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CHER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 25 février 1999

• 0912

[Français]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité du patrimoine canadien. Notre objectif aujourd'hui est de poursuivre l'étude que nous avons commencée il y a peut-être deux ans sur le rôle du gouvernement fédéral face aux arts et à la culture au Canada et sur ce que devrait être ce rôle au cours du prochain siècle.

Comme je le disais, nous avons entamé cette étude il y a assez longtemps, et notre comité s'est divisé en deux équipes qui font actuellement une tournée d'un bout à l'autre du Canada. Nos deux équipes, dont l'une voyage dans l'Est et l'autre dans l'Ouest du pays, vont recueillir des témoignages sur le terrain avant que nous complétions notre travail.

Je voudrais tout d'abord vous souhaiter la plus cordiale bienvenue et vous remercier d'avoir accepté en aussi grand nombre de vous joindre à nous à Montréal pour nous offrir vos témoignages.

[Traduction]

J'aimerais vous souhaiter à tous la bienvenue. Vous avez été très nombreux à demander à comparaître devant le comité.

[Français]

Si vous me le permettez, je voudrais signaler la présence d'un collègue de l'Assemblée nationale. Nous sommes très heureux que Pierre-Marc Johnson, ancien premier ministre du Québec, se soit joint à nous aujourd'hui. Nous sommes très honorés de sa présence. Enfin, nous vous souhaitons la bienvenue à tous et à toutes.

Je demanderai d'abord aux députés qui font partie du comité et à nos témoins de se présenter à tour de rôle. J'invite ces derniers à nous dire quelques mots sur l'organisation qu'ils représentent, bien que les gens se connaissent assez bien dans votre secteur.

Dans le cadre de notre étude, nous cherchons d'abord à savoir si les programmes de soutien actuels du gouvernement canadien fonctionnent bien. Croyez-vous qu'ils sont satisfaisants?

Deuxièmement, nous voudrions savoir quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral au niveau des arts et de la culture au Canada face aux défis qui se présentent à nous à l'aube du prochain siècle.

Nous aurions pu choisir de nous pencher sur une foule de défis.

[Traduction]

Nous aurions pu choisir de nous pencher sur toutes sortes de défis et d'obstacles. Nous en avons choisi trois.

[Français]

Nous avons identifié trois défis majeurs, puisque le comité ne pouvait naturellement pas étudier tous les défis qui se présentaient.

• 0915

Le premier défi que nous avons identifié porte sur les changements démographiques au sein de notre société, c'est-à-dire le vieillissement de la population et le changement de la texture même du Canada face à une immigration soutenue depuis plusieurs années.

Le deuxième défi porte sur les changements technologiques, le multimédia et l'Internet. Comment ces changements affecteront-ils le rôle du gouvernement fédéral par rapport au soutien de la culture et des arts au Canada?

Le troisième défi porte sur la mondialisation de l'économie. On connaît bien tous les débats actuels sur certains éléments culturels au Canada par rapport à l'ALENA, à l'OMC, etc. On voit ce qui se pointe à l'horizon.

Nous vous posons d'abord la question suivante: Est-ce que, selon vous, les programmes actuels sont satisfaisants face à ces three challenges?

Deuxièmement, face à ces défis et à ce que vous ressentez, quelle est votre conception du rôle du gouvernement fédéral à l'avenir? Est-ce que ce sera un rôle de législateur? Est-ce que ce sera un rôle au niveau du financement? Quel genre d'appui devra-t-il vous procurer à l'avenir? Quelle devra être l'évolution de son rôle?

Nous avons reçu un très grand nombre de demandes de la part de groupes partout au Canada, surtout de Montréal et d'ailleurs au Québec, qui voulaient venir comparaître, et c'est pourquoi nous avons organisé ces tables rondes. Afin que nous puissions entendre un peu tout le monde, il y en aura plusieurs aujourd'hui.

Ces tables rondes n'ont pas pour but de permettre aux députés membres du comité de faire des discours ou des présentations. Ce n'est pas du tout notre intention. Nous voulons plutôt que tous nos témoins aient la chance d'intervenir. La première table ronde débutera à 9 heures et se terminera à 11 heures. Vous devrez donc être concis afin de donner à tout le monde la chance de s'exprimer. Nous n'avons pas établi un ordre précis pour les interlocuteurs. Si l'un de vous va trop loin, je me permettrai d'intervenir pour donner la parole à l'interlocuteur suivant.

[Traduction]

La discussion sera libre. Vous pouvez vous exprimer en français ou en anglais, car l'interprétation est assurée.

[Français]

Nous espérons que nous aurons un bon échange, une franche discussion, plutôt que des monologues.

Robert Pilon de l'ADISQ m'a fait savoir qu'il était obligé de nous quitter à 10 h 15. Si vous me permettez de me servir de mes prérogatives d'animateur, je lui donnerai la parole un petit peu avant les autres afin qu'il puisse dire ce qu'il a à dire avant 10 h 15.

Je vous demande maintenant de vous présenter, de nous expliquer brièvement la raison de votre participation et de nous décrire l'organisation que vous représentez.

Monsieur Rozon.

M. Gilbert Rozon (président-fondateur, Festival Juste pour rire): Gilbert Rozon, président du Festival Juste pour rire. Je viens évidemment parler en particulier de la problématique des événements majeurs au Québec et au Canada et, si le temps nous le permet, du monde de la création comme vecteur économique.

M. Andy Nulman (directeur général, Festival Juste pour rire): Bonjour,

[Traduction]

Je m'appelle Andy Nulman,

[Français]

directeur général du Festival Juste pour rire.

[Traduction]

Je suis le jumeau diabolique de Gilbert Rozon. Je vais vous entretenir de certaines choses dont il ne vous parlera pas, et en particulier des nouvelles technologies et de leur incidence sur notre industrie.

Merci.

Mme Audrey E. Bean (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Audrey Bean. Je comparais devant le comité à titre de citoyenne canadienne et en ma qualité d'auditrice et de téléspectatrice de Radio-Canada, je désire vous parler de l'importance du radiodiffuseur public national pour la culture canadienne.

[Français]

Le président: J'aimerais souligner que nous aimerions entendre tant des personnes qui désirent témoigner à titre personnel que des groupes. Nous leur donnerons certainement toute la latitude de le faire. C'est dans cette perspective que Mme Bean et Mme Mermelstein sont ici aujourd'hui.

M. Alain Dancyger (directeur général, Grands ballets canadiens): Bonjour. Je m'appelle Alain Dancyger et je suis le directeur général des Grands ballets canadiens. Je suis peut-être le seul représentant d'un organisme des arts de la scène.

• 0920

Je me suis proposé pour participer à cette table ronde au niveau des industries, mais je pourrais aussi bien participer à la table ronde au niveau des arts. Je suis donc ici pour parler principalement de la problématique des grands organismes nationaux, notamment au niveau du financement. Je crois que ce sujet va revenir très souvent autour de la table.

[Traduction]

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Bonjour. Je m'appelle Inky Mark. Je suis député d'une circonscription au Manitoba et principal porte-parole de l'opposition pour les questions de patrimoine.

[Français]

M. Pierre-Marc Johnson (président, Regroupement des événements majeurs internationaux): Je m'appelle Pierre-Marc Johnson. On m'a fait la gentillesse de me demander de présider une organisation qui s'appelle le Regroupement des événements majeurs internationaux. Ces 10 organisations, festivals et autres événements qui se sont regroupés ont une caractéristique commune: ce sont des événements de divertissement et de loisir, dont la plupart ont une composante culturelle ou sont exclusivement de nature culturelle, qui sont tous d'une grande envergure chacun car ils ont un rayonnement sur le plan international. Ils font rayonner leur région et leur communauté sur le plan international. Leurs participants, souvent à cause de la nature de leurs prestations, sont également des gens qui contribuent à cette texture internationale.

Ce regroupement s'est fait autour de ceux qui y participent. Il est issu d'une générosité entre gens qui, à l'occasion, sont des concurrents, notamment au niveau de leur financement, et qui voulaient partager et réfléchir ensemble sur les dimensions économiques et les impacts que peuvent avoir ces événements. Ces gens se sont aussi regroupés pour les fins de faire connaître leur point de vue en tant qu'événements auprès des gouvernements.

Le président: Monsieur Légaré.

M. Yves Légaré (directeur général, Société des auteurs, recherchistes, documentalistes et compositeurs): Je m'appelle Yves Légaré et je suis directeur général de la SARDeC. Je représente les scénaristes qui oeuvrent en cinéma et en télévision. Je vais m'intéresser plus particulièrement aujourd'hui aux interventions gouvernementales dans le secteur audiovisuel.

[Traduction]

Mme Judith Mermelstein (témoignage à titre personnel): Je m'appelle Judith Mermelstein. Je comparais à titre personnel. Je suis une observatrice du milieu des arts. Je suis éditrice et traductrice de métier et je suis membre de la Editors' Association of Canada. Je ne représente pas vraiment aujourd'hui cette association devant le comité, mais plutôt les membres du public qui s'intéressent à la vie artistique au Canada et qui s'inquiètent de l'incidence sur celle-ci de la commercialisation et de la mondialisation.

[Français]

Mme France Lafleur (directrice, Division du Québec, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique): Je m'appelle France Lafleur et je suis directrice de la Division du Québec de la SOCAN, la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. C'est une société qui perçoit les droits d'exécution publique au Canada auprès des différents utilisateurs de musique. Nous sommes ici au nom des auteurs, compositeurs et éditeurs pour vous faire part du point de vue des créateurs et surtout de leurs grandes préoccupations face à l'implication du ministère du Patrimoine canadien auprès des organismes, et spécifiquement auprès de la Commission du droit d'auteur.

Le président: Monsieur Valiquette.

M. Gilles Valiquette (président, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique): Je m'appelle Gilles Valiquette. Je suis auteur, compositeur et président de la SOCAN. Je ne voudrais pas répéter ce que Mme Lafleur vient de dire, mais simplement dire que notre mandat premier est de percevoir les droits d'exécution pour nos membres. J'aimerais souligner le fait que le droit d'auteur, c'est le salaire des créateurs. Nous aimerions, bien entendu, vous faire part de nos préoccupations à ce sujet.

Le président: Monsieur Bertrand.

M. Pierre Bertrand (président, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): Je m'appelle Pierre Bertrand et je suis président de la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, qui regroupe tous les compositeurs et créateurs de la chanson québécoise. On peut penser à tous les noms que vous voulez, notamment Luc Plamondon, Robert Charlebois, Jean-Pierre Ferland et j'en passe bien d'autres.

Évidemment, ma préoccupation première porte sur le rôle et le métier du créateur dans la société canadienne. Justement, comme le disait Gilles Valiquette, le seul salaire de l'auteur, c'est le droit d'auteur et c'est évidemment de ce sujet que j'aimerais vous entretenir. Merci.

Le président: Madame Bertrand-Venne.

Mme Francine Bertrand-Venne (directrice générale, Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec): Je m'appelle Francine Bertrand-Venne et je suis directrice générale de la SPACQ, la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec. Je voudrais souligner que nous sommes non seulement le foyer d'accueil des auteurs-compositeurs de la chanson, mais également celui de tous les compositeurs qui font la musique originale des oeuvres audiovisuelles, que ce soit pour le film ou la télévision.

Le président: Suzanne.

Mme Suzanne Tremblay (Rimouski—Mitis, BQ): Je m'appelle Suzanne Tremblay et je suis députée du Bloc québécois et porte-parole de ce parti pour le Patrimoine canadien. Je ressens aujourd'hui une émotion profonde à être dans une institution fédérale pour discuter de la culture canadienne ici, à Montréal, et principalement en français. Je suis reconnaissante à une institution qui a fait de nous, non pas des séparatistes, mais des Québécois.

• 0925

M. Robert Pilon (vice-président, Affaires publiques, Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ): Je m'appelle Robert Pilon et je suis vice-président aux Affaires publiques de l'ADISQ. L'ADISQ, comme vous le savez, est l'association qui regroupe les producteurs indépendants de disques, de spectacles, de chansons, d'humour et de variétés en général. Nous regroupons les producteurs indépendants, par opposition aux multinationales.

La situation au Québec est peut-être un peu particulière parce qu'au cours des 10 ou 12 dernières années, à peu près 85 p. 100 de la production de disques d'artistes québécois—et c'est un peu la même chose, sinon à plus un plus haut niveau, dans le domaine du spectacle—a été faite non pas par les filiales canadiennes de multinationales, mais par des entreprises québécoises à contrôle québécois, des entreprises canadiennes établies ici, au Québec. Ce sont ces entreprises que représente l'ADISQ.

M. André Ménard (premier vice-président et directeur artistique, l'Équipe Spectra): André Ménard, de l'Équipe Spectra. L'Équipe Spectra est un groupe industriel québécois qui oeuvre dans l'industrie culturelle au niveau des salles de spectacle, de la gérance d'artistes, de la production de spectacles et des studios d'enregistrement.

La partie la plus visible de nos activités, ce sont les festivals internationaux, notamment le Festival international de Jazz de Montréal et les Francofolies de Montréal, qui sont deux leaders mondiaux dans leur catégorie, si je puis dire.

Je suis ici en partie pour exprimer le point de vue du groupe au sujet des politiques fédérales et pour vous faire part de notre inquiétude quand on constate, d'une année à l'autre, que les budgets alloués par le ministère du Patrimoine canadien sont réduits ou augmentés par coups, sans vraiment qu'il y ait eu de planification. Cette situation est très difficile pour un groupe comme le nôtre, qui organise des événements qui ne se répètent pas nécessairement d'année en année, mais dont la planification s'étend sur plusieurs années. Il semble y avoir un problème à ce niveau, et c'est ce que nous aimerions survoler aujourd'hui.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ménard.

