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NDDN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de la défense nationale


NUMÉRO 026 
l
1re SESSION 
l
41e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 14 février 2012

[Enregistrement électronique]

(1405)

[Traduction]

    Bonjour à tous. Nous commençons maintenant le volet officiel de notre réunion.
    Nous avons fait une excellente visite. Hier, à Toronto, et ce matin, à Kingston, nous avons eu des échanges fort positifs au sujet de notre étude sur la disponibilité opérationnelle.
    Nous poursuivrons sur ce même sujet selon le format officiel, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à notre étude sur le maintien en disponibilité opérationnelle des Forces armées canadiennes.
    Des témoins sont avec nous aujourd'hui. Du Collège militaire royal du Canada, où nous nous trouvions ce matin, il y a Joel Sokolsky, recteur, et Michael Hennessy, professeur titulaire et doyen des Études permanentes au Département d'histoire. De l'Université Queen's, nous avons Douglas Bland, titulaire de la chaire d'études en gestion de la défense à l'École des études politiques, et David Skillicorn, professeur à la School of Computing.
    Bienvenue à tous.
    Je précise par ailleurs aux autres personnes présentes qu'il sera possible à la fin de la réunion de prononcer une courte allocution devant le comité au sujet de notre étude sur la disponibilité opérationnelle. Je sais que nous comptons parmi nous de nombreux étudiants de l'Université Queen's. Nous nous réjouissons de votre intérêt.
    Nous avons également avec nous le général Glenn Nordick, aujourd'hui à la retraite. Bienvenue, général.
    Commençons donc la réunion.
    Monsieur Sokolsky, vous avez la parole.
    Merci de me permettre de témoigner devant le comité.

[Français]

    Les forces terrestres, maritimes et aériennes du Canada doivent se tenir prêtes à se déployer à l'étranger dans le cadre des opérations de combat multilatérales. Les pratiques exemplaires nous enseignent qu'il est impossible de prédire l'endroit où se dérouleront de telles opérations et leur nature exacte. En réalité, nous ne savons nullement en vue de quelles circonstances nous devons nous préparer. De plus, les dépenses de défense feront toujours l'objet de pressions financières en raison de la situation stratégique favorable du Canada ainsi que de la culture et du contexte politique de notre pays, où il est peu probable que la défense se classe parmi les priorités officielles du gouvernement.

[Traduction]

