CHER Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE
COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 26 novembre 1998
[Traduction]
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): À l'ordre! Je déclare ouverte la réunion du Comité permanent du patrimoine canadien. Nous siégeons en conformité avec l'ordre de renvoi adopté par la Chambre des communes le mardi 3 novembre 1998,
[Français]
nous procédons à l'étude du projet de loi C-55, Loi concernant les services publicitaires fournis par des éditeurs étrangers de périodiques.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous accueillons des porte-parole de Canadian Magazine Publishers Association,
[Français]
qui est représentée par son président du Comité des affaires politiques et président des publications Télémédia, M. François de Gaspé Beaubien. Monsieur de Gaspé Beaubien, je vous invite à nous présenter vos collègues.
M. François de Gaspé Beaubien (président du Comité des affaires politiques et président des publications Télémédia, Association des éditeurs de magazines canadiens): Michael, aimerais-tu commencer?
[Traduction]
M. Michael Rae (président, Canadian Magazine Publishers Association): Je m'appelle Michael Rae. Mes fonctions en tant que président de Canadian Magazine Publishers Association font que je connais bien les grands éditeurs de périodiques torontois.
M. John Tory (président, Rogers Communications and Maclean Hunter Publishing Limited): Moi, je m'appelle John Tory. Je suis le président de Rogers Communications and Maclean Hunter Publishing Limited.
M. Rick Salutin (journaliste-auteur à la pige): Je me présente: Rick Salutin, auteur pigiste. J'ai écrit des articles pour de nombreux périodiques et j'ai une chronique dans le Globe and Mail.
Mme Anne McCaskill (experte-conseil): Mon nom est Anne McCaskill et je suis une experte de l'édition de périodiques.
M. François de Gaspé Beaubien: Bonjour! François de Gaspé Beaubien, président du Comité des affaires politiques de Canadian Magazine Publishers Association. J'assume aussi la présidence de la division des publications, à Télémédia.
Le président: Monsieur de Gaspé Beaubien, vous avez la parole.
[Français]
M. François de Gaspé Beaubien: Merci, monsieur le président. Je dois d'abord vous présenter mes excuses parce qu'en réponse à des commentaires qui ont été faits au cours des deux dernières journées, j'ai dû changer mon discours. Faute de temps, je suis dans l'impossibilité de vous le présenter dans les deux langues. Je le livrerai donc en anglais. Je désire m'excuser auprès des membres du comité et les assurer que la version française de cette allocution suivra sous peu.
[Traduction]
Notre groupe aimerait remercier le comité de l'avoir invité à exposer les vues de l'association au sujet du projet de loi C-55.
Notre association est un organisme national qui représente les petits, moyens et grands éditeurs de périodiques canadiens. Comme le confirment les données de Statistique Canada, l'industrie du périodique canadienne produit plus de 1 400 titres, ce qui lui rapporte en tout 1 milliard de dollars, dont 650 millions proviennent de la vente de services publicitaires. Enfin, elle emploie presque 7 000 employés à temps plein et à temps partiel.
Bien que nous n'ayons pas de données de Statistique Canada sur l'emploi indirect, d'après une étude, le nombre de journalistes, d'auteurs et d'illustrateurs qu'elle emploie se situerait aux alentours de 20 000.
Les membres de l'association sont intimement convaincus du caractère crucial du projet de loi, qu'ils appuient à l'unanimité. Il important de se rappeler que nous représentons les éditeurs, petits et grands, et que la presse commerciale comme la presse s'adressant au consommateur ont manifesté un appui unanime pour ce projet de loi.
Je sais que vous avez entendu le témoignage de M. Terry Malden et des autres membres de son groupe d'experts. Ils ont fort bien expliqué les principes économiques qui régissent l'édition de périodiques, la réalité des énormes avantages dont jouissent les éditeurs américains sur le plan des coûts et l'impact qu'auraient ces avantages si les éditeurs américains pouvaient accéder au marché des services publicitaires canadien.
Il n'est donc pas nécessaire pour moi de reprendre tout cela. Je préférerais plutôt rétablir les faits à la suite du témoignage devant votre comité de l'Association canadienne des annonceurs, de l'Institut de la publicité canadienne et du Canadian Media Directors' Council, que j'appellerai les publicitaires.
