ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT
COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 3 mai 2001
Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Comme vous le savez, nous avons commencé notre travail sur le projet de loi C-5, Loi concernant la protection des espèces sauvages en péril au Canada.
Aujourd'hui, nous avons des témoins de quatre groupes qui s'occupent de la loi et du droit de l'environnement. Nous allons d'abord entendre soit Mme Keenan, ou M. Attridge, M. Girard, ou Mme Powell.
[Traduction]
Qui veut commencer?
Mme Karen Keenan (stagiaire en droit, Association canadienne du droit de l'environnement): Je m'appelle Karen Keenan. Je suis stagiaire en droit à l'Association canadienne du droit de l'environnement.
L'Association canadienne du droit de l'environnement ou CELA est une clinique d'aide juridique de l'Ontario, et à ce titre, elle fait partie intégrante du système d'aide juridique de cette province. L'Association est une clinique spécialisée qui se concentre exclusivement sur le droit de l'environnement et les questions environnementales. Nous représentons devant les tribunaux des personnes qui ont des problèmes d'ordre environnemental et qui, sans notre intervention, ne pourraient pas être représentées. L'Association est également très active en matière de réforme du droit.
J'ai préparé un mémoire qui vous a été transmis. Je pense que vous l'avez reçu. Dans ce mémoire, la CELA formule 41 recommandations précises à l'intention du comité.
Mes observations porteront sur quatre questions principales: les poursuites privées, la question de la compensation, le processus d'inscription des espèces et l'application générale du projet de loi relativement aux espèces et à l'habitat qui sont protégés.
Tout d'abord, en ce qui concerne les poursuites privées ou le droit d'intenter à titre personnel des poursuites en cas de non-respect des dispositions du projet de loi, ce droit n'est pas garanti dans le projet de loi C-5, même si, d'après mes renseignements, il était inclus dans les versions antérieures de cette mesure. La CELA estime qu'il faut modifier le projet de loi pour y inclure ce droit.
• 0915
À notre avis, la possibilité d'intenter des poursuites à
titre privé constitue un outil d'application précieux qui joue
plusieurs rôles. Il crée un incitatif à l'observation de la loi. En
outre, il permet de toute évidence d'intenter des poursuites en cas
de non-observation de la loi. Le fait que des simples particuliers
puissent intenter des poursuites crée également un mécanisme qui
favorise la reddition de comptes par le gouvernement quant à ses
obligations de faire appliquer la loi.
Si ce droit était prévu dans le projet de loi C-5, ce ne serait pas la première fois qu'une telle disposition existe dans une loi sur l'environnement ou sur l'extraction des ressources. Ce droit existe déjà dans certaines lois fédérales et provinciales, notamment la Loi fédérale sur les pêches, la Charte des droits environnementaux de l'Ontario, la Loi du Québec sur la qualité de l'environnement, et les lois du Yukon et des Territoires du Nord- Ouest sur les droits environnementaux, pour n'en citer que quelques-unes.
Notre première recommandation est donc d'inclure ce droit dans le projet de loi.
En ce qui concerne la question de l'indemnisation, l'article 64 du projet de loi prévoit que le ministre accorde une indemnisation en cas de pertes subies en raison de l'application de certaines dispositions du projet de loi C-5. Cet article préoccupe notre association en raison de son ambiguïté et de la très large portée de cette disposition. Nous souhaitons la voir modifiée de façon à en restreindre l'application et à l'appliquer exclusivement aux expropriations. Nous jugeons souhaitable de prévoir une indemnisation, mais uniquement en cas d'expropriation.
S'agissant du processus grâce auquel les espèces sont inscrites sur la liste des espèces sauvages en péril, cela relève du paragraphe 27(1) du projet de loi C-5, lequel donne au gouverneur en conseil le pouvoir d'inscrire une espèce; là encore, la CELA souhaite qu'on modifie cette disposition de façon à donner un caractère scientifique, et non politique, au processus. Nous souhaitons que l'inscription d'une espèce se fonde sur des critères scientifiques et objectifs, et non politiques. En vertu de cet amendement, le gouverneur en conseil devrait inscrire une espèce sur la liste des espèces sauvages en péril lorsque le COSEPAC fait une recommandation en ce sens en fonction de ses critères et de ses compétences scientifiques.
Nous souhaitons également proposer un amendement pour que lorsque le projet de loi entre en vigueur, la liste actuelle du COSEPAC soit la liste par défaut des espèces sauvages en péril qui soit utilisée au début. Nous craignons qu'on mette sur pied un processus en vue de revoir cette liste ou de remettre en question une par une toutes les espèces qui figurent actuellement sur cette liste. Nous recommandons que la liste soit intégralement annexée à la loi et qu'elle serve de liste de départ, ou par défaut, des espèces sauvages en péril.
Enfin, en ce qui a trait à l'application de la loi relativement à la protection des espèces et de leur habitat, j'ai gardé cette question pour la fin, mais ce n'est certainement pas la moins importante. En fait, je dois dire, comme je l'ai dit dans notre mémoire, que l'application restreinte des dispositions constitue pour notre association la plus grande lacune du projet de loi.
Les articles 34 et 35 limitent l'application des articles 32 et 33. L'article 32 porte sur les espèces protégées et l'article 33, évidemment, sur la protection de leurs résidences. Ces dispositions sont limitées par les articles 34 et 35 aux espèces aquatiques, aux oiseaux migrateurs protégés par la Loi sur la convention concernant les oiseaux migrateurs et aux espèces se trouvant sur le territoire domanial.
De même, les articles 58 et 60 qui protègent les habitats essentiels sont limités au territoire domanial. L'application de ces articles est également limitée aux secteurs désignés par décret, ce qui est discrétionnaire. Nous souhaitons qu'on modifie ces dispositions de façon à ce que toutes les espèces en péril, toutes leurs résidences et tous leurs habitats essentiels soient protégés, où qu'ils se trouvent. Dans notre mémoire, nous expliquons comment apporter cette modification: il suffirait d'abroger les articles 34 et 35 ou, alors, de modifier leur libellé de façon à ce qu'ils protègent explicitement toutes les espèces et tous les habitats essentiels.
Sinon, nous souhaitons que les articles 32, 33, 58 et 60 s'appliquent par défaut à toutes les espèces, et que si les provinces et les territoires réussissent à prouver que leur législation sur les espèces en péril accorde une protection équivalente ou supérieure à celle de la loi fédérale, cette dernière ne s'applique pas dans les provinces et territoires concernés—ces derniers pourraient demander une sorte d'exemption de la législation fédérale. Il serait décidé d'avance que, si une province ne réussit pas à prouver que sa loi accorde une protection équivalente ou supérieure, la loi fédérale s'appliquera afin de protéger les espèces se trouvant dans les secteurs de compétence provinciale. Là encore, nous recommandons comme première option que les articles 32 et 33 s'appliquent à toutes les espèces et à tous les habitats essentiels.
• 0920
Cela met fin à mon exposé. Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup.
Qui veut continuer?
M. Ian C. Attridge (attaché de recherche, Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement): Bonjour. Je m'appelle Ian Attridge et je représente ici l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement.
Je remercie le comité de m'avoir invité à venir témoigner aujourd'hui. Il s'agit d'un projet de loi très important qui intéresse au plus haut point notre institut, en tant qu'organisme de recherche sur le droit environnemental.
Je vais vous donner un bref aperçu de mon exposé d'aujourd'hui, et je répondrai volontiers à toutes les questions de façon à fournir plus de détails au besoin. Pour commencer, je vais présenter notre institut, puis faire des observations de portée générale, parler de l'accord national visant la protection des espèces en péril et de nos activités à ce sujet, et enfin je conclurai en parlant de la portée de l'intendance dans le cadre du projet de loi C-5.
Tout d'abord, je suis avocat en Ontario et j'ai une grande expérience des questions touchant la conservation des terres et de la faune. Auparavant, j'étais analyste juridique auprès du ministère ontarien des Ressources naturelles, lequel est responsable des dossiers concernant les terres et la faune dans la province de l'Ontario.
Je participe à de nombreuses activités d'intendance de concert avec les propriétaires fonciers, afin d'encourager les activités bénévoles de protection des terres et de la faune.
Je comparais aujourd'hui comme attaché de recherche de l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement. Nous sommes un organisme environnemental à but non lucratif axé sur la recherche. Notre siège social est à Toronto et mon bureau est à Peterborough, en Ontario; nous menons des recherches au niveau provincial, national et international.
Depuis longtemps, nous contribuons à la mise en vigueur de la Convention sur la biodiversité et de ses protocoles, en donnant notre avis sur la stratégie canadienne relative à la biodiversité. J'ai rédigé et publié un texte sur la politique et le droit canadiens en matière de biodiversité en 1996, et l'Institut a participé à la préparation d'un rapport sur la capacité de toutes les instances du Canada de mettre en oeuvre l'accord national sur la protection des espèces en péril. Nous menons également des activités au niveau national et international sur la diversité et les ressources génétiques.
J'aimerais commencer mon exposé sur le projet de loi par quelques remarques générales. J'ai préparé un mémoire détaillé, que j'ai remis au greffier aujourd'hui et, sauf erreur, vous devez tous avoir sous les yeux le document abrégé qui renferme certaines observations ainsi que nos 27 recommandations.
À titre d'observation générale, j'aimerais dire tout d'abord que les mesures de protection des espèces et de l'habitat sont trop laissées à la discrétion du ministre et du Cabinet. Ces dispositions figurent, surtout en ce qui concerne les espèces et l'habitat, aux articles 27 et 58. À notre avis, il vaudrait mieux prévoir des mesures obligatoires si l'on veut protéger de manière efficace les espèces et leur habitat, qui est essentiel à la survie.
Nous pensons également qu'il y a d'autres façons d'aborder le problème, et au niveau théorique, cela pourrait intéresser votre comité. On pourrait notamment conserver une partie du pouvoir discrétionnaire, mais dans certaines limites et en énonçant les résultats escomptés de ce processus et de ce pouvoir discrétionnaire. Mentionnons par exemple la disposition visant l'inversion du fardeau de la preuve, qui accroîtra les mesures de protection mais permettra au gouverneur en conseil de faire des exceptions, par décret, et de justifier ces exceptions dans le registre, comme le prévoit la loi. Cela garantira les mesures de protection, mais le Cabinet pourra accorder des exceptions au besoin.
La deuxième option consisterait à fixer un délai, en disant que le pouvoir discrétionnaire pourrait être exercé dans les 60 jours, trois mois ou deux ans, après quoi il faudra obtenir un résultat précis ou une disposition obligatoire entrera en vigueur.
• 0925
La troisième option consiste à établir des lignes directrices
ou des facteurs déterminants pour tenir compte des résultats à
éviter, notamment nuire aux espèces ou détruire leur habitat.
Voilà le genre de facteurs déterminants qui pourront délimiter la portée de ce pouvoir discrétionnaire.
En second lieu, comme l'a signalé ma collègue Mme Keenan, la liste des espèces en péril établie par le COSEPAC devrait être incluse dans la loi au début. Elle devrait être annexée à la loi sous sa forme actuelle, ce qui est très important.
Troisièmement, la protection de l'habitat essentiel est d'une importance cruciale et doit être obligatoire. C'est en réalité la clé du succès de ce projet de loi. Cette protection s'applique à toutes les terres et aux eaux fédérales. Les espèces aquatiques—qui relèvent clairement de la compétence fédérale—les oiseaux migrateurs et les espèces transfrontalières relèvent de la compétence du gouvernement fédéral et devraient donc être inclus. Il existe sans nul doute... et je crois savoir que vous avez entendu certains témoignages, certains avis de juristes et de constitutionnalistes faisant autorité, concernant l'exercice de ce pouvoir à l'égard de l'habitat.
Enfin, il faut prévoir un filet de sécurité fédéral solide en fonction d'un test d'équivalence, comme dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Cela se pourrait se fonder sur l'accord national et les normes convenues. En fait, il existe certains documents d'interprétation déjà en place pour l'accord national. On pourrait y ajouter certains détails de façon à mettre sur pied ce test d'équivalence. Lorsque le filet de sécurité prévu dans d'autres lois est facultatif, il n'est presque jamais utilisé.
La deuxième chose importante que j'aimerais dire porte sur l'accord national proprement dit. L'accord a été adopté en 1996 par toutes les instances. Il représente en fait le cadre de la protection et de la conservation des espèces en péril au Canada. Entre autres dispositions, il prévoit les inscriptions sur les listes, la protection des espèces et de leur habitat, des évaluations environnementales, l'intendance et l'application.
