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CHER Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 17 février 1998

• 1111

[Traduction]

Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance du Comité permanent du patrimoine canadien est ouverte.

[Français]

Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, nous étudions l'Accord multilatéral sur l'investissement.

[Traduction]

C'est une question qui suscite beaucoup d'intérêt et qui est très importante pour nous, et étant donné que nous avions un trou dans notre horaire aujourd'hui, M. Jack Stoddart a accepté de réunir un groupe de témoins. Je le remercie d'avoir agi si promptement.

Avant de faire les présentations d'usage, je signale que les témoins nous ont aimablement remis le livre de l'AMI de Tony Clarke et Maude Barlow, intitulé MAI: The Multilateral Agreement on Investment and the Threat to Canadian Sovereignty. Nous en avons des exemplaires ici. Si nous n'avons pas assez d'exemplaires pour tous les membres du comité, monsieur Stoddart, j'imagine que vous nous en fournirez en nombre suffisant.

On nous a remis aussi un article du New York Times intitulé «Should Corporations Govern the World? Top Secret, New MAI Treaty», afin qu'il soit distribué à tous. Je vais demander au greffier de le remettre aux membres.

J'ai maintenant le grand plaisir de vous présenter M. Jack Stoddart, que bon nombre d'entre nous connaissent bien. Il est le président et l'éditeur de la General Publishing Co. Ltd.

[Français]

De l'Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois, M. Robert Pilon est aussi très connu et a eu une part importante à jouer dans tout le travail qui a conduit à l'amendement à la Loi sur le droit d'auteur, ce dont je le remercie sincèrement.

[Traduction]

D'Attic Records Ltd, nous recevons Alexander Mair, son président. Nous recevons également Mme Anne McCaskill, consultante dans les secteurs de la culture et du commerce international, et M. Tony Clarke, de l'Institut Polaris, qui est en fait le coauteur du livre que nous vous remettons en ce moment.

Je vous cède la parole, monsieur Stoddart, vous pouvez commencer.

M. Jack E. Stoddart (président et éditeur, General Publishing Co. Ltd.): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est un plaisir que d'être ici. J'espère que nous tous ici présents sommes d'accord pour dire que c'est une question importante, et nous sommes heureux de faire valoir nos vues sur cette question.

J'ai lu dans le Globe and Mail d'il y a deux jours des déclarations du ministre Marchi. La manchette se lisait ainsi: «Marchi dit que 'nous pouvons vivre sans' ce traité sur les investissements.» Il déclarait plus loin: «Je veux un bon traité, qui soit conclu au bon moment, et non pas n'importe quel traité, n'importe quand.» À mon avis, il y avait longtemps qu'on n'avait pas entendu de déclarations plus importantes de la part des industries culturelles.

Il ne fait aucun doute que l'on comprend la nécessité de protéger les industries culturelles, ou peu importe comment on les appelle, mais il nous a été très difficile d'arracher des déclarations à ceux qui sont en fait responsables de ce secteur. Nous sommes heureux de ces déclarations, que nous trouvons encourageantes.

• 1115

C'est important parce qu'on peut vivre à l'intérieur de l'OCDE sans l'AMI. Et c'est important parce que bon nombre croient que c'est tout ou rien, qu'il nous faut être dans le coup, sans quoi on est oublié pour toujours. Et nous avons déjà conclu tant d'accords commerciaux, tant de traités commerciaux, avec tous les pays dont il est question, les 29 pays de l'OCDE.

Mais comme l'a dit Mike Harris, le capitaine de l'équipe de curling canadienne, le soleil se lèvera demain aussi. Eh bien, si nous ne signons pas cet accord, le soleil se lèvera quand même demain, mais je pense que ce sera un jour difficile pour les industries culturelles si un accord bancal est signé. Donc les déclarations de M. Marchi étaient très importantes.

D'autant plus importantes parce qu'il a dit que la culture est une priorité importante, et pour cela nous devons remercier les ministres Copps et Marchi, qui se sont employés à faire ressortir cette réalité. Je crois également qu'un comité comme le vôtre jouera un rôle important dans l'élaboration du cadre ultime de l'AMI—si AMI il doit y avoir—et c'est votre comité qui déterminera la place qu'occupera la culture dans un tel accord.

Il convient peut-être de tout reprendre du début et de se demander ce qu'est l'AMI, qui en a besoin, qui le réclame, ce qu'on essaie de faire, quels seront les coûts et quelles seront les victimes d'un tel accord, de même que les avantages que certains entrevoient.

Ce n'est pas facile, d'autant que les détails et les négociations demeurent secrets. Un tout petit groupe occulte d'entreprises et de personnalités puissantes de la société domine la négociation. Ces entreprises et personnalités disposent aujourd'hui d'un pouvoir que personne ici présent ne pourra jamais exercer, et toute la question de l'AMI est là. Il s'agit pour elles d'accaparer la source du pouvoir dans la société.

Il n'est pas question d'investissements dans l'AMI. On dit que c'est un traité sur les investissements, mais à mon avis l'investissement est ici davantage un véhicule qu'une finalité. Il ne s'agit pas de créer de nouveaux emplois au Canada. Il ne s'agit pas d'instaurer une éthique ou plus de justice dans notre pays. Et il ne s'agit pas non plus des besoins de 98 p. 100 de notre population.

Ce traité porte simplement sur le pouvoir, sur la faculté qu'auront les entreprises multinationales d'étendre leur puissance et leur richesse déjà incroyables à des limites qu'on n'aurait jamais imaginées au cours des 100 dernières années. C'est vraiment la démocratie qui est en jeu ici, et la question de savoir si nos élus auront à l'avenir les moyens voulus pour faire valoir les intérêts des Canadiens dans plusieurs litiges.

C'est peut-être une bonne chose pour les 500 hommes les plus puissants du monde—et la plupart des dirigeants de ces entreprises sont des hommes—et leurs entreprises que d'avoir des pouvoirs considérablement accrus. On devrait peut-être accroître ces pouvoirs. On devrait peut-être aussi abdiquer nos responsabilités et accepter que les grandes entreprises se chargent de nous. Mais je me demande si c'est nécessaire, et je me demande si le Canada va gagner quoi que ce soit à abdiquer autant de responsabilités en faveur des entreprises.

À quand remonte la dernière fois où les banques ou les entreprises multinationales ont fusionné dans l'intérêt des gens, de la vie des gens et de leur culture, de leur environnement, de leurs normes en matière d'emploi et de leurs revenus familiaux? Quand ont-elles pris des décisions qui n'avaient rien à voir avec le profit, le bilan annuel ou trimestriel? Est-ce qu'on voit souvent des fusions produire de meilleures conditions pour la majorité des personnes intéressées? Très rarement, je crois.

On entend parler tous les jours de prises de contrôle colossales, et c'est invariablement afin de financer une fusion ou d'acquitter de nouvelles dettes. On doit supprimer des emplois ou renégocier des salaires afin de faire concurrence aux Américains, un peu comme ce qui arrive aujourd'hui avec la Maple Leaf Foods. On appelle ça la «rationalisation». Un mot qui a l'air innocent, mais où est-ce que cela nous mène?

Nos banques nous disent qu'elles doivent grossir pour rester concurrentielles. Grossir avec qui? Avec les grandes banques des autres pays, bien sûr, parce que nous avons déjà chez nous de grandes banques. Elles se croient obligées de faire cela pour survivre. Si vous croyez ça, eh bien, désolé, nous n'avons plus de pays, parce que si nos banques ne peuvent pas se faire concurrence à l'intérieur de notre pays... Je n'oublie pas le fait que nous avons aujourd'hui ici des banques étrangères, mais nos banques sont déjà fortes. S'il doit y avoir consolidation tous azimuts des banques pour qu'elles restent concurrentielles à l'échelle internationale, je me demande dans quelle mesure ces mêmes banques vont prendre en compte l'intérêt du Canada.

• 1120

À quand remonte la dernière fois où une fusion bancaire vous a donné de meilleurs services, un taux d'intérêt réduit, ou une attention plus personnelle au guichet? Cela ne se voit jamais, et on sait que les banques ont pris le contrôle d'un grand nombre d'institutions financières. Désolé, mais je n'ai pas vu beaucoup de progrès dans les services qu'on nous offre.

Si l'on accepte leur logique, on se demande quelle sera la prochaine grande fusion. On a moins de banques au Canada aujourd'hui, mais la réglementation bancaire les oblige encore à tenir compte des besoins des Canadiens, étant donné qu'ils sont leur premier client, et ce, même si elles sont assez actives à l'échelle internationale. Chose certaine, les banques n'existent pas que pour faire des profits ou gagner des milliards de plus pour leurs actionnaires.

Qu'est-ce que tout cela a à voir avec l'AMI? Eh bien, si l'on va jusqu'au bout de la logique de l'AMI, seuls les éléments les plus gros, les plus forts, les plus durs et les plus impitoyables vont survivre ou devraient peut-être survivre. Telle est la loi de l'économie globale: consolidation, consolidation, consolidation, jusqu'au moment où vous êtes tellement fort que plus personne ne peut vous abattre. Le problème, c'est que chaque fois que l'on consolide, la concurrence se rétrécit, et on perd des services, des emplois, et la société y perd son indépendance. Au bout du compte, ce sont les entreprises qui vont dominer les pays et le monde, et c'est justement ce dont nous voulons parler aujourd'hui.

Étant donné la façon étrange et secrète dont l'AMI a été élaboré, on ne peut faire autrement que de se demander si les sociétés ne contrôlent ou n'affectent pas déjà les programmes des pays. Nous devons protéger notre droit, en tant que peuple, en tant que société et en tant que nation, de contrôler les leviers du pouvoir au sein du gouvernement. C'est notre santé, notre richesse et notre indépendance en tant que peuple qui sont en jeu ici. Nous avons lutté pour cela dans les guerres. En tant que société, nous nous sommes battus pour maintenir l'équilibre des pouvoirs dans notre société, et je pense que l'AMI est en train de le déséquilibrer. Voilà sûrement ce dont il s'agit.

Le 3 février dernier, le Comité permanent de l'environnement et du développement durable a tenu une audience semblable sur l'AMI. Je ne sais pas combien d'entre vous ont pu obtenir un exemplaire des procès-verbaux de cette séance, mais je pense qu'il vaudrait la peine d'en obtenir un exemplaire et de le lire. C'était un exposé extrêmement bien fait. Il y a eu un peu plus de temps pour la préparation, et beaucoup de travail a été fait sur le plan juridique.

Plutôt que d'essayer aujourd'hui, de notre point de vue de la culture, de rétablir le fondement juridique et éthique comme on l'a fait si bien dans l'exposé sur l'environnement, nous allons parler des conséquences négatives de l'AMI pour la culture et les industries culturelles. Je pense qu'on a déjà très bien expliqué devant le Comité de l'environnement comment cela fonctionne et quelles sont les pressions, et tout le reste, de sorte que je vous demanderais de vous reporter à cet exposé. Je pense qu'on y aborde ces questions.

Aujourd'hui, nous allons parler des conséquences de l'AMI pour nos industries culturelles si nous n'avons pas d'exception totale. On nous parle constamment d'exemptions. On nous parle d'une exemption pour la France, d'une exemption spécifique à chaque pays. Bon nombre d'entre nous ont examiné la question tant du point de vue juridique que du point de vue opérationnel.

Il n'y a qu'une seule exemption qui pourra fonctionner pour le Canada. Il s'agit d'une exemption totale. Nous en reparlerons plus en détail tout à l'heure, et nous pourrons certainement répondre à vos questions à ce sujet. Mais s'il n'y a pas d'exemption totale, il n'y a pratiquement aucune chance pour que les industries culturelles telles que nous les connaissons aujourd'hui puissent survivre.

J'aimerais maintenant demander à Al de faire quelques observations. Il possède sa propre société dans l'industrie de la musique, et il pourra donc vous parler plus spécifiquement de cette industrie.

• 1125

M. Alexander Mair (représentant, Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique): Merci, Jack.

Le président du comité m'a présenté comme président de Attic Records, de Toronto, ce qui est vrai. Cependant, c'est la SOCAN, avec ses 59 000 membres, compositeurs et éditeurs de musique, qui m'a demandé d'assister à cette séance. Je suis par ailleurs président du comité des relations gouvernementales de la CIRPA, la Canadian Independent Record Production Association, et directeur de l'Agence canadienne des droits de reproduction musicaux ltée, et, enfin, vice-président du Conseil des industries culturelles de l'Ontario. Je vous dis cela tout simplement pour mettre les choses en perspective.

Personnellement et professionnellement, je suis contre l'AMI, à moins qu'il n'y ait exemption totale de la culture et des industries culturelles. Je ne me considère pas comme étant un protectionniste. J'apprécie le meilleur de la musique, des films, de la télévision, et même de l'éducation, étrangers. J'ai choisi de faire mes études à la Harvard Business School parce que c'était, à mon avis, la meilleure école où je pouvais faire mes études. Cependant, j'apprécie également la musique, la télévision et le cinéma canadiens. Mon fils a obtenu son diplôme de l'Université Western Ontario et travaille actuellement à Tokyo. Ma fille étudie le journalisme ici à Ottawa, à l'Université Carleton. Ils peuvent poursuivre des études de deuxième cycle à l'international s'ils le veulent.

La cote d'écoute des Jeux olympiques au cours des 10 derniers jours a été l'une des plus élevées pour la télévision de Radio- Canada. Si on considère que presque tous les événements sont présentés en différé et que les résultats sont annoncés par des stations de radio, sur Internet et dans les journaux, le fait que des millions de gens regardent les Olympiques est pour moi très révélateur. Nous voulons voir nos héros et nous en avons besoin; et ces héros comprennent les conteurs, les compositeurs, les auteurs, et les cinéastes de notre pays. Nous avons besoin de héros, peut- être plus que d'autres pays en ont besoin.

Pourquoi dis-je cela? Il n'y a que deux paires de pays dans le monde où un pays est considérablement plus grand que son voisin qui parle la même langue. Ces deux paires de pays sont d'une part le Canada et les États-Unis et d'autre part l'Autriche et l'Allemagne. Tous les autres pays du monde sont protégés soit géographiquement, soit linguistiquement d'une domination de la part de leurs voisins. Comme nous le savons tous, nous avons grandi avec un géant comme voisin du Sud qui domine presque tout ce que nous voyons, entendons et lisons quotidiennement.

En tant que maison de disques qui appartient à des intérêts canadiens et est dirigée par des intérêts canadiens, nous avons eu du succès tant ici au Canada qu'à l'étranger. Je suis fier d'être récipiendaire du Prix d'excellence à l'exportation canadienne du gouvernement fédéral pour notre succès international. Nous avons reçu des disques d'or aux États-Unis, en Grande-Bretagne, au Japon et en Hollande. Au Canada, nous avons maintenant 103 disques d'or ou encore mieux, dont certains disques triple platine.

