ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT
COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 1er mai 2001
Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour. Je souhaite la bienvenue à nos invités. Nous avons le quorum. J'aurai deux nouvelles à annoncer plus tard, lorsque nos autres collègues seront là.
Commençons par les témoins. Aujourd'hui, nous accueillons Michael d'Eça, du Nunavut. Il est seul parce que l'autre témoin a été retenu par le mauvais temps ou par des problèmes mécaniques, semble-t-il.
Monsieur d'Eça.
M. Michael d'Eça (conseiller juridique, Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut): Monsieur le président, Mme Okalik Eegeesiak, qui est membre du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut (CGRFN), n'a pas pu venir parce qu'elle est malade. Elle m'a appelé ce matin pour que je vous fasse part de ses regrets de ne pas pouvoir être présente.
Le président: Merci.
Nous accueillons également John Merritt, de la Nunavut Tunngavik et Gerry Couture, du Conseil de gestion de la faune aquatique et terrestre du Yukon.
Nous sommes heureux de vous revoir.
Qui voudrait commencer?
Monsieur Couture.
M. Gerry Couture (Conseil de gestion de la faune aquatique et terrestre du Yukon): Merci.
Les membres de mon conseil, et plus particulièrement notre président, Doug Urquhart, tiennent à vous remercier de nous donner l'occasion d'exprimer nos opinions sur ce projet de loi. Je crois que le greffier a distribué un exemplaire de notre mémoire; il s'agit d'un bref résumé des opinions du Conseil de gestion de la faune aquatique et terrestre du Yukon. Je vais le parcourir rapidement pour vous laisser assez de temps pour poser des questions.
• 0915
J'attire votre attention sur l'avertissement qui se trouve en
début de deuxième page du mémoire. Nous l'avons inséré parce que,
quand nous prenons la parole en dehors du Yukon, on présume trop
souvent que nous parlons au nom des Premières nations et du
gouvernement du Yukon, mais ce n'est pas le cas.
Le Conseil a été créé en vertu de l'Accord-cadre définitif. C'est cet accord qui nous a mandatés. Le Conseil est chargé de sa mise en oeuvre. Il ne représente pas les gouvernements des Premières nations, surtout lorsqu'il s'agit d'un projet de loi susceptible d'avoir une incidence sur les droits ancestraux ou les droits découlant des traités. Il n'est pas non plus le porte-parole du gouvernement du Yukon, bien qu'il joue un rôle capital comme conseiller du gouvernement dans des domaines comme celui-ci.
Je voudrais maintenant exposer les grandes lignes de cet accord principalement en raison du sentiment de frustration que l'on éprouve au Yukon lorsque l'on a affaire à des gens de l'extérieur qui n'en comprennent pas bien la teneur. Je voudrais donc examiner quelques-unes des clauses concernant les espèces en péril.
Le premier point à mentionner est que l'Accord est d'une importance capitale pour ce qui est des lois fédérales ou territoriales et des règlements municipaux, pouvant aller jusqu'à des incohérences ou des conflits entre l'Accord et la loi. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de présenter ce mémoire.
Le deuxième point est qu'il donne au système de gestion de la faune du Yukon une approche globale, axée sur le territoire et tenant compte de l'environnement, venant essentiellement de l'intégration des valeurs morales des Premières nations à ce système.
Le troisième point est que l'Accord établit un cadre communautaire de gestion de la faune doté d'entités nommées comme le Conseil, les comités locaux des ressources renouvelables—il y en a un par territoire ancestral des Premières nations—et le Sous- comité du saumon. Ces entités ont certains pouvoirs de faire des recommandations en ce qui concerne la gestion de la faune aquatique et terrestre, et de son habitat. Ils sont décrits comme étant les instruments «primaires» de gestion de la faune aquatique et terrestre pour ce qui est du Conseil et des comités et l'instrument «principal» pour ce qui est du Sous-comité du saumon. De plus, l'Accord exige que tout ministre responsable d'une loi touchant la faune aquatique et terrestre consulte le Conseil avant la présentation de ce projet de loi.
En ce qui concerne plus particulièrement les espèces en péril, le ministre doit consulter le Conseil et obtenir une recommandation de ce dernier avant de déclarer qu'une espèce est d'intérêt national. De plus, le Conseil a pleins pouvoirs pour faire des recommandations sur le besoin, le contenu et la synchronisation de tous les programmes de gestion de la faune aquatique et terrestre du Yukon pour ces espèces. De plus, les comités locaux des ressources renouvelables peuvent faire des recommandations au Conseil à propos des préoccupations locales concernant ces espèces.
Par conséquent, sans entrer dans les détails—l'Accord est beaucoup plus détaillé—, nous pouvons dire que le cadre juridique pour traiter des espèces en péril se trouve dans l'Accord-cadre définitif.
Ce qui est toutefois plus important que les détails juridiques est le fait que les procédures ont évolué. Au cours des dernières années, pendant la mise en oeuvre de l'Accord, le Conseil, les comités, les gouvernements des Premières nations et le gouvernement du Yukon ont mis sur pied un processus consultatif communautaire pour élaborer et mettre en oeuvre des programmes de gestion de la faune, y compris des programmes concernant des espèces considérées en péril.
• 0920
Ce processus est proactif. Il traite des préoccupations
communautaires et territoriales et veille activement à ce que les
connaissances traditionnelles et locales soient prises en
considération dans la planification et les décisions. Je peux citer
plusieurs exemples indiquant à quel point le processus a évolué.
Le plan de gestion intégrée de la faune d'un territoire traditionnel contient par exemple des dispositions concernant la protection d'une espèce de papillons au sujet de laquelle les personnes de la région étaient préoccupées parce qu'elles voyaient que les collectionneurs en capturaient et que leur habitat était en train de rétrécir à cause des activités de développement. La protection de certaines espèces de papillons n'avait pas été envisagée au moment de la signature de l'Accord-cadre définitif. Cependant, les processus ont évolué et permettent de tenir compte de ces situations.
Le deuxième exemple est un cas assez connu. Il s'agit d'un programme de gestion complet et élaboré localement pour le bison des bois qui est actuellement retenu par le COSEPAC comme étant une espèce menacée au Yukon. Il s'agit d'animaux qui ont été amenés au Yukon dans le cadre d'un programme national de réintroduction de l'espèce. Cependant, des habitants du territoire se sont chargés de la gestion de ces animaux et ont établi un plan de gestion complet qui s'avère efficace.
Plus récemment, en réaction aux préoccupations des membres des Premières nations et avec des fonds offerts par le Yukon Fish and Wildlife Enhancement Trust et le gouvernement du Yukon, le Conseil a commandé une nouvelle évaluation de la situation du corégone du Squanga, espèce actuellement considérée comme vulnérable ou particulièrement préoccupante par le COSEPAC. Cette évaluation est faite sur le terrain—ou plutôt dans l'eau—avec la pleine participation des personnes qui possèdent des connaissances traditionnelles et locales sur cette espèce. L'évaluation est conçue non seulement pour réévaluer cette espèce, mais aussi pour faire des recommandations dans le but d'établir un plan de gestion.
En résumé, il existe au Yukon, en vertu des clauses de l'Accord et à la suite de sa mise en oeuvre, un système qui tient compte des espèces en péril et est capable de les gérer.
En considérant ce qui vient d'être mentionné, nous avons les commentaires suivants à faire au sujet du projet de loi C—5.
En premier lieu, le Conseil reconnaît le besoin d'une loi fédérale dans ce domaine afin de fixer des normes nationales pour protéger les espèces en péril et de permettre au Canada de remplir ses engagements et ses obligations à l'égard des autres pays. Nous reconnaissons également la détermination et l'esprit d'initiative dont le gouvernement fédéral fait preuve en proposant l'adoption de ce projet de loi.
De plus, nous reconnaissons la difficulté d'élaborer des politiques fédérales dans un domaine où de nombreuses provinces et territoires pourraient percevoir cela comme une intrusion. Au Yukon, cela nous touche particulièrement du fait que le gouvernement fédéral contrôle la majorité des terres. Par conséquent, ce projet de loi risque de s'ingérer dans les affaires du Yukon à un degré beaucoup plus élevé que dans celles des provinces. Nous croyons toutefois que l'approche coopérative et consultative prévue dans le projet de loi constitue un pas en avant. Nous croyons que cette approche pourrait être efficace.
Par contre, nous savons et nous avons entendu dire que plusieurs personnes jugent ce projet de loi trop mou. D'autres personnes estiment qu'il est dur au point d'entraver le développement économique. À notre avis, ce projet de loi réalise un équilibre typiquement canadien. Il fait des compromis et il nous permettra de traiter le problème des espèces en péril avec efficacité, sans affecter de façon excessive le développement économique. Une des raisons pour lesquelles nous sommes en faveur de ce projet de loi vient de l'approche consultative adoptée par Environnement Canada durant son élaboration.
Trop souvent, au Yukon, nous nous sentons exclus quand le gouvernement fédéral adopte une loi ayant des répercussions sur notre vie. Dans ce cas, je pense que le ministère de l'Environnement a fixé un nouveau point de repère en ce qui concerne le niveau de consultation accordé aux organismes responsables des revendications territoriales. Une des principales causes de frustration dans leurs négociations avec le gouvernement fédéral est que, pour employer une formule courante au Yukon, on dirait presque qu'Ottawa a signé l'Accord à un moment d'égarement et qu'il a ensuite continué d'agir comme d'habitude.
• 0925
Dans ce cas-ci, un nouveau jalon a été posé et nous félicitons
le ministère de l'Environnement pour son processus de consultation.
Nous pensons toutefois que le projet de loi peut être amélioré,
notamment en ce qui concerne les deux points que j'ai abordés. Le
premier consiste à reconnaître que les procédures en place au Yukon
sont en mesure de protéger avec efficacité les espèces en péril.
Par conséquent, nous proposons d'apporter au préambule une
modification qui reconnaisse les rôles des membres des Premières
nations et du Conseil de gestion de la faune et qui spécifie qu'il
faudrait tenir compte des procédures élaborées en vertu de ces
accords.
Nous ne proposons pas ce changement sans raison. En effet, il s'agit d'utiliser les connaissances traditionnelles et locales dans les évaluations, les programmes de rétablissement d'une espèce et dans les plans d'action. Nous pensons que même avec la participation d'un groupe de travail sur les connaissances traditionnelles dans le COSEPAC, cette tribune aura de grosses difficultés à appliquer efficacement les connaissances traditionnelles. Nous estimons que c'est un ajout utile mais que c'est à la base qu'il est préférable d'intégrer les connaissances traditionnelles aux évaluations, aux programmes de rétablissement des espèces et aux plans d'action.
Il serait extrêmement difficile pour un aîné d'une Première nation de travailler dans un forum comme le COSEPAC. Par contre, nous pensons que si elle est dans sa ville natale, en présence des membres de sa communauté, cette personne peut transmettre les connaissances que les responsables de la gestion pourront intégrer beaucoup plus efficacement aux évaluations et aux plans d'action qu'un groupe composé de scientifiques de haut calibre.
Nous estimons par conséquent que l'intégration des procédures établies en vertu des accords sur les revendications territoriales sera plus efficace que celle de procédures d'un niveau scientifique très élevé. Nous avons pu constater les difficultés d'intégration à un niveau scientifique élevé dans un forum qui est extrêmement hostile aux membres des Premières nations.