M. Gaston Blais (attaché de recherche auprès du comité): Gaston Blais, délégué à la recherche du comité.

Le président: Notre greffier, M. Norman Radford, est aussi présent. C'est lui qui s'occupe de toutes les questions logistiques relatives à ces audiences, et nous lui en sommes particulièrement reconnaissants. Un de nos collègues, le député John Godfrey de la région de Toronto, est en chemin et se joindra à nous un peu plus tard.

Qui souhaite prendre la parole? Ne soyez pas timides. Monsieur Valiquette.

M. Gilles Valiquette: Merci, monsieur le président. Je prendrai la parole parce qu'on a beaucoup de choses à dire. J'ai choisi de m'attaquer à la cinquième question que vous posiez, au sujet de de l'implication du gouvernement dans ce qui se passe dans notre industrie.

Avant de commencer, j'aimerais souligner le fait que composer une oeuvre, la créer, c'est un métier, une vie. D'autre part, la jouer est un autre métier. Il est vrai que certaines gens de notre société peuvent faire les deux, mais ils représentent l'exception. On pourrait les comparer aux gens qui font de la plomberie et de l'électricité dans une maison; nous sommes peut-être d'accord que c'est aussi une exception.

J'aimerais parler des préoccupations de nos membres face à la Commission du droit d'auteur. Il faut comprendre que lorsqu'on qu'une personne crée une oeuvre, son vrai salaire ne vient qu'au moment où son oeuvre est exécutée, autrement dit au bout de la ligne. Nous nous voyons beaucoup comme des partenaires des gens qui sont ici présents aujourd'hui.

La SOCAN, qui perçoit ces droits, ne peut dicter le montant des sommes d'argent qui seront perçues à ce niveau. Comme je le soulevais un peu plus tôt, nous devons nous présenter devant une commission gouvernementale qui détermine notre salaire. Nous sommes présentement devant une situation pratique presque impossible.

• 0930

La commission est sans juge depuis 1994. Il faut comprendre que cette commission est sensiblement un tribunal quasi judiciaire. Elle n'a donc plus de juge. On avait prévu que cinq membres oeuvreraient au sein de cette commission, mais depuis longtemps, ils ne sont que trois. Jusqu'à tout récemment y siégeait un vice-président qui était vraiment au fait du domaine du droit d'auteur. C'était Me Hétu, qui a pris sa retraite le 31 janvier dernier. Depuis un an et demi, nous suggérons à l'équipe de M. Manley de lui nommer un successeur et de l'entraîner. Je parle bien de l'entraîner parce que les deux autres personnes qui oeuvrent actuellement au sein de la commission ne sont peut-être pas des experts dans le domaine du droit d'auteur. De plus, je dois vous confier que les créateurs francophones sont très inquiets puisqu'ils ne sont pas certains que ces membres sauront bien les comprendre dans leur propre langue.

On a été témoins de nombreux changements. Vous avez entre autres parlé de changements technologiques. Il y en a partout. L'an dernier, nous avons eu une grosse surprise quand les membres de la commission ont décidé d'abaisser notre tarif de télévision commerciale, cela sans justification, à notre avis. Mais le pire, c'est qu'on a changé les règles du jeu.

Vous, les gens du gouvernement, avez passé beaucoup de temps à réviser la Loi sur le droit d'auteur, déployé des efforts, fait du travail, dépensé de l'argent, tenu maintes discussions et en êtes venus à la conclusion, entre autres, que la gestion de ces droits devait être assumée par des sociétés de gestion collective.

D'un autre côté, on arrive avec une Commission du droit d'auteur qui, en pratique, fait exactement l'opposé. Dans notre truc de télévision commerciale, elle permet désormais—et c'était absolument inédit—aux télédiffuseurs de négocier directement avec les créateurs. Je dois vous avouer que le faible pouvoir de négociation d'un petit créateur de musique face à de grosses compagnies—pour ne pas les appeler des multinationales—est très, très inquiétant. Nous craignons qu'en bout de ligne, nos créateurs travaillent pour rien.

Il est important qu'un comité comme le vôtre regarde ce qui se passe à ce niveau. Vous avez su mettre le doigt sur la situation du Centre national des arts et vous vous êtes impliqués, à mon avis, dans un sens positif. Nous comptons sur vous pour intervenir. On est inquiets parce qu'on se demande si on pourra survivre dans un avenir rapproché.

J'aimerais aussi vous dire que le Canada renferme une richesse incroyable. Nous avons beaucoup de créateurs et ils n'oeuvrent pas que dans le domaine de la musique. Il faut être créatif pour être un bon gérant et diriger des compagnies de disques qui fonctionnent comme il le faut; c'est une richesse que nous avons aujourd'hui. Nous croyons sincèrement que, dans un avenir rapproché, la propriété intellectuelle aura de plus en plus de valeur. Si nous ne valorisons pas au départ ce que nous faisons, qui d'autre dans le monde le fera?

Il est important de se demander à qui va appartenir la matière première à l'avenir. Cela commence par des trucs très pratiques comme la Commission du droit d'auteur. Je m'excuse d'avoir pris beaucoup de temps.

Le président: Merci, monsieur Valiquette. Vous avez soulevé des points importants.

Monsieur Rozon.

M. Gilbert Rozon: Je pratique ce métier-là, malheureusement, depuis un peu plus de 20 ans. Comme André pourra en témoigner, il y a 20 ans, on travaillait la plupart du temps de peine et de misère dans des sous-sols, où on avait un aquarium, une secrétaire et une marge de crédit de 10 000 $. À partir de cela, on a essayé de bâtir une industrie.

Je pourrais vous raconter des anecdotes. Il y a 15 ans, je me souviens d'avoir vu un artiste québécois à Paris—je ne le nommerai pas—qui donnait un spectacle d'un soir à l'Olympia. La salle était à moitié pleine, mais les pages frontispices de tous nos journaux relataient cet événement énorme.

Hier soir, aux Grammys, c'étaient des artistes canadiens qui occupaient le haut du pavé. La semaine dernière, aux Victoires de la Musique, c'étaient des Québécois qui étaient en nomination à peu près pour tous les prix. On trouve maintenant banal de voir le Cirque du Soleil donner cinq spectacles sur trois ou quatre continents. On n'est plus étonnés de voir un François Girard faire un film de 17 millions de dollars, Le Violon rouge, qui est un pur chef-d'oeuvre, ou de voir d'autres cinéastes parcourir le monde avec des oeuvres de première qualité. En humour, c'est la même chose. En chanson, des Céline Dion, des Alanis Morissette et nos comédies musicales occupent le haut du pavé. Au théâtre, il y a Robert Lepage et Marleau. À la télévision, on n'en parle même plus; qu'on parle de Due South ou d'Alliance, je ne sais plus combien de producteurs et de productions canadiennes font maintenant le tour du monde. On ne s'étonne plus de cela; c'est devenu normal.

• 0935

Je crois que cela correspond à un phénomène: la création est devenue une industrie mondiale de pointe. La demande de contenu, non seulement à cause de l'arrivée de l'Internet, mais aussi en raison de l'explosion des chaînes et de l'augmentation des loisirs, fait en sorte que les gens sortent plus qu'avant. La circulation des idées et des concepts est devenue chose complètement courante, à telle enseigne—je n'apprends rien à personne ici ce matin—que d'une année à l'autre, dépendant du succès de l'industrie de l'aérospatiale, c'est la culture qui est le premier, sinon le deuxième vecteur d'exportation aux États-Unis. Ce n'est donc pas un phénomène banal.

Ici, au Canada, on a développé des infrastructures de premier plan, peut-être à cause de cette dichotomie ou de cette confrontation biculturelle. En télévision, je ne connais aucune autre ville au monde qui soit aussi bien équipée que Montréal, aussi bien pour les créateurs que pour la diffusion. C'est la même chose dans les domaines du théâtre et du cinéma, ainsi que dans toutes les formes d'expression. En muséologie, on a des institutions de premier plan pour diffuser et fabriquer des produits. On a un nombre pratiquement incomparable de créateurs proportionnellement à la population. Il y a très peu de grandes villes ou de pays qui peuvent prétendre avoir autant de créateurs que Montréal.

On commence à compter des entrepreneurs de plus ou moins grosse taille qui abordent le marché international. Je crois que l'avenir réside dans l'internationalisation, dans l'exportation de nos idées. Une idée, ça s'adapte. En chanson, on le fait régulièrement et, au théâtre, on peut adapter des textes. Au cinéma, on fait des remakes. Une idée, ça s'adapte, ça se change, ça se modifie et ça se module selon les marchés. Et les grandes idées voyagent.

Un des problèmes auxquels sont confrontées les entreprises dans le domaine du spectacle est double. Je vais parler d'abord un peu dans la même veine qu'André, des industries Spectra. Quand on a une grande idée ici et qu'on veut l'exporter, on manque fondamentalement de capital de risque, à moins de prendre toutes ses ressources et de les investir dans un seul projet. Si le projet ne remporte pas le succès attendu, on vient de mettre l'entreprise en péril. On manque d'investissements, de capital de risque. C'est très différent des subventions ou des prêts, parce qu'un prêt engage complètement l'équité de la société, tandis que les subventions ne sont pas toujours appropriées. Par contre, le capital de risque nous permettrait d'avoir des commanditaires qui appuient un projet ou une idée.

Les grands entrepreneurs du spectacle au Québec et au Canada ont développé une excellente expertise pour déterminer ce qui est un bon spectacle ou une bonne production, mais ils manquent de capital pour exporter.

Dans le domaine de la biotechnologie, vous voyez débarquer des gens avec des lunettes de deux pouces d'épaisseur qui vous parlent de recherche sur le sida. C'est très ésotérique et il n'est pas facile de trouver la solution; pourtant, ils obtiennent du capital de risque de façon très impressionnante. Mais quand vous arrivez et dites que vous produisez des spectacles depuis 20 ans, que vous avez 90 p. 100 de succès et que vous avez besoin de 2 millions de dollars pour aborder le marché américain, on vous regarde comme si vous étiez un funambule sans filet sur un fil de soie. Il y a un sérieux problème au niveau du capital de risque.

Je reprendrai encore une fois un thème qu'a abordé André. À l'époque, lorsque notre budget s'élevait à 4 millions de dollars, Patrimoine Canada nous accordait des subventions de l'ordre de quelque 250 000 $. Aujourd'hui, de peine et de misère, on nous donne 100 000 $, tandis que notre budget s'élève à 17 millions de dollars. C'est complètement déconnecté de la réalité des événements majeurs.

Le Canada et le Québec en particulier ont développé des événements de premier plan à l'échelle mondiale. Nous ne sommes pas soutenus en fonction de notre succès, mais plutôt par saupoudrage politique. Un événement mineur ou local—et c'est très bien—est dans la même enveloppe qu'un événement majeur de calibre international qui se livre à une concurrence mondiale, qui doit se battre contre des Américains qui profitent de commandites de 5 à 10 millions de dollars qui pleuvent, qui doit se battre contre les Français qui peuvent accorder des subventions de l'ordre de 50 à 60 p. 100 pour un festival comme celui de Cannes parce que, pour eux, c'est important la culture, la création. Pour eux, la culture et la création sont un vecteur économique, tandis qu'ici, quand un événement majeur reçoit une subvention de 5, 6, 7 ou 8 p. 100, on dit: Mon Dieu, arrêtez de nous quêter de l'argent. C'est une occasion d'affaires qu'on offre au pays, et je souhaiterais que ce soit corrigé. On nous empêche de croître et d'être concurrentiels. On ne nous encourage pas au succès. Merci.

• 0940

Le président: Merci beaucoup, monsieur Rozon.

Monsieur Pilon.

M. Robert Pilon: J'essaie de suivre les questions qui sont là. La première porte sur les mesures fédérales. Le gouvernement fédéral a fait des interventions extrêmement positives dans le secteur de la musique au cours des 15 dernières années.

C'est sûr que la création du PADES, le Programme d'aide au développement de l'enregistrement sonore, en 1986, a été une mesure extrêmement positive qui a contribué à soutenir le développement d'une industrie canadienne, à contrôle canadien, et à soutenir également le développement de la production. La Loi sur le droit d'auteur et les différents amendements qui ont été adoptés, en particulier le projet de loi C-32 qui a créé de nouveaux droits, les droits voisins, et le régime sur la copie privée, qui est un grand progrès pour les artistes-interprètes, les musiciens et les producteurs, la Loi sur la radiodiffusion et le CRTC qui en découle sont aussi des choses extrêmement importantes. Notamment, l'application des quotas en télévision et en radio a eu un impact extrêmement positif dans notre industrie. Il y a aussi le rôle que joue ou que devrait jouer Radio-Canada à titre de vitrine au niveau de la musique.

Tout cela est extrêmement positif, mais je pense qu'on arrive à un point tournant à l'heure actuelle. Dans notre secteur, tout cela a été positif, mais il faut voir que c'est une industrie extrêmement jeune. Au Québec, la plus grosse entreprise de production de disques a un chiffre d'affaires de 4 ou 5 millions de dollars, et on est directement en concurrence avec des géants comme Sony, Warner et BMG qui, eux, ont des chiffres d'affaires de 4 ou 5 milliards de dollars. Dans cette dynamique, il est évident que le PADES, avec 9,5 millions de dollars par année, est insuffisant. Cela ne se compare pas. Je pense que le gouvernement fédéral a compris ça dans d'autres secteurs, notamment dans celui de la production de la télévision et dans celui de la production du film, où il y a eu des sommes nettement plus substantielles. Regardez les résultats qu'on a aujourd'hui. En télévision, notamment, on a réussi à se structurer une industrie et cette industrie peut maintenant occuper une part importante du marché domestique et jouer dans les ligues majeures au niveau de l'exportation.