    Mais cela n'a pas, et ne devrait pas, empêcher le Canada d'utiliser les Forces canadiennes comme instrument de politique étrangère et, ainsi, de contribuer efficacement à diverses opérations multilatérales. Le concept important à retenir, c'est qu'il existe un important pouvoir discrétionnaire quand il s'agit des exigences en matière de disponibilité opérationnelle et des opérations à l'étranger.
    Ainsi, nous pouvons et devrons prendre les décisions en fonction des capacités qu'il nous faudra conserver et des opérations auxquelles nous participerons, puisqu'il est impossible d'être prêts pour toutes les éventualités, ni de répondre à toutes les demandes. Toutefois, étant donné la nature du contexte international et nos intérêts nationaux, nous avons le luxe de choisir les forces à acquérir et les opérations auxquelles nous participerons, et nous avons l'option d'adapter la taille et la composition des déploiements militaires à l'étranger.
    La stratégie de défense Le Canada d'abord attire l'attention, avec justesse, sur la défense directe du Canada et sur les besoins nationaux. Les opérations nationales et la collaboration avec les États-Unis à la défense du continent ne sont pas discrétionnaires. Pourtant, comme par le passé, la plupart des exigences en matière de disponibilité opérationnelle des Forces canadiennes ne seront pas fondées sur les demandes relatives aux opérations nationales ou à la sécurité continentale.
    L'envoi de forces outre-mer en vue de soutenir des empires, des alliés et des opérations multilatérales est profondément ancré dans la culture stratégique du Canada. Le Canada, qui ne fait face à aucune menace sur son territoire ni dans ses eaux, qui associe sa sécurité à celle de l'Ouest, plus particulièrement à celle de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord, et qui souhaite jouer un rôle — quoique limité — sur la scène internationale, n'a généralement pas hésité à déployer des forces à l'étranger, même si, dans le passé, il a hésité à fournir les ressources nécessaires pour le faire efficacement.
    Après les attentats du 11 septembre 2001, de tels déploiements ont permis au Canada de montrer aux États-Unis qu'il prenait au sérieux la sécurité « intérieure ». Puisque les militaires canadiens se déploient toujours aux côtés d'autres forces, Ottawa a le loisir de choisir leur destination ainsi que la taille et la composition du déploiement.
    Toujours réalistes, les décisions du Canada ayant trait aux déploiements sont dictées par la nécessité de maximiser les retombées politiques à l'échelle nationale et à l'étranger, tout en réduisant les coûts autant que possible. Néanmoins, pour respecter le souhait récemment exprimé de faire une différence sur le terrain, de telles décisions tiennent maintenant compte de la possibilité pour les forces déployées, même si elles sont réduites, de remplir la mission qui leur est confiée et de contribuer à l'effort de la coalition.
    Durant la première décennie du XXIe siècle, les Forces canadiennes sont intervenues partout dans le monde. Au cours des 10 dernières années, le Canada a envoyé des unités terrestres, navales et aériennes qui ont participé à un large éventail d'opérations à l'étranger, qu'il s'agisse de patrouilles antidrogue ou antiterrorisme dans la Méditerranée ou les Caraïbes, de missions de soutien de la paix au Congo ou d'opérations de stabilisation en Haïti et au Kosovo. Ces interventions s'ajoutent au maintien de notre participation à des missions classiques de maintien de la paix, datant de la guerre froide, sur la frontière entre la Syrie et Israël, à Chypre et au Sinaï.
     Toutefois, ces missions requéraient généralement peu de personnel, parfois moins de 10 personnes, et étaient de courte durée. À partir de 2001, et plus particulièrement depuis 2005 et jusqu'à l'été 2011, la coûteuse mission de combat en Afghanistan — en termes de vies perdues et de ressources dépensées — a été le point de mire de la politique de défense du Canada et la principale opération des Forces canadiennes. Même si la mission de combat est terminée, les quelque 900 personnes affectées à la mission de formation de l'OTAN en Afghanistan forment le plus important contingent des Forces canadiennes parmi tous ceux actuellement déployés outre-mer.
    Quand on pense aussi à la mission en Libye, à laquelle le Canada a récemment participé en envoyant des forces navales, des chasseurs et d'autres unités à l'appui de l'intervention militaire de l'OTAN et dont la campagne aérienne était commandée par un général canadien, il semble qu'Ottawa soit tout à fait déterminé à soutenir une capacité expéditionnaire axée sur les combats, relativement modeste mais très efficace. C'est la position souhaitée par les Forces canadiennes, que les dirigeants politiques du Canada ont jugé utile de maintenir.
    Cela ne signifie pas que le gouvernement augmentera le pourcentage de 1 p. 100 du produit intérieur brut qu'il consacre à la défense ou que la situation financière actuelle n'entraînera pas une réduction des hausses dans les dépenses de la défense. Mais la dernière décennie a laissé un héritage: les Forces canadiennes sont devenues un instrument important de la politique étrangère du Canada, non seulement dans les missions de maintien de la paix et de stabilisation, mais également lorsqu'une intervention militaire directe dans le cadre de missions de combat d'une coalition s'impose.
    Toutes les missions auxquelles nous décidons de participer ne seront pas axées sur les combats, mais toutes devraient être liées à une capacité de combat animée d'un grand professionnalisme militaire. Par exemple, la décision d'envoyer des soldats des Forces d'opérations spéciales du Canada pour aider à former les militaires maliens, qui sont aux prises avec les insurgés d'al-Qaïda, est conforme à la culture stratégique du Canada touchant les missions à l'étranger, à sa volonté d'appuyer la lutte contre le terrorisme menée à l'étranger par les États-Unis et l'Ouest depuis les attentats du 11 septembre 2001, à sa capacité de choisir quand et comment il prend part à ces missions et à l'esprit de professionnalisme militaire incomparable, né de l'expérience acquise en Afghanistan, qui existe actuellement au sein des Forces canadiennes.
(1410)
    De plus, cet engagement, tout comme l'opération couronnée de succès en Libye, donne à croire qu'Ottawa, même s'il doit composer avec les coûts hérités de la mission en Afghanistan et les contraintes financières actuelles, doit et peut demeurer un joueur sur la scène internationale, prêt à recourir aux forces militaires comme instrument de politique. Nous devons être prêts à intervenir, comme nous le pouvons et là où nous le pouvons, en tenant compte des contraintes internationales et nationales. Nos déploiements doivent être compatibles avec nos intérêts tangibles en matière d'économie et de sécurité ainsi qu'avec nos valeurs qui sont, puisque nous sommes une démocratie, des « intérêts intangibles » légitimes, dont la défense outre-mer pourrait exiger le recours à la force.
    Comme l'illustrent les récentes décisions relatives à la politique et aux dépenses de défense prises aux États-Unis, Ottawa n'ira pas à l'encontre de la position adoptée par notre principal allié si le Canada, par sa disponibilité opérationnelle, reconnaît qu'il doit avoir la possibilité de faire des choix concernant ses capacités et ses engagements à l'étranger. De plus, je ne crois pas que les autres alliés des États-Unis, étant donné leur propre situation intérieure, vont se « mobiliser » pour combler les vides laissés par les réductions ou la réorganisation du dispositif militaire américain; l'approche actuelle du Canada sera donc tout à fait conforme à celle des pays dont les valeurs et les intérêts sont les mêmes que les siens.
    Pour conclure, je dirai en ma qualité de directeur du Collège militaire royal du Canada: c'est parce qu'il n'existe aucune certitude quant au contexte stratégique futur ni à l'endroit où le Canada pourrait avoir à déployer des forces la prochaine fois, c'est parce que le Canada pourra décider où et comment il déploie ses forces et c'est parce que cela supposera la nécessité de faire des choix, à la fois à long terme et à court préavis, que jamais auparavant les études militaires professionnelles au niveau universitaire, y compris tous les aspects de l'enseignement et de la recherche, n'auront été aussi essentielles au maintien de la disponibilité opérationnelle des Forces canadiennes. La disponibilité opérationnelle dépend des dirigeants, et la capacité de diriger repose sur la formation.
    Merci.
    Je vous remercie.
    Monsieur Hennessy, vous avez la parole.
    Je tiens à préciser que je vous exposerai mon opinion personnelle, qui ne doit pas être considérée comme la position du ministère de la Défense nationale. Je vous lirai l'essentiel de mon intervention.
    En ma qualité d'historien, je répugne beaucoup à faire quelque prédiction que ce soit, si ce n'est que l'avenir sera incertain; toutefois, nous avons quelques certitudes. Nous en savons aussi assez sur les incertitudes pour proposer quelques stratégies d'adaptation essentielles afin d'être prêts à réagir vigoureusement en cas de situation nouvelle ou imprévue.
    Les faits connus de l'environnement de sécurité de l'avenir qui nous viennent d'abord à l'esprit sont des lieux communs. En bref, dans l'avenir, nous vivrons dans un environnement de sécurité nouveau, complexe, menaçant et incertain: états voyous — peu importe comment on les définit ou qui les définit —; essor du Brésil, de l'Inde et de la Chine; « déclin » de nos alliés traditionnels de l'univers anglophone; éventuelles guerres de ressources pour l'eau, le pétrole, les terres rares, tout ce que vous voulez; nouveaux accès à l'Arctique — passages du Nord-Ouest et du Nord-Est —; guerre et prolifération de la menace atomiques, cybernétiques, biologiques et chimiques; et menace d'Al-Qaïda à l'échelle planétaire et autres menaces terroristes transnationales. À cet éventail, ajoutons l'instabilité perpétuelle de la « nouvelle réalité financière ». Ces problèmes, et d'autres semblables, ne sont pas prêts de s'estomper.
    Or, sauf en ce qui concerne les opérations dans l'Arctique et les patrouilles de souveraineté, la structure de nos forces est principalement conçue en vue de déploiements à l'étranger hautement discrétionnaires. Les Forces canadiennes, qui comptent 15 ans de déploiements de grande envergure à l'étranger, sont sans doute mieux organisées que jamais pour participer à de telles opérations, notamment à long terme. Cette expérience comprend également toute celle acquise au cours des deux guerres mondiales. Mentionnons surtout que, non seulement les forces déployées, mais aussi notre quartier général, à Ottawa, et l'autorité nationale de commandement disposent maintenant de capacités de commandement, de contrôle, de communications, d'informatique et de renseignement bien meilleures qu'en 1995, 2001 ou 2008. Je reviendrai à ces aspects importants avant de conclure.
    Nos forces doivent avoir la capacité de demeurer parmi les combattants de premier ordre ou, à tout le moins, être un allié assez proche pour compter aux yeux de ceux qui comptent parmi ces combattants. À cet égard, la facture sera salée sur le plan technologique. Le fardeau est donc lourd pour nos forces militaires afin qu'elles conservent toutes les technologies conventionnelles standard et beaucoup des dispositions organisationnelles et administratives qui leur donnent l'aspect d'une force militaire, tout en continuant d'évoluer et de s'adapter en vue d'acquérir de nouvelles capacités, dont certaines sont loin d'être traditionnelles. Il ne sera jamais aisé de reconstituer les Forces canadiennes afin qu'elles soient en mesure de composer à la fois avec les enjeux traditionnels et les enjeux modernes. Les nouvelles technologies sont dotées de trop grandes capacités pour qu'on en fasse fi: dotées d'une plus grande portée, les armes sont désormais plus rapides, plus précises, plus furtives et plus destructrices. Dans le combat pour la survie qui se joue sur les champs de bataille contemporains, toutes ces caractéristiques ont des conséquences décisives parce que personne ne peut se permettre de compter sur une deuxième chance: toutes les technologies conspirent pour ne pas donner de deuxième chance. Nos forces ne sont pas nécessairement optimisées pour une mobilisation longue et astreignante et une lente montée en puissance; elles sont axées sur le court terme.
    Toutefois, la disponibilité opérationnelle n'est pas une simple question d'équipement ou de commandement et de contrôle. Le personnel des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale constitue sans aucun doute l'élément le plus important. La réussite de ces deux entités dépend de leur faculté à attirer, à former et à maintenir en poste les bonnes personnes, celles qui possèdent les forces nécessaires, l'agilité mentale, la dextérité et la solidité émotive pour être en mesure de s'exposer à des risques tout en défendant le meilleur des valeurs canadiennes. Les conditions de la profession et du service assurent une certaine robustesse. Toutefois, pour s'adapter aux circonstances qui changent et aux exigences imprévisibles, tous les militaires doivent avoir une excellente préparation cognitive — comme on dit dans la documentation américaine —, à savoir la disposition intellectuelle et mentale permettant de relever les défis et d'imaginer de nouvelles solutions.
    Comme vous le savez, l'instruction des forces armées repose sur la doctrine, et la doctrine, en théorie, s'inspire de l'expérience acquise et de la réflexion qu'elle suscite. Toutefois, les connaissances enseignées, qui sont consignées dans la doctrine, précèdent généralement d'un pas ou deux l'expérience contemporaine. À mesure que nos forces se retireront des déploiements de grande envergure à l'étranger, l'étendue de notre expérience tendra à diminuer, et nous oublierons possiblement des leçons durement apprises. L'Armée canadienne est particulièrement concernée; en effet, la Marine aura toujours des navires qui voguent sur les flots, tout comme les membres de la Force aérienne devront continuer de savoir piloter, qu'il y ait ou non des déploiements à l'étranger. Cependant, une armée de terre doit souvent s'immobiliser et attendre, et de bien des façons, une telle situation peut avoir des effets corrosifs. Il est coûteux, mais essentiel, de maintenir les régimes d'instruction. De plus, nous pouvons apprendre énormément en observant et en étudiant les expériences des autres. Pour être en mesure de participer sur-le-champ à une guerre ou à un déploiement, nous devons investir dans une préparation psychologique en vue des épreuves de la guerre. Vous pouvez, selon le cas, substituer autre chose à la guerre, comme un conflit, une position de défense, la coopération ou la coordination au sein d'alliances ou de coalitions, la définition des nouvelles tactiques, les techniques opérationnelles, l'intégration de nouveaux systèmes d'armes jamais imaginés ou les mesures prises pour s'en défendre. Dans toutes ces situations, il faut avoir une bonne préparation psychologique.
(1415)
    Pour ce faire, il faut investir dans l'état psychologique en favorisant l'acquisition des compétences stratégiques en leadership et en gestion des ressources, du premier au dernier échelon de l'organisation. La préparation cognitive aux niveaux tactique et opérationnel ainsi qu'au niveau supérieur est le fondement de l'agilité des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale; pourtant, elle reçoit très peu d'attention ou de reconnaissance.
    Permettez-moi de vanter un peu le CMR: ce que nous accomplissons au CMR, au CMR de Saint-Jean et avec le personnel enseignant du Collège d'état-major et de commandement des Forces canadiennes, à Toronto, contribue à jeter les fondements de la préparation cognitive des forces.
    Attirer, perfectionner et conserver la crème de la crème est un défi permanent; toutefois, ministère de la Défense nationale et Forces canadiennes ne sont pas synonymes: le ministère a des responsabilités — comme la diplomatie de défense, la politique de défense, les choses comme la sécurité et le Centre de la sécurité des télécommunications — et d'autres capacités que n'ont pas les Forces canadiennes et dont il faut aussi tenir compte lorsque nous réfléchissons aux multiples facettes de la disponibilité opérationnelle future.
    Les expériences des 15 dernières années ont montré qu'il n'existait pas auparavant de base sur le plan cognitif aux échelons supérieurs du gouvernement. Je pourrais fournir des exemples et les raisons historiques expliquant pourquoi le ministère n'était pas un quartier général de guerre. Les progrès considérables réalisés dans le développement d'une capacité nationale de commandement, de contrôle, de communications, d'informatique et de renseignement au cours de ces 15 années illustrent l'ampleur de certaines des lacunes. Comme je l'ai dit précédemment, ces capacités, comme d'autres encore plus ésotériques — par exemple, les opérations visant l'intelligence humaine et l'influence, pour ne nommer que celles-là — sont beaucoup plus avancées aujourd'hui qu'il y a 10 ans.
    Alors que nous nous tournons vers l'avenir, nous ne devons pas oublier les leçons durement apprises, bien que cela puisse arriver si nous ne leur accordons pas l'importance qu'elles méritent. Peu importe ce que l'avenir nous réserve, ce sont les gens renseignés qui détermineront si nous sommes ou non préparés.
    Merci, monsieur le président.
(1420)
    Merci, monsieur Hennessy.
    Monsieur Bland, vous avez la parole.
    Pour vous situer un peu, permettez-moi de vous faire part brièvement de mon expérience. J'ai été officier des Forces canadiennes pendant 39 ans. Depuis 15 ans, j'élabore à l'Université Queen's un programme d'études unique sur l'administration de la défense, c'est-à-dire sur la gestion des dépenses militaires. Je vais vous parler pendant quelques minutes des répercussions qu'auront les transformations dont il est question aujourd'hui sur la disponibilité opérationnelle des Forces canadiennes.
    Les hauts fonctionnaires et les hauts gradés des Forces canadiennes, qui sont réunis aujourd'hui au quartier général de la Défense nationale, cherchent à trouver des moyens d'améliorer l'efficacité administrative de l'organisation afin de contribuer au plan de réduction du déficit prévu par le gouvernement. Selon certaines estimations, les compressions représenteraient jusqu'à 10 p. 100 du budget. Le ministre de la Défense nationale, Peter MacKay, doit trouver une façon de sabrer dans les futurs budgets de la défense sans compromettre, bien sûr, la politique conservatrice en matière de défense, sans nuire à la stratégie de défense Le Canada d'abord et sans réduire de façon importante la capacité militaire des Forces canadiennes.
    Jusqu'à présent, le ministre a réagi à la situation en demandant au lieutenant-général Andrew Leslie — qui, comme on le sait, est maintenant à la retraite — d'effectuer en 2011 une étude sur la transformation. Cette étude visait à cerner de nouveaux moyens d'améliorer l'efficacité de l'organisation et à servir de locomotive des changements organisationnels nécessaires au repositionnement, à l'avenir, des Forces canadiennes et du ministère. M. MacKay s'ajoute ainsi aux autres ministres qui, au cours de notre histoire, ont fait valoir que la simplification de l'administration était la meilleure façon de maintenir la capacité du Canada en matière de défense lorsque les budgets diminuent.
    En effet, le ministre de la Défense nationale Paul Hellyer a déclaré en 1962 qu'il fallait soit accroître considérablement les dépenses en matière de défense, soit les réorganiser. On a alors décidé de procéder à une réorganisation, ce qui n'a pas permis de réaliser beaucoup d'économies et qui a réduit la capacité du Canada en matière de défense.
    Pierre Trudeau a réduit considérablement le budget de la défense en 1972. Il a alors promis que l'optimisation de l'efficacité de l'organisation et les mesures de gestion du ministère et des forces permettraient de maintenir leur capacité. Or, leur capacité a encore diminué.
    Jean Chrétien a affirmé en 1994 que tout serait simplifié, ce qui permettrait de consacrer plus de ressources aux forces de combat et moins à la structure administrative. Après avoir subi des compressions, les forces armées ont été incapables de mener des opérations militaires modernes, comme on a pu le voir en ex-Yougoslavie, en 1990, et au Zaïre, en 1996, une campagne que les militaires qualifient toujours de bavure.
    L'hypothèse selon laquelle la simplification de l'administration permettrait de dégager des fonds servant à améliorer la capacité opérationnelle des forces militaires se heurte à deux problèmes. Premièrement, les mesures de simplification structurelle font toujours l'objet d'une farouche opposition des membres de l'organisation. Le général Leslie écrit dans le rapport que les officiers et les fonctionnaires avec qui il s'est entretenu demandaient « le maintien du statu quo au sein des différentes organisations [...]. [Celles-ci] accomplissent des tâches différentes, qui sont jugées très importantes pour ceux qui les exécutent. »
    Le deuxième problème s'est posé lors de toutes les réformes qui ont eu lieu depuis 1962. En fait, les économies réalisées grâce aux mesures de transformation de la défense ont toujours été réaffectées ailleurs que dans le budget de la Défense nationale, ce qui a miné encore davantage la capacité militaire des Forces armées. Elles ont été affectées à d'autres ministères ou ont servi à atteindre d'autres priorités, comme la réduction du déficit.
    Selon une citation tirée d'une étude que je suis en train de mener au quartier général de la Défense nationale, le plan de transformation de 2012 repose sur le remaniement de la stratégie de défense Le Canada d'abord. Les mots employés laissent entendre que les objectifs de la stratégie sont confirmés et qu'ils sont simplement reprogrammés pour permettre aux Forces canadiennes, au fur et à mesure de la transformation de la défense, d'en faire plus avec moins à l'avenir.
    Selon cette version des faits relatifs à la transformation, les Canadiens doivent s'attendre à ce que Peter MacKay annonce plusieurs changements permanents à l'organisation des Forces canadiennes et au ministère de la Défense nationale. Selon moi, il transférera probablement des centaines de militaires ou de fonctionnaires d'Ottawa à d'autres fonctions militaires ailleurs au Canada. Il réduira le nombre de fonctionnaires du ministère de la Défense nationale. Il éliminera les divisions du ministère qui font double emploi. Il fermera également des bases de soutien ou des installations censées servir aux forces de la réserve, notamment à Toronto et à Vancouver, ou les déménagera dans des bases permanentes éloignées. Le gouvernement réduira probablement de plusieurs milliers de personnes le nombre de réservistes et éliminera plus particulièrement les postes de larges segments de hauts gradés des réserves.
    De plus, il annulera une multitude de contrats au civil, notamment en ce qui concerne les médecins civils qui soignent les membres des Forces canadiennes et les installations médicales qu'ils utilisent. Il annulera également des dizaines de contrats concernant le nouveau matériel, les projets de construction et les recherches universitaires.
    Je prévois qu'il fermera plusieurs petites bases militaires ou réduira leur taille — à l'exception bien sûr de Goose Bay, au Labrador — et transférera les unités déplacées dans quelques bases plus importantes. Il y aura une réduction de l'entraînement militaire, de l'entraînement en vol des pilotes, des déploiements maritimes et des activités militaires en général. On éliminera du vieux matériel militaire et du matériel qui coûte cher à entretenir, par exemple le vieux parc d'avions de transport C-130, les quatre sous-marins à problèmes de la marine et le parc d'appareils désuets de l'armée. On démantèlera peut-être l'équipe des Snowbirds, qui font des acrobaties aériennes.