En deuxième lieu, nous estimons que le projet de loi n'est pas à la hauteur, du fait qu'il n'offre pas les ressources nécessaires aux organismes établis en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales, pour leur permettre d'accomplir leur mission dans ce domaine. Le financement offert selon les accords sur les revendications territoriales pour la mise en oeuvre est limité. Le nombre d'espèces spécifiquement désignées dans l'Accord est restreint, je le concède, mais ce projet de loi alourdira la charge de travail des organismes de gestion de la faune créés en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales. Nous estimons que le gouvernement du Canada doit payer au moins les coûts différentiels nets que ces nouvelles fonctions entraîneront pour le Conseil de gestion des ressources fauniques.
Enfin, où en sommes-nous au Yukon en ce qui concerne le projet de loi sur les espèces en péril? Nous avons exercé de fortes pressions sur le gouvernement du Yukon pour le persuader de signer l'accord national sur les espèces en péril et nous avons réussi à le convaincre d'inscrire une loi sur les espèces en péril à son calendrier législatif. En fait, nous espérons que cela pourrait se réaliser dans les 18 prochains mois. Nous avons l'intention de travailler en collaboration étroite avec le gouvernement du Yukon pour que ce projet de loi territorial permette au Yukon de remplir ses obligations envers le Canada et envers les autres pays, lorsqu'il est question d'espèces en péril, et nous espérons que vous prendrez en considération les deux modifications que nous recommandons d'apporter au projet de loi, parce qu'elles le rendront beaucoup plus efficace.
Je vous remercie.
Le président: Merci, monsieur Couture.
Allez-y, monsieur Merritt.
M. John Merritt (conseiller législatif, Nunavut Tunngavik Incorporated): Je tiens avant tout à remercier le président et les membres du comité d'avoir invité la Nunavut Tunngavik à présenter un mémoire.
Notre président, Paul Quassa, m'a chargé de vous dire qu'il regrettait de n'avoir pas pu venir. Il devait faire cet exposé mais n'a pas pu quitter Iqaluit hier soir parce que l'avion qu'il devait prendre a eu des problèmes mécaniques.
La Nunavut Tunngavik a préparé un mémoire en étroite collaboration avec le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et avec l'Inuit Tapirisat du Canada. En fait, nous avons préparé ensemble 15 recommandations. Elles se trouvent dans la version intégrale du mémoire qui vous a été remise. J'espère qu'elle a été distribuée ou qu'elle le sera bientôt. Au lieu de lire cette version aujourd'hui, je vous propose un exposé plus succinct dans lequel nous mettons l'accent sur trois recommandations que nous espérons que vous adopterez.
Je voudrais d'abord dire quelques mots au sujet de la Nunavut Tunngavik Incorporated. C'est une société à but non lucratif qui a été créée pour succéder à l'organisme qui a mené les négociations concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, pour le compte des Inuits du Nunavut. Cet accord a été signé et ratifié en 1993. La Nunavut Tunngavik a été créée principalement pour se charger de la mise en oeuvre de cet accord pour le compte des Inuits et veiller à ce que les droits et les avantages qui en découlent pour eux soient garantis et défendus.
La Nunavut Tunngavik Incorporated a en outre pour mission de représenter les Inuits du Nunavut dans le cadre d'initiatives qui n'ont aucun lien avec l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut mais qui feraient progresser les droits et les avantages dont ils bénéficient comme peuple autochtone.
L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut est un accord au sens de l'article 35 de la Constitution. Il comporte des règles d'interprétation dans l'accord lui-même et dans la mesure législative qui le ratifie. Ces règles d'interprétation indiquent qu'en cas d'incohérence ou de conflit entre les accords ou la mesure législative qui le ratifie et toute autre loi fédérale, c'est l'Accord et cette mesure qui prévalent.
Le territoire le plus touché par l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut est la région du Nunavut. Cette région est délimitée dans l'Accord et correspond, dans la plupart des cas, au territoire du Nunavut. Il existe de légères différences en ce qui concerne les zones extracôtières.
La région visée couvre un territoire d'une superficie de 1,9 million de kilomètres carrés, incluant les zones marines, l'archipel arctique et la mer territoriale de 12 milles contiguë au Nunavut. En outre, environ 43 p. 100 des zones côtières océaniques se trouvent dans la région du Nunavut, ce qui représente environ 104 000 kilomètres de côtes sur un total de 243 000 kilomètres. Par conséquent, une grosse partie du territoire maritime et des eaux intérieures du Canada fait partie des zones marines couvertes par l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.
Je voudrais maintenant parler des trois recommandations en question. La première est énoncée de façon plus précise dans la version intégrale de notre mémoire. Par le biais de cette recommandation, nous demandons au comité permanent de remplacer le libellé de l'article non dérogatoire, c'est-à-dire de l'article 3 du projet de loi, par la formule plus classique qui était employée dans les lois fédérales depuis 1985.
La Nunavut Tunngavik Incorporated et d'autres peuples autochtones n'apprécient pas la nouvelle formule employée par le ministère de la Justice dans cet article. La formulation initiale de cet article non dérogatoire, que l'on retrouve dans des lois antérieures, n'a jamais été contestée devant la Cour fédérale ou devant la Cour d'appel fédérale de la Cour suprême du Canada. Cependant, la formulation a changé en raison de ce qui semble être une nouvelle approche du ministère de la Justice.
J'aurais deux commentaires à faire au sujet de ce changement. Le premier est que le changement de la formulation d'une disposition qui est censée apporter aux peuples autochtones une plus grande sécurité et une plus grande certitude en ce qui concerne leurs droits s'est fait sans qu'ils aient été consultés. Par conséquent, il est illogique qu'une disposition visant à donner des garanties aux peuples autochtones soit modifiée à leur insu. La Nunavut Tunngavik Incorporated estime que c'est inacceptable.
• 0935
Le deuxième argument qui est, je présume, plus convaincant,
est que la nouvelle formulation de cet article non dérogatoire
n'est, à notre avis, pas aussi efficace que la formulation
précédente, c'est-à-dire celle que l'on trouve dans des lois
fédérales adoptées à la suite de la réforme constitutionnelle
de 1982. Cette formulation indiquait de façon très claire que ces
diverses lois ne portaient nullement atteinte à la protection des
droits ancestraux. La nouvelle formulation semble être liée au
droit jurisprudentiel et laisser au ministère de la Justice la
latitude d'empiéter sur ces droits si telle est la volonté du
Parlement.
À notre avis, il serait plus approprié de formuler cet article de façon à ce que, lorsqu'il adopte une nouvelle loi, le Parlement n'ait nullement l'intention de porter atteinte aux droits ancestraux ou aux droits découlant des traités de quelque peuple que ce soit. Nous vous prions d'envisager de rétablir la formulation antérieure.
Je signale que cette formule a encore été utilisée dans la Loi sur les armes à feu, soit en 1995, si je ne m'abuse. Par conséquent, la formulation initiale a fait ses preuves depuis bien plus longtemps que la nouvelle formulation, que semble préférer le ministère de la Justice.
La deuxième recommandation est la recommandation numéro 3 de la version intégrale de notre mémoire. Elle recommande d'ajouter deux paragraphes aux dispositions concernant les sous-comités de spécialistes en connaissances traditionnelles autochtones du COSEPAC.
Nous estimons que ces ajouts sont nécessaires pour que ces dispositions soient entièrement conformes aux intentions documentées du ministre qui découlent des engagements pris par le Canada à l'échelle nationale et internationale.
Notre recommandation comporte deux volets. Le premier consiste à ajouter le paragraphe 18(3) qui suit:
-
Les membres du Sous-comité de spécialistes en connaissances
traditionnelles autochtones sont choisis par les conseils de
gestion des ressources fauniques, et les gouvernements et
organismes autochtones que le ministre juge compétents, en fonction
de leur expérience dans le domaine.
Il conviendrait d'y ajouter également un paragraphe 18(4), formulé comme suit:
-
Les membres du Sous-comité de spécialistes en connaissances
traditionnelles autochtones doivent se choisir un président ou une
présidente, et le ministre doit le ou la nommer membre du COSEPAC
si ce n'est pas déjà le cas.
Dans une lettre envoyée au président de l'Inuit Tapirisat du Canada au cours de l'hiver 2000 à propos de la Loi sur les espèces en péril proposée, le ministre de l'Environnement a écrit:
-
Le COSEPAC doit instituer un comité de spécialistes en
connaissances traditionnelles autochtones. Les membres de ce comité
seraient choisis pour la plupart par des Autochtones et le
président serait élu par ses collègues et nommé par le ministre de
l'Environnement membre du COSEPAC, avec plein droit de vote.
Le texte de la lettre est annexé à la version intégrale de notre mémoire.
Nous estimons que, pour le moment, l'engagement du ministre n'est pas énoncé clairement dans les dispositions du projet de loi. Selon ses dispositions actuelles, le projet de loi n'exige pas que les membres du sous-comité soient choisis par les peuples autochtones. Il n'exige pas que les membres du COSEPAC possèdent des connaissances traditionnelles autochtones ni que le ministre nomme membre du COSEPAC le membre de ce sous-comité qui a été nommé président par ses collègues.
Comme je l'ai déjà signalé, l'engagement du ministre découle des obligations nationales et internationales que le Canada a contractées depuis longtemps, mais qu'il n'a pas encore remplies. Ces obligations viennent de l'appui que le Canada a donné à la Convention sur la biodiversité adoptée à Rio de Janeiro, en 1992. La Convention de Rio est un bel échantillon du droit international émergent en matière de développement durable. Elle reconnaît, dans son préambule et dans plusieurs clauses, l'extrême importance du rôle des connaissances traditionnelles des Autochtones dans la conservation de la biodiversité et l'utilisation durable des ressources biologiques.
En raison du rôle de chef de file qu'il joue à l'échelle internationale, le Canada a en outre élaboré une stratégie nationale pour la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité. La stratégie de la biodiversité signale que les connaissances traditionnelles peuvent constituer un excellent point de départ pour l'élaboration de politiques et de programmes de conservation et d'utilisation durable. Les décideurs, les scientifiques, les planificateurs en matière de ressources et les gestionnaires utilisent toutefois trop souvent les connaissances traditionnelles à mauvais escient ou n'en tiennent pas compte.
• 0940
Étant donné les intentions manifestes du ministre et les
engagements que le Canada a pris en vertu de la Convention de Rio,
et compte tenu de sa stratégie de la biodiversité, des dispositions
appropriées et non ambiguës, comme celles recommandées par la
Nunavut Tunngavik Incorporated, devraient être ajoutées à
l'article 18 du projet de loi.
Enfin, la troisième recommandation sur laquelle j'attire votre attention aujourd'hui correspond à la recommandation numéro 4 de la version intégrale de notre mémoire. Nous recommandons que, par souci de conformité à la Constitution, le ministre soit tenu, aux termes du paragraphe 27(2) du projet de loi, d'appliquer les dispositions pertinentes des traités autochtones et des accords fonciers applicables avant de faire une recommandation au gouverneur en conseil, en ce qui concerne l'inscription d'une espèce sauvage en péril sur la Liste.
Un des pouvoirs décisionnels les plus importants en ce qui concerne les espèces en péril, et en tout cas le plus fondamental, du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, qui a été institué aux termes de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, est celui d'approuver la désignation d'une espèce comme espèce rare, menacée ou en voie de disparition dans la région du Nunavut. Cela signifie clairement qu'en ce qui concerne les espèces faisant partie de populations établies dans la région du Nunavut et considérées comme des espèces en péril, la classification doit être réexaminée et être approuvée officiellement par le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut.
