaît.

M. William Snape: Je vais vous en dresser une liste rapide puis, si vous avez des questions à poser sur un point précis...

J'ai déjà parlé du projet de loi sur l'agriculture; je n'y reviendrai pas. Le Fish and Wildlife Service des États-Unis administre aux États-Unis un programme intitulé Partners for Wildlife Project, qui contribue en fait au financement en participation des projets portant sur l'ensemble de la faune, y compris sur les espèces menacées ou en voie de disparition.

J'ai parlé du code des impôts. Excusez-moi, mais je ne suis pas très familiarisé avec le code canadien des impôts. Le sénateur Max Baucus, du Montana, et maintenant le gouverneur Dirk Kempthorne, de l'Idaho, un républicain et un démocrate, des deux côtés de la chambre, tous deux sénateurs, ont déposé il y a plusieurs années un projet de loi instaurant trois ou quatre mécanismes fiscaux différents, un impôt sur les successions, que notre président actuel qualifie d'impôt sur la mort, un crédit d'impôt favorisant les mesures positives, une disposition fiscale sur les emprises et une autre disposition qui m'échappe pour l'instant. On pourrait se référer au code de l'impôt.

Quant aux incitations prévues par la réglementation, il y en a déjà un certain nombre qui figurent dans le projet de loi C-5, qui autorise l'octroi de permis, qui permet de prévoir des exceptions dans certaines circonstances. Si dans l'ensemble l'espèce se rétablit bien, il est possible que certains habitats puissent être détruits à condition que dans le cadre du plan global de rétablissement on constate que l'habitat est suffisant ou que l'espèce est assez bien gérée pour que l'on puisse s'en passer. Je pense que le meilleur exemple est celui des refuges, où l'on a procédé ainsi.

• 1135

Voilà donc toute une kyrielle de mesures incitatives, qui donnent des résultats, mais pas pour tout le monde. Je crois qu'il vous faut les avoir toutes. Je considère que vous devez avoir toutes les options à votre disposition et j'espère que vous donnerez au ministre de l'Environnement les moyens de se servir de tous ces outils ainsi que des crédits correspondants.

Pour finir—et j'essaie d'aller le plus vite possible, monsieur le président—pour ce qui est de la mentalité du fusil, de la terre brûlée et de la loi du silence, il est vrai que ça existe, je ne le nie pas, mais on ne peut pas vraiment quantifier la chose. C'est une impression, un facteur de démotivation, si vous voulez, qui ne peut pas être quantifié.

Je ne répondrai pas aux autres anecdotes évoquées par M. Smith, je me contenterai de ma propre anecdote. Lorsque les loups ont été réintroduits dans le centre de l'Idaho et dans le Parc national de Yellowstone—nous devons d'ailleurs ces loups au Canada et il faut bien remercier votre pays car rien n'aurait pu se faire sans son aide—l'inquiétude, les résistances et la colère ont été très fortes chez nombre d'éleveurs et d'agriculteurs locaux. Ils ne voulaient pas revoir les loups. Ils avaient effectivement passé la plus grande partie du XXe siècle à s'en débarrasser. Ils ne tenaient certainement pas à les voir revenir grâce à l'aide du gouvernement fédéral.

En cas d'attaque, nous l'avons indiqué, nous disposons d'un fonds d'indemnisation privé. Nous allons le maintenir. Nous avons pu constater cependant, depuis cinq ans que ce programme existe, qu'il reste bien sûr des gens que cela dérange et qui sont en colère, et d'ailleurs une ou deux personnes ont malheureusement été poursuivies pour avoir tiré sur des loups, mais de manière générale, le programme est mieux accepté. Les gens savent qu'ils seront indemnisés s'ils perdent du bétail, et que les loups ne sont pas aussi mauvais que pourrait nous le faire croire le conte du Petit chaperon rouge. Enfin, et c'est peut-être encore plus important, ces éleveurs se rendent compte que tout n'est pas blanc ou noir, et le programme a été une réussite.

M. Andy Savoy: Puis-je demander aux deux autres témoins de commenter?

Le président: Nous avons un tour complet.

M. Brock Evans: Excusez-moi. Je m'efforcerai moi aussi de parler rapidement.

Le président: Très bien.

M. Andy Savoy: Pouvez-vous nous préciser quelles sont les différences éventuelles entre des mesures s'adressant aux propriétaires privés par opposition aux entreprises? Ou est-ce que quelqu'un a pensé...

M. Brock Evans: Il se peut qu'il y ait des différences selon la situation financière de l'entreprise, de la société ou du particulier. C'est bien possible.

Ce que je tenais à dire, cependant, pour répondre à M. Mills—je n'en ai pas eu la possibilité tout à l'heure—c'est que j'ai la chance d'habiter Washington, D.C., mais que je suis aussi en partie propriétaire d'une exploitation forestière de 640 acres dans les montagnes du nord du New Jersey. Nous exploitons commercialement ces arbres. Il n'en reste pas moins que mes collègues, les autres propriétaires terriens, pensent comme moi; ils veulent protéger les espèces. Nous avons consulté des exploitants forestiers.

La plupart des propriétaires fonciers que je connais dans mon pays ne sont pas des partisans du fusil et de la terre brûlée. Ils ne cherchent pas à exterminer les espèces sur leurs terrains. Ils sont fiers de le dire. Ils aiment savoir que ces espèces se trouvent sur leur propriété. Ils veulent simplement pouvoir exercer eux aussi certaines activités. C'est pourquoi notre gouvernement a mis en place ces institutions souples. Je crois que les plans de conservation de l'habitat, dont se sont surtout prévalus jusqu'à présent—et R.J. Smith a raison de le dire, à mon avis—les grosses sociétés, peuvent être modifiés et bonifiés, et qu'une aide technique peut aussi être apportée aux petites organisations.

Voilà quelques aménagements que j'aimerais que l'on apporte à notre loi. Vous ne le savez peut-être pas, mais nous avons déposé une loi au Congrès, la Loi de rétablissement des espèces en voie de disparition, qui prévoit certaines incitations fiscales supplémentaires. Des mesures d'assistance technique, par exemple, viennent s'y ajouter. Ce sont là d'autres dispositions qui sont susceptibles d'aider les petits propriétaires terriens. Si les gens prennent publiquement la décision, dans l'intérêt général, de ne pas détruire leur patrimoine biologique, on dispose d'une marge de manoeuvre et il y a des choses que l'on peut faire sans renoncer à la loi elle-même. Voilà où nous en sommes aujourd'hui: nous payons les gens pour obéir à la loi et cela pose des difficultés.

Le président: Merci, monsieur Evans.

Monsieur Smith.

M. R.J. Smith: Je pense que vous avez bien raison, et c'est ce que je tenais à faire remarquer: le fait, plus particulièrement, que les petits propriétaires ont peur de la loi et les raisons pour lesquelles ils disent ou laissent entendre qu'ils vont débarrasser leurs terres des espèces en péril. Nous nous sommes donnés une loi qui incite les gens à agir ainsi, ce qu'il faut absolument éviter lorsqu'on s'intéresse vraiment à la faune et à l'habitat. Tous les petits propriétaires font partout la même chose et ça se passe encore aujourd'hui.

La question a pris une ampleur nationale lorsque pour la première fois, en 1994, on a vu à la télévision nationale... Le réseau télévisé ABC était allé faire sur place une enquête en 1993 sur les incendies ayant touché l'habitat des rats-kangourous dans le sud de la Californie. Le gouvernement fédéral avait dit aux propriétaires fonciers de toute la région que s'ils suivaient les règles de la Californie... Le ministère des Forêts et de la Protection contre l'incendie de la Californie leur avait dit que la saison des incendies s'approchait et qu'ils étaient tenus en vertu de la loi californienne de débroussailler tout autour de leur maison et de leurs granges. S'ils ne le faisaient pas, l'État le ferait à leur place et, en plus d'une amende, il leur faudrait défrayer le coût de ce travail.