Je suis fier également du fait qu'étant donné que nous avons du succès, nous ayons pu enregistrer un certain nombre de ce que je considère comme étant des disques importants du point de vue culturel. Ils sont importants du point de vue culturel pour un certain nombre de raisons. L'une de ces raisons, c'est qu'ils peuvent exister à perpétuité pour ceux qui le souhaitent. Par ailleurs, ce sont des disques qui nous parlent de notre propre pays.

Voici quelques exemples: Anne of Green Gables (distribution de Charlottetown); Ancestral Voices, par le College of Piping and Celtic Performing Arts of Canada, de Summerside, Île-du-Prince- Édouard; la Musique centrale des Forces canadiennes; l'album du 40e anniversaire du Festival de Stratford; History of Military Music in Canada; la série Canadian Pop, exécutée par Symphonia Canada sous la direction de Boris Brott; les seuls enregistrements de Duke Ellington au Canada avec des musiciens canadiens exécutant des chansons canadiennes; Le Messie, le premier enregistrement classique à être fait au Canada, qui a paru l'an dernier pour la première fois sur disque compact; la musique de la série télévisée Anne of Green Gables par Hagood Hardy; Christmas in Roy Thompson Hall, par le Mendelsshon Choir.

Nous participons actuellement à une campagne de levée de fonds pour la Société canadienne du cancer pour laquelle 14 chanteuses canadiennes, notamment Holly Cole, Jann Arden, Alannah Myles, Céline Dion, Rita MacNeil, Sarah McLachlan, Loreena McKennitt, Susan Aglukark, Julie Masse, et k.d. lang, ont donné des enregistrements pour aider à recueillir des fonds pour la Société canadienne du cancer. Nous atteindrons notre objectif pour ce projet, qui est de recueillir un million de dollars.

Ce sont tous des projets que nous avons entrepris parce que nous sommes une société canadienne. Certains de ces projets ont reçu de diverses façons un appui du gouvernement. Il est évident que History of Military Music in Canada (Histoire de la musique militaire au Canada) ne sera pas un best-seller. Un certain nombre d'autres projets ont reçu soit directement, soit indirectement, une aide de divers mécanismes gouvernementaux, mais nous avons pu les prendre, les mettre sur le marché, dans des bibliothèques, à la Bibliothèque nationale, et ils seront toujours à la disposition des Canadiens.

• 1130

Il est très important que nous puissions avoir notre histoire acoustique, pour ainsi dire. Le disque compact est pratiquement indestructible et ne se détériore pas avec le temps, comme les enregistrements sur bande magnétique.

Six des 500 plus grandes sociétés multinationales ou transnationales dans le monde sont canadiennes. Pour moi, l'AMI ne fait certainement pas grand-chose pour rendre les règles du jeu équitables pour le Canada, ce qui est à mon avis nécessaire.

J'ai été vice-président de l'une des six maisons de disques multinationales au Canada qui contrôlent et qui dominent la soi- disant industrie de la musique canadienne. Je ne dis certainement pas cela dans un sens péjoratif, mais la majeure partie des disques vendus au Canada sont des enregistrements étrangers. Leur travail— et le vice-président d'une de ces sociétés me l'a confirmé verbalement il y a à peine 18 mois—consiste à tirer le plus d'argent possible du Canada pour leurs artistes étrangers, à sortir cet argent du Canada sans payer d'impôt, ou un taux d'imposition très bas, pour l'envoyer à leur société mère. Cette orientation nous fait tous souffrir dans l'industrie de la musique canadienne.

La société SOCAN a rédigé de concert avec la Conférence canadienne des arts un document, qui a été présenté, demandant une exemption totale pour la culture et tout le secteur culturel. Avec une exemption totale, les Canadiens pourraient tout au moins décider, sans interférence étrangère, ce qu'ils veulent faire.

Cette notion d'exemption spécifique par pays, dont il a encore été question ce matin même dans le Globe and Mail, nous la rejetons carrément. Proposer aujourd'hui une liste d'exemptions qui seraient figées à jamais nous mettrait sur une pente glissante, une pente sur laquelle on ne peut prendre qu'une seule direction: vers le bas. Avec l'évolution de la technologie nous ne savons pas quels sont les programmes dont nous aurons besoin dans l'avenir pour permettre au Canada de continuer à entendre la voix de ses écrivains, de ses conteurs et autres héros. Si nous devions prendre en 1998 une décision immuable, qui sait, avec l'évolution des technologies, avec Internet entre autres, ce qui serait souhaitable pour l'an 2000 ou 2005? C'est la raison pour laquelle je m'oppose à cette notion.

Le Globe and Mail—encore lui—ce matin même, à la suite, dit- on, d'une fuite, disait que quelles que soient les parts que nous puissions nous attribuer, nous devrions nous attendre à les renégocier par la suite. En tant que Canadien, je ne pourrais que m'inquiéter vivement d'un univers où on nous attribuerait certaines parts qu'il faudrait constamment songer à renégocier.

Ce sont là les commentaires que j'avais à faire. J'espère qu'après l'intervention de Robert nous aurons du temps pour en discuter plus longuement.

Robert.

[Français]

M. Robert Pilon (vice-président aux affaires publiques, Association du disque et de l'industrie du spectacle québécois): Je m'appelle Robert Pilon et je suis vice-président aux affaires publiques de l'ADISQ, l'association des producteurs indépendants de disques et de spectacles du Québec. Les producteurs de disques membres de l'ADISQ comptent pour environ 80 ou 85 p. 100 de la production de disques d'artistes canadiens au Québec depuis les 10 dernières années. C'est une situation un peu particulière.

Comme M. Mair l'a rappelé tout à l'heure, l'industrie du disque au Canada est dominée par les filiales étrangères des multinationales dont les six grandes: Sony, Warner, Polygram, etc. La situation du marché québécois est un peu particulière car il y a une industrie indépendante qui compte de toutes petites entreprises dont les plus importantes font quatre ou cinq millions de dollars de chiffre d'affaires. Toutefois, une soixantaine de ces petites entreprises ont quand même réussi, au fil des années, à occuper une part importante de la production des artistes canadiens, alors qu'au Canada anglais, les indépendants ont malheureusement une part plus faible de la production des artistes canadiens puisque bon nombre des principaux artistes canadiens sont produits par les filiales canadiennes des multinationales.

Pourquoi sommes-nous préoccupés? En mon nom personnel et au nom des producteurs de disques et de spectacles du Québec que je représente, pourquoi sommes-nous préoccupés par cette entente internationale sur les investissements, le fameux AMI?

Je vais commencer par parler de ce qui me rassure. Ce qui me rassure, ce sont les déclarations répétées de M. Marchi selon lesquelles il ne signera pas une entente si cette entente ne comporte pas une exception culturelle, a full-fledged cultural exception.

• 1135

Je suis moins rassuré quand je lis des articles comme celui dans le Globe and Mail de ce matin, où on parle d'un certain document. Est-ce un document qui a été écrit par les hauts fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international? Je ne sais pas exactement. Dans ce document, on parle de fall back position, au cas où l'exception culturelle ne marcherait pas, et de ce que l'on pourrait faire sur cette slippery slope que Jack mentionnait tantôt.

Concrètement, quels sont les enjeux? Je vais essayer dans les cinq prochaines minutes de décrire ce que cela peut vouloir dire pour un artiste ou un producteur, au Québec ou au Canada, au cas où la souveraineté du Canada serait limitée par cette entente.

Notre secteur, qui est l'industrie du disque sous contrôle canadien, est une jeune industrie au Canada. Au Québec, ces entreprises-là ont 5, 10 ou 15 ans d'existence. On ne peut parler d'une industrie locale, sous contrôle canadien, de production de disques au Québec que depuis les 15 dernières années.

C'est vraiment une très jeune industrie et ce sont de très petites entreprises. Beaucoup de ces entreprises-là ne font même pas un million de dollars de chiffre d'affaires. Mais c'est malgré tout une industrie qui, comme je vous le disais tantôt, réussit à produire 85 p. 100 des disques d'artistes québécois, et c'est donc fondamental. C'est une industrie qui, beau temps mauvais temps, reste là.

Il faut bien se rappeler que, durant les années 1960-1970, beaucoup d'artistes québécois comme Beau Dommage et Harmonium ont été produits par les filiales locales des multinationales. Quand la grande récession de 1980 à 1983 est arrivée, qu'est-ce qui s'est passé? Ces filiales canadiennes des multinationales ont reçu, de leur siège social à Londres, à New York ou à Los Angeles, le mot d'ordre de se concentrer sur leurs activités principales, comme Al le rappelait tantôt, qui est de vendre du Madonna et du Michael Jackson sur le marché canadien et de se retirer des investissements risqués dans la production d'artistes canadiens, surtout s'ils chantent en français et qu'il n'y a pas de marché international pour eux.

Alors on s'est retrouvé, au Québec, dans une situation où la production est tombée à presque rien. Entre 1980 et 1985, on n'était pas capable de fournir les stations de radio pour qu'elles puissent remplir leurs obligations en matière de quota, et la situation était extrêmement grave. C'est ce qui se passe quand toute une industrie dépend uniquement des multinationales. Les multinationales vont là où il y a des profits à faire et se déplacent facilement car elles ont une grande mobilité à l'échelle internationale, et elles se concentrent sur un nombre limité de produits qu'elles essaient de vendre à travers le monde.

Bien sûr, ces multinationales investissent à l'occasion dans des artistes canadiens, quand elles pensent qu'il y a un marché international. Mais dès qu'il n'y a pas de marché international ou dès que la situation économique devient plus difficile, comme dans les moments de récession, ces multinationales se retirent et, à ce moment-là, si vous n'avez pas d'entreprises sous contrôle canadien pour assurer la relève, il n'y a plus de production locale pour les artistes.

C'est la raison pour laquelle il faut un équilibre entre les entreprises canadiennes et les filiales des multinationales. Et pour qu'il y ait équilibre, il faut qu'il y ait des entreprises canadiennes. C'est un point important.

Si les entreprises canadiennes ont pu se développer, notamment au Québec, c'est parce qu'un certain nombre de mesures et de politiques culturelles canadiennes ont été mises en place. Essentiellement, en quoi consistent ces mesures? Ces mesures sont essentiellement les quotas de chansons canadiennes et francophones à la radio.

Vous savez que depuis 1971, le CRTC oblige les entreprises canadiennes à diffuser un minimum de 30 p. 100 d'artistes canadiens dans leur contenu musical. Depuis 1973, 65 p. 100 des disques diffusés par les stations de langue française doivent être des chansons francophones, qui sont, en très grande partie, des chansons d'artistes canadiens s'exprimant en français, d'artistes québécois.

Tout cela a créé une fenêtre à la radio pour nos artistes. C'est extrêmement important et ça permet de maintenir cette fenêtre-là, beau temps mauvais temps, comme je le disais tantôt. C'est mon premier point.

Deuxièmement, le gouvernement fédéral a mis sur pied, en 1986, un programme qui s'appelle le PADES, ou SRDP, qui est le Programme d'aide à l'industrie de l'enregistrement sonore. Si on compare notre secteur, qui est celui de l'industrie de l'enregistrement sonore, au secteur de la production de télévision ou de la production de films, de magazines ou de livres, on voit que parmi toutes les industries culturelles, c'est celui qui reçoit la plus petite partie des crédits, à savoir 0,2 p. 100 de l'ensemble des crédits consacrés à la culture et aux communications au Canada.

Malgré tout, ce programme-là, qui était jusqu'à l'année passée de 5 millions de dollars et que Mme Copps a réussi à faire doubler à 10 millions de dollars, bien qu'il soit extrêmement modeste, a joué un rôle important dans une jeune industrie comme la nôtre. Quand vous êtes une petite entreprise et que vous avez un chiffre d'affaires de 500 000 $ ou de 1,5 million de dollars et que vous pouvez recevoir de l'aide pour produire un disque et assumer 50 p. 100 du coût, cette petite aide de 50 000 $ ou 75 000 $ joue un rôle important. C'est, bien sûr, une aide remboursable lorsque le disque se vend bien.

• 1140

Les sommes sont très modestes et nous espérons qu'elles vont être augmentées, mais c'est important. Fondamentalement, ces mesures-là sont menacées.

Je ne veux pas embarquer dans une polémique car je ne suis pas un expert au niveau du commerce international, mais il est évident que si le principe de traitement national, qui est à la base de l'entente sur les investissements, s'applique et qu'il n'y a pas d'exception à ce principe pour le secteur des industries culturelles, cela voudra dire...

Vous savez que dans le secteur de la radiodiffusion, seules les entreprises sous contrôle canadien ont le droit d'avoir une licence de télévision ou de radio. C'est très important. On oublie trop souvent que cela n'a pas toujours été le cas. C'est le cas depuis 1968 seulement. C'est Mme Jeanne Sauvé qui était ministre des Communications quand cette loi a été adoptée. Depuis ce temps-là, il faut être une entreprise canadienne pour avoir le droit d'obtenir une licence et de contrôler une entreprise de télévision, de câble ou de radio. Les intérêts étrangers n'ont le droit d'avoir qu'un tiers du capital.

C'est important et c'est la base de notre Loi sur la radiodiffusion depuis 1968. On donne aux entrepreneurs canadiens une sorte de—employons le mot—monopole, c'est-à-dire le droit d'être les seuls à exploiter une station de radio ou de télévision. Un Américain n'a pas le droit d'ouvrir une station de radio à Ottawa ou une station de télévision à Montréal. C'est un privilège qu'on donne aux Canadiens. Mais en échange de ce privilège-là, ils ont des obligations, qui sont notamment de diffuser du contenu canadien à la radio et à la télévision, du contenu francophone aux stations de radio de langue française, les fameux quotas. Il y a aussi l'obligation mentionnée dans la Loi sur la radiodiffusion de contribuer à la production de films, d'émissions de télévision et de disques.

Dans le programme dont je parlais tantôt, le PADES, qui est financé en grande partie par le gouvernement fédéral, une partie des contributions qui viennent des radiodiffuseurs est gérée de façon indépendante. Ces contributions sont exigées par le CRTC pour aider à la production de disques et de vidéoclips au Canada.

Si le CRTC peut obliger les entreprises de radio à faire ces contributions-là, c'est parce que la Loi sur la radiodiffusion en fait obligation. La Loi sur la radiodiffusion dit qu'en échange d'être les seuls à avoir le droit d'avoir une licence, ils ont l'obligation de contribuer à la présentation et à la création de la programmation canadienne. C'est dans la loi, à l'alinéa 3(1)e), je pense.