    Enfin, les conservateurs promettront, comme certains ministres l'ont déjà fait dans de telles circonstances, de réduire les frais généraux administratifs de l'ensemble des Forces canadiennes et du ministère de la Défense nationale pour accroître la capacité de combat.
    Lorsque M. MacKay annoncera des mesures d'urgence de ce genre après le dépôt du budget au printemps, il devra sans doute faire face à de nombreuses critiques de groupes d'intérêts et de gens qui feront valoir que le gouvernement abandonne la stratégie militaire Le Canada d'abord. Je suis convaincu, toutefois, que le ministre leur servira tout simplement l'habituelle promesse des anciens ministres de la Défense qui devaient procéder à d'importantes compressions dans la capacité militaire. Il leur dira que tout sera « simplifié », ce qui permettra de « consacrer plus de ressources aux forces de combat et moins à la structure administrative ».
    Les Canadiens devraient s'inquiéter de ce vieux bobard concernant la défense, c'est-à-dire des compressions déguisées en mesures de transformation. Comme on en a toujours eu la preuve depuis 1962, toutes les politiques du gouvernement visant à permettre aux Forces canadiennes d'en faire plus avec moins ont fait en sorte qu'elles n'ont pu en faire que moins avec moins.
(1425)
    Merci, monsieur le président.
    Merci.
    Monsieur Skillicorn, vous avez la parole.
    Merci de me donner l'occasion de témoigner.
    J'aimerais aborder deux points. Je commencerai par me pencher sur la façon dont les renseignements sont d'ordinaire analysés par les forces armées et par les civils.
    En général, les analystes essaient de trouver des éléments pertinents sans vraiment savoir ce qu'ils cherchent. Pendant les conflits, les adversaires essaient de trouver de nouvelles stratégies, et il faut donc toujours être à la recherche de nouveaux éléments. Cette recherche ne peut pas être fondée sur des règles déjà établies ou des tendances connues. Les analystes doivent donc souvent formuler de nouvelles hypothèses et être très astucieux, et même créatifs, dans leur recherche. Voici la question qu'ils doivent d'ordinaire se poser lorsqu'ils pensent à une hypothèse qu'ils aimeraient approfondir: « La preuve étaye-t-elle mon hypothèse? » Cette question se traduit plutôt de la façon suivante de nos jours: « Les données recueillies à ce sujet étayent-elles mon hypothèse? »
    Malheureusement, de nos jours, les analystes ont tendance à présenter leurs demandes à l'aveugle — en personne ou en ligne — aux gardiens des données. Ces derniers font alors des recherches pour essayer d'établir si les données confirment les hypothèses, puis ils rédigent un rapport et l'envoient à l'analyste. Ce processus peut prendre des semaines. Les personnes qui font les recherches et qui rédigent ces rapports n'ont aucun contexte et, vu cette ignorance, elles ne peuvent pas donner de réponses du type: « Les données ne permettent pas de confirmer votre hypothèse, mais j'ai trouvé un élément qui s'en rapproche. » Si de nouvelles données sont ajoutées la journée suivant la rédaction du rapport, personne ne le remarque. Voilà une façon des plus inefficace et on ne peut plus boiteuse d'analyser les renseignements.
    Il est possible d'améliorer ce processus, mais il s'agit d'une approche subtile et les gens ont de la difficulté à la cerner: les données mêmes peuvent créer leurs propres hypothèses. Au début, on dirait de la magie, mais ce n'est pas du tout le cas. Dans un conflit, on peut habituellement présumer que tout ce qui est commun est normal, et, par conséquent, tout ce qui est hors du commun mérite un examen plus approfondi. Voilà la clé de cette approche.
    C'est possible — grâce à des algorithmes et à une approche par induction — de demander à un moteur informatique de trouver des hypothèses fondées sur les données. Le rôle de l'analyste est alors très différent, mais fondamentalement plus simple. Il doit alors déterminer si ces hypothèses sont plausibles. Dans la négative, il doit alors consigner dans le processus pourquoi elles ne sont pas plausibles. Ces hypothèses invraisemblables sont souvent attribuables à divers problèmes techniques liés à la collecte, mais il peut aussi s'agir d'un manque de sophistication du processus inductif même.
    Pour les raisons que j'ai exposées, il est bien plus efficace, et moins coûteux, de fournir ces données à l'analyste que de laisser l'analyste fouiller dans les données.
    Il s'agit d'un enjeu culturel: cette méthode n'est pas utilisée parce que les analystes sont d'ordinaire formés en sciences sociales et ils n'ont pas l'expérience nécessaire en matière de traitement des données pour voir ou comprendre cette méthode de travail. À mon avis, il serait important d'avoir recours à ce type d'approche, et, pour ce faire, on pourrait offrir de la formation afin que les personnes spécialisées en sciences sociales et en traitement de données deviennent plus polyvalentes. Cette approche serait plus avantageuse que la façon de faire actuelle, laquelle est fondée sur une séparation très nette entre les analystes et ceux qui traitent un grand nombre de données.
    Le second point que je veux aborder est la cybersécurité. Je crois qu'on a aussi parlé de ce sujet hier.
    Il faut tout d'abord souligner que la façon dont sont répartis les pouvoirs est de première importance. Tous les pays occidentaux ont eu de la difficulté à établir qui, au sein du gouvernement, devrait s'occuper de la cybersécurité, des logiciels malveillants, etc. Aucun de ces pays n'a été capable de trouver une bonne solution, à une exception près. Le gouvernement du Royaume-Uni, plus ou moins par accident, a donné au Service gouvernemental d'écoutes et de transmissions le mandat de protéger le bien-être économique du Royaume-Uni. Ainsi, les gens de Cheltenham se penchent depuis très longtemps sur des questions qui, dans les autres pays, sont restées orphelines.
    Cette approche s'est révélée extrêmement avantageuse, car il y a beaucoup de ressemblances entre les façons de faire en matière de cybersécurité et les façons de faire en matière de renseignements d'origine électromagnétique. C'est pourquoi le Service gouvernemental d'écoutes et de transmissions est un chef de file tant dans le domaine des renseignements d'origine électromagnétique que dans le domaine de la cybersécurité.
    À mon avis, le gouvernement du Canada, qui est aux prises avec les mêmes problèmes, devrait donner au Centre de la sécurité des télécommunications la responsabilité de la cybersécurité ainsi que de toutes les autres questions connexes.
    En outre, il est très facile, surtout pour les militaires, de penser que, grâce à la cybersécurité, nous vivons dans une tour d'ivoire. Pensez aux mots que les gens utilisent pour en parler: pare-feu, détection d'intrusion et filtre anti-pourriel. Ces mots donnent à penser que nous vivons en sécurité, dans une enclave, et que rien de mal ne peut nous arriver. C'est tout simplement impossible de nos jours.
    Il faut trouver des façons de vivre dans des environnements non totalement sécuritaires. Le système immunitaire constitue une métaphore intéressante. Bien que notre corps parvienne facilement à tenir à l'écart certains éléments malveillants, il renferme aussi des mesures de protection efficaces qui le patrouillent afin de se débarrasser des éléments malveillants qui ont réussi à franchir la première ligne de défense.
(1430)
    Il s'agit d'un modèle difficile à adopter parce que nous n'avons pas appris à penser de cette façon. Cependant, il est important de suivre cette voie plutôt que d'essayer, en matière de cybersécurité, d'adopter une position futile axée sur la protection du périmètre.
    Enfin, Internet ne connaît pas de frontière — je crois que ce fait est accepté de presque tout le monde — il est donc extrêmement difficile d'attribuer la faute à quelqu'un, et cela veut dire qu'un certain nombre des stratégies habituellement adoptées par les militaires ne leur seront d'aucun secours. Il est impossible de savoir qui vous a attaqué. La nature même de l'attaquant reste un mystère. Il pourrait s'agir d'un État, d'un groupe ou d'une personne; il est d'ordinaire impossible de les différencier. On ne peut donc pas alors avoir recours à certaines stratégies tel l'exercice de représailles ou de la détente. La prévention constitue donc la seule voie en ce qui concerne la cybersécurité.
    Merci.
    Merci, monsieur Skillicorn
    Je tiens à remercier tous les témoins pour leurs déclarations préliminaires.
    M. Christopherson a la parole et dispose de sept minutes.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci, messieurs, pour vos exposés. Je me réjouis de revoir certains d'entre vous cet après-midi après vous avoir vu ce matin.
    Comme vous le savez, nous nous penchons sur la disponibilité opérationnelle, et il est difficile de savoir par où commencer. Je pense, monsieur Hennessy, que vous nous avez donné un bon point de départ lorsque vous avez mentionné les « known knowns » de Rumsfeld, c'est-à-dire les faits connus. Il me semble que, lorsque l'on parle de la disponibilité opérationnelle à des militaires, la première chose qu'ils disent c'est « nous sommes prêts », et ce, sans savoir exactement ce à quoi ils devront faire face. Voici ce qui semble être la disponibilité opérationnelle selon les militaires: être prêts à intervenir du mieux qu'ils le peuvent en fonction de ce qu'on pourrait leur demander d'accomplir. Les militaires estiment être prêts, et ils le sont. Mais je pense que notre disponibilité opérationnelle doit se situer à un bien plus haut niveau, il doit y avoir une vision globale.
    Monsieur Hennessy, vous avez parlé des faits connus en ce qui a trait à l'environnement de sécurité futur en commençant par les rengaines habituelles — un tout nouvel environnement de sécurité futur est en gestation; il est complexe et incertain et il représente un important défi. Vous avez aussi donné comme exemple les États voyous puis l'éclatement possible de guerres liées aux ressources, qu'il s'agisse d'eau, de pétrole, de métaux rares ou encore de nourriture. Vous avez également mentionné les changements climatiques et un certain nombre d'autres enjeux.
    Vous avez dit ce qu'il faut faire pour être prêt et ce à quoi nous devons nous préparer. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions sur ce que l'avenir des Forces armées canadiennes réserve à l'égard des enjeux auxquels nous devrons faire face, ceux que vous avez mentionnés? Quels sont les changements que devront apporter les Forces armées canadiennes pour pouvoir y faire face? Ce que nous avons convient-il? Devons-nous simplement en avoir plus?
(1435)
    Je pense que cette question met justement en évidence le problème. Il faut avoir un certain type de force militaire conventionnelle, parce qu'il y a encore des enjeux militaires conventionnels. Investir des fonds pour contrer des menaces obscures ne semble pas toujours être efficace d'un point de vue financier, et il s'agit d'une organisation qui est habituée de s'encombrer de missions hypothétiques. Cette façon de faire s'est révélée utile et elle peut fonctionner sous plusieurs aspects, et, en fait, il faut qu'elle soit efficace, car nous se savons pas ce que l'avenir nous réserve.
    Prenons l'histoire du Canada comme exemple. À l'aube de la Seconde Guerre mondiale, la Marine canadienne était censée se charger de la défense des côtes sans s'aventurer en haute mer. Les États-Unis devaient alors protéger les frontières du Canada dans les océans. Dans les 12 mois suivant le début de la guerre, la Marine était présente dans l'Atlantique. Les États-Unis avaient déserté cet océan, et le Canada était bien parti pour avoir la mainmise des opérations partout en haute mer. Personne n'aurait pu se préparer pour cette situation.
    Je pense qu'il s'agit simplement d'un des aspects de la planification militaire, laquelle s'effectue en vase clos et en fonction de ressources limitées, puisque plusieurs scénarios sont possibles. Combien êtes-vous prêt à gager? La meilleure approche est d'avoir une organisation très polyvalente ainsi que des gens très flexibles qui sont capables d'élaborer ensemble des plans d'action acceptables en temps de crise.
    Est-il aujourd'hui vraiment nécessaire de renforcer d'une nouvelle façon les capacités des forces armées à l'égard de certains de ces enjeux? Lorsque l'on examine les capacités qui ont été mises en place à l'échelle du pays concernant la communication de renseignements, le commandement et le contrôle ainsi qu'un certain nombre de rôles et de missions qui sortent de l'ordinaire, on se rend compte que les forces armées sont beaucoup plus solides aujourd'hui. En raison des changements qui ont été apportés et qui ne sont pas connus des civils, il est difficile de savoir à quel point les forces armées sont solides. Je ne suis pas certain que la plupart des militaires comprennent tous les changements que les forces armées ont subis depuis 15 ans.
    Une partie de la réponse est de faire en sorte que l'organisation soit consciente des changements qui ont été apportés pour faire face au rythme des opérations, parce que, pour la plupart des organisations, ces changements seraient invisibles, et cela fait partie de l'aspect cognitif du problème.
    Donc, peut-on prévoir l'avenir et y a-t-il une solution unique? Non.
    Merci beaucoup.
    Puis-je simplement poser la même question aux autres témoins pour voir s'ils souhaitent formuler des observations?
    Je suis plutôt d'accord avec ce que Michael a dit.
    Voici le message que je voulais faire passer: le monde sera le théâtre de toutes sortes de crises qui pourraient être liées à la nourriture, aux ressources ou aux conflits civils. La sécurité du Canada ne sera pas directement menacée par toutes ces crises. En fait, la plupart de ces crises ne toucheront pas le Canada. Nous aurons donc la chance de pouvoir prendre des décisions. Si nous n'avons pas les capacités nécessaires, nous ne pourrons donc pas intervenir. Je pense qu'il faut le reconnaître.
    À quoi devons-nous nous préparer? Il faut être prêt de façon à ce que, lorsque le gouvernement décide — sur le conseil des militaires — d'offrir son aide, le déploiement d'appareils militaires sur le terrain doit aider nos alliés et ne pas inutilement mettre en danger les militaires. On peut envisager un large éventail de scénarios dans lesquels il faudrait surmonter des difficultés. Dans la plupart des cas, la sécurité du Canada ne sera pas directement touchée et la solution militaire ne sera pas appropriée. Nous devrions tous en être rassurés.
    Prenons pour exemple la dernière déclaration de politique des États-Unis, selon laquelle il faut désormais se tourner du côté du Pacifique. Vu la visite du vice-premier ministre de la Chine, nous devrions plutôt appeler cela une pirouette — comme l'a mentionné un commentateur —, parce que nous ne voulons pas les provoquer.
    Puisque la Chine renforce sa marine — si c'est vraiment le cas —, devrions-nous tourner notre attention vers le Pacifique? Faudrait-il investir davantage dans l'équipement militaire? Il n'est pas certain que c'est la chose à faire. Le Canada aura besoin d'une capacité minimale pour patrouiller dans ses propres océans. Puisque nous n'avons pas de garde côtière ni de marine... Nous utilisons la Marine de la même façon que les États-Unis utilisent leur garde côtière. Il est donc possible d'avoir une présence crédible en mer.
    Nous nous déploierons vraisemblablement à l'étranger, il sera donc nécessaire d'avoir une capacité de transport stratégique. Mais nous ne sommes pas Federal Express: nous n'avons pas l'obligation de nous déployer du jour au lendemain. Par conséquent, il ne serait peut-être pas judicieux d'investir davantage dans la capacité de déploiement rapide.
    Voilà les domaines dans lesquels le Canada doit faire des choix.
    Regarder ce que nous avons accompli dans les 15 dernières années. S'il y avait eu un stratège au Quartier général de la Défense nationale qui avait prédit que le Canada devrait intervenir en Yougoslavie, en Haïti, en Somalie et particulièrement au Kosovo, puis en Afghanistan, sa carrière aurait peut-être été de courte durée. Mais c'est précisément là où nous avons dû intervenir. Il me semble, et le général Hillier pourra... Si nous intervenons, l'armée doit être suffisamment imposante pour faire avancer les choses et pour aider nos alliés sans mettre inutilement en péril les militaires déployés ou la mission.
    Un autre élément — et nous en avons discuté, mais, si je peux m'exprimer ainsi, je pense qu'il s'agit d'une question théorique — est que, lorsque le Canada déploie des forces à l'étranger, nous incitons les autres à faire de même. Faisons-nous avancer les choses? Le président des États-Unis donne-t-il la permission au Canada d'intervenir ou lui demande-t-il des conseils sur la façon de gérer des situations? Il est très difficile en général d'évaluer l'influence que l'on peut avoir. Je pense que nous devrions intervenir où nous pouvons améliorer les choses sur le terrain. Ce type d'intervention est dans notre intérêt ou bien ne nous nuit pas. Et, comme je l'ai mentionné, ce type d'intervention va de pair avec nos valeurs. Il faudra maintenir une capacité minimale, mais nous ne serons pas en mesure d'intervenir partout et d'appuyer tous nos alliés.
(1440)
    Je dois vous arrêter, monsieur, car nous manquons de temps.
    Merci beaucoup pour votre réponse.
    Monsieur Strahl, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les gens qui ont témoigné cet après-midi.
    Monsieur Bland, j'ai aimé votre leçon d'histoire à l'égard des obstacles auxquels se sont heurtés de nombreux anciens premiers ministres et anciens ministres de la Défense nationale lorsqu'ils ont essayé de trouver des économies, comme ils les appelaient, dans le budget des Forces armées canadiennes.
    Comme vous l'avez dit, le général Leslie a parlé des différentes sections des Forces armées canadiennes et il a affirmé qu'elles étaient toutes essentielles à la poursuite des activités et au respect continu des objectifs et des besoins clés en capacité. Vous avez fait des observations semblables quant à vos prédictions sur ce que pourrait renfermer le budget et sur l'effet qu'aura le budget sur les capacités essentielles des Forces armées.
    Je comprends d'une certaine façon cette manière de voir les choses. Je suis conservateur et je fais partie d'un gouvernement qui a beaucoup investi dans les forces armées, je peux donc certainement comprendre cette façon de voir les choses.
    Par ailleurs, les électeurs de ma circonscription me disent parfois qu'une organisation à laquelle on accorde un budget annuel de 20 milliards de dollars pourrait certainement faire des économies. Comment le gouvernement peut-il établir un équilibre si l'on tient compte de l'enjeu lié à la disponibilité opérationnelle et de sa volonté de maintenir les capacités essentielles des Forces armées canadiennes? Comment pouvez-vous concilier ces enjeux avec la nécessité de trouver où l'on gaspille des ressources dans une si vaste organisation? On peut certainement atteindre ces deux objectifs.
(1445)
    Certainement. J'aimerais bien prendre quelques mois afin de trouver où l'on gaspille des ressources au Quartier général de la Défense nationale, mais les militaires me l'interdisent.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Douglas Bland: La question n'est pas de savoir s'il y a gaspillage de ressources  — il y en a —, et cela constitue une tout autre question. J'y reviendrai. Ce qu'il faut savoir, c'est que toutes ces coupes... Lorsque je me suis enrôlé dans les forces armées, il y a très, très longtemps, l'armée comptait 125 000 militaires. Nous disposions de navires, de porte-avions et d'une grande flotte composée d'avions de chasse et de toutes sortes d'aéronefs. Nous étions déployés à l'étranger. Mes collègues et moi avons été envoyés en Europe avec 10 000 personnes. Nous possédions des armes nucléaires. Aujourd'hui, on compte peut-être 67 000 personnes qui disposent d'un équipement désuet, de vieux aéronefs, etc. Les capacités de l'armée — et donc notre disponibilité opérationnelle — se sont par conséquent progressivement détériorées.
    Puisque le budget du ministère de la Défense nationale est un budget discrétionnaire, le gouvernement peut y piger de l'argent lorsqu'il essaie de trouver des fonds pour mettre en oeuvre des initiatives onéreuses; pensons à la pension de la vieillesse, par exemple. Le budget n'est pas prévu par une loi ou d'autres règles, il est établi par le gouvernement fédéral. Ce dernier peut donc y piger des fonds — il l'a déjà fait par le passé — en promettant que des économies seraient trouvées afin de compenser les coupes. Le gouvernement a pigé dans ce budget à maintes et maintes reprises.
    Malheureusement pour M. Mackay, la coupe est à sec à mon avis: les gens ont eu l'occasion d'y tremper et d'y retremper les lèvres. Il est impossible de faire des modifications, de trouver des économies et de diminuer le budget lorsque vous avez déjà dépensé tout l'argent obtenu grâce aux économies. Je ne veux pas simplifier à outrance la situation, mais c'est comme si une famille surendettée payait ses dettes en vendant ses meubles. Dans notre cas, nous avons vendu nos meubles il y a longtemps, et maintenant nous devons nous acquitter d'une nouvelle facture, mais nous n'avons plus de meubles à vendre. Il ne reste plus beaucoup de bases militaires que l'on peut fermer. En 1994, 14 bases militaires ont été soit fermées soit réduites.
    M. Mark Strahl: Une base militaire de la circonscription de Chilliwack, ma circonscription, a été touchée.
    M. Douglas Bland: Effectivement. Vous pouvez difficilement faire davantage de compressions dans l'effectif des forces armées. Nous venons tout juste de parler de ce dont vous avez besoin.
    Voici comment j'envisage la chose: il faut comprendre la raison d'être des forces armées. Il s'agit d'un groupe de gens que la société a mis à part afin qu'il se charge d'une mission spéciale: il lui incombe d'avoir recours, dans le respect des lois, à la force — et même à une force meurtrière parfois — à la demande du gouvernement. Ces gens peuvent être appelés à intervenir dans une foule de situations — pour combattre les feux de forêt, pour trouver des enfants perdus ou pour aider les citoyens de pays en déroute —, mais la principale raison d'être des forces armées est l'établissement d'une capacité de combat. Le ministère de la Défense nationale, pour sa part, a pour objectif premier de maintenir et de soutenir les forces armées lorsqu'elles s'acquittent de sa mission première.
    Si vous souhaitez apporter des modifications axées sur la mission première des forces armées — comme je les appelle — vous devriez vous pencher sur les éléments qui nuisent à la raison d'être des forces armées. C'est là que vous trouverez des économies.
    Avez-vous des exemples?
    Le gouvernement devrait par exemple résister à l'envie d'alourdir la bureaucratie rampante année après année et cesser d'imposer au ministère de nouvelles responsabilités d'ordre administratif: ombudsman des forces armées, les lois liées à l'accès à l'information, etc. Toutes ces mesures prises à la suite de rapports du Bureau du vérificateur général créent de la pression sur les employés et davantage de pressions sur les ressources. Cependant, quand le budget du ministère de la Défense nationale est gelé comme il l'est depuis de nombreuses années, il faut alors prendre des membres des sections vouées au combat et les mettre dans les quartiers généraux. Comme le rapport d'Andy Leslie l'a révélé, 60 p. 100 de l'argent frais accordé aux forces armées dans les dernières années a dû être utilisé par les quartiers généraux pour traiter tous ces petits problèmes insignifiants.
    Il ne faut pas se leurrer et penser que les prétendues modifications faites par le passé ne constituaient pas des coupes budgétaires. Ces modifications ne visaient pas à renforcer la raison d'être des forces armées; il ne s'agissait que de compressions visant à faire des économies.
    Le président est sur le point de m'interrompe.
(1450)
    Monsieur Sokolsky, l'une de vos remarques m'a beaucoup intéressé:
    