À mon avis, l'accord est généralement assez bon et il a fait du chemin sur le plan politique. En pratique, il a entraîné des modifications législatives dans tout le pays au niveau provincial. Cet accord a été considéré par le gouvernement fédéral comme l'un des jalons lui permettant de réaliser ses divers engagements pris aux termes de la Convention sur la biodiversité et de l'accord national.
En 1998 et 1999, notre institut a revu les capacités déclarées de toutes les provinces et de tous les territoires pour la mise en vigueur de l'accord. Il s'est agi en fait de vérifier si les diverses administrations ont les moyens voulus pour mettre l'accord en vigueur, et non la mise en vigueur proprement dite. Il reste à faire une évaluation approfondie, ce qui constitue l'une de nos recommandations dans notre rapport de 1999.
La Loi sur les espèces en péril représente l'un des principaux moyens dont dispose le gouvernement fédéral pour respecter ses engagements aux termes de l'accord. Par le passé, il y a eu divers projets de loi et des interprétations différentes du contenu des nouveaux textes de loi, de sorte que, en préparant notre rapport, il nous a été difficile de faire une bonne évaluation.
Dans l'évaluation que nous avons faite en 1999, nous avons constaté qu'une plus grande intégration des activités du ministère des Pêches et des Océans s'imposait. Il fallait également concrétiser l'accord national dans le mandat de Parcs Canada et dans la Loi sur les parcs nationaux. Bien entendu, cette loi a dernièrement été modifiée et mise à jour, et il faudra donc prendre d'autres mesures pour respecter les dispositions de l'accord.
À notre avis, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ne renferme pas de dispositions assez strictes pour évaluer les conséquences pour les espèces en péril, et la Loi sur les espèces en péril doit figurer dans les dispositions législatives et réglementaires désignées de la LCEE.
Les autres témoins auront d'autres remarques à faire au sujet de l'évaluation environnementale. Il faut absolument faire mention dans cette loi des autres éléments de l'accord national, ceux qui portent sur les mesures de prévention, les principes de durabilité et l'intendance. Les dispositions doivent être claires et précises et les principes de l'accord national doivent être reflétés dans la Loi sur les espèces en péril, c'est-à-dire le projet de loi à l'étude.
Il est également fait mention d'un plan national d'action en matière d'intendance. Il serait utile, à mon avis, de faire état de ce plan et de l'utilité d'aller de l'avant, non seulement pour élaborer le plan mais également pour le mettre en vigueur.
• 0930
Depuis notre évaluation en 1999, certaines autres questions se
sont posées. Il faut préciser le rôle du COSEPAC, en tant que
comité indépendant et libre de toute ingérence sur le plan
politique et socio-économique. Cela constituait l'un des textes
d'interprétation, parallèlement à l'accord, qui n'est pas
clairement inclus dans la loi pour le moment—et nous en parlons
dans l'une de nos recommandations.
La désignation juridique des «espèces» serait considérée comme inadéquate aux termes de l'accord si la liste actuelle du COSEPAC n'est pas automatiquement incluse dans la loi. À notre avis, cela reviendrait à tout reprendre depuis le début. Il existe déjà une liste dont l'examen est presque terminé ou, en tout cas, le sera à temps pour l'entrée en vigueur de cette loi.
Les mesures facultatives de protection des espèces et de leur habitat risquent de limiter cette protection, en même temps que la mise en vigueur de l'accord par le gouvernement fédéral. D'où notre recommandation en vue de rendre ces mesures obligatoires.
Il faut également prévoir dans le projet de loi des pouvoirs d'adopter des décrets d'urgence pour protéger l'habitat.
Le projet de loi ne prévoit aucun pouvoir relatif aux accords internationaux. La collaboration entre États constitue l'un des principes sur lesquels se fonde l'accord national. Il est prévu de conclure des ententes interprovinciales ou des accords avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, mais pas d'accords internationaux. Il va sans dire que d'autres ministères devront participer à ces ententes, mais il existe déjà des accords avec des pays comme les États-Unis, sur un plan plus administratif, portant sur les mesures de protection des espèces en péril et d'autres espèces sauvages.
Dans la Loi sur les espèces en péril, on reconnaît de plus en plus l'utilité de disposer de vastes moyens d'application, ainsi que de méthodes de déclaration relatives à ces moyens. Cela reflète certaines études que nous avons faites à l'égard de l'accord. La notion même du caractère obligatoire ou facultatif de ces mesures représente un aspect essentiel du projet de loi.
La dernière chose dont j'aimerais traiter aujourd'hui est le principe de l'intendance—ou comme les membres des Premières nations l'appellent, les activités ou responsabilités facultatives. L'intendance a des connotations négatives pour certaines Premières nations, et il faut en tenir compte. Je ne vous recommande pas d'essayer de définir l'intendance dans le projet de loi. Il en existe environ un million de définitions différentes. Tout le monde a sa propre idée sur la question mais en général, cela s'applique à toutes les activités facultatives. L'intendance est mentionnée dans l'accord dans une certaine mesure, et c'est un principe essentiel au programme du gouvernement visant à assurer la protection des espèces en péril dans notre pays.
En priorité, il nous faut prévoir, dans cette loi et sur le terrain, toute une gamme d'instruments. Il nous faut des zones protégées: des parcs nationaux, des réserves fauniques nationales, des parcs provinciaux. Il nous faut des mécanismes de réglementation. Il nous faut des mesures d'intendance facultatives et des stimulants économiques. Certaines de ces mesures peuvent être intégrées au projet de loi, et d'autres par renvoi. Nous devons envisager la situation dans son ensemble, car l'intendance ne permet pas à elle seule de protéger toutes les espèces. L'intendance existe dans un contexte réglementaire dont elle dépend.
L'un des propriétaires que je représente dans mon cabinet de droit privé participe actuellement à des discussions en vue de conclure un accord de conservation visant à protéger sa terre. Cela dépend du pouvoir réglementaire exercé par les services de conservation en amont pour protéger la qualité de l'eau du cours d'eau qui traverse sa propriété. Il doit s'entendre avec ses voisins et un autre organisme qui a une zone protégée en aval de sa propriété, pour relier cet habitat et le rendre viable pour les espèces en péril et celles qui sont présentes en grand nombre.
Nous avons besoin de tous ces outils qui ont une action combinée. Un cadre de réglementation strict sert de toile de fond aux activités d'intendance, lesquelles doivent être reconnues de façon claire et globale dans la loi. C'est la deuxième remarque importante que j'aimerais faire au chapitre de l'intendance.
Il y a dans la loi d'excellentes choses concernant l'intendance. Il en est question dans le préambule et les articles 11 à 13 prévoient des pouvoirs en vue de conclure des accords. Il est question des possibilités d'acquisition de terres à l'article 62 et des codes de pratique concernant l'habitat à l'article 57.
• 0935
Il y a des mécanismes de consultation. De fait, dans certains
cas, ces derniers sont peut-être excessifs et risquent d'entraver
la prise de mesures, mais le principe de la consultation est selon
moi très important dans un modèle d'intendance. Ce sont là de
bonnes choses qui sont bienvenues, mais il y a aussi plusieurs
lacunes.
Le projet de loi ne prévoit aucun pouvoir direct pour permettre aux ministres compétents d'adopter des programmes en vue d'inciter les particuliers à entreprendre des activités d'intendance. Ces dernières ne sont exécutées qu'en vertu d'accords prévus aux articles 11 à 13. La portée des activités d'intendance énumérées aux articles 11 et 12 exclut certains aspects essentiels de l'intendance—vous trouverez des détails à ce sujet dans mes recommandations.
Il n'existe aucun pouvoir relatif à l'octroi des fonds, ni d'examen des mesures incitatives et dissuasives, sur le plan financier, mettant en cause les ministres compétents ainsi que, à mon avis, le ministre des Finances. Ce sont là des éléments essentiels du soutien des activités d'intendance et ils doivent faire partie intégrante des dispositions. Il faut absolument inclure ces mesures dans le projet de loi.
Il faut préciser le rôle du Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril relativement à l'intendance et à la coordination d'un plan national d'action en matière d'intendance. En outre, il faut intégrer des renvois à l'intendance et la désignation des principaux éléments de l'intendance dans les stratégies de rétablissement, les plans d'action et de gestion, ainsi que dans les pouvoirs des tribunaux d'octroyer des fonds aux organismes qui entreprennent des activités d'intendance dans les collectivités locales. Ils sont chargés au premier chef des mesures d'intendance.
Enfin, il faut prévoir dans la loi un fonds d'intendance. L'indemnisation représente un pouvoir extraordinaire et je pense que d'autres vous en parleront.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Attridge.
[Français]
Monsieur Valiquette, s'il vous plaît.
M. Pierre Valiquette (membre bénévole, Conseil d'administration; trésorier, Centre québécois du droit de l'environnement): Bonjour.
Je voudrais remercier les parlementaires de nous donner la chance de nous exprimer au sujet de ce projet de loi et aussi de vous présenter brièvement le CQDE et mon confrère ici présent, Jean-François Girard.
Le CQDE est une association personnalisée d'utilité sociale, qui a été fondée en 1989. Notre mission est de promouvoir le droit de l'environnement comme outil de protection de la santé publique et du patrimoine collectif. Nous sommes actifs dans trois domaines en particulier, soit la protection, tous les aspects de la pollution et la conservation, ce dont on parle aujourd'hui. Nous intervenons aussi à l'échelle internationale.
À ce titre, et dans toutes nos activités, nous participons aux commissions parlementaires depuis 1989. Nous avons soumis une vingtaine de mémoires, tant au Québec qu'ici, à Ottawa, portant sur différents dossiers.
En matière de conservation volontaire, le CQDE est très actif avec des organisations communautaires partout au Québec depuis sa fondation. C'est sur la base de cette expertise que je veux vous présenter Me Jean-François Girard, biologiste et avocat, qui est responsable du secteur de la conservation au Centre québécois du droit de l'environnement. Jean-François termine sa troisième année au Centre québécois du droit de l'environnement. Ce n'est pas un très vieux routier, mais il a vu à peu près tous les dossiers qu'on peut voir au Québec actuellement.
Merci beaucoup.
Le président: Monsieur Girard, s'il vous plaît.
Me Jean-François Girard (avocat et biologiste, Centre québécois du droit de l'environnement): Merci.
D'entrée de jeu, le CQDE veut souligner l'initiative du gouvernement fédéral qui, par le projet de loi sur les espèces en péril, s'efforce d'améliorer le cadre de protection des espèces en péril et de s'acquitter de ses obligations internationales et nationales.
Tout comme le gouvernement fédéral, le CQDE croit fermement que l'intendance doit constituer la pierre d'assise d'une stratégie visant la protection des espèces en péril. Nous croyons tellement au succès du mouvement d'intendance en matière de conservation que notre propos, aujourd'hui, portera essentiellement sur ce sujet.
En effet, l'intendance, en complémentarité avec les actions de l'État, offre une voie de solution intéressante afin de protéger le plus efficacement possible les espèces en péril. Nous tenons à souligner le fait que le projet de loi sur les espèces en péril permettra la conclusion d'accords de conservation tant pour les espèces en péril que pour celles qui ne le sont pas, mais qui pourraient le devenir.
Cependant, si nous appuyons l'orientation du projet de loi au sujet de l'intendance, nous avons quelques questions sur la conception que se fait le gouvernement fédéral—et qui perce dans le texte du projet de loi—de ce qu'est réellement l'intendance.
• 0940
En fait, en matière d'intendance, il est possible de
distinguer trois volets qui sont complémentaires les uns
aux autres: l'intendance publique, l'intendance privée et
l'intendance communautaire. Ce n'est pas clair, dans
le projet de loi, quel type d'intendance on
entend promouvoir au chapitre de la future Loi sur les
espèces en péril.
Les volets qui nous intéressent, au Centre québécois du droit de l'environnement, sont l'intendance privée et et l'intendance communautaire. Ces deux volets, parfois regroupés sous les vocables «conservation volontaire», permettent d'atteindre la complémentarité avec les actions de l'État.
À l'heure actuelle, au Québec, les outils juridiques utilisés par les acteurs privés et communautaires de l'intendance sont essentiellement et presque exclusiment tirés du Code de procédure civile du Québec. Le plus souvent, il s'agit de la vente ou de la donation du bail et de la servitude. Bref, l'intendance est un ensemble de moyens qui permettent d'atteindre des objectifs de conservation. Mais ce sont plus que de simples moyens.