Si l'AMI crée le traitement national au niveau des investissements, cela risque de menacer, d'abord et avant tout, notre Loi sur la radiodiffusion. Si la disposition de la Loi sur la radiodiffusion qui interdit la propriété étrangère, notamment américaine, des stations de télévision et des stations de radio disparaît du jour au lendemain, n'importe quelle station de radio ici, à Ottawa, ou de station de télévision à Montréal va pouvoir devenir la propriété de CBS ou de Infinity Broadcasting.

Est-ce que vous pensez que ce jour-là, il sera encore possible d'imposer des quotas à ces entreprises-là? Pourquoi peut-on imposer des quotas à des entreprises canadiennes? Parce qu'on leur donne un privilège et qu'en échange du privilège qui est d'être les seuls à avoir le droit d'être propriétaires, ils ont une obligation. C'est normal. C'est un trade-off. Mais si vous enlevez une partie du trade-off, l'autre partie va tomber automatiquement. Il nous semble donc qu'il est très important de réserver le droit d'être propriétaires à des Canadiens. Si vous changez cela, les quotas vont tomber également.

Je voudrais maintenant parler d'un autre aspect qui est beaucoup plus technique et dont Mme McCaskill pourra aussi parler plus tard.

Certains spécialistes—et je n'en suis pas un—prétendent que l'entente pourrait également menacer certains aspects de la Loi sur le droit d'auteur, notamment les amendements qui y ont été apportés l'an passé.

Vous savez que le gouvernement a créé, et nous remercions les membres de ce comité-ci qui ont contribué à cela, un nouveau droit au Canada, qui est ce qu'on appelle familièrement les droits voisins. Désormais, les utilisateurs, notamment les stations de radio, devront verser une modeste rémunération aux chanteurs et aux producteurs. La loi a été bien faite. Elle est faite de telle façon que cela va fonctionner sur une base de réciprocité. C'est-à-dire qu'on va envoyer de l'argent dans les pays qui ont une loi semblable, comme la Grande-Bretagne ou la France, parce que ces pays-là vont nous envoyer de l'argent. Mais on n'enverra pas d'argent aux États-Unis parce qu'ils n'ont pas de loi similaire.

• 1145

On me dit que les experts ont commencé à se pencher là-dessus parce que le fait de ne pas donner aux Américains la réciprocité à moins qu'ils aient une loi similaire pourrait être remis en cause à l'AMI.

En résumé, il s'agit de la question de la propriété, notamment des entreprises de radiodiffusion, qui est à la base de l'architecture de notre Loi sur la radiodiffusion, des quotas de contenu canadien et de contenu francophone, de la possibilité de donner des aides financières à travers des programmes comme le PADES et de réserver ces aides financières aux entreprises canadiennes et aux artistes canadiens, et finalement de l'impact que cela pourrait avoir sur la Loi sur le droit d'auteur et les droits voisins, notamment sur les amendements qui ont été adoptés.

Pour l'ensemble de ces raisons, je crois que cette entente est plutôt contestée. Je sais que dans beaucoup d'autres secteurs, comme celui de l'environnement auquel je suis très sensible personnellement, c'est aussi très contesté. J'incite donc le gouvernement à agir avec la plus grande prudence là-dessus car les conséquences, en particulier politiques, peuvent être lourdes. En effet, et je terminerai là-dessus, c'est la souveraineté qui est en cause, c'est-à-dire le droit pour les élus de la population d'adopter des lois qu'ils pensent être les meilleures pour garantir l'avenir de notre culture et de nos entreprises culturelles.

Si vous avez les mains liées puisque vous êtes obligés de demander la permission aux États-Unis chaque fois que vous voulez adopter une mesure pour favoriser nos entreprises culturelles ou nos artistes, on ne pourra plus parler de souveraineté. Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Pilon. Vos remarques nous donnent beaucoup à réfléchir.

[Traduction]

Vous avez l'intention de conclure, monsieur Stoddart.

M. Jack Stoddart: Oui, je voudrais faire certaines observations à propos du secteur de l'édition, et répondre ensuite à vos questions.

Permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que les industries culturelles et les arts ne se confondent pas. Je crois savoir que Keith Kelly a déjà pris la parole devant ce comité. Les arts, en effet, englobent bien davantage le théâtre, le ballet, l'opéra, la musique symphonique et autres activités de ce genre; on confond souvent les unes avec les autres.

En second lieu, l'édition de livres ou de magazines, ce n'est pas la même chose que l'impression. Quand les gens visitent une maison d'édition, ils demandent souvent où se trouvent les presses; nous donnons souvent ces travaux à contrat. Être dans l'édition, c'est s'occuper de trouver les oeuvres des artistes, de passer des contrats pour faire faire le travail, et d'en vendre ensuite le produit.

Les industries culturelles sont des entreprises privées qui, à partir de l'oeuvre d'artistes et d'écrivains, bâtissent des entreprises commerciales, de sorte que nous sommes pleinement représentatifs de ce secteur. Tout en plaidant la cause des questions culturelles, nous affirmons que si on sape les industries qui mettent en valeur les oeuvres de création de notre pays, ces dernières ne pourront survivre. Si le Canada n'a pas des oeuvres qui ont été créées par sa propre population, nous ne deviendrons plus qu'un entrepôt ou un marché ayant pour fonction d'écouler les produits d'un autre pays.

Dans l'édition, plus de 80 p. 100 des oeuvres de tous les écrivains canadiens sont publiées par des maisons d'édition canadiennes. Des sociétés américaines continuent à occuper 60 p. 100 du marché des ventes, au Canada, d'ouvrages en langue anglaise, mais en matière de publication, jusqu'à il y a une dizaine d'années, moins de 5 p. 100 de tous les livres publiés dans notre pays étaient publiés par des sociétés qui assuraient 60 à 70 p. 100 de toutes les ventes.

Ce chiffre s'est accru maintenant, mais c'est à cause des conditions imposées par Investissement Canada. Presque toutes ces sociétés ont été examinées, au cours de la dernière décennie, par Investissement Canada, et l'un des critères qui leur ont été imposés, c'est qu'elles commencent à faire de l'édition. Elles éditent donc davantage, et elles ont intensifié la concurrence avec ceux d'entre nous qui sont établis dans ce secteur depuis beaucoup plus longtemps, mais le résultat a tout de même été qu'une plus grande partie du travail se fait ici.

Si l'AMI devait s'appliquer à la culture, avant peu les règlements et mesures d'encouragement pour les sociétés canadiennes seraient contestés par ces sociétés américaines: notre secteur ferait soit l'objet de mainmises, soit s'écroulerait. Il s'agit là d'un document juridique qui autoriserait les sociétés étrangères à contester notre action; c'est ce que nous avons vu avec la contestation de l'OMC, contre le secteur des magazines, et la question reviendra sans doute sur le tapis.

Quand l'OMC a été créée, l'intention n'était pas que nous nous retrouvions dans la situation actuelle relativement aux magazines, mais parce qu'il s'agit d'un cadre à l'intérieur duquel il est possible de faire des contestations juridiques, nous devons en accepter les conséquences. Ce n'est pas quelques beaux documents qu'on met simplement sur la tablette et dont personne ne s'occupe.

• 1150

Aujourd'hui, le Canada a le meilleur des deux mondes. Nous avons des multinationales qui exercent leurs activités ici et qui embauchent des Canadiens, qui vendent leurs livres américains et qui publient quelques livres canadiens. Les maisons d'édition canadiennes publient chaque année des milliers d'auteurs canadiens et veillent à ce qu'il y ait une certaine concurrence sur le marché. Au Canada, des milliers de personnes travaillent dans le domaine de la rédaction, de l'édition, de la distribution et de la vente de livres. Pour des raisons que nous expliquerons plus tard, je crois que tous ces emplois pourraient être compromis. Aux termes de l'AMI, toutes les grandes maisons d'édition canadiennes seront rachetées par des compétiteurs américains, ou bien la distribution se fera selon un axe nord-sud plutôt qu'est-ouest. À l'heure actuelle, presque toute la distribution de livres se fait, non pas à partir d'entrepôts américains, mais d'un bout à l'autre du pays. Il y aurait donc là un changement fondamental qui nous coûterait des milliers d'emplois.

Grâce à divers incitatifs et à un certain nombre de mesures de protection, le Canada a favorisé l'éclosion de certains des grands auteurs, artistes, acteurs, compositeurs et artistes de la scène du monde. Compte tenu de notre population modeste, nous avons une bonne longueur d'avance sur la plupart de nos compétiteurs de langue anglaise. Nous n'excluons pas les produits étrangers. Nous ne limitons pas l'entrée au pays de quelque produit que ce soit. Nous tentons plutôt de veiller à ce qu'il y ait des produits canadiens sur le marché, et j'estime que c'est une question de liberté de choix qui sous-tend nos règles et nos incitatifs.

Voulons-nous revenir à l'époque—et je crois que la plupart d'entre vous s'en souviendront—où nos émissions de télévision étaient pour la plupart des émissions américaines, où les livres qui nous étaient offerts étaient pour la plupart américains—ou britanniques à un moment donné? Au Québec, ce sont sans doute des produits français qu'on retrouvait en grande majorité sur le marché. Allons-nous renoncer à tout ce que nous avons accompli depuis 20 ans pour favoriser le développement de nos auteurs, etc., pour la simple raison que certaines entreprises internationales veulent élargir l'accès qu'elles ont à notre marché? Autrement dit, allons-nous prendre des décisions commerciales qui auront une incidence sur ce que le marché aura à nous offrir? Nous avons atteint un certain sommet dans l'industrie du livre; alors il faut prendre bien garde de comprendre l'effet de l'AMI.

Vous avez reçu aujourd'hui un exemplaire du livre MAI, de Tony Clarke et Maude Barlow. Dans le chapitre sur la culture, les auteurs expliquent très rapidement et de façon très compétente les effets de l'AMI—et je crois que Tony est là pour répondre aux questions d'ordre technique que vous voudriez lui poser. Vous expliquer ce qui se trouve dans le chapitre en question serait une affaire de deux ou trois heures, si bien que je vous invite à vous reporter à la documentation. Les effets sont toutefois graves.

Dans notre industrie, une dizaine de multinationales de l'édition sortiraient gagnantes, tandis qu'une centaine de maisons canadiennes de langue anglaise disparaîtraient sans doute à brève échéance. Nous n'aurions plus que de très petites maisons se spécialisant dans la poésie et la littérature. La majorité des maisons de taille moyenne et de taille plus importante seraient rachetées par d'autres. À l'heure actuelle—et il y a peut-être bien des gens qui ne s'en rendent pas compte—, les maisons canadiennes reçoivent des subventions au titre de l'édition culturelle, mais nous sommes soumis à une petite restriction dite de la propriété canadienne. Ainsi, nos compétiteurs étrangers ne peuvent pas venir s'installer ici, mais les maisons canadiennes ne peuvent pas non plus vendre à des sociétés étrangères. Dès qu'une maison canadienne reçoit de l'aide, il y a un prix énorme à payer, car tout ce qui est facturé à la maison canadienne ne peut pas être vendu à une entreprise étrangère.

Je puis vous dire que nous avons examiné cette question très attentivement à notre association. La valeur de nos maisons d'édition canadiennes serait de deux, trois ou quatre fois ce qu'elle est à l'heure actuelle si elle pouvait être consolidée avec les Random House et les Doubleday de ce monde qui souhaiteraient s'emparer du marché canadien. En tant qu'entrepreneurs, nous payons un prix énorme pour les quelques subventions auxquelles nous avons droit. Au bout du compte, je crois que nous nous tirons très bien d'affaire. Même si le prix à payer est très élevé pour certains d'entre nous, je crois qu'il s'agit de quelque chose de très important sur le plan national, qui mérite d'être poursuivi.

Merci.

Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur Stoddart.

Plusieurs personnes ont indiqué qu'elles voulaient poser des questions. Pour être juste envers tous, j'inviterais les députés et les témoins à être concis. Il nous reste environ une heure.

Je commence par M. Penson.

M. Charlie Penson (Peace River, Réf.): Oui, merci, monsieur le président.

Je tiens à souhaiter la bienvenue aux témoins que nous accueillons aujourd'hui.

Monsieur Stoddart, vous avez dit que cet AMI pourrait empêcher les élus d'avoir leur mot à dire à l'avenir. Voulez-vous nous expliquer si vous pensez que les parlementaires devraient avoir l'occasion de se prononcer sur le texte définitif de l'AMI avant qu'il ne soit adopté par la Chambre des communes?

• 1155

M. Jack Stoddart: J'ai du mal à imaginer que, dans une société démocratique, un accord qui touche de manière aussi fondamentale aux droits des entreprises et des Canadiens ne fasse pas l'objet d'un projet de loi qui serait présenté à la Chambre des communes. Le projet de loi devrait porter non pas seulement sur l'AMI, mais sur tous les autres traités et toutes les autres lois qu'il toucherait.

Je crois savoir que le gouvernement n'a pas l'intention pour l'instant de proposer un projet de loi à cet égard; il passerait plutôt par la voie du décret. Si je me trompe, qu'on me corrige, mais c'est ce que je crois savoir. J'ai du mal à comprendre pourquoi on ne veut pas en faire un projet de loi, puisque c'est la voie qu'on avait suivie dans le cas de l'ALE.

M. Charlie Penson: Merci, monsieur Stoddart. Comme vous le savez, il y a eu l'Accord de libre-échange Canada-Chili et les autres, de même que le processus de l'OMC. La législation en cause chaque fois été modifiée sans toutefois qu'on propose un projet de loi.

Voici finalement ma question. Étant donné que vous avez parlé de la menace que représentent les États-Unis pour la culture canadienne, et nous avons déjà un accord sur l'investissement avec les États-Unis qui se trouve dans l'ALENA, et avant cela dans l'Accord de libre-échange de 1988 qui régit l'investissement canado-américain, et étant donné que nous avons une exemption culturelle, même si les États-Unis ont le droit de faire de même, quel intérêt y aurait-il pour nous à ne pas poursuivre la négociation d'un AMI? Bien des gens disent qu'il ne faut pas approuver cet AMI à moins que la culture n'en soit complètement exclue. Étant donné toutefois la menace qui nous vient des États-Unis, avec lesquels nous continuerons de toute façon à être liés par un accord sur l'investissement aux termes de l'ALENA, quel intérêt aurions-nous à ne pas signer l'accord?

M. Jack Stoddart: Anne pourrait peut-être vous expliquer cela.

Mme Anne McCaskill (expert-conseil, McCaskill Consulting Inc.): Tout d'abord, si nous décidions de signer un nouvel accord et que les États-Unis étaient partie à cet accord, et si l'accord comportait des dispositions qui différaient de celles de l'ALENA, le nouvel accord aurait la préséance.

