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Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE
COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 mai 1999
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent du patrimoine canadien,
[Français]
qui se réunit aujourd'hui pour continuer son étude sur la culture canadienne
[Traduction]
à l'aube du nouveau siècle.
Avant de commencer, je tiens à lire aux membres du comité une lettre que je viens de recevoir du Centre national des Arts. Je crois que cela intéressera les membres que je lise la lettre.
Voici ce qu'on y dit:
-
Par la présente, je souhaite vous informer qu'Elaine Calder, la
Directrice et présidente intérimaire du Centre national des Arts,
a annoncé qu'elle quittera son poste au CNA le 15 juin pour exercer
les fonctions de directrice administrative du Hartford Stage à
Hartford (Connecticut) [...]
-
Le processus de sélection du prochain directeur est en cours et
nous pensons être en mesure d'annoncer le candidat retenu après la
réunion du Conseil d'administration fin juin.
-
Je tiens à vous assurer, vous et les membres du Comité permanent,
que le Centre national des Arts a toujours l'intention de compléter
un plan d'entreprise, tel qu'annoncé lors de notre parution devant
le Comité permanent le 4 février dernier. Nous pensons pouvoir le
terminer d'ici la fin du mois de mai. Un sommaire du plan
d'entreprise sera distribué aux membres du Comité à ce moment-là.
-
Le Conseil d'administration et Mme Calder seraient heureux de vous
rencontrer, vous et les membres du Comité permanent, quand vous le
jugerez utile. Si le Comité permanent le désire, la rencontre
pourrait avoir lieu après la nomination de notre nouveau directeur,
afin qu'il ou elle puisse participer à cette réunion.
La demande me paraît raisonnable, mais c'est à vous de décider de ce que vous voulez faire. Vous aurez pris note du fait que le nouveau directeur ne sera nommé qu'à la fin de juin, à une réunion du CNA.
C'est malheureux; j'aurais voulu que Mme Lill soit là, parce qu'elle...
• 1110
Peut-être que vous voudrez y penser.
Monsieur Muise.
M. Mark Muise (West Nova, PC): Je propose de reporter la question jusqu'à notre prochaine réunion, quand nous aurons assez de membres présents pour en discuter comme il convient.
Le président: D'accord.
Des voix: D'accord.
Le président: Je suis très heureux de souhaiter aujourd'hui la bienvenue aux témoins du Centre de recherche-action sur les relations raciales.
[Français]
Nous avons le plaisir d'avoir avec nous aujourd'hui le président du comité, le Dr Wesley Crichlow, chargé de cours à l'Institut des études en éducation de l'Ontario, à l'Université de Toronto,
[Traduction]
et un spécialiste en matière d'études culturelles et de représentation des minorités.
Nous accueillons aussi M. Fo Niemi, directeur général, et M. Karim Karim, professeur au Département de journalisme et des communications à l'université Carleton et administration de l'Institut Pearson-Shoyama.
Il semble que Mme Jean Brown-Trickey ne sera pas des nôtres aujourd'hui. C'est bien vrai?
M. Fo Niemi (directeur exécutif, Centre de recherche-action sur les relations raciales): Je n'en suis pas sûr. Elle est censée être là.
Le président: Très bien.
Monsieur Niemi, vous avez la parole. Je ne sais pas si vous voulez commencer vous-même, ou si c'est un de vos collègues qui commencera.
[Français]
M. Fo Niemi: Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, j'aimerais vous remercier, au nom du CRARR de Montréal et au nom de mes collègues ici présents, de nous avoir offert cette occasion de vous présenter des points de vue et des commentaires portant sur le sujet à l'étude. Nous aimerions aussi vous remercier de nous permettre de participer à ce processus qui se veut ouvert et inclusif par rapport à la question de l'avenir de la politique culturelle du Canada.
Nous avons parmi nous des personnes qui sont des experts sur les questions de culture, de communications, ainsi que sur les questions touchant particulièrement la diversité culturelle et raciale. Notre objectif d'aujourd'hui est de vous donner des pistes de réflexion concernant le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne et son impact sur le développement de la culture du pays, surtout en vue d'un nouveau siècle.
Nous aimerions aussi parler de la manière dont cette diversité raciale et culturelle doit être prise en considération dans toute discussion et, éventuellement, dans toute action gouvernementale en matière de culture, et proposer des facteurs justifiant l'appui gouvernemental à la vie culturelle canadienne.
En particulier, nous aimerions porter à votre attention les difficultés ou les barrières que rencontrent les artistes issus de minorités raciales et culturelles dans l'exercice de leur métier, dans leurs efforts pour enrichir la culture canadienne. Nous croyons qu'il est essentiel que les artisans, les créateurs ainsi que les travailleurs culturels de toutes origines puissent participer pleinement à l'élaboration d'une politique régissant la culture canadienne.
[Traduction]
Dans la lettre que nous vous avons fait parvenir—la lettre est bilingue—nous faisons état de certaines des préoccupations et de certains des obstacles qui peuvent, à notre avis, nuire à l'élaboration d'une politique culturelle inclusive. Nous vous invitons à discuter de ces questions avec nous tout à l'heure.
M. Karim Karim traitera de la mondialisation et des nouvelles technologies qui ont des répercussions sur la culture. C'est un domaine que M. Karim connaît très bien, étant donné ses nombreuses années de recherche sur la culture et le multiculturalisme.
M. Crichlow parlera de la diversité, notamment en ce qui a trait à la culture populaire et à la culture des jeunes, ainsi que de la question des minorités, comme vous l'avez dit, monsieur le président, afin d'en arriver peut-être à une analyse plus inclusive des types d'orientation culturelle que le Canada devrait se donner et du rôle du gouvernement fédéral dans le secteur culturel.
Sans plus tarder, j'invite M. Karim Karim à vous faire un court exposé.
[Français]
M. Karim Karim (professeur, Département de journalisme et de communications, Université Carleton; directeur, Institut Pearson-Shoyama; Centre de recherche-action sur les relations raciales): Bonjour, mesdames et messieurs.
[Traduction]
Comme vous l'a dit M. Niemi, je vais vous parler des nouvelles technologies et de la mondialisation dans le contexte des diasporas du monde.
• 1115
Je ne me limiterai pas au territoire canadien, cela va de soi.
Il est normal que les actions et les politiques des gouvernements
nationaux soient centrées sur ce qui se passe au pays, mais il faut
de plus en plus se rendre à l'évidence de nos jours, non pas de
l'élimination des frontières—je crois qu'il est peu probable
qu'elles disparaissent—mais plutôt de leur importance
décroissante, particulièrement pour ce qui est de la culture.
Nous savons que des méga-vedettes telles que Céline Dion et d'autres ont un succès monstre au sud de la frontière et dans le monde entier. C'est dans ce contexte que je vous adresserai la parole, mais je tiens aussi à souligner un aspect de la mondialisation dont on ne tient pas suffisamment compte, à savoir les diasporas du monde.
Le phénomène des migrations mondiales a créé des diasporas liées par la culture, l'origine ethnique, la langue et la religion. Auparavant, certains des groupes qui composent ces diasporas faisaient appel à de petits médias, comme les journaux, les magazines et les émissions de radio et de télévision, pour informer et divertir les membres de leur communauté. Maintenant, l'apparition de la technologie numérique leur permet d'étendre leurs activités de communication à l'échelle mondiale.
Les médias ethniques ont parfois été parmi les premiers à adopter les nouvelles technologies en raison des défis particuliers qu'ils avaient à relever pour ce qui est de rejoindre leurs auditoires. Leurs communautés étant relativement petites et clairsemées, les groupes ethniques avaient tout intérêt à rechercher les moyens de communication les plus efficients et les plus économiques.
Aussi ils ont généralement tendance à privilégier les technologies qui leur permettent de cibler des auditoires en particulier, plutôt que les moyens de communication de masse. L'avènement des satellites en bande Ku et de la technologie de la compression numérique a permis un accroissement phénoménal du nombre de canaux de radio et de télévision pouvant être diffusés directement dans des résidences équipées de petites antennes paraboliques, et ce, sur de grandes distances.
Alors que les pays en développement, de même que les pays industrialisés, disent craindre l'érosion de leur souveraineté sous l'effet des satellites de radiodiffusion numérique qui permettent la transmission d'émissions étrangères qui échappent à toute réglementation, cette technologie offre des possibilités remarquables aux diverses diasporas du monde.
Les radiodiffuseurs ethniques ayant un accès restreint aux fréquences du spectre électromagnétique, le service de radiodiffusion directe leur offre un bien plus grand nombre de possibilités au Canada, aux États-Unis et en Europe. Les émissions transmises aux diverses diasporas à l'aide de cette technologie ont connu une croissance exponentielle ces dernières années, les radiodiffuseurs ethniques ayant à ce chapitre une bonne longueur d'avance sur beaucoup de leurs homologues majoritaires.
Ainsi, le réseau de télévision sud-asiatique se servait déjà de satellites américains avant même que le CRTC ne délivre de licences aux radiodiffuseurs canadiens pour la transmission de leurs émissions par satellite. Le réseau de télévision sud- asiatique a pu de ce fait servir la communauté sud-asiatique tant des États-Unis que du Canada. Il a fait appel pour cela aux États- Unis et au Canada. Il ne faisait pas du tout appel au marché gris pour cela, mais diffusait ses émissions en toute légalité.
Nous avons donc un réseau installé à Newmarket, en Ontario, qui a pu profiter du potentiel du marché nord-américain.
Les diverses diasporas se servent beaucoup aussi de services en direct comme Internet, Usenet, LISTSERV et World Wide Web. Ces réseaux mondiaux permettent aux membres des communautés vivant dans divers continents de communiquer assez facilement entre eux.
Par opposition au modèle de la communication par radiodiffusion, qui, outre qu'il est très peu accessible aux groupes minoritaires, est linéaire, hiérarchique et exige une forte concentration de capital, les médias en direct permettent un accès plus facile, selon un modèle non linéaire, en grande partie non hiérarchique et assez économique.
Le fait que des personnes réparties aux quatre coins de la planète puissent échanger des messages et avoir accès, de façon presque instantanée, à des informations au sujet de leur communauté, change toute la dynamique des diasporas, qui peuvent ainsi avoir de meilleurs liens entre elles sur le plan tant qualitatif que quantitatif. Au fur et à mesure que se multiplient les polices de caractères et les facilités de traduction des logiciels en direct, le média attire de plus en plus de non- anglophones et de non-francophones.
Les diasporas offrent déjà sur leurs sites Web des répertoires mondiaux de personnes, d'institutions communautaires et d'entreprises appartenant à leurs membres. Sur certains sites, on trouve des liens hypertexte avec des sites d'associations d'anciens. Ceux qui se rendent à d'autres endroits où se trouvent des membres de leur diaspora peuvent aussi avoir accès aux listes de festivals et de manifestations culturelles qui doivent y avoir lieu, notamment les manifestations qui ont lieu au Canada. La possibilité d'accéder en direct aux quotidiens des pays d'origine améliore encore davantage les liens intercontinentaux.