Le témoignage des publicitaires a étonné et déçu les éditeurs. Nous croyons les publicitaires sincères lorsqu'ils affirment appuyer l'objectif, soit d'assurer la viabilité du secteur de l'édition canadien et la publication à l'intention des Canadiens d'histoires sur leur pays. Nous leur savons gré de cet appui et tenons aux bonnes relations que nous entretenons et avons toujours entretenues avec eux.
Si les publicitaires appuient l'objectif tout en étant opposés au projet de loi C-55, nous ne pouvons qu'en conclure qu'ils ont mal compris la raison d'être et l'effet de la mesure législative ou qu'ils ont été induits en erreur à son sujet. J'aimerais donc offrir des éclaircissements concernant les grandes questions abordées, en commençant par quelques points fondamentaux.
Le projet de loi C-55 faciliterait considérablement l'atteinte de l'objectif de la politique culturelle, que les Canadiens considèrent comme un article de foi depuis des décennies, soit faire en sorte qu'il existe des moyens de communication grâce auxquels nous pouvons nous voir, nous entendre et partager des histoires de chez nous. Les périodiques sont un de ces moyens de communication sur lesquels nous comptons pour être informés de ces histoires et nous renvoyer l'image de notre société. La politique canadienne que renforce le projet de loi C-55 a fort bien réussi à permettre à l'industrie de l'édition canadienne de prospérer.
Dans son exposé devant votre comité, la ministre Copps vous a cité des chiffres pour illustrer à quel point la croissance des maisons d'édition et la multiplication des publications a été intense au cours des 30 dernières années. J'aimerais prendre le temps de vous donner un exemple. On a fait valoir qu'il fallait laisser le marché dicter l'offre, c'est-à-dire qu'on a demandé pourquoi on ne pouvait pas publier un meilleur périodique. Je vous donne un exemple concret.
En 1972, un périodique américain intitulé Women's Day se vendait à 500 000 exemplaires au Canada. Nous avons lancé la revue Canadian Living cette année-là. Notre tirage actuel est de 600 000 exemplaires, alors que Women's Day vend 80 000 exemplaires. Quand on a un bon contenu canadien fait par des Canadiens pour des Canadiens, le périodique se vend bien.
• 1120
À mesure que nous en parlerons, vous allez vous rendre compte
que cela n'a rien à voir avec le nombre de lecteurs ou avec l'accès
à ceux-ci, puisque nous livrons une concurrence très efficace aux
éditeurs américains, et tout à voir avec le marché des services
publicitaires. Si le projet de loi C-55 n'est pas adopté, on
signera l'arrêt de mort de l'industrie de l'édition canadienne. Le
seul moyen viable de préserver ce moyen de communication canadien
est d'empêcher ce qui deviendrait vite une concurrence
insurmontable et déloyale de la part des Américains et de protéger
le marché canadien des services publicitaires.
Les éditeurs répondent à la demande de deux marchés distincts. Ils vendent des périodiques aux consommateurs de même que des services publicitaires aux annonceurs. Bien que l'on nous connaisse en raison des périodiques que nous produisons, les services publicitaires sont, de loin, ce qui assurent notre viabilité. Les recettes publicitaires représentent en moyenne entre 65 et 100 p. 100 du revenu des éditeurs canadiens. Si nous n'avions pas le marché des services publicitaires, nous ne survivrions pas. Nous ne pourrions plus publier des histoires canadiennes pour les lecteurs canadiens, en dépit d'une forte demande.
J'aimerais à nouveau faire une parenthèse pour vous dire que la politique que le gouvernement a énoncée et mise en place a été très efficace durant les 30 dernières années. Plus de 5 000 périodiques américains sont vendus sur nos marchés. Ce qui est étonnant, c'est que les éditeurs canadiens aient réussi à conserver leur moitié du marché.
Dans le cas des périodiques, donc, la demande de contenu canadien—c'est l'élément clé—ne garantit pas l'offre. Si les éditeurs des États-Unis avaient accès à notre marché des services publicitaires, l'offre de contenu canadien serait gravement compromise. En effet, les éditions à tirage partagé qu'ils produiraient après avoir vendu des services publicitaires ici ne remplaceraient pas le contenu canadien perdu à cause de la disparition des éditeurs canadiens.