Alors, ce n'est pas du tout clair. Je crois d'ailleurs qu'il nous faudrait obtenir des dispositions particulières si nous voulions indiquer clairement que les droits et obligations énoncés dans l'ALENA, notamment notre exemption culturelle, auraient la préséance sur l'accord ultérieur sur l'investissement comme l'AMI.

M. Charlie Penson: Selon les échos qui nous arrivaient de Washington pas plus tard que vendredi, les États-Unis seraient d'avis qu'ils ne trouveront pas suffisamment leur compte dans cet accord pour vouloir le signer. Auquel cas, nous serions toujours soumis aux termes de l'ALENA.

Eu égard encore une fois à la menace importante qui nous vient des États-Unis, comme vous l'avez dit, comment la situation pourrait-elle être réglée si nous décidions de ne pas poursuivre la négociation d'un AMI?

M. Jack Stoddart: Si nous décidions de ne pas poursuivre la négociation, les règles de l'ALENA, bien qu'elles ne soient pas idéales en raison de certaines dispositions, seraient alors certainement acceptables, et elles le sont pour les industries depuis que l'ALENA a été signé. Je ne vois donc pas pourquoi ce serait un problème que nous ne signions pas l'AMI.

M. Alexander Mair: La menace que représentent les États-Unis se présente sous diverses formes. Dans l'industrie de la musique, sur les six multinationales dont j'ai parlé, une seule est américaine, tandis que les autres sont européennes, et il y en a une, la compagnie Seagram, dont on peut dire qu'elle est quasi canadienne, même si la musique est contrôlée à partir de New York. Beaucoup des artistes sont américains, mais les sociétés qui produisent leurs enregistrements ne sont pas forcément américaines. Il y a Sony, du Japon, BMG, de l'Allemagne, Polygram, des Pays-Bas, et EMI, de l'Angleterre. Il y en a une autre. Je ne me rappelle pas son nom, mais elle n'est pas américaine. Warner est la seule multinationale qui appartienne à des intérêts américains.

Si nous ne signons pas l'AMI, que les États-Unis le jugent ou non, comme Jack l'a dit tout à l'heure, le soleil continuera quand même à se lever. Les statistiques, quelles qu'elles soient, comme celles des Nations Unies, par exemple, nous disent, pour commencer, que le Canada est un endroit merveilleux où vivre. Deuxièmement, que c'est un pays très accueillant pour les commerçants.

Nos compagnies appartiennent déjà à près de 85 p. 100 à des intérêts étrangers. Pourquoi une compagnie ne voudrait-elle pas investir au Canada sous prétexte que nous n'avons pas signé l'AMI? Je ne vois pas pourquoi. Nous sommes un pays riche en ressources, fortement industrialisé et prospère. Je ne vois pas ce que cela changerait si nous décidions de ne pas signer l'AMI.

• 1200

Le président: Une dernière question, monsieur Penson.

M. Charlie Penson: Le ministre du Commerce international ainsi que le négociateur en chef ont déjà dit au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international qu'ils ont l'intention d'étendre l'accord d'investissement du type de l'ALENA, qui regroupe trois pays, aux 29 pays membres de l'OCDE. Est-ce que vous pensez que c'est le but recherché par ce nouvel accord? Seriez-vous contents si c'était tout ce qu'il fallait?

M. Alexander Mair: Je trouve que l'ALENA a des défauts et je ne crois pas que l'AMI soit aussi simple. Tout comme Jack Stoddart- - c'est ce qu'il vous a dit dans sa déclaration préliminaire— j'estime que c'est une déclaration de sociétés multinationales plutôt qu'une déclaration de pays. Je ne partage pas votre interprétation. Il ne s'agit pas d'une simple extension.

M. Charlie Penson: Non, ce n'est pas mon interprétation. C'est ce que le ministre et le négociateur en chef ont dit à un autre comité.

M. Alexander Mair: Dans ce cas je ne partage pas leur opinion. L'article du Globe and Mail de ce matin consacré aux fuites concernant ce document parle de 56 pages d'exemptions qui ont déjà été censément suggérées, alors que nous continuons à ne pas avoir accès à ce qui se passe, que tout reste secret.

Mme Anne McCaskill: Je crois qu'il serait peut-être utile de s'intéresser un instant à l'exemption culturelle de l'ALENA, à son fonctionnement, et à ce qu'elle nous apporte.

Lorsque je travaillais pour le gouvernement dans le secteur du commerce, j'ai pas mal étudié la question, et, bien que la perception soit qu'en fait elle n'offre pas au Canada beaucoup de protection au niveau de sa capacité de perpétuer le genre de politiques et de programmes culturels qui sont en place depuis longtemps, je ne suis pas tout à fait d'accord. Je crois que l'exemption culturelle nous permet dans une large mesure de conserver notre marge de manoeuvre.

Lorsque nous avons négocié l'Accord de libre-échange avec les États-Unis dans les années 80, nous avons dit clairement que nous n'étions pas prêts à accepter des obligations qui nous limiteraient au niveau de nos politiques et de nos programmes culturels. C'est à cette époque que nous avons négocié la première exemption culturelle. Les Américains réclamaient un droit de représailles si des mesures d'exemption de la culture prises par le Canada s'avéraient incompatibles avec certaines dispositions de l'Accord de libre-échange.

Lorsque nous avons ensuite négocié l'ALENA, nous avons, pour l'essentiel, insisté pour que cette exemption culturelle soit reportée dans le nouvel accord, et les Américains en retour ont insisté pour que leur droit de représailles soit de même reporté. C'est un couplage que nous n'avons pu éviter lors des négociations de l'ALENA. Cependant, la portée et la valeur de l'exemption culturelle dans le contexte de l'ALENA sont beaucoup plus importantes pour le Canada que la portée et la valeur du droit de représailles transposé par les Américains de l'ALE à l'ALENA pour une raison très simple: l'ALENA couvre un certain nombre de domaines d'activité qui n'étaient pas assujettis à l'ALE pour commencer.

Par exemple—et c'est l'aspect le plus important concernant les industries culturelles—l'ALE ne comprenait pas de chapitre sur les droits de propriété intellectuelle. La propriété intellectuelle a été couverte pour la première fois dans l'ALENA, et nous avons accepté diverses obligations dans l'ALENA, y compris une obligation de traitement national, qui signifiait que nous devions faire bénéficier les intérêts américains exactement du même traitement que les intérêts canadiens, y compris dans des domaines importants comme la protection du droit d'auteur. Mais comme il y avait cette exemption culturelle, nous avons retiré les industries culturelles de la couverture de ces nouvelles disciplines incluses dans l'ALENA.

Vous voyez que notre exemption culturelle ratisse beaucoup plus large, car nous avons évité toutes les obligations d'un ALENA élargi, qui s'appliquerait aux services et aux droits de propriété intellectuelle, auxquels ne s'appliquait pas l'ALE.

• 1205

Mais le droit de rétorsion dont peuvent user les États-Unis ne s'applique qu'aux obligations que devait respecter le Canada au titre de l'ALE, et non pas au titre de l'ALENA. Les États-Unis ont donc le droit d'user de rétorsion si le Canada opte pour une mesure qui ne se conformerait pas à nos obligations en vertu de l'ALE, mais cela ne s'applique pas à nos obligations en vertu de l'ALENA. Le champ est libre de ce côté-là. Le seul secteur auquel s'appliquait l'ALE, c'était celui de l'investissement, et nous avons maintenu tous les programmes et politiques d'investissement qui existent chez nous.

Il y a donc actuellement très peu de domaines en regard desquels on pourrait s'attendre à ce que les États-Unis aient un droit de rétorsion, droit qui est actuellement assorti à l'exemption culturelle de l'ALENA.

Le président: Nous y reviendrons plus tard. Monsieur Clarke, je demande votre indulgence: deux des membres de notre comité doivent partir à 12 h 15, et les représentants du Bloc québécois, des néo-démocrates et des conservateurs ont gentiment cédé leur place à ces députés pour qu'ils puissent poser leurs questions. Je donne donc la parole à M. Bélanger, puis à Mme Bulte, après quoi nous reviendrons à l'ordre établi. Vous pourrez alors poursuivre vos observations.

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Merci, monsieur le président. Avant de commencer, je crois que notre comité devrait reconnaître officiellement l'annonce faite la semaine dernière par la ministre du Patrimoine canadien eu égard au Fonds de production télévisuelle, et se réjouir du fait que la ministre adhère à la recommandation faite par notre comité à l'unanimité de le maintenir. Nous devrions envoyer une petite note à la ministre pour la féliciter d'avoir négocié avec succès cette question.

[Français]

Je voudrais simplement dire aux collègues et à nos témoins que, dans l'ensemble, je partage leurs préoccupations et leurs points de vue. C'est un point de vue que plusieurs d'entre nous ont fait valoir auprès du gouvernement, et je voudrais simplement ajouter, pour le bénéfice des collègues autour de la table, que ce n'est pas un point de vue qui est unique au Canada.

J'ai eu l'honneur de participer au Sommet de la Francophonie à Hanoi au Vietnam, en novembre dernier, et lors des discours d'ouverture, le président Chirac de France a parlé surtout de la crainte, de la préoccupation majeure qu'a la France vis-à-vis de l'exportation de la culture américaine, en particulier vis-à-vis de l'hégémonie américaine au niveau culturel.

Cela m'a impressionné. Le fait que la France étale devant la Francophonie mondiale cette préoccupation majeure m'amène à m'inquiéter de ce qui se produit présentement dans ces négociations en particulier. Je pense qu'il vaut la peine de noter que cette préoccupation au point de vue culturel, entre autres, est partagée par plusieurs pays dont la France. Je pense que c'est de bon augure. Merci, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Bélanger. Madame Bulte.

[Traduction]

Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci, monsieur le président, et merci à nos collègues d'en face de nous avoir permis de prendre la parole.

Messieurs Stoddart et Mair, le ministre a prononcé vendredi un discours devant le Centre de droit et politique commerciale. Dans son discours, il a affirmé que le Canada prônait l'exclusion totale de l'AMI, à défaut de quoi nous n'accepterions rien de moins qu'une réserve générale liée à un pays, comme M. Neil, du Conseil des arts, l'avait recommandé.

Vous savez que le comité sur l'AMI a recommandé de suivre la méthode de la France, qui réclame la pleine exemption, tout en précisant, comme le signalait M. Kelly, que pour avoir une culture il faut pouvoir se juger soi-même. Nous avons écouté la SOCAN et nous craignons même que les protections qu'elle propose ne suffisent pas dans l'avenir.

Monsieur Stoddart, vous affirmez que la réserve générale liée à un pays ne suffit pas, alors que, d'après ce que je comprends, cette réserve est du point de vue juridique la même chose qu'une exemption assortie de ramifications politiques. Aidez-nous à comprendre: M. Neil est pour, alors que vous êtes contre.

• 1210

M. Jack Stoddart: Je connais bien Garry, mais je ne savais pas qu'il avait dit cela, et je ne comprends pas bien pourquoi il aurait fait cette affirmation.

La difficulté lorsqu'un pays émet une réserve, c'est comme si l'on permettait à n'importe qui de vous traîner devant les tribunaux. Cela revient à prêter le flanc à toute contestation. Il y a quelque trois mois, j'ai eu le plaisir d'être invité à Toronto par l'attaché commercial des États-Unis, qui était accompagné du dernier représentant en date du State Department de Washington. Après que ce dernier eut pris la peine de nous expliquer que les États-Unis avaient accepté notre demande d'exemption culturelle, il se mit en frais d'expliquer que la culture n'existait pas et qu'ils avaient accepté cette demande dans le traité uniquement pour être courtois à l'égard du Canada, mais que l'exemption n'avait pas une grande portée de toute façon. J'ai trouvé cela intéressant. Je lui ai alors demandé ce qu'il avait d'autre à son programme, et il a exhibé une liste. Il a parlé de Borders, de Polygram, qui n'est même pas américaine...

Mme Sarmite Bulte: Oui, je sais.

M. Jack Stoddart: Et on pourrait continuer la liste. Lorsqu'un pays émet une réserve spécifique, il consacre la situation au moment même et devient par le fait même une cible.

En deuxième lieu, cette réserve donne un cliché de la situation au moment même et ne permet pas d'évoluer au fur et à mesure des changements technologiques.

Mme Sarmite Bulte: Seulement si cela fait l'objet du statu quo et du démantèlement...

M. Jack Stoddart: En effet.

Mme Sarmite Bulte: ...et le ministre a pourtant dit clairement que ni l'un ni l'autre ne s'appliquerait, ce qui fait de la réserve une réserve générale, comme l'affirmait Garry.

Aidez-nous à comprendre. Si cette réserve ne suffit pas, il faut le dire clairement.

J'avais cru comprendre, à la lumière des recommandations qu'avait faites le sous-comité de l'AMI sur la culture, que d'exiger une exemption sur la sécurité nationale suffisait, tout comme de se juger soi-même ou d'aller encore plus loin que ce que recommandait la SOCAN. Si ce n'est pas le cas, il nous faut le savoir dès maintenant, mais je crois que nous ne pourrons étudier cette question isolément, en nous fondant sur les recommandations du comité et sur ce que le ministre a affirmé vendredi. Il ne s'agit pas d'une fuite de document, mais d'un document public. Si vous n'en avez pas reçu un exemplaire, je vous en fournirai un avec plaisir.

M. Jack Stoddart: L'un ou l'autre de mes collègues voudrait-il commenter?

M. Tony Clarke (directeur, Institut Polaris): Je commencerai par répondre à Mme Bulte.

En premier lieu, je ne sais pas exactement ce que Garry Neil a affirmé, mais il me semble qu'il faut bien comprendre la différence énorme qui existe entre l'exemption et l'exclusion, d'une part, et la réserve, d'autre part.

Une réserve est une mesure temporaire permettant au gouvernement de contourner l'obstacle politique que pourrait représenter la difficulté de convaincre sa population du bien-fondé d'un accord commercial ou d'un accord sur l'investissement; elle permet également d'assurer la transition. Le texte actuel de l'AMI vous oblige, dès que vous y adhérez et même si vous avez émis des réserves, à abroger petit à petit les lois qui ne s'y conformeraient pas.

Cela pourrait changer, mais le texte actuel de même que les autres ébauches de janvier, de mai et d'octobre 1997 allaient tous dans ce sens. Tant que cela ne changera pas, cela pose problème.