• 1140

C'est alors que le gouvernement fédéral, par l'entremise du Fish and Wildlife Service des États-Unis, a écrit à ces propriétaires et aux services de lutte contre l'incendie des comtés pour les avertir que si jamais, en débroussaillant, ils dérangeaient, harcelaient ou gênaient d'une façon quelconque les rats-kangourous de Stephen, qui sont en voie de disparition, ils risquaient une amende de 100 000 $ et éventuellement une année de prison.

La plupart des gens ont paniqué, ne sachant que faire. Il y a eu des incendies et 19 maisons ont complètement brûlé. On a pu voir tout cela à la télévision. La population a pu se rendre compte pour la première fois quelles pouvaient être les conséquences de cette loi sur certaines personnes et dans certains endroits. Aujourd'hui encore, si vous allez dans ces vallées, vous pourrez voir bien des gens débroussailler des secteurs qui ont brûlé et qui constituaient jusqu'à présent l'habitat des rats-kangourous de Stephen et d'autres espèces, et labourer le terrain pour ne pas revoir cette situation.

Le président: Monsieur Snape.

M. William Snape: C'est tout à fait faux, absolument faux. Il est vrai que 19 maisons ont brûlé. C'est exact. Le Bureau de la comptabilité générale, la branche indépendante du Congrès, s'est penchée sur la question et a conclu que la Loi sur les espèces en voie de disparition n'avait eu aucune incidence sur les maisons qui ont brûlé. Il s'agissait d'un violent feu de broussaille qui a traversé des autoroutes à plusieurs voies et qui se déplaçait avec une très grande rapidité. Il n'est pas vrai que l'on a interdit tout débroussaillage. De toute façon, il est probable que le débroussaillage, en raison de la rapidité de l'incendie, n'aurait donné aucun résultat. Je vous répète toutefois que la branche indépendante du Congrès a conclu que le lien que M. Smith cherche précisément à faire n'existait pas. C'est l'inconvénient des anecdotes.

M. R.J. Smith: Je vous demanderais...

M. William Snape: Êtes-vous prêt à déposer l'étude du Bureau de la comptabilité générale, monsieur Smith? Nous allons remettre son témoignage.

M. R.J. Smith: Je vous demanderais d'examiner les témoignages qui ont été présentés lors des audiences tenues par le Congrès des États-Unis, ce qu'a déclaré le chef des services des incendies, ce qu'ont dit les représentants au Congrès des régions concernées, et ce que...

M. William Snape: Toutefois, c'est l'inconvénient des anecdotes.

M. Andy Savoy: Avez-vous des propositions à nous faire au sujet des incitations possibles?

Le président: Monsieur Savoy, vous reparlerez au deuxième tour.

La parole est à Mme Redman.

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.

Ma question s'adresse à M. Evans. Vous nous avez dit que vous vouliez que le Canada garantisse la protection des espèces menacées ou en voie de disparition aux États-Unis. Est-ce qu'actuellement la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition en fait autant pour les espèces qui figurent au Canada sur les listes du COSEPAC?

M. Brock Evans: Je ne sais pas si l'on mentionne expressément les espèces répertoriées par le COSEPAC, mais une disposition prévoit que les espèces figurant sur la liste de la CITES sont incorporées à notre loi. Notre loi autorise certainement ce genre de choses. Si ce n'est pas fait à l'heure actuelle, nous nous ferons un devoir d'oeuvrer auprès de notre gouvernement pour que la réciproque soit vraie.

En passant, j'ai ici sur moi un document—je ne sais pas s'il a été traduit, monsieur le président—la pièce B intitulée «Vers un rétablissement des populations» qui donne des exemples de rétablissement des espèces. On n'y fait aucunement référence au faucon pèlerin et au DDT. Il s'agit de 13 autres espèces dont le rétablissement est dû uniquement à notre loi. Je me ferai un plaisir de vous en laisser une copie.

Mme Karen Redman: Toujours au sujet des faucons pèlerins, je peux vous dire par exemple que le Fish and Wildlife Service des États-Unis envisage d'autoriser la capture des faucons pèlerins pour les besoins de la fauconnerie alors que toutes les provinces canadiennes ont expressément demandé qu'on ne le fasse pas en raison des répercussions que cela entraîne sur la population des faucons pèlerins au Canada, qui figurent toujours sur la liste des espèces menacées au Canada.

Je relève aussi avec intérêt, monsieur Snape, que vous avez reproché au Canada, pas plus tard que le 29 mars, de ne pas avoir mis en place une loi sur les espèces en péril, de sorte que vous avez dû trouver la première partie de cette séance très intéressante.

M. William Snape: En effet. Il est indéniable que ce que vous vous proposez de faire revêt une importance historique et je suis fier d'y participer à mon niveau.

Mme Karen Redman: Je vous remercie.

Le président: C'est tout? Merci, madame Redman. Ce fut l'intervention la plus courte de toutes.

La parole est maintenant à M. Reed.

M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

Monsieur Evans, je suis heureux d'entendre que l'industrie forestière est en pleine expansion dans le nord-ouest du Pacifique. Je transmettrai cette information à mon ministre du Commerce international lorsqu'il devra discuter bientôt de la question du bois d'oeuvre.

Nous avons pris connaissance de tout un éventail d'opinions et je me félicite personnellement d'avoir assisté à cette discussion. Je pense que vous nous avez en quelque sorte soulagé en nous faisant comprendre que sur un certain nombre de points, au moins, nous sommes dans la bonne voie en adoptant ce projet de loi. On pourrait certainement y apporter des adaptations, des changements, des améliorations, etc., et c'est évidemment pour cette raison que nous sommes là.

• 1145

Il y a des différences entre le droit canadien et le droit américain. C'est ainsi que nous sommes habitués à ce que l'on dévalue nos propriétés sans nous indemniser—cela s'appelle le zonage. Les provinces peuvent aussi, par exemple, délimiter différentes régions d'intérêt scientifique ou naturel. Nous ne bénéficions d'aucune indemnisation dans ce cas. Par contre, nous n'avons pas de droits successoraux. Par conséquent, lorsque vous nous dites que la suppression des impôts successoraux pourrait servir d'incitation, nous ne pouvons pas recourir à cette solution. Nous avons cependant l'impôt sur les gains en capital, qui a été abaissé récemment. On pourrait donc envisager d'agir par le moyen des impôts sur les gains en capital qui s'appliquent aux patrimoines laissés en succession.

Je tiens à vous demander cependant si les scientifiques sont véritablement indépendants. J'ai appris au fil des années, après avoir siégé au sein de nombreux comités, que «l'argent parle». Je ne connais pas beaucoup de scientifiques qui sont véritablement indépendants et dont les compétences ne leur procurent pas certains avantages financiers. Par conséquent, comment va-t-on faire pour s'assurer que le classement des espèces en péril, par exemple, va se faire uniquement selon des critères scientifiques?

M. Eugene Lapointe: Si vous me le permettez, je vais répondre à cette question.

M. Evans, parmi d'autres, a déclaré que nous devions débarrasser le mécanisme de classement des espèces en péril de toute ingérence politique. À mon avis, les deux choses sont nécessaires, la science et la politique, à commencer par le fait que ce sont les politiciens qui doivent adopter les lois, les règlements, etc. Pour ce qui est des nominations, il y a un mécanisme de consultation. Tout est politique. Je n'y vois pas d'inconvénient. Les deux choses sont nécessaires pour réussir à protéger les espèces en péril. Bien souvent, cependant, il y a ce que j'appellerai des interférences. Il en résulte deux types de sciences. Il y a la science des charlatans, qui est le fait de scientifiques participant de la génération spontanée, qui découvrent soudainement qu'ils savent tout au sujet d'une espèce donnée, bien entendu sans soumettre leurs conclusions à leurs pairs. En outre, la plupart du temps, c'est ce qui est diffusé dans le public. Il y a aussi la véritable science. Parfois cependant, la science véritable, celle qui n'est pas contaminée, qui n'est pas polluée, fait l'objet de distorsions, de manipulations.