Dans des lettres qu'il a envoyées dernièrement au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et à l'Inuit Tapirisat du Canada, le sous-ministre adjoint du Service de la conservation de l'environnement a écrit ceci:
-
En vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du
Nunavut, le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut
doit soumettre son approbation concernant le statut applicable à
une espèce au ministre, qui a le droit d'accepter ou de rejeter
(voire de modifier) cette décision.
En vertu des clauses de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, le ministre fait alors tout ce qui est nécessaire pour mettre en oeuvre la décision qu'il a acceptée ou modifiée. Dans ces cas, le gouverneur en conseil ne pourrait pas modifier la décision du ministre et du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut en ce qui concerne la région du Nunavut. Par conséquent, en vertu des dispositions du paragraphe 27(2) du projet de loi, le ministre ne doit pas se contenter de consulter le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut avant de faire une recommandation au gouverneur en conseil.
Étant donné la primauté des traités et des accords fonciers conclus avec les Autochtones sur les autres mesures législatives, du fait qu'ils sont protégés par la Constitution, il conviendrait de spécifier dans la loi le pouvoir global s'appliquant à la protection des espèces en péril qui est prévu dans ces accords et ces traités. C'est précisément le but de la modification du texte de l'alinéa 27(2)c) recommandée par la Nunavut Tunngavik Incorporated.
Enfin, j'insiste sur le fait que la Nunavut Tunngavik Incorporated se réjouit des engagements globaux qu'a pris le Canada en matière de conservation de la biodiversité et d'utilisation durable des ressources biologiques. Les Inuits du Nunavut appuient par conséquent l'éventuelle adoption par le Parlement de la Loi sur les espèces en péril.
Comme j'espère avoir pu le démontrer par certains des commentaires que j'ai faits dans le cadre de mon exposé, la version actuelle du projet de loi C-5 présente diverses lacunes et devrait être améliorée. Elle ne reconnaît pas suffisamment l'application des accords sur les revendications territoriales ni la situation très particulière des peuples autochtones dans plusieurs domaines critiques couverts par le projet de loi.
Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir donné l'occasion de témoigner et je vous invite, vous et vos collègues, à poser toutes les questions que vous aurez le temps de poser dans le cadre des présentes discussions.
Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Merritt.
Nous commencerons par un tour de questions d'une durée de quatre minutes par personne et nous ferons peut-être un deuxième tour.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, AC): Merci.
En vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, les Inuits ont le droit de prélever une récolte sur tout stock ou toute population d'espèces sauvages se trouvant dans la région du Nunavut en fonction de tous leurs besoins économiques, sociaux et culturels, sauf si le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, une des institutions créées par le gouvernement, fixe une limite en ce qui concerne un stock ou une population en particulier. Les Inuits ont en outre le droit de libre accès aux fins de la récolte à toutes les zones terrestres, aquatiques et marines de la région du Nunavut, y compris celles qui sont situées sur des terres domaniales, dans des parcs et dans des aires de conservation. Ce droit est régi par les dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.
Par conséquent, je voudrais savoir si les dispositions du projet de loi C-5 facilitent en fait la coopération entre le Conseil de gestion et les fonctionnaires fédéraux responsables de la faune. Je crois que vous y avez déjà fait allusion.
• 0945
La deuxième question est: le projet de loi contient-il des
dispositions assez efficaces pour éviter toute carence à un palier
gouvernemental ou toute redondance? Les moyens de subsistance de
bien des habitants de notre région sont les aliments locaux. Les
bureaucrates se démènent pour nous préparer un tout nouveau régime
législatif. Je voudrais que vous fassiez des commentaires sur cette
question de la coopération, à laquelle vous avez déjà fait
allusion, pour essayer de sortir du domaine théorique pour voir ce
que cela donne dans la pratique.
M. John Merritt: Votre question comporte plusieurs volets. J'espère que je les ai tous compris.
M. d'Eça vous donnera, bien entendu, des informations complémentaires, du point de vue du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Il parlera certainement de quelques-uns des points que vous avez relevés dans son exposé. Je n'essaierai pas de faire des commentaires très précis sur le type de relation qui s'établira entre le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et le gouvernement fédéral, dans le contexte du projet de loi.
La position juridique de la Nunavut Tunngavik est qu'en cas de conflit, c'est notre accord qui prévaut. Nous sommes toutefois très conscients du fait qu'il est important que les mesures législatives qui ont été adoptées par le Parlement depuis 1993 tiennent compte rigoureusement des clauses de l'accord foncier. S'il y a des incohérences ou des conflits, ceux et celles qui sont chargés d'administrer ces lois seront quelque peu déconcertés. Nous avons signalé que nous ne tenons pas à ce que tous les agents de la faune soient obligés de devenir des experts en droit constitutionnel et d'appliquer des mesures législatives qui ne concordent pas avec les clauses de l'Accord. Puisque vous avez parlé d'efficacité, je vous signale que ce n'est certainement pas ainsi que l'on arrivera à être efficace.
Nous préférons que toute mesure législative qui vient se greffer aux autres soit rédigée de façon à éviter les conflits, de sorte qu'elle complète et renforce les ententes réalisées dans le cadre de l'accord foncier.
En ce qui concerne vos préoccupations au sujet de la redondance ou autres lacunes de ce genre, je ne crois pas que la Nunavut Tunngavik pense que ce projet de loi engendre de tels problèmes. Le Nunavut représente en fait 20 p. 100 de la superficie du territoire national, et même davantage si l'on tient compte des zones marines. C'est un territoire très étendu. Nous n'avons qu'un conseil de gestion. Celui-ci s'occupe des espèces terrestres et marines. C'est un organisme intégré; il s'occupe des espèces qui relèvent des pêches et de celles qui relèvent du ministère de la Faune du territoire. C'est un organisme dont les dépenses sont relativement modestes. À notre avis, en ajoutant une mesure législative qui apporte une sécurité supplémentaire en matière de protection de l'habitat, on devrait renforcer les aspects avantageux du régime établi en 1993.
Pour autant que le projet de loi puisse être amélioré de façon à le rendre plus conforme à l'accord foncier, nous estimons qu'il aura d'une façon générale des conséquences bénéfiques.
J'espère que cette réponse vous satisfait.
M. Paul Forseth: Avez-vous une réponse, monsieur d'Eça?
M. Michael d'Eça: En fait, j'aurais tendance à confirmer la plupart des commentaires que John vient de faire; je crois d'ailleurs que Gerry le ferait également.
Nous pensons que, si l'on apporte certaines des modifications que nous réclamons—que nous justifions, d'ailleurs—et que si la loi reconnaît les processus convenus entre l'État et les Inuits visés par l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, tout devrait bien se passer. Le projet de loi a été intégré convenablement et le lecteur doit être au courant des processus découlant de l'accord foncier. Nous avons bon espoir que tout se passera bien.
M. Paul Forseth: J'ai une autre question.
Monsieur Couture, vous dites notamment ceci dans votre mémoire:
-
Nous croyons qu'une mention explicite des procédures élaborées en
vertu des accords sur les revendications territoriales améliorerait
la loi.
-
Pour ce faire, un simple ajout à l'énoncé de préambule qui
reconnaît les rôles des membres des Premières nations et des
conseils de gestion de la faune suffirait.
Vous dites aussi que:
-
[...] les rôles des membres des Premières nations du Canada et des
conseils de gestion de la faune établis selon les accords sur les
revendications territoriales et les procédures élaborées en vertu
de ces accords, dans la conservation de la faune dans ce pays, sont
essentiels.
À certains égards, c'est très simple. Je me demande toutefois pourquoi vous estimez qu'il faut que ce soit inscrit dans le projet de loi. De toute évidence, vous pensez à quelque chose que je ne vois pas. Je voudrais par conséquent que vous m'aidiez.
M. Gerry Couture: Je crois que la réponse se trouve dans la question que vous avez posée à mes collègues. C'est une question d'efficacité et de simplicité. Si ce projet de loi nous permet d'utiliser nos procédures pour faire des évaluations, établir des programmes de rétablissement et des plans d'action, et que l'on ne nous impose pas des procédures fédérales différentes mais qu'on nous permet d'utiliser les nôtres telles quelles, il n'y aura pas de redondance. Nous faisons l'intégration de ces connaissances traditionnelles et locales à la base, là où elles sont les plus efficaces et les mieux interprétées, parce que les personnes qui les possèdent participent à l'élaboration des évaluations et des plans d'action.
C'est pourquoi nous voudrions que les procédures élaborées en vertu des accords sur les revendications territoriales soient mentionnées expressément dans le projet de loi. Cela éviterait que les bureaucrates ou les agents de conservation fédéraux n'imposent en outre d'autres procédures. Nous estimons que l'Accord sur les revendications territoriales intègre ces procédures parce qu'il intègre même le principe que nous devons nous prononcer sur toute inscription dans la Liste ou tout plan de gestion. Par conséquent, pourquoi n'utiliserait-on pas nos procédures au lieu de les reproduire? C'est la raison pour laquelle nous voudrions que ce soit spécifié.
Le président: Merci, monsieur Forseth.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—St. Clair, NPD): Avant de commencer, je me demande si M. d'Eça ne veut pas faire un exposé. Dans ce cas, nous devrions lui laisser d'abord la parole.
Le président: C'est moi qui n'avais pas compris; j'avais compris que le mémoire qui nous a été présenté était celui des deux organismes. D'après le commentaire fait il y a quelques instants par M. Merritt, il s'attendait à ce que M. d'Eça parle des autres recommandations. Je ne sais pas si vous voulez parler de toutes les recommandations, étant donné que nous les avons sous les yeux. Pourriez-vous les résumer, car cela nous laisserait plus de temps pour les questions.
M. Michael d'Eça: Je n'ai pas très bien compris, monsieur le président.
Le président: Je vous demande de résumer les autres recommandations au lieu de prendre encore 15 minutes. Cela laisserait plus de temps à mes collègues pour poser des questions. Je pensais que M. Merritt avait exposé les grandes lignes du mémoire que vous comptez présenter.
M. Michael d'Eça: Monsieur le président, je me demande si vous pourriez m'accorder cinq ou dix minutes pour parler d'une ou deux recommandations seulement. Je préférerais ne pas les résumer parce qu'elles sont plutôt élaborées. Je préfère ne parler que de deux ou trois recommandations et vous laisser du temps pour les questions.
Le président: C'est bien. Êtes-vous d'accord? Allez-y.
M. Michael d'Eça: Merci.
Si j'ai bien compris, vous avez un exemplaire de la version intégrale du mémoire du Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. J'espère que oui.
Le président: Oui.
M. Michael d'Eça: En parlant du Conseil, je dirai le CGRFN. Pour vous donner un bref aperçu de son champ de compétence, je signale qu'il s'agit d'une institution publique, d'un organisme administratif indépendant créé par l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. C'est le principal instrument de gestion des ressources fauniques et le principal organisme de réglementation de l'accès à la faune dans la région du Nunavut.