Le monde de l'intendance constitue une véritable révolution quant à l'approche utilisée en matière de conservation. L'intendance est, en réalité, la prise en charge du milieu par les gens qui y habitent ou qui en profitent. Or, pour bien comprendre le phénomène de l'intendance, il est essentiel de bien connaître les acteurs qui y jouent le premier rôle. Qui sont ces acteurs?
Dans le premier rôle, on trouve généralement deux acteurs principaux: les propriétaires fonciers et les groupes de conservation. Tous deux forment, très souvent, un couple indissociable. Nul besoin de s'étendre sur qui sont les intervenants privés et ces propriétaires fonciers. Nous les connaissons.
Cependant, les groupes de conservation méritent, pour leur part, que nous nous y attardions un peu plus longtemps. Trop souvent, ces groupes sont méconnus. Ils sont essentiellement des associations personnalisées, sans but lucratif, qui ont, pour la plupart, un statut d'oeuvre de bienfaisance. Ils sont issus de regroupements locaux de citoyens qui se mobilisent en faveur d'un projet de conservation. Ces citoyens, jeunes ou retraités, provenant de tous les milieux, sont conscients de la valeur du patrimoine naturel et présentent une volonté surprenante de s'impliquer à l'échelle locale ou régionale. Bref, les groupes de conservation constituent l'indice d'un mouvement distinct au sein de nos collectivités, mouvement qui repose sur la prise en charge d'une communauté par elle-même.
Activement présents au sein de leur communauté, les groupes de conservation présentent de nombreux avantages pour l'action étatique en matière de conservation. Mentionnons simplement le fait qu'en s'appuyant sur la communauté, et avec l'aide de celle-ci, ces groupes encouragent la protection de caractéristiques patrimoniales au niveau local, maintiennent la tradition de propriétés privées, développent la conscience et suscitent l'intérêt de l'État et de la communauté locale quant à la gestion des ressources naturelles et établissent des liens directs et intimes avec les ressources ou les sites protégés. Ces groupes peuvent donc jouer un rôle complémentaire à celui adopté par l'État en matière de création et de protection de sites naturels ou de caractéristiques patrimoniales.
À notre avis, le plus grand mérite du projet de loi sur les espèces en péril, dans sa mouture actuelle, est de reconnaître l'apport essentiel des acteurs privés et communautaires aux efforts de conservation. Nous appuyons donc fortement cette orientation au sein du projet de loi.
Si les objectifs des groupes de conservation peuvent varier d'un groupe à l'autre, la mission des groupes est très souvent la même d'un à l'autre. Il s'agit pour eux de favoriser la protection et la mise en valeur des milieux naturels.
Il est important de retenir deux réalités fondamentales liées au mouvement de l'intendance privée et communautaire. Premièrement, les groupes de conservation sont les premiers intervenants et les initiateurs de projets de conservation en ce qui concerne les terres privées. En effet, ce sont les groupes de conservation qui, régulièrement, établissent le premier contact avec le propriétaire foncier, le sensibilisent aux caractéristiques patrimoniales se trouvant sur sa propriété et à l'importance de les préserver. Ces groupes sont la bougie d'allumage de nombreux projets de conservation. Établissant une relation de confiance mutuelle, ils amènent graduellement, patiemment le propriétaire à s'engager de façon plus formelle, au moyen d'une entente de conservation, dans la conservation de ces caractéristiques patrimoniales.
Le deuxième élément fondamental de l'intendance privée et communautaire est le suivant. Ces ententes de conservation sont toujours conclues sur une base volontaire et, généralement, sans que l'État n'intervienne directement, sauf pour offrir de l'aide financière ou à titre d'organisme paragouvernemental, comme la Fondation de la faune du Québec, ou par le biais d'une municipalité.
• 0945
À notre avis, tout projet de
loi qui ne tient pas réellement compte de ces deux
réalités fondamentales ne peut avoir qu'une portée
limitée sur les acteurs privés et communautaires de
l'intendance.
Enfin, avant d'aborder le projet de loi lui-même, il reste à traiter de la nature des ententes de conservation conclues jusqu'à ce jour par les acteurs privés et communautaires de l'intendance.
Une entente de conservation est essentiellement un contrat entre un propriétaire et le groupe de conservation, par lequel le propriétaire s'engage à protéger son terrain selon certaines règles précises. L'entente de conservation s'adapte en fonction de la volonté du propriétaire et de la mission du groupe de conservation. Ainsi, toute entente de conservation est unique et individualisée en fonction des besoins et volontés du propriétaire, tout en tenant compte des particularités du milieu ou de la caractéristique à protéger.
Tel que précédemment mentionné, les outils juridiques en vertu desquels il est possible de conclure de telles ententes de conservation sont actuellement tous tirés du Code civil du Québec, pour ce qui nous concerne au Québec. En fait, ces ententes sont des contrats par lesquels les parties s'obligent les unes envers les autres, en vertu du principe de la liberté contractuelle qui prévaut en droit civil québécois. C'est justement cette liberté contractuelle qui permet, en matière d'intendance privée et communautaire, d'utiliser les institutions du Code civil et de les adapter à la sauce «conservation». Les ententes de conservation ne sont donc ni plus ni moins que des obligations contractuelles prévues en termes généraux au Code civil et adaptées aux besoins de la conservation des caractéristiques patrimoniales.
Les questions d'intendance sont traitées, dans le projet de loi, aux articles 11, 12 et 13. S'appliquant aux espèces expressément désignées, l'article 11 énonce que le ministre «peut conclure» un accord «avec un gouvernement au Canada, une organisation ou une personne». C'est par le biais de cet accord que sont établies les règles de conservation, de rétablissement ou de mise en valeur des espèces qui font l'objet de l'accord.
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le dire, nous appuyons fermement cet engagement du gouvernement fédéral en faveur de l'intendance. De même, l'ouverture du projet de loi à la protection d'espèces qui ne sont pas en péril, à l'article 12, mérite d'être soulignée dans la mesure où cela apporte une plus grande souplesse au projet de loi.
Nous nous inquiétons cependant de constater que, selon notre interprétation du projet de loi, les seuls projets d'intendance susceptibles d'être considérés pour les fins de l'application de la loi sont les projets où l'État est obligatoirement partie à l'accord. En effet, dans la mesure où le texte du projet de loi dit que le ministre peut conclure un accord et que l'article 13 ajoute qu'il est possible de prévoir le partage des coûts dans le cadre d'accords conclus au titre des paragraphes 11(1) et 12(1), il nous semble que les seuls projets de conservation susceptibles de bénéficier d'un soutien financier du gouvernement fédéral seraient les projets conclus en vertu des articles 11 et 12, soit les projets où l'État est toujours une partie contractante.
Nous croyons que cela est contraire à l'esprit qui anime le mouvement de la conservation volontaire et que le projet de loi mélange confusément les trois formes d'intendance, soit l'intendance publique, privée et communautaire.
Or, au risque de nous répéter, il n'est ni nécessaire ni souhaitable que l'État agisse toujours ou obligatoirement à titre d'intervenant principal en matière d'intendance. Avec égards pour l'opinion contraire, il nous semble que dans sa forme actuelle, le projet de loi accorde une trop grande place aux interventions discrétionnaires du ministre compétent en matière d'intendance.
De plus, notre compréhension du projet de loi nous amène à douter de la disponibilité du financement pour des projets de conservation conclus strictement entre parties privées, ce qui équivaut à nier les efforts jusqu'ici consentis par les intervenants privés et communautaires du secteur de la conservation.
Le Centre québécois du droit de l'environnement recommande donc que le libellé des articles 11, 12 et 13 du projet de loi sur les espèces en péril soit corrigé afin d'assurer que toutes les parties privées intéressées à conclure des ententes de conservation puissent avoir accès à l'aide financière offerte par le gouvernement fédéral sans que celui-ci soit obligatoirement partie à l'entente de conservation ainsi conclue, pour autant que ces ententes respectent, bien sûr, les objectifs de la loi.
Cette intrusion importante de l'État dans le milieu de la conservation volontaire soulève aussi d'autres questions très pertinentes d'un point de vue juridique. Nous avons exposé précédemment qu'au Québec, les ententes de conservation reposaient sur les mécanismes du droit civil tels qu'ils existent au sein du Code civil du Québec. Or, en vertu de quel régime juridique pourront être conclus les accords dont le projet de loi sur les espèces en péril fait état? Du common law? Du droit civil québécois? Surtout, comment seront qualifiés ces contrats entre l'État et les particuliers? Le partenariat des personnes publiques et privées nous force à nous interroger sur la nature juridique du contrat. Cet accord dont il est fait mention dans la future LEP est-il un contrat de droit privé ou un contrat administratif?
• 0950
La détermination de la nature juridique du contrat est
essentielle afin d'établir quel sera le tribunal
compétent en cas de litige et selon quel régime
juridique sera résolu ce litige. La future LEP est
malheureusement muette sur ces aspects importants.
Ainsi, on est en droit de se demander quelles seraient
les conséquences en cas de non respect des clauses d'un
accord. Devons-nous comprendre, à la lecture du projet
de loi sur les espèces en péril, qu'un propriétaire qui ne
respecterait pas un tel accord serait alors
passible de conséquences pénales, tel que prévu aux
articles 97 et suivants?
Nous devons dire que si tel devait être le cas, nous nous sentirions très mal à l'aise face à de telles mesures. En effet, nous somme d'avis que cela constituerait une atteinte importante aux principes fondamentaux de l'intendance.
À ce jour, au Québec, les mécanismes de protection et les moyens de faire respecter les accords ou ententes de conservation relèvent tous du droit civil, et sont à la discrétion des parties contractantes. Ces parties ont de plus le choix du forum arbitral. Ils peuvent faire appel à un médiateur, à un arbitre, ou s'en remettre aux tribunaux de droit commun pour régler leur litige.
La justice pénale a été, jusqu'à présent, complètement étrangère au mouvement d'intendance, et nous sommes d'avis qu'elle devrait le rester.
Il faut souligner que, dans l'hypothèse où un contrat entre une personne publique et une personne privée est qualifié de contrat administratif, cette qualification consacre la prééminence du partenaire public sur la personne privée. Ainsi, quant à l'exécution du contrat, la personne publique a, notamment, un pouvoir unilatéral de contrôle et de sanction, même si le contrat ne le prévoit pas.
Un tel régime attribue également à la personne publique un pouvoir unilatéral de modification du contrat. Ces prérogatives apparaissent exorbitantes du droit commun des contrats privés. Si l'État veut s'arroger de tels pouvoirs par le biais de la Loi sur les espèces en péril, nous croyons que cela devrait être clairement indiqué dans la loi, ce qui n'est pas le cas du projet actuel.
Je voudrais poser une dernière question à ce sujet. Si la ministre peut conclure des accords, cela veut-il dire que nous verrons une nuée de fonctionnaires parcourir les campagnes afin de conclure ces dits accords, se substituant ainsi aux groupes de conservation? Si tel n'est pas l'objectif du gouvernement, nous croyons que les articles 11, 12 et 13 devraient être modifiés, afin de prévoir que des accords conclus strictement entre des parties privées puissent être reconnus aux fins d'aide financière prévue par la loi.
Bref, dans ce nouveau contexte, les citoyens prennent en charge eux-mêmes la gestion des ressources de leur milieu, et le projet de loi sur les espèces en péril offre une occasion unique de jeter les bases d'un nouveau partenariat entre l'État et les citoyens.
Cependant, comme nous avons eu l'occasion de le mentionner, nous nous interrogeons sur la place et le rôle que s'octroie l'État au sein de ce projet de loi. Dit simplement, nous croyons que l'État occupe une trop grande place dans le volet intendance de la future LEP, et que celle-ci devrait être révisée de façon à tenir compte de la réalité vécue par les intervenants du milieu de la conservation volontaire. Elle devrait aussi, grâce à des programmes de financement adéquats et des incitatifs fiscaux innovateurs, faciliter leurs actions et les aider à réaliser leur objectifs de conservation.
Le mouvement d'intendance est un mouvement qui émane de l'initiative des citoyens et qui, hormis l'accès aux ressources financières, fonctionne de façon autonome. La Loi sur les espèces en péril ne doit pas nier cette réalité, mais plutôt encourager l'action des citoyens.