Dans le secteur de la musique, on se réjouit tous des succès aux Victoires, à Paris, ou aux Grammys, mais il ne faut pas se faire d'illusions. C'est la pointe de l'iceberg; c'est quelques individus. En général, sur le marché américain, c'est soutenu par les multinationales.

Il faut aussi s'interroger sur les artistes, que ce soit les artistes québécois ou les artistes canadiens anglais. Un groupe comme The Tragically Hip, qui vend 500 000 copies au Canada, n'a pas un succès international. Daniel Bélanger vend 200 000 copies au Québec. Ce sont de grands artistes extrêmement importants et, pourtant, ils ne sont pas sur le marché international.

Je suis d'accord avec mon collègue Gilbert que l'exportation est importante, mais il ne faut pas tout axer sur l'exportation. Il faut voir à consolider le marché domestique. Pour le marché domestique, dans le domaine de la musique, mis à part les quotas qui sont une protection indirecte, il n'y a pas aucune protection. Entrez dans un magasin de disques demain matin et vous verrez, à côté des disques de Laurence Jalbert, les disques de Madonna qui sont vendus au même prix sinon moins cher et qui bénéficient d'un soutien d'une multinationale qui a 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires. Les règles du marché sont inégales, totalement inégales, et les interventions du gouvernement existent pour essayer de corriger un petit peu ces inégalités du libre marché. Les quotas sont positifs et il faut les maintenir. Il y a eu une bonne décision du CRTC l'an passé, qui est en application depuis Noël. Malheureusement, les radiodiffuseurs l'appliquent en faisant un peu une grève passive, mais on pourra en reparler. On verra dans quelques mois.

Le projet de loi C-32 est positif, mais encore là, il faudra voir s'il y aura une véritable commission du droit d'auteur pour gérer cette loi. Je partage les préoccupations de mon collègue Valiquette à cet égard. C'est bien beau, passer des lois, mais encore faut-il avoir une commission pour les gérer. On verra les décisions qui en sortiront.

Le gouvernement fédéral est en train de réévaluer tout le PADES. Depuis un an, avec nos collègues de Toronto de la CIRPA, qui regroupe les producteurs indépendants canadiens-anglais et nos collègues d'associations d'artistes ou de créateurs, on demande au gouvernement fédéral de penser, peut-être pour la première fois, à une véritable politique de la musique populaire au Canada. Cela touche les aides à la production, les aides à la création, le PADES, mais aussi le Conseil des arts. Il faut s'interroger.

• 0945

Comment se fait-il que le Conseil des arts, au fédéral, ne fasse pratiquement rien en termes de soutien à la musique populaire? Est-ce que les créateurs dans le domaine de la musique populaire sont des artistes de seconde zone par rapport aux artistes qui sont dans le théâtre ou dans le domaine des arts visuels?

Le gouvernement québécois vient de donner 5 millions de dollars de plus par année à la chanson et va porter à 900 000 $ par année le budget d'aide aux créateurs et aux artistes au Conseil des arts québécois. Il est temps qu'on se pose des questions au niveau du Conseil des arts fédéral. Plus généralement, il faut aussi se poser des questions sur les autres.

À Radio-Canada, ce qui a été fait avec La Fureur est positif, par exemple, mais je pense qu'on peut faire encore plus. Du côté de CBC, il n'y a pas de grande émission mettant en vedette les artistes de la chanson. La vitrine pour les artistes de la chanson s'est rétrécie à la télévision. À la télévision privée, il n'y a plus rien. À Radio-Canada, La Fureur, c'est positif, mais on peut faire encore plus. Donc, il faut penser à tout cela.

On veut que le gouvernement fédéral établisse une politique intégrée de soutien à la musique populaire pour tous les instruments qu'il contrôle: les subventions, les prêts, le capital de risque, qui passe par le PADES ou d'autres organismes, par exemple la Banque fédérale de développement, Radio-Canada et le CRTC. On veut une politique globale.

Pour ce qui est des nouvelles technologies, je suis convaincu que mon collègue Pierre Bertrand va en parler plus longuement et mieux que moi. Tout le monde connaît ce qui arrive dans le cas des MP3 à l'heure actuelle; c'est la question du téléchargement de la musique. C'est dramatique. Il faut agir.

À l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, un traité a été conclu il y a plus de deux ans et demi, dont le Canada est signataire. Il y a là-dedans des dispositions qui pourraient améliorer drôlement la situation en conférant aux ayant droit le droit d'autoriser ou d'interdire la mise en marché électronique de leurs oeuvres ou de leurs enregistrements sonores. Le Canada s'est engagé à modifier sa loi, et il doit maintenant agir. Les consultations, c'est bon, mais à un moment donné, il faut y mettre fin et agir.

Donc, la fameuse phase 3 ou 2½ de la modification de la Loi sur le droit d'auteur doit se faire, et il faut que cela se fasse cette année, avant qu'il y ait des dommages à la propriété intellectuelle et au tissu de l'industrie.

Pour ce qui est de la mondialisation, on pourra en reparler tout à l'heure. Tout le monde suit de près le débat sur C-55. On ne mesurera jamais assez l'importance de ce débat. L'issue de ce débat est fondamentale. Over and above, l'enjeu pour l'industrie canadienne de l'édition des magazines est celui-ci: si le Canada—vous me permettrez l'expression—se fait planter dans cette affaire, on va tous en souffrir. Si les Américains remportent une victoire sur cette question, demain, ils vont attaquer les mesures de soutien ou de protection qu'on a dans le secteur du cinéma, après-demain, ils vont attaquer le secteur du livre et le surlendemain, ils vont attaquer les quotas de chansons à la radio.

Un certain nombre d'organismes sont en train d'organiser quelque chose à Toronto, le 15 mars, pour montrer le soutien global de l'industrie, du monde des arts, de la culture et des communications au projet de loi C-55. Même les radiodiffuseurs vont se joindre à nous, semble-t-il, pour montrer que ce ne sont pas juste les éditeurs de magazines qui soutiennent l'initiative de C-55, mais bien l'ensemble de la communauté du milieu de la culture, des communications et des industries culturelles. On pourra en reparler tout à l'heure.

Je ne prendrai pas plus de temps pour l'instant.

Le président: Monsieur Ménard, vous avez demandé la parole tout à l'heure.

M. André Ménard: Je reprendrai un peu les propos de Gilbert sur la question du soutien aux événements. On a créé au Québec des événements qui sont vraiment des leaders mondiaux, qui sont bien au-dessus de leurs semblables dans le reste du monde. Le problème, c'est que le soutien que le gouvernement nous octroyait n'a jamais suivi la croissance de ces événements-là; au contraire, il décroît. On a l'impression qu'il y a une certaine pénalité à la performance. Plus on est performant, moins on est encouragé, alors que le renforcement devrait être inversé, me semble-t-il.

Si les gouvernements hésitent à subventionner des événements qui semblent bien fonctionner... On faisait allusion à l'aéronautique aux États-Unis, qui dispute à la culture la première place en matière d'exportation. L'aéronautique au Canada—je pense notamment à Canadair et à Pratt & Whitney au Québec—engrange des profits assez spectaculaires; pourtant, toute sa recherche-développement est soutenue aux trois quarts, d'après ce que j'ai lu il y a un bout de temps, par les gouvernements, entre autres par le gouvernement fédéral. Cela ne les gêne pas de soutenir la recherche-développement.

• 0950

Si on fait l'analogie, les événements n'ont pas vraiment besoin d'être soutenus dans leur partie la plus visible ou la plus prestigieuse, mais bien dans leur recherche-développement. Il y a un tas de choses dans ces événements-là. Il y a une grande mixité dans les événements. On fait des choses prestigieuses, mais on fait aussi des choses qui sont vraiment du développement culturel, qui ne sont absolument pas rentables. Si ces événements-là étaient produits par le gouvernement, il se devrait de les faire parce qu'il n'y a pas seulement les grandes stars; il y a aussi tout l'aspect moins rentable, mais qui est important pour le développement de l'événement et pour le développement culturel en général.

Donc, on doit être aidés pour les événements, et je parle autant pour le Festival de jazz que pour les Francofolies, dans mon cas, parce qu'il y a tout un aspect de ces événements qui suppose des déboursés assez lourds, par exemple faire circuler les artistes, surtout si on peut mettre nos événements en réseau avec d'autres. Le Festival de jazz le fait; il fait circuler certains artistes dans le monde. Les Francofolies le font aussi, avec les autres Francofolies qui se tiennent à l'extérieur. Ce sont des choses pour lesquelles on doit intervenir, mais qui supposent une certaine mutualité. Cela suppose qu'on le fait aussi pour les autres. Cela n'est jamais rentable, mais à long terme, ça l'est. Cela garde l'événement sur un circuit, cela permet aux artistes de circuler et cela permet aux événements de se renouveler.

En recherche-développement, même les secteurs les plus rentables de l'industrie lourde sont aidés jusqu'à concurrence de 75 ou 80 p. 100, d'après ce que j'ai vu. D'un autre côté, cela ne les empêche pas de continuer à faire leur développement normal à même leurs profits.

C'est ce que je voulais dire sur la question de l'intervention. M. Rozon, comme moi, pourra témoigner du fait que cette année encore, on nous a annoncé des coupures, alors qu'on nous dit qu'il y a une certaine embellie dans les finances publiques, etc. Au niveau fédéral, on ne peut pas nous parler de la question des hôpitaux comme au Québec, mais le saupoudrage régional fait vraiment ses dommages. On a l'impression que Montréal est souvent pris en sandwich entre un palier de gouvernement qui le tient pour acquis et un autre qui le prend pour son ennemi. Je sais qu'on doit parler des politiques fédérales ici, mais je peux vous dire que Montréal est drôlement mal servi, en ce moment, par cette humeur politique.

Le président: Merci. Madame Bertrand-Venne.

Mme Francine Bertrand-Venne: J'aimerais porter le débat à un autre niveau. Je suis heureuse d'être en présence des grandes institutions culturelles du Québec, celles qui font une promotion extraordinaire.

S'il fallait faire un concours de subventions, c'est sûr que la SPACQ serait la grande gagnante, c'est-à-dire celle qui est le moins aidée par le gouvernement fédéral. Pourtant, elle représente ceux qui créent le contenu musical de la plupart des industries qui sont ici présentes, dans quelque secteur que ce soit.

Vous demandez dans l'une des questions: Comment pouvez-vous être protecteurs des arts? Il y a quelque chose qui me préoccupe dans mon travail quotidien, et j'espère que mes collègues vont l'entendre de bonne part. Puisqu'on fournit le contenu culturel canadien—et là, je pense être en mesure de dire que je représente ceux qui créent ce contenu culturel—, comme j'ai pu le dire à mes collègues radiodiffuseurs à l'audience radio du CRTC l'année dernière, on fait de vous des industries culturelles qui, finalement, font l'objet d'une protection culturelle dans des ententes internationales de commerce. Cela vaut beaucoup d'argent. S'il fallait laisser toutes ces entreprises, comme disait M. Rozon, concurrencer dans le monde... On les protège d'une certaine façon parce qu'on veut protéger la culture canadienne.

Ce qui m'inquiète dans mon travail, c'est de m'apercevoir qu'il arrive souvent que l'aide gouvernementale renforce des sociétés, des institutions, des entités commerciales, des personnes morales. Donc, lorsqu'on représente la création pure, on se trouve réduit à dire: Est-ce que j'ai le goût de soutenir cette industrie puisque je ne me sens pas partie prenante? On voudrait bien être dans la business avec nos confrères, mais il arrive qu'ils agissent à l'américaine avec nous et on finit par se dire: Vous ne l'obtiendrez pas, votre exception culturelle puisque, en bout de ligne, les Américains pourront toujours plaider que vous gérez vos affaires et vos rapports avec les créateurs de la même façon que les Américains.

Ce que je suis en train de dire est important pour les questions de propriété intellectuelle. On voudrait être de véritables partenaires, mais il arrive trop souvent que nos relations et nos rapports sont disproportionnés. Dans le domaine de l'audiovisuel, c'est un combat incessant. Dans le domaine du disque, on s'entend mieux avec nos producteurs de disques provinciaux puisqu'ils ont reconnu il y a longtemps l'importance de commercialiser des créateurs québécois et qu'il y a donc un rapport plus intime, mais ce n'est pas toujours le cas quand il s'agit d'autres industries.

• 0955

Je voudrais de tout coeur soutenir toutes les entités qui sont ici, mais je voudrais aussi leur rappeler et vous rappeler qu'il faut absolument que la culture canadienne et québécoise soit présente au maximum dans ces événements. Je ne dis pas que c'est exclusivement cela, mais il faudrait toujours travailler à cela.

Je m'inquiète un peu du rôle du gouvernement dans la protection des arts. Il m'est arrivé de siéger à la Conférence canadienne des arts pour élaborer les politiques du XXIe siècle. Il ne faut pas finir par se dire qu'on protège une institution comme un musée si, à l'intérieur de ses préoccupations, on ne se préoccupe pas de celui qui crée cet art, qui est aussi un citoyen canadien.

Je voudrais qu'on réfléchisse à cela. Cette aide doit soutenir les créateurs canadiens. Ces derniers doivent tout au moins être partie prenante. La diffusion et la promotion sont tout à fait essentielles. Personne ne nie cela. Les événements majeurs ont fait leurs preuves et il y a effectivement des bienfaits là-dedans. Je ne suis pas ici pour leur dire qu'ils ne méritent pas d'être aidés, bien au contraire, mais je voudrais qu'on soit soucieux d'associer à cela les créateurs de la culture canadienne.