Comme l'illustrent les récentes décisions relatives à la politique et aux dépenses de défense prises aux États-Unis, Ottawa n'ira pas à l'encontre de la position adoptée par notre principal allié si le Canada, par sa disponibilité opérationnelle, reconnaît qu'il doit avoir la possibilité de faire des choix concernant ses capacités et ses engagements à l'étranger.
    Je n'ai pas beaucoup de temps, mais je voudrais simplement que vous reveniez sur cette observation et expliquiez ce que vous vouliez dire exactement.
    Ce que je voulais dire, c'est que les États-Unis devront être plus sélectifs dans leur engagements à l'étranger et le déploiement de leurs forces. Au Liban, les États-Unis ont apporté une importante contribution, mais ils ont laissé leurs alliés assumer le fardeau. Je pense que nous avons déjà constaté que l'administration Obama compte recourir davantage aux forces spéciales et à des véhicules aériens sans pilote dans la guerre contre le terrorisme et déployer de nombreuses forces conventionnelles. Compte tenu des décisions budgétaires et des compressions imminentes, dont la fermeture de bases, les États-Unis devront immanquablement être plus sélectifs.
    Ce que je dis, c'est que nous devrions imiter les Américains. À mon avis, c'est exactement l'approche que nous devrions adopter — être plus sélectifs dans nos déploiements à l'étranger — et nous n'en paierons pas le prix à Washington.
    Merci.
    Monsieur McKay, les sept dernières minutes sont à vous.
    Merci, monsieur le président, et je remercie tous les témoins de leurs remarques.
    Je veux débuter par l'observation de M. Skillicorn sur l'importance de la répartition des pouvoirs. Vous avez dit que les Britanniques ont fait ce qu'il fallait faire par accident. Leur service de renseignement sur les transmissions et celui de la cybersécurité étaient tous deux financés à partir de la même caisse, si bien qu'ils ont poursuivi leurs activités. J'ignore à quel point les Britanniques excellent dans le domaine de la cybersécurité. Vous avez peut-être une opinion à ce sujet également.
    Par ailleurs, je pense avoir raison de dire que les trois messieurs à votre gauche ont une tour d'ivoire dans le domaine de la cybersécurité. Autrement dit, nous devons protéger nos frontières et les intérêts du Canada et voici comment nous allons procéder pour nous préparer en ce sens.
    Vous avez dit que nous ne savions même pas d'où ça vient, qui s'en charge ni pourquoi on le fait, mais on met des stratégies de cybersécurité en place.
    Pour se préparer, les forces armées ne devraient-elles pas s'occuper de la cybersécurité?
    Eh bien, c'est le cas pour l'instant, compte tenu de la façon plutôt inhabituelle dont le CST est arrimé au MDN.
    Je pense toutefois qu'il existe une différence qualitative entre la défense physique des intérêts sur le territoire canadien et le cyberespace, qui sont tout à fait incomparables. Certains cas se situent entre les deux. Citons notamment le terrorisme biologique, qui vise la même propriété, mais peu importe à quel point le CST est efficace, il ne réussira pas à intercepter l'anthrax en provenance du Sud. Nous devons changer notre attitude et comprendre que la défense du Canada n'est pas purement physique.
    Est-ce une mentalité militaire? Est-ce une formation militaire?
    Nous sommes allés au CMR. Nous nous sommes entretenus avec les responsables à Toronto. Ils semblent être à la fine pointe. Est-ce contraire à la mentalité militaire? J'imagine que c'est ce que je veux savoir.
    Je pense que c'est l'instinct militaire lorsqu'un campement est attaqué: ériger un périmètre. Je pense que cela illustre la mentalité, et avec raison dans cette situation. À mon avis, ils ne sont pas les seuls qui auront du mal à s'adapter à cette vision ouverte du monde, mais c'est certainement l'un des endroits où c'est très important.
(1455)
    Je serais intéressé d'entendre ce que répondraient les universitaires à l'observation de M. Skillicorn, car j'y vois une légère contradiction. J'aimerais savoir comment, surtout au CMR mais aussi dans les programmes d'études supérieures, vous préparez les plus brillants militaires à la cyberguerre anticipée, qui ne connaît pas de frontière. Parfois, on n'arrive même pas à trouver la source de la menace.
    Je vais prendre la parole un instant.
    Ce n'est pas tant le problème de... En ce qui concerne la préparation, il y a un ensemble de problèmes que les FC doivent régler. Les problèmes de plus grande envergure liés aux types de défense auxquels le pays pourrait être confronté ne concernent pas que les FC; ce sont des affaires gouvernementales. Dans plusieurs cas, le gouvernement a décidé de confier la responsabilité à des sections du MDN ou aux FC pour que nous ayons une unité d'intervention conjointe dans l'éventualité d'attaques biologiques ou chimiques. Qui fera quoi? Qui assumera la responsabilité nationale d'agir sur le terrain? Cette responsabilité relève des FC.
    De façon plus générale, c'est en quelque sorte un problème qui concerne l'ensemble du gouvernement. Par exemple, en 2001, avant les événements du 11 septembre, pour élargir les horizons de la communauté du renseignement de la défense, qui était assez large au Canada en dehors du MDN et des FC, l'un des cours de niveau supérieur que nous avons créés portait sur l'analyse des menaces asymétriques. Que considère-t-on comme étant une menace asymétrique? Comment analyse-t-on une telle menace? Comment échafaude-t-on une intervention? Comment anticipe-t-on cette menace? Nous avons créé ce cours pour rendre service à l'ensemble du gouvernement.
    Cependant, on ne peut pas établir une intervention préalable dans certains cas. Il n'existe pas de manuel qui explique comment procéder. Alors il y a 10 ans, le gouvernement anticipait les cybermenaces éventuelles et nous avons analysé des articles américains qui portaient sur l'état de guerre. Si l'on peut prouver que des pays ou des entités non étatiques s'en prennent à des biens du gouvernement, on est essentiellement en présence d'un état de guerre, mais aucune loi au Canada ne décrivait comment on devait procéder.
    La question de savoir qui est responsable demeure sans réponse, mais on a créé une organisation, le BPIEPC, qui est censée se pencher sur tous ces types de menaces.
    Le BPIEPC? Qu'est-ce que cela signifie?
    Bureau de la... j'ai oublié.
    Quelqu'un le sait-il?
    M. David Skillicorn: Protection des infrastructures essentielles.
    M. Michael Hennessy: Protection des infrastructures essentielles.
    Et qui en est responsable?
    Eh bien, ça a maintenant changé parce que le ministère de la Sécurité publique a pris le relais.
    L'hon. John McKay: Oh, d'accord.
    M. Michael Hennessy: Mais à priori, quand le bureau a été créé et que des responsables de l'ensemble du gouvernement se sont réunis et ont dit, « Regardez tous ces types de menaces émergentes », est-ce que quelqu'un se penche sur ces menaces ou les inscrit à son ordre du jour? On a donc commencé par créer le BPIEPC. Il a fallu plusieurs années pour reconnaître qu'il avait une fonction, un rôle, un nom, mais aucune ressource. Le bureau peut donc constater que des choses se produisent, mais ne peut rien faire.
    Donc, quand la situation s'envenime et qu'une crise éclate, certaines entités du gouvernement ont des ressources. Il incombe en grande partie aux FC de réagir aux situations de crise parce qu'elles disposent d'équipement de protection, de mobilité, etc. Est-ce la seule façon d'intervenir ou est-ce nécessairement la meilleure intervention...?
    Le bureau semble être l'organisation par défaut avant tout parce que les FC ont les ressources. Le MAECI compte un groupe d'experts, mais celui-ci n'a pas d'argent. L'ACDI en a un aussi et il n'a pas d'argent non plus. Il en va de même pour bien d'autres. Mais malgré ce que peut penser le général Leslie, les FC ont de l'argent et...
    Et il leur est impossible de refuser, la plupart du temps.
    En effet. J'imagine que vous êtes en quelque sorte le dernier recours. Donc, plutôt que de simplement l'organiser par défaut, les FC devraient-elles dire, « D'accord, nous allons prendre la cyberguerre en main? » Ce serait tout un changement de mentalité pour les guerriers, faute d'un meilleur terme.
    Monsieur Sokolsky.
    En fait, la cyberguerre est devenue un enjeu important au sein des Forces canadiennes. Comme je l'ai expliqué ce matin, nous collaborons avec le Collège militaire royal pour nous préparer. Nous tenons des exercices de coopération avec d'autres unités au Canada et aux États-Unis, tant militaires que civiles.
    Il y a certaines choses qu'il incombe aux forces armées, et la cybersécurité peut être l'un de ces domaines dont elles doivent s'occuper en collaboration avec des partenaires.
    Quand on examine la contribution au chapitre de la sécurité intérieure, l'organisme responsable n'est pas forcément le MDN, mais il y a une grande coopération à cet égard. Aux États-Unis, le commandement militaire responsable est NORTHCOM, mais il collabore avec une soixantaine d'agences. Dans ce que l'on désigne par euphémisme « gestion des conséquences » — par exemple, la détonation d'une arme dite malpropre dans l'un ou l'autre des pays —, les militaires des deux pays auront un rôle à jouer, ainsi que les quelques unités qui ont les capacités d'intervenir.
    Comme M. Hennessy l'a souligné, nous pouvons intervenir et nous le faisons en intégrant dans nos cours du personnel d'autres agences gouvernementales. Par exemple, le nouveau programme de sécurité nationale établi au Collège des Forces canadiennes comprend des représentants d'autres ministères gouvernementaux et du secteur privé. Je pense que les militaires reconnaissent depuis longtemps que la défense à la frontière ou la projection de force ne sont pas leurs seuls buts. Au Canada, l'appui du pouvoir civil est une tradition de longue date.
    Pour la majorité des pays, la défense se résume à la défense intérieure. Nous avons un processus expéditionnaire dans le cadre duquel nous protégeons davantage nos frontières à l'étranger, ce qui comprend d'autres activités également. Je pense que le MDN est assez conscient de la nécessité de faire sa part en l'absence d'autres forces organisées au Canada. Nous n'avons pas de Garde nationale et la plupart des provinces n'ont même pas de forces policières provinciales.
(1500)
    Merci. Nous allons devoir nous arrêter là car nous avons largement dépassé notre temps.
    Je vais entamer la série d'interventions de cinq minutes et je vous demanderais de fournir des réponses assez brèves pour que les membres puissent obtenir une réponse à leur question et avoir du temps pour en poser d'autres.
    Monsieur Norlock, vous pouvez commencer.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Merci aux témoins d'avoir comparu cet après-midi. C'était la deuxième comparution pour certains.
    Je veux discuter de la politique étrangère du Canada et de la façon dont les militaires sont un instrument, si l'on peut dire, pour la faire appliquer. J'ai noté deux domaines. D'une part, il y a l'aide apportée à ceux qui ne possèdent pas les capacités de faire face à une importante catastrophe — comme il est principalement question de la politique étrangère, les plus petits pays n'ont pas les capacités voulues. D'autre part, il y a la lutte contre le terrorisme, où l'on offre un appui à ces pays, démocraties ou entités, parfois à l'intérieur des pays — je pense ici à la Libye — qui défendent la démocratie et les droits de la personne, ainsi qu'un appui à nos alliés, que ce soit l'OTAN, le NORAD ou les Nations Unies.
    Monsieur Hennessy, quand vous avez abordé le sujet, vous avez parlé des nominations externes — je pense que vous faisiez référence à des capacités efficaces très petites. M. Sokolsky a dit que cela devrait être compatible avec les nations avec lesquelles nous avons des intérêts et des valeurs en commun.
    Cela dit, comment pensez-vous que des forces armées canadiennes seront en mesure d'appuyer cette politique étrangère en ce qui concerne les personnes adéquatement formées — et plus précisément, l'équipement connexe?
    Je fais référence aux C-17, à la différence entre Haïti et le Sri Lanka, en attente de louer des services de transport aérien commercial, et tout le reste. Je fais également allusion à la capacité de notre nation d'être fiable, de posséder l'équipement approprié, d'être un instrument pour appliquer les normes de démocratie et protéger les droits de la personne et la vie humaine. Comment peut-on y arriver avec un budget discrétionnaire de portée assez limitée qui est complémentaire à ceux de nos alliés?
    Nous entendrons d'abord M. Sokolsky et les autres témoins pourront ensuite répondre à la question, et plus particulièrement M. Bland.
    Nous pouvons le faire en reconnaissant que nous ne serons pas en mesure d'intervenir à toutes les situations qui surviennent à l'étranger, mais quand nous décidons d'intervenir, ce que nous expédions peut être efficace et faire une différence. Nous pouvons reconnaître que même si nous voulons que les autres pays puissent compter sur le Canada, la décision revient en définitive au gouvernement canadien.
    Nous avons une obligation morale de protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes. Je crois que nous avons également une obligation morale envers les hommes et les femmes des forces armées de nous assurer que nous les déployons dans des missions où leurs vies ne seront pas mises en péril inutilement parce que nous n'avons pas planifié adéquatement ou acheminé l'équipement approprié.
    M. Rick Norlock: Merci.
(1505)
    Il est important qu'on ait reconnu en partie le véritable renforcement des atouts stratégiques fondamentaux au cours des 15 dernières années.
    Quand le Canada a signé les protocoles relatifs à la responsabilité de protéger, certains ont soutenu qu'il y avait un codicille associé: la capacité de projeter. On doit disposer d'une certaine mobilité si l'on veut exercer une influence dans l'acheminement des ressources. Le centre stratégique était peut-être sous-développé à l'époque, si bien que nous n'avions pas les moyens de transport lourd nécessaires ni de bonnes communications stratégiques sécuritaires. Nous n'avions pas non plus nécessairement l'architecture du renseignement, le commandement national et l'architecture de contrôle que nous avons maintenant.
    Ce sont là des améliorations très importantes, que les hauts gradés des forces armées ne voient pas en grande partie, mais je pense que ce sont des caractéristiques indéfectibles auxquelles il faut penser et sur lesquelles le centre se penche. Vous avez une armée, une force aérienne et une marine. Il existe des exigences nationales plus importantes que ces trois entités.
    Merci.
    Je dirais d'abord que je ne suis pas convaincu que les difficultés qu'éprouvent des peuples ailleurs dans la monde obligent sur le plan moral le Canada de faire quoi que ce soit.
    Il y a plusieurs années, je me souviens d'avoir écouté Lloyd Axworthy, lorsqu'il était ministre des Affaires étrangères, parler de ce qu'était devenue la responsabilité de protéger. Il a carrément dit que sa politique étrangère reposait sur ses valeurs chrétiennes. Autrement dit, nous irions partout dans le monde pour venir en aide à nos frères. Il a répété dans plusieurs discours, « Je suis le gardien de mon frère ».
    Le Canada a l'obligation d'aider dans les missions qui sont directement liées à nos propres intérêts, et je n'ai pas honte de le dire. Surtout depuis quelques années, je suis de plus en plus convaincu que le Canada n'est pas une nation atlantique, comme nous le pensions autrefois. Nous ne sommes pas une nation vouée au maintien de la paix, peu importe ce que cette expression signifie de toute façon. Nous sommes une nation de l'hémisphère occidental qui axe ses efforts sur l'hémisphère occidental — dans les Caraïbes, notamment —, car nous y avons toutes sortes d'intérêts nationaux, que ce soit le commerce, l'immigration, la santé et le bien-être, les enjeux liés à la drogue, le crime, etc.
    L'effectif de 60 000 membres des Forces canadiennes semble beaucoup, mais il y aura plus de spectateurs dans les gradins pour un match de football à Toronto — comme je viens de Winnipeg, j'ignore s'il y a jamais eu de bonnes parties de football à Toronto. Il y aura plus de spectateurs dans les gradins à une partie de football que dans les forces armées canadiennes.
    L'une des difficultés de ces missions à l'étranger pour aider les opprimés, c'est qu'elles ne prennent jamais fin et qu'on est pris pour rester. On déploie seulement 15, 20, 100 ou 300 personnes. Cela pose problème.
    Il y a plusieurs années, le gouvernement libéral a eu une excellente idée: les déploiements s'effectueraient selon le principe du premier arrivé, premier parti. Le Canada s'empresserait de se rendre sur le terrain, éteindrait les feux, orchestrait tout ce qui doit être fait, puis partirait. Ensuite, les pays du tiers monde interviendraient et feraient le reste du travail. Eh bien, ce n'est pas possible. Quand on participe à une mission, il est très difficile de partir par après. Nous avons passé de nombreuses années — 20 ans à Chypre — à essayer de quitter un endroit où il n'y avait pas de problème.
    Il faut tenir compte des considérations pratiques relativement à notre préparation et à l'équipement lorsqu'on a un effectif très limité — de très petites forces armées spécialisées.
    Votre temps est écoulé.
    Monsieur Skillicorn, voulez-vous faire une observation très brièvement?
    Oui, rapidement.
(1510)
    Nous pouvons procéder comme nous l'avons fait à la période des questions; vous avez 30 secondes.
    On a appris aujourd'hui que Nortel a été infiltrée et que les entreprises chinoises ont eu accès à tout ce qui se passait à l'intérieur de la société pendant plus de dix ans. C'est une leçon intéressante. Avant tout déploiement, on doit s'assurer qu'il y a bel et bien des forces canadiennes. La défense doit devenir très active, juste pour que les forces demeurent là où elles sont postées.
    Je vais céder la parole à un autre intervenant.