En effet, force est de constater que les groupes de conservation, souvent maîtres d'oeuvre des projets d'intendance, sont l'indice d'un mouvement persistant au sein de nos collectivités, mouvement qui repose sur la prise en charge d'une communauté par elle-même. L'État, dans le contexte actuel des finances publiques qui se traduit par une réduction des effectifs et des budgets, ne peut envisager d'augmenter ses responsabilités en s'astreignant seul à protéger les espèces en péril. Il doit maintenant compter sur la participation volontaire et les initiatives des secteurs privé et communautaire.
D'ailleurs, outre leur fonction réglementaire, les lois ont plusieurs autres utilités. Ainsi, les lois permettent aux gouvernements et à leurs mandataires de poser des gestes, de mettre en place des programmes et des infrastructures, de dépenser et de conclure des accords de financement.
Bref, une loi est un outil essentiel pour aider et soutenir les actions des citoyens, et nous croyons que c'est là un des rôles majeurs que devrait assumer la future LEP.
Selon le CQDE, le projet de loi sur les espèces en péril devrait être révisé quant à ses aspects portant sur l'intendance. Premièrement, il faut y modifier le rôle joué par l'État: celui-ci ne doit pas être une partie obligée de tout accord de conservation. Parfois, un simple rôle de témoin peut être suffisant. Deuxièmement, il faut accroître les moyens d'action des acteurs privés et communautaires de l'intendance. Troisièmement, il faut s'assurer que toutes les parties privées et communautaires intéressées à conclure des ententes de conservation puissent avoir accès à l'aide financière offerte par le gouvernement fédéral sans que celui-ci ne soit obligatoirement partie à l'entente de conservation ainsi conclue. Quatrièmement, il faut y prévoir la mise en place de programmes d'aide accrue et de soutien aux projets de conservation volontaires, faciliter la publicité des droits, apporter un soutien technique et scientifique, etc.
• 0955
Parallèlement, il serait pertinent de prévoir la mise
en place de mesures fiscales qui favoriseraient
réellement l'émergence de projets de conservation
volontaire sur le territoire canadien. À ce titre,
nous nous joignons à ceux qui réclament notamment
l'élimination du gain en capital lors de la donation
d'une propriété possédant une valeur écologique ou
d'une servitude de conservation.
Avant de terminer, nous aimerions soulever un dernier point concernant la qualité de la rédaction du projet de loi lui-même. Manifestement, ce projet de loi est écrit en fonction des espèces animales seulement et pose des problèmes d'interprétation qui feront les délices des juristes. Nous posons ici une question. Comment puis-je tuer, harceler, capturer ou prendre un arbre? Je comprends que si je coupe l'arbre, il risque de mourir, mais encore là, il pourrait avoir des rejets de souche et il n'est pas évident que j'aurai tué l'arbre, encore moins que je l'aurai harcelé. La même chose vaut pour une plante herbacée. D'ailleurs, quel est le terrier ou le nid d'une plante herbacée? Je ne vois pas. Ou encore, comment pourrons-nous tuer, harceler, capturer ou prendre du pollen ou des semences? Nous croyons qu'un important effort de révision du projet de loi devrait être fait ne serait-ce que pour tenir réellement compte des espèces végétales, ce qui n'est pas le cas actuellement.
Merci.
Le président: Merci, M. Girard. Vous avez soulevé des questions très intéressantes, particulièrement en rapport avec le Code civil. On tentera de faire un bon usage de votre recommandation.
[Traduction]
Nous souhaitons la bienvenue à Mme Powell qui nous vient d'Edmonton. Vous avez eu d'éminents prédécesseurs au Centre, madame. Je me réjouis de votre présence.
Mme Brenda Heelan Powell (conseillère, Environmental Law Centre): Merci.
Je m'appelle Brenda Heelan Powell et je suis conseillère au Environmental Law Centre, à Edmonton.
Le Environmnental Law Centre (le Centre) est un organisme de charité à but non lucratif, constitué en société en 1982. L'objectif global du Centre est de faire en sorte que la loi protège l'environnement. Pour atteindre cet objectif, le Centre offre nombre de services, l'un des principaux étant la surveillance de la loi et de la réforme législative.
Au nom du Environmental Law Centre, je vous remercie de nous avoir invités à faire des commentaires sur le projet de loi C-5, projet de loi sur les espèces en péril. Nous avons préparé un mémoire écrit dont vous avez, je crois, le texte sous les yeux.
Avant de faire mes observations, j'aimerais insister sur deux questions précises, les mesures d'indemnisation prévues dans la loi et l'interaction entre la LEP et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Si le temps le permet, je ferai ensuite d'autres commentaires qui se trouvent dans notre mémoire.
Je commencerai par la question de l'indemnisation. La disposition relative aux mesures d'indemnisation prévues dans la LEP nous préoccupe.
Tout d'abord, nous sommes préoccupés par le précédent que cela va créer. Le libellé de la loi est assez général pour créer un droit à l'indemnisation en cas de simple réglementation de l'utilisation des terres, et pas simplement en cas d'expropriation. Ce principe est sans précédent dans les lois sur l'environnement, à l'exception peut-être de la Loi de la Nouvelle-Écosse concernant les espèces en péril. En outre, la jurisprudence canadienne a établi que les gouvernements jouissent de vastes droits pour établir dans la loi des limites à l'utilisation des terres, sans indemnisation, si c'est dans l'intérêt public.
Il n'existe pas de jurisprudence évidente où des tribunaux supérieurs ont statué que des propriétaires devaient être indemnisés en cas de simple réglementation de l'utilisation des terres, par opposition au retrait proprement dit d'un droit de propriété. Il n'existe donc aucune obligation légale établie de dédommager des propriétaires dans les cas où l'utilisation des terres est simplement réglementée. L'option d'indemnisation prévue dans la LEP risque donc de créer un droit juridique qui n'existe pas à l'heure actuelle. Cela va établir un précédent qui nous inquiète.
Il est impossible de faire la distinction entre la Loi sur les espèces en péril et d'autres lois sur l'environnement et l'utilisation des terres, par exemple en ce qui a trait aux règles de zonage ou à l'utilisation des produits chimiques. Cela va-t-il créer un précédent en vertu duquel il faudra désormais dédommager les propriétaires chaque fois qu'on adoptera un règlement sur l'utilisation des terres ou la protection de l'environnement?
• 1000
En outre, nous nous demandons comment cette disposition pourra
être conciliée avec celles des autres lois qui prévoient
actuellement la protection de l'habitat mais sans offrir
d'indemnisation. Par exemple, si l'on imagine un tronçon de rivière
qui est touché par un projet, dans la partie inférieure de ce bras
d'eau se trouve une espèce de poisson en péril et dans la partie
supérieure, un habitat halieutique mais qui n'est pas considéré
comme un habitat d'espèces en péril.
L'auteur du projet pourra être tenu de prendre des mesures de façon à ne pas nuire à l'habitat dans les deux parties de la rivière. Dans la partie inférieure, les propriétaires seront tenus de protéger l'habitat aux termes de la LEP. Dans l'autre partie de la rivière, ils devront protéger l'habitat aux termes de la Loi sur les pêches. Cette dernière ne prévoit aucune indemnisation. Est-ce à dire que l'auteur du projet sera indemnisé pour la moitié des mesures qu'il prend, ou pour la totalité? La moitié seulement de la rivière sera protégée aux termes de la LEP.
Nous nous inquiétons non seulement du fait que les mesures d'indemnisation établiront un précédent en vertu duquel le gouvernement devra peut-être indemniser les propriétaires chaque fois qu'il adoptera un règlement sur l'utilisation des terres ou la protection de l'environnement, mais en outre cette approche se fonde sur une mauvaise interprétation des droits de propriété. Elle contribuera à confirmer l'opinion erronée selon laquelle les droits de propriété accordent aux propriétaires le droit de détruire à tout jamais l'habitat essentiel dont dépend la survie des espèces en péril. Les gouvernements ne doivent pas ajouter foi à cette interprétation erronée des droits de propriété.
En outre, il est probable que cette approche sera un incitatif aux projets de développement et à la destruction de l'habitat essentiel. Autrement dit, l'indemnisation risque d'avoir un effet incitatif pervers.
Le principe de l'indemnisation va à l'encontre du principe de la collaboration et des mesures d'intendance facultatives qui est au c«ur de la LEP. La Loi sur les espèces en péril doit se fonder sur les incitatifs plutôt que sur l'indemnisation. On peut prévoir des mesures incitatives pour atténuer les problèmes que pourrait causer à un particulier l'adoption de règlements sur l'utilisation des terres aux termes de la LEP.
Nous recommandons que l'on abandonne l'approche de l'indemnisation dans la LEP. Il faudrait plutôt que les efforts visent à enseigner la bonne intendance de l'environnement et à donner de l'aide à cet égard, y compris de l'aide financière au besoin, pour aider les propriétaires fonciers à améliorer l'habitat. Il est essentiel que l'on dispose des fonds nécessaires à la mise sur pied de programmes d'incitation en ce sens.
Si l'approche de l'indemnisation est maintenue, nous recommandons de modifier le libellé de la loi. Il faudrait qu'elle définisse ce que l'on entend par «conséquences extraordinaires». Par ailleurs, l'indemnisation ne devrait être offerte que lorsqu'il y a expropriation ou extinction complète de tous les droits liés à la propriété foncière. La loi devrait préciser en outre que l'indemnisation ne doit pas être limitée au versement de sommes d'argent mais doit prévoir d'autres modalités comme l'échange de terre, des avantages fiscaux et d'autres mesures.
Notre prochain sujet de préoccupation, c'est l'interaction entre la LEP et la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Tout d'abord, il faudrait bien préciser que les permis délivrés en vertu de la LEP feront nécessairement intervenir la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il faudrait, pour cela, modifier le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées pris en application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Il faudrait apporter cette modification au moment de la promulgation de la LEP.
Deuxièmement, nous avons certaines préoccupations relativement à l'article 79 de la LEP. C'est l'article qui exige que toute personne tenue, sous le régime d'une loi fédérale, de veiller à ce qu'il soit procédé à l'évaluation environnementale d'un projet notifie au ministre tout projet susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou son habitat essentiel.
• 1005
Nous convenons qu'un demandeur doit aviser le ministre si son
projet est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou
son habitat essentiel, mais nous sommes d'avis que cette
disposition est trop restrictive. L'expression «habitat essentiel»
est une expression technique juridique qui est définie dans la LEP.
Dans un cas particulier, il est très peu probable qu'un habitat qui
satisfait aux critères d'un projet de loi aura en fait été désigné
«habitat essentiel». Par conséquent, l'article 79 devrait
s'appliquer dès qu'une espèce inscrite, sa résidence ou son
habitat, qu'il soit ou non «essentiel», est en cause.
Enfin, nous avons des réserves quant à la modification qu'il est proposé d'apporter à la définition d'«effets environnementaux» dans la LCEE. Cette modification aura pour effet d'ajouter à la définition tout changement entraînant des répercussions sur une espèce inscrite, sur sa résidence ou sur son habitat essentiel. À l'encontre des autres changements énumérés dans l'actuelle définition d'«effets environnementaux» dans la LCEE, il s'agit là d'un changement qui aura manifestement un effet environnemental. Tout effet sur une espèce sauvage ou sur sa résidence ou son habitat est un effet environnemental. Cela étant, tout effet sur une espèce inscrite ou sur sa résidence ou son habitat est aussi un effet environnemental. Nous craignons qu'en faisant expressément des répercussions sur une espèce inscrite, sur sa résidence ou sur son habitat essentiel un «effet environnemental», la disposition deviendra restrictive, sinon en droit, du moins dans la pratique. La disposition pourrait se restreindre à l'examen des effets, non pas sur toutes les espèces sauvages, mais uniquement sur les espèces inscrites.
La modification qu'il est proposé d'apporter à la LCEE pourrait avoir une incidence marquée sur le fonctionnement de la LCEE. Nous estimons qu'il vaudrait peut-être mieux ne pas user d'une simple modification corrélative prévue dans la LEP pour apporter à la LCEE une modification aussi importante, mais modifier cette loi directement. On pourrait ainsi mieux garantir l'examen en bonne et due forme des conséquences qu'il y aurait à modifier la définition qui y figure. Étant donné que le comité aura bientôt à se pencher sur une version révisée de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale dans le cadre de l'examen quinquennal, c'est sans doute à ce moment-là qu'il conviendrait d'examiner la modification en ce sens.