Dans le cadre de cette compétence en matière de gestion de la faune, le Conseil a le pouvoir décisionnel exclusif en ce qui concerne l'établissement, la modification ou la suppression de quotas et diverses autres restrictions sur la récolte de toutes les espèces sauvages de la région du Nunavut. Ses décisions doivent être communiquées au ministre compétent. Le ministre peut accepter, rejeter ou modifier toute décision du CGRFN, mais dans certaines limites établies en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Le Conseil joue également un rôle clé dans l'évaluation, la protection, le rétablissement et la gestion des espèces en péril.
Je voudrais parler une minute ou deux des principes de conservation qui sous-tendent l'Accord, ou du moins les parties concernant la gestion de la faune. Les Inuits font partie intégrante des systèmes écologiques dans lesquels ils vivent et leurs rapports avec l'environnement et avec la faune avec lesquels ils partagent l'Arctique sont intimes. Ce n'est pas une exagération. Dans les négociations sur les revendications territoriales, les Inuits ont donné l'absolue priorité à la protection et à la gestion du milieu terrestre et marin. Environ 70 p. 100 de leurs revendications concernent la protection et la conservation du milieu.
• 0955
Je vous lis rapidement les principes globaux de la
conservation en insistant sur le fait qu'ils sont à la base de
toutes les décisions du CGRFN en ce qui concerne l'environnement.
Comme l'indique l'Accord sur les revendications territoriales du
Nunavut, ces principes sont les suivants: premièrement, le maintien
de l'équilibre naturel des systèmes écologiques dans la région du
Nunavut; deuxièmement, la protection de l'habitat des ressources
fauniques; troisièmement, le maintien en santé des populations
fauniques vitales, de manière à satisfaire les besoins en matière
de récolte; et enfin, la reconstitution des populations de
ressources fauniques décimées et la revitalisation de leur habitat.
Je parlerai maintenant de deux ou trois recommandations, monsieur le président. La première, qui correspond en fait à la recommandation numéro 5 des mémoires du CGRFN concerne la compétence fédérale et la compétence territoriale. Durant la courte période qui s'est écoulée entre l'expiration du projet de loi C-33, en octobre 2000, et la présentation du projet de loi C-5, en février, le ministère de l'Environnement a apporté plusieurs changements au projet de loi. Un des changements que nous estimons importants concerne la compétence fédérale et celle des territoires. Le ministère a supprimé l'article 84 du projet de loi C-33 et a ajouté quatre paragraphes au nouveau projet de loi, les paragraphes 53(5) et (6) et les paragraphes 71(5) et (6).
Je ne ferai pas une longue analyse mais, en vertu des dispositions de l'article 84 du projet de loi précédent, avant de recommander que le gouverneur en conseil ne prenne une ordonnance s'appliquant aux programmes de rétablissement, aux plans d'action et aux plans de gestion concernant des espèces sauvages terrestres vivant en territoire canadien, le ministre doit remplir trois conditions préalables: il doit consulter le ministre compétent des territoires, si l'espèce vit dans une zone visée par des revendications territoriales, il doit consulter le conseil de gestion de la faune compétent et il doit estimer que les lois du territoire ne protègent pas l'espèce en question. Aux termes des articles 53, 59 et 71 du projet de loi C-5, il ne doit remplir que deux conditions préalables, à savoir consulter le ministre du territoire et consulter le conseil de gestion de la faune compétent. On n'exige donc plus «qu'il soit d'avis que les lois du territoire ne protègent pas l'espèce.»
À la suite de la délégation de certains pouvoirs par le Parlement fédéral aux trois territoires, tous les gouvernements territoriaux ont bénéficié au cours des années de pouvoirs de plus en plus étendus dans le domaine législatif et dans celui de la gestion, en ce qui concerne leur territoire. Ces pouvoirs comprennent celui de légiférer pour protéger les espèces en péril et leur habitat, et celui de gérer ces espèces et leur habitat.
M. Couture a signalé que le Yukon était en train d'établir une loi concernant la protection des espèces en péril. C'est la même chose au Nunavut. Le ministère du Développement durable est en train de revoir et de moderniser sa loi sur la faune, avec la collaboration de la NTI et du CGRFN. Ce processus comprend l'élaboration de mesures de protection globales pour les espèces en péril et leur habitat, que ce soit par le biais d'une mesure législative distincte ou en intégrant de nouvelles dispositions à cet effet dans la loi.
Le ministère du Développement durable joue un rôle très important dans le territoire du Nunavut. Depuis qu'il a repris le flambeau de l'ex-ministère des Territoires du Nord-Ouest, en 1999, il a accru sa capacité de gérer la faune et son habitat; je pense d'ailleurs que, d'une manière générale, les habitants du Nunavut n'ont pas à se plaindre de ses services. D'autre part, le ministère de l'Environnement ne dispose pas actuellement de ressources suffisantes au Nunavut pour envisager de prendre sa place, en ce qui concerne la protection des espèces terrestres en péril et de leur habitat essentiel.
Par conséquent, si vous voulez faire ce changement, n'oubliez pas que c'est un changement important et qu'il faudra beaucoup de temps, d'efforts et de ressources financières pour le réaliser. Le CGRFN se demande bien pourquoi le ministère envisage de se mettre une tâche de cette envergure sur le dos, sauf dans les cas où les lois du territoire ne protègent pas l'espèce concernée ou son habitat.
À notre avis, l'approche la plus raisonnable consiste à reprendre les dispositions qui se trouvaient dans le projet de loi C-33 et à indiquer clairement dans la loi fédérale que les limites à l'ingérence fédérale dans le champ de compétence du territoire resteront strictes et qu'elles ne seront franchies que si le ministre est d'avis que les lois du territoire ne protègent pas les espèces en péril ou leur habitat essentiel.
• 1000
Il suffit d'apporter une modification toute simple au projet
de loi C-5 et d'ajouter un paragraphe indiquant que le ministre
doit «être d'avis que les lois du territoire ne protègent pas
l'espèce». Ou, dans le cas de l'article 59, qui concerne l'habitat,
il suffit d'ajouter un paragraphe qui dit: «est d'avis que les lois
du territoire ne protègent pas l'habitat essentiel».
Monsieur le président, je ne veux pas parler beaucoup plus longtemps car je tiens à vous laisser le temps de poser des questions. Je pourrais m'arrêter maintenant, si vous voulez, mais je préférerais toutefois parler d'une autre recommandation.
Il s'agit de la recommandation numéro 13 du mémoire du CGRFN. Elle comporte deux volets. Le premier concerne les décrets d'urgence. Il s'agit d'un des changements survenus au cours de la brève période qui s'est écoulée entre l'expiration du projet de loi C-33 et la présentation du projet de loi C-5. Au paragraphe 83(3)—qui est très important pour nous, comme vous allez le voir—, les décrets d'urgence ont été retirés de la liste des articles et des paragraphes de la Loi sur les espèces en péril qui ne s'appliquent pas aux territoires visés par des revendications territoriales.
Il reste une liste de dix exemptions au paragraphe 83(3). Ces articles et paragraphes établissent une série d'interdictions en ce qui concerne les espèces en voie de disparition ou menacées inscrites sur la Liste. Par exemple, elles interdisent de tuer, de maltraiter ou de posséder des spécimens de ces espèces et d'endommager ou de détruire leur territoire ou leur habitat essentiel.
Aux termes des dispositions du paragraphe 83(3), cette liste d'interdictions ne s'applique pas aux territoires visés par les revendications. Je m'empresse d'ajouter que le but de ces exemptions à toutes ces interdictions raisonnables et nécessaires n'est pas de permettre de tuer des espèces en péril ou de détruire leur territoire et leur habitat dans les zones visées par les revendications. Il est au contraire de reconnaître et de respecter les mesures de protection globales et efficaces qui sont déjà en place en vertu des accords sur les revendications territoriales.
Si l'on analyse les dispositions des articles 80 à 82, on constate que désormais, on peut prendre un décret d'urgence d'une durée indéterminée pour protéger des espèces sauvages au Nunavut, sans devoir consulter le CGRFN, qui est le principal instrument de gestion de la faune et le principal organisme de réglementation de l'accès à la faune au Nunavut. Il n'est pas nécessaire de le consulter pour prendre ce décret ou pour le révoquer.
Je vous assure que cela va à l'encontre des dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales, où les circonstances d'urgence sont prévues. L'article 5.3.24 de l'Accord permet au ministre de prendre et de mettre en oeuvre toute décision provisoire raisonnable concernant une espèce faunique s'il s'agit de circonstances urgentes et exceptionnelles, autrement dit d'une situation d'urgence.
Aux termes de cet article, le CGRFN doit examiner la question dans les plus brefs délais, après quoi, il doit confirmer la décision provisoire du ministre et prendre une décision à son tour. Comme je l'ai déjà signalé, le ministre a, bien entendu, le pouvoir d'accepter, de rejeter ou de modifier cette décision, mais en conformité des dispositions de l'Accord.
Les circonstances d'urgence envisagées dans le projet de loi C-5 sont traitées de façon satisfaisante dans l'Accord. La Loi sur l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut contient des «mesures équivalentes» à celles des dispositions de l'article 81 du projet de loi C-5 pour protéger l'espèce sauvage. Par conséquent, compte tenu de deux considérations—la première étant la primauté sur la loi des accords sur les revendications territoriales protégés par la Constitution et le deuxième étant l'objet et le contenu de l'article 5.3.24 de l'Accord—, le CGRFN recommande au comité permanent de rétablir les décrets d'urgence qui étaient prévus dans le projet de loi C-33 dans la liste des exceptions prévues dans les accords sur les revendications territoriales dans le paragraphe 83(3).
Je pense que cela répond à la question du député. C'est pour éviter les malentendus, les redondances et les problèmes qu'il convient de le stipuler dans le projet de loi.
Monsieur le président, la deuxième chose qui me préoccupe au sujet du paragraphe 83(3)—et c'est là-dessus que je terminerai mon exposé—est un autre changement de dernière minute apporté par le ministère. Dans l'article correspondant du projet de loi C-33, il était question d'activités conformes aux mesures de réglementation ou de conservation concernant les espèces sauvages. Le paragraphe 83(3) ne mentionne plus que les activités conformes aux régimes de conservation des espèces sauvages.
• 1005
Le CGRFN n'a pas d'objection en ce qui concerne la suppression
du terme «de réglementation» de cette disposition mais c'est le
reste de la phrase qui le préoccupe, à savoir «régimes de
conservation». On pourrait interpréter cela comme les décisions
dont le seul objectif est d'assurer la conservation et par
conséquent, seules les activités exercées en vertu de telles
décisions pourraient être exemptées des interdictions prévues dans
la loi.
La décision du CGRFN de réduire la récolte d'une espèce menacée—en ce qui concerne par exemple le caribou de Peary, dans l'Arctique—serait, fort probablement, considérée par tous comme une mesure de conservation. Il n'est toutefois pas clair qu'une décision du CGRFN de maintenir, voire d'accroître légèrement la récolte, serait conforme au critère d'interprétation très restreint du paragraphe 83(3), tel qu'il est formulé dans le présent projet de loi.
J'ai déjà parlé des principes de conservation qui sous-tendent les revendications. En fait, pour être conformes aux dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, toutes les activités de récolte doivent être conformes aux dispositions de la revendication territoriale et aux principes de conservation très stricts qui la sous-tendent. Je vous ai lu ces principes il y a quelques minutes et ils sont énoncés à la page 4 du mémoire du CGRFN.