Le gros bon sens nous le dit. Il n'y a qu'à voir l'édition canadienne de la revue Time pour s'en rendre compte. En dépit de l'impression que les représentants de Time ont cherché à vous laisser la semaine dernière, en vous racontant des anecdotes au sujet des photographies de Canadiens publiées en couverture de leur périodique ou des articles au sujet de Canadiens, la réalité demeure que moins de 10 p. 100 du contenu rédactionnel du Time porte sur le Canada. En fait, en moyenne, deux pages seulement de chaque numéro de l'édition canadienne y sont consacrées.
La raison en est simple. L'édition américaine de Time peut se vendre et se vend à grand tirage au Canada. La seule raison pour laquelle Time Warner produit des éditions à tirage partagé, c'est qu'elles lui permettent de profiter des avantages supplémentaires que procure ce moyen d'accéder au marché des services publicitaires au Canada. Ces avantages reposent sur le recyclage du contenu rédactionnel de l'édition américaine et le fait que la plupart des autres coûts de la présence de Time Warner sur le marché canadien sont déjà couverts, de toute façon. Je parle évidemment des frais généraux et du coût de l'impression et de la distribution.
Il faut se demander pourquoi un éditeur américain renoncerait aux profits qu'offre le marché des services publicitaires canadien en assumant le supplément de coût que représenterait la création d'un autre contenu rédactionnel à l'intention des Canadiens. En réalité, les éditeurs étrangers sont ici pour maximiser les profits, non pas pour offrir un service public.
Le contexte étant établi, voyons un peu ce que vous ont dit les annonceurs. Mais, auparavant, précisons une chose. Dans leur mémoire, les annonceurs affirment qu'au cours des 30 dernières années, le Parlement a réduit le genre de périodiques auquel ils ont accès. Par certaines déclarations, ils ont aussi laissé entendre que les annonceurs canadiens peuvent actuellement acheter de la publicité dans quatre périodiques, ce qui ne serait plus le cas, une fois le projet de loi C-55 adopté.
Cette information est erronée. En fait, le projet de loi C-55 n'entraîne pas de changement pour les annonceurs canadiens. Voilà plus de 30 ans déjà que les annonceurs étrangers ne peuvent plus placer d'annonces destinées surtout au marché canadien. Le projet de loi C-55 maintient cette politique de longue date, de sorte que le contexte dans lequel évolue les annonceurs canadiens depuis 30 ans ne changera pas. Il n'impose pas de nouvelle restriction aux annonceurs.
Les seuls annonceurs étrangers d'une certaine importance qui aient jamais eu accès au marché des services publicitaires canadien sont les éditions canadiennes de Time et de Reader's Digest. Ils ont été protégés en vertu de droits acquis lorsque les mesures antérieures ont été prises et ils devraient l'être dans le projet de loi C-55.
Passons maintenant aux autres affirmations faites par les annonceurs. Leurs arguments peuvent essentiellement être regroupés en quatre points.
Primo, les éditeurs de périodiques ont eu un accès privilégié au gouvernement pour la rédaction du projet de loi, alors que les annonceurs n'ont pas été consultés.
Deuzio, le projet de loi C-55 n'a rien à voir avec la préservation du contenu canadien. Il repose plutôt sur des critères de propriété arbitraires et sans rapport.
Tertio, le véritable problème réside dans le fait que le secteur canadien du périodique n'a pas suffisamment accru sa part des recettes totales de publicité au Canada.
Quarto, le projet de loi C-55 ne correspond pas aux obligations du Canada en matière de commerce international.
• 1125
Arrêtons-nous à ces quatre points.
Pour ce qui est de la question de l'accès privilégié des éditeurs, voyons au juste à quel genre de consultations les éditeurs canadiens de périodiques ont participé.
Je puis vous donner l'assurance que ces consultations n'ont rien eu de privilégié ou d'inconvenant, comme l'a laissé entendre M. Lund. Depuis que le Canada a perdu sa cause devant l'OMC, il y a plus de 18 mois, les éditeurs canadiens ont décidé de fournir de l'information et des analyses au gouvernement. Ils n'ont pas reçu d'invitation exclusive à le faire. Ils ont pris eux-mêmes l'initiative de fournir des données à Patrimoine Canada et à d'autres ministères. Ils n'ont jamais reçu d'information privilégiée ou eu accès à des renseignements confidentiels du Cabinet. M. Lund a dit que je lui avais dit que je ne pouvais pas en parler parce que j'avais juré de garder le secret. Je regrette tout malentendu ou toute fausseté qui aurait pu circuler à ce sujet. La seule information dont je disposais et qui n'était pas publique avait trait à l'analyse fournie par notre association et la Presse spécialisée du Canada.