• 1120
Quand je parle de diasporas, je ne veux pas parler uniquement
des liens avec la mère patrie. Beaucoup de groupes vivent dans la
diaspora depuis des générations.
Je suis moi-même né au Kenya. Mes arrière-grands-parents étaient de l'Inde. Il y a des Indiens qui vivent dans diverses parties du monde, en Guyane, à Singapour, en Malaisie, en Angleterre, etc. Il s'agit donc ici, non pas simplement de liens entre le nouveau pays d'adoption—le Canada, par exemple—et la mère patrie, mais de liens à l'échelle mondiale.
Les technologies de la communication mondiale en direct offrent aussi des avantages uniques aux diverses diasporas. Ainsi, il serait extrêmement utile d'avoir accès à un registre mondial pouvant servir à des fins médicales, comme trouver des donneurs de moelle épinière compatibles, qu'on ne retrouve généralement que parmi les membres d'un même groupe ethnique. De même, l'accès à des banques de données faciliterait les recherches généalogiques à l'échelle mondiale et permettrait notamment aux enfants adoptés de retrouver leur famille biologique, d'autant plus que de plus en plus de Canadiens adoptent des enfants de pays comme la Chine ou de pays d'Europe de l'Est.
Beaucoup de sites Web destinés aux communautés transnationales ont des salles de bavardage où les utilisateurs peuvent avoir des échanges en affichant des messages. Usenet permet aussi les échanges constants entre personnes ayant une origine ethnique commune grâce aux groupes de nouvelles—«soc.culture.Germany» ou «soc.culture.Pakistan», par exemple.
Les échanges portent sur des sujets divers: culture, littérature, divertissements, politique et actualités dans la mère patrie et dans le pays d'adoption, par exemple. Le cyberespace devient l'endroit où les utilisateurs peuvent reconstituer électroniquement la relation qui existait avant la migration.
L'identité communautaire ainsi créée ne s'apparente pas à l'ancienne identité, mais est plutôt un mélange hybride d'alliances passées, de liens renoués grâce aux groupes de nouvelles ainsi que d'expériences de la vie quotidienne vécues dans le pays d'adoption et en interaction avec des personnes et des groupes de la société générale qui ne sont pas membres de la même communauté.
Les membres de diverses diasporas venus de pays soumis à des régimes répressifs se servent des médias en direct pour mobiliser les opposants, non seulement parmi les membres de la diaspora, mais aussi parmi d'autres personnes acquises à leur cause aux quatre coins du globe. L'établissement de liens entre les diasporas et les groupes plus vastes qui échangent sur Internet sur des questions en particulier—sur les droits de la personne, par exemple, l'environnement et le développement—permettrait de canaliser les efforts et les énergies consacrés à des fins précises pour former des fronts communs qui se créeraient, se dissoudraient et réapparaîtraient sous différentes formes en fonction de circonstances particulières.
Si Internet encourage la multiplication des liens mondiaux, il semble toutefois avoir des limites qui tiennent au degré de satisfaction que les membres de groupes de nouvelles peuvent éprouver à échanger uniquement à l'échelle mondiale. Malgré l'intérêt pour les liens mondiaux, il semble qu'on ait toujours besoin de se sentir bien ancré dans son milieu local ou national. On a donc besoin d'une double relation, avec le nouveau pays d'adoption et le nouveau milieu et aussi avec le milieu mondial.
Il convient de signaler, par ailleurs, que même si les médias en direct et le SRD sont de plus en plus présents dans le monde, les données limitées dont on dispose indiquent qu'il y a des écarts énormes quant à l'utilisation de ces technologies. Les serveurs indiquent que si le taux d'utilisation parmi des minorités ethniques comme les Chinois et les Sud-Asiatiques est élevé, il est plutôt faible parmi les Canadiens d'origine africaine.
Les entreprises qui font partie du courant général de la société se montrent de plus en plus intéressées par les médias ethniques, des sociétés comme CBS aux États-Unis ayant fait l'acquisition de TeleNoticias, qui diffuse en espagnol, et Shaw Communications ayant acheté un intérêt dans le réseau Telelatino, qui diffuse en espagnol et en italien.
Au fur et à mesure que leur réputation ira grandissant à l'échelle nationale et internationale, il semble que les radiodiffuseurs ethniques deviendront la cible de prises de contrôle de la part de conglomérats de médias mondiaux, qui ne seront pas nécessairement canadiens, mais qui pourraient être américains ou européens. Le contenu communautaire local s'en trouverait d'autant plus compromis.
De toute évidence, le secteur de la radiodiffusion, à l'échelle tant nationale que mondiale, est en proie à une transformation remarquable. Il en résulte des répercussions importantes pour les agences publiques chargées de la réglementation et de l'orientation de l'action gouvernementale. Il devient de plus en plus difficile de contrôler l'accès à son territoire à cause de ces nouvelles technologies de la communication qui facilitent les liens intercontinentaux entre individus et groupes.
Bien que les liens croissants entre les membres des diasporas ne risquent pas d'estomper les frontières nationales comme certains le craignent, les gouvernements nationaux devront tenir compte de la dynamique des diasporas du monde et de l'effet de cette dynamique sur leurs populations.
• 1125
Il faut réévaluer les politiques en matière de
multiculturalisme, l'attribution des licences de radiodiffusion,
l'accès des minorités aux technologies de l'information et des
communications et la mise au point de produits multimédias par les
membres des diasporas, notamment dans le contexte du commerce
international.
Il faut en outre s'intéresser à l'effet des liens entre les communautés transnationales sur la citoyenneté mondiale putative. L'effet sur la citoyenneté nationale et la cohésion nationale est également important.
Les études préliminaires faites sur les diasporas et l'évolution de l'utilisation des nouveaux médias dans le monde ne permettent pas de se prononcer de façon définitive sur la direction que prendront les nouveaux courants qui se dessinent. Les recherches futures devront porter sur divers aspects de l'utilisation des technologies de communication par les minorités. Il faudra étudier en profondeur les besoins en information et en divertissement qui ont conduit à la prolifération des médias ethniques, notamment l'effet de ces médias sur la citoyenneté et la cohésion sociale et leur relation avec les médias de masse.
L'avènement de la radiodiffusion ethnique publique et la commercialisation des médias électroniques n'ont toujours pas été analysés. Il y a un besoin manifeste de meilleures données quantitatives sur l'accès des groupes ethniques aux médias numériques et sur l'utilisation qu'ils en font. L'analyse du contenu des documents produits par les diverses diasporas et les recherches ethnographiques sont du nombre des travaux qui seront très utiles pour donner un tableau plus complet de la situation.
Merci.
Le président: Avant de continuer, je tiens à souhaiter la bienvenue à Mme Jean Brown-Trickey. Merci de votre présence ici aujourd'hui.
Monsieur Karim, vous nous avez livré beaucoup d'idées et de suggestions dans ce mémoire très imposant. Je me demande si, à l'intention des membres du comité, dont certains n'ont pas pu être là parce qu'ils siègent à d'autres comités, nous pourrions obtenir un résumé de votre exposé. Même si vous n'avez que le texte anglais, nous veillerons à le faire traduire pour les membres du comité. Votre mémoire était très étoffé, et je ne voudrais pas que nous en perdions des éléments.
M. Karim Karim: Je vous remettrai mes notes.
Le président: Merci beaucoup. Vous pourrez prendre les dispositions voulues avec le greffier tout à l'heure.
Si je comprends bien, c'est M. Crichlow que nous allons maintenant entendre.
[Français]
M. Fo Niemi: J'aimerais faire une petite intervention avant qu'on continue.
Le président: Allez-y.
M. Fo Niemi: J'aimerais distribuer aux membres du comité un document sur la diversité dans quelques villes canadiennes. J'aimerais vous rappeler qu'au cours de notre discussion, il est important que nous gardions toujours à l'esprit la diversité croissante au sein de nos centres urbains, parce que la culture est souvent une création de la dynamique urbaine dans le contexte du pays. Ces chiffres vous démontrent l'importance capitale de toujours garder à l'esprit la diversité qui existe dans nos centres et la façon dont cette diversité va changer notre culture ainsi que nos actions culturelles.
J'aimerais présenter brièvement Mme Brown-Trickey aux membres du comité.
[Traduction]
Je crois que Mme Brown-Trickey est déjà bien connue de beaucoup d'entre vous. Elle est travailleuse sociale. Elle est aussi une des personnes qui ont eu un effet considérable sur l'histoire des relations raciales en Amérique du Nord. Elle était au nombre des pionniers qui ont été à l'origine de l'intégration scolaire à Little Rock, dans l'État de l'Arkansas.
Mme Brown-Trickey voudrait aussi participer à la rencontre et vous parler de certaines questions relatives à la culture et à l'histoire, notamment à l'histoire de la diversité et à l'influence qu'elle a eu sur l'idée que nous nous faisons de la culture et sur nos institutions culturelles.
Le président: Monsieur Niemi, avant que nous n'entendions Mme Brown-Trickey, pouvez-vous me dire combien de temps il vous faudra environ à M. Crichlow et à vous pour nous présenter votre témoignage? Je vous le demande pour que nous puissions prévoir suffisamment de temps pour les questions des membres du comité.
[Français]
M. Fo Niemi: Je crois que notre présentation sera d'une durée maximum de sept minutes en tout.
Le président: Vous pouvez prendre cinq minutes chacun.
M. Fo Niemi: Je comprends la nécessité d'être bref.
Le président: Oui.
[Traduction]
Je vous souhaite la bienvenue et je vous invite à nous adresser la parole.
Mme Jean Brown-Trickey (travailleuse sociale, Centre de recherche-action sur les relations raciales): Merci de me donner ainsi l'occasion d'être brève.
Le président: J'espère que vous ne vous sentirez pas gênée.
Mme Jean Brown-Trickey: Je ne me sens pas du tout gênée.
Le président: Nous sommes très fiers de vous avoir parmi nous.
Mme Jean Brown-Trickey: Je devrais préciser que j'ai passé une plus grande partie de ma vie au Canada qu'aux États-Unis.
Le président: Oui, je le sais.
Mme Jean Brown-Trickey: Mon coeur est ici.
Je voulais vous parler brièvement de l'importance de l'histoire dans la définition de la culture canadienne et dans la compréhension de la culture de manière générale.
Depuis ses débuts, la nation canadienne est caractérisée par sa diversité raciale et culturelle. Les images, les symboles et les pratiques culturelles de ceux qui sont considérés comme «autres» y sont toutefois marginalisés, écartés, voire oblitérés.
La perspective historique, y compris les nombreuses personnes qui ont contribué à l'édification de la nation canadienne—et j'insiste sur le mot «édification»—est essentielle à toute définition de la culture canadienne et à un discours culturel intégré dans le contexte canadien. Malheureusement, il y a des exceptions à ce chapitre. L'absence de certains groupes dans les textes historiques est telle que nous avons en cette fin du XXe siècle un portait unidimensionnel qui passe complètement sous silence ces personnes qui ont contribué à édifier la nation.