[Français]

    Madame Moore, vous avez la parole.
    Mes commentaires s'adressent à M. Sokolsky.
    À la fin de votre allocution, vous avez parlé de l'importance des études militaires professionnelles pour le maintien de la disponibilité opérationnelle. Je me pose des questions au sujet du recrutement. On s'entend pour dire que les études sont en quelque sorte l'étape qui suit le recrutement dans les Forces canadiennes. Or, dans le cadre des réductions budgétaires, on a souvent tendance à appliquer celles-ci du côté des services de recrutement. Par exemple, dans le centre de recrutement de ma circonscription, qui est située dans une région éloignée, il y avait au départ six postes, mais on en a coupé trois. Le centre de recrutement est devenu un bureau satellite du centre de Montréal, alors qu'il était indépendant auparavant. Présentement, on ne comble qu'un poste et on donne comme raison qu'il n'est pas prioritaire de combler les deux autres.
    J'aimerais connaître votre opinion sur cette question. Afin de maintenir la disponibilité opérationnelle, devrait-on mettre l'accent sur les capacités des centres de recrutement et leurs connaissances ou devrait-on continuer d'y appliquer des réductions?

[Traduction]

    Ce qui risque d'arriver, c'est que l'effectif des forces armées diminuera. Par conséquent, on mettra moins l'accent sur la nécessité de recruter. Par ailleurs, la dotation en personnel dans les centres de recrutement à un moment où l'on réduit les effectifs va... C'est ce qui va se passer étant donné qu'on aura besoin de l'expertise du personnel ailleurs. Je ne serais pas surpris que l'on procède à une consolidation des centres de recrutement.
    Malheureusement, les rapports entre les forces armées et les collectivités s'étioleront. Je crois toutefois que le recrutement, plus particulièrement à un moment où la participation stratégique risque de diminuer, est un secteur où le gouvernement voudra réaliser des économies.
    Il y a eu un temps où nous faisions beaucoup de recrutement. Mais il n'y a pas que le recrutement. Lorsqu'on recrute des gens, on doit les former. On veut utiliser les meilleurs éléments pour assurer la formation, mais ces derniers sont monopolisés ailleurs.
    Monsieur le président, si vous me permettez de faire une remarque brièvement, je tiens à signaler qu'il y a un problème démographique. Ce sont de belles paroles que l'on prononce dans les grandes réunions, mais quand on me parle de recrutement et des forces armées, je pose la question suivante: qui se bat pour le Canada? De jeunes hommes blancs. On compte un nombre disproportionné de jeunes hommes blancs dans les forces armées. Ce n'est pas tout. Ce sont de jeunes hommes issus de petits villages — bon nombre d'entre eux viennent des Maritimes, certains des Prairies et d'autres de l'Ontario et du Québec. Mais 50 p. 100 de la population canadienne sont des femmes. La proportion de femmes dans les forces armées est de 15 p. 100. Selon le dernier recensement, les Autochtones au Canada comptent pour 4, 5 ou 6 p. 100 de la population. Ils ne représentent que 1 p. 100 de la composition des forces armées.
    La nature changeante de la démographie du Canada posera problème dans l'avenir si la situation demeure telle quelle. Quand on demande aux gens la raison de cette étrange distribution, ils nous répondent que nous sommes racistes ou que nous ne sommes pas accueillants, etc. Je ne suis pas d'accord. Je pense que la vie de militaire est très dure. Bien des gens préfèrent faire autre chose.

[Français]

     Si on applique présentement des réductions dans le domaine du recrutement ou qu'on le gère moins bien, n'y a-t-il pas un risque que notre disponibilité opérationnelle soit compromise dans 10 ou 15 ans, lorsque les personnes actuellement en poste prendront leur retraite?
(1515)

[Traduction]

    C'est tout à fait le problème.
    La population que nous ciblons dans le cadre de notre recrutement est en baisse. Nous allons devoir trouver d'autres modèles de recrutement. Je n'ai aucune idée quels seront ces modèles. Quelqu'un le sait peut-être, mais pas moi.

[Français]

    J'ai une question à laquelle j'aimerais que vous répondiez rapidement. On a parlé de cybercriminalité. J'aimerais un peu préciser. On dit que la Défense nationale joue ce rôle. Le SCRS joue-t-il un rôle complémentaire à celui des Forces armées en ce qui a trait à la cybercriminalité? Il me semble que ce serait logique. J'aimerais donc savoir s'il joue un tel rôle.
    Ma question s'adresse à la personne qui connaît la réponse ou à celle qui a une idée de celle-ci.

[Traduction]