On retrouve les mêmes problèmes et les mêmes difficultés dans le domaine politique. Tout récemment, par exemple, on l'a vu ici même au Canada avec l'affaire des grizzlys—la véritable science a été totalement laissée de coté. Une organisation londonienne appelée Environmental Investigation Agency, une organisation extrémiste, a entrepris de placarder des affiches dans toute la ville de Londres pour dire aux touristes britanniques «n'allez pas en Colombie-Britannique—on y extermine la population des grizzlys.» Cela n'a rien à voir avec la science. C'est une décision politique qui, à mon avis, était erronée: il suffit que l'on cède à la menace et que l'on déclare: «Arrêtons par conséquent la chasse aux grizzlys.» Voilà qui paraît contraire aux conseils scientifiques des fonctionnaires du gouvernement.

C'est là le danger à mon avis de ce type de législation. Des influences peuvent s'exercer dans de trop nombreux domaines, qu'ils soient scientifiques ou même politiques. Il faut en outre savoir reconnaître les choses et parler clairement. Ces groupes qui font du classement sur la liste une priorité sont les mêmes que l'on retrouve dans les forums internationaux, que ce soit la Commission internationale de la pêche à la baleine ou la CITES, et qui cherchent à obtenir une protection totale, que les mêmes dispositions soient adoptées au Canada et aux États-Unis, etc.—qui s'efforcent de contaminer le processus.

Vous avez donc tout à fait raison. Il y a deux types de sciences et, dans la plupart des cas, même la science crédible est biaisée, ce qui fausse les résultats. Dans le projet de loi C-5, j'entrevois de nombreux risques de charlatanisme ou de manipulation des données scientifiques crédibles de même que des mécanismes politiques.

M. Julian Reed: Je vous remercie.

• 1150

M. William Snape: Je ne suis pas nécessairement en désaccord, mais j'estime qu'il y a une ombre qu'il convient ici de dissiper. Si vous me permettez d'adopter un ton léger, je dirais que nous sommes tous influencés, les politiciens comme les scientifiques, les gens sont influencés par leurs propres valeurs. Je pense que c'est évident. En ce qui concerne précisément le COSEPAC, il n'est pas difficile d'identifier des scientifiques éminents dans leur domaine, qui ont beaucoup publié, qui sont respectés dans l'ensemble de la société civile, afin de leur donner un objectif précis. Je considère que l'ensemble du programme—je vous l'ai déjà dit—doit tenir compte des répercussions socio-économiques mais, lorsqu'il s'agit de classer les espèces en voie de disparition, je crois que vous courez au devant des difficultés si vous laissez aux politiciens le soin de prendre cette décision.

J'estime qu'avec les garde-fous dont parle M. Lapointe, même s'il n'est pas nécessairement d'accord avec ma conclusion, il est possible de trouver des moyens relativement objectifs et indépendants—aussi objectif et indépendant qu'on peut l'être—de déterminer le statut biologique d'une espèce. C'est une chose à laquelle il vous faut penser.

M. Julian Reed: Je suis heureux que vous ayez mentionné les grizzlys, car mon fils aurait son mot à dire au sujet de la prétendue disparition des grizzlys.

M. Eugene Lapointe: Là encore, il nous faut tenir compte du fait que les gens qui s'intéressent avant tout à la conservation des espèces sauvages sont ceux qui partagent les terres, les océans ou les mers avec ces espèces, qui cohabitent avec les espèces sauvages. Ce sont les principaux gardiens de ces espèces, les premiers qui vont véritablement faire des efforts de conservation.

La difficulté tient cependant à l'ensemble du mécanisme de consultation, et là encore tout dépend du pays dans lequel on se trouve—le seul pays que je connaisse qui ait résisté à cette tendance est la Norvège—ces personnes, les premières concernées, peuvent parfois avoir bien du mal à faire entendre leur voix, comparativement à des organisations comme l'IFAW ou Greenpeace, et c'est là, bien souvent, que se trouve la faille dans le système. Si nous pouvions trouver un mécanisme qui donne la parole aux Autochtones, aux propriétaires fonciers ou aux agriculteurs et les mettent sur le même plan que Greenpeace, que l'IFAW ou que des organisations extrémistes ayant des objectifs totalement différents de ceux que ce projet de loi est censé appuyer, nous pourrions alors obtenir des résultats.

Le président: Merci, monsieur Reed.

La parole est à M. Laliberte.

M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, Lib.): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier tous les participants, tous les témoins d'aujourd'hui. Je pense que cette séance a été pleine d'enseignements, pour moi tout du moins. C'est la première fois que je suis appelé à examiner ce projet de loi.

Pour reprendre les choses là où nous les avons laissées, nous avons entendu hier un pêcheur autochtone nous raconter comment il a survécu, nous expliquer d'où venaient les gens de sa région et nous enseigner que l'orignal était leur principale source d'alimentation. Toutefois, les anciens leur avaient appris qu'il fallait aussi prendre soin des souris et s'en occuper pour que l'orignal leur permette de vivre. Il y a ce lien de dépendance dont vous parliez, de sorte que le principal signal d'alarme est celui de la conservation. Conservation, c'est le mot clé de ce projet de loi.

Le développement se passe-t-il de la conservation, la conservation se passe-t-elle du développement ou doit-on intégrer les deux, comme on le fait pour l'orignal et la souris? On parle de développement durable, c'est l'expression consacrée dans les documents internationaux. Nous avons le principe de précaution, étant conscients, en tant qu'êtres humains, que nous sommes en mesure de mettre fin à ce cycle. Commençons par cela.

M. Eugene Lapointe: Je vous remercie.

Je dois dire tout d'abord que j'ai bien aimé votre exemple de la souris et de l'orignal. Lorsqu'il s'agit de faire de la conservation, il est bien facile d'amener les gens à protéger les espèces qui les intéressent, comme l'orignal dans le cas qui nous occupe. On peut dire aux gens que la conservation a son importance. Ils vont le comprendre parce que l'espèce en cause a une valeur. Qu'en sera-t-il cependant des papillons, des souris? Je qualifierais dans ce cas-là la principale incitation de naturelle et non pas nécessairement de financière; elle correspond à la valeur de cette espèce pour les êtres humains.

• 1155

On peut passer des espèces ayant une grande valeur économique, au sens large du terme, à toutes ces espèces qui partagent le même habitat, parce que cette petite espèce de souris a une grande importance pour l'orignal. Vous venez de nous exposer à mon avis le premier pas qu'il faut faire en matière d'incitations, soit d'expliquer aux gens pour quelle raison il est important de conserver les espèces.

Quant à la deuxième partie de notre question, je ne vois aucune dichotomie entre le développement et la conservation. Pour moi, c'est un triangle. Il y a, pas nécessairement dans cet ordre, le développement dans le premier angle, l'écologie dans le deuxième et le respect de la culture et de la tradition dans le troisième. Si l'on cherche à faire du développement à tout prix, on empiète les deux autres angles du triangle. Si l'on s'intéresse exclusivement à la protection de l'environnement, on s'oppose au développement ainsi qu'à la culture et aux traditions. Au sein d'une société viable, la situation est équilibrée dans les trois angles. C'est la seule façon de procéder. Autrement dit, qu'on le veuille ou non, l'environnement doit être apprécié en fonction du développement, le développement en fonction du respect de la culture et des traditions, et ainsi de suite.

Par conséquent, même si parfois il peut sembler y avoir des conflits, ils n'apparaîtront que lorsqu'on adopte des positions extrêmes préconisant un développement effréné, une protection totale de l'environnement ou un respect intégral de la culture et des traditions. Toutefois, si l'on tient compte de chaque angle du triangle, on a alors une société viable.

M. Brock Evans: Permettez-moi, monsieur le président, de dire que nous avons bien évidemment toujours recherché cet équilibre. Nous avons cherché à expliquer que c'est ce que faisait notre Loi sur les espèces en voie de disparition. Elle a en fait protégé des espèces qui ne l'auraient pas été autrement.