Les exemples sont nombreux. J'essayais d'en dresser la liste. Il y a, par exemple, l'émigration des aides familiaux résidents qui a été d'une valeur très grande pour le Canada parce qu'elle a permis à beaucoup de femmes de participer à la vie active. Ce n'est là qu'un exemple.
Il y a, bien entendu, les exemples habituels—les Loyalistes noirs de l'Empire-Uni, les bâtisseurs chinois des chemins de fer et les colons de l'Ukraine ou de l'Europe de l'Est qui ont ouvert les Prairies. Nous avons depuis toujours une diversité de cultures au Canada.
Si nous voulons maintenir notre souveraineté culturelle, ou si nous avons une image déformée de la diversité culturelle et raciale qui caractérise depuis toujours la société canadienne, il est important de se rendre compte qu'aucune forme d'expression culturelle n'est l'apanage d'un seul groupe. La culture se forme à partir de la dialectique, des échanges entre les divers groupes, où la création est tantôt clairement le fait de certains groupes, tantôt la convergence d'idées venues des divers groupes.
J'aime bien le mot «hybridation». Quand on parle de culture canadienne, il faut tenir compte de cette réalité et de la dualité des cultures.
La dialectique dans laquelle nous sommes engagés en raison de la migration d'un territoire vers un autre peut nous fournir des indications précieuses quant aux autres changements qui se produisent à l'intérieur de notre société et à l'échelle mondiale, de façon à nous permettre de comprendre que les valeurs esthétiques sont davantage le fait de circonstances historiques que de valeurs objectives transcendantes et que les hiérarchies culturelles ne sont jamais pures. Ces valeurs doivent changer pour tenir compte de l'édification de l'État-nation canadien.
Aucune production culturelle, quelle que soit la forme d'expression culturelle, n'est possible si le tableau n'est pas complet, car diversité et production culturelle servent en fait d'intermédiaires en liant les idées et les communautés. Ces intermédiaires sont, bien entendu, les beaux-arts, la musique, la littérature—le mélange de toutes ces formes d'expression.
Je tiens à citer ici les propos de Cullen, dans The Art of Democracy:
-
La vitalité artistique et la viabilité économique de toute forme
d'expression culturelle populaire dépendent d'une infusion
constante de talents de gens économiquement, socialement ou
politiquement marginalisés [et non marginalisés].
-
La façon d'interroger le passé, de le présenter, de le peindre
[...] il est impossible de le faire sans l'information voulue. Les
productions culturelles ont depuis toujours un rôle important à
jouer dans la description des triomphes de l'histoire et de ses
blessures ainsi que des triomphes de l'esprit humain.
C'était assez court?
Le président: Merci.
Monsieur Crichlow.
M. Wesley Crichlow (représentant spécial, Centre de recherche- action sur les relations raciales): Je serai très bref, moi aussi. J'ai dû amputer de beaucoup mon texte initial, si bien que je demande votre indulgence si mon exposé semble décousu. Je suis sûr que nous pourrons tout rétablir pendant la période de questions.
On m'a demandé de vous parler un peu du discours postmoderne sur la culture et l'identité, domaine auquel je m'intéresse dans mon enseignement et dans mon travail auprès des jeunes.
Je crois qu'il est important de signaler que tout le discours postmoderne sur la question de l'identité est très nouveau au Canada est qu'il est très nouveau aussi de l'appliquer à l'idée que nous nous faisons de la «différence» et de l'«altérité».
Avant de pouvoir m'engager dans une critique ou une discussion sérieuse sur l'établissement d'une politique culturelle, j'estime essentiel de vous parler de l'idée qu'on se fait de la différence et de l'altérité.
Force est de constater, malheureusement, que quand il s'agit de l'élaboration d'une politique culturelle canadienne, le discours contemporain qui fait le plus de place à l'hétérogénéité, à la définition par la base, et qui déclare victoire dans la reconnaissance de l'altérité, continue à s'adresser principalement à un auditoire spécialisé, qui partage une langue commune ayant ses racines dans les discours cadres qu'il prétend remettre en cause.
Pour que le radicalisme en politique canadienne et en politique culturelle ait un effet transformateur sur le patrimoine, la culture canadienne et la voix des jeunes, il ne faut pas se contenter de dire qu'on rompt avec la notion d'autorité comme étant une «domination exercée sur les autres», mais poser des gestes concrets en ce sens. Cette rupture doit se refléter dans les diverses façons d'être, tout comme dans le style général des politiques et des écrits, et ne pas se limiter aux écrits sur le sujet ni aux seules voix de ceux qui soutiennent la voix de la domination.
Je m'intéresse plus particulièrement aux intellectuels du tiers monde, en particulier les élites et les critiques de race blanche qui absorbent passivement certaines formes de racisme, qui ne remarquent jamais les jeunes gens de couleur qu'ils croisent dans la rue, qui nous rendent invisibles par la façon qu'ils ont de ne pas nous voir dans tous les secteurs de la vie quotidienne. Ce ne sont pas eux qui vont libérer la politique culturelle canadienne et remettre en question le racisme ou abaisser les barrières traditionnelles qui les empêchent de voir la réalité.
La critique postmoderne de l'identité, bien qu'intéressante pour la lutte de libération des Noirs et des gens de couleur, est souvent énoncée dans des termes qui sont problématiques. Étant donné la nature insidieuse du racisme et les éléments politiques qui empêchent une personne de couleur, quelle qu'elle soit, d'avoir suffisamment de subjectivité pour acquérir une identité canadienne, nous ne pouvons pas rejeter subrepticement l'importance de la politique de l'identité.
Le décisionnaire qui explore le potentiel radical d'une politique culturelle canadienne liée aux différences raciales et à la domination raciale doit tenir compte des conséquences pour les groupes opprimés d'une critique de l'identité.
Jeannie a parlé de colonisation. À mon avis, nous ne devons jamais cesser de considérer la formation historique et l'ensemble des données historiques qui expliquent l'évolution de la notion d'identité chez la personne.
J'essaie d'aller le plus vite possible.
Le président: Je vous en prie, ne vous sentez pas obligé d'abréger.
M. Wesley Crichlow: D'accord.
M. John Godfrey (Don Valley-Ouest, Lib.): Notre président n'est pas un oppresseur.
Des voix: Oh, oh!
M. Wesley Crichlow: D'accord.
Le développement d'une politique culturelle canadienne qui ne cherche pas simplement à s'approprier l'expérience d'une autre réalité pour renforcer ses discours ou pour faire preuve de chic radical ne devrait pas faire de distinction entre la politique de la différence et la politique du racisme.
Pour prendre le racisme au sérieux, il faut considérer les épreuves de la classe inférieure, celles des gens de couleur. Pour moi, c'est une aspiration sans issue. En effet, c'est l'expression qui décrit le mieux un état psychologique que nous sommes nombreux à partager, un état psychologique qui traverse ces frontières que sont la race, la classe, le sexe et les pratiques sexuelles. En ce qui concerne l'élaboration d'une politique culturelle canadienne, c'est cette aspiration sans issue qui gonfle dans les coeurs et les esprits de tous ceux dont le discours intérieur a été étouffé alors qu'ils aspiraient à une voix critique.
Dans ces conditions, il n'est pas surprenant que nous ayons des problèmes de définition, et des auteurs comme Neil Bissoondath, qui a sa propre version de la politique et de l'identité canadiennes, une version qui a de plus en plus cours dans les discussions. Toutefois, il est important de penser qu'il y a beaucoup de façons de transmettre ce que j'appelle la «politique critique théorique» (une notion que j'utilise dans la pensée critique), et les cercles universitaires ne sont pas le seul moyen.
• 1140
Je travaille dans un établissement en majorité blanc, mais en
même temps je maintiens un engagement passionné dans les
communautés noires. Je ne vais certainement pas parler d'écriture
et de réflexion sur la politique culturelle canadienne ou le
postmodernisme et la jeunesse avec d'autres universitaires ou
intellectuels sans jamais en parler avec les gens de la sous-
classe, c'est-à-dire les gens qui ne sont pas des universitaires et
qui font partie de ma communauté. Comme je n'ai pas brisé les liens
qui me lient à cette communauté, je sais que la connaissance peut
être partagée, surtout la connaissance qui permet d'améliorer la
vie quotidienne et qui renforce notre capacité de survivre.
Autrement dit, nous tous, personnages politiques, critiques,
écrivains, universitaires et journalistes, devons accorder la même
attention critique aux liens qui nous unissent à notre communauté
de couleur que nous en accordons à la formation d'une politique
canadienne sur le patrimoine.
Là encore, il s'agit de cultiver des habitudes qui renforcent la conscience que la connaissance peut être communiquée et partagée dans de nombreux domaines. C'est la nature des engagements politiques individuels qui détermine dans quelle mesure cela peut être accessible.
La culture postmoderne, avec son sujet désaxé, peut être une occasion de briser les liens, mais elle peut être également une occasion de former de nouvelles alliances, des liens nouveaux et variés. Dans une certaine mesure, cela brise les surfaces de la contextualité et de toutes sortes d'autres manifestations tout en créant des espaces qui font place à des pratiques contestées qui n'obligent plus les intellectuels à se confiner dans des sphères distinctes et restreintes sans aucun contact tangible avec la réalité quotidienne.
Quand nous parlons de culture, d'identité et d'engagement, ce que nous disons vient souvent de cette aspiration vers le travail intellectuel qui nous rapproche de nos habitudes humaines et des formes d'expression artistique et esthétique qui sont le tissu de la vie quotidienne de la masse de la population, et également l'outil de travail des politiciens et des intellectuels.
Dans le domaine de la culture, on peut s'engager dans un dialogue critique avec des gens qui ne sont pas éduqués, avec les pauvres, la classe ouvrière, la jeunesse—cette génération X longtemps oubliée—la sous-classe des Noirs et beaucoup d'autres. De cette façon, nous pouvons parler de ce que nous voyons, parler de ce que nous pensons ou de ce que nous écoutons. C'est un forum qui permet les échanges critiques.
Il est particulièrement passionnant de pouvoir penser, d'être ici, d'écrire, de parler, et de créer une politique artistique et culturelle qui reflète un engagement passionné envers l'identité canadienne, tout en se souvenant que l'identité canadienne n'est pas une notion fixe, qu'elle est sans cesse changeante. La réalité démographique changeant, il faut modifier les politiques et la politique pour tenir compte du changement des besoins et des conditions.
Merci.
Le président: Monsieur Crichlow, je vous remercie.
Les membres du comité vont maintenant poser des questions.
Monsieur Mark.
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, monsieur le président.
Je vous souhaite la bienvenue à notre comité. Vos exposés nous ont certainement donné matière à réflexion.
J'ai une ou deux questions à poser. Est-ce que vous considérez que le bilinguisme est une politique raciste, puisque la culture canadienne émerge d'une définition selon laquelle la culture doit être définie au présent?
Cela m'amène directement à ma deuxième question: quel est le lien entre le bilinguisme et le multiculturalisme? Il sera peut-être plus facile de répondre à cette question-là.