En second lieu, M. Marchi a lancé vendredi quelque chose de relativement nouveau. Il avance une liste de desiderata établie à la suite du tollé qui a été soulevé et des pressions de la population. Des changements qui doivent être apportés pour que le Canada accepte plus aisément l'AMI. Il s'agit donc d'une liste de desiderata.

Lorsqu'il affirme que le démantèlement et le statu quo ne s'appliqueront pas aux réserves spécifiques que le Canada pourrait avoir, ce ne sont que des desiderata; ce n'est pas ce qu'affirment les autres pays. Il faut comprendre que tout cela fait partie du processus de négociation.

En troisième lieu, M. Diamond lui-même aurait affirmé comme chef négociateur que toutes les réserves que nous avons servent de monnaie d'échange. Autrement dit, certaines pourraient même disparaître. Il faut donc y prendre garde; voilà pourquoi, en ce qui concerne les préoccupations que vous avez exprimées, surtout à propos de la culture, il est absolument essentiel d'exiger une exemption ou une exclusion complète si vous voulez protéger les secteurs qui vous tiennent à coeur.

Voilà pour mon premier commentaire.

J'aimerais brièvement signaler, en second lieu, qu'il est extrêmement important de comprendre que l'AMI diffère de l'ALENA. Quiconque prétend qu'il s'agit ici uniquement d'appliquer le onzième chapitre de l'ALENA de façon multilatérale à 26 autres pays ne dit pas tout à fait la vérité, c'est le moins que l'on puisse dire.

• 1215

D'abord, il n'y a aucun code de subvention dans l'ALENA. Autrement dit, dès lors que les gouvernements concèdent des subventions, des prêts et des subsides à des industries—dans ce cas-ci à des industries culturelles—,ils doivent se soumettre à la clause du traitement national, ce qui les obligerait à concéder les mêmes subventions, prêts et subsides aux investisseurs étrangers. C'est très clair. Or, ce n'est pas du tout ce que l'ALENA prévoit.

Deuxièmement, l'interdiction en ce qui concerne les prescriptions de résultat va beaucoup plus loin dans l'AMI que dans l'ALENA.

Troisièmement, la définition d'un investissement est également beaucoup plus large dans l'AMI que dans le chapitre 11 de l'ALENA.

Par conséquent, nous devons bien comprendre qu'à eux seuls ces éléments-là sont déjà différents. Ensuite, si vous ajoutez à cela les types de mécanismes investissement-État qui sont prévus, des mécanismes qui permettent aux sociétés de poursuivre les gouvernements directement, si vous tenez compte du fait que les règles de l'AMI s'appliqueront aux gouvernements infranationaux autant qu'aux gouvernements fédéraux ou nationaux, tout cela constitue, toutes ces règles de l'AMI constituent, surtout dans le cas du Québec, des restrictions considérables.

Nous devons faire très attention, nous devons prendre garde et ne pas considérer que c'est la même chose que l'ALENA, que dans l'AMI, on se contente de réchauffer les arrangements de l'ALENA et de les resservir. C'est un piège qu'il faut éviter à tout prix.

Le président: C'est un point très important. Je parle des deux notions.

[Français]

Madame St-Hilaire.

Mme Caroline St-Hilaire (Longueuil, BQ): Tout d'abord, merci aux témoins pour leurs explications. Cela m'a permis d'y voir un peu plus clair. Je pense surtout que vous venez de sensibiliser le comité à l'importance de bien défendre et de bien protéger les cultures canadienne et québécoise.

Pour faire suite à ce que Mme Bulte disait, il me semble qu'on a beaucoup parlé de réserve et d'exemption générale. Si on ne parle que de réserve pour refuser de signer l'entente, il faudrait, comme disait Mme Bulte, le faire savoir très clairement. Je pense aussi à ce que M. Pilon disait concernant l'impact au niveau des producteurs indépendants. J'aimerais d'ailleurs vous entendre à ce sujet, monsieur Pilon, ainsi que d'autres témoins. Est-ce qu'on doit, à ce moment-là, refuser de signer l'entente avec une simple réserve?

M. Robert Pilon: Oui, ce serait mon avis. Il faut comprendre qu'il y a une dynamique. On peut lire dans le Ottawa Citizen de ce matin un article intitulé «French film-makers protest global pact». En effet, il y avait, hier soir à Paris, une grosse réunion de gens du secteur du cinéma et de la musique. En Europe, il y a un mouvement qui est en train de se développer, un grassroots movement. Celui-ci se développe parmi les artistes et les gens impliqués dans les industries culturelles pour lutter contre cet accord et pour obtenir une véritable clause d'exception culturelle dans le cadre de cet accord.

Nous avons connu ce genre de débat au Canada, lors des négociations du libre-échange avec les Américains. On l'a aussi connu au moment du GATT, en 1993, et on va le connaître de nouveau au moment du renouvellement du Traité de libre-échange, qui va venir tôt ou tard, ou de l'élargissement du traité aux pays de l'Amérique du Sud. On le connaîtra encore en l'an 2000, quand les négociations vont revenir sur le GATT. J'essaie d'être réaliste car c'est important d'être réaliste. C'est un débat.

[Traduction]

Nous ne réussirons jamais à nous en débarrasser. D'une certaine façon, c'est une malédiction canadienne.

[Français]

Les Américains ont un pays immense, et les industries culturelles constituent leur deuxième secteur d'exportation à travers le monde après l'industrie aéronautique. Il est tout à fait logique et compréhensible, dans une logique économique, que ces gens-là veuillent exporter partout à travers le monde leurs films, leurs disques, leurs émissions de télévision, leurs livres, leurs magazines. C'est tout à fait logique. Et, quoi que les autres pays essaient de faire, ils vont continuer à essayer d'exporter et à essayer d'obtenir le minimum et, si possible, aucune restriction sur n'importe quel marché à travers le monde. Ils vont le faire. C'est leur logique et c'est normal qu'ils le fassent.

Je pense que la balle est dans notre camp à nous, les Canadiens, les Suédois, les Portugais et les Brésiliens. Est-ce que, oui ou non, nous estimons, face à cette pression-là qui ne cessera pas et qui va continuer pendant 10, 20, 30, 40, 100 ans peut-être, qu'il est important pour les gens des autres pays, des autres nations, des autres cultures et d'autres langues de maintenir une fenêtre pour les productions culturelles de leurs artistes et de leurs entreprises culturelles?

• 1220

C'est une décision de société qu'on doit prendre.

Un énorme parallèle doit être fait entre ce débat et tout le débat sur l'environnement et la biodiversité. Je lisais encore ce matin dans le train le document qui, malheureusement, porte ma signature, parce que j'ai été membre de ce comité, le document de la Conférence canadienne des arts que je trouve beaucoup trop mou. Il y a un passage où il est dit qu'on n'est pas protectionnistes et qu'on ne veut pas l'être. Moi, je dis que je suis protectionniste. Je suis fier d'affirmer que je suis protectionniste, tout comme les gens qui militent dans les organisations environnementales pour préserver les forêts de l'Amazonie, la faune au Canada, la nature au Canada. C'est une notion importante. Personne n'est gêné de dire qu'il veut protéger et qu'il est protectionniste au niveau de l'environnement. Alors, moi, je suis protectionniste au niveau de la culture et je suis fier de l'être.

Il est important de maintenir la biodiversité, de maintenir le nombre et la variété des espèces de poissons, de chevreuils, etc. Ne venez pas me dire qu'il est moins important de maintenir la diversité des cultures et des langues que de maintenir la diversité des poissons et des canards. Pour moi, c'est aussi important, sinon plus.

Il faut donc arrêter d'être gênés de défendre la diversité de nos cultures et de nos langues à travers le monde. Si j'étais à Lisbonne ce matin ou à Rio, je dirais exactement la même chose que ce que je dis ici, à Ottawa, aujourd'hui.

Le président: Madame St-Hilaire, allez-y, très brièvement.

Mme Caroline St-Hilaire: Juste une petite question. Vous avez parlé de protectionnisme et vous m'ouvrez une grande porte. En ce qui concerne les quotas, pouvez-vous me dire si vous êtes d'accord sur les quotas actuels? Et s'il y avait une signature de l'AMI malgré toutes nos recommandations, est-ce qu'il faudrait augmenter ces quotas?

M. Robert Pilon: Le CRTC a fait une revue très importante de toutes les politiques et réglementations concernant la radio, l'automne passé, devant une audience très nombreuse au mois de décembre. On a reçu des mémoires de 30 ou 40 groupes. On me dit qu'ils commencent leurs délibérations ces jours-ci et que la décision sera connue début avril. Tout le milieu canadien de la musique a revendiqué une hausse du niveau du contenu canadien, qui n'est qu'à 30 p. 100, ce qui est assez faible. N'oubliez pas que 30 p. 100 veut dire 70 p. 100 de contenu étranger.

Les quotas de contenu francophone sont de 65 p. 100, et nous n'avons pas demandé de hausse, mais nous avons demandé qu'ils soient mieux appliqués, c'est-à-dire que ce ne soit pas juste le soir mais aussi aux heures de grande écoute durant la journée.

Pourquoi des quotas? Souvent on nous dit que les quotas sont une mesure d'arrière-garde, une mesure défensive, une mesure de dinosaure, une mesure du passé. Moi, au contraire, je pense que c'est une mesure d'avant-garde. Si on me dit qu'il est important pour l'avenir de la planète de préserver les forêts en Amazonie, et je pense vraiment que c'est important pour l'écologie de préserver tout ça, il me semble que c'est une mesure d'avant-garde puisque c'est pour préserver l'équilibre écologique de la planète. Je pense donc que c'est une mesure d'avant-garde que de protéger l'équilibre écologique de la race humaine en maintenant la diversité des cultures et des langues.

Malheureusement, pour faire cela, il faut prendre des mesures contraignantes. Il faut également prendre des mesures contraignantes pour protéger nos cultures, nos langues et la diversité d'expression de nos artistes. Quand je dis ça, je vous parle en tant que terrien et même pas en tant que Canadien parce que, pour moi, c'est aussi important. Je suis allé en vacances en Espagne en septembre et j'ai découvert la musique populaire espagnole, que j'ai trouvée extraordinaire. C'est une valeur et, en tant que terrien, il me semble important de la défendre pour qu'il continue à y avoir de la musique espagnole et pour qu'en Espagne il n'y ait pas juste de la musique américaine. De la même façon, il me semble important qu'au Canada, il y ait de la musique canadienne et québécoise et pas juste de la musique américaine. C'est une valeur de société, une valeur d'individus. Je pense que le Parlement du Canada va devoir se prononcer sur cette question philosophique fondamentale. On laissera aux juristes et aux experts le règlement des détails techniques pour arriver à ce qu'on veut, mais il y a d'abord une décision politique à prendre.

Est-ce qu'il y a un prix à payer pour cela? Oui. Est-ce que les Américains vont être mécontents? Oui, ils vont être mécontents. Mais je pense que la seule solution, c'est de travailler de concert avec les autres pays comme la France, la Grande-Bretagne, l'Australie et le Brésil. Il y a beaucoup de pays à travers le monde qui partagent nos valeurs et qui veulent, comme nous, maintenir la diversité de la culture tout comme on veut maintenir la biodiversité dans l'environnement. Il faut travailler avec eux, et je pense qu'un jour ou l'autre, les Américains vont se rendre à la raison, même si c'est de mauvaise grâce, parce qu'il verront que le reste de la planète n'est pas d'accord avec eux.

• 1225

Le président: Merci beaucoup. Ms. Lill.

[Traduction]

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup d'être venus. Ce que vous nous dites ce matin me renverse et m'impressionne.

Jeudi dernier, il s'est produit quelque chose d'étonnant. Pendant la période des questions, j'ai réussi à faire dire à Sergio Marchi qu'il quitterait la table des négociations s'il ne réussissait pas à obtenir un retranchement total des aspects culturels. Il m'a dit: oui, vous avez raison. Il m'a semblé que c'était une victoire majeure.

Ensuite, évidemment, j'ai entendu dire que le lendemain, à la conférence sur la politique commerciale, il avait déclaré que nous étions en faveur de l'exclusion totale de la culture de l'AMI, mais que s'il n'obtenait pas ce retranchement total, nous demanderions une réserve par pays individuel.

J'imagine que je pourrais poser à nouveau la question et voir ce qu'il me répondrait aujourd'hui. Nous essayons tous de trouver la bonne solution, c'est loin d'être facile, et le plus souvent, on a l'impression que les gens se laissent porter par la vague. Nous en sommes à la onzième heure, et personne n'est sûr de ce que l'énoncé signifie.

Vous devez vous dire que ce n'est pas vraiment une question, mais j'aimerais que vous, qui avez une connaissance beaucoup plus approfondie de ces domaines, me disiez ce que les politiciens ici présents peuvent faire pour obtenir certaines protections à la dernière minute.

M. Jack Stoddart: À mon avis, le genre de discussion que nous avons aujourd'hui... Je ne sais pas, cette fois-ci il y a beaucoup de partis différents au Parlement, et ils ont peut-être une position différente. J'ai l'impression que tout le monde, plus ou moins, est contre l'AMI. Et même plutôt plus que moins.

C'est un message qui n'est pas perdu pour tout le monde. Ce n'est pas parce qu'une entente risque d'être signée ou de ne pas être signée... Si elle n'est pas signée le 29 avril, on essaiera à nouveau en juin ou en septembre.

Cela dépend des pressions qui s'exercent. De toute évidence, le ministre Marchi a bien saisi le message. Il a peut-être hésité un peu au sujet de la deuxième observation, mais à mon avis, c'est bien à la Chambre qu'il faut poser ce genre de question.

À mon avis, le besoin existe. Parmi les libéraux, le parti au pouvoir, beaucoup de gens pensent que ces mesures ne sont pas justifiées. Je pense qu'il est bon d'intervenir devant le Parlement, d'intervenir pendant la période des questions et également devant des comités comme celui-ci, de dire publiquement que...

Maude Barlow, du Conseil des Canadiens, se déplace actuellement dans tout le Canada pour parler de l'AMI. C'est très intéressant. Hier encore, il y avait un article excellent dans le Globe au sujet des centaines et, dans certains cas, des milliers de personnes qui ont assisté aux réunions qu'elle a organisées. On n'a rien vu de tel depuis l'ALE. L'ALENA s'est glissé en douceur, quant à l'OMC, personne n'était au courant. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé d'agir énergiquement au sujet de l'AMI, car on voyait que ce serait encore une fois comme l'OMC, une signature en douce après quoi on n'en parle plus.

Je suis convaincu que le Canada est très en avance sur les autres nations du monde. La question a été soulevée, on vous a confié cette étude. Les Américains voient les choses de la même façon. Il y a des groupes aux États-Unis qui sont tout aussi déterminés à lutter contre l'AMI que les Canadiens. Les techniques qu'ils utilisent sont un peu différentes.