Malheureusement, nous vivons à une époque où il n'est plus question de protéger totalement la nature. C'est plutôt le contraire. C'est très inquiétant. J'ai l'impression que nous perdons des choses dont nous ne connaissons même par l'importance sur le plan alimentaire et médical. Il suffit de prendre l'exemple de la forêt du nord-ouest du Pacifique, l'if étant considéré comme un arbre sans intérêt alors que tout le monde connaît la valeur des grands pins de Douglas. Nos exploitants forestiers et nos scientifiques ont donc jugé bon de couper tous les grands arbres et de brûler tout simplement les ifs. Vous n'ignorez pas que leur écorce produit une substance appelée taxol, qui fait fondre littéralement les tumeurs ovariennes. C'est le meilleur remède dont nous disposions pour lutter contre les tumeurs des ovaires et du sein, par exemple.

Un scientifique célèbre, E.O. Wilson, a déclaré que nous traitions nos espèces—même les petites, comme les souris, mais aussi les plus grosses, comme le faucon pèlerin—comme si nous disposions d'une grande bibliothèque contenant toute l'information dont a besoin le genre humain, que nous déciderions de brûler après avoir lu seulement 5 p. 100 des livres qu'elle contient. Voilà le problème et c'est là qu'il nous faut arriver à un certain équilibre pour éviter que les espèces disparaissent purement et simplement. Voilà où nous en sommes à l'heure actuelle. Oui, il nous faut faire tout le nécessaire—au moyen d'incitations, de consultations, etc.—mais il faut que les espèces soient protégées, sinon nous allons les perdre.

Le président: Ce sera votre dernière question.

M. Rick Laliberte: J'ai une question à poser à R.J. Smith au sujet des outils, de l'argent et des crédits dont on a besoin. On pense immédiatement aux impôts, mais je sais que vous êtes contre les impôts. Il y a toutefois une obligation. L'État a éventuellement l'obligation de fournir des ressources à ses citoyens pour qu'ils puissent se permettre de protéger les espèces et de respecter le cycle de conservation. Je me suis efforcé de vous suivre jusqu'au bout lorsque vous nous dites, comme l'a indiqué M. Mills, qu'il est préférable de voir quelqu'un se présenter avec un chèque plutôt qu'avec un fusil ou une citation à comparaître. Il faut toutefois qu'il y ait un fonds pour cela. Comment pensez-vous que l'on va instituer ce fonds? Est-ce que vous préconisez davantage d'impôts?

M. R.J. Smith: Nous avons récemment créé aux États-Unis, par l'intermédiaire du projet de loi CARA, une caisse d'une énorme importance qui va rapporter des milliards de dollars en redevances tirées des projets pétroliers au large des côtes. On va pouvoir affecter des milliards de dollars et j'espèce qu'une partie de cet argent servira à aider les propriétaires qui éprouvent des difficultés avec les espèces en voie de disparition sur leurs terrains plutôt que de laisser le gouvernement s'en servir pour acquérir purement et simplement davantage de terres. Il y a là d'immenses possibilités.

Avant cela, lorsqu'on a vendu l'une des réserves pétrolières navales de la Californie, la Elk Hills Naval Reserve, nous avions évoqué la possibilité de se servir de cet argent pour défrayer le coût de la protection des espèces en voie de disparition et pour aider les propriétaires fonciers.

Je vous le répète, il n'est pas nécessaire à mon avis d'affecter beaucoup d'argent aux propriétaires fonciers. Les propriétaires ne stérilisent pas leurs terrains pour le plaisir. Si vous faites en sorte qu'ils n'aient plus peur de la loi, je pense que la plupart d'entre eux seront prêts à faire bien des choses de leur plein gré, et il convient de tirer avant tout parti de cette possibilité plutôt que de donner lieu à des effets pervers.

• 1200

Je conclurai en disant qu'il y a une chose sur laquelle je ne suis pas d'accord avec M. Snape. Je ne pense pas que les droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la propriété soient une simple concession. Ces droits ont été incorporés à la Déclaration des droits de notre pays pour protéger des hommes et des femmes libres contre les atteintes du gouvernement. Je ne pense pas que l'on soit justifié de dire que si le gouvernement menace ou limite ces droits, il convient d'indemniser les gens comme le prévoit notre Constitution ou notre Déclaration des droits.

Le président: Je vous remercie.

Plusieurs personnes souhaitent poser des questions lors du deuxième tour. Il s'agit de M. Forseth, de Mme Kraft Sloan, de M. Savoy et de Mme Redman. Je vous demanderais cependant d'autoriser le président à poser maintenant une question. Elle a trait à l'importance des mesures de protection obligatoires de l'habitat.

Nous aimerions savoir comment vous mettez en oeuvre aux États-Unis la protection de l'habitat essentiel qui est nécessaire, dans un certain sens, avant que l'on puisse passer aux mesures d'application impératives. Cette opération prend du temps et elle est critiquée par ceux qui estiment que les mesures impératives de protection de l'habitat ne constituent pas une solution. Pouvez-vous nous donner quelques précisions?

M. William Snape: Pourquoi ne pas commencer par un exposé que j'espère objectif de la Loi des États-Unis, avec lequel même R.J. serait d'accord. Je vous donnerai ensuite mon opinion personnelle.

La Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition protège essentiellement les habitats au moyen de deux mécanismes. Je simplifie quelque peu. Le premier est celui de l'habitat critique. Lorsqu'une espèce est classée sur la liste, l'habitat critique qui correspond à cette espèce est censé lui aussi être classé. Il comprend à la fois l'habitat occupé au moment du classement sur la liste et l'habitat inoccupé, sur le territoire correspondant à cette espèce. Je reviendrai à l'habitat critique dans un instant. Par conséquent, tout un mécanisme de classement de l'habitat critique entre en jeu théoriquement pour l'ensemble des espèces, même si à l'heure actuelle moins de 15 p. 100—et peut-être même en fait moins de 10 p. 100—soit une fraction de nos espèces classées, possèdent un habitat critique. Nous avons eu des difficultés de financement et de mise en oeuvre.

Le deuxième moyen de protection de l'habitat est l'interdiction pure et simple de prendre une espèce en voie de disparition. On se souviendra que l'on entend par «prendre» le fait ou la tentative de tuer, de nuire, de harceler ou de blesser. Selon l'interprétation qui a été faite des règlements et de la loi au fil des années, le fait de «nuire» inclut expressément les dommages causés à l'habitat. On peut donc protéger l'habitat en prouvant que quelqu'un qui a fait une coupe à blanc, construit un centre commercial ou exercé toute autre activité a en fait tué cette espèce.

La deuxième disposition concernant l'habitat peut se subdiviser en deux parties, et j'ai déjà évoqué la question. Il y a d'un côté les terres privées et de l'autre celles qu'administrent les organismes fédéraux. Pour ce qui est de la définition du préjudice causé à l'habitat, il est extrêmement difficile de prouver que l'on a porté préjudice à une espèce en nuisant à son habitat sur des terres privées ou celles qui relèvent des États en raison essentiellement de l'arrêt prononcé dans l'affaire Sweet Home en 1995. Dans le cas des organismes fédéraux, c'est un peu plus facile en raison de l'existence d'un mécanisme de consultation d'un organisme à l'autre.

Je vous ai cité deux mécanismes, le deuxième se subdivisant à son tour en deux. C'est de cette façon que nous protégeons l'habitat aux États-Unis.

Je n'aborderai pas la politique des États-Unis. Je ne suis pas sûr que ce soit pertinent. Je laisserai les autres intervenants en parler. Je ferai toutefois une proposition pratique qui, je l'espère, vous aidera à aborder le principe de l'habitat essentiel, que l'on retrouve dans le projet de loi C-5.