M. Karim Karim: Je vais essayer de vous répondre sur la base de mon expérience personnelle.
Ici, il faut se demander ce qui est possible: par exemple, combien de langues officielles un pays peut-il avoir? Je pense qu'on a trouvé un compromis au début des années 70 lorsque le premier ministre Trudeau parlait d'une nouvelle politique de multiculturalisme dans le cadre d'une réalité bilingue. C'est donc ce qui a remplacé le bilinguisme et le biculturalisme. Le biculturalisme a donc été remplacé par le multiculturalisme, tout en conservant la forme du bilinguisme.
Certains vous diront: comment est-il possible de distinguer entre langue et culture? À mon avis, c'est une formule canadienne unique. On peut toujours discuter de son efficacité, mais sur le plan pratique il faut penser aux problèmes de traduction, aux coûts que cela comporte, aux dispositions matérielles que cela nécessite, etc. Si vous voulez ajouter une langue, deux langues, plusieurs langues, il devient très difficile, sinon impossible, d'organiser le discours de la société d'une façon civile.
• 1145
Ainsi, sur un certain plan, il faut considérer ce qui est
possible, mais sur un autre plan, à mon avis, le bilinguisme,
l'anglais et le français, le bilinguisme officiel au Canada, c'est
une façon de reconnaître que cet État-nation a été construit par
deux communautés, les Britanniques et les Français.
Je ne vous parle pas du pays, mais de l'État, et ce sont deux choses différentes. Le pays a été construit par beaucoup d'autres également. Quant à l'État, plus particulièrement, avec la forte présence des Britanniques au début, il a fait une place considérable au fait ou à la présence française dans ses symboles, et cela, à partir de 1867. Depuis cette date, il est possible de parler français au Parlement et à la Cour fédérale.
D'une certaine façon, si le multiculturalisme a vu le jour au Canada et non dans un autre pays... De nos jours, beaucoup de pays ont adopté cette formule, mais nous sommes toujours le seul pays qui ait une loi sur le multiculturalisme. Le discours multiculturel s'est répandu dans le monde entier et a adopté d'autres formes que celle que nous avons au Canada: les États-Unis, la Grande-Bretagne, plusieurs pays d'Europe, et même des pays comme la Malaisie. Et bien sûr, après le Canada, c'est une notion qui est d'abord allée en Australie.
Quoi qu'il en soit, ce qui a véritablement permis le multiculturalisme, c'est le fait que les Britanniques ont accepté le fait français au départ. Si cela n'avait pas été le cas, il eût été très difficile de mettre en place une politique de multiculturalisme.
Par conséquent, historiquement c'est une question d'ordre pratique, et cela constitue un compromis qui est unique au Canada. Certains penseront que c'est raciste, mais il faut vivre dans la réalité, et tenir compte de ce qui est possible.
Si l'on considère Vancouver, en Colombie-Britannique, les Chinois semblent beaucoup plus visibles dans la vie publique. En public, dans les rues, dans les vitrines de magasins, dans les banques, dans la rue Georgia par exemple, une des principales rues, ce qui est remarquable, on voit des signes de leur présence.
Ce qui s'est produit, c'est que d'une part nous avons établi un bilinguisme officiel, mais en pratique, lorsque les effectifs le justifient, ou peut-être d'autres facteurs également, il est possible d'utiliser d'autres langues. Dans le Nord, et en particulier dans le nouveau territoire, ce sont les langues inuites, etc., qui sont utilisées.
J'espère avoir expliqué quelque peu les méandres de ma réflexion. Ma réflexion n'est pas systématique, mais en tout cas c'est la façon dont j'aborde ce sujet.
M. Fo Niemi: Monsieur le président, j'aimerais ajouter quelque chose.
Au niveau national, il y a deux cadres, la législation et la politique, pour emprunter le jargon consacré, et ces deux cadres canalisent et définissent la croissance de ces réalités d'un océan à l'autre. Sans ces politiques, on voit mal comment un pays d'une telle diversité culturelle, géographique et linguistique pourrait se développer et prospérer d'une façon raisonnablement harmonieuse et équitable. Voilà donc pour la scène nationale.
Sur la scène internationale, il y a également ces influences politiques, et là aussi elles reflètent nombre des ententes et conventions internationales sur les droits des minorités auxquelles le Canada a adhéré.
Il me semble assez contradictoire de prétendre que ces politiques favorisent la discrimination et l'inégalité dans ce monde où nous vivons, dans cette société postmoderne où la situation transnationale et transfrontalière est en pleine évolution.
Voilà le type de réflexion que nous mettons de l'avant, et, ce faisant, nous tentons de voir dans quelle mesure l'âme de ce pays et de ces peuples, d'un océan à l'autre, se reflète dans ces deux politiques, beaucoup plus que nous ne pouvons l'imaginer.
• 1150
Considérez les nombreux pays autour du monde où des minorités
commencent à se manifester. Les gens se tournent vers le Canada et
continuent à se demander comment cela est possible. À de nombreux
égards, c'est un capital très précieux.
Le fait que des Australiens soient venus au Canada étudier notre politique ce multiculturalisme et notre politique en matière de radiodiffusion ethnique n'est pas une coïncidence. Ils sont rentrés chez eux et ont mis sur pied un service spécial de radiodiffusion qui, à de nombreux égards, est plus avancée et plus intéressant que ce que nous faisons ici. À l'heure actuelle, le CRTC essaye de réévaluer sa politique en ce qui concerne la diversité ethnique et linguistique, spécialement à la lumière de ce village mondial que nous sommes devenus.
Le président: Monsieur Muise.
M. Mark Muise: Merci, monsieur le président.
Je souhaite la bienvenue à nos invités et je les remercie.
Au Canada, lorsque nous pensons culture, certaines choses nous viennent à l'esprit, et nous considérons qui nous sommes, ce que nous sommes. Quand nous pensons aux immigrants qui arrivent au Canada, nous pensons que leur culture est différente. Ils amènent avec eux une histoire et des coutumes qui leur sont propres. En fait, ils peuvent beaucoup nous apprendre, tout comme nous pouvons tous tirer profit de nos différences mutuelles.
À propos de ces gens qui vivent au Canada, mais qui sont venus d'autres pays, je me demande si la politique culturelle ne devrait pas aider le reste de la population à mieux comprendre leur culture. M. Crichlow a mentionné les différences qui existent, et peut-être pourrait-il me répondre.
Si vous pouviez répondre au reste de ma question, je l'apprécierais aussi.
M. Wesley Crichlow: Pour commencer, il est important de reconnaître que les groupes n'arrivent pas tous avec le même bagage. Une politique destinée à satisfaire les préoccupations ou les besoins des nouveaux immigrants doit tenir compte des expériences très différentes des immigrants.
Après avoir établi que ces différences existent, il faut élaborer une politique sensible aux différentes catégories de gens. Par exemple, certains arrivent dans le cadre de politiques d'immigration qui sont axées spécifiquement sur les gens d'affaires. Ces personnes ont déjà en arrivant un avantage économique; elles ont déjà un bon départ.
Certaines collectivités parrainent des immigrants. Par exemple, il y a beaucoup de femmes domestiques des Philippines et des Antilles qui sont venues travailler ici et qui sont restées. Elles ont ensuite essayé de parrainer leurs parents plus jeunes. Ces gens-là ont plus de besoins. Ils ont des besoins en matière d'éducation, des besoins économiques, des besoins en matière de logement, des besoins linguistiques. Tout cela est différent.
Ainsi, une politique culturelle qui n'est pas accompagnée de dispositions économiques pour créer une infrastructure, emplois, création d'emplois, formation, acquisition de compétences linguistiques, que ce soit français-anglais ou anglais-français... Bref, une politique d'intégration à la vie canadienne, voilà ce dont tous les paliers de gouvernement ont besoin, et pas seulement au niveau fédéral, mais également au provincial, au municipal, etc.
Les systèmes scolaires doivent faire partie de ce processus, tout comme les organismes communautaires qui accomplissent le travail, toutes les ONG qui font ce travail à l'heure actuelle. L'important, c'est de créer des partenariats avec des groupes de personnes qui travaillent directement avec les immigrants, qui les aident à s'établir.
À mon avis, nous devons prendre des engagements sur le plan du financement, car, en effet, c'est au coeur même de toute cette question. Certains disent que ce ne sont pas les immigrants qui profitent économiquement de ce financement, et que, par conséquent, cela ne doit pas être une priorité.
M. Mark Muise: Merci. J'aime bien votre démarche, et j'ai une autre question à vous poser, mais j'aimerais aussi savoir ce que les autres témoins ont à dire.
M. Fo Niemi: J'aimerais dire que, quel que soit l'endroit d'où ils viennent, leur pays d'origine, l'un des messages culturels canadiens les plus importants pour les nouveaux venus, c'est qu'il y a de la place pour le changement, de la place pour l'adaptation, et que la population canadienne ou les collectivités canadiennes sont déjà très diverses. Autrement dit, ils peuvent être assurés de se faire entendre, d'avoir une place.
Si nous considérons les productions en langue française et en langue anglaise de la télévision, la pire chose que nous puissions montrer, c'est qu'être Canadien, c'est être Français seulement, ou bien Anglais seulement, ou bien seulement Blanc. Il ne faut pas faire penser aux gens que s'ils veulent voir plus de couleurs ils doivent regarder des émissions américaines et que la culture canadienne et le Canada sont réservés aux gens de certaines races, de certaines origines ethniques.
Comme vous le savez, d'après certaines études, près de 80 p. 100 de nos productions télévisées en anglais viennent des États-Unis, en particulier depuis la venue des canaux spécialisés et des réseaux privés. Par contre, 80 p. 100 des productions françaises sont originaires du Québec ou du Canada.
• 1155
Nous devons donc trouver un moyen de bien faire comprendre aux
nouveaux venus, et même à tous les Canadiens, à tous ceux qui
vivent sur le territoire canadien, que la culture canadienne, dans
le sens élargi du terme, comprend toutes sortes de gens et
d'expériences, et que non, ce n'est pas la même chose que la
culture américaine.
Si on se réfère à tous les différents groupes de travail et commissions du passé, de la Commission Aird en 1929 à la Commission Hébert, tout récemment, il y a un motif de la politique culturelle qui revient sans cesse, un élément de nationalisme canadien, d'antiaméricanisme, une lutte entre l'âme canadienne et l'âme américaine.
Lorsqu'on parle aux gens d'ici, on a l'impression que pour voir plus de diversité culturelle et raciale il faut se tourner vers les émissions américaines, les productions et les films américains, parce qu'il n'y en a pas suffisamment dans les productions culturelles canadiennes. C'est une situation qu'il faudra changer lorsque nous établirons notre politique culturelle pour l'avenir.
M. Karim Karim: Je vais considérer les choses d'un point de vue plus institutionnel ou législatif. La législation actuelle contient probablement certaines réponses, par exemple la Loi sur le multiculturalisme, qui demande aux institutions fédérales de respecter la diversité culturelle du pays. Bien sûr, cela s'applique à toutes les institutions culturelles.