Le président: Merci.

Monsieur Pierre-Marc Johnson.

M. Pierre-Marc Johnson: J'aimerais ajouter quelques commentaires à ce que madame vient de dire.

La création et la production culturelles sont d'abord le fait d'individus. Je suis profondément convaincu qu'il n'y a pas de création et de production culturelles sans des personnes, que ce soit au niveau de l'auteur, du compositeur, du danseur, du peintre ou de l'interprète. Ce qui fait la force de la création, ce sont les personnes. C'est pour cela que le milieu et l'État ont développé une série de moyens de défense de la création.

L'État a créé des institutions qui sont tantôt des conseils, comme le Conseil des arts, ou encore des lieux, comme des musées ou des salles où il y a des performances. L'État doit jouer un rôle essentiel pour défendre la spécificité ou, devrais-je dire, les spécificités. Au Canada, il y en a au moins deux. Il y en a peut-être plus, mais il y en a au moins deux. Je pense qu'on peut tous s'entendre là-dessus.

Les créateurs se sont regroupés au sein d'associations. Il y en a, autour de cette table, qui forment une partie importante de ces associations qui sont fondamentalement des associations de défense de leurs intérêts et qui ont en général une caractéristique: ce sont des associations à but non lucratif. Ces organisations, en règle générale—il y a des exceptions—, sont un lieu de défense des intérêts de ce milieu.

Cela dit, je pense que nous vivons maintenant dans un monde qui va au-delà de cela. Ce monde présuppose, dans le cadre de la mondialisation, une réévaluation du rôle et du soutien de l'État. Deuxièmement, il faut vivre avec les conséquences de l'utilisation de la loi du marché. Troisièmement, il faut bien apprécier le positionnement de ce qu'on appelle les industries culturelles, car elles existent dans le cadre de ces marchés, dans un contexte de mondialisation. Je m'explique.

Traditionnellement, au Canada, le gouvernement a défendu la ou les spécificités d'une façon défensive. Il a bloqué l'entrée d'un certain nombre de produits, formellement ou informellement, explicitement ou pas, de la façon qu'on appelle japonaise ou pas. C'est le débat autour des revues. Ou encore, il a soutenu la production de contenu canadien, mais toujours en regardant le marché canadien de l'univers de la culture et rarement en regardant à l'extérieur.

Un des défis des prochaines années sera de passer d'une approche essentiellement défensive à une approche visant à insérer le monde de la culture dans le contexte de la globalisation économique en permettant à des produits élaborés ici d'avoir une chance sur des marchés extérieurs.

• 1000

Je ne dis pas que c'est la seule chose qu'il faille faire, mais je dis que négliger de le faire, c'est manquer un bateau fondamental et qu'ultimement, ceux qui en souffriront seront les créateurs, les auteurs, les compositeurs. C'est une orientation qui présuppose que le gouvernement canadien, compte tenu du rôle important qu'il a joué historiquement dans ce domaine, et possiblement le gouvernement du Québec, doit effectuer un changement assez radical. Il faut passer d'une situation purement défensive dans l'utilisation de la fiscalité et des subventions pour les institutions à une approche un peu plus offensive sur le plan de la diffusion de la culture et des produits des créateurs culturels canadiens.

Le président: Monsieur Légaré.

M. Yves Légaré: Certains ont parlé de la télévision comme étant le secteur qui a connu le plus de succès. Effectivement, ce secteur a concurrencé les oeuvres étrangères avec beaucoup de succès.

Ce succès s'est bâti grâce aux moyens d'intervention, aux mesures qui ont été prises pour assurer sa vitalité. On parle de la Loi sur la radiodiffusion, des règles de contenu canadien, de la Loi sur le droit d'auteur, qui a pu jouer un rôle, et également de la création d'institutions culturelles comme Radio-Canada.

Ces mesures sont mises en question à l'heure actuelle par beaucoup de phénomènes: les nouvelles technologies, l'éclatement du paysage audiovisuel, les questions de globalisation des marchés, etc.

Il est fondamental que le Canada maintienne sa position en faveur de l'exception culturelle. Les positions qui ont été adoptées jusqu'à présent sont vraiment excellentes. On se demande cependant si, au-delà du discours, on va préserver les outils actuels. Entre autres, Radio-Canada a été l'objet de nombreuses coupures budgétaires ces dernières années. Cette institution a joué un rôle dans la vitalité du secteur.

Est-ce qu'on peut à la fois défendre les exceptions culturelles et dire que nous devons pouvoir assumer notre identité culturelle et notre développement culturel, risquant ainsi de mettre à mal des institutions qui sont fondamentales, des institutions qui ont été créées pour répondre à des impératifs culturels, qui ne doivent pas nécessairement avoir des impératifs commerciaux mais des impératifs culturels?

Notre inquiétude, c'est qu'au lieu de miser sur les acquis, on fasse fi des progrès qui ont été réalisés grâce aux institutions. Nous souhaitons que les lois et les interventions soient adaptées aux nouveaux problèmes, par exemple que la Loi sur le droit d'auteur soit adaptée aux problèmes des nouvelles technologies et que les institutions puissent avoir suffisamment d'argent pour répondre à l'éclatement du paysage audiovisuel et fournir un contenu canadien adéquat face à une demande de plus en plus grande.

Le président: Monsieur Dancyger et madame Lafleur. Je crois que M. Pierre-Marc Johnson nous a lancé un défi de taille. Il a dit qu'il fallait passer de la défensive à l'offensive pour s'adapter au monde nouveau. Est-ce qu'on est d'accord sur cela? Monsieur Légaré, vous deviez vous pencher surtout sur les éléments actuels qu'on doit adapter au monde nouveau.

M. Yves Légaré: Il ne s'agit pas nécessairement d'avoir une volonté de faire en sorte que les produits culturels circulent davantage, mais on doit quand même miser sur les acquis et ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Le président: D'accord.

M. Robert Pilon: J'aurais différentes choses à dire sur l'intervention de M. Johnson.

Le président: Laissez M. Dancyger et Mme Lafleur parler et je vous donnerai ensuite la parole. Vous en avez encore pour une dizaine de minutes? Je vous promets de vous donner la chance de répliquer.

M. Alain Dancyger: Avant de répondre à cette problématique, j'aimerais dire quelques petits mots sur la ou les problématiques de ce qu'on appelle les grandes institutions culturelles au Canada, dont font partie l'OSM, le Ballet national du Canada, les Grands ballets canadiens, etc.

J'aimerais signaler que nous vivons une situation assez critique à plusieurs titres et j'aimerais proposer ici plusieurs axes de réflexion ou priorités qui méritent d'être étudiés de manière plus fine.

• 1005

D'abord, avant de parler de ces priorités, j'aimerais prendre notre cas comme un case in point au niveau de la structure. Les Grands ballets canadiens, au niveau fédéral, dépendent de trois ministères. On dépend du Conseil des arts du Canada pour notre financement de base. Pour répondre à votre première question, c'est certainement une des plus belles initiatives que de nous donner un financement de base réparti sur trois ans. Donc, des plans triennaux nous sont demandés parce que cela correspond à notre réalité.

Le deuxième ministère auquel nous faisons affaire est le ministère des Affaires étrangères, pour l'aspect des tournées. Dans le domaine de la danse, comme dans celui de la musique, avec les orchestres symphoniques, cela représente à peu près 50 p. 100 de nos activités. Prenons le cas des Grands ballets canadiens. On peut décider que les États-Unis et l'Europe sont les deux marchés principaux pour lesquels on doit investir à long terme. Par contre, le ministère des Affaires étrangères nous dit, par exemple, que ce sont plutôt l'Inde et la Chine qui sont les priorités du gouvernement canadien. Quelle adéquation pouvons-nous voir entre notre réalité et notre produit, qui est compétitif, qu'on développe et pour lequel on investit, et des priorités qui sont plutôt d'ordre politique ou diplomatique?

Le troisième ministère est évidemment celui du Patrimoine canadien qui, à toutes fins utiles, est caduc parce que le fameux Programme d'initiatives culturelles n'a aucune enveloppe budgétaire. Donc, ce sont des programmes qui existent, mais qui sont virtuels parce qu'ils n'ont aucune enveloppe. Je ne vois pas l'intérêt d'avoir un programme sans aucune enveloppe budgétaire. Donc, je dirais que we have a problem there.

Il s'agit donc de l'une de nos priorités. Est-ce qu'il n'est pas logique de penser que les grands organismes culturels doivent planifier à long terme? Je signe aujourd'hui des contrats pour l'an 2001, non seulement avec des compagnies invitées que je fais venir à Montréal, mais aussi pour des tournées que je prévois sur ces deux marchés prioritaires. Est-ce qu'il ne serait pas concevable ou plutôt logique de penser qu'on puisse dépendre principalement d'un seul organisme et qu'il y ait ensuite un système de répartition de priorités et de responsabilités à l'intérieur du système fédéral? Je suis sûr que les différents ministères se parlent entre eux, mais je pense qu'il serait préférable qu'une seule structure soit en charge de cela.

Mes priorités et celles de mes collègues sont à cinq niveaux. Il y a d'abord le financement. On a des cas très clairs, notamment ici, à Montréal, d'organismes qui souffrent. Sans aller dans le détail du pourquoi et du comment, je dirai qu'il est clair que notre subvention de base, qui est la subvention la plus importante que nous recevons, provient du Conseil des arts du Canada. Cependant, le Conseil des arts du Canada décide que la gestion ne représente que 10 p. 100 de ses critères. Le poids de la gestion est donc de 10 p. 100 seulement. Par contre, l'organisme consacre probablement 90 p. 100 de son temps au financement. Là aussi, il y a un problème d'adéquation entre notre réalité et les critères établis. Qui dit problèmes de financement dit, à un moment donné, coupures, et c'est là qu'on a un impact sur le produit artistique.

Le deuxième aspect, qui est vraiment très crucial, est celui de la diffusion. On sait que les tournées, aussi bien au pays qu'à l'international, sont l'épine dorsale des institutions des arts de la scène, principalement en danse. Cependant, comme je l'ai mentionné, on dépend du ministère des Affaires étrangères. Je pense qu'il y a matière à revoir cela parce qu'il y a non seulement un problème de fonds, mais aussi un problème au niveau des modalités. Nous devons développer des marchés à long terme, prendre des orientations et des engagements financiers, tandis que le ministère des Affaires étrangères a très souvent une vue à très court terme; qui plus est, son financement est très peu adéquat par rapport aux besoins du marché.

La troisième priorité est le développement de l'auditoire. Il faut savoir que la plupart des organismes culturels comme les nôtres ont des coûts incompressibles. Nous avons des ententes collectives qui permettent d'assurer des conditions de travail adéquates à nos artistes. Nous sommes dans des lieux de diffusion dont les coûts sont incompressibles. Pour nous, c'est à la Place des arts.

• 1010

Il y a aussi le développement de l'auditoire en accordant une certaine priorité à certains segments de marché, notamment aux jeunes et aux communautés culturelles. À Montréal, c'est probablement l'avenir des 10 prochaines années.

Le quatrième aspect est celui des ressources humaines. Je crois qu'il faut reconnaître le manque de ressources qualifiées, notamment dans certains secteurs névralgiques comme le développement de l'auditoire.

La cinquième priorité est d'encourager les actions de concertation des organismes afin de développer la discipline et d'avoir une plus grande efficacité au niveau du développement de l'auditoire.

Le président: Merci. Madame Lafleur, puis-je vous demander votre indulgence? M. Pilon quitte à 10 h 15 et je vais lui donner la chance de parler si c'est possible.

Monsieur Pilon.

M. Robert Pilon: Je fais partie du SAGIT, le comité consultatif sur la culture et le commerce international, un organisme de consultation du ministre du Commerce international, M. Marchi, qui regroupe une vingtaine de personnes de différents horizons du secteur de la culture et des communications. Il nous a fallu deux ans de débats extrêmement laborieux—sans révéler le secret—pour accoucher d'un rapport qui a été rendu public la semaine passée. J'en parlais avec un collègue de la SOCAN, qui me signalait fort justement que le rapport était rempli de phrases contradictoires. Ce n'est pas surprenant. C'est le débat.

Vous allez trouver dans ce rapport une phrase qui dit: Oui, mais avec les nouvelles technologies, tout est changé et on ne peut probablement plus faire quoi que ce soit en termes de politique culturelle. Trois pages plus loin, vous allez trouver une autre phrase, que j'ai écrite, qui dit: Avec les nouvelles technologies, il est plus important que jamais de maintenir des politiques culturelles adéquates.

Le débat est là, et je pense que les choses ne sont pas aussi simples que M. Johnson le dit. Je ne pense pas qu'on puisse dire que nous avions autrefois une politique défensive et que nous devrons désormais avoir une politique offensive.

Pour revenir au cours d'Économie 101, je ne connais aucun secteur de l'économie, dans quelque pays que ce soit, qui ait pu avoir du succès en exportation sans avoir auparavant construit une base domestique solide. Même si vous ne prenez pas cela du point de vue culturel, monsieur Johnson, même si vous le prenez uniquement d'un point de vue d'affaires, d'un point de vue vulgairement économique, une stratégie qui serait axée uniquement sur la conquête des marchés mondiaux n'aurait pas de bon sens; il faut d'abord avoir une stratégie de structuration sur le marché domestique.