Tout dépend de la façon dont vous allez traiter le reste du projet de loi, mais je pense qu'il serait rationnel d'établir un lien entre la disposition portant sur l'habitat essentiel et le mécanisme de planification du rétablissement. Je considère que l'on peut légitimement alléguer qu'il est probablement un peu trop tôt pour fixer définitivement l'habitat essentiel au moment du classement de l'espèce sur la liste, parce que l'on ne sait pas encore tout au sujet de cette espèce. Bien évidemment, lorsqu'on classe l'espèce au départ, il faut prévoir des mesures non négligeables de protection provisoire de l'habitat. L'espèce a été classée sur la liste des espèces en voie de disparition. Il est évident qu'elle éprouve des difficultés. On ne peut se contenter de dire que l'on va s'inquiéter de l'habitat dans deux ou trois ans, parce que dans l'intervalle cela pourrait mener à la disparition de l'espèce. Il faut donc des mesures de protection provisoires de l'habitat.

• 1205

Il me paraît logique d'examiner la chose au cours de l'opération de rétablissement, lorsqu'on mettra la dernière main au mécanisme de réglementation ou de protection.

Voilà, c'est tout pour l'instant.

Le président: Tout cela est incontestable. Je vous remercie.

Lorsqu'on voit à quel point la superficie des forêts et des terres a diminué au cours des derniers millénaires, et compte tenu des pressions démographiques qui s'exercent, on ne peut pas être très optimiste au sujet des possibilités qu'offre la loi. Je pense que M. Evans en a parlé. On a comme l'impression que l'humanité agit ici à la dernière extrémité, sur son lit de mort, pour essayer de réparer ce qu'elle a détruit pendant si longtemps. La pression continue à s'exercer sous l'effet de la réduction de la superficie des forêts et des terres et de l'augmentation de la population, qui est de quelque 92 millions de personnes par an, selon les statistiques de l'ONU.

Je suis donc toujours un peu gêné lorsque j'entends les gens nous parler d'équilibre entre la faune, d'une part, et les impératifs socio-économiques, d'autre part.

Au Canada, nous avons fait la terrible expérience de la pêche à la morue. Nous avons retardé au maximum l'adoption d'un moratoire jusqu'à ce que nous soyons absolument obligés de l'imposer, et pourtant les milieux scientifiques adjuraient depuis longtemps le gouvernement de le faire. Cette espèce ne s'est toujours pas rétablie aujourd'hui. Nous ne pouvons plus pêcher comme nous le faisions—nous ne pouvons prendre que des quantités minimes.

Ce qui m'inquiète, c'est la façon dont on évalue ces pressions. Si vous avez des commentaires à faire, j'aimerais bien les entendre ici.

M. Brock Evans: Voyons si je comprends bien vos préoccupations, monsieur le président.

Cette époque est dure et sans pitié. Ceux qui aiment la nature doivent prendre conscience aujourd'hui de la valeur de cette myriade d'espèces qui constituent le monde vivant, et ce n'est pas facile. Pour nous, du moins, c'est une raison d'espérer et d'essayer de faire de notre mieux. C'est pourquoi nous ne relâchons pas nos efforts.

Nous avons effectivement obtenu des résultats. Je vous ai apporté des documents qui prouvent que l'on a obtenu le rétablissement d'espèces que l'on pensait avoir disparu, sans que cela n'ait rien à voir avec des problèmes comme le DDT, parce que nous avons adopté une loi et fait quelque chose. Qui sait quelle sera la valeur de tout cela à l'avenir? Qui sait quelle sera la valeur des paysages devant leur servir d'habitat?

À mon avis, nous tenons la porte à l'heure actuelle, celle qui sépare le présent de l'avenir, et je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, monsieur le président. Je sais simplement que je suis vivant aujourd'hui. Je considère qu'il nous incombe de faire passer le plus d'espèces et le plus d'acres possible par cette porte pour qu'elles aient la chance de se perpétuer dans un monde éventuellement meilleur. Si nous n'y parvenons pas, elles entreront dans le néant et il n'y aura plus rien à discuter.

J'en conviens, notre époque est inquiétante. C'est pourquoi, là encore, je considère, comme Bill, que ce que vous faites revêt une grande importance historique. Je tenais moi aussi à faire ma modeste part. C'est tellement important pour le reste d'entre nous que nous vous souhaitons la meilleure chance.

Le président: Je vous remercie.

M. R.J. Smith: Monsieur le président, je partage moi aussi vos préoccupations de même que la plupart de celles de Brock Evans au sujet de la disparition accélérée de la faune et de son habitat. Nous savons que si nous finissons par vivre dans un monde dans lequel on ne trouve plus que quelques parcs nationaux protégés, entourés de lotissements et de parcs de stationnement goudronnés, nous aurons tous perdu quelque chose. Je me suis efforcé d'exprimer mes préoccupations, et j'espère que j'ai réussi.

Lorsque nous cherchons les moyens de conserver ce qui nous reste de notre patrimoine faunique, il nous faut mettre en place des mesures incitatives positives pour que les propriétaires de terrains privés fassent de leur plein gré ce qui est nécessaire, et il nous faut cesser de créer des effets pervers qui les poussent à endommager ou à stériliser leurs terres ou à mettre une annonce dans le journal pour bien spécifier que leur terre est débarrassée des espèces en péril. Je ne pense pas que nous puissions nous permettre de continuer à agir ainsi. Je considère que nos sociétés sont suffisamment riches pour que l'on puisse prendre des mesures positives permettant d'atteindre ces objectifs dans une société libre et à vocation écologique. J'espère que vous vous efforcerez d'y parvenir dans votre loi.

Le président: Merci, monsieur Smith.

Oui, monsieur Lapointe.

• 1210

M. Eugene Lapointe: À l'appui de ce que vient de dire R.J., on ne peut rien faire dans le domaine de l'environnement si on ne fait pas participer les gens; on ne peut pas sauver les espèces sauvages en s'opposant aux gens. Il faut agir en faveur des gens, pour qu'ils prennent bien conscience du problème, et faire agir les gens.

Je vous remercie.

Le président: Merci.

Bon, une dernière question, rapidement, pour M. Forseth, Mme Kraft Sloan, M. Savoy, Mme Redman et éventuellement M. Laliberte, je n'en suis pas sûr.

Monsieur Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, AC): Merci, monsieur le président.

Nous avons entendu parler aujourd'hui d'accorder des crédits ou de prévoir des incitations appropriées pour aider les espèces à se rétablir. J'aimerais que vous me donniez quelques détails pratiques concernant ce qui a pu être fait au sujet d'espèces qui ne présentent peut-être pas le même intérêt économique que les ours, par exemple, qu'il s'agisse des crapauds, des fougères, de la mousse, du lichen, des insectes, etc. Je me demande ce qui a pu être fait pour sauver effectivement ces espèces—je ne recherche pas des anecdotes, mais je voudrais que vous me disiez quels sont les lois ou les mécanismes permettant effectivement d'accorder cette protection.

Vous pourriez peut-être nous exposer certains principes susceptibles de nous aider lorsque nous nous pencherons sur notre loi. Lors de la mise en oeuvre des plans de coopération, il pourra s'avérer très difficile de collaborer avec les propriétaires locaux. Les espèces que l'agent cherche à protéger vont être considérées comme des nuisibles par la population locale.

M. Eugene Lapointe: Je pourrais peut-être vous répondre sur ce point.

Sur cette question de la valeur que prennent les choses pour les gens, les êtres humains sont les mêmes partout. Nous essayons de protéger ce qui a pour nous de la valeur. Nous allons détruire ou, dans le meilleur des cas, laisser de côté ce qui ne nous intéresse pas. En ce qui concerne la faune, le problème vient des espèces qui ont une valeur pour les êtres humains et qu'on peut utiliser. Il y a d'un autre côté les espèces, qu'il s'agisse des crapauds, des souris ou des petits papillons, dont on ne voit pas vraiment la valeur.

Il faut bien voir que les ONG appliquent le même principe lorsqu'elles veulent récolter des fonds. Vous ne verrez jamais une ONG faire une campagne de financement pour sauver un petit papillon, pratiquement en voie de disparition et perdu quelque part en Indonésie, parce que ce n'est pas spectaculaire. Les campagnes de financement portent sur des espèces charismatiques et autres sujets importants.