À mon avis, c'est un problème d'application. Au départ, quand on a commencé à discuter de la Loi sur le multiculturalisme canadien, les groupes minoritaires avaient demandé qu'on nomme un commissaire pour surveiller l'application de la loi. Cela n'a pas été fait. À mon avis, c'est un des plus gros problèmes, l'application de cette loi.
De la même façon, la Loi sur la radiodiffusion demande aux radiodiffuseurs, et en particulier à Radio-Canada, mais aux autres également, de tenir compte de la diversité canadienne dans leurs émissions. Comme M. Niemi l'a signalé, ils ne le font pas.
En ce qui concerne les nouvelles technologies de l'information, dans mon exposé j'ai montré comment... Je n'ai pas eu le temps de le démontrer, mais l'expérience a montré que très souvent, à cause de leurs besoins particuliers parce qu'ils sont éparpillés dans tout le pays, les groupes ethniques ont tendance à adopter de nouvelles technologies que les médias en général n'ont pas encore adoptées. C'est parce qu'ils sont forcés d'atteindre un auditoire très éparpillé. Le phénomène existe non seulement au Canada, mais aussi dans le reste du monde.
Ils ont donc tendance à adopter des technologies très nouvelles, mais cela n'empêche pas le vieux stéréotype de subsister: tous ces immigrants et ces minorités qui ne sont pas éduqués, qui n'ont pratiquement aucune connaissance technologique.
J'ai fait partie de groupes de travail et autres groupes d'étude, et j'ai pensé qu'il serait peut-être bon d'envoyer ce document sur la technologie de l'information au Canada à des organisations minoritaires—par exemple le Conseil ethnoculturel canadien—mais les gens résistent à cette idée à cause des vieux stéréotypes: en quoi est-ce que cela les regarde? Ils n'ont pas les connaissances technologiques nécessaires pour ce genre de choses.
Évidemment, dans la réalité la situation est très différente. Très souvent ils sont à la pointe du progrès.
Il n'y a pratiquement jamais de représentants des minorités dans les groupes de travail, par exemple le Comité consultatif sur l'autoroute de l'information. Par conséquent, ce rapport est totalement aveugle à la diversité du pays, n'en tient aucun compte, alors qu'en réalité le monde est très varié, comme d'autres l'ont dit avant moi. Il y a de multiples marchés pour lesquels nous devrions équiper les Canadiens, y compris les minorités, en leur donnant une formation...
Les États-Unis le font déjà avec le NTIA. Là-bas, on forme les minorités pour leur permettre de mieux utiliser les nouvelles technologies. Apparemment, ce n'est pas une chose qui se fait ici.
Je pense que la Loi sur le multiculturalisme canadien devrait être mieux appliquée. La base existe. Cette loi ne va peut-être pas aussi loin que nous l'aurions voulu, mais la Loi sur la radiodiffusion et d'autres lois, comme la Loi sur l'équité en matière d'emploi, devraient permettre d'appliquer ces dispositions et de favoriser ainsi l'éclosion de notre diversité dans toutes sortes de productions culturelles.
Le président: Madame Brown, vous avez quelque chose à ajouter?
Mme Jean Brown-Trickey: Oui, effectivement.
• 1200
Une chose à propos de mon expérience personnelle. J'ai six
enfants, si bien qu'il n'y a jamais moins de 12 personnes chez moi.
Cela est très caractéristique. C'est tout à fait frappant. C'est la vérité même de notre société. Ces jeunes gens ont des discussion. Ils sont Canadiens. Ils ont l'air Chinois, Vietnamiens, Cambodgiens, Indiens, et c'est effectivement leur origine, mais ce sont tout de même de jeunes Canadiens. Le fait de ne pas se voir représentés dans les médias électroniques, à la télévision, les frustre particulièrement.
À mon avis, nous ne pouvons pas accepter un monde où les jeunes n'ont pas l'impression de faire partie de la culture. C'est une véritable faille dans l'avenir que nous construisons pour notre nation, parce que les jeunes sont tellement nombreux.
Je reprends ce que j'ai dit, les systèmes scolaires, les livres d'histoire, tout cela est lié, interdépendant, et c'est très important. Dans les établissements culturels, mes enfants ne sont pas représentés. Ils le regrettent amèrement, et je trouve que ce n'est pas juste.
Quand je dis «juste», c'est peut-être un mot que les femmes utilisent volontiers. Il n'empêche que c'est profondément injuste, profondément discriminatoire.
Ce que ces jeunes de plus de 12 ans ont à dire m'intéresse énormément. Ils sont pour moi une source d'information, et je vous transmets cette information.
C'était trop court.
M. Mark Muise: Mais excellent. Merci.
Le président: Monsieur Godfrey.
M. John Godfrey: Pour commencer, je suis enchanté de vous voir ici, car vous nous dites des choses très utiles. Si vous n'étiez pas venus, nous aurions raté quelque chose d'important. Il va falloir que nous trouvions un moyen d'intégrer ce que vous nous dites de façon profonde, et pas seulement de façon superficielle. C'est véritablement important.
C'est ironique, mais je représente une des circonscriptions les plus multiculturelles qui existent, et je vis également dans un des centres-villes les plus multiculturels qui existent, à Toronto, une ville où la diversité est extraordinaire, à tous les points de vue. Or, quand il y a des campagnes électorales, quand je fais du porte-à-porte par exemple, je dois m'équiper de 20 langues différentes. Ce n'est pas que je parle 20 langues, c'est simplement que je sais dire: «Bonjour, comment allez-vous?» dans 20 langues différentes.
Quand je regarde les gens autour de cette table, quand je considère cette réalité, je vois qu'il n'y a pas deux catégories: vous contre nous, mais en fait des sous-groupes culturels beaucoup plus intéressants. J'imagine et je sais que vous êtes venus de pays différents, que vous avez des valeurs différentes, et par conséquent, même pour vous, il n'est pas possible de généraliser. Les différences sont énormes.
Je ne veux pas trop entrer dans les détails, mais je pensais à la victimisation. Sans vouloir caricaturer les propos de M. Crichlow, quand je regarde autour de la table—et je ne prétends pas que nous soyons tous des Frantz Fanon types—je vois mon collègue, qui est venu de la Lettonie, qui a été une victime en Union soviétique.
[Français]
Il y a aussi Mme St-Hilaire qui, selon certains textes historiques, est une victime de la Conquête. C'est une réalité historique.
[Traduction]
Je vois M. Muise, qui est venu de la Nouvelle-Écosse, où une grande partie de la population a été expulsée en 1755.
Je ne connais pas suffisamment l'histoire de l'île Maurice pour vous faire un récit dramatique au sujet du président, mais peut-être pourra-t-il le faire lui-même.
Je ne connais pas suffisamment M. Mark, mais je crois connaître la culture à laquelle ses ancêtres étaient associés. Dans tout cela, il y a beaucoup de victimes.
Enfin, dans mon cas personnel, si on remonte suffisamment loin en arrière, on trouve des victimes. On trouve les Loyalistes, qui ont été expulsés par les Américains. On trouve aussi des Irlandais, qui ont été expulsés par les Anglais et le manque de pommes de terre. On trouve enfin des Écossais, qui ont été forcés de partir au XVIIIe siècle, lorsqu'on évinçait les habitants des Highlands, en Écosse.
Ainsi, presque tout le monde autour de cette table a des antécédents de victimes et d'exodes, et très souvent, c'est la raison pour laquelle ils sont venus au Canada. Ce ne sont pas les classes qui opprimaient qui se déplaçaient, c'était plutôt les victimes de l'histoire. Voilà la réalité canadienne. Jadis, les Irlandais étaient méprisés au Canada.
• 1205
C'est une vérité historique, donc, et je me demande si c'est
seulement une question de temps, si un jour ou l'autre nous
n'allons pas commencer à nous définir nous-mêmes différemment. Ces
spéculations sur la composition de cette table hautement canadienne
sont intéressantes, mais, puisque nous discutons d'un rapport sur
la culture qui doit refléter notre société dynamique, une société
en pleine évolution, j'aimerais vous proposer une définition.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Lorsque j'étais rédacteur en chef d'un journal, je me suis livré à un exercice très ambitieux; j'ai essayé de définir une société de façon vraiment exhaustive, mais également en respectant la réalité historique. Mes efforts m'ont conduit à ceci: le Canada actuel est une société multiculturelle, c'est sa principale caractéristique, mais cette société multiculturelle est fondée sur trois réalités historiques distinctes: une culture anglophone, une culture francophone et une culture autochtone.
Je suis historien de formation, et cette définition me semble, historiquement, indiscutable. C'est incontournable. Et cela renforce ce que Karim Karim disait tout à l'heure. En fin de compte, les gens qui viennent dans ce pays doivent souscrire à l'une de ces cultures, ou peut-être à deux d'entre elles.
Pour que cette réunion soit possible, nous avons besoin de participants anglophones ou de participants francophones. La société à laquelle les gens adhèrent n'est pas totalement informe. Il y a une réalité historique, et cette réalité est enrichie par les vagues successives d'immigrants—ou bien de victimes, si vous me permettez de l'exprimer ainsi.
On peut se demander si cette définition de notre société a une incidence sur notre politique culturelle, mais on en voit la manifestation lorsque des romans sont écrits par des gens d'origines diverses. On assiste aujourd'hui à un élan de créativité extraordinaire, et des gens qui sont venus de Ceylan, qui sont venus des Antilles, ou bien de l'Inde, des gens qui tous ont choisi la langue anglaise, écrivent des romans qui reflètent une réalité très complexe, par exemple la réalité dans laquelle vit une femme en Inde.
Quant à savoir s'il existe un moyen pour nous de saisir cette complexité sans la réduire à une banalité ou un relativisme total, et sans revenir de façon excessive sur l'état de victime—et je ne voudrais pas déprécier la thèse de M. Crichlow—je me demande si cette définition pourra nous être utile. Est-ce une chose qui contribuera à informer notre pauvre chercheur perdu dans les ténèbres de l'ignorance, en nous permettant d'aller de l'avant?
M. Wesley Crichlow: C'est une question importante.
Il importe pour nous de ne pas assainir l'oppression, ce qui est en général une façon simple d'examiner des questions complexes. La classe influe sur le genre d'oppression que les gens éprouvent et subissent.
Vous avez essayé de faire une analyse historique de différents groupes à différents moments de l'histoire canadienne qui ont été des victimes à un moment ou à un autre. Cet argument est pertinent. Toutefois, lorsqu'on essaye de comprendre l'évolution d'une race et le rôle que peut jouer le racisme, et comment nous construisons encore ce que nous considérons comme «l'autre», nous le voyons toujours comme une personne qui n'a pas l'air Blanche, néanmoins.
Ce que je veux dire, c'est qu'on peut être Écossais, Irlandais ou Yougoslave, ou autre, et avoir déjà été victime au Canada par le passé, mais on n'est pas considéré comme «l'autre», à moins de prétendre à ce statut par commodité au cours d'une discussion, pour faire valoir l'argument de ce que j'appelle le «privilège épistémique», ou l'oppression épistémique.
À part cela, lorsqu'on se promène dans la rue, on est toujours considéré comme appartenant à la norme, c'est-à-dire à la race blanche—et pas seulement la race blanche; de race blanche et de sexe masculin.