J'ai effectivement refusé d'aborder la question en public parce que la discrétion était de mise à ce moment-là puisque les États-Unis menaçaient de nous traîner à nouveau devant les tribunaux ou de prendre des mesures de représailles à notre endroit. Manifestement, nous ne voulions pas partager avec eux l'information que nous avions. Si les États-Unis avaient mis la main sur ces renseignements, cela nous aurait coûté cher.
Rien n'empêchait les annonceurs de faire exactement comme les éditeurs. S'ils avaient une analyse à communiquer au gouvernement, ils étaient libres de le faire.
Ils ont prétendu, en deuxième lieu, que le projet de loi n'avait rien à voir avec la préservation du contenu canadien, qu'il reposait sur des critères de propriété arbitraires et sans rapport. A ce sujet, ils ont fait valoir deux points.
D'une part, ils savent que rien dans le projet de loi n'oblige les éditeurs à créer du contenu canadien ou à engager des auteurs canadiens. Ils prétendent donc que le projet de loi n'aura pas cet effet.
D'autre part, ils soutiennent que les critères de propriété sont arbitraires et qu'il n'y aucun rapport entre la propriété et la création de contenu canadien.
Il est certes vrai que le projet de loi C-55 n'impose pas d'exigences concernant le contenu canadien. Ce n'est pas nécessaire d'obliger les éditeurs canadiens à créer un contenu canadien parce qu'ils le font déjà.
Il y a une forte demande au Canada pour des textes canadiens, et les éditeurs canadiens répondent à cette demande. C'est notre force sur le marché, notre avantage concurrentiel. Ce ne sont pas les éditeurs étrangers qui y répondent aujourd'hui ou qui y répondront demain. La propriété est par conséquent essentielle au but visé.
Les critères de propriété du projet de loi c-55 ne sont pas arbitraires; ces critères se trouvent à l'article 19 de la Loi de l'impôt sur le revenu et dans la Loi sur Investissement Canada, deux mesures que les annonceurs ont qualifiées de valables et importantes dans le secteur du périodique. Elles sont en place depuis longtemps et n'ont jamais eu les effets pervers qui découleraient, selon les annonceurs, du projet de loi C-55.
Il est tout à fait insensé de prétendre qu'un éditeur exclusivement canadien produisant un contenu entièrement canadien et n'employant que des auteurs canadiens ne répondrait pas à la définition d'«éditeur canadien» si son président était étranger. Le projet de loi C-55 traite de la réalité. Il ne repose pas sur des situations hypothétiques qui ne se produiront jamais.
Le troisième point veut que le secteur du périodique soit sous-développé comme support publicitaire. Les annonceurs de l'édition canadienne du Time ont avancé que le secteur du périodique canadien n'a pas une aussi bonne part du gâteau publicitaire que ceux d'autres pays, en raison de l'absence de périodiques canadiens dans certains créneaux. Ils ont laissé entendre que le remède miracle serait d'autoriser les éditions à tirage partagé de périodiques américains.
Il est vrai que le secteur canadien du périodique a une part plus petite que les autres des recettes publicitaires. Cependant, entendons-nous bien sur les raisons de cette situation. Tout d'abord, il faut tenir compte de l'effet d'entraînement qu'a, sur le marché canadien, la publicité générique véhiculée par le très grand nombre de périodiques étrangers—la plupart américains—vendus ici.
Les éditeurs américains vendent déjà de la publicité au Canada, en fait. C'est un point crucial. Lorsqu'ils vendent des services publicitaires aux États-Unis dans leurs éditions nationales, ils incluent dans leur tarif la portée qu'aura la publicité grâce à leur tirage—le tirage de l'édition américaine—au Canada.
• 1130
Si vous êtes un important annonceur ayant déjà une présence au
Canada, mais que vous achetez de la publicité destinée au marché
canadien dans les périodiques américains vendus au Canada, vous
n'allez pas acheter aussi de la publicité dans des périodiques
canadiens. Vous réserverez peut-être une part de votre budget de
publicité au Canada, mais elle sera moindre que ce qu'elle aurait
été dans d'autres circonstances. C'est l'une des principales
raisons pour lesquelles les autres médias canadiens comme la
télévision, les journaux et la radio ont une part plus grosse du
gâteau. C'est directement lié à la grande quantité de périodiques
américains vendus sur le marché canadien.