    Ce que le député veut savoir, c'est s'il existe des liens officiels entre le SCRC et l'armée.
    Je pense que c'est un secret.
    J'ignore la nature de ces relations. Je sais que certaines d'entre elles sont informelles. Je ne pense pas qu'il y ait de lien officiel entre les deux entités. Entre autres, le problème est que les compétences dans le domaine ne sont pas clairement établies, c'est pourquoi beaucoup d'activités se déroulent n'importe comment et les efforts peuvent paraître incohérents.
    Incidemment, madame Moore est une ancienne combattante. Elle a servi dans les Forces canadiennes pendant trois ans.
    Passons maintenant à notre autre ancien combattant. Monsieur Chisu, vous avez la parole.
    Il est ingénieur et très fier de l'être.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    J'aimerais parler d'une question que je trouve importante, le type de menace dont vous avez parlé, monsieur Skillicorn.
    Quels sont les enjeux et les problèmes liés à la cybermenace?
    Je signale que, selon un rapport du Security and Defence Agenda de l'Union européenne, plusieurs pays cherchent activement à se préparer en cas d'éventuelles cyberattaques.
    Par exemple, en 2011, le gouvernement de la Finlande a annoncé son intention de consacrer des sommes importantes à l'élaboration d'un arsenal d'armes électroniques comme des vers, des maliciels et des virus pour protéger les réseaux militaires, gouvernementaux et privés ainsi que l'infrastructure nationale essentielle.
    En 2007, l'Estonie a subi une attaque, et en octobre 2011, notre réseau parlementaire et certaines institutions gouvernementales ont repoussé des attaques.
    Certains pays nordiques sont très connectés. D'ici 2015, la Finlande espère devenir la figure de proue mondiale dans la sécurité informatique.
    J'aimerais connaître votre opinion objective sur quelques questions.
    Les cyberattaques constituent-elles la plus grande menace pour les forces armées à l'avenir? Quelle influence cette cybermenace aura-t-elle sur la disponibilité opérationnelle des déploiements si l'information a été compromise et tout le monde sait où les forces sont déployées?
(1520)
    Essentiellement, le problème est lié au fait que la plupart de nos activités sont informatisées. Internet lui-même est un gigantesque réseau de connexions, jamais conçu pour être mondial, et c'est pourquoi on peut se rendre d'une place à l'autre et faire plus ou moins ce que l'on veut sans connaissances très poussées, relativement parlant.
    En général, les militaires ont voulu régler le problème en isolant leur réseau du réseau public, ce qui fonctionne jusqu'à un certain point. Comme l'ont compris plusieurs pays, cependant, des dispositifs comme des clés USB et autres font qu'il est plus facile de franchir cette zone tampon; les réseaux militaires sont donc moins cloisonnés qu'on pourrait le croire. Les organisations du domaine du renseignement ont tendance à s'isoler encore davantage et à imposer des contraintes physiques sur ce que l'on peut avoir sur soi lorsqu'on pénètre dans leurs locaux.
    On risque, entre autres, qu'un ravitailleur soit incapable de desservir un chasseur à réaction en attente d'avitaillement en vol parce qu'un message a été corrompu, lui donnant de mauvaises coordonnées. Ce type de menace peut s'appliquer dans toutes sortes de situations différentes.
    Le problème, c'est que nous développons sans cesse un système qui n'a jamais été conçu pour être sécuritaire. Il est incroyablement difficile d'assurer la sécurité d'un système rétroactivement, surtout s'il s'agit de systèmes informatiques, qui sont parmi les systèmes les plus complexes jamais construits par l'homme.
    Toutefois, le rapport dit que le Canada dispose d'une expertise intéressante mais que ces capacités ne se trouvent pas au gouvernement. C'est Rafal Rohozinski, directeur du SecDev Group, qui l'a dit.
    Que pensez-vous de la question soulevée par M. Rohozinski?
    Il y a des choses qu'on peut faire, mais pas de solution magique; on peut donc renforcer le système sans pour autant résoudre le problème. Cependant, c'est toujours le maillon faible qui lâche, et il est très difficile de prévoir d'où viendra l'attaque.
    Beaucoup de pays sont conscients du problème et cherchent à le résoudre, mais ce n'est pas l'optimisme qui règne.
    S'il me reste du temps, j'aimerais changer de sujet et demander à nos invités les leçons qu'ils ont tirées des récentes opérations. Qu'est-ce que les Forces canadiennes ont appris en Afghanistan, du supplice enduré en Haïti, et de leurs opérations nationales? Quelles leçons viendront informer leurs décisions futures?
    Je propose de me jeter dans la mêlée.
    Pendant des années, l'OTAN s'est intéressée à la signification d'une force commune équilibrée, et pendant des années, la politique à l'OTAN voulait que chaque pays soit responsable de veiller au maintien d'une force commune équilibrée. Il revenait à chaque pays de décider comment s'y prendre.
    Pendant des années, la position du Canada était qu'il fournirait ce qu'il est en mesure de fournir, y compris certaines ressources dont disposent d'autres pays. Ce que nous avons appris après 15 ans d'expérience, c'est qu'il nous faut une structure interne beaucoup plus robuste et complète pour assumer le commandement et le contrôle, pour avoir les renseignements, pour avoir le type d'intelligence humaine ésotérique que, dans les années 1960 et 1970, d'autres pays membres de l'OTAN fournissaient. Il nous faut de telles capacités ici au Canada.
    Très rapidement.
    Je pense que cela signifie que nous devons avoir les moyens de faire notre travail sur le terrain. Les alliés ne seront pas tous aussi dévoués à la mission que nous; tâchons de nous en souvenir. Cela signifie que même quand un conflit est entrepris pour les meilleures raisons, ses résultats sur les plans moral et stratégique sont ambigus, et donc même si le public continue d'appuyer les forces armées, il se peut qu'il cesse d'appuyer la mission.
    Le temps de parole est écoulé.
    Monsieur Kellway.
    Ai-je le temps de répondre?
    À condition que vous soyez très concis.
    Ce n'est jamais facile pour moi.
    On se retrouve, bien malgré nous, dans une situation où la capacité de défense diminue, la capacité qu'on peut obtenir pour son argent diminue et certains gouvernements devront un jour décider s'ils font partie d'une nation mondiale ou continentale, ou peut-être même s'ils préfèrent une armée de terre, de mer ou de l'air, parce qu'ils ne pourront pas toutes les avoir.
    Monsieur Kellway, vous avez la parole.
(1525)
    Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins. Pour ma part, j'ai trouvé très intéressantes vos contributions cet après-midi.
    Bien qu'on s'attaque à des questions plutôt complexes, vous avez présenté un concept d'apparence plutôt simple: la discrétion. Tout ce que nous faisons, la façon dont nous procédons aux déploiements externes, est à notre discrétion. Monsieur Sokolsky, ce que vous avez dit à propos de la distance à laquelle nous projetons nos frontières est une bonne métaphore de l'exercice du pouvoir discrétionnaire.
    Messieurs Sokolsky et Hennessy, vous semblez dire que l'agilité est une qualité importante dont auront besoin nos forces à l'avenir. Je m'intéresse tout particulièrement à l'équipement, puisque je suis porte-parole dans le domaine d'acquisition de matériel militaire. À quoi ressembleront les Forces canadiennes agiles de demain? Comme l'a dit M. Bland, peut-être s'agit-il avant tout de déterminer si nous voulons des forces complètes ou si nous préférons nous concentrer sur l'armée de terre, de mer ou de l'air.
    Je vous laisse la parole.
    À quoi ressembleront-elles?
    Nous aurons une marine capable d'effectuer des opérations nationales et à l'étranger. Nous aurons une certaine capacité d'intervenir en haute mer, mais la contribution des forces maritimes dans certaines régions risque d'être limitée. Il est peu probable, cependant, qu'on applique cette capacité, parce qu'on en aura besoin ici. Comme je l'ai mentionné, nous n'avons pas de garde côtière ou de marine armée.
    Il nous faut maintenir une capacité aérienne minime afin de protéger la souveraineté du Canada et de contribuer au NORAD. Bien que la défense aérienne ne soit pas aussi importante qu'elle l'était à une époque, il est peu probable qu'on renonce à l'acquisition de chasseurs modernes, et il sera également dans notre intérêt de maintenir une capacité de les exploiter à l'étranger.
    Nous devons également être en mesure de participer à des combats de petite envergure. Nous pouvons seulement nous permettre de déployer une petite unité à l'étranger, mais nous devons pouvoir envoyer des forces armées professionnelles en mission à l'étranger lorsqu'il est dans notre intérêt de le faire.
    Je ne suis pas de nature optimiste, mais le fait est que nous aurons une armée, une marine et une force aérienne. Elles ne seront pas seulement continentales. Même dans les circonstances les moins avantageuses, nos forces armées ne seront jamais exclusivement nationales, parce que, honnêtement, elles n'ont pas suffisamment à faire à l'échelle nationale ou continentale. La sécurité de l'Amérique du Nord relève principalement d'organismes civils.
    Notre force amphibie sera nulle. Nous nous débrouillons plutôt bien sans porte-avions. C'est le cas de la plupart des pays. Notre transport stratégique s'est amélioré depuis l'acquisition des C-17. Quiconque pensait qu'on aurait pu acquérir une telle capacité si rapidement par le passé se serait peut-être trompé.
    Je pense que nous allons maintenir une capacité assez large. Pouvons-nous la maintenir pour des périodes prolongées à l'étranger? Sûrement pas.
    Je répète, je ne suis pas de nature optimiste ou heureuse. Mais qui donc peut bien nous faire honte? Y a-t-il un autre pays de taille semblable dans le monde qui a autant accompli en 15 ans? Il est arrivé que nous demandions beaucoup à nos forces armées sans leur donner de grandes ressources. Honnêtement, j'en ai marre d'avoir à m'excuser pour les activités du Canada dans le monde, parce que je n'en connais pas beaucoup qui se sont aussi bien débrouillés que nous. C'est comme on a dit à propos de Snoopy: Le Canada n'est pas un chien exceptionnel; cela dit, qui l'est?
    Comme je l'ai laissé entendre dans ma présentation, personne ne se mobilisera pour combler les vides laissés par les Américains. Les Européens peuvent à peine gérer leurs propres affaires. Ils n'ont pas les moyens d'investir des sommes importantes dans la défense. Ne nous laissons pas influencer par ce que les autres pays attendent de nous. Nous avons également le droit d'avoir des attentes. Je pense que nous devrions en avoir.
    Notre effectif militaire diminuera. Il sera composé de professionnels de pointe. Il aura une grande capacité. Le grand danger n'est pas de n'avoir nulle part où aller, mais plutôt d'être déployé dans une région où l'on ne peut accomplir sa mission. Dans la vie familiale, on n'entreprend aucun projet qu'on n'a pas les moyens d'entreprendre, surtout s'il est dangereux.
    Je pense que nous allons maintenir une capacité assez large. Nous lançons un programme intéressant de construction navale. Nous avons des obligations dans l'Arctique. Nous nous mobilisons dans cette région-là. Nous allons simplement maintenir notre capacité.
    Fort heureusement, puisque nous sommes obligés de choisir, nous serons en sécurité.
(1530)
    Je vais devoir rester bref.
    Votre temps de parole est déjà expiré.
    D'accord, il n'y a pas plus bref que ça.
    Le problème, c'est que les missions confiées à nos forces déployées à l'étranger ont tendance à être très simples. Nos forces doivent pouvoir tirer, se déplacer, communiquer et se protéger, actions qui dépendent grandement de la situation dans laquelle elles se retrouvent.
    Ce que nous avons appris ces 15 dernières années, c'est que nous voulons éviter que nos soldats déployés à l'étranger se retrouvent sans munitions. Lorsque le deuxième déploiement des Nations-Unies en Somalie est arrivé à l'aéroport, il a été accueilli par un de nos officiers généraux vêtu de shorts et de sandales et muni d'une arme non chargée, alors que nous envoyions des troupes de combat sur le terrain parce que le pays n'était pas disposé à donner son plein appui à ses activités. Nous aimerions éviter qu'une telle situation se reproduise.
    Merci.
    Passons maintenant à M. Alexander.
    J'aimerais juste clarifier la part du PIB que représentent les dépenses. Selon mes calculs — dites-moi si j'ai tort — les dépenses, qui sont de 21 ou 22 milliards de dollars, représentent 1,25 p. 100 du PIB, qui s'élève à 1,7 billion de dollars. C'est une part insignifiante. Je sais qu'il y a différentes façons d'analyser la chose. Si l'on tient compte de la parité du pouvoir d'achat, la proportion est plus élevée et a davantage augmenté depuis 2003-2004.
    Mais ce n'était pas mon point principal. Je voulais juste préciser, aux fins du compte rendu, que nous consacrons plus de 1 p. 100 de notre PIB à la défense nationale.
    Une voix: [Note de la rédaction: inaudible]
    M. Chris Alexander: Effectivement, nous attendons tous les nouvelles du mois prochain. Je vous suis reconnaissant de votre conjecture à ce sujet. Cela fera partie du budget, et aucune entité n'est en mesure de prédire ce qu'il contiendra avec certitude.
    Ma question porte sur notre état de préparation à l'avenir. Toutes vos observations m'ont fasciné, mais j'ai une très simple question à poser. Puisque beaucoup de nos alliés coupent leur budget de défense et leurs capacités — on parle de « transformation », mais en réalité, en termes absolus et relatifs, il s'agit d'une diminution — va-t-on nous demander de participer à plus, à moins ou au même nombre de missions à l'étranger?
    Tout dépend, bien sûr, de votre analyse des menaces qui pèsent sur le monde et de nos intérêts nationaux, mais j'aimerais connaître votre véritable opinion là-dessus.
    J'aimerais commencer par M.  Sokolsky. Je pense qu'il a abordé la question directement, mais je n'ai pas entièrement saisi sa conclusion.
    Je prévois que les organisations internationales et nos alliés demanderont de l'aide dans les années qui suivent et qu'ils risquent de faire plus souvent appel au Canada. Je pense qu'on va devoir mesurer notre réponse.
    Il y a de bonnes chances que ce sera le cas, mais comme vous le savez bien, toute décision quant à la participation du Canada dépend des autres forces déployées, des ressources consacrées et de la priorité de la mission à Washington, à Londres et à Berlin, compte tenu de la situation nationale et de l'avis, je l'espère, du Chef d'état-major de la Défense. Il y a plus d'un facteur qui entre en ligne de compte lorsqu'on envisage d'envoyer un déploiement à l'étranger, et il se peut bien que ces facteurs commencent à se concrétiser si l'on décide d'intervenir en Syrie.
    On tient compte de qui participe à la mission, de l'appui pour la mission et des ressources consacrées. Tout ce que je dis, ce qu'à l'instar de tout autre pays, nous prenons nos décisions en fonction de nos propres calculs et intérêts compte tenu de l'obligation que nous avons à l'égard des hommes et femmes des forces armées.
(1535)
    Excellent. J'aimerais maintenant entendre l'avis de M. Bland, mais j'aimerais avant tout poser une question supplémentaire. Elle s'adresse à M. Skillicorn, mais j'invite également d'autres témoins à répondre brièvement.
    Vous êtes la première personne à avoir très clairement indiqué, dans votre discours, que la cybersécurité relève naturellement d'une organisation du renseignement d'origine électromagnétique. Nous en parlerons au comité et ailleurs, mais dites-nous pourquoi, selon vous, le Service gouvernemental d'écoutes et de transmission a trouvé la bonne solution, preuves à l'appui. J'ai compris l'affirmation, que j'ai d'ailleurs entendue de diverses sources, mais on n'a jamais fait valoir l'argument de façon très…
    Bien évidemment, son travail est classifié, je ne peux donc pas révéler grand-chose au comité.
    Je pense qu'après la Deuxième Guerre mondiale, le renseignement d'origine électromagnétique concernait principalement les antennes paraboliques, les satellites et autres. Depuis, peut-être à partir du début des années 1970, on a commencé à s'intéresser davantage aux réseaux informatiques et à l'interception sur de tels réseaux. Les compétences nécessaires pour intercepter des communications sur des réseaux électroniques ressemblent beaucoup à celles qu'il faut pour mettre au point des maliciels et pénétrer dans des systèmes civils pour faire de mauvais coups ou se livrer à des activités criminelles ou commerciales. C'est cette convergence qui, selon moi, s'est avérée fructueuse au Royaume-Uni.
    En quoi s'est-elle avérée fructueuse?
    Quiconque s'y connaît dans le premier de ces domaines s'y connaît dans le deuxième. Quand l'intrusion dans les réseaux informatiques a commencé à poser problème, non seulement comprenaient-ils exactement ce qui se passait du point de vue technique, mais ils avaient déjà effectué les mêmes manœuvres; ils savaient donc très bien comment on s'y était pris, ce qui était possible et ce qui ne l'était pas.
    C'est là l'avantage: ces deux domaines ont tant de points communs qu'on en obtient presque deux fois plus pour son argent, pour les idées mises de l'avant et pour tout membre de l'effectif.
    J'aimerais clarifier quelques points.
    Il n'est pas très utile de calculer la part du PIB consacrée à la défense. Cette mesure porte les gens à tirer des conclusions quant à l'effort national déployé. La part du PIB est une mesure de l'effort national. On est seulement disposé à consacrer un effort équivalent à moins de 2 p. 100 de notre PIB à la défense. C'est tout ce que cela signifie, rien de plus, rien de moins, parce qu'on peut obtenir beaucoup plus avec 2 p. 100 de notre PIB qu'un autre pays pourrait obtenir avec 10 p. 100 de son PIB.
    À propos de guerre électronique, les forces armées canadiennes s'y intéressent depuis le début de la Deuxième Guerre mondiale. Il y a une unité canadienne consacrée à la guerre électronique sur la base, ici à l'école de communications, et dans les unités. Où que soient les Forces canadiennes, il y a une telle unité. Elle mène parfois des activités autres qu'informatiques. Il est toujours utile pour un commandant d'écouter le gars d'en face et de savoir ce qu'il compte faire demain, et c'est ce que fait l'unité: elle écoute, comme elle le fait depuis longtemps.
    Il pourrait donc être intéressant de créer un nouveau ministère composé d'éléments militaires et informatiques, mais les Forces canadiennes auront toujours une unité consacrée à la guerre électronique. C'est nécessaire, parce qu'on ne peut fonctionner sans elle.
    On parle souvent, comme on l'a fait ici, des menaces pour le Canada provenant de toutes sortes de sources, électroniques et autres. Je dis à mes étudiants de ne pas parler de menaces pour le Canada — certains d'entre eux sont assis derrière moi, du moins ils l'étaient. Il n'est pas utile de parler de menaces lorsqu'on élabore une politique sur la défense ou la sécurité nationale.
    Il est préférable de s'intéresser aux vulnérabilités. Le monde est rempli de menaces. Tout le monde présente une menace. Il y en a de toutes sortes. On ne peut contrer toutes les menaces, c'est pourquoi il faut faire la distinction entre une menace et une vulnérabilité. À quoi sommes-nous vulnérables? L'économie japonaise, par exemple, est vulnérable à une interruption de l'approvisionnement en pétrole et en gaz. Pas nous. Il faut donc veiller à faire la distinction entre une menace et une vulnérabilité et ensuite prendre des mesures pour atténuer les vulnérabilités au lieu de chercher à éliminer toutes les menaces.
    À propos de notre orientation et de nos activités futures, premièrement, nous allons pouvoir accomplir davantage avec moins de ressources. Deuxièmement, nous avons appris à être plus discrets à propos de nos missions et des cibles de nos déploiements. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas le Canada qui va en guerre dans ces pays, mais bien les soldats canadiens. Si je puis me le permettre, je pense que c'est à vous de faire en sorte, comme l'a dit Joel Sokolsky, que nos soldats aient l'équipement et l'appui nécessaires. Parfois, il arrivera que les politiciens refusent catégoriquement de participer.
(1540)
    Merci.
    Monsieur Brahmi.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Mes questions s'adressent principalement au professeur Bland et, dans une moindre mesure, au professeur Skillicorn et portent sur la cybersécurité.
    Je suis plutôt de votre avis en ce qui a trait à un des aspects que vous avez énoncés. J'ai l'impression que, depuis un certain nombre d'années, on a réduit les ressources des Forces canadiennes tout en augmentant l'étendue de leur mission.
    Je suis assez d'accord avec vous quand vous dites que le pourcentage du produit intérieur brut ou du produit national brut n'a pas vraiment de sens. On peut prendre l'exemple des États-Unis, où la United States Coast Guard a une responsabilité bien différente qui n'est pas vraiment comptée dans les dépenses des forces armées.
    On peut aussi prendre le cas de la recherche et sauvetage. Dans certains pays, c'est carrément dévolu au ministère de l'Intérieur ou aux autorités de défense civile. De plus, certains pays considèrent que l'aide humanitaire d'urgence fait partie des affaires étrangères et n'est donc pas la responsabilité des forces armées.
    Ai-je raison de croire qu'on a tendance à ajouter...? Par exemple, la cybersécurité est une nouvelle responsabilité des forces armées. N'a-t-on pas tendance à réduire les forces armées et à augmenter leurs responsabilités, avec le temps?

[Traduction]

    Peut-être suis-je mal renseigné, mais je ne suis pas sûr que la défense électronique relève de la compétence des Forces canadiennes. Je répète qu'il faut clarifier nos définitions. Il y a, d'une part, la politique de défense nationale, et de l'autre, la politique de sécurité nationale. Ces deux domaines se croisent. Je ne pense pas que notre politique de sécurité nationale soit suffisamment bien définie. Quelqu'un a parlé d'un rapport de l'Université Queen's sur l'infrastructure canadienne essentielle. Le fait est que nous n'avons aucune politique en la matière au Canada. Nous avons beaucoup de bureaucrates mais aucune politique.
    À propos des types de missions imposées aux forces armées, la plainte qu'on entend souvent des forces armées est que la recherche et le sauvetage n'est pas une opération militaire. C'est seulement le cas par tradition ou par habitude. J'ai assisté à une réunion avec des officiers généraux et un ministre de la Défense, que je ne nommerai pas; un des généraux a dit au ministre: « Débarrassez-nous de la responsabilité relative à la recherche et au sauvetage, confiez-là plutôt au ministère des Transports ou à un autre ministère, » ce à quoi le ministre a répondu : « En ce qui concerne le gouvernement du Canada, chers amis, l'argent sort toujours de la même caisse. Nous devons financer les services de recherche et de sauvetage. Si nous donnons les fonds au ministère des Transports, on va devoir vous les retirer. » Puis, le général a dit: « Attendez un instant, ce n'est pas ce qu'on voulait dire. On veut que la responsabilité soit confiée à quelqu'un d'autre mais on veut garder l'argent. » Ce n'est pas comme ça que ça marche, ni au gouvernement du Canada, ni dans le reste du monde.
    Je pense qu'il est intéressant de se pencher sur l'histoire du renseignement. Les services de sécurité britanniques et les services du renseignement de sécurité britanniques sont toujours connus sous les noms de MI-5 et MI-6 parce qu'ils sont tous deux issus du renseignement militaire. Lorsqu'on est confronté à de nouvelles technologies difficiles à comprendre et aux activités qui en découlent, il est souvent utile de s'y attaquer, en premier lieu, dans un contexte militaire, où tout est plus net. Les domaines sont mieux circonscrits. On peut assurer un meilleur commandement et un meilleur contrôle dans un contexte militaire que dans un contexte civil. Il se peut que le domaine passe au civil, mais dans la plupart des gouvernements occidentaux, j'ai remarqué qu'on s'arrache les cheveux à s'entendre sur l'emplacement idéal de ce morceau du puzzle. À l'heure actuelle, j'ai l'impression que la réponse est simple, sinon évidente.
(1545)

[Français]

    J'aimerais poser une autre question au professeur Bland.
    Vous avez affirmé qu'on est supposé intervenir dans le cadre de l'OTAN. Toutefois, le simple citoyen observe certaines choses relativement aux récentes interventions de l'OTAN. Il y a 27, 28 ou 29 pays membres de l'OTAN; je ne sais plus combien il y en a exactement. Par exemple, dans le cas de la Libye, seulement trois ou quatre pays sont intervenus.
    Comment cela déséquilibre-t-il le rôle de l'armée canadienne? Il s'agit d'un cadre d'intervention qui est supposé être celui de l'OTAN, après tout.