Je vois mal comment cela pourrait être signé aux États-Unis sans aucune audience, ni au Congrès, ni au Sénat. Ils n'ont pas accéléré le processus, mais d'un autre côté, ils se disent: c'est une affaire d'investissement et non pas de commerce, et par conséquent, nous n'en avons pas vraiment besoin.

Mais c'est un aspect fondamental, cela met en cause les droits de propriété des uns et des autres. Cela met en cause le droit d'un gouvernement d'exprimer son opinion sur certaines questions. Il faut que la population et les gens qui nous représentent au Parlement continuent à en discuter. Un accord international sur l'investissement aurait peut-être des avantages, mais il faut absolument que ce soit bien fait.

Je suis d'accord avec M. Marchi à ce sujet. S'il est possible de bien le faire, avec les protections nécessaires, eh bien soit. La possibilité de protéger les investissements dans d'autres pays, de protéger les investisseurs étrangers sur notre territoire présente certainement des avantages, mais il faut absolument le faire bien. Il faut y consacrer du temps, il faut avoir des audiences publiques, il faut consulter les différents groupes d'intérêts, exactement comme nous l'avons fait avec l'ALE. Nous avons eu des audiences publiques et nous savions exactement ce à quoi nous nous exposions. Nous sommes très nombreux à n'être pas d'accord.

• 1230

Les décisions finales sur l'ALE et les accords parallèles qui ont suivi l'ALENA ont été d'autant plus justifiés qu'il y avait eu des audiences publiques. Le public était au courant, et le résultat a été meilleur que si on avait négocié en secret. C'est ce qui se fait actuellement avec l'AMI. Tout cela n'est pas inutile, mais il faut poursuivre la discussion, continuer à exercer des pressions.

M. Alexander Mair: Dans le Citizen de ce matin il y avait un article intéressant. Robert a lu le titre: «French film-makers protest global pact» (Des réalisateurs de cinéma français protestent contre l'entente internationale). On parle ensuite d'une manifestation conduite par les réalisateurs Jean-Jacques Beineix et Bertrand Tavernier avec la bénédiction de la ministre de la Culture, Catherine Trautmann.

Voilà donc la ministre de la Culture en France qui encourage le public à prendre conscience de l'impact potentiel de l'AMI. J'espère que nos ministres partageront cette position et s'assureront que le public comprend parfaitement la situation en cette dernière heure. Jusqu'à tout récemment, les médias semblaient ignorer totalement la question, et le gouvernement, de son côté, ne semblait pas désireux d'informer les gens que cela intéresse. Vous avez donc des organismes comme le Conseil des Canadiens, etc., qui prennent l'initiative et qui tentent d'expliquer aux gens la signification d'une documentation publique limitée.

Le président: Monsieur Brison.

M. Scott Brison (Kings—Hants, PC): Merci, monsieur le président.

Il y a des sujets parfois qui nous permettent de définir notre propre position philosophique en notre qualité de citoyens et de représentants politiques. Je suis un progressiste-conservateur, je prône un libre-échange assorti d'assurances et pour cette raison, je tiens à ce qu'on protège notre culture et notre capacité à communiquer entre nous en tant que Canadiens.

Pour moi, la protection de la culture est une question d'unité. Une des façons de maintenir le dialogue avec tous les Canadiens et de défendre un environnement qui favorise notre unité est de protéger efficacement notre culture.

Nous connaissons tous la position adoptée par mon parti au sujet de l'ALE, mais s'il y a une différence entre l'ALE et la discussion présente, elle tient à l'ouverture de la discussion. Il est certain qu'on démocratise beaucoup le processus en axant des élections sur un sujet particulier, comme cela a été le cas pour l'ALE.

Je fais partie du sous-comité sur le commerce qui a étudié l'AMI. Nous nous sommes battus individuellement et nous avons travaillé avec M. Speller pour définir la culture; l'énoncé était très nébuleux. Il y avait quelque chose comme: «la culture devrait être protégée», et cela vous fera peut-être chaud au coeur de savoir qu'un conservateur s'est battu pour qu'on remplace «devrait» par «doit». Quoi qu'il en soit, je suis un conservateur libre- échangiste qui apprécie la culture, et j'en suis fier.

M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): C'est un oxymoron.

M. Scott Brison: Je peux même vous montrer le reçu de mes billets de saison.

Il y a une chose qu'il ne faut jamais oublier, et j'aimerais savoir ce que vous en pensez: c'est qu'avec n'importe quelle politique publique, on s'expose à la loi des conséquences imprévues. C'est d'autant plus le cas lorsqu'il s'agit d'une politique protectionniste. C'est une arme à double tranchant qui peut toujours avoir des ramifications négatives.

J'ai entendu dire que les sociétés qui fonctionnent dans des milieux protectionnistes subissent une dévaluation monétaire. Ce genre de milieu favorise, entre autres, la concentration du pouvoir à l'intérieur du pays.

Par exemple, au Nouveau-Brunswick, un groupe comme Irving peut posséder tous les médias de langue anglaise, en partie parce que les politiques protectionnistes qui ont cours ont dévalué les journaux et les stations de radio sur le plan commercial.

• 1235

Au niveau national, par exemple, on pourrait dire que le protectionnisme a aidé des gens comme Conrad Black à concentrer des intérêts médiatiques considérables.

Les banques canadiennes, qui ne sont certainement pas considérées comme des amies du Canadien moyen, ont profité également dans une certaine mesure des protections qu'on leur accorde contre la concurrence internationale.

Dans ces conditions, il faut se demander si ces entités sont plus sensibles aux besoins des Canadiens. Est-ce qu'au contraire Conrad Black et la famille Irving, avec leurs concentrations médiatiques, ont plus de valeur pour les Canadiens à cause de leur protection culturelle? Moins de valeur? Une question très courte.

M. Jack Stoddart: Vous me permettez une observation très rapide? Je pense que la concentration des sociétés est une mauvaise chose, et peu m'importe que ce soit au niveau national ou international. Il y a longtemps que la plupart des «bureaux de la concurrence» de la majeure partie des pays occidentaux ne font plus grand-chose. Il est difficile de nier la concentration des médias quand Conrad Black possède 62 p. 100 de tous les journaux du pays.

Et si vous décidez de fonctionner en atelier fermé—peu importe comment vous appelez cela—vous devez avoir un droit de regard sur la concentration.

Que le phénomène soit international ou canadien, cela m'importe peu. Je considère que ce n'est pas normal. S'il y a une chose qui n'existe pas dans l'industrie du livre à l'heure actuelle, c'est la concentration. Nous avons tous les éditeurs internationaux et également un groupe très fort d'éditeurs canadiens. Comme je l'ai dit, c'est probablement la meilleure situation.

Vous me permettez une autre observation au sujet d'une chose que vous avez dite. Je ne comprends pas... c'est peut-être parce qu'ils croyaient que cela se ferait en secret. Quoi qu'il en soit, la culture et la langue sont tellement importantes pour le Québec, et à une époque où l'avenir du Québec et de notre pays reste en suspens, je ne comprends vraiment pas pourquoi un gouvernement quelconque s'intéresserait au moment qu'on a choisi pour discuter de cet AMI. Cela nous ramène aux audiences sur l'environnement, et à la question posée à John Gero, le représentant de l'équipe de négociation: il avait répondu que non, que cela ne s'appliquait pas aux provinces, et il y a eu deux ou trois échanges avec le comité.

Je ne comprends vraiment pas comment on peut considérer que les questions d'investissement et de propriété, les questions légales que cela comporte, le droit d'adopter des mesures d'encouragement, comment tout cela peut ne pas intéresser les provinces. Bien sûr que cela les intéresse. Il y a peut-être des particularités techniques, et jusqu'ici cela n'a peut-être pas encore été négocié, mais je trouve cela très étrange, et je trouve que le moment est très mal choisi pour discuter de culture, entre autres choses, dans le cadre d'une entente internationale, alors qu'il reste tellement de problèmes nationaux sans solution, des problèmes qui ont un rapport très étroit avec cette question.

Le président: Je peux vous redonner la parole tout à l'heure, monsieur Brison? Il reste quatre députés sur ma liste et 20 minutes. Je vous demande à tous d'être concis, je l'apprécierais beaucoup. Monsieur Brison, je vous redonnerai la parole plus tard.

Monsieur Abbott.

M. Jim Abbott (Kootenay—Columbia, Réf.): Je vais essayer d'être le plus concis possible.

    Au début, M. Stoddart a dit que c'était à qui arriverait le plus vite en bas de la pente, et que l'AMI faisait partie de cette course. Je regarde à la page 67 de ce livre sur l'AMI qu'on nous a distribué aujourd'hui, et je cite:

    Même s'il est peu probable que des entreprises étrangères se servent des règles de l'AMI pour contrer directement les codes provinciaux du travail, le nouveau traité sur l'investissement accroîtra certes la concurrence, ce qui incitera davantage les gouvernements à assouplir certaines dispositions de leurs codes du travail.

Dans le paragraphe suivant, on mentionne certaines mesures qui ont été prises en Ontario et en Colombie-Britannique:

    Ces exemples montrent bien que de telles lois sur les droits économiques sont de plus en plus prises d'assaut par les grandes entreprises du pays.

Je me demande si vous approuvez ces énoncés. Je suis assez vieux pour me rappeler d'une bande dessinée, Pogo, et il me semble que dans une des bandes, Pogo disait: «J'ai vu l'ennemi, c'est nous».

L'un des principaux actionnaires de la Maple Leaf Meats de Brandon est le fonds de pension des enseignements de l'Ontario. Que ce soit chez nos témoins ou parmi les membres du comité, la plupart d'entre nous cotisent à un fonds de pension dont les gestionnaires investissent l'argent, que ce soit par le truchement de fonds communs ou par d'autres moyens, en vue d'obtenir le meilleur rendement possible.

Je me demande si nous ne sommes pas notre propre ennemi.

• 1240

Deuxièmement, parlons des travailleurs de l'industrie culturelle. Ces travailleurs sont-ils plus importants que les employés de Cominco, d'Inco, de Noranda ou des sociétés pétrolières? Autrement dit, si cet accord n'est pas signé, ces entreprises multinationales établies au Canada devront peut-être accepter les diktats d'une nation étrangère. Cela pourrait avoir pour effet de mettre en péril des investissements de plusieurs millions ou plusieurs milliards de dollars et de menacer les emplois de travailleurs canadiens dans ces entreprises.

Autrement dit, ce que je veux savoir, c'est si les gens de l'industrie culturelle, en refusant tout accord à moins de faire l'objet d'une exception générale, défendent leurs intérêts financiers aux dépens des enseignants qui font de tels investissements, des titulaires d'autres fonds communs ou des employés qui travaillent pour ces grandes sociétés.

M. Jack Stoddart: Non, je ne crois pas que nous défendions nos intérêts aux dépens des autres. Nous sommes ici pour exprimer le point de vue du secteur de la culture. Nous avons analysé quels résultats un accord non assorti de limites pourrait avoir, et nous estimons que des milliers d'emplois seraient perdus dans notre industrie. C'est une responsabilité que notre industrie doit assumer, et cela fait partie des discussions sur l'AMI.

Si l'ennemi c'est nous, nous pouvons au moins essayer de régler le problème. Mais si l'ennemi est une société internationale établie dans une zone exonérée d'impôt à 10 milliards de dollars par année, il nous sera bien difficile de défendre nos intérêts culturels, du moins.

Nous devons nous assurer d'appliquer des règles équitables qui nous permettent à nous, au Canada, d'user de freins et de contrepoids. S'il existe des inégalités dans une partie du système, qu'il s'agisse des employés, de la rémunération ou des conditions de travail, conservons au moins la possibilité de les régler au moyen de règles équitables.

L'un des problèmes de l'AMI, c'est que les entreprises étrangères pourraient, sous ce régime, avoir davantage de droits que les sociétés canadiennes elles-mêmes. Si c'est le cas, les sociétés canadiennes deviendront des citoyens de deuxième zone. Mais ce n'est pas nous qui ferons les règles et nous ne pourrons pas régler le problème. Si vous signez cet accord, vous serez tenus de l'appliquer pendant 20 ans.

Nous croyons qu'il ne devrait pas y avoir des employés de deuxième zone, non plus que des sociétés de deuxième zone, et c'est l'effet qu'aurait cet accord. Je ne dis pas qu'il faut accorder la préférence à un groupe plutôt qu'à un autre. Nous parlons de notre industrie et des effets de cet accord sur cette industrie.

Le président: Puisque M. Clarke est coauteur du livre, il souhaiterait peut-être ajouter quelque chose.

M. Tony Clarke: Eh bien, M. Stoddart a très bien répondu à la question. J'ajouterai toutefois que les extraits que vous avez lus portent sur les deux principaux éléments de l'AMI. Le premier de ces éléments, c'est les règles réelles et leur application. Le second montre l'effet de saisissement qu'a l'accord, effet qui oblige les gouvernements à adopter la même orientation. Il est très important de revenir à ces éléments et de voir comment ils s'appliquent à tout le reste de l'argument.

Ce que vous avez dit au sujet des enseignants est très important. Votre argument voulant que «l'ennemi c'est nous» vaut la peine d'être examiné de façon plus approfondie. Pour ce qui est des enseignants, je ferai remarquer qu'il existe un énorme fossé entre, d'une part, le fonds de pension des enseignants et la façon dont cet argent est investi et, d'autre part, les intérêts des enseignants et ceux du régime d'éducation publique. Si les enseignants faisaient partie du secteur de la culture, s'ils étaient représentés ici parmi les témoins, ils vous diraient sans doute qu'ils sont très inquiets des effets que l'AMI aura sur l'enseignement public. En outre, leur inquiétude n'est pas aussi grande dans le cas de l'Accord de libre-échange.

C'est l'AMI qui les inquiète, surtout parce que cet accord, comme nous l'avons dit, touchera les gouvernements provinciaux. En effet, les règles de l'AMI s'appliquent même aux subventions gouvernementales offertes par le truchement de n'importe quelle entité à but non lucratif. Cela signifie que ces règles s'appliqueront à toute subvention et à tout octroi fédéraux et provinciaux versés aux programmes d'éducation—à l'enseignement public, aux universités, etc.—et ils en sont très inquiets. En outre, si vous lisez l'AMI, vous constaterez que les produits éducatifs pourraient être directement assujettis aux règles de l'accord.

• 1245

Donc, même les gestionnaires du fonds d'investissement des enseignants n'ont aucune idée de ce que disent ces derniers quant aux effets de l'AMI lui-même sur eux et sur l'avenir de l'enseignement au Canada. Et j'estime qu'il s'agit là d'une question culturelle aussi, au sens large du terme.