Si le gouvernement fédéral décide d'apporter des modifications à la LCEE dans le cadre de la LEP, nous recommandons de modifier la LCEE de manière à ce que tout effet négatif sur une espèce inscrite, la résidence de ses individus ou son habitat soit réputé constituer un effet environnemental négatif important aux fins de l'article 16 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Ainsi, l'examen préalable, l'étude approfondie, la médiation ou l'examen par une commission devra déterminer si les effets sur une espèce inscrite, la résidence de ses individus ou son habitat peuvent être atténués. Dans la négative, l'autorité responsable ne pourra prendre de mesure au niveau fédéral à moins que les effets sur l'espèce inscrite qui ne pourront pas être atténués puissent être justifiés dans les circonstances par d'autres considérations.
Cette façon de considérer les espèces inscrites et leur habitat essentiel se justifie par le caractère critique et irréversible de la situation des espèces en péril. Les effets sur les espèces en péril ne devraient pas être traités sur le même pied que les autres effets environnementaux.
Je voudrais maintenant vous parler de certaines des autres observations que nous formulons dans notre mémoire. Nous y avons déjà fait allusion aujourd'hui.
La première question est celle de l'inscription pour des raisons politiques qui, à notre avis, affaiblit la LEP. Car, à moins d'être inscrites, les espèces dont les scientifiques auraient déterminé qu'elles sont en péril ne seraient aucunement protégées par la LEP. Il n'y aurait donc aucune disposition interdisant de les tuer, ni aucune obligation de prévoir un plan de rétablissement assorti de diverses mesures de protection possibles, ni aucune aide financière pour leur conservation. En outre, elles pourraient ne pas bénéficier au même titre que les espèces inscrites de la sensibilisation du public ou des efforts de bénévoles qui suivent souvent l'inscription sur la liste.
• 1010
La décision d'inscrire une espèce sur la liste ne doit pas se
faire à la lumière de considérations socio-économiques. Ces
préoccupations devraient plutôt être prises en compte au moment de
déterminer les mesures à prendre une fois qu'il a été confirmé par
les scientifiques qu'une espèce est en péril. Nous recommandons que
la liste dressée par le COSEPAC soit reprise intégralement dans la
LEP. À tout le moins, la liste existante devrait être incluse dans
la LEP à titre de liste de départ.
Nous craignons aussi une application trop restrictive des dispositions générales de la loi qui interdisent de tuer certaines espèces ou de nuire à la résidence de leurs individus. Nous recommandons que les interdictions contenues dans la LEP s'appliquent à toutes les espèces en péril, où qu'elles se trouvent. À tout le moins, la Loi sur les espèces en péril doit interpréter de façon large la compétence fédérale établie sur les oiseaux migrateurs, les espèces aquatiques et les espèces sauvages transfrontalières sur l'ensemble du territoire canadien.
Nous avons aussi des réserves relativement au filet de sécurité fédéral qui est destiné à protéger l'habitat essentiel. Nous recommandons l'abandon de cette approche axée sur le filet de sécurité fédéral en faveur d'un mandat prévoyant explicitement la protection de l'habitat essentiel de toutes les espèces inscrites sur l'ensemble du territoire canadien. Si le gouvernement fédéral refuse de renoncer à son filet de sécurité, nous avons plusieurs recommandations quant à la façon dont il devrait être modifié.
Tout d'abord, il devrait être, non pas discrétionnaire, mais obligatoire. Autrement dit, il devrait obligatoirement s'appliquer quand tous les efforts d'intendance et les mesures d'incitation se sont révélés insuffisants pour ce qui est de protéger l'habitat.
En outre, il devrait y avoir un délai pour déterminer si les programmes d'intendance et les mesures d'incitation destinés à protéger l'habitat essentiel ont échoué, et il devrait y avoir une protection provisoire obligatoire, jusqu'à ce que cette décision ait été prise.
Enfin, nous sommes d'avis que la LEP serait renforcée par l'ajout de dispositions prévoyant la participation du public. On devrait y inclure une disposition permettant aux membres du public de déposer des pétitions en vue de l'application du filet de sécurité à la protection de l'habitat essentiel. On devrait également y inclure une disposition permettant aux membres du public d'intenter des poursuites selon des critères semblables à ceux qui sont énoncés dans la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
Voilà mes remarques liminaires. Merci.
Le président: Merci, madame Powell.
Nous passons tout de suite au premier tour, pour des questions qui, je l'espère, seront brèves. Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, AC): Merci, monsieur le président.
Les poursuites de la part de membres du public étaient certainement prévues dans le projet de loi qui a précédé celui-ci, mais on n'en trouve aucune mention dans l'actuel projet de loi. Je me trompe peut-être, mais comme il n'en est pas question dans le projet de loi, les recommandations en ce sens ne sont d'aucune application pratique. Nous ne pouvons pas, à ce stade-ci, introduire de nouveaux principes en ce sens dans le projet de loi. Nous ne pouvons même pas en discuter. Le gouvernement a décidé qu'il n'en serait pas fait mention, si bien qu'il ne sert à rien d'en parler.
J'aimerais toutefois approfondir avec vous certains autres points, notamment toute cette question de l'indemnisation dans les cas d'expropriation. Les appuis en faveur d'une indemnisation très restreinte sont nombreux, mais nous avons aussi entendu d'autres témoignages selon lesquels elle devrait être élargie pour que l'objet du projet de loi paraisse moins menaçant et qu'il suscite bien plus de collaboration que de résistance. Vous pourriez peut- être nous expliquer de façon plus détaillée pourquoi vous voulez limiter de façon importante l'indemnisation, pourquoi vous vous inquiétez notamment qu'elle donne lieu à de nouveaux droits. Que craignez-vous? Je crois que c'est Karen Keenan qui en a parlé, et je pense que M. Attridge a aussi évoqué l'indemnisation dans son exposé. J'aimerais que vous essayiez de m'éclairer à ce sujet.
Mme Karen Keenan: Nous avons proposé de limiter l'indemnisation aux cas d'expropriation de biens immobiliers. Les gouvernements ont le droit de limiter l'utilisation de la propriété et ils invoquent ce droit dans diverses circonstances. Par exemple, on peut modifier un règlement de zonage de manière à limiter l'utilisation que je peux faire de ma propriété ou à modifier l'utilisation qui peut être faite d'une propriété voisine de telle sorte que ma propriété pourrait perdre de la valeur. La propriété adjacente à la mienne pourrait voir son zonage modifié de telle sorte que l'enfouissement y soit permis, ce qui pourrait vraisemblablement réduire la valeur de ma propriété. Or, je ne serais pas indemnisée.
• 1015
Il arrive dans un grand nombre de situations que l'intérêt du
propriétaire ne fasse pas l'objet d'une indemnisation. Nous ne
comprenons pas pourquoi il doit en être ainsi dans le cadre du
projet de loi à l'étude. Nous ne sommes pas dans un monde où toute
usurpation de l'intérêt du propriétaire fait automatiquement
l'objet d'une indemnisation. C'est même le contraire qui est prévu
dans notre régime juridique. Nous ne comprenons pas pourquoi il y
aurait une exception dans le cas qui nous intéresse. Nous voulons
limiter l'indemnisation aux cas d'expropriation.
M. Ian Attridge: Je comprends l'attrait de l'indemnisation. D'autres témoins vous ont probablement fait valoir la nécessité d'une forme quelconque d'«indemnisation» des propriétaires fonciers.
Je dois me ranger à l'avis des représentants de l'Association canadienne du droit de l'environnement, de l'Environmental Law Centre et de la plupart des autres avocats du pays, qui estiment, comme l'a dit Mme Keenan, qu'il n'existe aucun droit à l'indemnisation sauf dans les cas d'expropriation, lorsque le gouvernement assume effectivement la propriété. Nous avons, au palier fédéral, la Loi sur l'expropriation, qui vise cette situation. Lorsque le gouvernement assume la pleine propriété d'un bien, les propriétaires fonciers concernés doivent certainement être indemnisés.
Pour ce qui est de la réglementation, nous pourrions nous demander si la réglementation visant les aéroports prévoit l'indemnisation des personnes qui vivent près des aéroports. Ces personnes ne sont pas indemnisées. La réglementation sur l'utilisation des termes relève d'un pouvoir fédéral légitime.
Sur le plan politique, je comprends pourquoi cela peut être attrayant. Il me semble qu'il faut surtout déterminer si ce genre de situation crée un droit à l'indemnisation ou si l'indemnisation demeure à la discrétion du ministre ou du Cabinet. L'équilibre politique souhaité correspondrait plutôt à un pouvoir discrétionnaire qu'à un droit, à mon avis.
M. Paul Forseth: Que répondriez-vous donc aux groupes autochtones qui ont comparu ici hier et qui se sont montrés fort préoccupés par l'indemnisation, surtout s'ils sont obligés soudainement d'abandonner certains circuits de trappe ou ne sont plus autorisés à chasser une certaine espèce ou doivent réduire l'effort de chasse de façon considérable, ce qui aura pour effet de modifier leurs rapports traditionnels aux territoires qui leur assurent leur subsistance? Que leur dire? Ces gens-là souhaitent soit être indemnisés, soit poursuivre leurs pratiques traditionnelles qui constituent à vivre en harmonie avec le territoire. Ils nous demandent de ne pas compromettre leurs moyens de subsistance. N'y a-t-il pas lieu d'envisager l'indemnisation dans ce cas?
[Français]
M. Pierre Valiquette: J'ai quelque chose à dire là-dessus. Le problème, c'est qu'une compensation, ça doit s'appliquer partout, à tout le monde. Dans le cas que vous nous exposez ici, si c'est seulement sur les territoires amérindiens qu'on demande de faire de la protection, je m'excuse, mais il y a un problème. C'est à eux et à eux seuls que l'on demande de contribuer à la protection.
Dans notre société nord-américaine, on vit dans un système de droit privé où la propriété privée est une chose sacrée. À partir du moment où on dit que la propriété privée est une chose de sacrée, on doit dire que tout ce qui concerne la propriété va être réglé sur le marché. C'est comme ça qu'on fonctionne.
Quand on fait des règlements de zonage dans une municipalité... Moi, je demeure à Montréal. Quand j'ai la permission de bâtir un édifice de 30 étages, la valeur de mon terrain est très différente de celle du terrain situé à côté, où le propriétaire a seulement la permission de bâtir un édifice de deux étages. Cela se négocie. Il y a des batailles politiques extrêmement importantes à ce niveau-là.
Le fait que quelqu'un soit propriétaire d'un terrain situé dans le centre-ville, qui prend de la valeur parce qu'il y a une activité économique, c'est normal. Oui, il va vendre son terrain plus cher et oui, il a eu du flair lorsqu'il a acheté un terrain au centre-ville. Il peut aussi l'avoir eu en héritage, peu importe. Mais à partir du moment où c'est le marché qui règle, quand l'État intervient et pose une réglementation qui crée des classes différentes de citoyens ou de propriétaires, j'ai un problème. Il faut faire très attention. Si on doit compenser, il faut que tous ceux qui ont des terrains à protéger soient traités également, et ce, partout où l'État veut intervenir pour protéger.
• 1020
Dans le cas des autochtones, c'est un peu ça. Si
on cible les territoires autochtones en disant
qu'il y a chez eux des espèces importantes et qu'on va les
protéger, les taxes pour les protéger ne visent qu'eux,
et je pense qu'on ne peut pas être d'accord sur
une situation comme celle-là.
[Traduction]
Le président: Merci.
[Français]
Monsieur Bigras, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme Karen Keenan: Permettez-moi un commentaire, précisément sur les Premières nations, puisque, selon moi, cet aspect est fort pertinent. Je serai brève. Il existe une jurisprudence considérable, notamment en Colombie-Britannique. Le nom de l'arrêt faisant autorité m'échappe pour le moment. Quelqu'un d'autre s'en souviendra peut-être. Selon cet arrêt, les Premières nations ont des droits en matière d'extraction des ressources. Cependant, elles sont assujetties à des lois et à des normes de conservation. Il ne faut pas les perdre de vue. Les tribunaux du Canada ont déclaré dans diverses circonstances que les Autochtones sont également assujettis aux normes de conservation, étant donné que les zones habitées ou revendiquées par les Premières nations servent d'habitat à un grand nombre d'espèces, notamment des espèces en péril. Il ne faut pas perdre cela de vue, me semble-t-il.
[Français]
Le président: Monsieur Bigras.
M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Merci, monsieur le président. Tout d'abord, merci d'être présents au comité. J'aimerais aussi remercier et féliciter monsieur Girard pour sa présentation.