Si le CGRFN décidait de permettre à une collectivité de récolter un certain nombre de caribous de Peary, cette décision devrait être conforme aux principes de la conservation. En outre, elle devrait être acceptée par le ministre avant d'être mise à exécution. Lorsqu'il examinerait cette décision, le ministre devrait, quant à lui, se conformer aux principes stricts de conservation énoncés dans l'Accord sur les revendications territoriales.
Le problème que pose actuellement la formulation du paragraphe 83(3) est qu'il permettrait qu'une décision du CGRFN soit considérée comme autre chose qu'une mesure de conservation, même si elle devrait être conforme aux critères très stricts énoncés dans l'Accord. Par conséquent, pour éviter ce genre de problème d'interprétation, le CGRFN recommande que le comité permanent remplace les termes «régimes de conservation» par «critères de conservation», au paragraphe 83(3). Je pense que cela nous éviterait d'éventuels problèmes.
Monsieur le président, ce ne sont là que deux recommandations sur 15. Le Conseil vous prie d'examiner attentivement ses recommandations. Il explique en outre dans son mémoire toutes les raisons pour lesquelles il fait ces recommandations.
Le Conseil appuie le gouvernement dans ses efforts pour protéger les espèces en péril et leur habitat essentiel. Il est en faveur de l'adoption de la Loi sur les espèces en péril, sous réserve toutefois d'une reconnaissance suffisante de l'application des dispositions des accords sur les revendications territoriales et de la situation très particulière des peuples autochtones.
Je me ferai un plaisir de répondre à d'autres questions, s'il y en a et si vous souhaitez que le CGRFN fasse un travail de suivi, il le fera volontiers.
Je vous remercie de votre attention.
Le président: Merci, monsieur d'Eça.
Pendant que vous parliez de ces recommandations, on ne pouvait s'empêcher de se demander si le Conseil a été consulté par le ministère de l'Environnement, ou par le ministère de la Justice, lorsque ces modifications ont été apportées.
M. Michael d'Eça: Non, nous n'avons pas été consultés du tout. Juste avant la présentation du projet de loi, nous avons été invités par le ministère de l'Environnement à examiner divers changements qui avaient déjà été apportés, pour nous donner un aperçu. Nous n'avons toutefois pas été consultés. Nous avons été mis devant le fait accompli. Nous sommes reconnaissants d'avoir eu l'occasion d'avoir un aperçu mais ce n'était pas une séance au cours de laquelle nous aurions pu exercer des pressions ni même comprendre assez bien ce qui se passait pour poser des questions pertinentes sur les changements qui avaient été apportés.
Le président: Merci.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Je ne sais pas si c'est M. Couture, M. d'Eça ou M. Merritt qui répondra à ma question.
Lorsque les représentants du COSEPAC étaient ici, ils ont affirmé catégoriquement—je crois que c'est le terme juste—qu'au moment de l'évaluation de quelque espèce que ce soit, les revendications territoriales ou... Je crois que c'est trop long. D'une façon générale, les préoccupations des collectivités autochtones ne sont pas prises en considération à cette étape mais plutôt à une étape ultérieure, lorsqu'on examine les plans de protection et de rétablissement. Je voudrais savoir ce que vous en pensez.
• 1010
Pour rendre justice au COSEPAC, il me semble que ses
représentants ont dit: «Nous faisons un travail purement
scientifique. Les autres préoccupations de la collectivité
autochtone en ce qui concerne l'Accord sur les revendications
territoriales relèvent plutôt du domaine social, économique et
politique, et nous ne devrions pas être tenus d'intervenir à ce
niveau.»
Je pense avoir assez bien exprimé leur opinion et je voudrais savoir ce que vous en pensez et si vous êtes d'accord avec eux ou non. Dans la négative, je voudrais connaître votre opinion.
M. Gerry Couture: Nous ne sommes pas du tout d'accord. En fait, nous pensons que les connaissances traditionnelles et locales sont sur un pied d'égalité avec les connaissances scientifiques, et qu'elles sont tout aussi importantes. C'est pourquoi nous insistons pour que les processus viennent de la base, niveau où l'on peut utiliser efficacement ces connaissances. À en juger d'après la façon dont vous avez présenté l'opinion du COSEPAC, cette attitude va totalement à l'encontre du fonctionnement du processus, tel que nous le concevons.
À ce propos, je signale que pour le moment, le COSEPAC est en contact avec nous pour établir des protocoles en ce qui concerne son interaction avec le Conseil. Ce que nous voulons dire, c'est que lorsqu'on fait une évaluation, il faut tenir compte des connaissances des Autochtones qui sont tout aussi importantes que les connaissances scientifiques et sont complémentaires.
M. Joe Comartin: Je voudrais vous interrompre une minute, monsieur Couture. Si j'ai bien compris, le COSEPAC a signalé qu'il était en train d'essayer d'instituer ce sous-comité mais qu'il faudrait un certain temps pour le faire, et que l'on tiendrait compte des connaissances traditionnelles dans les évaluations. Je pense qu'il aurait voulu pouvoir en tenir compte davantage encore. Ce n'est toutefois pas le but de ma question.
La position du COSEPAC est qu'il tiendra compte des considérations liées aux revendications territoriales et des autres préoccupations des collectivités autochtones, outre les connaissances traditionnelles. Il considère toutefois que les autres préoccupations relèvent davantage du domaine social, politique et économique et qu'il n'a pas à en tenir compte. Le projet de loi, tel qu'il est formulé actuellement, l'oblige à en tenir compte. C'est là que je voulais en venir. Je ne parlais pas des connaissances traditionnelles car je crois que le COSEPAC est prêt à les prendre en considération.
Je crois que M. d'Eça veut faire des commentaires.
M. Michael d'Eça: J'ai vu le mémoire du COSEPAC sur le projet C-33 et je suppose que c'est précisément ce qu'il voulait dire. Je crois qu'il était question du paragraphe 15(3) qui dit ceci:
-
Le COSEPAC est tenu de prendre en compte les dispositions
applicables des traités et des accords sur les revendications
territoriales pour l'exécution de sa mission.
Je suis convaincu que c'est un malentendu de la part du COSEPAC. Il est animé des meilleures intentions. Ce qui le préoccupe, c'est de devoir prendre en compte d'autres considérations que la santé d'une espèce et que son éventuelle mise en péril. À ce stade du processus, il ne veut pas avoir à se préoccuper de toutes ces autres considérations.
Ce n'est toutefois pas ce qu'indique cette disposition. Je crois que M. Couture a raison. Le COSEPAC commence à comprendre ce que cela signifie en prenant contact avec les conseils, et nous sommes en train d'élaborer une procédure. Jusqu'à présent, il n'y a toutefois eu que très peu de contacts entre ceux-ci et le COSEPAC.
Je sais qu'il y a quelques jours à peine, le CGRFN a reçu un avis des représentants du RESCAPE (Programme de rétablissement des espèces canadiennes en péril) qui lui demandait son opinion sur le plan de gestion du caribou de Peary. On a demandé au conseil de cocher une case indiquant «bon» ou une autre case indiquant «pas bon».
Ce genre de contact n'est rien par rapport aux obligations découlant d'une revendication territoriale. L'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut exige que le CGRFN approuve la désignation d'espèces rares, menacées ou en voie de disparition. C'est une bonne chose. Il faut suivre ces principes très stricts de conservation. Ce sera bon pour les espèces en péril de la région du Nunavut. C'est aussi un avantage, aussi bien pour le COSEPAC que pour le gouvernement fédéral.
Cette disposition dit tout simplement que le COSEPAC doit être conscient et tenir compte du fait que le CGRFN de la région du Nunavut approuve la désignation d'espèces rares, menacées ou en voie de disparition. Il doit observer les principes de conservation et il a des contacts avec le ministre puisque ce dernier doit accepter, rejeter ou modifier ses décisions, conformément aux principes de conservation. C'est le but de cette disposition.
• 1015
Cette disposition ne dit pas que le COSEPAC doit tenir compte
des dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales
concernant le développement économique, ce qui l'empêcherait de
décréter que les espèces sont en péril. Elle dit qu'il doit prendre
en compte les dispositions des traités et des accords sur les
revendications territoriales. Je crois que si l'on avait l'occasion
de l'expliquer au COSEPAC, cela apaiserait la plupart de ses
craintes au sujet de cette disposition. Elle ne l'oblige pas à
tenir compte de considérations non pertinentes. Cette disposition
renforce la protection des espèces en péril.
M. Joe Comartin: Avez-vous des commentaires à ajouter, monsieur Merritt?
M. John Merritt: La seule observation que je voudrais faire, c'est qu'en fait le paragraphe 15(3) n'est pas assez strict. Il dit qu'il faut prendre en compte les dispositions des accords sur les revendications territoriales. Étant donné qu'il s'agit de traités protégés par la Constitution, je crois que vous devriez les respecter et vous y conformer.
Comme mes collègues l'ont signalé, ces accords sont axés sur la conservation. Il n'est pas question de vouloir entraîner quiconque, contre son gré, dans une direction déterminée. Ces accords ont été négociés pendant des années afin de donner la primauté à la conservation. Ils ne doivent pas être considérés comme des obstacles. Si cela signifie que les membres d'un comité doivent lire les dispositions d'un accord sur les revendications territoriales avant de prendre une décision dans le domaine couvert par l'accord, c'est bien.
L'expérience nous a appris que lorsque le train a quitté la gare, il est très difficile de lui faire faire marche arrière. Les personnes dont la mission est de prendre des décisions ont de la réticence à changer leur façon de raisonner lorsqu'on leur rappelle que d'autres considérations doivent être prises en compte. Dans ce cas, on perd beaucoup de temps à essayer de revenir en arrière alors qu'il aurait mieux valu éviter le problème.
À mon avis, si l'on veut toucher à ce paragraphe, il faut que ce soit pour le renforcer et certainement pas pour le supprimer.
M. Joe Comartin: Monsieur d'Eça ou monsieur Merritt, avez-vous des suggestions précises à faire pour ce qui est de renforcer cette disposition ou de faire comprendre clairement au COSEPAC quelles sont, d'après vous, les obligations découlant de ce paragraphe?
M. John Merritt: Je n'ai évidemment pas eu le temps d'y réfléchir mais je pense qu'il serait utile d'utiliser des termes qui rappellent aux membres du COSEPAC qu'ils doivent veiller à ce que leurs décisions soient conformes aux accords sur les revendications territoriales.
C'est frustrant de faire partie d'un organisme qui représente un groupe visé par un accord sur les revendications territoriales parce qu'on ne devrait pas avoir à faire ce genre de déclaration. Quand il existe un traité protégé par la Constitution, il ne devrait pas être nécessaire d'établir plusieurs autres lois pour rappeler qu'il faut respecter la loi. Dans le contexte actuel, où si l'on ne spécifie pas tout dans des documents, que des fonctionnaires ayant des responsabilités précises doivent lire et comprendre, on a tendance à considérer ces accords comme secondaires et superficiels ou à les laisser en quelque sorte en veilleuse, ce qui est éminemment regrettable.
C'est une des raisons pour lesquelles nous vous avons parlé, ainsi qu'à d'autres comités, de nos clauses d'organisation ou non dérogatoires. Nous prenons ces choses très au sérieux. D'après notre expérience, si l'on n'insiste pas beaucoup sur l'obligation de respecter les accords, on a tendance à ne pas en tenir compte.
J'espère avoir répondu à vos questions.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Monsieur Couture. J'aimerais que vous soyez bref.