En troisième lieu, il importe de comprendre que lorsque nous critiquons le multiculturalisme, nous essayons d'affirmer diverses identités qui par le passé n'ont pas été et ne sont toujours pas considérées comme utiles à la formation de ce que nous appelons l'identité canadienne. Il importe donc de le faire, car nous remettons en cause les théories coloniales et impérialistes qui servent à façonner et à élaborer les politiques.
• 1210
Dans le cas contraire, nous risquons de mettre la vie de tout
le monde dans le même sac, en disant: ce groupe s'en est sorti;
pourquoi n'avez-vous pas réussi à faire de même? Et ce groupe se
débrouille, alors pourquoi pas vous?
Mais ce que nous savons du passé, et encore aujourd'hui, c'est qu'il est encore vrai qu'il y a un nombre excessif de Noirs et de membres des Premières nations dans nos prisons. Il y a une surreprésentation de Noirs, de membres des Premières nations et d'Hispaniques qui sont forcés de quitter l'école; ce ne sont pas des décrocheurs. Il y a un nombre excessif de Noirs, de membres des Premières nations et des minorités raciales dans la catégorie des jeunes chômeurs.
Quelle conclusion devons-nous donc tirer au sujet de la politique canadienne du multiculturalisme si elle est si fantastique? Cela nous prouve que nous présentons au reste du monde une version expurgée et que la réalité de la stratification sociale n'a pas encore été remise en question, car interroger la hiérarchie, c'est perturber les notions de confort normatives. Si nous le faisons, nous attirons alors l'attention sur ce que les gens appellent des politiques radicales. Vous êtes considéré comme une personne à problèmes, qui veut renverser l'État, au lieu de parler de questions d'évolution sociale pour les démunis.
En outre, vous avez dit plus tôt que vous savez dire bonjour aux gens dans 20 langues différentes. L'incidence coloniale que cela a sur la personne quand vous l'accueillez... «Oh mon Dieu! Il connaît ma langue. C'est très gentil de sa part.»
Ce que je veux dire, c'est que du point de vue psychologique cela a une forte incidence sur la personne du fait que vous, en tant qu'homme de race blanche, pouvez lui dire que vous pouvez communiquer avec elle dans la même langue.
Au-delà de la langue, que dire de la politique économique? Et de la création d'emplois? Et des contrats? Nous ne voyons pas de gens de couleur travailler dans la rue dans le cadre des contrats importants, passés avec toutes ces entreprises.
Nous pourrions en parler indéfiniment, mais le problème, c'est que nous ne sommes pas disposés à parler de ces inégalités. Nous parlons des progrès réalisés par les femmes, mais nous ne nous demandons pas quelles sont les femmes qui en profitent. Nous parlons des progrès réalisés dans les institutions et sur le plan de la politique, mais là encore nous ne nous interrogeons pas sur le genre de progrès, sur les bénéficiaires et sur les conditions dans lesquelles ils ont été réalisés.
Voilà les questions qu'il faut continuellement se poser si l'on veut rétablir la notion de différence historique.
Le président: Merci.
Madame Bulte.
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie tous de votre présence. Je dois convenir avec mon collègue, M. Godfrey, que vos témoignages sont extrêmement enrichissants pour notre comité.
J'ai quelques questions, deux questions précises à l'intention de M. Karim, et j'aimerais ensuite discuter de certains points très importants que M. Niemi a soulevés.
Merci de les avoir portés à notre attention, car ce sont des problèmes dont nous n'avions pas entendu parler jusqu'ici. Je pense qu'ils sont très importants.
Monsieur Karim, vous avez parlé de l'attribution des licences de radiodiffusion et de l'importance que cela représente. Malheureusement, la réalité à laquelle nous sommes confrontés, c'est que lorsque le spectre est rempli, même si l'on continue d'attribuer des licences de radiodiffusion, nous nous heurtons à un problème du fait que le système numérique n'est pas encore prêt, sauf pour la chaîne autochtone, où le CRTC a ordonné qu'elle soit diffusée sur le premier volet, le volet des services de base.
C'est une chose d'obtenir une licence de radiodiffuseur, mais que pourrait ou devrait faire le CRTC pour s'assurer que les communautés dispersées à travers le monde sont bien représentées sur la bande qui est disponible et les futures bandes? C'est une question que j'aimerais approfondir.
En second lieu, vous avez exprimé certaines inquiétudes du fait que les grands réseaux comme CBS achètent des chaînes spécialisées. Vous avez l'air de dire que ce n'est pas souhaitable, mais pourtant la réalité, c'est que si les gros câblodistributeurs achètent les chaînes spécialisées, toujours sous le contrôle du CRTC, c'est une façon de vous faire une place sur le volet. Le CRTC doit en tenir compte, en tout cas pour ce qui est des chaînes sportives.
Est-il dommage selon vous que les grands câblodistributeurs achètent les chaînes spécialisées pour que vous ayez à nouveau le public et que vous vous trouviez dans les volets inférieurs? Il ne s'agit pas simplement de distribuer les chaînes de radiodiffusion; la question est de savoir comment faire en sorte que l'infrastructure existe pour qu'on puisse vraiment présenter ces émissions, et non pas les dissimuler derrière une licence quelconque.
M. Karim Karim: S'agissant de la licence de radiodiffusion et de ce qu'on peut faire dans le cadre de la largeur de bande actuelle, pour en revenir à la remarque précédente que j'ai faite au sujet du contenu de la Loi sur la radiodiffusion, il faut d'abord se demander si les réseaux SRC, CTV, Global et les chaînes françaises respectent leurs obligations législatives pour ce qui est de représenter tout le Canada, tous les Canadiens. Je ne le pense pas. Diverses études ont prouvé qu'ils laissent beaucoup à désirer.
• 1215
Quant à la largeur de bande actuelle, il y a eu par exemple
une série de demandes de licence présentées par M. Dan Iannuzzi,
sauf erreur. Il demande de façon incessante l'octroi d'une licence
pour offrir une chaîne multiculturelle et s'est heurté à un refus,
en fait. Le problème est le même pour la radio. On a refusé une
licence à une station noire au profit d'une chaîne de musique
country.
Une chercheuse australienne qui fait des recherches dans notre pays au sujet de la radiodiffusion ethnique m'a dit qu'un responsable du CRTC lui a indiqué qu'il n'y a pas de place pour les stations ethniques. Le spectre est déjà trop plein, et il n'y a plus d'espace disponible.
C'est une question de priorités. Comment envisageons-nous notre pays? Comment voyons-nous sa population?
Il y a cette feuille verte ici, qui indique la population urbaine. Sur l'ensemble de la population du pays, plus de 40 p. 100 des Canadiens ont une origine ethnique autre que britannique ou française.
Cela nous amène à la question initiale au sujet de l'anglais et du français. C'est vrai, nous sommes un pays bilingue, mais pour reprendre l'argument avancé par M. Niemi, il y a également d'autres langues parlées dans notre pays, et il faut en tenir compte, leur faire une place.
Au sein de toutes les minorités—en fait, notre groupe, l'Institut Pearson-Shoyama, a appuyé la demande de licence présentée par le groupe autochtone lors des audiences du CRTC—les gens se sont énormément réjouis de ce que l'on ait ouvert cette petite porte pour un groupe minoritaire, un groupe minoritaire canadien très important.
Nous espérons qu'il continuera d'en être ainsi et que l'on autorisera une chaîne multiculturelle qui permettra à divers autres groupes d'être représentés et de parler leur langue. Certains d'entre eux voudront peut-être même radiodiffuser en anglais ou en français, mais ils puiseront toutefois dans l'expérience culturelle de leurs collectivités.
Par exemple, CFMT, qui diffuse à partir de Toronto, et la chaîne multiculturelle de Montréal, sont extrêmement populaires et s'en tirent très bien sur le plan commercial. Il y a donc toutes sortes de possibilités.
Cela m'amène à la prise de contrôle de chaînes ethniques par des sociétés. Pendant mon bref exposé, j'ai peut-être donné l'impression de déplorer cet état de choses. Ce que je dis dans mon mémoire plus détaillé, que je remettrai au greffier, c'est que faute d'encouragement à l'égard de la radiodiffusion communautaire dans d'autres langues ou d'autres cultures, un nombre croissant de ces groupes devront se tourner vers la radiodiffusion commerciale.
En fait, si l'on prend l'exemple de Vision TV, on a presque l'impression que, faute de trouver de la place dans le spectre, c'est une façon indirecte pour certains groupes minoritaires d'affirmer en quelque sorte une présence culturelle sur cette chaîne religieuse. C'est apparemment devenu la chaîne la plus multiculturelle qui diffuse d'un bout à l'autre du pays.
C'est un modèle très commercialisé, toutefois, et il arrive que plus de la moitié de l'émission soit comme un commercial, au détriment du contenu culturel. Il y a donc un fort déséquilibre.
Contrairement au modèle de la SRC, qui s'aligne sur le modèle de radiodiffusion public, nous n'avons apparemment pas de services semblables au SBS, le Special Broadcasting Service, qui existe en Australie—où l'on fait une place, dans un pays officiellement multiculturel, pour un radiodiffuseur public dont le principal mandat est de servir les minorités du pays.
Il y a donc ce déséquilibre, et si des reprises de contrôle ont lieu et que l'objet principal est de faire des bénéfices, alors il y aura très peu de contenu local, surtout dans le cadre des stations de radiodiffusion numérique par satellite. Que ce soit Ottawa, Montréal, Rimouski, ou ailleurs, il y a très peu de contenu local, car les stations diffusent à l'échelle nationale.
• 1220
Si la seule chaîne disponible ne peut diffuser que grâce à un
satellite numérique, et non par le câble ou un autre moyen, il y
aura très peu d'émissions à contenu local à l'intention de ces
groupes minoritaires.
Mme Sarmite Bulte: En vertu du cadre de réglementation actuel du CRTC, si la SRC ne respecte pas les obligations qui lui incombent aux termes de la Loi sur la radiodiffusion et que le conseil établit des priorités, cela lie les mains du gouvernement d'une certaine façon, étant donné le lien de dépendance qui existe entre lui et l'organisme de réglementation.
Si en fait, comme vous le dites, c'est une question de priorités, la ministre ne pourrait-elle pas adopter des directives par décret pour offrir une certaine garantie?
Nous sommes dans une impasse, selon moi. Le CRTC existe, et il est censé être indépendant. Comment faire comprendre ces priorités au CRTC?
M. Karim Karim: Pour ce qui est de la radio, la ministre a déjà dit—et je ne sais pas si c'était par décret ou par un autre moyen—que la prochaine fréquence radio disponible dans la région de Toronto devait être réservée à une chaîne minoritaire, et plus précisément une chaîne noire, sauf erreur.
La ministre a donc les moyens d'agir. Je ne sais pas exactement comment les choses se passent, mais cette possibilité existe apparemment.