[Traduction]

    Effectivement. Il est d'autant plus difficile de recueillir l'appui de la population canadienne pour les missions dites de l'OTAN lorsque nos alliés refusent d'adhérer entièrement à un programme. C'est un problème d'alliances. Sans vouloir vous faire une leçon, il découle de l'article 5 du traité, que les gens aiment citer à tort et à travers. Les gens pensent qu'il revient à dire « un pour tous et tous pour un, » sauf que l'article stipule par la suite que les nations peuvent juger s'il est dans leur intérêt national de participer.
    Les plaintes selon lesquelles certaines nations sont allées en Afghanistan mais n'ont pas participé à cette partie de la mission — elles se sont retirées de ces missions-là — sont tout à fait conformes au Traité de l'Atlantique Nord. C'est ironique que les Américains se plaignent du problème, car ce sont les Américains qui ont exigé l'inclusion de cette restriction lorsque le traité était rédigé. Le Congrès américain n'aurait signé aucun traité obligeant les États-Unis à participer à une action militaire non approuvée par lui. Washington n'aurait jamais signé l'accord en 1949 si l'on avait pas assorti l'article 5 de restrictions qui reviennent à dire « un pour tous et tous pour un, la plupart du temps, peut-être. » Voilà ce qui s'est passé.
    Il faut apprendre à s'y faire, autrement on se retrouve à prendre des engagements, à participer à des opérations, comme dans l'ancienne Yougoslavie, où l'on largue des bombes sans l'appui de l'OTAN ou des Nations Unies. Au bout du compte, c'est aux dirigeants politiques du Canada, des États-Unis et d'ailleurs de décider s'il est dans l'intérêt national de participer à un conflit armé, que l'ONU ou l'OTAN soient intéressées ou non. Il s'agit de savoir si nous sommes intéressés. Je pense que c'est ainsi qu'on élaborera notre politique.
    Merci.
    Avant de passer au troisième et dernier tour, j'aimerais poser une question à M. Bland.
    Dans votre introduction, vous avez émis une hypothèse plutôt drastique concernant le plan d'action de réduction du déficit et l'ampleur des compressions au budget de la Défense nationale que vous vous attendez à trouver dans le prochain budget. Vous avez brossé un portrait si sombre. À quel pourcentage de réductions vous attendez-vous; sur quel pourcentage avez-vous fondé vos observations?
    On s'attend à ce qu'elles soient de 5 à 10 p. 100. Nous l'ignorons, mais c'est ce qu'on entend dire. Les représentants à qui j'ai parlé ne révèlent rien, bien entendu, et peut-être n'en savent-ils pas plus, mais c'est vers ces chiffres-là qu'ils tendent.
    Comprenez bien, si vous ne le comprenez pas déjà, que 50 p. 100 du budget de la défense est consacré aux salaires des militaires et des fonctionnaires; 20 p. 100 est consacré au programme d'immobilisations, donc à l'achat de matériel pour les forces futures — les navires, les vaisseaux et tout le reste. À moins de réduire considérablement l'effectif — activité à laquelle on s'est livrée à coeur joie depuis 1962, car c'est plus économique —, les coupes de 10 p. 100 se feront dans les opérations et la maintenance, dont le budget est d'environ 4 milliards de dollars. Pensez-vous pouvoir couper de moitié un budget de 4 milliards de dollars? Pas moi.
    C'est un pourcentage élevé. On aura beaucoup de mal à atteindre cet objectif sans réduire l'effectif. J'ai un document rédigé par quelqu'un d'autre qui s'est penché sur le travail d'Andy Leslie, qui parle de « potentiel de réinvestissement du personnel, » qui est un bel euphémisme bureaucratique. Il s'agit en réalité de personnes dont on peut se passer. Dans les forces et dans le ministère, on se retrouve avec 10 400 personnes qui, d'après le rapport d'Andy Leslie, sont redondantes. C'est pourquoi je pense que les coupes importantes se feront dans les réserves et toucheront peut-être 4 000 personnes. La seule façon de réduire le budget, c'est de s'attaquer aux gros chiffres.
    Le fait est que lorsqu'on parle de réaligner la Stratégie de défense Le Canada d'abord, on veut dire qu'on gardera les mêmes objectifs mais qu'on ne les accomplira pas cette année; ils seront remis à l'année suivante. C'est l'approche que j'adopte à l'égard de mon chalet: « L'année prochaine, je m'occuperai de cette partie-là. » On remet toujours à plus tard, lorsqu'on aura les moyens. C'est ce qu'on fait depuis de années: on maintient le programme tout en espérant qu'on aura les moyens de s'y attaquer l'année suivante. Devinez quoi? Il n'y aura pas plus d'argent l'année suivante, et tout recommencera.
    Voilà mon opinion excessivement pessimiste de la voie sur laquelle nous nous lançons, monsieur le président.
(1550)
    Je vais donc la considérer comme telle: une opinion excessivement pessimiste, et espérer que tout s'arrangera.
    Pendant les témoignages d'aujourd'hui, on a aussi mentionné la nécessité de repenser la politique étrangère: plutôt que d'étendre nos frontières jusqu'en Europe, en Asie ou même en Afrique, pourquoi ne pas envisager de redéfinir l'utilisation que nous faisons de nos forces armées en fonction d'un concept d'hémisphère occidental.
    Je me demande si c'est ainsi que nous devrions dorénavant procéder, du point de vue de la disponibilité opérationnelle de nos militaires: collaborer avec nos alliés ou nos voisins de l'hémisphère occidental.
    Comment entrevoyons-nous l'avenir de nos forces? Notre armée continuera-t-elle d'être composée de l'armée de terre, de la marine et de la force aérienne ou est-ce qu'il y a des choses qui vont changer?
    Monsieur Sokolsky, je vous cède la parole.
    Monsieur le président, je suis désolé si j'ai donné l'impression de parler d'un concept axé sur l'hémisphère... je crois que nous...
    M. Bland a fait un commentaire à ce sujet, mais je sais que vous avez aussi parlé de déplacer les frontières...
    Non, je crois que nous allons maintenir une politique étrangère mondiale; tout au plus allons-nous être plus circonspects dans le choix des opérations auxquelles nous prenons part. Je n'ai jamais été un grand partisan d'une approche axée sur l'hémisphère occidental. Il faut se demander ce qu'une telle formule apporterait aux autres pays de l'hémisphère. Qu'avons-nous à offrir? Nous en faisons déjà beaucoup. Nous sommes engagés dans la lutte contre les stupéfiants. Voulons-nous accroître nos activités dans ce domaine? Le Brésil semble jouer un rôle de plus en plus important sur la scène internationale.
    Je crois néanmoins que nous allons conserver une optique mondiale, plutôt que simplement hémisphérique, en raison de la nature de nos activités commerciales.
    Mais vous avez parlé du Canada. Nous n'avons pas à nous excuser de notre bilan sur la scène internationale.
    C'est exact.
    Nous pouvons reprocher à certains de nos alliés de l'OTAN de ne pas en faire assez. Quel rôle entrevoyez-vous pour le Canada au sein de l'OTAN, maintenant et à l'avenir?
    La riposte graduée de l'OTAN représente bien plus que sa stratégie; l'existence entière de l'organisation est fondée sur cette notion. Elle lui permet de composer avec certaines circonstances et, à moins qu'une grave crise ne vienne rompre l'alliance, elle demeurera fonctionnelle. Elle peut également s'appliquer à diverses autres situations.
    Nous n'avons aucune raison de pousser les contradictions de l'OTAN jusqu'à leur conclusion logique. L'OTAN sera toujours une organisation pleine de contradictions. Dans la mesure où ce qu'il nous en coûte pour en faire partie et y conserver un siège n'est pas trop élevé, il n'y a pas lieu que nous nous en retirions. Cela nous permet d'établir une collaboration ponctuelle avec certains pays. Nous nous intéresserons également à la région du Pacifique, mais l'étendue de notre travail pourrait y être limitée par le manque de ressources.
    À l'avenir, le principal enjeu sera le commerce. On ne peut pas complètement dissocier commerce et sécurité. Est-ce que le renforcement de nos relations commerciales avec la Chine et d'autres pays aura des répercussions sur les questions en matière de sécurité? Il est possible d'avoir de nombreux échanges commerciaux sans compromettre la sécurité. Je crois que le Canada a adopté une politique étrangère réaliste. Nous sommes en quelque sorte des réalistes non avoués. Nous ne l'annonçons pas toujours, mais nous agissons toujours en conséquence.
(1555)
    Monsieur Bland, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
    Vous donnez la parole aux universitaires pour qu'ils se contredisent. Joel a demandé à quoi pourraient s'attendre les Latino-Américains si le Canada devait jouer un rôle accru. Je pourrais poser la même question au sujet des Européens de l'Est et d'autres populations si le Canada devait accroître son rôle au sein de l'OTAN.
    Pour répondre à la première question, je connais bien les Latino-Américains et j'ai travaillé avec le Center for Hemispheric Defense Studies, à Washington, au cours des dernières années. Qu'apporterait le Canada aux pays d'Amérique latine? Nous ne sommes pas les États-Unis. C'est très important pour ces pays d'avoir un allié autre que les États-Unis, et ils nous le disent souvent. Ils veulent établir un partenariat avec nous. Les Mexicains aussi. N'oubliez pas qu'une guerre fait rage de l'autre côté de la frontière américaine. Quelque 20 000 personnes ont été tuées ces dernières années, des passeurs de drogue, mais aussi bien d'autres. Les problèmes sont nombreux. Les Latino-Américains aimeraient que le Canada participe aux discussions qui les concernent au sein d'organisations internationales.
    Merci.
    Comme nous ne sommes pas réellement pressés, nous allons passer au troisième tour. Messieurs, j'aimerais que vous vous en teniez à la question.
    Monsieur Christopherson, vous pouvez commencer.
    Merci, monsieur le président, et merci également aux témoins. Vos propos sont très intéressants et très instructifs.
    J'aimerais poser une question plus générale. On a fait référence au rapport du général Leslie à quelques reprises aujourd'hui. Ce n'est pas le principal sujet de nos études, mais il reste qu'il traite de transition. Nous pouvons difficilement parler de disponibilité opérationnelle sans prendre position d'une façon ou d'une autre sur ce rapport.
    J'inviterais ceux d'entre vous qui le souhaitent à se prononcer sur le rapport, sa pertinence pour notre travail et la mesure dans laquelle nous devrions nous en inspirer et l'intégrer dans nos conclusions. Pensez-vous au contraire qu'il aborde la question sous le mauvais angle et que nous devrions nous en détacher complètement? J'aimerais connaître l'avis des témoins.
    J'ai lu le rapport et j'en ai discuté avec Andy Leslie, que je connais depuis longtemps. Le ministre lui a demandé de sortir des sentiers battus, pour reprendre l'expression populaire ces jours-ci, et c'est ce qu'il a fait. Il a proposé divers modèles de restructuration de l'organisation de la défense — c'est de là que viennent les diverses mesures de compressions proposées. Il dirigeait une importante équipe composée de militaires et de civils. Les services des fonctionnaires lui ont été retirés au milieu du projet, mais il disposait d'une bonne équipe.
    Pardon. Ils lui ont été retirés?
    Vers le milieu du projet, si j'ai bien compris, le sous-ministre de la Défense nationale a décidé que les membres de l'équipe qui étaient sous sa direction se retireraient du processus, et le général Leslie a poursuivi le travail avec uniquement le personnel militaire.
    Il ne faut pas s'en étonner; dans ce genre de projet, lorsque vous commencez à proposer de grands changements complexes, cela entraîne des conflits. C'est normal.
    Ce que je trouve intéressant, c'est l'évaluation qui a été faite de l'état de la défense: les forces armées et le ministère. Aux termes de la loi, ce sont deux entités distinctes, qui ne sont liées d'aucune façon, sauf dans l'exécution des politiques. L'étude aurait dû être menée avant la mission en Afghanistan ou au moment même où nous nous apprêtions à partir pour l'Afghanistan. Ni les Forces canadiennes ni le quartier général n'étaient prêts pour la guerre. C'est pourquoi le général Hillier a amorcé son processus de transformation, pour que les forces armées soient prêtes pour le combat, mais ce qui s'est produit lorsque le conflit s'est prolongé, surtout du côté civil, c'est qu'on avait l'impression que c'était une mission comme les autres et que tout ce qu'il fallait faire, c'était d'affecter davantage de personnel pour régler le problème embêtant qu'était la guerre en Afghanistan.
    J'aime à penser qu'il aurait été intéressant de voir ce qui se serait passé si, en 2003, 2004 ou 2005, le gouvernement — peu importe qui était au pouvoir à l'époque — avait dit au ministre de la Défense nationale: « Vous partez pour la guerre, vous acceptez cette mission, et vous n'aurez droit à aucune ressource supplémentaire. Vous devez examiner le fonctionnement de votre ministère et y trouver les ressources qu'il vous faut. Trouvez des économies à réaliser et servez-vous-en pour vous préparer pour la guerre. » Peut-être cela aurait-il entraîné une transformation significative des Forces canadiennes et du ministère, et même de nombreux autres services du gouvernement.
    Mais ce n'est pas ce que nous avons fait. Comme je l'ai mentionné, ils se sont dit « d'accord, nous allons en guerre », puis, petit à petit, parfois à contrecoeur, les gens ont commencé à faire du rapiéçage ici, à boucher des trous là, à changer d'idée — et c'est sans parler de la fois où le gouvernement au grand complet... bref, tout ce que l'on fait, c'est du rapiéçage.
    Au bout du compte, on obtient une structure organisationnelle de grande envergure qui doit maintenant être rationalisée, mais la transformation n'a toujours pas eu lieu; nous ne sommes toujours pas préparés pour le type de conflits que nous annoncent certains. Nous n'avons donc pas mis à profit les leçons tirées de cet exercice.
(1600)
    Merci.
    Monsieur McKay, vous avez la parole.
    Je voudrais revenir sur la question de ce qui est réaliste et de ce qui relève du fantasme. M. Bland affirme que nous devrons éliminer soit la Force aérienne, la Marine ou l'Armée de terre, et M. Sokolsky prétend le contraire. M. Sokolsky dit que nous aurons, d'une façon ou d'une autre, une présence sur la scène internationale, mais, selon M. Bland, cette présence ne sera non pas internationale, ni même hémisphérique, mais qu'elle se limitera probablement surtout au continent. Vous affirmez avec raison qu'il faudra en faire moins avec moins. Nous allons devoir trouver le moyen de...
    À certains égards, la question se résume à ce que sont les intérêts du Canada. Si je prends l'exemple de ma circonscription, à peu près tous les conflits dans le monde y trouvent une résonance. Vous pensez à un conflit, et des membres de la diaspora de ce pays vivent dans ma circonscription. Alors, lorsque j'envisage l'avenir, je vois que les intérêts du Canada seront toujours un enjeu et que l'ensemble de ses capacités seront sollicitées de diverses manières sur la scène internationale. Nous ne serons pas toujours appelés à intervenir de façon exclusivement militaire, mais nous aurons certainement à jouer un rôle connexe.
    Je ne suis donc pas sûr. Je sais que je ne suis pas d'accord avec M. Bland. Par ailleurs, il soulève un point très important concernant les intérêts du Canada. Je serais donc intéressé à entendre les arguments des deux côtés sur la façon de régler le problème.