[Français]

Le président: Monsieur Saada, monsieur Godfrey and monsieur O'Brien.

M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Je voudrais vous remercier parce que vous évoquez des questions qui sont, à mon sens, fondamentales. Ce ne sont pas seulement des mots; c'est beaucoup plus profond que cela.

J'ai immigré au Canada. Je vis au Québec et je suis francophone. Ce sont des décisions que j'ai prises de façon délibérée et j'ai l'impression que ce qui est en jeu ici, c'est en fait mon choix fondamental. À mon sens, je suis libre-échangiste dans toute la mesure où ça ne me prend pas une partie de ma propre identité, car je ne suis pas prêt à payer ce prix-là.

Dans cette perspective-là, si mondialisation veut dire élargissement, enrichissement, augmentation, je dis oui, mais si mondialisation veut dire réduction à une culture dominante au détriment de la mienne ou celle de mon voisin, j'ai des problèmes. Dans ce contexte-là, dans toute la mesure de mes humbles moyens de député et de parlementaire canadien, j'aimerais vous dire une chose et poser une question.

[Traduction]

Un accord sur l'investissement ne comportant pas une exception totale à l'égard du Canada est pour moi un mauvais accord. La question est donc—et M. Pilon en a parlé tout à l'heure avec beaucoup d'éloquence...

[Français]

Si de nombreux pays attachent une importance prépondérante à préserver leur pays et leur culture et qu'ils sont prêts à faire front commun, est-ce que, d'après vous, il n'y aurait pas lieu de s'appuyer sur la performance récente qu'on a connue dans le cadre des affaires étrangères sur le plan des mines antipersonnel pour voir qu'une coalition mondiale peut se prononcer sur ce qu'elle considère être bien, même si, par hasard, les États-Unis ne sont pas d'accord?

M. Robert Pilon: Je pense que la comparaison est tout à fait pertinente. Le Canada a pris une initiative concernant les mines antipersonnel qui, je pense, a été heureuse. Je ne vois donc pas pourquoi on ne pourrait pas prendre des initiatives similaires sur la question du maintien de la diversité culturelle.

Encore une fois, je le répète, ce n'est pas uniquement l'intérêt des entreprises culturelles qui est en jeu. Moi, je suis québécois et canadien et c'est dans mon intérêt. Ce sont mes convictions. Si j'étais portugais et que je parlais à Lisbonne, je dirais exactement la même chose. Il n'y a rien de spécifique au fait d'être québécois ou canadien dans la prise de position qu'on prend ce matin. C'est, à la limite, une prise de position philosophique, fondamentale; c'est-à-dire qu'on accorde de la valeur à la diversité des cultures et des langues.

Est-ce que le Canada peut jouer un rôle de leadership là-dedans? Je pense que oui et je pense que le Canada et la France—de toute façon historiquement—ont joué un certain rôle.

Comme le milieu culturel l'a demandé ces derniers temps, la France a déposé une proposition d'exception culturelle dans ces négociations. Les spécialistes nous disent que le libellé a été un peu malheureux et insuffisant, mais d'autres libellés ont été suggérés, notamment par la SOCAN.

Ce serait peut-être le moment pour le Canada de déposer une contre-proposition sous la forme d'un libellé vraiment fort, vraiment extensif, pour une véritable exception culturelle parce que c'est une valeur philosophique à laquelle on croit, au Canada.

M. Jacques Saada: Est-ce que je peux poser une question pour un complément d'information? C'est très court.

Le président: Si vous voulez, monsieur Saada.

M. Jacques Saada: La question va être très courte, mais je ne suis pas sûr que la réponse puisse vraiment l'être. Je voudrais poser la question à madame.

[Traduction]

Je vous pose la question. Pour vous, à long terme—et je parle des observations de M. Pilon et de tous les gens assis au premier rang—,existe-t-il une contradiction fondamentale entre, d'une part, la mondialisation des économies, le libre-échange, etc., et, d'autre part, la préservation de la culture?

• 1250

Mme Anne McCaskill: Non, je ne crois pas qu'il y ait là de contradiction, ni sur le fond, du point de vue philosophique, ni pour ce qui est de la portée de la capacité de nos régimes de commerce internationale de faire une place à la spécificité culturelle.

En fait, je soumets que plus notre économie s'intègre à celle des États-Unis et du reste du monde, plus il devient important pour chaque pays, surtout ceux qui n'ont pas la puissance économique des Américains, de prendre des mesures pour éviter l'américanisation de nos sociétés. Non seulement est-il possible de tracer les limites, mais nous devons le faire.

J'ai pris part à des négociations commerciales pendant une vingtaine d'années, et je suis très partisane du libre-échange. Je ne m'oppose toutefois pas au fait qu'il soit nécessaire d'imposer des limites, de déterminer jusqu'où le développement économique peut aller, afin de protéger notre existence comme entité nationale distincte.

Je sais que le temps nous presse, mais je veux simplement ajouter une dernière chose, qui porte précisément sur ce sujet.

L'AMI n'est pas l'initiative principale. Il porte certes sur des questions très fondamentales, mais cette négociation et l'accord proposé à l'OCDE ne sont l'élément central. Et ça ne l'est pas non plus pour aucun des participants à la négociation. Il s'agit d'un tremplin pour une initiative à laquelle tous les pays de l'OCDE veulent participer ultérieurement, soit la négociation d'un accord sur l'investissement avec les pays en voie de développement, sous les auspices de l'OMC.

Avant le début de la négociation, il y a eu à l'OCDE un grand débat pour savoir si les pays industrialisés devraient se réunir pour élaborer un accord modèle sur l'investissement qui pourrait ensuite être transporté à Genève, ou si l'on devait uniquement s'en tenir à la négociation principale à Genève. Ce débat a suscité des opinions divergentes. Selon les Américains, dont l'opinion a prévalu, il convenait d'avoir une négociation entre pays industrialisés pour élaborer un accord type sur l'investissement que l'on pourrait ensuite mettre sur la table pour amorcer le processus avec les pays en voie de développement à Genève.

Si l'on place les choses dans ce contexte—et c'est la réalité—, ce qui est important, c'est de se positionner. Chacun cherche à se positionner pour l'autre processus. Les Américains souhaitent évacuer l'idée et le principe d'exempter de sanctions disciplinaires la culture et les industries culturelles dans tout accord international, quel qu'il soit.

À mon sens, le fait que les Américains en soient venus à décider qu'ils ne voulaient pas qu'il y ait d'exemption culturelle dans n'importe quel autre accord est révélateur de l'efficacité de l'exemption culturelle dans l'ALENA. Vous pouvez être sûrs que lorsque nous recommencerons nos discussions avec les Américains au sujet de l'accession du Chili à l'ALENA ou d'un autre dossier, peu importe le thème de la prochaine phase, l'une des premières choses que les Américains feront sera de mettre l'exemption culturelle sur la table car même s'ils croyaient que c'était une vue de l'esprit lorsqu'ils ont signé l'accord, ils se rendent compte maintenant que ce n'est pas une fiction et que cette exemption accorde véritablement au Canada le droit d'adopter les politiques et les programmes culturels qu'il juge nécessaire.

Si nous nous présentons à Genève avec un accord issu de l'OCDE que les pays industrialisés soumettraient comme point de départ pour le processus ultérieur, la balance aura penché en faveur des É.-U. s'il ne comporte pas de disposition spéciale précisant que la culture et les industries culturelles ne sont pas assimilables aux produits et articles utilitaires qui jusqu'à maintenant ont été assujettis aux règles commerciales de l'OMC. Les biens culturels et les industries qui les produisent font partie d'une catégorie spéciale car ils ont aux yeux des citoyens de cette société une valeur et une signification particulières. Les Américains ne veulent pas voir cela dans un accord type.

• 1255

En l'absence d'une telle disposition, notre position à l'égard de la négociation principale... car nous n'avons pas besoin d'un AMI. Nous avons un accord avec les Américains relativement aux investissements. Nous avons nos propres arrangements à cet égard. Nous voulons nous positionner pour l'OMC. Si nous abordons ce processus armés uniquement d'une réserve propre à un pays, je pense qu'il nous faudra examiner l'influence que cela risque d'avoir sur notre position concernant le principe général. Et cela vaut non seulement pour un accord sur l'investissement à l'OMC, le moment venu, mais aussi pour la prochaine série de négociations à l'OMC sur les services, pour celle de l'ALENA, de l'APEC.

Un principe crucial est en jeu. Les Américains essaient de l'écarter. Nous, nous souhaitons le conserver tel quel. Je pense que c'est la dynamique qu'il faut considérer. Il y a lieu de se demander s'il y a un conflit fondamental suffisamment important qui nous amènerait à baisser les bras. Je ne le pense pas. Chose certaine, il faudra faire preuve de courage pour maintenir notre position.

Le président: Merci beaucoup. C'est un point très important.

Monsieur O'Brien.

M. Pat O'Brien (London-Fanshawe, Lib.): Merci, monsieur le président. Je remercie également les témoins.

Ayant enseigné en Ontario moi-même, je tiens à réitérer les propos de M. Clark. Il y a énormément d'inquiétude parmi les enseignants en Ontario au sujet des ramifications et des répercussions possibles de cet accord dans le domaine de l'éducation.

Je voudrais poser une brève question sur le processus. J'ai entendu les membres du panel dire que le dossier était sur la voie rapide. Personne n'a utilisé l'expression, mais c'est ainsi que j'interprète vos propos. Vous souhaitez qu'il y ait des audiences publiques.

Plusieurs comités ont déjà entendu des témoins à ce sujet. Nous avons Mme Bulte ici. Des audiences de quel type et dans quel but? Il me semble que nous avons recueilli d'excellents témoignages dans divers comités. Êtes-vous absolument convaincu qu'il faille tenir des audiences publiques. Quelle en serait la nature?

M. Jack Stoddart: Oui, absolument. Le problème c'est que les audiences actuelles portent sur des questions erronées, des sujets dont nous ne connaissons pas les détails. Nous avons en main des ébauches préliminaires. Vous avez des documents fragmentaires. Nous n'avons pas l'accord dans son ensemble. Je pense que tant qu'on n'aura pas un libellé définitif et que nous ne saurons pas exactement ce qu'il en est...

Certaines choses qui nous semblent désavantageuses pour le pays peuvent s'avérer au bout du compte tout à fait acceptables une fois qu'on aura pris connaissance du libellé final. D'autres pourront s'avérer bien pires qu'on l'aurait cru au premier abord. Tant que nous n'aurons pas sous les yeux la proposition définitive, par rapport à la proposition que l'on voudrait, tant qu'on ne saura pas cela, je pense que les enseignants et quiconque s'intéressent au sort des entreprises canadiennes et du pays devraient avoir le droit d'exprimer leur opinion à ce sujet, que ce soit par l'entremise du Parlement ou à l'occasion d'audiences parlementaires. Il y a diverses façons de procéder. Mais chose certaine, cela fait une différence.

Le président: Monsieur Godfrey.

M. John Godfrey: Je remercie le panel qui nous a fait passer une matinée fascinante. L'autre jour, j'ai organisé une assemblée populaire dans la circonscription qui a été dominée par le débat autour de l'AMI, peut-être parce que dans un envoi collectif précédent j'avais essayé de m'en faire le champion sur la page couverture.

J'ai trois questions à poser à Mme McCaskill. Je vous signale que je suis très préoccupé par le sujet des deux premières questions. Pour la troisième, je demanderai des précisions concernant ce qu'on dit d'autres panélistes.

La première chose que j'ai entendue—Jack Stoddart l'a mentionnée—, c'est qu'il serait plus dommageable d'avoir une entente fermée de 20 ans plutôt qu'une entente fermée de 5 ans et une période de retrait de 6 mois. Je voudrais que vous m'en disiez plus long. Ai-je raison de m'inquiéter? D'ailleurs, comme vous l'avez mentionné, que va-t-il se passer lorsqu'on rouvrira l'ALENA? Peut-être aurais-je souhaiter à ce moment-là une entente de plus longue durée.

Ma deuxième question a été soulevée par quelqu'un d'autre à la réunion. J'aimerais en poser d'autres, mais je ne le ferai pas. Tous les autres traités internationaux semblent reconnaître d'autres pactes et conventions, notamment en ce qui concerne les droits de la personne et ainsi de suite. L'AMI est-il particulier ou funeste étant donné qu'il ne fait pas cela? D'une certaine façon, a-t-il préséance sur d'autres accords relatifs à la main-d'oeuvre ou ne reconnaît-il pas ces accords? Ou encore s'apparente-t-il à l'ALENA?

• 1300

La troisième question porte sur la façon d'obtenir la meilleure exemption ou exception pour protéger la culture. Il y a toutes sortes de mécanismes d'exclusion et d'inclusion, des dérogations temporaires, des mesures de prudence etc. La SOCAN nous a présenté un idéal platonique, qui nous assurerait... Mais en vous fondant sur votre expérience, si nous ne pouvons accéder à cet idéal, que feriez-vous, surtout à la lumière de L'ALENA? Qu'est-ce qui vous paraîtrait à tout le moins acceptable?

Voilà donc mes trois questions: la période de 20 ans, les précédents et, enfin, les exceptions acceptables.

Mme Anne McCaskill: Si vous le permettez, je commencerai par la dernière.

C'est une question très difficile, car elle nécessite une évaluation des risques et des avantages pour le Canada de signer un accord particulier maintenant. Je dirais qu'il y a un facteur temps qui pose un problème ici. Toute la question de la culture et des industries culturelles, ainsi que de la façon dont des accords commerciaux de différents types devraient traiter ce secteur particulier de notre société, fait l'objet d'un débat depuis relativement peu de temps, tant à l'intérieur du Canada que dans d'autres pays et sur la scène internationale. Nous avons cependant passé de nombreuses années—30 ans—à participer à des séries successives de négociations commerciales internationales pour amener les divers domaines du commerce international au niveau où l'on en est rendu aujourd'hui dans le commerce des produits, mais c'est seulement au cours des dernières négociations dans le cadre de l'OMC que des pays ont commencé à négocier dans des domaines comme les services et la propriété intellectuelle, qui jusque là avaient échappé complètement au régime commercial international.