La grande partie de votre intervention s'est située au niveau de l'approche d'intendance privée et communautaire. Vous nous avez dit qu'il existe au Québec des ententes de conservation basées particulièrement sur des mécanismes et des outils qui se retrouvent dans le Code civil du Québec. Vous avez été clair à ce sujet.
Compte tenu du libellé du projet de loi actuel, qui utilise dans une certaine mesure la justice pénale d'une part, et, d'autre part, un double filet de sécurité, je voudrais savoir dans quelle mesure on estime qu'une province ou que le Québec ne fait pas sa part en termes de protection, malgré le fait qu'il ait une loi. La loi fédérale pourrait s'appliquer. Tel que rédigé, estimez-vous que le projet de loi actuellement sur la table, sur le fond, pourrait nuire ou ne pas favoriser l'approche d'intendance dont vous êtes les promoteurs?
Me Jean-François Girard: En fait, j'ai fait une présentation où j'ai voulu bien expliquer aux gens présents comment se vit le mouvement d'intendance privée ou communautaire sur le terrain. Les gens qui font de l'intendance privée ou communautaire, c'est-à-dire les gens qui font de la conservation volontaire sont habitués de procéder par eux-mêmes, pour eux-mêmes et entre eux.
S'ils avaient assez d'argent pour faire tout ce qu'ils envisagent de faire, ils n'auraient pas recours aux services, à l'aide de l'État. On ne dit pas ici que l'État doit être totalement exclu de ces projets, au contraire: l'État doit être un partenaire et un partenaire important.
M. Bernard Bigras: Dans la Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec, le Québec ne joue justement pas son rôle de partenaire.
Me Jean-François Girard: La Loi sur les espèces menacées ou vulnérables du Québec ne traite pas d'intendance ou de conservation volontaire ou très peu, à l'article 7 ou 8, je crois. Elle n'est pas à l'ordre du jour aujourd'hui en matière d'intendance.
Quant à savoir si cette loi peut mettre en péril le mouvement d'intendance au Québec, c'est une question à laquelle il est difficile de répondre, mais une chose est sûre: cette loi ne doit pas faire en sorte de nier ce qui se fait actuellement sur le terrain.
M. Bernard Bigras: Tel que rédigé, le projet de loi contient-il des dispositions qui pourraient nuire à cette approche? C'est ma question. Je pense à l'article 97, par exemple.
Me Jean-François Girard: Il y a deux choses. Dans la mesure où le projet de loi ne reconnaîtrait pas les actions d'intendance, les actions de conservation volontaire qui sont prises entre parties privées sur le terrain et auxquelles le gouvernement n'est pas partie, il n'y aurait pas, à ce moment-là, d'aide financière. Oui, cela pourrait nuire, parce que l'argent est le nerf de la guerre. Il est sûr qu'on a besoin du gouvernement pour avoir de l'argent. Comme je l'ai dit, si on pouvait s'en passer, le mouvement fonctionnerait de façon totalement autonome.
• 1025
L'autre aspect, c'est que la conservation volontaire,
jusqu'à ce jour, a réglé ses litiges au moyen de
mécanismes de droit civil.
Si un propriétaire a conclu une entente
de conservation et ne la respecte pas, les groupes ont
des moyens de régler les choses,
que ce soit la médiation, un forum
arbitral ou les tribunaux de droit commun.
C'est la façon actuelle de régler les choses.
Ça se règle. Il n'y a pas une condamnation en droit
pénal, il y a une condamnation en responsabilité
civile. Le propriétaire respecte ou ne respecte pas
l'entente qu'il a conclue.
S'il ne la respecte pas, il peut y avoir des dommages
ou il peut y avoir une injonction lui ordonnant
de se conformer à l'entente.
Jusqu'à ce jour, la justice pénale n'existe pas en matière de conservation volontaire, et nous sommes très mal à l'aise devant les aspects par lesquels on introduit la justice pénale. On se demande comment on va réussir à convaincre des propriétaires de s'engager dans des projets de conservation volontaire lorsqu'on leur dira que s'ils ne respectent pas l'entente, on les amènera devant un tribunal pénal et on leur imposera des amendes.
[Traduction]
Le président: Monsieur Comartin, s'il vous plaît.
M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président.
Certains des témoins ont parlé du Règlement sur les dispositions désignées et de la nécessité de le modifier. Je dois avouer que je ne sais pas de quoi il s'agit. J'aimerais donc un commentaire à ce sujet.
Monsieur Attridge, dans votre mémoire aussi bien, je crois, que dans votre exposé, vous préconisez une réduction des consultations, et vous souhaitez même un amendement qui préciserait «dans la mesure du possible». Or, au cours des deux derniers jours, divers groupes de Premières nations nous ont fait valoir justement le contraire dans leurs témoignages. Ils demandent des consultations exhaustives. Ils veulent être consultés avant que la mesure ne soit adoptée, et encore davantage après son adoption, pour ce qui est du processus de réglementation qui suivra. Quelle position pouvons-nous donc adopter devant des commentaires contradictoires comme ceux-là?
Madame Keenan, vous aviez une position de repli advenant la suppression des articles 34 et 35, et de certains éléments de l'article 60. Pouvez-vous nous en dire davantage, étant donné que je n'ai pas très bien compris ce que vous avez dit à ce sujet dans votre exposé.
Mais tout d'abord, quelqu'un peut-il m'expliquer cette question du Règlement sur les dispositions désignées? Merci.
Mme Brenda Heelan Powell: Le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées relève de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Selon ce règlement, si une autorité fédérale prend certains types de décisions, elle déclenche l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et une évaluation devient ainsi nécessaire.
À l'heure actuelle, il peut s'agir par exemple de décisions prises aux termes de la Loi sur les pêches. Ainsi, le fait d'émettre un permis aux termes de la Loi sur les pêches est considéré comme une décision fédérale qui déclenche l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, de sorte que l'instigateur du projet doit mener une évaluation environnementale selon ce qui est prévu dans la loi. Nous proposons que, si l'émission d'un permis aux termes de la LEP est envisagée, et il se peut effectivement qu'on envisage dans certaines circonstances bien limitées de permettre à quelqu'un de faire du tort ou de harceler un individu d'une espèce donnée, alors une telle circonstance devrait également déclencher l'application de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
M. Joe Comartin: Merci.
M. Ian Attridge: Pour ce qui est de nos inquiétudes concernant des consultations excessives, permettez-moi de dire que l'Institut canadien du droit et de la politique de l'environnement favorise très résolument les consultations publiques et les consultations avec les divers paliers de gouvernement ainsi qu'avec les Premières nations. Il me semble donc valable que cela soit prévu dans la loi. Je suis fort satisfait de constater que le ministère a mené des consultations approfondies avant de rédiger le projet de loi et de le présenter et je recommanderais certainement des consultations régulières.
• 1030
Dans ce contexte, toutefois, nos commentaires concernent plus
précisément un certain nombre d'articles où il est exigé que tous
les intéressés soient consultés, tout ministre compétent et,
parfois, les ministres des territoires et des provinces qui font
partie du Conseil de la conservation des espèces en péril. Voilà
qui prend beaucoup de temps et risque de nuire à la rapidité des
décisions à prendre pour des espèces en péril, surtout en situation
d'urgence.
Également, pour ce qui est des pouvoirs de conclure des ententes dont parlait M. Girard, et je pense ici tout particulièrement aux articles 11, 12 et 13, il se peut que ce degré de consultation soit valable pour les accords à l'échelle nationale ou entre le palier fédéral et les provinces. Cependant, si c'est là l'unique façon de conclure des ententes en matière d'intendance—et plusieurs témoins nous ont dit aujourd'hui à quel point l'intendance avait une grande valeur—et je pense ici à des ententes avec des propriétaires fonciers ou à d'autres types d'engagements qui ne concernent pas les terres, et de s'entendre sur certains autres pouvoirs qui sont énoncés plus avant dans la mesure, alors il s'agit d'un processus qui devient fort lourd pour régler des questions d'intendance à l'échelle locale, une réalité dont mon collègue a parlé d'une façon fort compétente.
Ainsi ai-je recommandé de faire en sorte que les pouvoirs de conférer par voie d'entente certains pouvoirs d'intendance particuliers résident entre les mains des ministres compétents, indépendamment des ententes d'envergure nationale qui sont envisagées ici. Certains pouvoirs précis doivent être prévus, soit dans les articles à l'étude, soit dans de nouveaux articles.
Il me semble que cela correspond à l'esprit du projet de loi et permet par ailleurs de le simplifier considérablement et d'assurer son application efficace en temps opportun dans le secteur privé. Ainsi, les propriétaires fonciers seront disposés à participer, sachant que les obstacles bureaucratiques seront réduits au minimum.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Pour le deuxième tour, Mme Kraft Sloan, M. Reed et Mme Scherrer, à moins que...
M. Joe Comartin: J'avais posé une autre question à Mme Keenan.
Le président: Excusez-moi.
Mme Karen Keenan: Ça va.
Pour ce qui est des articles 32, 33, 34 et 35, dont je vous cite les numéros à titre d'information, nous en parlons à la page 17 de notre mémoire. Je les ai survolés assez rapidement. Je pensais que mon temps était plus limité.
Nous serions satisfaits de la suppression des articles 34 et 35. Nous souhaitons un renforcement des articles 32 et 33, de manière à ce qu'ils englobent toutes les espèces menacées et tous les habitats essentiels.
Si tel n'est pas le cas, nous souhaiterions que les articles 32 et 33 s'appliquent aux espèces et aux habitats de toutes les terres provinciales et non seulement des terres fédérales situées dans les provinces. Nous proposons également que soit prévue une disposition réglementaire en vertu de laquelle toute province ou tout territoire pourrait demander que de telles dispositions ne s'appliquent pas si sa loi accorde une meilleure protection que le projet de loi C-5. Ainsi, les dispositions fédérales s'appliqueraient par défaut aux provinces et aux territoires tant que le processus que je viens de décrire ne permettrait pas d'établir par voie réglementaire que la législation provinciale ou territoriale protège tout autant. D'accord?
M. Joe Comartin: C'est très bien, merci.
Le président: Merci.
Madame Kraft Sloan.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
M. Pearse a comparu devant notre comité cette semaine. Il avait mené pour le compte du gouvernement fédéral une étude en matière d'indemnisation. Malheureusement, je n'ai pu assister aux audiences au complet. J'avais alors à l'esprit un certain nombre d'interrogations concernant les questions qui ont été soulevées, et je constate qu'un certain nombre de témoins ont soulevé les mêmes aujourd'hui.
Tout d'abord, compte tenu du libellé actuel de l'article qui porte sur l'indemnisation et du fait qu'il n'existe pas, au Canada, de précédent d'indemnisation pour perte de jouissance du territoire par rapport à l'expropriation, je me demande quelles seront, d'après les témoins, les répercussions sur d'autres mesures législatives. Je pense par exemple à la Loi sur les pêches. Je pense que vous avez abordé cet aspect, indirectement tout au moins, et Mme Heelan Powell a certainement demandé si nous allions indemniser à 50 p. 100 si la moitié d'un projet relève de la Loi sur les pêches et l'autre de la Loi concernant les espèces en péril.
• 1035
Cela veut-il dire que le gouvernement fera l'objet de
poursuites visant l'indemnisation pour pertes de revenus à l'égard
d'initiatives ayant dû être interrompues aux termes de la Loi sur
les pêches? J'aimerais savoir si les témoins souhaitent formuler un
commentaire à cet égard.
Mme Brenda Heelan Powell: Je le ferai volontiers.
Je crois que c'est ce qui nous fait hésiter à intégrer à la mesure une disposition concernant l'indemnisation. Cela va créer un précédent. À l'heure actuelle, nous pouvons affirmer qu'aucun précédent ne nous oblige à accorder une indemnisation si nous décidons de rezoner vos terres ou de réglementer vos activités d'une façon différente. Nous nous inquiétons du fait que, une fois établi ce précédent dans la LEP, il sera plus facile de soutenir, par exemple, que des terres visées par un règlement interdisant l'émission de toxines devraient être l'objet d'une mesure d'indemnisation. Voilà ce qui nous inquiète.
Mme Karen Kraft Sloan: Estimez-vous que cela va donner des arguments permettant aux sociétés de poursuivre le gouvernement devant les tribunaux pour obtenir une indemnisation aux termes de la LEP ou de la Loi sur les pêches? Quels seront les effets au juste?