L'actuel discours néo-libéral est une illusion, un miroir aux alouettes. On ne cesse de dire: Arrêtez de vous faire protéger, de vous faire soutenir par les gouvernements, de vous faire prendre par la main par les gouvernements; soyez de grands garçons, soyez bons, allez de l'avant et tout le monde va acheter vos produits sur le marché international. C'est une illusion qui ne tient pas compte d'une chose extrêmement simple que j'ai dite au tout début de mon intervention. Dans notre secteur, la plus grosse entreprise au Québec a peut-être 5 millions de dollars de chiffre d'affaires, alors que ses concurrents ont 5 milliards de dollars de chiffre d'affaires. C'est bien beau, les règles du marché et la mondialisation, mais on est loin d'Adam Smith. Elle n'existe pas, la concurrence pure et parfaite.

On dit qu'il suffit d'être audacieux et agressif pour réussir et qu'il faut arrêter de se faire protéger. Eh bien, cela va nous amener—excusez-moi, les économistes—aux théories de Ricardo: la spécialisation. Les Portugais ont toutes les qualités qu'il faut pour faire du porto. Eh bien, qu'ils fassent du porto et ils vont en vendre partout à travers le monde. Pour les Italiens, c'est le fromage parmesan. Pour les Américains, ce sera les chansons et les films parce qu'ils sont bons dans les industries culturelles. Ce sera cela, leur spécialité. C'est la théorie des avantages comparés. Les choses ne marchent pas comme ça. Si on laisse aller le libre marché, c'est comme cela que cela va fonctionner.

Je me suis mis à l'espagnol ces derniers temps, un vieux rêve. Je commence à être capable de lire un roman en espagnol et j'ai un plaisir immense à découvrir tout un pan de culture absolument extraordinaire au niveau du cinéma et au niveau de la littérature. Certaines choses qui étaient plus théoriques pour moi auparavant deviennent plus concrètes.

Il y a un certain nombre de produits qui, de toute façon, peu importe l'action des gouvernements, vont devenir de grandes choses à l'échelle internationale: Garcia Marquez dans le domaine de la littérature, Céline Dion dans le domaine de la musique populaire, etc. On s'en réjouit. C'est extraordinaire.

• 1015

Mais derrière cela, combien y a-t-il d'écrivains colombiens, à part Garcia Marquez, qui sont importants pour la littérature en Colombie? Combien y a-t-il d'artistes de la chanson qui sont importants pour la culture canadienne et la culture québécoise et qui ne connaîtront pas les succès d'exportation de Céline Dion?

Est-ce qu'on doit faire nos politiques uniquement en fonction de quelques grandes vedettes et dire que notre but est d'avoir des stars internationales qui occupent le marché mondial? Est-ce que notre but est de répondre au modèle américain par un contre-modèle américain ou si c'est de dire que les citoyens canadiens ont le droit d'avoir accès à la création de leurs créateurs et aux productions de leurs producteurs? Est-ce qu'on peut s'organiser pour que ceci existe, pour créer un espace pour nos productions à l'intérieur de notre pays? Les Portugais peuvent faire la même chose dans leur pays.

C'est tant mieux s'il y a un maximum d'échanges, mais attention: il ne faut pas confondre les échanges qui devraient exister... Je serais heureux d'entendre de la chanson brésilienne à la radio. Je céderais peut-être même un point ou deux de quota pour cela, mais ce n'est pas cela que je vais entendre si on cède des points de quota. Je vais entendre encore plus de Madonna, même si je suis personnellement un grand fan de Madonna. On va entendre more of the same.

Au sujet de la protection, monsieur Johnson, il y a quelque chose qui me renverse. Dans le domaine de l'environnement, et je pense que vous êtes un grand fan de cela, personne ne se gêne pour employer le mot «protection». On veut construire un nouveau développement domiciliaire quelque part dans les Cantons de l'Est. Tout à coup, on découvre qu'il y a là un sanctuaire d'oiseaux. On arrête tout, car il faut protéger le sanctuaire d'oiseaux. C'est super important.

En va-t-il de même quand il s'agit de se demander s'il y aura encore de la chanson brésilienne, de la littérature portugaise ou des films canadiens ou québécois dans 10 ans? Il paraît que c'est une mesure protectionniste et qu'il faut arrêter de tenir ce langage rétrograde. Il faut aller de l'avant et être bons. Si on fait de bons films, on va les acheter partout à travers le monde. Si on fait de bonnes chansons, on va les acheter partout à travers le monde. Il est quand même aberrant que la protection des canards sauvages et des truites devienne plus importante que la protection et la défense de notre culture. Il y a là quelque chose que j'ai de la misère à comprendre.

Le président: Je pense que vous devriez rester. On ferait un débat intéressant.

Madame Lafleur.

Mme France Lafleur: Tout d'abord, je voudrais dire que j'appuie totalement ce que Robert vient de dire. Je suis totalement d'accord. Je pense que cela concerne autant l'industrie du disque que la création.

Cependant, on a des intérêts différents au niveau de l'industrie par rapport à la création. C'est pour cela qu'au niveau de la création, nous avons une attitude tellement défensive. Nous sommes en train de perdre le peu que nous avons. En ce moment, les créateurs se battent non seulement pour leur salaire, mais également pour la survie de leur gestion collective.

Comme les intérêts de l'industrie et de la création sont souvent différents, comment se fait-il que la Loi sur le droit d'auteur, qui est la loi pour les créateurs et les titulaires de droits, soit sous la juridiction conjointe de Patrimoine Canada et d'Industrie Canada? Pour moi, c'est un non-sens, et il me semble qu'il serait impératif et primordial que Patrimoine Canada revendique la paternité et la juridiction de la Loi sur le droit d'auteur, qui a trait à la création.

Dans le même ordre d'idées, comment se fait-il que Patrimoine Canada n'ait pas juridiction sur la Commission du droit d'auteur alors que c'est vous qui payez les frais de la commission? Industrie Canada, qui a autorité sur la Commission du droit d'auteur, n'a pas payé un sou, l'année dernière, des frais de la commission alors que Patrimoine Canada a investi 100 000 $. On entend dire également que Patrimoine Canada va devoir investir 200 000 $ cette année alors qu'Industrie Canada n'aura rien à payer.

Comment se fait-il qu'on ait élargi le mandat de la Commission du droit d'auteur après l'adoption de C-32—il y a maintenant les droits voisins et la copie privée—et qu'on ait réduit la commission? Pour la copie privée, il y a un seul commissaire qui ne parle pas français. Donc, nous ne pourrons pas aller témoigner devant la commission. C'est ridicule que Patrimoine Canada n'ait pas juridiction sur la Commission du droit d'auteur alors qu'il paie pour cela, tout autant que nous par nos taxes, et qu'Industrie Canada ne fait rien et ne fournit aucun montant d'argent. Nous voudrions que Patrimoine Canada reprenne l'autorité et le contrôle de la loi et de la commission. Ce ne serait que juste et équitable.

Dans un autre ordre d'idées, au niveau de la protection, le CRTC a fait beaucoup à l'égard du contenu canadien. Cela a aidé l'industrie et les créateurs parce qu'on peut maintenant entendre les oeuvres de nos créateurs.

• 1020

Avec les nouvelles technologies et les nouveaux médias, il me semble également impératif que le CRTC fasse des contrôles et réglemente le contenu canadien et le contenu québécois sur les nouveaux médias. En ce sens, la SOCAN a déposé un mémoire et a comparu devant le CRTC il y a deux semaines, et on comparaît devant le Sénat la semaine prochaine. Je pense que vous devriez également pousser pour que le CRTC réglemente le contenu sur Internet et les nouvelles technologies. Merci.

Le président: Merci beaucoup, madame Lafleur.

Monsieur Johnson.

M. Pierre-Marc Johnson: Non microphone semblait ne pas bien fonctionner au début. Sans cela, M. Pilon n'aurait pas caricaturé ma position comme il l'a fait.

Il existe au Canada une industrie de la défense de la culture financée en bonne partie par le secrétariat depuis 50 ans, et c'est normal. Il y a 250 millions d'Américains au sud. Il y avait 20 à 25 millions de personnes ici. Il y avait un besoin de se défendre. On l'a fait dans le cas des chemins de fer au siècle dernier. On l'a fait dans le cas de la culture dans la deuxième partie du XXe siècle et on va continuer de le faire. La question n'est pas là.

La question, c'est que pendant qu'on s'adonne à la défense des spécificités du Canada, il se passe, dans le reste du monde, quelque chose qui s'appelle 200 canaux de télévision auxquels mes enfants ont accès, qui s'appelle l'Internet sur lequel il n'y a aucun contrôle étatique possible quant au contenu. Il y a juste la Chine qui essaie de faire cela. Ce sont des réalités qu'on ne peut pas ignorer.

Ce que je dis, c'est qu'on n'a pas beaucoup l'habitude au Canada, en matière culturelle, de se positionner dans cette réalité d'ouverture et de porosité des frontières. Nous n'avons pas cette tradition. Nous l'avons sur le plan industriel, d'une façon remarquable. Quand presque 40 p. 100 de son PIB est attribuable aux exportations, ce qui est le cas du Canada, on développe une politique étrangère et industrielle assez basée, merci, sur la notion d'un positionnement international.

En matière de culture, on ne l'a pas fait historiquement, et je vous soumets qu'il faut le faire. On ne peut pas ignorer ces réalités, et ces réalités ne sont pas à sens unique. Elles ne sont pas que la pénétration du produit extérieur sur notre territoire. Elles doivent aussi être l'occasion de développer des vecteurs de notre pénétration des territoires extérieurs. C'est cela, mon argument. La question est de savoir au service de quels objectifs on fait cela et comment on le fait.

À mon avis, il y a trois objectifs. Il pourrait y en avoir plus, mais j'en vois trois.

Premièrement, il faut favoriser la diffusion hors frontières d'un certain nombre d'éléments de nature culturelle qui nous sont spécifiques parce que l'on y excelle ou parce qu'on s'y retrouve. Nous avons nos Vinicius de Moraes du Québec et du Canada, pour reprendre vos intérêts brésiliens ou latino-américains, monsieur Pilon.

Deuxièmement, il faut favoriser la capacité de nos intervenants d'avoir un poids spécifique, autant pour des raisons économiques et fiscales que culturelles. Pourquoi? Parce que dans le monde de libre-échange dans lequel nous vivons et dans lequel nous continuerons de vivre, le monde culturel ne s'isolera pas à 100 p. 100. Malgré l'exception culturelle, que je défends et sur laquelle je suis d'accord, nous devrons nous donner des infrastructures et des capacités d'intervention dans un encadrement de nature du marché autour d'un certain nombre de produits culturels.

Cela dit, ce n'est pas vrai pour tout. Je ne suis pas sûr que ce soit vrai pour le ballet, par exemple, qui sera toujours un peu prisonnier de la coopération, qui sera toujours un peu au service de la politique culturelle du Canada en matière étrangère. C'est plus vrai pour la chanson et pour la musique instrumentale. C'est beaucoup plus vrai pour la vidéo, dans certains cas, et pour le film.

À partir du moment où on se dit qu'il faut faire face aux conséquences de la porosité des frontières pour que cela se joue à deux sens, il faut se donner des moyens. Parmi ces moyens-là, il y a les subventions, il y a une fiscalité qui le permet, puis il y a une reconnaissance réelle de ceux qui font des efforts dans ce sens.

• 1025

Tout le système est axé essentiellement sur des mesures défensives, dont je reconnais l'importance, mais si on ne s'occupe pas du reste, il va nous manquer un jour un grand pan de mur. Pourquoi? Parce que quand mes enfants vont zapper sur les 200 postes de télévision auxquels on a accès, ils ne verront rien qui leur ressemble si on ne fait pas un certain effort. Je pense que c'est essentiel.

M. Robert Pilon: Permettez-moi de faire une brève remarque. Je pense que ce n'est pas vrai, monsieur Johnson, qu'il n'y a jamais rien eu de fait en termes de construction vers l'exportation. Regardons ce qui a été fait au niveau de la télévision par le gouvernement fédéral dans les 10 dernières années. Aujourd'hui, vous avez des joueurs de calibre international: Lantos, Alliance, CINAR, Coscient et ainsi de suite. Donc, c'est faux de dire que la politique canadienne a été essentiellement défensive. Elle a aussi été proactive. Elle a servi à construire des entreprises qui pouvaient être solides sur le marché domestique et, par conséquent, devenir des joueurs sur le marché international. Je ne pense pas que c'est aussi noir et blanc que vous le dites. C'est un peu ce que reprochais à votre intervention que j'ai, je l'admets, caricaturée volontairement.

Sur la question de l'ouverture et des 200 canaux, une chose me rend soucieux. Je suis un très grand partisan de l'ouverture, mais je ne veux pas sombrer dans l'angélisme. Si l'ouverture veut dire que 198 des 200 canaux vont être des canaux américains, ce n'est pas ce qu'on veut. C'est vrai qu'on veut que nos productions soient vues à l'étranger. On ne peut pas rêver en couleur et vouloir que nos productions soient vues à l'étranger sans ouvrir la porte aux étrangers. Je n'ai aucun problème à ce que nous soyons plus présents sur le marché italien, sur le marché coréen, sur le marché chinois, sur le marché américain, sur l'ensemble des marchés, et qu'en contrepartie, il faille faire des deals. Regardez les accords de coproduction au cinéma. C'est quelque chose d'intéressant parce qu'il y a un deal qui va dans les deux sens. Dans les pays où il y a des quotas, les productions canadiennes faites en coproduction vont entrer dans les quotas du pays étranger et vice versa. Je trouve ça intéressant. C'est peut-être à ces choses-là qu'il faut travailler: ouvrir abstraitement le marché. Sans un certain nombres de paramètres et de balises, on ouvre le marché à l'envahissement américain, point à la ligne. Je suis un grand fan des productions culturelles américaines dans tous les domaines, mais j'aimerais aussi avoir de l'italien, du brésilien, du portugais et ainsi de suite, et pourquoi pas du chinois. Je ne connais pas le chinois, mais je connais le cinéma chinois, que j'aime beaucoup. C'est cela qu'il faut trouver. Il faut éviter l'angélisme dans ces trucs-là.