    De nombreuses situations dans le monde touchent la population canadienne. La question dont est saisi le comité vise à déterminer quel niveau de disponibilité opérationnelle des forces armées est nécessaire pour y répondre et, de façon générale, dans quelle mesure l'intervention des forces armées est l'instrument de politique approprié.
    Supposons que le problème auquel nous faisons face est le trafic de stupéfiants. Que faisons-nous? À l'occasion, nous envoyons un navire dans les Caraïbes. Pouvons-nous nous le permettre? Oui, ce n'est qu'un navire. Nous le laissons à cet endroit un certain temps, puis nous l'en retirons. Lorsque nous le retirons de là, est-ce que cela signifie que nous nous désintéressons du problème? Non, cela signifie que nous ne pouvons pas laisser notre navire là. La lutte contre le terrorisme représente une menace pour le Canada. Que faisons-nous? Nous sommes en Afghanistan, mais, de temps en temps, nous envoyons un navire dans la mer Méditerranée. Pouvons-nous nous le permettre? Oui. Allons-nous déployer cinq navires dans la Méditerranée? Non, parce que ce n'est pas si important. Quelqu'un menace notre industrie de la pêche? Là, nous allons envoyer cinq navires, parce que nos intérêts sont directement touchés.
    Vous avez raison de dire qu'il s'agit de zones grises. Lorsque je dis que nous allons demeurer un joueur important sur la scène internationale, cela peut être simplement sous la forme de contacts entre militaires. Nous participons à l'exercice RIMPAC dans la région du Pacifique depuis de nombreuses années. Est-ce que cela signifie que nous jouons un rôle de premier plan dans la sécurité de cette région? Non, mais nous manifestons notre intérêt.
    À mon avis, c'est ainsi que nous maintiendrons notre présence sur la scène internationale. Si nous devons être déployés au sein d'une opération plus concertée, le risque est accru. Pour ce qui est de l'approche hémisphérique, je reviendrai sur ce qu'a dit Doug. Les Mexicains aimeraient que nous nous engagions davantage et ils ne sont pas à l'aise avec les Américains. Mais nous, nous sommes à l'aise avec les Américains. La dernière chose que nous voulons, c'est que Washington pense que nous nous allions aux autres parce que nous ne sommes pas à l'aise avec les États-Unis. Notre principal partenaire commercial sont les États-Unis. C'est ce pays qui devrait être notre principal collaborateur. Nous ne devrions pas nous mêler des problèmes qui touchent la frontière américano-mexicaine.
(1605)
    Amen, mon frère.
    Nous n'avons aucun intérêt à le faire. C'est quelque chose de distinct de l'immigration. Lorsqu'il s'agit de la Sécurité intérieure — je vais être aussi direct que Doug peut l'être pour certains points —, la dernière chose que nous voulons, c'est que les États-Unis confondent le Canada et le Mexique.
    Merci.
    Nous allons poursuivre. M. Norlock, la dernière question vous appartient.
    Merci beaucoup. Je n'aurais pas pensé être aussi frustré que je le suis. À ma gauche, j'ai deux prophètes de malheur et, à ma droite, deux esprits relativement positifs.
    Monsieur Bland, lorsque vous dites que 50 p. 100 du budget est affecté aux salaires et aux avantages sociaux, je vous répondrai que je viens de l'un des plus grands corps policiers du Canada, où environ 90 p. 100 du budget est consacré aux salaires et aux avantages sociaux, alors 50 p. 100, ce n'est pas si mal.
    Monsieur Sokolsky, j'imagine que je ne suis pas très doué en technologie; en fait, je dirais que je suis plutôt à l'aise avec un stylo et du papier. C'est sans doute à cause de la frustration. Pas de la colère, juste de la frustration. Hier et aujourd'hui, nous avons entendu quelqu'un nous parler du cyberespace et nous expliquer tout ce que nous faisons de travers dans ce domaine, mais sans offrir de solutions ou très peu. Pouvez-vous me confirmer si c'est parce que c'est tellement récent que nous ne savons pas réellement ce qu'il faut faire? Ou est-ce qu'il y a une pratique exemplaire?
    Je suis une personne pratique, alors je cherche toujours à savoir si quelqu'un a trouvé une meilleure solution que la mienne. L'analyse que je fais de notre situation militaire est la même que celle que je fais de notre situation financière. Le monde est de plus en plus petit. Si quelqu'un pète au Moyen-Orient, nos marchés boursiers sont pris d'un malaise et on se dit qu'on ferait mieux d'envoyer un avion. Des citoyens font preuve de désobéissance civile dans un pays lointain dont presque personne n'a entendu parler et, tout à coup, nous sommes sur un pied de guerre et nos marchés boursiers s'emballent.
    Le monde est petit. Je suis d'accord avec M. Sokolsky: nous allons être sollicités, que ça nous plaise ou non. Nous pourrions certes nous cantonner dans une attitude frileuse, vendre une foule de choses et devenir très riches. Mais je ne crois pas que cela arrive. Le Canada a toujours joué dans la cour des grands. Lorsque qu'il faut faire quelque chose, nous le faisons.
    Monsieur Skillicorn, existe-t-il une pratique exemplaire? Avez-vous des solutions à proposer pour les problèmes du cyberespace qui menacent notre sécurité?
    Voici comment nous en sommes arrivés là où nous en sommes. L'Internet a été conçu pour fonctionner dans des laboratoires du gouvernement américain regroupant une dizaine d'ordinateurs; de nos jours, ce sont 12 milliards d'ordinateurs qui sont branchés à Internet. L'usage croît de façon exponentielle, mais la technologie est restée essentiellement la même. Rien n'a changé. Internet n'a pas été conçu en fonction de la sécurité et il est quasiment impossible d'y intégrer des mesures de sécurité.
    L'enjeu principal dans tout cela est de nature économique. Vous pouvez acheter un ordinateur personnel et y installer Windows pour quelques centaines de dollars. Si vous vouliez avoir un logiciel sécurisé raccordé à un réseau sécurisé, cela vous en coûterait 50 000 $. C'est pourquoi nous nous contentons des logiciels que nous avons. La situation actuelle est le résultat d'une longue série de choix économiques, qui nous semblaient tous raisonnables au moment où nous les avons faits, mais qui nous ont placés dans une position d'où il est très difficile de sortir.
    Allez-y, monsieur Bland, montrez-moi ce dont vous êtes capable.
(1610)
    Vous voudrez peut-être embaucher quelqu'un du ministère de la Défense pour parler à vos policiers. C'est un problème complexe, mais ce n'est pas inhabituel dans le monde de la police ou des affaires. Les ressources humaines coûtent cher.
    Nous avons réalisé des études et nous nous sommes penchés sur la concurrence qui existe entre les forces actuelles et celles de l'avenir — je parle des forces armées, bien sûr. Les forces actuelles sont ce que vous voyez maintenant: les hommes et les femmes qui composent les forces armées, l'équipement dont ils disposent, et ainsi de suite. Les forces de l'avenir sont les personnes qui s'enrôleront dans les forces armées, l'équipement que nous aurons dans cinq, dix, quinze ans, les navires et autres éléments. Or, il existe une rivalité constante entre les forces actuelles et celles de l'avenir, qui se disputent les ressources financières.
    Au cours de notre histoire — il n'y a pas si longtemps —, la totalité du budget était consacré aux forces actuelles. Les immobilisations représentaient 8 p. 100 du budget et, à cette époque-là, au cours des années Chrétien et avant, les capacités des forces armées déclinaient à vue d'oeil.
    Que dites-vous à quelqu'un qui vient du secteur privé et qui considère le gouvernement comme un seul tout? J'ai vécu la situation ces dernières années dans le cadre des consultations budgétaires. Dans le monde réel, on pense en fonction de la rationalisation. On cherche à couper dans le gras. Lorsque j'étais policier, on appelait ça en faire plus avec moins, et la rationalisation des effectifs voulait dire qu'il fallait travailler davantage parce qu'il y avait moins de personnel pour faire le travail.
    Est-ce que les forces armées peuvent fonctionner en mode de rationalisation? Autrement dit, au lieu de tous se précipiter sur les routes à 17 heures pour rentrer à la maison — la 8e Escadre se trouve dans ma circonscription, alors je vois les bouchons qui se forment tous les jours —, les employés devraient-ils rester un peu plus longtemps au travail pour assurer leur sécurité d'emploi ou être plus productifs? Ou y aurait-il lieu de rationaliser l'effectif là aussi?
    Je ne veux pas tomber dans le mélodrame, mais quand quelqu'un vous tire dessus, vous ne voulez pas faire partie d'une organisation qui en fait plus avec moins. Dans le cadre des opérations militaires, qu'il s'agisse de piloter un avion dans l'obscurité ou de naviguer dans l'Arctique ou ailleurs, bref peu importe la tâche, la tendance c'est d'essayer de disposer des plus grandes capacités possible. L'un des bons vieux principes des tactiques de la guerre au sol veut que l'on combatte l'ennemi. Si vous découvrez qu'il dispose d'un contingent de 1 000 hommes, vous en formez un de 5 000 hommes. Vous n'en aurez pas nécessairement besoin, mais vous ne voulez pas vous engager dans une bataille à forces égales, parce que sinon, vous risquez de vous retrouver dans de beaux draps.
    Alors, lorsqu'il s'agit d'évaluer l'efficience dans une organisation militaire, on ne peut pas se contenter du strict minimum, comme cela se fait au sein des entreprises et dans d'autres milieux. Ce genre de processus de réflexion a une incidence sur l'organisation, la direction, l'effectif, pour ne nommer que ces éléments. Il nous faut toujours tenir compte de ces considérations.
    Merci. Le temps est écoulé.
    Messieurs, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de venir ici aujourd'hui pour nous donner très franchement votre avis sur la disponibilité opérationnelle et l'avenir des Forces canadiennes. Messieurs Skillicorn, Bland, Hennessy et Sokolsky, merci de votre présence.
    Avant d'ajourner le débat, lorsque nous voyageons, j'aime offrir aux personnes dans le public la possibilité de faire un bref commentaire.
    J'invite le général à la retraite Glenn Nordick à dire quelques mots. Il y a un micro libre ici.
    Je ne suis pas venu ici aujourd'hui dans l'intention de faire un commentaire, mais j'ai trouvé les propos échangés très instructifs et intéressants.
    En tant qu'ancien membre du Centre de la sécurité des télécommunications et directeur général SIGINT militaire, j'aimerais formuler la recommandation suivante: avant de prendre toute décision concrète en matière de cybersécurité, il importe de bien comprendre que la cybersécurité est quelque chose d'essentiel pour le gouvernement du Canada et que celui-ci doit avoir une seule stratégie en la matière, contrairement à ce qui se fait actuellement, où chacun essaie de protéger sa propre infrastructure. Ce qu'il faut voir, c'est que les mesures de sécurité ne protègent pas seulement l'infrastructure, mais aussi l'information qu'elle contient. Or, dans certaines circonstances, surtout en période difficile, le réflexe, c'est de se débarrasser de l'infrastructure. C'est pourtant ce qu'il faut protéger.
    Même si le Centre de la sécurité des télécommunications — le CST — relève de la Défense nationale, il dispose de ses propres mesures législatives, structure de reddition de comptes et méthodologie. Il ne faut donc pas croire que ce sont les Forces canadiennes qui sont responsables de la cybersécurité. Pour reprendre le point de vue de M. Skillicorn, le centre est une entité composée à la fois de spécialistes des sciences sociales et d'ingénieurs, et ses capacités sont extrêmement variées. Je vous recommanderais d'y jeter un coup d'oeil avant de prendre des décisions trop hâtives.
    Ayant participé activement à la mission en Afghanistan, je suis en mesure de dire que, pendant cette période, les Forces canadiennes ont démontré, d'une part, que nous avons effectué une profonde transformation, principalement au niveau des structures de contrôle et de commandement et du fonctionnement au sein du quartier général de la Défense nationale et, d'autre part, que la politique de défense du Canada est efficace et que l'approche pangouvernementale a bien fonctionné dans le cadre de la mission.
    La mission a été l'occasion de valider des initiatives comme l'Examen du renseignement de défense. Nous avons renforcé nos capacités créneaux essentielles auxquelles nos alliés font appel lorsque nous sommes en mission. Nous avons également renforcé nos capacités générales et approfondi notre expérience de combat, ce qui est particulièrement important.
    Il est très facile de neutraliser certaines de ces capacités. Il faut donc déterminer ce que veut le gouvernement du Canada dans ce domaine pour éviter d'envoyer nos troupes dans des missions où elles n'ont aucune chance de succès. C'est essentiel.
    En plus d'être l'un des plus riches pays du monde, le Canada fait partie des Nations Unies, de l'OTAN et de diverses alliances. Pour toutes ces raisons, je crois qu'il serait inadmissible que nous refusions d'intervenir lorsque des incidents surviennent à l'étranger, d'autant plus que nous sommes signataires de diverses conventions de l'ONU et que nous nous sommes engagés à défendre les droits de la personne un peu partout dans le monde. Comme nous allons participer à des opérations internationales, il est essentiel que les Forces canadiennes soient prêtes à intervenir, peu importe l'ampleur du rôle que le gouvernement leur confiera.
    Merci, monsieur.
(1615)
    Je vous remercie de vos commentaires.
    Un dernier mot, monsieur Bland.
    J'aimerais faire une annonce. À la fin de l'année dernière, mes collègues du centre ont fait paraître un livret intitulé Let Sleeping Dogs Lie. Il s'agit d'une étude qui porte sur 15 rapports sur des questions de défense nationale publiés par des comités de la Chambre et du Sénat, des universitaires et des organisations non gouvernementales. Nous nous sommes adressés aux auteurs de ces rapports pour obtenir l'accès à l'information et avons reçu 3 500 pages de documents rédigés en réponse aux rapports, lesquels documents provenaient du quartier général de la Défense nationale.
    Je crois que vous trouverez qu'il s'agit d'un ouvrage très éclairant. Il contient notamment des conseils sur la façon d'éviter que votre étude ne subisse le même sort que toutes les autres qui sont soumises à la Défense nationale.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Douglas Bland: Je vais le laisser...
    Vous pouvez en laisser un exemplaire au greffier.
    D'accord. Il existe un site Web où vous pouvez le télécharger... ou, s'il est impossible de le télécharger, vous pouvez consulter le rapport intégral. Voilà ma contribution à la démocratie cet après-midi.
    Merci beaucoup.
    Je vous suis reconnaissant du travail que vous accomplissez en tant que spécialistes, qu'il s'agisse d'étudier les stratégies en matière de défense, d'évaluer les risques de sécurité ou de former la prochaine génération de civils ou de militaires. Nous vous en remercions. Nous remercions également de leur dévouement envers le Canada ceux d'entre vous qui ont servi au sein des forces armées.
    Sur ce, je vais accepter une motion d'ajournement.
    Une voix: J'en fais la proposition.
    Le président: Et c'est tout.
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