Mme Brenda Heelan Powell: J'estime en effet que le précédent sera créé pour l'avenir. Cela pourrait servir de base argumentaire devant les tribunaux, en effet. C'est ce qui nous inquiète.
Mme Karen Kraft Sloan: Lundi, il y a eu une discussion à ce sujet. L'un de nos membres qui a été conseiller municipal a soulevé la question des municipalités qui entreprennent de faire des changements de zonage sans indemniser les gens. N'étant pas avocate, je vous demanderai de bien vouloir excuser mon ignorance. Mais cela ne risquerait-il pas de créer pour les municipalités un précédent en matière de zonage dans la mesure où c'est le gouvernement fédéral qui crée une condition particulière dans le cadre d'une loi fédérale? N'y a-t-il pas ce risque?
Mme Brenda Heelan Powell: Pour le moment, on semble convenir que l'indemnisation n'est pas requise, à moins qu'un texte législatif ne le dispose. Toutefois, étant donné que le gouvernement fédéral a entrepris d'indemniser les personnes dont les terres sont touchées par la réglementation, cela peut effectivement créer un précédent. Cela confirme le point de vue de bien des gens, à savoir que les propriétaires fonciers ont le droit de disposer de leurs terres comme bon leur semble et que quiconque leur dicterait quoi faire devrait les indemniser. Je crois que toute disposition législative fédérale qui indemniserait des gens pour la mise en application d'un règlement appuie ce point de vue. Par conséquent, ce point de vue pourrait être validé par les tribunaux.
On ne sait pas vraiment si les tribunaux vont abonder dans un sens ou dans l'autre. Il est très difficile de prévoir la réaction des tribunaux.
Mme Karen Kraft Sloan: Êtes-vous en train de dire que les risques seraient plus grands pour l'avenir qu'ils ne le sont actuellement, en vertu des lois existantes?
Mme Brenda Heelan Powell: Je crois qu'à l'avenir, il sera beaucoup plus difficile de ne pas prévoir d'indemnisation dans la loi, si on l'a déjà fait dans le cadre de la Loi sur les espèces en péril. Même pour les lois existantes, on pourrait éventuellement réclamer une indemnisation. Si on se retrouve dans une situation où l'on exige des gens d'entreprendre le même type d'activités que celles prévues dans la Loi sur les espèces en péril, la Loi sur les pêches ou toute autre loi, on pourrait alors soutenir que le gouvernement a l'obligation de traiter les gens équitablement. Comment pourrait-on justifier l'indemnisation d'une personne et non d'une autre, si les deux font exactement la même chose? Peut-on prétexter simplement que la première a eu la chance d'avoir une espèce de poisson menacée alors que l'autre n'avait que l'habitat d'un poisson?
Mme Karen Kraft Sloan: Qu'en est-il...
Mme Brenda Heelan Powell: C'est un argument tout à fait valable.
Le président: Désolé de vous interrompre, madame Kraft Sloan, mais nous devons quitter la salle à 11 heures.
Monsieur Reed.
M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je voudrais vous parler de la recommandation no 39 plus précisément, mais permettez-moi tout d'abord de vous raconter une petite histoire.
Un de mes collègues avait un projet en Ontario. Il avait obtenu toutes les approbations nécessaires et il était en pleine phase de construction lorsque deux personnes se sont introduites dans sa propriété sans autorisation. La loi étant ce qu'elle était, ces deux personnes ont pu arrêter le projet. C'est alors que mon collègue a reçu un appel téléphonique de l'organisme qui lui avait donné l'approbation, le ministère des Ressources naturelles, en l'occurrence, l'informant qu'il avait bel et bien obtenu toutes les approbations nécessaires, mais on lui demandait de bien vouloir mettre son projet en suspens le temps de résoudre l'affaire.
• 1040
Six mois plus tard, le problème était résolu. L'accusation
était sans fondement, et mon collègue a perdu 50 000 $ en intérêt
relativement à ce projet sans compter le fait qu'il a dû couler le
béton à moins 40 degrés.
Dans ce cas-là, le citoyen n'avait pas de responsabilité, mais n'importe qui avait la capacité de faire interrompre un projet de cette nature. Je vois que l'on recommande ici une disposition concernant les poursuites entamées par un citoyen, mais je ne vois rien au sujet de la responsabilité du citoyen. Il me semble que si l'on doit donner au citoyen le droit d'entamer des poursuites, le citoyen doit de son côté être responsable si l'accusation est spécieuse et sans fondement.
Le président: Madame.
Mme Karen Keenan: C'est effectivement une question très importante. Le texte législatif que je connais le mieux et qui garantit au citoyen le droit d'entamer des poursuites judiciaires est la Charte des droits environnementaux de l'Ontario, et c'est probablement à elle que vous faites allusion.
Je ne sais pas car, il y a une disposition dans cette loi qui tend à empêcher le type de situation auquel vous venez de faire allusion. De plus, la common law limite les poursuites judiciaires frivoles ou vexatoires.
Il existe donc des critères qui nous permettent de déterminer si les gens entament des poursuites dans le simple but d'empêcher quelqu'un d'entreprendre des travaux ou si l'on s'inquiète véritablement et sincèrement des risques potentiels.
Dans nos recommandations, nous n'avons pas proposé des dispositions spécifiques que nous aimerions voir incluses dans la partie du projet de loi se rapportant au droit des citoyens d'entamer des poursuites judiciaires. Nous avons beaucoup fait à ce sujet au sein de l'Association canadienne du droit de l'environnement et préparé de nombreux documents portant sur les dispositions particulières qui nous tiennent à c«ur. Cela étant dit, nous serions favorables à des dispositions qui permettraient d'évaluer le bien-fondé d'une poursuite éventuelle afin de déterminer si elle est motivée par la rancune ou la simple envie de mettre un terme à un projet, ou si elle est fondée sur des inquiétudes légitimes quant aux conséquences environnementales possibles.
Je ne sais pas quelle loi s'appliquait au cas que vous avez évoqué mais je conviens que votre préoccupation est valable. C'est pourquoi nous aimerions qu'une disposition allant dans ce sens soit incorporée à la loi.
M. Julian Reed: Dans ce cas-là en particulier, on ne s'est jamais rendu jusqu'à l'étape de la poursuite judiciaire. En d'autres mots, mon collègue aurait pu intenter un procès, et ce n'était pas un secret. C'est d'ailleurs pour cette raison que l'organisme qui avait approuvé son projet lui a demandé de bien vouloir mettre en suspens son projet le temps de tirer les choses au clair. Or, il a fallu attendre six mois de plus avant que les choses ne soient «tirées au clair», et le promoteur du projet a subi des pertes substantielles.
Mme Karen Keenan: Vous avez raison. Il s'agissait peut-être de la capacité de contester l'octroi d'une licence ou d'une approbation quelconque, et non d'entamer une poursuite pour violation possible de la loi. Je n'en suis pas sûre, et j'aurais besoin de connaître les détails de l'affaire. Quoi qu'il en soit, c'est une préoccupation valable, et nous aimerions que la loi prévoie une disposition quelconque pour empêcher les gens d'intenter des poursuites frivoles ou vexatoires. Je suis tout à fait d'accord avec vous.
M. Julian Reed: Je vous remercie.
Le président: Merci, madame Keenan.
[Français]
Madame Scherrer s'il vous plaît.
Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Merci, monsieur le président.
Au cours de vos présentations, en particulier lors de celle de Mme Keenan, vous avez souligné la nécessité que l'identification des espèces en péril, en d'autres termes l'établissement de la liste, se fasse selon des critères scientifiques uniquement et non pas politiques.
Depuis deux ou trois jours déjà, comme on vous l'a mentionné, nous avons entendu de nombreux groupes représentant les premières nations qui ont soutenu qu'au cours de l'élaboration de cette liste, on devrait également faire appel à leurs connaissances traditionnelles, parce qu'on ne peut pas dresser cette liste en ne s'appuyant que sur des faits. Il faut aussi, selon eux, se servir des connaissances traditionnelles des premières nations sur la façon dont vivent les espèces, ce qui apporterait une dimension différente à ce travail. Puisque vous êtes très stricts dans votre façon d'établir cette liste, êtes-vous prêt à reconnaître à ces connaissances traditionnelles une valeur scientifique et à les utiliser? Si oui, comment pensez-vous pouvoir alors les utiliser?
Mm Karen Keenan: Merci.
Le paragraphe 15(2) dispose:
-
Il exécute sa mission en se fondant sur la meilleure information
accessible, notamment les données scientifiques ainsi que les
connaissances des collectivités et les connaissances
traditionnelles des peuples autochtones.
Il semblerait donc que le COSEPAC prend déjà cette information en considération, et je pense vraiment que cette information est fort utile. Je vous remercie de l'avoir souligné.
Mme Hélène Scherrer: Est-ce que j'ai le temps de poser une autre question?
[Français]
Ma deuxième question porte également sur la compensation. Je pense que vous avez bien précisé que la compensation ne s'appliquait que dans les cas d'expropriation.
Je pense que l'objectif du gouvernement, en élaborant ce projet de loi, n'est pas du tout de faire l'acquisition de terres ou de récupérer des coins de terre dans le but de protéger des espèces, mais bien d'amener la population à pouvoir concevoir qu'il peut y avoir cohabitation et que le propriétaire devrait demeurer propriétaire.
Je pense que le gouvernement ne devrait pas viser à devenir propriétaire, mais plutôt à ce que les propriétaires le demeurent, et chercher à favoriser une conscience sociale, peut-être par le biais d'incitatifs financiers. Il devrait faire en sorte que les propriétaires s'assurent que l'habitat des espèces en péril vivant sur leur propriété soit protégé. Je suis en faveur de fournir des incitatifs pour que les gens conservent leurs terres et les exploitent avec un objectif de conservation, plutôt que prendre les terres et s'en occuper.
Je crains seulement, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez, que si, effectivement, la compensation ne s'applique qu'aux expropriations, les gens, par dépit, préfèreront que le gouvernement les exproprie et s'occupe de tout. Je pense que l'objectif de la loi est de reconnaître qu'il y a des espèces en péril et de s'assurer, si nécessaire par le biais de certains incitatifs financiers, que les gens prennent leurs responsabilités. Je préfère l'intendance privée à l'abandon de la propriété aux mains du gouvernement sous prétexte que cela représenterait trop de travail. J'aimerais que les personnes impliquées aient une attitude semblable.
Me Jean-François Girard: Je pensais qu'on s'adressait d'abord à Mme Keenan. Vous avez parlé de faire émerger une conscience sociale par le moyen d'incitatifs financiers. Il existe d'autres incitatifs que la compensation directe, comme nous l'avons mentionné dans notre mémoire, par exemple, l'abolition du gain en capital pour les donations de biens écosensibles ou écologiques. Ce sont des types d'incitatifs qui peuvent aider à la conservation.
Nous avons mentionné ceux-là, mais il existe plusieurs autres incitatifs fiscaux rattachés directement à des actions de conservation, ne serait-ce qu'au niveau des taxes municipales et des taxes foncières. L'approche privilégiée, actuellement, est de taxer les propriétés en fonction de la valeur qu'elles auraient si on faisait du développement domiciliaire ou de la promotion, etc., alors qu'on pourrait tenir compte de leur valeur écologique et taxer les propriétés en conséquence. Cela aurait pour effet de diminuer la valeur des taxes que les propriétaires doivent assumer.
On en vient à des situations absurdes où des propriétaires qui veulent conserver leurs propriétés—ce sont des propriétés boisées—sont obligés de couper le bois pour payer leurs taxes, alors que cela ne les intéresse pas. Ce sont des situations absurdes.
Quand on parle de fiscalité cohérente avec la conservation, cela implique de tenir compte de tous les intrants et «extrants» fiscaux de la conservation, que ce soit au niveau de la fiscalité foncière municipale, de la fiscalité des personnes ou de l'impôt. J'ai parlé du gain en capital, mais on peut utiliser d'autres incitatifs pour aider les groupes de conservation, ne serait-ce que leur donner l'argent qui va leur permettre d'engager des conseillers juridiques. Vous me permettrez de prêcher pour ma paroisse. Ils peuvent aussi engager des arpenteurs-géomètres, des évaluateurs agréés et des biologistes qui vont faire le travail de caractérisation sur la propriété, ce qui va inciter le propriétaire à s'engager dans un processus de conservation dont il sortira gagnant.
Mme Hélène Scherrer: Vous convenez donc qu'il devrait y avoir d'autres méthodes de compensation prévues que celles qui s'appliquent dans le cas d'une expropriation.