Lorsqu'on cherche à attirer l'attention de la population, pour qu'elle s'intéresse à ces petites espèces, je crois que le seul moyen est de faire le lien au sein de l'écosystème entre ces espèces inconnues ou peu médiatisées et l'une des espèces qui présentent une grande valeur et un grand intérêt pour l'humanité. Cela revient, là encore, à rapprocher l'orignal de la souris. Sinon, le gouvernement a tout un travail de communication et de sensibilisation à faire pour montrer à quel point il est important de prendre soin des souris. Les souris ont une valeur pour l'orignal, qui a une valeur pour nous.

Nous en avons vu un exemple en Bolivie. En protégeant les caïmans, dont la valeur économique était très grande pour les petites localités de la région, nous avons pu faire en sorte que l'on protège leur habitat et, par conséquent, celui d'autres espèces que l'on ne connaissait même pas. Une fois qu'on lui a enseigné qu'il était important de disposer d'un habitat pour le caïman de manière à pouvoir en tirer une source de revenu, la population s'est automatiquement intéressée à la protection de l'habitat.

C'est à peu près la seule solution que je peux offrir.

M. William Snape: Je vois ici que vous avez considérablement élargi le débat, en posant des principes qui me paraissent bien fondés. J'ai une ou deux précisions à apporter.

Dans leur majorité, les espèces que vous classez sur la liste sont assez locales. Elles n'occupent pas un très grand territoire. Aux États-Unis, en fait, alors qu'à mon avis certaines espèces ont été mal prises en charge par l'ensemble du système, il est souvent plus facile de passer des accords de coopération parce que le territoire n'est pas aussi étendu. C'est la règle générale. Il y a probablement des exceptions.

Les plantes sont traitées différemment des animaux en vertu de la Loi sur les espèces en voie de disparition, et ceci à plusieurs niveaux, notamment parce que les plantes qui se trouvent sur des propriétés privées ne relèvent pas de la loi. C'est une survivance de notre droit de la propriété et je ne pense pas que le système change dans un avenir rapproché. Les plantes qui se trouvent sur des propriétés privées sont traitées très différemment des animaux.

• 1215

Quant aux amphibiens, aux crapauds et aux grenouilles, j'aimerais bien que nous ayons des réponses. Je ne sais pas si c'est à cause de la Loi sur les espèces en voie de disparition, de la couche d'ozone ou de toutes ces difformités qui apparaissent sur les grenouilles... Qui sait pour quelle raison les populations de grenouilles et de crapauds sont en baisse? Je pense que cela vient en partie de la disparition de l'habitat, mais il y a d'autres raisons que nous ne connaissons pas et le problème est bien complexe. Je n'ai pas la réponse.

Enfin, j'ai vu que l'on avait révisé le projet de loi C-5 au sujet des espèces nuisibles. Je ne me souviens pas précisément si la formulation était la bonne, mais il est indéniable que la Loi des États-Unis sur les espèces en voie de disparition comporte une disposition, et il vous en faut une à mon avis, autorisant que l'on ne puisse considérer les espèces nuisibles comme des espèces en voie de disparition. Il faut qu'il y ait des critères bien précis qui permettent à votre ministère de l'Agriculture, ou à tout autre service compétent, de décréter que telle ou telle espèce est nuisible pour ne pas avoir à protéger quelque chose qui porte préjudice à la fois aux autres espèces fauniques et aux êtres humains.

M. R.J. Smith: Nous avons pu voir aussi à maintes reprises dans le monde qu'une espèce ayant de la valeur a servi de cadre à la protection de l'habitat d'une quantité d'espèces n'ayant aucune valeur ou susceptibles d'être considérées comme des nuisibles par certaines personnes. Le rôle joué par Canards Illimités à compter de 1937 est un exemple instructif. Cette association a cherché à protéger les marais pour une seule raison, pour tuer des canards. En faisant cela, toutefois, et en affectant ses crédits à la location de terres, de marais et de mares chez les agriculteurs et les éleveurs des Prairies, elle a sauvé ces terres humides. On a davantage de canards et tout le monde y a gagné parce que des quantités d'espèces vivant dans ces marais ont elles aussi été sauvées.

La même chose s'est passée, comme M. Lapointe l'a signalé, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. De nombreux groupes de conservation occidentaux se sont adressés à ce pays pour qu'il interdise le commerce de peaux de crocodile vivant dans l'eau salée. Son gouvernement a refusé. Pour pouvoir entretenir ces lagunes, pour que la population locale participe, etc. le seul moyen était de faire le commerce des peaux de crocodile de façon à rentabiliser ces étendues d'eau. Ceux qui, dans les autres pays du monde, veulent sauver les espèces de ces lagunes doivent éviter qu'elles soient transformées en rizières aux mains des promoteurs japonais, et il faut pour cela que la vente des peaux de crocodile rapporte suffisamment d'argent.

Il arrive donc parfois que les choses ne se passent pas du tout comme les gens le croient. Une quantité d'espèces n'ayant aucune valeur peuvent profiter de la protection accordée à une espèce précieuse.

Le président: Merci, monsieur Forseth.

Madame Kraft Sloan, une dernière question.

Mme Karen Kraft Sloan: Monsieur Torres, je voudrais reprendre l'argument que vous avez exposé tout à l'heure, à savoir que le Canada a davantage de ressources financières que le Mexique. En raison, entre autres, des distances qu'il lui faut parcourir, une grande partie de votre population peut difficilement avoir le même accès. Il peut aussi y avoir des différences pour ce qui est du niveau d'instruction, par exemple.

Vous avez évoqué l'importance de l'intervention des citoyens et de leur engagement en faveur de la Loi sur les espèces en voie de disparition. Je pense qu'il est important que notre comité le comprenne bien, notamment compte tenu des différences qui existent entre nos deux pays.

Vous avez aussi souligné qu'il était important que la liste définitive ou officielle soit établie par des scientifiques et que ces derniers soient en outre indépendants. Des problèmes se posent, à mon avis, en ce qui concerne les membres du COSEPAC, et des changements seront apportés par cette loi.

J'aimerais avoir votre avis sur ces deux questions, l'engagement des citoyens, d'une part, et l'établissement de la liste officielle ainsi que les membres du comité d'inscription, d'autre part. Les autres membres du groupe de témoins peuvent aussi me répondre.

M. Claudio Torres Nachón: Dans un pays comme le Mexique, vous le savez, où la démocratie fait son apparition, il ne s'agit pas simplement d'instaurer une démocratie électorale. Il faut aussi ménager l'accès à la justice et à la santé et faire respecter les droits fondamentaux de la personne. La tâche consistant à protéger l'environnement en devient plus difficile. De ce point de vue, je pense que les États ont reconnu qu'ils n'avaient pas la capacité ni les crédits leur permettant d'implanter l'infrastructure nécessaire à la mise en oeuvre effective de la loi dans tout le pays.

• 1220

Nous avons certains mécanismes permettant aux citoyens de faire respecter la loi sous la forme de ce que nous appelons des dénonciations populaires et, en vertu de ce principe, toute personne qui a connaissance d'un dommage causé à la faune ou à tout autre secteur de l'environnement peu aller déposer une plainte devant n'importe quel bureau ou n'importe quelle municipalité, les responsables ayant enregistré cette plainte devant obligatoirement la transmettre à l'organisme fédéral compétent. Cela s'est avéré très utile au Mexique. Nombre d'affaires mises en lumière par ce système ont entraîné un grand courant d'opinion, qui s'est traduit par l'adoption de meilleures lois. Nous avons un corps de lois sur l'environnement qui évolue constamment, et je pense qu'il s'améliore.

M. Eugene Lapointe: Il me semble, madame Kraft Sloan, que vous avez aussi demandé l'avis des autres membres du groupe.

Mme Karen Kraft Sloan: Effectivement.