Mme Sarmite Bulte: Très rapidement, monsieur Niemi, quelle est la position de l'ACTRA à l'égard des arguments que vous avez avancés au sujet de Téléfilm et du contenu canadien? Je remarque que, dans le paragraphe suivant, vous dites que les associations et syndicats divers n'ont aucune représentation autochtone ou de minorité raciale. Pourquoi l'ACTRA n'a-t-elle pas présenté des instances pressantes à ce sujet?
M. Foe Niemi: En fait, une réunion de travail est prévue à Montréal à la fin du mois pour discuter de l'égalité raciale dans le monde artistique; seront présents des gens du Québec et de l'Ontario qui parleront de leur expérience commune. Je ne suis donc pas en mesure de répondre à cette question.
Je sais que, par le passé, l'ACTRA a chargé un comité d'examiner les questions liées à l'égalité raciale, et il en est ressorti un annuaire des acteurs et artistes membres de l'ACTRA et de groupes minoritaires, en vue de promouvoir leur visibilité dans les productions canadiennes. Toutefois, après une période de deux ans environ, le comité a mis fin à ses activités.
Il existe à l'heure actuelle à l'ACTRA un comité sur l'équité, mais je ne suis pas en mesure de vous en dire plus à ce sujet.
Quant au Québec, c'est l'Union des artistes, qui est plus présente dans cette province. En général, lorsqu'un problème se pose en rapport avec la diversité culturelle ou raciale, l'Union des artistes renvoie les personnes à notre organisme, car il y a sept ou huit ans, lors de la négociation de l'ALENA, nous avons examiné à fond la question de l'accès à la culture et aux communications.
Ce que j'essaye de vous faire comprendre, c'est que les institutions ne s'ouvrent pas autant qu'elles devraient le faire. Certaines d'entre elles prennent des mesures pour diversifier leurs produits. Nous avons parlé à des gens à Montréal, à certaines compagnies théâtrales, de la façon de se diversifier, surtout à l'égard de la clientèle, de la façon de convaincre plus de membres de groupes ethniques de devenir des mécènes, purement pour des raisons économiques. Au sein de la communauté théâtrale de Montréal notamment, la situation est très difficile sur le plan financier.
Il faut admettre que les membres des minorités deviennent des consommateurs de produits culturels, sauf que lorsqu'on a affaire à des consommateurs de produits culturels, il faut réfléchir au genre de produits qu'il y a lieu de leur offrir pour les attirer.
Si vous le permettez, j'aimerais revenir sur les questions que vous avez soulevées plus tôt au sujet de l'attribution des licences. Comme vous le savez, dans l'étude récente de février, le CRTC a examiné la politique sur la radiodiffusion ethnique. Les responsables se sont demandé notamment s'il fallait établir un service de radiodiffusion ethnique national au Canada.
Sauf erreur, le CRTC se penche sur la question, mais il y a aussi le secteur privé, qui connaît une croissance exponentielle. Il existe une câblodistribution de chaînes spécialisées qui offre des services spécialisés de plus en plus nombreux. Le rôle de la SRC va être examiné et faire l'objet d'un débat public à compter du 25 mai, mais il y a aussi l'APTN, le Aboriginal Peoples Television Network, que vous appuyez tous. C'est un autre pilier de l'univers canadien de la radiodiffusion.
La grande question qu'il faut se poser est donc de savoir s'il faut créer un service national de radiodiffusion ethnique. En second lieu, si ce service existe, qui va le gérer et qu'allons- nous faire de tous les services de radiodiffusion qui existent dans de nombreuses villes et régions? Devront-ils s'affilier au réseau national?
Au cours des 15 ou 20 dernières années, un problème s'est posé, qui est en train de se résoudre, quant à savoir s'il fallait créer un service national, et quant à la façon de traiter les services de radiodiffusion ethniques régionaux définis en fonction de la politique du CRTC comme de catégorie A, B, ou C, ou différents types de radiodiffusion ethnique.
• 1225
Il faut également se pencher sur une autre question, car si
nous voulons accroître l'accès des Canadiens qui appartiennent à
des groupes minoritaires différents à l'univers de la
radiodiffusion, il faut adopter une stratégie à plusieurs volets.
Si nous examinons par exemple les radiodiffuseurs privés ou la SRC,
le CRTC peut au plus imposer comme condition d'attribution de
licence: «Vous devrez assurer la diversité raciale et culturelle.»
C'est ce que recommande notre organisme à l'égard de la SRC. C'est
une condition d'octroi de licence pour le réseau français et le
réseau anglais. Lorsqu'on traite avec des institutions culturelles
fédérales, on trouve en général plus de diversité dans le secteur
anglophone.
C'est une chose. L'autre façon pour la ministre ou le gouvernement d'intervenir—et c'est là que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle prépondérant—c'est en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi ou de la Loi sur le multiculturalisme. Il existe encore des conditions qu'on peut imposer en vue d'accroître l'accès et la représentation des groupes. Tous ces radiodiffuseurs sont assujettis à la Loi sur l'équité en matière d'emploi.
Si l'on examine les données produites par le réseau SRC sur son personnel d'antenne à la télévision anglaise, vous constaterez que le nombre d'employés qui représentent les minorités visibles est deux fois inférieur à ce qu'il devrait être dans l'ensemble de la population active.
On continue donc de parler de la nécessité, grâce à la législation gouvernementale déjà en vigueur, d'accroître la diversité tant devant que derrière les caméras.
Le président: Monsieur Mark.
M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.
J'ai deux brèves questions. D'une part, je veux savoir ce que vous pensez du rôle du comité des relations interraciales constitué par le gouvernement en matière de promotion des questions multiculturelles.
En outre, quel rôle le gouvernement joue-t-il pour le financement de programmes et d'initiatives multiculturels? Le gouvernement fédéral devrait-il s'occuper de financer les initiatives multiculturelles touchant les minorités?
M. Karim Karim: Le comité a l'air très prometteur, même si l'on a malheureusement connu un problème chronique de sous- représentation des minorités visibles à la fonction publique. C'est un problème qui se pose à de nombreux niveaux.
Est-ce que vous parlez de la Fondation des relations interraciales? Je regrette. Je pensais au comité de la CFP. Je pense que c'est une initiative importante également.
Sauf erreur, la Fondation des relations interraciales est dotée d'un capital de 24 millions de dollars, ce qui lui laisse, compte tenu des taux d'intérêt et des meilleures stratégies de placements possibles, un budget d'un peu moins de 100 000 $. Elle a un mandat extrêmement chargé, très difficile à remplir, mais d'après ce que j'ai entendu dire cet organisme fait des choses très intéressantes.
Votre deuxième question portait sur...
M. Inky Mark: Le financement, et le rôle du gouvernement dans le financement de l'élaboration de programmes et d'initiatives multiculturels.
M. Karim Karim: Là encore, je pense que cela doit être intégré dans les politiques d'institutions déjà existantes comme Téléfilm et d'autres fonds de radiodiffusion où on n'a pratiquement jamais parlé de la programmation pour les minorités. Nous semblons toujours passer à côté de la plaque à ce sujet. Si cela se produit un jour, c'est toujours après coup, mais en l'occurrence cela n'a même pas été le cas.
Il faut favoriser une plus grande intégration, je le répète, de 40 p. 100 de la population canadienne.
Mme Jean Brown-Trickey: Puis-je lui poser une question afin qu'il y réponde pour votre gouverne et la mienne?
Je fais l'objet d'un documentaire dont les producteurs ont beaucoup de mal à trouver le financement voulu. C'est un projet de deux cinéastes d'Ottawa.
Or, il y a eu un changement dans la formule de financement. Pouvez-vous m'en dire plus à ce sujet? De ce fait, ces personnes n'ont pas pu avoir accès aux fonds de Téléfilm. Il y a eu un changement dans la proportion de fonds que le cinéaste indépendant doit recueillir avant de pouvoir faire une demande.
Vous êtes au courant, puisque vous êtes l'expert en journalisme. Si je me trompe, dites-le-moi sans ambages, mais ce changement dans le calcul des pourcentages de fonds que les cinéastes indépendants doivent recueillir a laissé un grand nombre de gens sur la touche. Cela empêche bien des gens, surtout des jeunes cinéastes de groupes minoritaires, d'avoir accès à ce financement.
• 1230
Ce groupe, Northeast Productions, est très multiculturel. En
fait, c'était une condition essentielle pour moi. Toutefois,
l'effort requis pour essayer de trouver des fonds pour ce projet
est absolument incroyable. Cela s'est révélé un emploi à temps
partiel de la part du producteur.
Il y a donc des obstacles au niveau personnel. J'en suis consciente. Ces obstacles sont toujours là.
Je prétends défendre mon opinion personnelle très souvent, ou la plupart du temps. Étant donné mes origines sociales, je pense que c'est très important. Je connais bien les obstacles auxquels se heurtent les jeunes cinéastes multiculturels.
Le président: Madame Brown-Trickey, votre question tombe à point nommé. Mme Bulte y a fait allusion en parlant de Téléfilm, et vous en avez parlé de façon précise dans la lettre que vous avez adressée au comité.
Si j'ai bien compris, vous avez essayé de nous faire comprendre que Téléfilm est un exemple du fait que l'organisme n'a pas les antécédents ou la sensibilité voulus, disons, pour accueillir de façon favorable les demandes qu'il reçoit. Il se sent tout à fait étranger à tout cela, car ses membres n'ont pas une parfaite connaissance du problème.
Est-ce là la cause du problème? Est-ce dû aux critères dont parle Mme Brown-Trickey, ou à un mélange des deux? Quelles recommandations pourrions-nous faire à cet égard, en ce qui concerne Téléfilm et les autres?
M. Fo Niemi: La question soulevée par Mme Brown-Trickey concerne, à mon avis, le Fonds canadien pour la télévision, qui a été accordé à Téléfilm par le passé. Je ne connais pas bien les critères appliqués. Je crois que c'est en rapport avec la formule de financement de 25 p. 100.
Mme Jean Brown-Trickey: Eh bien, il existe des obstacles d'ordre culturel. Je crois que c'est important de le signaler.
M. Fo Niemi: C'est exact.
L'accès aux fonds pour tous les cinéastes pose toujours énormément de problèmes, car il faut un mélange de public et de privé. L'industrie cinématographique canadienne, dans notre pays, a toujours été très difficile.
Nous constatons que pour les membres de minorités raciales il existe certains critères qui sont des obstacles. La question relative à la définition du contenu canadien comme l'appliquent le BCPAC, le ministère du Patrimoine canadien et le CRTC vient de ce qu'il est précisé que le producteur doit être un citoyen canadien, en vertu d'un système de points.
Lorsqu'on examine tous les talents créateurs et les gens considérés comme des citoyens canadiens, nous savons que certaines personnes sont des résidents permanents, mais n'ont pas la citoyenneté canadienne. On leur a dit que les agences de production hésiteraient à les engager parce qu'ils n'obtiendraient peut-être pas le maximum de points aux termes de la politique.
C'est un critère qui de toute évidence influe sur les talents créateurs parmi les immigrants. Ce n'est qu'un exemple.