Me Jean-François Girard: L'expropriation est un mécanisme qui existe au Canada, j'en connais à tout le moins les dispositions prévues dans le Code civil québécois. Lorsque vous expropriez quelqu'un, vous lui enlevez des droits qu'il aurait normalement, le droit d'exercer. Vous êtes donc tenu de le compenser, et cela en dehors de toute loi particulière. Il s'agit d'un mécanisme de compensation, mais on ne parle pas d'expropriation pour le moment.
Le président: Merci, madame Scherrer.
[Traduction]
Madame Redman
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je voudrais poser une question à M. Attridge et à Mme Keenan. Le projet de loi concernant la protection des espèces en péril dispose qu'il faut désigner l'habitat essentiel dans le programme de rétablissement ou le plan d'action dans la mesure du possible. Dans le cas de certaines espèces, il faut l'avouer, nous n'avons pas d'information. Il existe d'autres espèces qui ne sont pas inscrites par le COSEPAC, en raison de la perte totale ou de la détérioration de leur habitat. Le concept de désignation de l'habitat essentiel n'a pas vraiment d'application. Est-ce que vous pensez que, dans le cas des espèces en péril, il faille désigner l'habitat essentiel même si cela n'est pas faisable, ni utile?
M. Ian Attridge: Dans l'évaluation de l'état d'une espèce, le COSEPAC aura dans la plupart des cas désigné un habitat essentiel, au niveau général à tout le moins. Une fois que le programme de rétablissement entre en vigueur, la désignation se précise davantage. Certes, il y a des cas où il est difficile de déterminer avec précision cet habitat. Cela dit, nous pouvons suivre le principe de précaution inscrit dans la Convention sur la diversité biologique, à laquelle on fait référence dans le préambule de ce projet de loi. Nous devrions user de prudence dans notre façon de définir cet habitat, au moins d'une façon générale ou provisoire. Je crois que l'un de mes collègues a soulevé ce point, à savoir qu'il faudrait envisager des mesures de protection provisoires en attendant que tous les détails soient connus.
J'explique de façon plus détaillée que les gestionnaires fonciers du gouvernement fédéral devraient indiquer les espèces présentes et l'emplacement de leur habitat essentiel, notamment lors de la révision du plan de gestion ou du plan d'utilisation des terres. Certaines fonctions de révision peuvent donner lieu à une directive d'inspection pour déterminer l'étendue de l'habitat essentiel.
Mme Karen Keenan: Je ne suis pas certaine d'avoir compris votre question. Une disposition du projet de loi, l'alinéa 41(1)c), concerne le contenu obligatoire du programme de rétablissement. L'article précise que l'habitat essentiel doit être désigné, à moins qu'il ne soit impossible de le faire. Si je vous ai bien comprise, cette option existe si la désignation est impossible ou n'est pas pertinente à cause de la nature de l'espèce considérée ou de la situation dans laquelle elle vit—c'est ce que prévoit le projet de loi.
Mme Karen Redman: Bien.
Mme Karen Keenan: C'était bien votre question?
Mme Karen Redman: Oui.
Mme Karen Keenan: Parfait.
M. Ian Attridge: Je pense que nous en aurons une indication, étant donné que les scientifiques connaîtront la biologie de l'espèce; nous aurons au moins une indication générale de l'habitat essentiel, sinon sa détermination.
Le président: Merci. Nous devons quitter cette salle à 11 heures. Le temps qu'il nous reste sera partagé entre M. Mills et moi-même.
Monsieur Mills, allez-y.
M. Bob Mills (Red Deer, AC): Je serai très bref. J'ai quelques commentaires à faire. Vous pouvez me répondre maintenant si vous voulez, ou sinon, plus tard.
Premièrement, nous voulons une loi sur les espèces en péril qui fonctionne. Vous m'excuserez de mon retard, mais ce que j'ai entendu ici semble donner l'indication d'une loi qui ne fonctionnera pas. En fait, elle va constituer un danger pour les espèces en péril. D'après ce que j'ai entendu et lu—j'ai lu vos mémoires—vous m'avez donné une raison expliquant pourquoi différents éléments comme l'indemnisation doivent figurer dans la loi. Si on se contente de faire confiance aux législateurs ou de s'en remettre à la réglementation, on s'expose à ce que vous recommandez.
• 1055
Je crois que la protection obligatoire qui aurait préséance
sur les mesures provinciales ne peut déboucher que sur le chaos, et
si elle a préséance sur la volonté des Premières nations, on aura
inévitablement des problèmes. Une protection obligatoire qui
accorderait tous les pouvoirs aux autorités fédérales n'est pas
applicable dans le Canada d'aujourd'hui.
Je fais confiance aux gens. Les gens qui sont sur le terrain veulent protéger les espèces, ils sont prêts à coopérer et ils veulent que la loi fonctionne. Mais si leur source de revenu ou leur existence même s'en trouve menacée, ils veulent conserver la propriété de leur terre et ils auront besoin d'une indemnisation. Si on ne parle pas d'indemnisation, on ne fait que contourner le problème. Canards illimités Canada et le Service canadien de la faune pratiquent l'indemnisation depuis des années, avec d'excellents résultats sur le terrain. Je crois que vous vous trompez si vous dites qu'il est impossible d'indemniser.
Quant aux poursuites des citoyens, dont a parlé M. Reed, elles concernent l'ensemble du territoire canadien. Vous entendrez toujours dire la même chose. On ne peut pas envisager des poursuites de citoyens débouchant sur des situations comme celle qu'a évoquée M. Reed.
Merci.
[Français]
Merci beaucoup pour votre intervention, votre aide.
[Traduction]
Le président: Madame Powell.
Mme Brenda Heelan Powell: Je voulais simplement faire un commentaire sur ce qui a été dit au sujet de l'indemnité.
Il y a une différence entre un droit légal à une indemnité et des organismes bénévoles comme Ducks Unlimited qui se servent d'incitatifs financiers pour attirer des gens. Nous appuyons tout à fait le recours aux stimulants financiers. Nous croyons que cela devrait être appuyé par le gouvernement. Le financement en ce sens devrait être disponible. Mais nous n'aimons pas l'idée de créer un droit à rémunération. Ça, c'est une autre histoire.
Évidemment, si quelqu'un devra protéger des terres sur sa propriété, il faudrait lui offrir un dégrèvement fiscal. Notre régime fiscal devrait reconnaître le don d'une servitude du patrimoine au titre des propriétés culturelles. On devrait accorder des incitatifs financiers pour aider les gens. Mais ce n'est pas la même chose que de dire que cette personne a droit à une compensation.
Le président: Vous vous souviendrez que, lors de sa comparution devant le comité lundi dernier, M. Pearse a dit qu'indemniser les intrusions réglementaires reviendrait à s'écarter de la politique gouvernementale actuelle, et il n'y a aucun précédent en ce sens. Il nous l'a bien dit. Il a même mis le gouvernement en garde à ce sujet. Alors il serait peut-être utile pour nous de revoir ce qui a été dit lundi ainsi que ce que M. Pearse a dit dans son rapport.
• 1100
J'ai une dernière question si vous me le permettez, monsieur
Attridge. Vous avez mentionné votre étude sur l'accord. C'est une
initiative très utile de votre part. Pouvez-vous nous dire combien
de provinces ont respecté leur engagement visant à protéger les
habitats?
M. Ian Attridge: Je ne peux pas vous le dire parce que personne n'a fait d'étude pour déterminer quelles espèces font l'objet d'une reconnaissance scientifique, quel est leur habitat, et dans quelle mesure les espèces et les habitats sont protégés. C'est ce genre d'étude qui doit être menée. Dans la plupart des cas, c'est discrétionnaire. Dans certains cas, c'est obligatoire. Nous recommandons l'option obligatoire, car c'est essentiel à la survie des espèces.
Le président: Très bien, alors regardons l'envers de la médaille. À votre avis, le projet de loi C-5 respecte-t-il l'accord?
M. Ian Attridge: Dans certains cas, oui. Mais je crois que la question qui se pose ici, c'est la discrétion par rapport à l'obligation. Si l'option discrétionnaire est retenue, certains craignent que les dispositions de l'accord ne seront pas respectées étant donné qu'il n'y aura pas une mise en oeuvre complète des dispositions de la protection de l'habitat—et la même chose s'applique pour la convention internationale.
Le président: Que recommanderiez-vous?
M. Ian Attridge: Je recommanderais d'assurer une protection obligatoire de l'habitat. Ce serait cette situation qui s'appliquerait, mais et le gouverneur en conseil pourrait faire des exceptions. Je recommanderais aussi d'avoir un test d'équivalence pour les provinces. Ce test d'équivalence pourrait être fondé sur l'interprétation donnée à l'accord, selon le libellé élaboré en consultation avec les provinces.
Le président: Pour finir, est-ce que la disposition de protection obligatoire de l'habitat est mise en oeuvre par les provinces et dans l'affirmative, par quelles provinces?
M. Ian Attridge: Je crois qu'elle l'est. L'Ontario a une disposition obligatoire, de même que le Manitoba. Je crois que la Nouvelle-Écosse en a une. Pour les autres, je ne suis pas sûr. Le Mexique et les États-Unis ont eux aussi des dispositions obligatoires de ce genre, qui comportent certaines exceptions limitées, mais c'est leur caractéristique essentielle, et c'est la formule qu'on a retenue dans ces lois.
Le président: Ont-ils la capacité d'honorer leur engagement?
M. Ian Attridge: Oui. En Ontario, il existe une politique de planification qui sert de jalon en matière de protection de l'habitat, qui apparaît dans les documents de planification.
Le président: Eh bien, le temps nous oblige à quitter cette salle. Je vous prie de m'en excuser.
Madame Kraft Sloan, je suis désolé.
Mme Karen Kraft Sloan: J'ai deux choses à demander aux témoins, qui pourront répondre par courrier.
Premièrement, compte tenu de toute l'information et des inquiétudes que vous avez formulées sur les mesures incitatives néfastes et le précédent en matière d'indemnisation, existe-t-il d'autres mesures qui pourraient être utiles aux propriétaires privés—des avis, des incitatifs, des mesures de ce genre—et pourriez-vous en informer le comité?
Deuxièmement, plusieurs dispositions de ce projet de loi sont fondées sur l'hypothèse du syndrome «Pas vu, pas pris». Avez-vous de la documentation à ce sujet et dans ce cas, pourriez-vous l'envoyer également au comité?
Merci.
Le président: Merci.
[Français]
M. Pierre Valiquette: Ce qui est important, c'est qu'il y ait un organisme national qui soit capable d'identifier des espèces menacées et ainsi de rassurer un peu tout le monde. Il faut qu'on soit capable de dire quelles espèces sont menacées.
Il est vrai que si on intervient et qu'on veut tout réglementer, ça ne fonctionne pas. Je vous rappellerai que les problèmes existent seulement dans deux situations, et on en a parlé plus tôt.
Cela arrive premièrement quand il y a conflit d'usage. À ce moment-là, il faut respecter le marché. Je suis dans ce domaine depuis une quinzaine d'années. Je fais de la protection, j'achète des îles et des terrains et je négocie des ententes. Quand il y a un conflit d'usage, quand un propriétaire veut bâtir là où il y a des plantes et des espèces menacées, je n'ai pas le choix. Il faut que je sois capable de négocier avec cette personne pour protéger le milieu, mais cela n'arrive pas toujours. Cela n'arrive que dans des situations très rares et particulières.
Mon confrère Jean-François a parlé de l'autre situation. C'est quand le propriétaire veut protéger la ressource, mais manque de moyens. Cela arrive très souvent dans le milieu urbain et très urbanisé, où la valeur des propriétés, des immeubles est très élevée. Souvent, ces gens-là ont même de la difficulté à payer les taxes pour y demeurer. Dans de tels cas, la chose naturelle à faire, et c'est souvent ce que font les communautés religieuses qui sont propriétaires de grands terrains, est de lotir le terrain et de le vendre à des promoteurs immobiliers.
Ce sont les deux seules situations. Si la loi permet des mesures incitatives pour aider les groupes et les organisations du milieu, les provinces, les villes, etc. à régler les conflits d'usage par les lois du marché, on est en affaires. Si on est capable, au moyen d'incitatifs positifs, d'aider les propriétaires à protéger leurs immeubles, parce qu'ils ne veulent pas les vendre mais n'ont plus les ressources pour s'en occuper, on sera aussi en affaires.
[Traduction]
Nous aurons l'occasion d'en reparler.
La séance est levée.