M. Eugene Lapointe: Je dois vous avouer que je ne suis pas très partisan de ce genre de politique pour le monde en développement. Je reviens à l'une des questions posées par l'honorable député au sujet du conflit entre l'environnement et le développement. Nous savons tous que dans bien des régions du monde, le pire ennemi de l'environnement, c'est la pauvreté. De nombreuses tentatives ont été faites pour imposer une réglementation internationale ou des lois nationales, comportant des mesures de répression sévères, des interdictions, etc.—sans aucun succès, en dépit par ailleurs des études scientifiques menées au sujet des espèces et autres mesures de ce genre. Nous abordons là un domaine où le braconnage et la destruction de la nature est une question de survie. Nous avons là les deux tiers environ de la population mondiale qui se posent la question suivante: comment vais-je survivre demain? C'est là un domaine, à mon avis, dans lequel les pays industrialisés doivent se doter de leurs propres moyens de protection des espèces en voie de disparition tout en élaborant par la même occasion un mécanisme devant leur permettre d'aider les pays en développement.

De ce point de vue, l'un des pays qui aident le mieux—et ce n'est pas parce que je suis ici que je le dis—a éliminé dans le monde en développement la principale menace pour la faune, en l'occurrence la pauvreté, c'est le Canada, par l'intermédiaire de l'ACDI. C'est un sujet qu'il convient d'aborder. Je ne pense pas que l'on puisse faire grand-chose pour conserver les espèces sauvages dans le cadre de la réglementation et des lois de bon nombre de pays en développement.

Le président: Rapidement, s'il vous plaît.

M. Claudio Terres Nachón: Je voulais dire qu'au Mexique, la nouvelle Loi sur la faune s'appuie sur un critère très précis, appelé UMA, qui est une unité de gestion de la faune. Tout part du principe que les propriétaires fonciers ont le droit d'utiliser de manière durable les éléments de la faune sur leur terrain. Bien entendu, il faut que le mécanisme soit transparent ce qui, au Mexique, n'est pas toujours évident. Nous avons une nouvelle loi, mais aussi une quantité d'organisations qui oeuvrent en faveur d'un meilleur système. Au Mexique, par exemple, le gouvernement n'a pas suffisamment d'argent pour financer le système. Nous avons évoqué la question des crédits et nous n'avons pas pu imaginer un système de protection qui se passerait d'un financement. Comment indemniser alors la collectivité elle-même, les propriétaires? C'est possible, à condition de les autoriser à tirer en fait parti de la faune chassée ou conservée sur leurs terres.

• 1225

Il en résulte toute une série d'avantages. C'est une politique de la carotte sur des points bien précis. Là encore, ça ne peut pas donner de résultats si on n'a pas un gros bâton dans l'autre main, parce que vous n'ignorez pas que la faune et son environnement subissent toutes sortes de bouleversements au moment où nous nous parlons.

Voilà ce que j'avais à dire. Je vous remercie.

M. Brock Evans: Nous disposons effectivement d'un mécanisme aux États-Unis. Toutes les règles de conservation sont publiées dans le registre fédéral chaque fois que l'on se propose d'y classer ou d'y enlever une espèce. Des auditions peuvent être organisées si la population veut faire des observations. Nous disposons désormais d'un mécanisme d'auditions publiques totalement transparent.

Le président: Très bien. Je vous remercie.

M. Claudio Torres Nachón: Je ferai rapidement une dernière observation. Pour favoriser la participation du public au Mexique nous avons prévu, outre l'équivalent mexicain du COSEPAC, si l'on peut l'appeler ainsi, la possibilité pour tout citoyen de proposer le classement d'une espèce sur les listes des espèces en voie de disparition, à condition que cette démarche ait un fondement scientifique.

Le président: Je vous remercie.

La parole est à Mme Redman.

Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.

Je voulais moi aussi poser une question à M. Torres Nachón. Au Mexique, le ministre, après avoir pris l'avis d'un conseil consultatif, a le pouvoir de déclarer qu'il existe un habitat essentiel pour une espèce donnée, ou du moins c'est ce que j'ai compris. Est-ce que la protection de l'habitat essentiel est obligatoire?

M. Claudio Torres Nachón: Oui, ce sont les dispositions de l'article 83 de la loi générale sur l'écologie. On y précise que les conditions générales de la survie de l'habitat d'une espèce en voie de disparition doivent être protégées. Là encore, je tiens à préciser que dans bien des cas cela n'est pas suivi d'effet parce qu'il faut intenter d'énormes procès, par exemple, mais cette disposition existe et elle est d'application obligatoire.

Mme Karen Redman: Je vous remercie.

Le président: Merci.

Monsieur Laliberte.

M. Rick Laliberte: J'aimerais évoquer le fait qu'il faut un organisme responsable. Lorsqu'on considère le préambule de notre loi, dont on peut se féliciter—c'est un magnifique préambule—je pense immédiatement au Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril. Il y a donc le rôle joué par le conseil de conservation puis—je ne sais pas à quel point vous êtes familiarisé avec l'administration canadienne—il y a ensuite l'intervention des ministres compétents aux termes de la loi, puis du gouverneur en conseil, qui exerce le pouvoir en dernière analyse. Il y a un rôle de coordination, de préparation, de mise en oeuvre et de planification qui apparaît de la première importance ici. On le définit au paragraphe 7(1) pour ce qui est du conseil de conservation. Qu'en pensez-vous? Est-ce que des dispositions de ce genre existent dans d'autres lois, les vôtres ou les lois internationales? Est-ce que l'on s'engage tous dans le même sens en employant cette terminologie?

M. William Snape: Je ne peux pas prétendre analyser le projet de loi C-5. Il semble qu'il y a un certain nombre d'organismes et éventuellement que la procédure soit un peu trop lourde lorsqu'il s'agit de prendre certaines de ces décisions. Lorsque j'en ai pris connaissance, avec des yeux d'Américain consultant un projet de loi canadien, je ne savais pas très bien dans certains cas qui était responsable de certaines décisions. Entre vous, au sein de la Chambre des communes, vous ferez certainement la part des choses.

Pour ce qui est du classement lui-même, dans la mesure où il y a une participation du public, où chacun collabore et communique l'information dont il dispose, je ne pense pas l'on ait besoin de tous ces organismes du gouvernement pour décider du classement sur la liste. Il vous faut à mon avis un seul organisme, quel qu'il soit. Vous nous avez demandé notre avis, mais il vous faudra décider finalement qui va prendre la décision de classement sur la liste, qui va délivrer les permis, qui sera responsable du plan de rétablissement, qui signera le plan de gestion. Quelqu'un, un organisme, un corps quelconque, un ministre, doit être responsable en fin de compte.

Je dirais rapidement une dernière chose sur le Mexique. Ce qui se passe à l'heure actuelle au Mexique est révolutionnaire, parce que l'accès à l'information est possible maintenant, pour la première fois en 70 ans. Vous nous parlez de la protection de l'environnement et nous convenons tous—nous sommes tout à fait d'accord avec R.J.—que nous avons besoin d'un maximum d'information sur tous les conflits et sur tous les points de manière à pouvoir en discuter sans acrimonie.

• 1230

Je citerai deux corollaires. Tout d'abord, il semble que les documents devant être consignés dans le registre—et je n'ai pas les numéros d'articles car j'ai imprimé ce projet de loi en passant par Internet—ne mentionnent pas par exemple les permis, certaines consultations et éventuellement l'ensemble des ententes qui ont été passées. Je vous conseille bien franchement de rendre publique l'intégralité des documents liés au programme des espèces en voie de disparition, quelle que soit la nature du programme que vous avez adopté, à moins qu'il contienne effectivement des renseignements confidentiels susceptibles de porter préjudice à une personne, parce que la population devient soupçonneuse lorsqu'on lui cache des choses.