La deuxième grande raison est la difficulté qu'éprouvent les éditeurs canadiens à pénétrer certains créneaux mentionnés par les annonceurs parce qu'ils sont déjà envahis par les périodiques importés. Le coût et le risque de lancer un nouveau périodique sont énormes dans le meilleur des mondes. Ils deviennent excessifs sur un petit marché où il est impossible de réaliser des économies d'échelle et où les importations sont dominantes. La réalité serait-elle différente si les éditions à tirage partagé de magazines américains déjà disponibles pénétraient ces marchés où nous sommes sous-représentés?
Une partie supplémentaire des recettes publicitaires canadiennes reviendrait aux éditeurs de périodiques, effectivement. Cependant, elle irait surtout aux éditeurs américains, sans avantage net pour le Canada. Il n'y a pas lieu de s'attendre à de nouveaux débouchés valables pour les éditeurs canadiens ni à un changement dans le contenu rédactionnel offert aux lecteurs canadiens, dans les créneaux mentionnés. Soyons bien clairs! Ils ne produiront pas plus de contenu rédactionnel; ils se contenteront de vendre des annonces canadiennes dans un périodique américain qui est déjà vendu au Canada.
De plus, on ne peut pas limiter l'accès des éditeurs étrangers à certains segments du marché des services publicitaires. Si l'on permet aux éditeurs américains de se lancer dans les créneaux sous- représentés, c'est tout le marché qu'on leur offre, y compris les segments bien servis par les éditeurs canadiens. Comme nous l'avons vu et comme il a été démontré au comité, une pareille ouverture signerait l'arrêt de mort des éditeurs canadiens et entraînerait une perte de contenu canadien pour les lecteurs canadiens.
L'Association canadienne des annonceurs pourrait répliquer qu'un pareil scénario serait au moins avantageux pour ses membres. Toutefois, ces avantages—et il y en aurait effectivement—seraient marginaux et—point crucial—ils seraient de courte durée. Ils seraient en effet marginaux puisque la part du marché des services publicitaires ne pourrait augmenter, au mieux, que de quelques points de pourcentage. Ils seraient aussi de courte durée parce que les tarifs réduits offerts aux annonceurs canadiens par les éditeurs américains commenceraient à disparaître à mesure que cesseraient de publier les éditeurs canadiens.
Si les éditeurs américains n'avaient plus à réduire les tarifs pour obtenir la part du marché, il est évident que ces tarifs augmenteraient. Les avantages dont jouissent les annonceurs canadiens diminueraient donc progressivement au fil du temps; il reste que les annonceurs canadiens seraient évincés et qu'il n'y aurait plus de contenu canadien.
Cela ne fait aucun doute. S'ils arrivent sur le marché, ils vont réduire les tarifs, ils vont se battre, ils vont avoir une marge de 80 p. 100, alors que la nôtre sera peu élevée. Une fois que nous ne serons plus de la partie, ils augmenteront leurs tarifs et il n'y aura plus de contenu canadien. C'est la raison pour laquelle nous disons que les annonceurs réaliseraient un profit à court terme, mais, à long terme, nous nous retrouverions avec des augmentations de prix et pas de contenu canadien.
Ils prétendent ensuite que le projet de loi C-55 n'est pas compatible avec les obligations commerciales du Canada. Les fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ont comparu devant le comité pour expliquer pourquoi le projet de loi C-55 est compatible avec les obligations commerciales du Canada. J'aimerais faire quelques observations de plus pour contribuer à mettre en perspective la question commerciale.
Premièrement, contrairement à ce que les représentants américains voudraient vous faire croire, le marché canadien des magazines est complètement ouvert et le restera même avec le projet de loi C-55. Vous avez déjà vu les statistiques essentielles et je suis désolé d'avoir à les répéter une fois de plus. Les magazines importés—des États-Unis essentiellement—conquièrent 50 p. 100 des ventes totales de magazines au Canada dans plus de 80 p. 100 de notre espace de kiosques à journaux—soit dit en passant, pour préciser les choses, les éditeurs américains achètent l'espace de kiosques à journaux. Ils dominent par conséquent 80 p. 100 de l'espace de kiosques à journaux et disposent de 50 p. 100 du marché de notre pays.
Pour vous faire sourire, je me demande quelles seraient les réactions des membres du Congrès si un scénario inverse leur était présenté.