Le président: Après avoir entendu ce que M. Johnson et M. Pilon ont dit, je pense qu'il y a des points de rencontre. Je pense que vous dites l'un et l'autre qu'il ne faut pas favoriser l'un au détriment de l'autre. Il faut que les deux travaillent ensemble.

[Traduction]

M. Andy Nulman: Je vous remercie. Nous approchons de la fin des exposés, et comme c'est souvent le cas lorsqu'on parle en dernier, d'autres ont déjà dit tout ce que j'avais de brillant à dire. J'espère que vous accepterez cette excuse.

Je constate en regardant autour de la table—et je ne pense pas vraiment me tromper—que je suis le plus jeune. N'est-ce pas le cas? Je pense être le plus jeune, même si ce n'est peut-être pas de beaucoup...

M. Pierre-Marc Johnson: Le plus jeune homme.

M. Andy Nulman: Je suis le plus jeune homme à cette table, mais il n'en demeure pas moins que je suis vieux. Je le souligne puisque nous devions nous pencher sur la question de l'évolution démographique.

Je crois qu'il y aura un changement de la garde et que ce changement aura lieu beaucoup plus tôt que nous ne pourrions le croire. Nous pouvons mettre en oeuvre toutes les mesures protectionnistes que nous voulons, et je ne m'oppose pas à celles-ci, mais le marché, comme Pierre-Marc vient de le souligner, et pas nécessairement les forces du marché, mais la jeunesse, trouveront une façon de les contourner. Le MP3, dont M. Pilon parlait, n'est pas seulement une nouvelle technologie. À mon sens, c'est un mouvement de protestation. J'ai visité ce site Web, mais je trouve plus facile d'acheter un disque compact dans un magasin de disques plutôt que de le télécharger et de le faire jouer sur mon ordinateur. Mes enfants voient cependant les choses autrement. Pour eux, le MP3 n'est pas seulement une nouvelle technologie, mais un moyen de contestation et ce sont mes enfants qui prendront les décisions dans l'avenir.

• 1030

La nouvelle technologie appelle de nouvelles règles; les nouvelles règles appellent à leur tour de nouveaux décisionnaires; et de nouveaux décisionnaires appellent eux de nouveaux leaders. Je viens de lire un article dans la revue Shift. Je précise pour la gouverne du comité qu'il s'agit d'une revue canadienne. Cette revue consacrait un article à un jeune bolé de 14 ans qui est chargé d'établir un réseau informatique dans toute la Jamaïque. Les nouveaux leaders, la nouvelle technologie et les nouvelles règles sont pour demain, et demain est déjà là.

J'espère donc que ces nouveaux chefs de file trouveront moyen de rendre le Canada cool, branché, pour le positionner à l'échelle mondiale et—pour me servir d'une expression que connaît peut-être mieux Mme Tremblay—pour asseoir vraiment le Canada comme société distincte dans le monde, pas seulement pour les étrangers, mais pour les habitants du pays également. Je vais en parler très rapidement un peu plus tard; mais Gilbert et Pierre-Marc ont parlé d'exporter et je trouve qu'il est important de trouver moyen de gagner sa vie au Canada, en étant des Canadiens, avec une culture canadienne. Nous devons trouver le moyen de soutenir nos propres artistes, nos émissions télé, nos films, etc.

Je trouve inacceptable d'être l'équipe-école du monde. Même si c'était chouette de voir tous ces gens de chez nous gagner des prix Grammy hier soir, nous sommes l'équipe-école du monde. Nous mettons en place des vedettes qui seront aspirées par la machine internationale américaine. À mon sens, il est tout aussi, sinon plus important, que les Tragically Hip vendent 500 000 albums au Canada que de voir Alanis Morissette ou Céline Dion vendre 25 millions d'albums à l'échelle mondiale. Pour moi, ces 500 000 albums vendus par un groupe canadien au Canada représente une statistique très importante et significative.

Je m'inquiète de la situation de gens comme Alanis et Céline. Je ne sais même pas si elles ont encore des résidences au Canada, du fait des problèmes de fiscalité, mais ce sont des gens qui se sont fait aspirer par la machine internationale. Elles vont faire des films, toutes sortes de bandes sonores, du travail de tous genres, mais qu'est-ce qui va nous revenir de tout cela?

La même chose arrive à nos comiques canadiens de Juste pour Rire. Ce sont des gens qui se servent du festival comme tremplin et que les studios américains et les émissions de télévision américaines happent ensuite avec des contrats alléchants. Regardez un peu combien on payait Jim Carey. Il y a neuf ans, au Canada, on lui donnait 2 000 $ par semaine pour faire un spectacle. Aujourd'hui, Jim Carey n'éternue pas en public pour 2 000 $. Il fait 20 millions de dollars par film. Voilà donc ce qui se passe, et nous sommes leur tremplin pour se lancer dans le monde.

Comment garder ces gens ici? Je déteste penser que nos arts et notre culture suivront les mêmes chemins que nos denrées, nos forêts, nos mines, que l'on va raser nos forêts inventives, que l'on va exploiter nos mines créatives et que le Canada deviendra une sorte de gouffre artistique. Je ne veux pas voir cela se produire.

Gilbert a parlé des exportations. Je veux parler un peu d'importation, pas seulement de l'importation de touristes, mais de l'importance de la culture canadienne pour les habitants du Canada. Il y a, en ce moment, cinq événements artistiques et culturels au Canada—je ne veux pas vraiment les nommer, mais il y en a cinq qui me viennent tout de suite à l'esprit—qui sont d'importance internationale. Nous parlons tout le temps du rôle d'un événement dans le monde de la culture, mais parfois nous négligeons son importance à l'échelle locale. Je songe au Festival de jazz, à Juste pour Rire, à Stratford, pour n'en nommer que trois. Ce sont des événements qui amènent des touristes et, chose encore plus importante, qui plaisent aux Canadiens, qui plaisent aux Québécois. Je ne veux pas être trop ouvertement politique, mais ces événements plaisent aux électeurs. Je pense qu'il est important de nous assurer de prendre soin des événements qui se passent chez nous.

Parfois, nous mettons la charrue devant les boeufs. Nous faisons les choses à l'envers. Je vous donne l'exemple de l'OCTGM, l'Office des congrès et du tourisme du Grand-Montréal, qui, il y a quelques années, a organisé une campagne sur le thème «La Ville des festivals»; ils ont fait étalage de Montréal comme ville des festivals, chose que nous trouvions très excitante. Je pense qu'ils ont dépensé huit millions de dollars pour cette promotion, pour amener des gens à Montréal, la Ville des festivals. Mais devinez un peu combien nous avons reçu pour en faire la production et la promotion? Il y avait huit millions de dollars, et nous avons reçu zéro pour faire la production. C'est un petit peu absurde. C'est un peu comme réaliser d'immenses campagnes publicitaires pour un produit dont je ne dirai pas nécessairement qu'il n'existe pas, mais on fait tout cet immense battage publicitaire, et nous nous retrouvons ensuite à nous demander ce qui nous revient à nous.

Lorsque je dis que nous avons constamment besoin de soutien—Gilbert en a fait état un peu plus tôt, ainsi qu'André—je pense qu'autour de cette table tout le monde est d'accord. Lorsque nous disons avoir besoin d'un soutien constant, ce n'est pas seulement pour les autres. Nous devons soutenir ces événements, ces artistes, toute la culture canadienne, pas seulement pour la terre entière, mais pour nous.

C'est tout.

Le président: Merci, monsieur Nulman. Bien envoyé.

Nous avons ensuite Mme Bean.

Je vous rappelle à tous qu'il est 10 h 45; nous pourrions donc essayer d'être concis, afin que chacun ait la possibilité de parler.

• 1035

Mme Audrey Bean: D'accord.

Pour marcher sur les traces de Andy Nulman, j'estime que Radio-Canada est vraiment l'instrument qui nous permet de voir notre propre culture. J'ai rédigé un petit mémoire—il y a des exemplaires pour tout le monde—au sujet de certains éléments qui, selon moi, sont importants comme sources de culture civique au Canada. Cela inclut l'éducation du public par l'entremise de forums, les normes du discours public, que Radio-Canada aide vraiment à établir, et le sentiment de la mémoire, de notre mémoire nationale et culturelle. Nous nous y mirons; c'est comme un miroir, et pour se souvenir et pour se voir à l'heure actuelle; c'est une source de cohésion dans un pays d'une riche diversité démographique et culturelle.

[Français]

Parmi les questions que vous nous avez posées, il y a celle de la diversité démographique. Je crois que cette diversité rend nécessaire un réseau public national comme Radio-Canada. La globalisation pose une menace extrême à ce genre d'institution parce qu'elle favorise l'entreprise privée et la technologie, y compris l'Internet, par exemple. Elle favorise un genre de communication anonyme au lieu du genre de communication responsable que Radio-Canada et CBC favorisent.

Quant au rôle du gouvernement, je pense qu'on voit maintenant se dégager un genre de fierté à critiquer les programmes publics, les programmes gouvernementaux. C'est très troublant et cela mine les institutions comme Radio-Canada.

J'aimerais demander aux personnes autour de cette table, qu'elles témoignent à titre personnel ou qu'elles représentent des regroupements ou institutions culturels, si Radio-Canada est importante pour elles. Est-ce que Radio-Canada est importante pour vous dans les secteurs de la culture et des arts?

Le président: Merci. Monsieur Rozon.

M. Gilbert Rozon: Je ne pensais pas lancer tout à l'heure un débat sur l'exportation qui positionnerait les gens d'une façon aussi radicale. J'ai simplement parlé d'un instrument de financement qui nous manque et qui s'appelle le capital de risque. Je n'ai pas parlé de subventions ou d'appauvrir le gouvernement.

Je pourrais donner l'exemple du financement qu'a reçu Cirque du Soleil de la part de Steve Winn et de ses fameux casinos pour réussir à sortir du pays. Il n'a pas trouvé l'argent ici. On pourrait aussi parler du capital qu'ont investi les Français dans les productions Starmania et Notre-Dame de Paris. de Luc Plamondon. Ce dernier n'en avait pas trouvé ici, au Québec. Il nous manque donc un instrument financier qui n'est pas une subvention. Il a fallu compter sur des investisseurs qui étaient probablement stimulés par une politique de taxation ou tout simplement par une prise de conscience qu'il y a là un grand potentiel. Celui qui a risqué quelques millions de dollars pour produire Notre-Dame de Paris n'est pas à plaindre aujourd'hui; il peut arrêter de travailler pour le reste de ses jours. Ce n'est donc pas un risque complètement farfelu.

Je suis un peu étonné des rapports de MM. Johnson et Pilon. Je crois qu'il faut défendre notre culture et soutenir ce qui se passe ici, mais pas au détriment de la part de marché international qu'on peut accaparer et de la possibilité pour nos artistes de gagner plus d'argent, de diffuser à plus grande échelle et d'être mieux connus à travers le monde. Il manque un instrument financier qui n'est certainement pas une subvention.

J'aimerais revenir sur la question des festivals que j'ai un peu survolée tout à l'heure. Il y a 15 ans, quand on a commencé à faire des festivals, c'était un phénomène relativement national. Avec tous les moyens de communication qu'on a aujourd'hui, une tendance s'est développée. Lorsque les gens viennent à un festival, que ce soit le Festival international de jazz de Montréal ou le Festival des films du monde à Montréal, ils viennent pour voir ce qu'il y a de mieux dans une discipline. Ils sont débordés sur tous les fronts et, à un moment donné, ils se disent: Pendant 10 jours, j'ai la chance de voir chez nous les meilleurs de la planète. Mais c'est aussi le cas des industriels étrangers. Lorsqu'on a commencé, on n'a jamais eu un cent pour développer le marché. On s'est réveillés l'année passée avec presque 1 200 décideurs qui sont descendus à Montréal, en jet privé ou en première classe, pour trouver les meilleurs talents. Walt Disney avait envoyé 40 de ses décideurs parce que la star de la série télévisée Home Improvement était un humoriste inconnu qui a été découvert chez nous.

• 1040

Il y a aussi une tendance internationale, et ce n'est pas relié uniquement à Juste pour rire. Il faut profiter de cette évolution des événements. Andy insistait sur le fait qu'il y a cinq événements au Canada. Qu'il y en ait cinq, trois ou sept, quand on regarde à l'échelle mondiale, on est impressionné par le Festival de Rio ou celui de Cannes, mais quand on a ici des événements de la même importance ou de la même amplitude à l'échelle internationale, ça fait partie des moeurs. Moi, je ne tiens pas cela pour acquis.

Je considère que le fait que notre festival de jazz est premier dans sa catégorie sur la planète et que Juste pour rire est un des leaders représente une contribution pour les artistes canadiens eux-mêmes, ainsi que pour le tourisme. On se sert beaucoup de tels événements pour donner une spécificité, une personnalité à Montréal. Cela vaut beaucoup mieux que de diffuser à l'étranger des images telles celles de Kahnawake; il y avait des problèmes à l'époque. Je préfère voir passer les images de Juste pour rire et celles de gens qui s'amusent dans la rue à Entertainment Tonight et aux nouvelles de NBC. Je préfère cela aux petits problèmes qu'on diffuse parfois à l'étranger. Ces événements sont importants aux niveaux touristique et économique. Quand on parle de culture, on a toujours peur de parler d'économie. Mais chaque étude commandée par les gouvernements, par leurs analystes du Trésor ou des finances, démontre qu'on leur renvoie directement de 10 à 15 fois l'argent qu'ils nous versent, sans parler de la contribution des touristes qui viennent à Montréal pour assister à ces événements, comme j'en faisais état tout à l'heure.