Il s'agit donc d'une question relativement nouvelle et pour la première fois, nous voyons des négociations internationales qui portent sur des secteurs pouvant toucher plus que jamais auparavant les domaines d'activité des gouvernements nationaux. À mon avis, il faudra encore plus de travail et de discussions, y compris au Canada, pour mieux comprendre dans quelle direction nous voulons aller, quels doivent être les premiers principes de nos politiques et de nos objectifs culturels, et étant donné le nouveau contexte, quelle sorte d'instruments nous voulons préserver pour maintenant et pour l'avenir. Il est un peu malheureux que le rythme de l'évolution du régime commercial international et les négociations interminables qui se déroulent actuellement, les unes après les autres, portent maintenant aussi sur cette question de la culture, qui était longtemps restée dans l'ombre, mais qui est maintenant à l'avant-plan de nos préoccupations, avant que nous ayons vraiment eu la chance de tenir un débat complet, au Canada et à l'échelle internationale, pour déterminer vraiment de quoi il s'agit et peser les intérêts en cause.

D'une part, je serais donc portée à dire que nous avons un problème causé par le facteur temps. Nous participons à des négociations qui sont censées se terminer en quelques mois et qui portent sur des questions complexes que nous n'avons pas encore vraiment résolues. Pour cette raison, on serait porté à dire qu'il faut attendre. Mais si l'on ne peut pas attendre et si le reste des négociations doit arriver à une conclusion, je dirais alors qu'il suffit de ne pas toucher les questions non résolues pour l'instant, et après avoir fait notre travail, terminer le débat, on pourra ensuite y revenir.

Au sujet des deux autres questions, en ce qui concerne les 20 ans... Lorsqu'il s'agit d'investissement, les gouvernements et les négociateurs pensent probablement à plus long terme qu'ils ne le faisaient dans le passé lorsqu'il s'agissait du commerce de produits, parce qu'on ne fait pas un investissement aujourd'hui sans penser à ce qu'on veut en obtenir dans 20 ans. On pense donc à plus long terme. C'est pourquoi j'estime que vous avez plus de temps devant vous. Mais si un accord est conclu, il y aura des dispositions permettant qu'on s'en retire. Je ne pense pas que ce soit vraiment un grand point d'interrogation.

• 1305

Pour ce qui est de la pertinence d'autres accords et obligations à l'échelle internationale...

M. John Godfrey: Pas seulement sur le plan commercial. On m'a dit qu'il aurait prépondérance sur toutes sortes d'autres choses.

Mme Anne McCaskill: Oui. Eh bien, vous savez, c'est un débat et un dilemme auxquels on fait face depuis déjà assez longtemps dans les négociations de l'OMC, et les mêmes questions, les mêmes principes s'appliquent.

Lorsqu'il s'agit de la protection et des règlements en matière d'environnement, de législation sur le travail, de toutes sortes d'autres questions, le fait est qu'à l'échelle internationale, il y a très peu d'accords possédant la nature exécutoire d'un accord de l'OMC. Quant à savoir comment un accord en influencera un autre, c'est normalement l'engagement exécutoire comme celui pris dans le cadre de l'OMC qui prime en fin de compte, parce que c'est là que se trouve le mécanisme d'exécution légale.

L'accord de l'OCDE et l'AMI n'entraîneraient pas d'obligations juridiques de la même manière qu'un accord de l'OMC, parce qu'ils ne prévoient pas de sanctions, il n'y a pas de mécanisme d'exécution en cas de conflit. Ce serait probablement assez semblable à d'autres sortes d'accords internationaux, et en cas de divergences, ce serait l'accord le plus récent qui pourrait avoir le plus de poids.

M. John Godfrey: Mais je voulais parler du plus grand, qui pourrait être un accord de l'OMC...

Une voix: Qui est exécutoire.

Le président: Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke: La période d'engagement ferme de 20 ans est un élément très sérieux et il ne faut pas s'en désintéresser trop rapidement. Le fait est que si l'on accepte la proposition dans son libellé actuel, on ne peut pas se retirer de l'accord pendant les cinq premières années. Ensuite, les règles demeureront en vigueur pendant 15 autres années, tandis que l'ALENA contenait une clause d'abrogation qui nous permettait de nous en retirer après six mois.

Il me semble que c'est extrêmement important lorsqu'on a un mécanisme pour les États investisseurs qui permet aux sociétés de contourner les États et de s'adresser directement au gouvernement, de les poursuivre en justice, devant des tribunaux internationaux. Ces tribunaux rendent des jugements exécutoires, qui ont un effet exécutoire en ce qui concerne les dommages-intérêts qui seront octroyés et la possibilité qu'on soit forcé d'abroger ou de réduire la portée d'une loi.

À mon avis, ce n'est pas une chose qu'il faut prendre à la légère. C'est très important. Une période d'engagement ferme de 20 ans a des conséquences énormes pour les choix que nous ferons au plan de la politique à établir, en particulier quand on tient compte du fait qu'au cours d'une période de 20 ans, nous avons cinq élections fédérales et plusieurs autres élections provinciales. Ajoutez à cela les dispositions portant sur le statu quo et le démantèlement—enfin, c'est extrêmement sérieux, car cela menotte les gouvernements et les limite dans ce qu'ils peuvent faire pour réglementer les activités des sociétés—c'est extrêmement sérieux.

Le président: Il ne nous reste plus de temps. Si vous le permettez, je ferai une observation et je poserai une question, car je pense que ce groupe de témoins a été vraiment utile. L'une des façons dont nous aurions pu informer la population aurait été de faire téléviser cette séance, mais nous devons nous battre pour obtenir la seule salle munie de l'équipement nécessaire. Nous l'obtenons parfois. En outre, le seul temps disponible pour la télédiffusion est vers 3 heures ou 4 heures du matin. Nous avons là un autre exemple de notre perte de souveraineté, parce que cela ne relève de la Chambre des communes, cela relève du Canal parlementaire (CPAC), qui appartient à un consortium. Il y a peut-être une leçon à tirer de cela.

En vous écoutant, je me suis trouvé devant un gros dilemme. Je partage absolument les commentaires de M. Pilon au sujet de la culture et de l'écologie, et de ce qui devrait nous préoccuper. Il a mis le comité au défi de trouver une définition qui nous lierait et qui pourrait être proposée au gouvernement. J'allais à mon tour vous demander, à titre de spécialiste, d'en préparer une pour nous afin que nous puissions exercer des pressions sur notre ministre. Mais je me trouve devant ce dilemme. J'ai assisté à des réunions du Comité de l'environnement et j'y ai posé des questions aux témoins, et j'éprouve beaucoup de réserves à ce sujet. De fait, je pense que c'est vraiment déplorable. Je pense à Ethyl Corporation, qui a le toupet de poursuivre notre gouvernement parce qu'il a interdit le MMT. Nous étions le seul pays au monde qui n'avait pas pu résister aux pressions pour faire accepter le MMT. Et je me demande quelles seront les répercussions de l'AMI sur nous, sur l'environnement, sur la culture, et sur toutes les mesures que notre pays a prises pour protéger notre identité et notre souveraineté?

• 1310

D'une part, nous demandons donc pourquoi nous n'avons pas d'exclusion pour la culture. Devrions-nous avoir une exclusion pour l'environnement? Devrions-nous en avoir une pour les conditions de travail? Ou serait-il plus sage de suivre l'avis de certaines personnalités imminentes, selon lesquelles il ne faut pas oser y toucher, parce que cela n'a rien à voir avec nos investissements?

Si nous exerçons des pressions pour qu'on laisse cette question de côté, notre pays ne se trouvera-t-il pas coincé, s'il est le seul à ne pas participer et qu'ensuite il y ait une deuxième série de négociations avec l'OMC, dont nous serons absents parce que nous aurons refusé cet accord? Je ne suis pas certain. Je pose seulement la question.

Mme Anne McCaskill: S'il y a d'autres négociations plus tard dans le cadre de l'OMC, nous pourrons y participer. La participation ou la non-participation à un accord de l'OCDE n'est pas un facteur déterminant pour la participation, ou encore un rôle ou une position dans les négociations de l'OMC. Il n'y aurait donc pas de répercussions à cet égard.

Le président: Donc cela ne réduirait pas notre influence et ne nuirait pas au Canada, si nous disions simplement non à l'AMI. Les investisseurs ou les économistes diraient-ils que nous allons perdre, que nous ne ferons pas partie du club et que nous aurons perdu le pouvoir de négocier par la suite? Je vous pose seulement la question.

M. Robert Pilon: Je ne pense pas, mais je ne suis pas spécialiste en la matière. En ce qui concerne l'environnement, je ne suis pas non plus un expert. À titre de citoyen, je suis très préoccupé par ce que j'ai entendu au sujet de l'environnement, mais je ne suis pas un spécialiste.

Devrions-nous être si pressés de signer cet accord? La solution consiste peut-être à prendre un peu plus de temps pour en examiner tous les aspects au lieu de décider de ne pas signer ou de signer quelque chose qui n'est pas idéal. Le Canada pourrait peut- être adopter une position, disant que ses citoyens sont préoccupés—certains sont préoccupés par la culture, d'autres par l'environnement—afin que nous puissions ralentir le rythme des négociations et ainsi avoir plus de temps pour tenir un débat public sur ces questions? Ce n'est peut-être pas aussi terrible qu'on le pense. J'ignore si c'est possible.

En ce qui concerne la culture, je pense que l'essentiel pour l'instant est de former des alliances avec d'autres pays. Il y a une foule de gens que la question préoccupe dans toutes les sphères de la société dans chaque pays. Chaque fois que j'ai voyagé, j'ai rencontré des gens qui tiennent à préserver leur culture et à protéger leurs artistes. Mais ce sont le plus souvent des ministres du Commerce qui sont chargés des négociations commerciales.

Je suppose que nous sommes plutôt chanceux que M. Marchi en soit responsable. Je ne sais pas pourquoi—c'est peut-être parce qu'il est proche de Mme Copps—, mais il semble préoccupé par la question de la culture. On me dit cependant que dans beaucoup d'autres pays les ministres du Commerce responsables de ces négociations ne s'en préoccupent pas autant. On me dit que dans nombre de pays, il y a des querelles internes entre les ministres de la Culture et les ministres du Commerce.

Il nous faut peut-être parfois former des alliances avec d'autres pays afin qu'à un moment donné tous les ministres du Commerce d'un grand nombre de pays se rendent compte qu'il est en train de se former une sorte de coalition mondiale que la question préoccupe. Le Canada pourrait prendre l'initiative à cet égard.

Le président: Merci. Monsieur Stoddart.

M. Jack Stoddart: M. Godfrey a demandé quel serait le deuxième meilleur accord que nous pourrions obtenir, si nous ne pouvons pas obtenir le meilleur possible. J'ai eu plusieurs conversations avec Peter Grant, qui est probablement le spécialiste des industries culturelles en ce qui concerne les questions commerciales. Il a été mêlé de très près aux négociations de l'OMC et il fait partie du CRTC. Il s'occupe constamment de cette question.

Il dit qu'en fin de compte il n'y a pas de seconde option. Nous participons ou nous ne participons pas. Nous n'avons qu'une chance de réussir. Si nous pouvons établir le précédent, nous avons une chance de le faire. Si nous nous montrons faibles lors du premier accord, ce sera encore pire lors du deuxième. On s'acharnera simplement sur nous, rognant graduellement jusqu'à ce que ces choses... Nous sommes la cible, parce que c'est nous qui avons déjà obtenu une exemption dans le cadre de l'ALENA, et nous sommes un mauvais exemple pour le reste du monde, aux yeux des États-Unis. C'est pourquoi ils sont tellement déterminés à ce sujet.

• 1315

Pour répondre à une autre question, je suis prêt à faire ce pari: si le Canada n'accepte de participer, je suis prêt à parier qu'il n'y aura pas d'accord, pas parce que notre participation est cruciale pour le reste du monde, mais parce que les industries culturelles en particulier représentent la moitié des enjeux d'un tel accord, du point de vue de la position américaine. Il s'agit pour ce pays d'une tentative pour combler une lacune dans l'ALENA et dans l'ALE. Je ne suis pas certain que cela marchera. C'est très clair, mais c'est le moment de nous battre.

Personne n'a proposé, du moins d'après notre expérience des nombreuses discussions à ce sujet, des solutions de rechange acceptables pour protéger ce que nous avons comme nation et comme culture, et en même temps quelque chose qui serait acceptable aux États-Unis—il y avait peut-être quelque chose d'acceptable pour tous les autres pays, mais pas pour les États-Unis. Où cela nous amène-t-il? Je pense que l'on doit parfois dire non, pour faire un léger gain.

Le président: Monsieur Clarke.

M. Tony Clarke: Je dois dire que je partage les avis que mes collègues viennent d'exprimer à ce sujet au cours des dernières minutes.

Quant à savoir ce que cela ferait à notre influence, si nous nous retirons et interrompons ce processus dès maintenant pour les bonnes raisons et si nous essayons de déterminer quel sorte de traité sur l'investissement nous aimerions conclure...

Qu'est-ce que cela signifierait, si nous proposions une solution de rechange à un traité sur l'investissement qui rassemblerait vraiment les nombreuses préoccupations dont nous avons discuté ici, les préoccupations exprimées devant le Comité de l'environnement et celui de la santé, ainsi qu'un certain nombre d'autres questions qui ont déjà fait l'objet de négociations? Nous pourrions en réalité prendre l'initiative et augmenter notre influence en ce qui concerne l'OMC, parce qu'il est certain que si tout cela est renvoyé à l'OMC, les mêmes questions et les mêmes problèmes seront soulevés, d'une manière encore plus intense à certains égards. C'est ce qui est arrivé à Singapour en 1996. Par conséquent, la question du leadership est cruciale à ce point précis.

Cet accord semble être en train de dérailler dans une certaine mesure. Je pense qu'on a déjà déposé des demandes pour obtenir plus de 1 000 réserves. On est en train d'essayer de démêler tout ce fouillis. Étant donné ce que les États-Unis disent, je ne crois pas un instant qu'ils vont céder sur ce point, mais le moment est opportun pour les États-Unis de faire adopter cet accord.

Nous devrions peut-être attendre notre heure. Nous devrions peut-être prendre l'initiative et dire qu'il faut aborder cet accord autrement, proposant un modèle de rechange, un autre processus pour élaborer un traité mondial sur l'investissement. Dans ce sens, nous aurions une influence énorme.

Je viens de rencontrer neuf personnes dans neuf pays d'Europe, et j'ai constaté qu'une grande vague de fond se soulevait actuellement dans un certain nombre de ces pays. Des ministres de différents pays commencent à dire qu'ils n'étaient pas au courant de cela et à se demander quel sera l'effet d'un tel accord sur leur environnement, leur culture, leurs soins de santé et leurs services. Ils commencent à se poser les mêmes questions que nous nous posons ici. Je ne pense donc pas que les choses pourront continuer de progresser au-delà des prochains mois.

Le président: Merci beaucoup à vous tous. Je suppose que nous reverrons plusieurs d'entre vous à l'une de nos tables rondes. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants.

La séance est levée.