M. Gerry Couture: J'ajouterais que c'est précisément le sentiment de frustration auquel je faisais allusion lorsque j'ai dit qu'on avait pratiquement l'impression que le gouvernement fédéral avait signé les accords dans un moment d'égarement et qu'il avait vite repris ses bonnes vieilles habitudes. C'est vraiment très irritant pour les habitants des territoires, surtout ceux du Yukon.
Je trouve que mes collègues ont raison et qu'il est nécessaire d'insister beaucoup. Nous avons généralement tendance à prendre le Livre jaune et à le frapper sur la tête des gens. Nous sommes effectivement irrités par ce moment d'égarement dans l'application des accords, surtout de la part des hauts fonctionnaires.
Le président: Vous n'êtes pas le seul.
Nous tenons à signaler la présence du sénateur Watt.
Sénateur, voudriez-vous poser une question?
Le sénateur Charlie Watt (Inkerman, Lib.): Oui.
Le président: M. Laliberte posera la sienne après vous. Allez- y.
Le sénateur Charlie Watt: Bonjour, messieurs. Je crois avoir compris votre exposé et ce qui vous préoccupe.
• 1020
Si j'ai bien compris, une clause non dérogatoire n'est pas
nécessaire pour le moment, si l'on procède de la façon
traditionnelle; vous voudriez que l'on revienne à la façon de
procéder habituelle.
Je pense que vous avez également insisté sur le fait que l'instrument qui a été créé pour être utilisé dans les discussions ou les négociations avec le gouvernement du Canada est un instrument protégé par la Constitution. Par conséquent, vous voudriez que le gouvernement du Canada n'innove pas mais qu'il suive les procédures existantes parce que ces questions et l'avis des habitants du Nord étaient déjà pris en considération lorsque ces instruments ont été mis en place.
Je voudrais toutefois aborder un sujet d'ordre plus pratique. Je comprends que ces instruments soient très importants pour vous, dans le cadre de la mise en oeuvre de l'Accord sur les revendications territoriales. J'en suis pleinement conscient. Il y a toutefois des considérations d'ordre pratique. Ce que j'entends par là, ce sont les espèces qui sont sur le point d'être inscrites sur la liste des espèces en voie de disparition. Certaines de ces espèces sont essentielles pour les habitants du Nord, qu'il s'agisse de ceux du Yukon, du Nunavut ou du Nunavik.
Par exemple, une espèce que l'on compte inscrire sur la liste des espèces en voie de disparition est le béluga. Je crois que c'est une espèce importante pour la subsistance et la survie de ces peuples, même si elle n'est pas exploitée à des fins commerciales. C'est un des principaux moyens de subsistance des habitants de trois régions: Inuvialuit, le Nunavut et le Québec, y compris le Labrador, je pense.
Avez-vous des commentaires à faire au sujet de cette espèce? D'après ce que j'ai pu comprendre, on n'a pas encore recueilli suffisamment de données scientifiques à son sujet pour pouvoir la faire inscrire sur la liste des espèces en voie de disparition.
Je me base uniquement sur la façon dont le ministère des Pêches et des Océans a effectué des études dans l'Ungava, sur la côte de la baie d'Hudson et dans le détroit d'Hudson, au cours des dernières années. Il a dit pour l'essentiel que, étant donné qu'il ne disposait pas des fonds nécessaires pour effectuer un comptage aérien des bélugas dans ces diverses régions, il estimait que les études effectuées il y a huit ans n'étaient plus acceptables. Autrement dit, il n'y avait plus eu de suivi depuis huit ans, c'est-à-dire depuis que les scientifiques avaient recueilli ces données. D'après le ministère, le nombre de bélugas diminue petit à petit dans la baie d'Ungava et sur la côte de la baie d'Hudson. Il semble dire que c'est à cause d'une récolte trop intense.
Les connaissances traditionnelles ne le confirment pas nécessairement. Il semblerait plutôt que ce soit parce qu'il y a davantage de bruit qu'avant dans la région côtière. C'est pourquoi les bélugas ont modifié leurs voies migratoires au lieu de garder leurs comportements migratoires traditionnels.
Quelles sont vos préoccupations en ce qui concerne ce secteur, puisque les habitants de ces régions seront privés d'une ressource sans être indemnisés? Ce sera du moins le cas si nous n'arrivons pas à faire retirer cette espèce de la Liste. Qu'est-ce que vous voulez? Les habitants de ces régions dépendent beaucoup de cette ressource sur le plan économique. Vous savez combien coûte la viande rouge. Les denrées alimentaires vendues dans les magasins sont extrêmement coûteuses. Cette espèce est très importante non seulement sur le plan alimentaire mais aussi sur le plan économique. La survie de notre peuple dépend de cette espèce à maints égards.
• 1025
Que fait-on actuellement? Je pense que la question est claire.
Le président: Merci.
M. Michael d'Eça: Je peux dire quelques mots au sujet de l'expérience vécue au Nunavut.
Le but essentiel est, bien entendu, la protection de l'espèce. Pour cela, il faut savoir combien d'individus de cette espèce il reste mais, comme vous l'avez signalé, on n'a plus fait d'étude à ce sujet depuis longtemps. Nous savons que l'étude de cette espèce pose beaucoup de problèmes au Nunavut. Il est difficile de compter les baleines. On ne peut pas les voir sous la glace ou lorsqu'elles sont submergées. Par conséquent, le CGRFN a fait récemment une tournée des villages où on chasse le narval et le béluga. Il est sur le point de faire quelques recommandations et de prendre des décisions.
D'une part, il recommande de faire de nouvelles études ou des mises à jour. Cela coûtera cher. Le CGRFN avancera des fonds. Il demande au ministère des Pêches et des Océans de participer aux frais. Il veut en outre faire une étude adéquate sur l'Inuit Qaujimajatuqangit, c'est-à-dire sur les connaissances traditionnelles inuites, pour connaître les conclusions que les Inuits ont tirées, après avoir observé de près cette espèce pendant des années.
Lorsqu'on a une idée précise du nombre d'animaux disponibles, il faut fixer des quotas de récolte qui soient durables. Le CGRFN s'intéresse beaucoup à un nouveau type de système de gestion appelé gestion communautaire. Il consulte les collectivités et collabore avec elles pour décider combien d'animaux on peut prélever, compte tenu de leur nombre, pour s'assurer que les stocks se renouvellent.
Bref, il faut faire des mises à jour scientifiques et cela coûte cher. Il faut en outre faire une étude sérieuse, comme l'indique la Loi sur les espèces en péril, des connaissances traditionnelles inuites. Ces deux types d'études se compléteront et donneront une idée beaucoup plus précise du nombre d'animaux disponibles. C'est seulement alors que l'on pourra prendre des décisions fermes, qu'il convient toutefois de prendre avec le concours des collectivités.
Le président: Merci, sénateur Watt.
Je donne maintenant la parole à M. Laliberte puis à Mme Redman. Ce sera ensuite mon tour.
M. Rick Laliberte (Rivière Churchill, Lib.): Je vous remercie de nous avoir signalé les différences entre le projet de loi C-33 et le projet de loi C-5. Je ne les avais pas remarquées car je ne participe pas à ce processus depuis le début.
Je voudrais faire un retour en arrière à l'époque qui a précédé la création du COSEPAC, qui est le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada. Il est également question du Conseil canadien pour la conservation des espèces en péril au paragraphe 7(1) du projet de loi.
Comment envisagez-vous ce rôle dans ce contexte? Toutes les entités visées à l'article 35 de la Constitution sont-elles adéquatement représentées? Pensez-vous que la représentation des juridictions visées par l'article 35 dans ce Conseil pour la conservation soit suffisante?
Nous avons dit que les connaissances traditionnelles autochtones seront intégrées par le biais d'un sous-comité du COSEPAC, mais il s'agit des connaissances traditionnelles autochtones. L'article 35 porte sur une question de compétence entièrement différente. Les entités visées à l'article 35 devraient-elles intervenir et jouer un rôle au sein du Conseil pour la conservation qui semble avoir des pouvoirs discrétionnaires étendus?
Je ne sais pas si vous voulez faire des commentaires à ce sujet ou si vous avez examiné le rôle du Conseil.
M. John Merritt: Dans la mesure où il a été remanié de façon à tenir compte d'une série d'opinions prévisibles des peuples autochtones, je dirais que, pour la NTI, le Conseil est plus efficace.
La Nunavut Tunngavik est peut-être moins préoccupée à ce sujet que certains peuples autochtones, étant donné que le gouvernement du Nunavut compte parmi ses membres un très grand nombre d'Inuits et qu'il y a des chances que ce conseil soit tenu au courant des préoccupations des Inuits du Nunavut.
• 1030
Ce n'est toutefois qu'une réponse partielle à votre question.
Puisque l'on s'est assuré que le Conseil tienne compte non
seulement des opinions des ministres mais aussi de celles des
peuples autochtones, nous estimons que c'est déjà une amélioration.
Nous n'avons pas de recommandation précise à faire à ce sujet mais si l'on voulait faire ce changement, la NTI le jugerait approprié et intéressant.
M. Michael d'Eça: Je crois que demain vous rencontrerez les représentants d'organismes autochtones nationaux et on vous fera certainement quelques recommandations en ce qui concerne ce conseil des ministres.
Comme l'a signalé M. Couture, au cours de l'élaboration de ce projet de loi, de nombreuses discussions ont eu lieu entre les peuples autochtones, les conseils de gestion des ressources fauniques et le ministère. Le ministère et le groupe de travail sur les Autochtones, une coalition spéciale regroupant divers organismes autochtones, se sont réunis au cours des 12 derniers mois pour essayer d'améliorer diverses dispositions du projet de loi qui suscitaient des préoccupations. On projette actuellement de conclure un accord politique entre les représentants de la Couronne et ceux des peuples autochtones.
Il eut été de loin préférable de prévoir dans le projet de loi une disposition concernant la question qui vous préoccupe mais je sais que l'Accord tentera de régler le problème de façon à ce que les relations entre ce Conseil et les groupes concernés soient protégées aux termes de l'article 35 de la Constitution. Je rappelle toutefois que ce n'est qu'une position de rechange. Comme vous l'avez dit, il serait préférable de tenir compte de ces personnes au sein du conseil des ministres.
Le président: Merci.
Monsieur Couture. Je vous prie d'être bref.
M. Gerry Couture: Je suis bien d'accord, en ce sens—et vous vous souvenez probablement que j'ai donné un avertissement au début de mon exposé—que le Conseil de gestion n'est pas uniquement le porte-parole des Autochtones mais que nous défendons également le statut que nous confère l'Accord sur les revendications territoriales. Nous sommes conscients que les Autochtones ont des aspirations qui pourraient être quelque peu différentes de celles du Conseil et j'estime que la procédure que Michael a mentionnée aura une influence sur le Conseil pour la conservation.
Les groupes autochtones sont convaincus qu'une certaine représentation dans ce conseil ou que certains rapports avec lui sont nécessaires, parce qu'il est responsable de l'inscription des espèces sur la Liste et que cela relève du domaine politique; c'est à ce niveau que les problèmes politiques peuvent être résolus. Quant à nous, nous nous contentons d'accomplir notre mission.
Le président: Merci.
Madame Redman.
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Couture, vous avez dit tout à l'heure que le processus législatif concernant les espèces en péril avait en quelque sorte relevé le niveau de consultation. Pouvez-vous nous parler de la participation des conseils de gestion de la faune?