Ces événements sont importants en termes de rayonnement parce que des dizaines de journalistes viennent à Montréal et que de nombreuses émissions de télévision en sont tirées. On parle de nous à l'étranger d'une façon extrêmement positive et c'est un outil que nos artistes plébiscitent et dont ils ont besoin pour se faire connaître et réussir à percer parmi d'autres artistes.

Par ces événements à Montréal, on a doucement développé une personnalité au niveau de la gratuité. Juste pour rire dépense plus de 2 millions de dollars dans la rue pour offrir des spectacles gratuits et offrir à la population un festival populaire. Et, tenez-vous bien, il ne reçoit que 60 000 $ de la part des gouvernements pour le faire. Il y a un léger écart entre les deux. Donc, on a fait notre travail et on est allés chercher notre commandite. J'ai peine à me présenter ce matin sans avoir un placard d'une compagnie de cigarette ou d'une compagnie de loterie. On est allés chercher de l'argent dans le privé autant qu'il était possible de le faire, mais il vient un moment donné où il n'y a plus rien à vendre. Le soutien des gouvernements à ce niveau est donc très important.

Je terminerai en racontant une anecdote à laquelle je fais parfois allusion. Il y a 17 ans, on était le seul événement d'humour sur la planète. C'était donc facile d'être premier. En l'espace de 15 ans, au moins une cinquantaine de festivals ont surgi partout sur la planète: à Melbourne, à Perth, dans toutes les grandes villes australiennes, en Angleterre, en Irlande, en Écosse, à Cannes, à Montreux et dans les grandes villes un peu partout aux États-Unis. On s'est vite retrouvés, il y a quatre ou cinq ans, face à des concurrents féroces. Le directeur du Festival de cinéma de Cannes me disait, lorsque je l'ai rencontré, qu'il reçoit, juste du milieu privé, des subventions de l'ordre de 52 p. 100. Quand je compare cela à mes contributions de l'ordre de 6 p. 100, je le regarde avec envie. Là-bas, on perçoit des taxes dans les hôtels et les restaurants, et les gouvernements en ont fait un positionnement stratégique d'État. Il va sans dire qu'il est tentant de les envier. On n'a pas ce genre de soutien.

À Aspen, au Colorado, c'est un autre problème. Time Warner, une firme dont le chiffre d'affaires doit s'élever à 20 milliards de dollars—je ne connais pas les derniers chiffres—arrive et se dit qu'il serait bon de faire un festival. Elle y investit 5 millions de dollars américains. Elle possède une dizaine d'avions privés, dont elle se sert pour aller chercher des stars, ainsi que tout un réseau de cinéma et de télévision. Elle peut dire à un artiste: Il serait bon que tu viennes à notre festival parce que, comme tu le sais, on finance tes trois prochains films ou ta prochaine série télévisée; tu sais aussi qu'on finance ta vie privée depuis 10 ans.

Nous faisons donc face à une concurrence féroce. Il y a trois ans, on a crié au secours. André et Alain Simon étaient parmi les artisans. On est allés se battre. On a sorti des études parce qu'on était sur le point de crever. On était à un point où on se faisait planter. On devenait les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes. La métropole et le ministère du Développement économique régional, non pas le ministère du Patrimoine canadien, nous ont accordé des fonds. Ce dernier ne nous a pas donné son écoute. Cela n'intéressait pas Mme Copps. Pour obtenir des fonds auprès du ministère du Développement économique régional, nous avons dû exercer des pressions politiques terribles. Tous les autres événements de la région de Montréal en ont bénéficié, et c'est tant mieux. La modeste somme de 400 000 $ d'argent frais qu'on a reçue nous a permis de tripler notre auditoire, d'attirer deux fois plus de gens en provenance de l'étranger et d'offrir des productions de meilleure qualité. Tous les sondages et toutes les études ont révélé que le public jugeait que notre festival était bien meilleur. De plus, on a généré des revenus supplémentaires pour l'économie. Je dis donc oui au capital de risque. Il y a un besoin criant au niveau «macro». Quant à notre petit festival, qui est de taille mondiale, qui tente de continuer à percer sur le marché mondial et qui fait face à la compétition mondiale, il a besoin d'un soutien plus important. Le gouvernement récoltera plusieurs fois les sommes qu'il y aura investies. Merci.

• 1045

Le président: Merci, monsieur Rozon.

Monsieur Ménard.

M. André Ménard: Je voudrais répondre à la question de Mme Bean au sujet de Radio-Canada. Oui, Radio-Canada est très importante. On est toujours consternés de voir que, d'année en année, on réduit la taille de Radio-Canada et son enveloppe budgétaire. Devant la dictature des formats qui règne à la radio privée, il est absolument essentiel que Radio-Canada demeure en santé et qu'au moins une radio, soit la radio de Radio-Canada—on ne parlera pas de la télé car c'est une autre problématique—demeure une radio forte avec une vraie antenne, un vrai pouvoir de diffuser, ce qui n'est malheureusement pas le cas des radios communautaires, et des contenus qui soient d'ici. Il y a beaucoup d'auteurs-compositeurs québécois qu'on n'entendrait jamais si ce n'était de Radio-Canada. En général, on dit qu'on lutte pour que la chanson francophone soit diffusée à la radio privée. C'est réel. À Radio-Canada, ça n'a jamais été le cas. On lutte tout le temps pour sa survie, ce qui crée beaucoup de malaises et porte atteinte à sa capacité de se produire. En ce moment, elle en est réduite à faire son payroll et à faire jouer des disques.

Auparavant, Radio-Canada faisait beaucoup de productions, y compris des concerts avec des partenaires. Mais cela a fondu comme peau de chagrin. Radio-Canada doit retrouver sa place de leader sur ce plan. Elle est loin de la belle époque d'il y a 15 ou 20 ans, où on pouvait faire une captation et créer des concerts avec elle. Elle avait toujours joui d'une certaine flexibilité structurelle à ce point de vue-là, mais ce n'est plus le cas. Tout ce qu'il lui reste, ce sont des employés payés pour nous dire qu'ils n'ont pas de budget pour ça. C'est plutôt ennuyeux.

[Traduction]

Le président: Madame Mermelstein.

Mme Judith Mermelstein: Pardonnez-moi, je vais commencer cet exposé en anglais.

Ce que je tiens à dire, d'abord et avant tout, c'est qu'il faut faire une distinction entre les industries culturelles et les produits culturels. Très souvent, nous nous embourbons, surtout lorsque nous traitons d'un domaine artistique qui est également un domaine commercial. Les décisions prises au titre de la mondialisation sont des décisions commerciales. Les décisions de se lancer sur les marchés internationaux, de faire la promotion d'un festival local ou de faire une tournée d'une troupe de ballet au Canada, relèvent des deux aspects.

La culture de base du pays dépend de choses telles que les artistes, les créateurs. Les budgets des deux voix d'expression qui leur sont consacrées, Radio-Canada et l'Office national du film, ont été très durement comprimés.

Je me souviens qu'au cours des années 60—je ne sais plus si c'était en 1963 ou en 1965—il y a eu une commission royale sur les arts au Canada; elle avait publié un très gros rapport. À l'époque, le revenu moyen des artistes, écrivains et danseurs compris, était d'environ 3 000 0. Nous sommes en 1999, et le revenu moyen des gens qui vivent des arts est de 12 000 $, ce qui permet d'acheter à peu près la même chose que 3 000 $ le permettaient au cours des années 60.

Nos artistes ne profitent pas du boum économique. Ils sont en train de perdre les lieux où présenter leurs spectacles, les éditeurs qui publient leurs oeuvres et leur accès aux oeuvres créées par d'autres, parce qu'ils n'ont pas les moyens d'aller voir ces spectacles ou d'acheter ces livres. La culture canadienne est en très grande difficulté en ce moment, à cause de cela.

• 1050

En matière de culture, il y a certaines choses qui ne peuvent pas être axées sur les marchés. Il est absolument impossible de créer un vaste marché international lucratif pour les poèmes canadiens. Nous avons d'excellents poètes, mais c'est avoir beaucoup de succès que de réussir à vendre 500 exemplaires d'un recueil de poèmes. Il ne s'agit donc pas d'une activité qui peut, en soi, être financièrement viable.

Nous parlons ici de la culture de base du pays, et elle se fait rare à mesure que sont comprimés les programmes scolaires qui permettent aux élèves d'entrer en contact avec les arts, les subventions aux artistes, surtout les jeunes artistes qui amorcent leur carrière et qui n'ont nulle part où aller, qui n'ont pas de débouchés et qui n'ont pas les finances.

Je ne dis pas qu'il ne faut pas investir d'argent en capital de risque ou en soignant les marchés d'exportation. Mais je pense que la principale menace qui nous guette, c'est nous-mêmes. Nous n'accordons pas une valeur assez élevée à notre propre culture. Nous supposons qu'elle sera toujours là, même si nous laissons les théâtres fermer, les troupes de ballet dépérir et les orchestres rétrécir au point où ce ne sont plus que des orchestres de chambre.

Du point de vue géographique, notre pays est immense, mais, par sa démographie, il est tout petit. Nous avons aujourd'hui autant d'habitants que les États-Unis en avaient il y a plus de 100 ans. Nous n'atteindrons jamais leurs économies d'échelle.

Les gens qui défendent l'idée de faire de la culture un produit international parlent de la commercialisation massive de choses qui peuvent être vendues dans le monde entier, une légère augmentation des coûts permettant une vaste majoration des bénéfices. Oui, les produits américains de divertissement sont beaux et fascinants pour beaucoup de gens, mais cela ne devrait pas justifier que l'on permette à notre culture de disparaître.

[Français]

Le président: Madame Tremblay.

Mme Suzanne Tremblay: Merci, monsieur le président. Je vais essayer d'être brève.

Je voudrais d'abord dire aux représentants de la SOCAN que le Bloc québécois est aussi très préoccupé par ce qui se passe du côté de la Commission du droit d'auteur. Nous avons posé plusieurs questions en Chambre et nous avons même, dans le cadre d'un comité de travail du Comité du patrimoine canadien, discuté de cette question. Nous nous sommes dit que nous mettrions à notre ordre du jour dès qu'on en aurait la possibilité, parce qu'on doit étudier des projets de loi qui sont en Chambre, deux problèmes majeurs au Canada: la SOCAN et le CRTC.

Quand ils étaient dans l'opposition, les libéraux n'étaient pas du tout d'accord avec Mme Campbell sur la création du ministère du Patrimoine canadien. Ils trouvaient insensé de mettre le CRTC et la Commission du droit d'auteur sous la responsabilité de deux ministères.

Quand ils ont pris le pouvoir et adopté les lois qui ont créé ces organismes, ils ont changé d'idée, et on est aux prises avec les problèmes qu'on a aujourd'hui. Bien sûr, il serait bon que ce soit rapatrié au Patrimoine canadien, d'autant plus que M. Manley a des propensions à aider les millionnaires. Vous avez vu comme moi dans les journaux qu'il s'apprête à présenter au Cabinet un plan pour venir au secours des équipes de hockey professionnelles. Je caricature un peu la situation et je me dis: Au lieu de payer vos gens 12 000 $ par année en moyenne, donnez-leur un million de dollars et allez ensuite voir M. Manley pour lui dire que vous manquez d'argent. C'est ce qu'ils font, eux. Ils ne contrôlent absolument rien. Donnez-leur un million de dollars en argent américain et allez ensuite voir M. Manley pour lui dire: Monsieur Manley, on a une industrie importante qui donne beaucoup de jobs au Canada; aidez-nous, s'il vous plaît, à les sauver. C'est un peu dramatique.

• 1055

Il faut reconnaître que l'industrie culturelle est extrêmement importante au Canada. Il est toujours assez pénible de constater qu'année après année, les enveloppes budgétaires de certains ministères sont augmentées. Il peut par exemple arriver qu'on augmente celui du ministère de la Défense nationale. Par contre, on n'encourage pas du tout ce qui est du côté de la culture. Il faudra qu'on comprenne ce qui se passe.

Les gens de l'Est canadien nous ont donné des exemples de ce qu'ils vivent. Certains d'entre eux se proposent d'organiser une exposition et d'emprunter des artefacts d'un de nos musées nationaux et certains autres de la Suède. La Suède leur prêtera gratuitement ses pièces, tandis que notre musée leur fera payer des frais. C'est comme ça qu'une institution nationale nous aide dans les régions et fait la promotion des échanges culturels. Cette approche un peu économique est dérangeante. C'est un peu le son de cloche qu'on a entendu partout.

Vous avez fait ressortir des points intéressants dans ce sens. On dit toujours qu'un investissement de un dollar a des retombées très bénéfiques. Comme vous l'avez démontré, si vous disposez de 400 000 0 de plus, vous réussissez à vous en sortir, vous êtes capables de nager et vous allez de mieux en mieux. Ce sont des investissements, et il faudrait qu'ils soient vus comme tels. Il est dommage que lorsqu'ils déterminent les enveloppes budgétaires, M. Martin et son gouvernement ne puissent pas voir les choses davantage comme cela. Ils ont de l'argent et ils pourraient l'utiliser pour cela.