Le dernier point que je tiens à signaler—et étrangement il s'agit là probablement de ma dernière intervention ce matin et éventuellement de la plus cruciale—c'est que lorsque des inquiétudes se font jour au sujet de la Loi sur les espèces en voie de disparition ou de n'importe quel projet de loi sur la faune, c'est souvent parce que les propriétaires ne disposent pas de cette information. Nous avons évoqué la possibilité aux États-Unis, et d'ailleurs les deux partis en ont convenu à un certain niveau, de créer un poste de protecteur de la faune ou des espèces en voie de disparition, dont les services se chargeraient d'informer la population. Souvent, ces conflits peuvent être désamorcés dès que l'on comprend les mécanismes et que l'on connaît toutes les options disponibles. Je dirais donc que paradoxalement il est très important d'envisager la possibilité pour les propriétaires fonciers et les particuliers de s'adresser à un protecteur du citoyen ou à ses services.

M. Eugene Lapointe: C'est précisément la complexité du mécanisme que j'ai cherché à évoquer dans mon exposé avant d'être interrompu en raison du temps limité dont nous disposons. Vos intentions sont certainement bonnes, mais étant donné la lourdeur de la procédure—évaluations périodiques, remise des interdictions, les habitats, le rétablissement, le plan d'action en vue du rétablissement, l'ensemble du mécanisme de consultation, la réglementation exigée en vertu d'un décret à la fois pour mettre en oeuvre et faire respecter la loi—vous risquez fortement, à un moment donné, d'encombrer le système.

J'en reviens à la question posée par M. Bigras, je crois, sur les risques de procès. Selon un article publié par le Washington Post le 12 mars, qui s'intitule «La liste des espèces en voie de disparition est à nouveau en danger», il y a une impasse à l'heure actuelle. Il y a en ce moment tellement de procès qui sont intentés contre la Loi sur les espèces en voie de disparition qu'elle ne peut pratiquement plus atteindre son objectif, soit la protection des espèces en voie de disparition.

On reproche à la loi de mettre en péril certaines espèces en raison de ces poursuites judiciaires, et j'ai bien peur que dans le cadre de votre projet de loi, vous courriez non seulement le premier risque que j'ai évoqué, soit celui d'une ingérence ou d'une contamination entre la science et la politique, mais qu'en outre vous donniez le prétexte à des procès et qu'en conséquence ce texte de loi devienne inopérant.

Le président: Monsieur Snape, rapidement, pour en revenir à notre conversation antérieure, pourriez-vous nous préciser si, avant d'arriver à la création d'un habitat essentiel, qui est une opération lente et complexe, vous êtes prêt à recommander que l'on passe par une étape intermédiaire, une forme de protection provisoire de l'habitat en attendant qu'une analyse fondamentale ait lieu?

M. William Snape: Avec plaisir.

Il y a deux ans environ, un sénateur républicain du Rhode Island, John Chafee, qui malheureusement est mort brusquement, s'est rendu compte que les États-Unis étaient en proie à des difficultés parce qu'ils ne parvenaient pas à régler la question de l'habitat critique. Il a déposé un projet de loi appuyé en fait par l'industrie et par les groupements écologistes. Tout a pris fin lorsqu'il est mort étant donné que c'est lui qui patronnait ce texte et que les projets de loi sont parfois très faciles à bloquer au Congrès.

En somme, cela revenait à protéger l'habitat en deux étapes. La première étape, lors de l'inscription sur la liste, consistait à établir ce que l'on qualifiait «d'habitat essentiel». On garantissait un habitat minimum permettant d'enrayer le déclin de l'espèce puisque, c'est bien évident, c'est ce déclin qui au départ a justifié l'inscription de l'espèce sur la liste. Puis, lors de la planification du rétablissement on classait finalement, si vous voulez, un «habitat critique».

• 1235

On partait du principe que lorsqu'on classe au départ une espèce, on sait évidemment un certain nombre de choses—on sait qu'elle est en déclin, qu'elle a certaines difficultés—mais c'est au cours de la planification du rétablissement que l'on a une vue d'ensemble, que l'on fixe les solutions, les stratégies, etc. C'est dans le cadre d'une telle analyse qu'il est probablement préférable d'appliquer cette notion d'habitat critique.

Je vous répète que ce projet de loi n'a pas été adopté. L'administration Clinton a cherché à en appliquer certaines dispositions sur le plan administratif, avec plus ou moins de succès.

C'est le meilleur conseil que je puis vous donner pour l'avenir.

Le président: Je vous remercie.

Mme Kraft Sloan va poser la dernière question.

Mme Karen Kraft Sloan: Je vous remercie.

Votre loi existe depuis 28 ans et vous avez un mécanisme d'établissement de la liste officielle selon des critères scientifiques. Qui sont les membres de votre groupe qui établit la liste?

M. William Snape: C'est là qu'à mon avis vous pouvez faire mieux que nous.

C'est le Fish and Wildlife Service des États-Unis qui s'en charge pour la plupart des espèces terrestres, et le National Marine Fisheries Service pour la plupart des espèces marines. Ces deux services se partagent les compétences sur certaines espèces, comme le saumon. Quand je parle de «service» je me réfère à l'organisme.

Le service a parmi son personnel des biologistes qui engagent la procédure, soit parce qu'un particulier l'a demandé, soit parce que les propres spécialistes du service savent qu'il y a un problème et veulent proposer l'inscription sur la liste. C'est ensuite que l'on procède à un premier examen de la situation.

Toutefois, à partir du moment où un ou plusieurs biologistes signent le dossier d'inscription, il faut remonter tous les échelons politiques du Fish and Wildlife Service. C'est le même organisme, mais les responsables sont différents. Ce sont des personnes nommées par le président qui appliquent d'autres critères—si tant est que les critères biologiques soient objectifs—que les critères biologiques.

Par conséquent, lorsqu'il y a des poursuites aux États-Unis au sujet de ce mécanisme d'inscription sur la liste, il s'agit souvent de savoir ce qu'a dit ou non le biologiste du service et ce qu'a fait ou non tel ou tel politicien pour détourner la science de son objet. Ces procès sont intentés non seulement par les écologistes, mais aussi par l'industrie.

Voilà donc quelle est la procédure. Tout se fait à l'intérieur du même organisme et tout semble rationnel mais, à mon avis, il y a probablement trop de gens qui s'occupent du dossier.

Mme Karen Kraft Sloan: Est-ce que selon vous c'est parce qu'il y a trop d'ingérences politiques que l'on se retrouve avec des procès?

M. William Snape: Il s'agit uniquement du mécanisme d'inscription sur la liste.

Une fois qu'une espèce est classée sur la liste, comment va-t- on prendre toutes les décisions permettant d'éviter de la mettre en péril? C'est là qu'à mon avis il vous faut faire intervenir la politique; il faut tenir compte de l'économie; il faut en substance évoquer les valeurs sociales.

Mme Karen Kraft Sloan: Ce sont toutefois deux mécanismes distincts.

M. William Snape: Oui.

Mme Karen Kraft Sloan: Au départ, une espèce est biologiquement menacée ou non. Ensuite, il s'agit de décider ce que l'on va faire, et c'est là évidemment qu'il faut tenir compte de l'ensemble des facteurs.

Merci, monsieur le président.

Le président: Je vous remercie.

Lorsqu'on en vient aux discussions sociales, on se pose inévitablement la question de savoir s'il faut mettre en place des programmes socio-économiques pour aider les personnes touchées par la mesure afin qu'elles ne subissent pas un préjudice financier. C'est là que doivent intervenir les critères socio-économiques. Toutefois, si l'on s'en prévaut pour ne pas accorder de protection, on va à l'encontre du but fixé. Il faut que les critères socio- économiques servent d'amortisseurs.

Nous vous sommes très obligés d'être venus à Ottawa nous faire part de vos lumières et de vos observations, philosophiques, pratiques et autres. Nous en ferons bon usage et nous resterons éventuellement en communication avec vous.

Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie du temps que vous nous avez consacré et de votre dévouement à une cause que nous partageons de toute évidence en dépit des distances qui nous séparent. Nous espérons vous revoir.

Mucho gusto. Hasta la vista.

La séance est levée.

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