Le fait que les connaissances autochtones et traditionnelles soient intégrées à ce projet de loi sur les espèces en péril est unique au monde, si je ne me trompe. Pouvez-vous nous parler du processus en vertu duquel cette intégration s'est faite?
M. Gerry Couture: Oui. Je suppose que notre situation est très différente de celle des autres organismes fédéraux. Nous travaillons généralement en étroite collaboration avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord et avec le ministère des Pêches et des Océans.
C'était la première fois que notre conseil avait l'occasion de participer à certaines discussions préparatoires à la rédaction du projet de loi. Nous avons eu des séances de breffage et nous avons été invités aux ateliers où ont été entamées les discussions, lorsque le projet de loi C-65 a été remplacé par le projet de loi C-33. Alors que nous ne nous y attendions pas, on nous a invités à participer et on nous a même fait venir à Ottawa. Aucun autre organisme fédéral n'a jamais fait cela alors que les autres organismes fédéraux—et plus particulièrement le ministère des Affaires indiennes et du Nord—préparent des lois qui nous concernent. C'est le ministère de l'Environnement qui nous a invités à participer.
• 1035
L'Accord-cadre définitif renferme un chapitre, le chapitre 17,
portant sur l'exploitation forestière, qui relève du ministère des
Affaires indiennes et du Nord. Dans ce secteur, les pouvoirs n'ont
pas encore été délégués au gouvernement du Yukon. Ce chapitre 17
énonce clairement le processus d'élaboration des accords sur la
récolte du bois et précise qui devrait y participer et qui devrait
prendre la direction du processus. Jusqu'à présent, le ministère
des Affaires indiennes et du Nord n'a consulté que des experts de
l'extérieur qui n'avaient jamais lu l'Accord, ce qui a presque
provoqué une rébellion des organismes chargés des revendications
territoriales, des organismes représentant les Premières nations et
d'autres organismes non gouvernementaux locaux du Yukon, qui
considèrent l'Accord sur les revendications territoriales comme le
document de référence.
C'est la première fois qu'un organisme fédéral nous donne ainsi l'occasion d'exprimer nos opinions au sujet d'un projet de loi qui aura des répercussions sur nous. C'est pourquoi j'ai dit que cette initiative avait relevé le niveau de consultation, qui n'est pas encore suffisant; l'accord a été signé dans un moment d'égarement, en ce qui nous concerne et en ce qui concerne nos relations avec les organismes fédéraux.
Mme Karen Redman: Monsieur d'Eça, je sais que l'on a beaucoup parlé du COSEPAC et des relations entre les conseils de gestion à propos de l'intégration des connaissances traditionnelles autochtones. Quels efforts fait-on actuellement pour intégrer ces connaissances dans le contexte du groupe de spécialistes du COSEPAC?
M. Michael d'Eça: Ce sous-comité est actuellement au stade de la conception parce que, comme on l'a signalé, il faudra faire preuve de beaucoup de créativité. Les connaissances traditionnelles ont tendance à rester locales alors qu'il s'agira en quelque sorte d'un comité central. Comment ce comité pourra-t-il étudier le cas du béluga du Grand Nord, des chouettes de la côte Ouest et d'autres créatures de la côte Est, où vivent les Micmacs? Par conséquent, il faut faire un travail de conception très méticuleux.
Pour ma part, je trouve que les progrès sont trop lents. Ce processus est trop contrôlé par le ministère de l'Environnement. Il faudrait prévoir des budgets adéquats pour en faire une question prioritaire et consulter directement les peuples autochtones pour pouvoir faire du bon travail et le créer à temps pour qu'il soit prêt à la date d'entrée en vigueur du projet de loi. Nous pensons que ce comité ne sera pas établi à temps.
Une de nos recommandations concerne précisément cette question, parce que toutes les évaluations doivent être faites dans les 30 jours après la création du COSEPAC et que toutes les espèces de l'annexe 1 doivent avoir été évaluées et reclassifiées ou transférées sur la nouvelle liste.
Le Sous-comité des connaissances traditionnelles ne sera pas en place à temps et il ne sera certainement pas prêt pour s'occuper des innombrables espèces pour lesquelles on doit compter sur les connaissances traditionnelles. Par conséquent, il faut agir. Il est encore temps d'en faire une question prioritaire; pour le moment, je ne pense pas que ce soit une priorité pour le ministère.
On fait bien quelques efforts, mais ils sont plutôt lents et je prévois des problèmes, surtout à la mise en oeuvre de ce projet de loi. Nous recommandons de modifier certaines dispositions pour tenir compte des problèmes qui seront inévitables au début.
Par conséquent, il faut établir immédiatement ce sous-comité des connaissances traditionnelles pour qu'il puisse s'appuyer sur les connaissances traditionnelles et recueillir des avis sur les espèces pour lesquelles c'est nécessaire, avant que le COSEPAC puisse faire une évaluation.
Mme Karen Redman: Merci.
Le président: Merci.
C'est maintenant mon tour.
Vos recommandations sont très élaborées et nous les examinerons de très près pour déterminer comment elles pourraient être mises en oeuvre.
Je trouve la recommandation numéro 6 particulièrement intéressante. Pourriez-vous nous parler des raisons politiques qui vous incitent à remplacer l'approche laxiste par une approche plus coercitive? C'est un thème qui émerge des discussions que nous avons eues sur bien d'autres articles du projet de loi.
M. John Merritt: Cette recommandation concerne l'article 57. Elle recommande de faire mention de l'intégration des peuples autochtones et des conseils de gestion des ressources fauniques au processus de consultation. Je parle du processus en vertu duquel un ministre établirait un code de pratiques, des normes ou des directives nationales en ce qui concerne la protection des habitats essentiels.
Je suppose que l'on peut dire que l'objet de cette recommandation est analogue à celui de diverses autres recommandations. Elle concerne les décisions de gestion qui sont, bien entendu, importantes pour les peuples autochtones et les conseils de gestion de la faune qui ont été mandatés pour collaborer avec les peuples autochtones et les gouvernements dans le contexte des accords sur les revendications territoriales. Ces décisions devraient être le fruit d'un processus de consultation incluant les peuples autochtones dès le début au lieu de les tenir à l'écart. L'exclusion du processus incite les peuples autochtones à réagir aux initiatives qui ne tiennent pas suffisamment compte de leurs opinions et je crois que...
Le président: Excusez-moi, monsieur Merritt.
Vous avez abordé le sujet des peuples autochtones et des conseils de gestion et la recommandation que vous faites consiste à remplacer «peut» par «est tenu de», qui devient le leitmotiv de tout l'article. Par conséquent, j'aimerais savoir pourquoi vous estimez qu'il faille remplacer la forme laxiste actuelle par une tournure contraignante.
M. John Merritt: J'apprécie votre commentaire. Je n'avais pas compris l'importance que vous attachiez à cela.
Je voudrais parler à nouveau de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et d'autres accords analogues. Malgré les éventuels malentendus actuels à ce sujet, je crois que ces accords mettent beaucoup l'accent sur l'instauration d'une façon de procéder beaucoup plus rationnelle et beaucoup plus prévisible dans divers secteurs qui intéressent à la fois les peuples autochtones et le gouvernement. Comme l'a signalé M. d'Eça, je crois que ces accords sont passablement détaillés et que l'on s'est efforcé de dépolitiser la plupart des décisions importantes qui doivent être prises.
Ce qui transparaît de cette recommandation et de plusieurs autres est que la Nunavut Tunngavik Incorporated espère que l'on instaurera un système efficace, conçu avec beaucoup de rigueur et permettant une grande prévisibilité. Si l'on veut que le projet de loi témoigne de la volonté d'appliquer les principes généraux qui sous-tendent les efforts déployés pour combler les lacunes dans le processus d'élaboration des politiques officielles—et s'il n'y a pas par exemple de critères et de directives—, les ministres devraient se sentir obligés, plutôt que d'avoir seulement le choix, d'en tenir compte.
Il est important, quand on élabore de telles mesures, de consulter et de faire participer les personnes compétentes. La Nunavut Tunngavik a essayé de transformer diverses dispositions du projet de loi qui laissent une énorme latitude aux ministres en mesures un peu plus coercitives constituant une nouvelle approche qui permet à toutes les personnes concernées d'avoir un minimum de confiance dans le processus décisionnel.
Je crois que cela répond à la question que le sénateur a posée au sujet des dispositions qui sont prises pour s'assurer que les décisions ne seront pas vulnérables aux pressions courantes ou à des imprévus. Les habitants du Nord pensent—et ce qu'a dit mon collègue du Yukon—qu'ils sont dans une situation vulnérable et qu'ils sont toujours mis devant des faits accomplis. Au lieu de laisser d'autres prendre des initiatives qui risquent de nous surprendre, nous sommes convaincus que ce projet de loi devrait stipuler, le plus souvent possible, que certaines choses sont garanties et pas seulement possibles.
Le président: Votre réponse m'incite à vous demander votre opinion sur une question que nous avons également débattue, à savoir l'opportunité de faire établir la Liste par le Cabinet ou de fonder cette Liste sur des données scientifiques. Comme vous le savez, les antécédents du Cabinet provincial en matière d'inscription d'espèces sont assez déplorables. Les autorités provinciales ont laissé, pour ainsi dire, environ 70 p. 100 des espèces proposées sans protection.
• 1045
Quelle décision finale faudrait-il, d'après vous, prendre au
sujet de ce projet de loi? Faudrait-il ne rien y changer ou le
Cabinet devrait-il avoir une possibilité de veto ou encore la Liste
ne devrait-elle être établie qu'en fonction de données
scientifiques? Qu'en pensez-vous?
M. John Merritt: Si vous me le permettez, monsieur le président, je demanderai à mon collègue, le représentant du Conseil de gestion des ressources fauniques, de répondre à cette question.
M. Michael d'Eça: Monsieur le président, cette question fait l'objet d'un débat très animé entre de nombreux groupes et probablement au sein du comité. En fait, il s'agissait d'une tentative pour reconnaître que l'approche du ministre et du ministère était axée sur la coopération entre les divers paliers de gouvernement et la population et sur les efforts spontanés. Il semble que ce soit l'approche que le ministère et le ministre veuillent adopter de préférence pour essayer d'équilibrer les forces au lieu d'imposer des normes coercitives. Il y a toutefois des enjeux plus importants à prendre en considération. Le COSEPAC devrait-il par exemple être l'organisme chargé d'établir la Liste et les mesures de protection de l'habitat devraient-elles être systématiquement coercitives?
Je crois que le CGRFN est convaincu que l'habitat sera protégé dans la région du Nunavut si sa compétence en la matière est maintenue et respectée et si les principes de conservation sont observés. Que ce soit le COSEPAC ou le Cabinet qui établisse la Liste, nous savons que le CGRFN joue un rôle, qui est protégé par la Constitution, dans la désignation des espèces rares, des espèces menacées et des espèces en voie de disparition. Son approche consiste à s'assurer que le projet de loi respecte les dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut et qu'il en tienne compte.
En ce qui concerne l'enjeu plus général—et j'ai eu dernièrement des conversations avec le Sierra Legal Defence Fund et d'autres organismes qui défendent une autre position—, je pense que le CGRFN serait en faveur de dispositions plus vigoureuses et coercitives en matière de protection, voire d'une disposition accordant un rôle plus important au COSEPAC sous réserve toutefois—et j'insiste sur ce point—qu'en ce qui concerne la région du Nunavut, les procédures qui ont la confiance des habitants de la région soient rigoureusement respectées.