L'autre exemple d'un problème très endémique, selon nous, pour de nombreux fonds de production cinématographique, pas seulement Téléfilm, mais toutes sortes de fonds privés—et cela englobe FACTOR, le fonds de production musicale—c'est la capacité des personnes à l'emploi de ces organismes, y compris Téléfilm, de bien saisir ce qu'est la culture canadienne, ce qu'est le contenu québécois, la culture québécoise, de sorte que lorsqu'elles reçoivent une subvention...
Les cinéastes nous ont dit qu'on leur répond souvent qu'il n'y a pas assez de contenu canadien dans le fond de l'histoire qu'ils veulent raconter.
Dans un cas particulier, cette cinéaste a présenté son profil à Téléfilm. Les documents étaient en anglais, l'histoire aussi, le film qu'elle voulait tourner était en anglais, mais elle s'est heurtée à un refus. Nous sommes en train de préparer une contestation aux termes de la Charte pour nous opposer à cette pratique de Téléfilm.
Tout d'abord, elle a constaté que le fonctionnaire qui a évalué son projet de film ne pouvait pas discuter avec elle en anglais. Elle était francophone, et son anglais était insuffisant. Le projet était en anglais. Il s'agissait de raconter diverses expériences d'immigrants antillais venus au Canada, et le lien avec le pays d'origine.
Puis elle a constaté que, chez Téléfilm notamment, l'usage veut qu'on fasse appel à des évaluateurs de l'extérieur, des pairs qui font l'évaluation de l'extérieur. Or, lorsqu'on a affaire à des évaluateurs qui ne sont peut-être pas à même de contextualiser ou, comme l'a dit la Cour suprême dans cette affaire, de replacer un récit ou une affaire dans son contexte social, il est possible que l'évaluation de nombreux projets soit subjective d'un point de vue culturel.
• 1235
C'est ce qu'on entend dire à un grand nombre de cinéastes
appartenant à des minorités; on leur dit souvent que leur projet
n'a pas suffisamment de contenu canadien. Cela semble trop
étranger, trop international.
Nous parlons donc à la fois des critères qu'il faut revoir et de certaines pratiques qui ne sont peut-être pas prévues dans une politique établie, mais qui existent au niveau administratif tout simplement.
Par exemple, combien de cinéastes de groupes minoritaires font partie de ce groupe d'évaluateurs de l'extérieur chargés d'aider les évaluateurs internes de Téléfilm à évaluer de façon juste un projet? Il y a toujours correspondance sur le plan linguistique, c'est-à-dire un francophone et un anglophone, et certains de ces usages compliquent vraiment les choses, à notre avis.
Nous procédons actuellement à une enquête préliminaire auprès de 18 fonds de production cinématographique, mais aussi musicale, simplement pour vérifier s'ils tiennent compte du principe de la diversité culturelle et raciale.
Des musiciens de groupes ethniques nous ont dit que leurs créations musicales sont généralement classées dans la catégorie world beat, ou «musique du monde», même si, selon eux, c'est principalement une chose musicale. En raison de leurs origines ethniques et de la consonance ethnique de cette musique, on la considère comme «musique du monde».
Du moment qu'on vous a placés dans la catégorie «musique du monde», il y a moins de financement à la clé. Nous avons organisé des groupes de discussion thématique, mais personne ne peut nous expliquer officiellement pourquoi une musique est placée dans la catégorie «musique du monde», ou «world beat». Il semble que la «musique du monde», c'est tout ce qui ne sonne pas européen.
C'est parfait, ça s'appelle la créativité, mais au niveau de l'affectation des fonds il y a peut-être un désavantage à ce moment-là. Encore une fois, c'est le genre de pratique qui ne fait peut-être partie d'aucune politique officielle, et il nous faut étudier cela, c'est-à-dire les politiques et les pratiques.
Le président: D'autres questions?
J'ai une question pour vous avant de clore la séance. Il est difficile pour quelqu'un qui ne vit pas cette situation au jour le jour de comprendre ce qu'il en est. Je comprends ce que représente M. Crichlow et ce qu'il nous dit aujourd'hui.
D'après vous, il devrait peut-être y avoir un système de radiodiffusion ou de télédiffusion consacré aux minorités ethniques.
J'ai aussi été frappé par le témoignage de Mme Brown-Trickey, qui nous faisait part de la colère que ressentent parfois les jeunes parce qu'ils ne font pas partie du système et sont exclus du quotidien de ce système.
Il semble y avoir une dichotomie entre la création d'un système distinct pour les minorités ethniques ou dire à Radio- Canada, par exemple... À propos de Radio-Canada, juste à voir les journalistes et les gens qui nous lisent les nouvelles, sans oublier certains des grands reporters, on voit bien qu'ils viennent des rangs de minorités visibles. Cela en a frappé beaucoup parmi nous. Il y a eu évolution à ce niveau.
Vaut-il mieux intégrer le système lui-même ou créer une entité séparée et, ce faisant, risquer l'apparition du ghetto traditionnel? Voilà quelque chose dont nous ne sommes pas sûrs. Peut-être pourriez-vous nous aider à ce niveau. À mon avis, il semble y avoir une contradiction entre les deux tendances.
M. Fo Niemi: Essayons toujours.
Nous avons parlé de la politique récente concernant la diffusion ethnique. Nous devons parler de la possibilité d'avoir un service national de diffusion ethnique comme formule de rechange viable et comme complément aux réseaux nationaux actuels, à la fois dans le secteur public et le secteur privé. L'un n'annule pas l'autre. Il est impensable que Radio-Canada, ou CBC, soit appelée à diffuser certaines émissions dans ce que nous appelons «les troisièmes langues», c'est-à-dire dans des langues autres que les deux langues officielles.
Tout d'abord, il nous faut étudier le marché et la soi-disant demande du marché ethnique. Lorsque nous traitons de diffusion ethnique, il s'agit de trois genres d'émissions. L'une est importée du pays d'origine; l'autre est réalisée localement, selon les ressources financières ou humaines; et l'autre domaine—et c'est là que certains d'entre nous, surtout au Québec, ont certaines réticences—c'est un changement à la règle 60-40 pour permettre la diffusion de plus d'émissions en anglais sur les chaînes ethniques.
• 1240
Lorsque nous parlons d'émissions en langue anglaise diffusées
sur les chaînes ethniques, nous pensons surtout aux émissions
américaines, mais au Québec il y a un besoin très fort de
promouvoir le français au sein des communautés ethniques qui
écoutent des émissions dans leur langue.
Idéalement, compte tenu de certaines considérations économiques et culturelles, nous pourrions avoir un service national de diffusion ethnique, service offert dans les langues de différentes ethnies d'un océan à l'autre, tout en ayant les ressources pour permettre aux réseaux nationaux, y compris Radio- Canada, de s'assurer que la programmation reflète bien ce qu'impose le mandat législatif: le caractère multiculturel et multiracial de la société canadienne, sans oublier la place spéciale qu'occupent les Autochtones au sein de la société.
Le libellé de la loi est clair:
[Français]
«la place particulière qu'occupent les peuples autochtones au sein de la société canadienne».
[Traduction]
L'un n'annule pas l'autre.
Encore une fois, aux États-Unis, la programmation hispanique et les stations appartenant aux Noirs ainsi que la programmation de cette communauté permet à beaucoup de diffuseurs ethniques d'avoir le financement et les ressources techniques nécessaires pour faire du bon travail. Aux États-Unis, la FCC a récemment publié une étude sur les stations qui appartiennent aux communautés noires ou hispaniques ou qui sont gérées par elles, et on y voit quelles sont les barrières énormes qu'il y a à surmonter pour avoir accès aux mêmes recettes publicitaires que les chaînes nationales. Cela s'appelle le «diktat urbain», pratique selon laquelle un diffuseur, de propos délibéré, refuse le financement à ces stations, craignant, pour des raisons de préjugés ou de rentabilité économique, qu'elles ne génèrent pas le genre de revenus requis. Voilà qui handicape beaucoup de diffuseurs ethniques.
Donc, si nous optons pour un service de diffusion ethnique pour éviter précisément cette ghettoïsation, on doit imposer un effort semblable et parallèle aux chaînes nationales et à Radio- Canada pour qu'elles continuent de diversifier leurs émissions et leurs opérations afin d'assurer un accès plein et entier à tous les Canadiens, peu importe leur origine ethnique.
S'ils veulent s'engager dans la voie de la diffusion ethnique à titre de réalisateur ou de journaliste, ils pourront le faire. S'ils veulent se fondre dans la tradition canadienne, ils pourront le faire tout aussi bien. Nous devons assurer l'accès aux ressources, et c'est ce qui fera la différence entre la ghettoïsation ou non.
M. Karim Karim: Les deux systèmes de diffusion actuels répondent à des besoins très précis pour le moment. En observant nos diffuseurs traditionnels et en notant la présence accrue de minorités à ce niveau, je me dis que les divers diffuseurs ont réussi de grandes choses, mais ils fonctionnent selon un modèle de diffusion très précis qui répond à des intérêts précis, qui livre un contenu précis, etc. On forme les gens d'une certaine façon pour livrer ce contenu à tous les Canadiens.
Par contre, si j'observe la diffusion ethnique, encore une fois il y a une approche précise, comme cela se doit. Par exemple, quand le ministre Herb Dhaliwal est devenu le premier ministre d'un gouvernement canadien à être choisi parmi les rangs d'une minorité visible, les médias de la majorité ont à peine réagi à la nouvelle. Pour les diffuseurs ethniques, par contre, il s'agissait d'un grand pas en avant dans l'histoire canadienne, et c'est ainsi qu'on l'a présenté.
On a donc là deux perspectives très différentes, presque aux antipodes, offertes par les deux systèmes de diffusion.
[Français]
Le président: Monsieur Niemi, nous nous excusons de ce qu'il n'y ait pas plus de collègues ici aujourd'hui. Malheureusement, il y a beaucoup de comités qui siègent le mardi matin. Je sais que dans notre groupe, il y en a qui siègent à au moins quatre comités. C'est malheureux, mais c'est comme ça. Je le regrette beaucoup parce que votre présence et celle de vos collègues nous a été très utile. Vous nous avez ouvert l'esprit et posé des défis.
[Traduction]
Je crois que vos témoignages respectifs nous ont beaucoup frappés. Ce fut extrêmement informatif pour nous. Tout ce que vous avez dit a été enregistré, et le compte rendu détaillé en sera remis aux membres du comité. Ils y ont accès. Les recherchistes, ici, travaillent sur le dossier de notre politique culturelle.
Je vous remercie d'être venus ici et pour la lettre que vous nous avez envoyée. Vous pouvez être sûrs que les esprits sont ouverts autour de cette table. Nous vous avons écoutés avec beaucoup de respect et de bonne volonté.
Merci beaucoup.
M. Fo Niemi: Au nom de mes collègues, j'aimerais vous remercier de votre patience et de votre compréhension. Je sais qu'on a essayé à maintes reprises de tenir cette séance. Donc, je vous remercie. Nous espérons que nos discussions ont pu vous apporter des pistes de réflexions additionnelles pour vos travaux. Merci.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
La séance est levée.