J'aimerais revenir sur un commentaire qu'a fait M. Ménard. J'ai à ma droite l'ancien président du Comité du patrimoine, qui présidait à l'époque où nous avons tenu le grand débat sur la Société Radio-Canada. Nous nous sommes prononcés en faveur du maintien de Radio-Canada en tant qu'entreprise devant rester disponible pour les Canadiens. Nous allons continuer d'appuyer Radio-Canada tant et aussi longtemps qu'elle sera un outil au service du public et non un objet de propagande entre les mains du gouvernement fédéral. Il serait inacceptable qu'elle devienne un organisme qui s'identifie à la tarte qui change de couleur en fonction des changements de gouvernement et qu'elle mette des drapeaux canadiens un peu partout. Au fait, je remercie Radio-Canada de ne pas en avoir trop mis ici aujourd'hui. Il serait inadmissible qu'on contrôle l'information d'Ottawa et qu'on demande de relever de leurs fonctions des journalistes qui font des reportages qui ne plaisent pas au premier ministre, etc. Si on continue dans cette veine, il est bien évident que Radio-Canada n'aura plus sa place au Canada, qu'elle devra être privatisée et qu'on n'aura plus de société d'État. Il faut être très clair là-dessus: on a une société d'État pour autant qu'elle est au public et qu'elle n'est pas utilisée à des fins gouvernementales.

Il est indéniable que Radio-Canada a connu des réductions budgétaires énormes. Par contre, si on compare son enveloppe budgétaire et celles des autres chaînes privées, on constate qu'elle s'élève, si on tient compte de ses revenus de la publicité, à près de un milliard de dollars. Radio-Canada n'est donc pas sans ressources. Si chacune de vos entreprises avait le même budget que Radio-Canada, vous tiendriez un autre discours autour de cette table aujourd'hui.

Le président: Monsieur Bertrand, je vous invite à dire le mot de la fin.

M. Pierre Bertrand: J'ai écouté attentivement tout ce qui s'est dit et je ne sais trop par où commencer. J'appuie plusieurs des choses qui ont été dites, entre autres les propos de Mme Mermelstein, qui s'inscrivent tout à fait dans le sens de l'intervention que je vais faire.

Je commencerai par dire, comme l'a dit M. Pierre-Marc Johnson, que la culture est faite par des êtres humains, des personnes, et non par des personnes morales. Je suis une de ces personnes en chair et en os. Je suis auteur, compositeur, interprète, musicien, arrangeur, réalisateur et aussi producteur à mes heures. Je cumule donc à peu près toutes les fonctions du métier de la chanson. C'est un métier artisanal et non une industrie. Cela commence d'abord et avant tout par quelqu'un qui écrit des chansons, et cela se fait avec une guitare ou un piano, du talent, du courage, de la détermination, de la passion et de la patience. C'est un individu qui fait cela et ce sera toujours le cas.

Comme on l'a déjà soulevé, il faut se pencher sur la question du salaire de l'auteur, soit son droit d'auteur. Au moment où on se parle, à cause de la nouvelle loi qui a été instaurée au Canada, le droit d'auteur s'est augmenté d'un nouveau droit, le droit voisin. On peut dire que le droit d'auteur traditionnel était surtout basé sur le droit d'exécution publique, mais il y a maintenant le droit de reproduction, qui est de plus en plus important à cause des nouvelles technologies et des changements technologiques. Le droit voisin est accordé à l'interprète-chanteur ou à l'interprète-musicien ainsi qu'au producteur, celui qu'on juge être le propriétaire de la bande maîtresse.

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Tous ces droits-là me préoccupent parce que, tout comme plusieurs de mes collègues, je suis sollicité ou convoité par les différentes sociétés de gestion collective de droits voisins que sont ATISTI, la SOPROQ, SOGEDAM et l'AFM. Gilles Valiquette est un peu dans la même situation. Nous sommes tous au coeur de la tempête ou des changements technologiques qui font que la propriété intellectuelle devient le fer de lance ou l'élément clé du nouveau monde dans lequel on est déjà entrés.

On a parlé des MP3 et de la dématérialisation des oeuvres. Un des problèmes qui nous confrontent, que l'on soit des gens du côté industriel, des hommes d'affaires ou des créateurs tels ceux que je représente ici, c'est que les oeuvres telles que la chanson, le cinéma ou le multimédia vont toutes se retrouver sur Internet. Tout ce qui est numérisable va s'y retrouver. C'est déjà commencé et cela implique un changement considérable au niveau de la structure industrielle traditionnelle. En fait, on est en train de passer de la révolution industrielle à la révolution informatique; nous sommes un exemple parfait de ce qui se passe dans ce domaine-là. Ça veut dire, entre autres, que la chaîne des détaillants traditionnels risque de se transformer considérablement. L'achat de biens culturels va se faire directement par téléchargement sur un ordinateur maison d'un autre ordinateur avec des banques de données considérables contenant des oeuvres encodées numériquement.

Je ne sais pas si c'est le ministère du Patrimoine canadien qui doit se pencher sur cette question, mais il faut absolument se doter d'une façon de protéger les oeuvres et s'assurer que la chaîne des droits soit respectée et que ceux qui possèdent la propriété intellectuelle, ceux qui ont créé les oeuvres, restent propriétaires des oeuvres au maximum des possibilités. Le gouvernement canadien, de par son pouvoir d'investissement, son pouvoir économique ainsi que sa responsabilité politique, a un rôle à jouer aux termes de la Loi sur le droit d'auteur d'une part, mais aussi de par son rôle de régulateur. Il peut équilibrer le rapport de force entre les utilisateurs d'oeuvres de tout acabit, que ce soit des producteurs de disques, des éditeurs, des radiodiffuseurs ou des télédiffuseurs, enfin tous ceux qui utilisent les oeuvres de créateurs canadiens. Il faudrait rétablir un rapport de force nous assurant que le créateur soit en mesure de négocier équitablement avec les différents utilisateurs de ses oeuvres. Ce n'est pas tout à fait le cas en ce moment parce qu'au niveau des banques culturelles, que ce soit Musique Action dans le cas de la musique ou Téléfilm Canada dans le cas du film, il y a toujours un jeu autour de la propriété intellectuelle. Lorsqu'on consent des prêts ou qu'on signe des engagements financiers, on demande comme capital la propriété de la banque maîtresse. Cela implique que l'interprète ou le créateur peut être évacué de son droit d'auteur ou de sa propriété intellectuelle pour pacifier la banque culturelle, qui agit à ce moment-là comme une banque traditionnelle qui a besoin de capital et de garanties financières sur la banque maîtresse.

Le gouvernement doit se pencher sur cette question et essayer de faire en sorte que les règles du jeu soient plus équitables et que tous les gens sur la patinoire soient reconnus comme étant importants: le créateur au premier titre, parce que c'est quand même lui qui est à la source de toute la chaîne des intervenants qui viennent par la suite; les intervenants secondaires que sont les interprètes, qui représentent un élément créateur important, j'en conviens; et tous les autres qui viennent après au niveau de la production, de la diffusion, de la promotion et des producteurs de spectacles. Il y a là toute une chaîne de gens, mais il faut comprendre que la source, c'est la création. Le contenu du patrimoine, puisqu'on parle de patrimoine canadien, c'est d'abord et avant tout la création. C'est ça qu'il faut protéger et c'est ça qui est le contenu canadien créé par un créateur. Tout le reste s'inscrit dans une suite logique mais descendante; la source, c'est le créateur.

On a passé une bonne vingtaine d'années à vivre le paradigme des industries culturelles. On a structuré une industrie, ce qui était sûrement nécessaire, et cette structure indépendante qu'on a créée permet à des gens, des industriels, d'exister au Canada et de même penser à exister ailleurs, ce qui est très bien. Mais il serait maintenant temps de penser à ceux qui créent la matière première et de leur donner des moyens financiers, par des subventions ou d'autres façons, et à rétablir un rapport de force qui leur permette de créer et de vivre de leur métier, qui est un métier assez exceptionnel. Il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus. Il faut du talent et le talent est assez rare dans ce domaine. Il y en a beaucoup au Canada, Dieu merci, mais il s'agit d'encourager les créateurs, de les reconnaître et de respecter leur travail afin de faire en sorte qu'ils se sentent choyés et aimés dans leur propre pays.

• 1105

Quant à savoir si on doit être défensifs ou plutôt proactifs et offensifs, les créateurs que je représente sont technologiquement neutres. Peu importe les nouvelles technologies et les nouvelles façons de propager et de faire connaître leurs oeuvres, les créateurs ont d'abord et avant tout le goût d'écrire et d'être accessibles au plus grand nombre, mais tout autant d'être rémunérés pour le travail qu'ils font et pour l'usage qu'on fait de leurs oeuvres. Nous voyons de façon positive le fait que la structure industrielle se transforme et qu'on fonctionnera beaucoup plus par l'Internet dans les années à venir. Nous nous adresserons désormais à la planète au lieu de nous limiter à un marché beaucoup plus petit, comme c'est le cas ici au Québec, entre autres, où il est difficile de fonctionner. L'Internet nous donne accès à la planète, à un marché planétaire. Nous sommes plutôt favorables à cela, mais la question fondamentale est de savoir qui va réussir à encoder les oeuvres pour que la propriété intellectuelle soit protégée.

En ce qui concerne Radio-Canada, j'abonde dans le même sens qu'André Ménard. La Société Radio-Canada, surtout sa radio, est une institution importante qui sert agréablement les intérêts des créateurs, qui fait connaître de nouvelles oeuvres et qui fait jouer des chansons qui ne joueraient peut-être pas ailleurs. Le travail de la radio de Radio-Canada est important, mais il faudrait également que toutes les autres radios puissent jouer ce rôle. Les radios sont bien sûr toutes soumises à la loi qu'applique le CRTC. Toutes les ondes ont des privilèges qui leur sont accordés par les citoyens canadiens. Donc, tout le monde devrait faire le travail que Radio-Canada fait de façon exemplaire. Nous sommes d'accord qu'il faut donner à Radio-Canada les moyens économiques de poursuivre sa mission.

En terminant, j'aimerais soulever le problème de la double juridiction, qu'il faut régler. Selon la vision des créateurs, oui, il faudrait trouver une façon de faire en sorte que la Loi sur le droit d'auteur relève d'un ministère à vocation neutre et objective. Il pourrait s'agir du ministère du Patrimoine canadien ou de celui de la Justice. C'est une question sur laquelle vous devrez vous pencher; je vous lance la balle. Vous avez la responsabilité de le faire. Je crois que la double juridiction, surtout avec un ministère à vocation économique, est très malsaine pour les créateurs que je représente.

Je vous remercie.

Le président: En guise de conclusion, j'invite M. Mark à faire une brève intervention.

[Traduction]

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Ces trois derniers jours, Mme Tremblay et moi avons entendu de nombreux témoins nous parler de culture. Nous sommes certainement à la croisée des chemins, et il est vraiment opportun de traiter non seulement du présent, mais également de l'avenir. J'aimerais vous parler de certains des thèmes communs auxquels nous avons été confrontés ces trois derniers jours.

Le premier, c'est l'argent. Comme vous le savez, le gouvernement fédéral ne peut pas tout faire pour tous. On pose toujours la question: «Faut-il plus de fonds, ou devrait-on simplement les dépenser de façon plus sage?» Quelqu'un a signalé que la méthode «centre commercial» n'est pas toujours satisfaisante au bout du compte. Nous devrions peut-être examiner cela.

Nous avons souvent entendu le reproche selon lequel les décisions de dépenser tendent à être trop politiques. Je suppose que c'est une réalité. J'espère que nous pourrons nous pencher là-dessus. On se plaint également souvent de l'absence de consultations lors de la prise de décisions et de ne pas savoir qui vraiment prend la décision.

Une chose qui a été soulignée, c'est que les institutions nationales, comme Radio-Canada et le CNA, sont importantes et doivent être maintenues. Un artiste a dit que la culture canadienne, c'est plus que simplement la langue et la géographie. Il y a là matière à réflexion. À Moncton, un autre artiste nous a dit que la culture devrait être la création de richesse. Là encore, il s'agit d'une perspective différente, qui n'est pas simplement de savoir ce qu'est la culture canadienne.

Au Canada, la culture change parce que la mosaïque canadienne évolue. Intéressant. Comme vous le savez, la Hedy Fry déclare qu'elle croit au multiculturalisme de type wok plutôt qu'au modèle américain du creuset.

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Il est important de regarder l'ensemble du tableau: quelles sont les incidences des divers éléments, comment nous définissons-nous, qu'est-ce que la culture canadienne? Comme vous le savez, le Canada a une politique du multiculturalisme depuis 25 ans et il est probablement temps de se demander si nous voulons continuer sur la même lancée ou si nous voulons réorienter notre parcours.

Beaucoup de groupes ont dit qu'il nous manque une politique culturelle nationale, mais il faut s'entendre sur ce que cela veut dire. Notre rôle est de chercher des réponses auprès de vous, des propositions sur ce que doit être le rôle du gouvernement fédéral. La situation économique et la culture changent. Comme l'a dit l'un des représentants d'un conseil des arts, l'une de ses sources préférées de divertissement est un groupe musical multiculturel. Cela signifie-t-il que la définition de la culture canadienne est en constante évolution? Tout cela mérite réflexion.

Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Mark.

[Français]

Est-ce qu'il y a des personnes du public, qui ont assisté à nos délibérations avec beaucoup de patience, qui aimeraient prendre la parole brièvement avant la clôture cette session?

Je vous remercie d'avoir été présents en aussi grand nombre. Je remercie tout particulièrement nos panélistes qui ont participé à cette table ronde. Je sais jusqu'à quel point il est difficile de trouver du temps. Je vous remercie très sincèrement.

[Traduction]

Merci beaucoup d'être venu.

[Français]

Il nous a été très utile d'entendre vos préoccupations sur le terrain. Soyez assurés que nous resterons en contact avec vous. Merci encore une fois d'être venus.

La séance est levée.