Je pense que c'est également valable pour les autres régions couvertes par des accords sur les revendications territoriales. L'essentiel pour ces régions est que le projet de loi soit conforme aux dispositions des accords qui exposent déjà les procédures de façon très claire. Le mandat, c'est-à-dire l'obligation légale, est de protéger l'habitat essentiel et les espèces, et de veiller à ce qu'elles se rétablissent lorsque les populations ont été décimées.
J'espère que cette réponse vous satisfait.
Le président: En partie. Quel est votre avis en ce qui concerne la région située au sud du 60e parallèle?
M. Michael d'Eça: Au sud du 60e parallèle? Voulez-vous préciser si vous voulez dire que le COSEPAC prendrait les décisions?
Le président: Je pense aux diverses options: Liste fondée sur des données scientifiques, Liste établie par le Cabinet ou veto du Cabinet.
M. Michael d'Eça: J'aurais tendance à recommander de maintenir le veto du Cabinet. Comme vous l'avez signalé, l'expérience a prouvé que lorsque ce sont les gouvernements provinciaux qui décident quelles espèces doivent être inscrites sur la Liste, les résultats sont pour le moins désastreux. C'est un gros problème et si l'on voulait essayer de le régler, je préconiserais...
Le président: C'est juste.
M. Michael d'Eça: J'exprime mon opinion personnelle plutôt que celle du CGRFN lorsque je dis que, somme toute, le veto du Cabinet semble être une bonne formule qui présente en outre l'avantage de mettre en évidence le caractère non politique de la désignation.
Le président: Merci.
Ma dernière question s'adresse probablement à M. Couture parce que son mémoire est axé en grande partie sur l'Accord-cadre.
• 1050
Pourriez-vous dire brièvement pourquoi les gouvernements
concernés par l'Accord-cadre n'ont pas encore respecté les
engagements qu'ils avaient pris en 1997?
M. Gerry Couture: Ils les ont respectés en fait, d'une part en signant l'accord et d'autre part en inscrivant l'élaboration d'un projet de loi à leur programme pour les 12 prochains mois.
Le président: C'est ce que je veux dire. Ils n'ont pas encore adopté de projet de loi, trois ans après la signature de l'accord. Pourquoi?
M. Gerry Couture: Si j'ai bien compris, c'est parce qu'il fallait mettre un projet de loi au calendrier des travaux législatifs et l'élaborer.
Le président: Pourquoi est-ce si difficile?
M. Gerry Couture: Parce qu'il fallait réexaminer et modifier la Loi sur la faune et que l'on avait décidé, d'après ce que nous avons compris—je vous rappelle que je ne suis pas le porte-parole du gouvernement du Yukon—que la loi serait révisée de façon harmonieuse. La première étape est en cours. La deuxième, qui concerne le projet de loi sur les espèces en péril, sera entamée d'ici environ huit mois et nous pensons qu'elle sera terminée d'ici 18 mois.
Le président: Par conséquent, cela fera en tout cinq ans depuis la signature de l'Accord-cadre.
M. Gerry Couture: Non, pas depuis la signature de l'Accord.
Le président: A-t-il été signé? A-t-il été signé en 1997?
M. Gerry Couture: Non, l'Accord-cadre a seulement été signé il y a un an et demi par le Yukon, sur la recommandation du Conseil.
Le président: Très bien.
M. Gerry Couture: Nous avons dû exercer des pressions sur notre ministre et encourager le gouvernement du Yukon à le signer.
Le président: Merci, monsieur Couture.
Nous avons le temps de faire un deuxième tour de questions.
Monsieur Forseth, vous pouvez poser une question.
M. Paul Forseth: Dans la recommandation numéro 8, vous dites:
-
Par conséquent, en raison de la formulation actuelle du
paragraphe 64(1), les Inuits n'auront pas le droit aux mêmes
indemnités que les autres citoyens canadiens, ce qui va à
l'encontre des principes du CGRFN et des droits à l'égalité
garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. L'ajout
recommandé au paragraphe 64(1) a pour but de combler cette lacune
probablement involontaire.
Pourquoi? Nous avons beaucoup discuté de la question de l'indemnisation pour laquelle on compte entièrement sur les règlements. Diverses recommandations nous ont été faites à ce sujet. Pouvez-vous me convaincre que c'est nécessaire et qu'il y a effectivement une lacune?
Le président: Pourriez-vous répondre brièvement?
M. Michael d'Eça: Je crois pouvoir vous convaincre. Le paragraphe 64(1), qui concerne l'indemnisation, dit: «Le ministre peut...indemniser toute personne des pertes subies en raison des...», et mentionne les articles 58, 60, 61, ou un décret d'urgence (article 80). Le paragraphe 83(3) indique que les «paragraphes...58(1), 60(1) et 61(1) ne s'appliquent pas à une personne qui exerce des activités» conformes aux régimes de conservation, ou à ce que nous appelons des normes, des espèces sauvages dans le cadre d'un accord sur des revendications territoriales.
Par conséquent, les articles 58, 60 ou 61 ne sont pas applicables aux territoires visés par des revendications territoriales parce qu'il existe des procédures différentes pour ces zones. C'est pourquoi nous affirmons que c'est une lacune involontaire. Ceux qui ont rédigé cette disposition n'ont pas tenu compte du fait que, en vertu du paragraphe 83(3), les articles 58, 60 et 61 ne sont pas applicables aux personnes qui exercent des activités dans une zone visée par les revendications territoriales.
C'est une des recommandations que j'aurais examinée avec vous si nous avions eu plus de temps. Ce que nous voulons dire, c'est qu'au moins quelques mesures de conservation ou critères concernant les espèces sauvages découlant d'un accord sur les revendications territoriales seront appliquées pour protéger l'habitat essentiel dans cette zone et qu'au moins quelques personnes exerçant ces activités dans cette zone subiront des pertes en raison des conséquences extraordinaires de l'application de ces mesures ou normes de conservation.
Pour vous donner un exemple qui me vient à l'esprit, à supposer qu'une personne ait une ligne de piégeage dans une zone de la région du Nunavut et que le CGRFN mette en place des mesures qui lui interdisent de continuer à piéger sur cette ligne comme le fait sa famille depuis plusieurs générations, cette interdiction a d'énormes conséquences qui ne sont pas dues à l'application des articles 58, 60, 61, ni à un décret d'urgence mais plutôt à l'application des critères ou des mesures de protection de la faune sur le territoire visé par les revendications territoriales.
• 1055
Je suis certain que ce n'est pas volontairement que ces
personnes ont été négligées dans le projet de loi sinon, vous vous
exposez à de gros problèmes, car ce serait de la discrimination.
C'est absolument ridicule que ces dispositions ne s'appliquent pas
à ces personnes-là.
Le président: Merci, monsieur Forseth.
Avez-vous une question, monsieur Comartin?
M. Joe Comartin: Non, merci.
Le président: Monsieur Laliberte, avez-vous une petite question à poser?
M. Rick Laliberte: Je voulais demander si l'un des conseils de gestion des ressources fauniques intervient actuellement dans les plans de rétablissement.
M. Michael d'Eça: Je suis certain que Gerry répondra à cette question également.
Les procédures prévues dans la Loi sur les espèces en péril reflètent très bien la situation actuelle. Nous avons des plans de gestion, des procédures de rétablissement et nous avons mis en place des plans visant à contribuer au rétablissement de diverses espèces comme le caribou de Peary et la baleine boréale. Plusieurs espèces, dont l'ours polaire, sont menacées. Nous avons mis en place des mesures très précises pour les protéger et pour les aider à se rétablir.
On ne les appelle pas nécessairement des programmes de rétablissement mais nous pensons que, lorsque cette loi entrera en vigueur, nous devrons y mettre de l'ordre. Nous devons faire en sorte que si les mesures mises en place répondent aux critères d'un programme de rétablissement, c'est effectivement ce processus qui sera déclenché. C'est très fréquent sur le territoire du Nunavut.
M. Gerry Couture: J'ai déjà mentionné le programme de rétablissement du bison des bois au Yukon. C'est un programme qui relève du RESCAPE qui, soit dit en passant, a été élaboré en suivant les recommandations d'un directeur de la faune du Yukon. Nous avons fait de la planification locale pour le bison des bois qui est inscrit sur la Liste. Notre accord sur les revendications territoriales nous force toutefois à adopter des mesures qui ne s'appliquent pas nécessairement à toute une espèce mais plutôt à certaines populations de cette espèce. Nous avons actuellement des programmes de rétablissement concernant trois populations distinctes de caribous dont l'une est internationale. Nous avons conclu des ententes officieuses, quoique axées sur la collaboration, avec l'État de l'Alaska—qui gère une grosse partie du territoire où émigrent ces caribous—pour élaborer des plans de gestion.
À cet égard, les accords sur les revendications territoriales sont proactifs. En fait, si une espèce fait partie des espèces qui font l'objet d'une récolte et si le nombre d'individus baisse sous le niveau nécessaire pour la récolte—même si elle n'est pas sur la Liste en ce qui concerne le COSEPAC—, l'Accord-cadre définitif exige que le gouvernement du Yukon, le Conseil et les gouvernements des Premières nations s'efforcent de rétablir cette espèce dans des proportions suffisantes pour qu'elle fournisse une récolte adéquate. Il faut considérer que les accords sont proactifs dans ce domaine, qu'ils devancent la Loi sur les espèces en péril.
Le président: Merci, monsieur Laliberte.
Avant de clôturer la séance, j'ai deux brèves nouvelles à vous annoncer. La première s'adresse à ceux d'entre vous qui, comme moi, n'ont pas entendu l'exposé de M. Dale Gibson, professeur à l'Université de l'Alberta, ni participé aux discussions qui l'ont suivi. Je vous signale que le texte de son exposé est disponible. Il est passionnant à lire et je le recommande à tous et à toutes, même à ceux et celles qui étaient présents, question de se rafraîchir la mémoire.
La deuxième nouvelle est que l'OCDE, l'Organisation de développement et de coopération économiques, dont le siège est à Paris, invite des parlementaires à assister à une conférence de trois jours, dans ses locaux, du 14 au 16 mars. Cet événement sera marqué par une brochette impressionnante d'orateurs. Vous avez un exemplaire de la lettre sous les yeux. Il a été distribué au début de la séance. C'est extrêmement important pour tous ceux et celles qui s'intéressent au développement durable et à la nouvelle économie. Nous pourrions en discuter demain pour voir qui voudrait y assister. Ce serait certainement très bon pour les parlementaires canadiens de participer à cette conférence. Il faudrait une affectation budgétaire. Nous pourrions adopter la motion nécessaire.
Il faut que tous ceux et celles qui désirent y participer le signalent. Vous avez donc le temps d'y réfléchir, d'enregistrer le contenu de la lettre et de demander des renseignements plus précis—je pourrais vous en donner, si vous le voulez—avant de le noter dans votre agenda. Ne l'oubliez pas, parce que c'est une occasion unique.
• 1100
Enfin, au nom de tous mes collègues, je tiens à remercier
M. Couture, M. Merritt et M. d'Eça pour leurs témoignages, leurs
suggestions et leurs recommandations ainsi que pour leurs réponses.
Nous vous sommes très reconnaissants de nous avoir permis de mieux
comprendre le Nord et les intérêts des personnes que vous
représentez.
Merci encore.
La séance est levée.