Notre industrie fait toutefois bon accueil à cette diversité ainsi qu'au fait que les Canadiens peuvent faire des choix. C'est ce que nous voulons. La question qui se pose n'est pas celle de l'accès à notre marché, c'est plutôt la question de la publicité.
• 1135
Deuxièmement, la question du marché des services publicitaires
se pose dans le contexte d'une concurrence insurmontable et
déloyale, semblable au dumping. Le libre-échange ne signifie pas
que les pays doivent accepter des pratiques commerciales déloyales
et le fait de prendre des mesures pour empêcher la concurrence
déloyale n'équivaut pas à du protectionnisme. En vertu des accords
commerciaux internationaux sur les produits, il existe des recours
qui permettent de s'opposer à des pratiques comme le dumping.
Toutefois, nos accords ne prévoient pas encore de tels recours pour
le commerce des services.
Troisièmement, lorsqu'il a négocié l'accord OMC sur les services, le GATS, le Canada n'a pas offert l'accès à son marché de services publicitaires et les États-Unis ne l'ont pas obtenu et ne l'ont pas acheté. Le Canada n'a pas offert son marché des services publicitaires précisément pour préserver les importantes politiques culturelles du Canada dans les secteurs des magazines et de la radiodiffusion. Une telle démarche a été expliquée clairement aux États-Unis et à nos autres partenaires commerciaux au cours des négociations et d'après les engagements du Canada en vertu du GATS, il est clair que notre pays n'a assumé aucune obligation dans ce domaine.
Il ne serait pas dans l'intérêt du Canada de faire une concession commerciale unilatérale en ouvrant son marché des services publicitaires. En vertu du GATS et de l'ALÉNA, le Canada a le droit de réglementer l'accès à son marché de services publicitaires. Nous n'avons pas à nous excuser ni à être sur la défensive pour exercer ce droit.
Quatrièmement, tous les pays, y compris les États-Unis, fixent certaines limites en matière de libéralisation des échanges pour préserver des politiques nationales dans des domaines d'intérêt vital. Le Canada s'est réservé certains droits dans le cadre de ses accords commerciaux, et nous devrions pouvoir en jouir.
Aucun pays, les États-Unis en particulier, n'immole des intérêts vitaux nationaux sur l'autel du libre-échange. Au Canada, le fait de préserver des politiques culturelles qui favorisent une identité indépendante est depuis longtemps considéré comme l'un de nos intérêts vitaux. Personne ne l'a contesté au cours du débat sur le projet de loi C-55.
Le Canada ne devrait pas laisser les menaces américaines de représailles empêcher la poursuite de politiques culturelles valides. Si les représentants américains pensent que le projet de loi C-55 n'est pas compatible avec les obligations OMC du Canada, ils peuvent parfaitement en saisir un groupe spécial de règlement des différends. Nous sommes confiants de pouvoir défendre notre point de vue. Toute mesure de représailles de la part des États- Unis serait illégale.
En guise de conclusion, je dirais qu'au bout du compte, il suffit de répondre à deux questions fort simples. Premièrement, qui profiterait finalement de l'ouverture du marché canadien des services publicitaires? Les lecteurs canadiens? Non. Ils perdraient accès à un important moyen de communication canadien qui nous permet de partager nos points de vue. Les éditeurs canadiens? Non. Nous serions évincés du marché des services publicitaires dont notre viabilité dépend. Les annonceurs canadiens? Nous ne le croyons pas. Comme je l'ai dit plus tôt, les avantages à court terme de la réduction des tarifs publicitaires disparaîtraient au bout d'un certain temps. Les éditeurs et le gouvernement américains? Oui. Les éditeurs américains récolteraient des bénéfices supplémentaires au Canada et le gouvernement américain aurait obtenu accès à un marché canadien sans avoir eu à négocier quoi que ce soit à ce sujet. Il aurait également remporté une victoire importante dans le cadre de la campagne générale qu'il mène contre le Canada et les politiques culturelles canadiennes.
Deuxièmement, y a-t-il une autre façon d'atteindre l'objectif que tout le monde défend? Après plus d'une année d'analyse et de travail, aucune n'a été trouvée. Nous ne pouvons pas nous fier aux mécanismes que nous avons utilisés dans le passé, comme les taxes d'accise, car elles sont jugées aller à l'encontre du GATT. Les subventions ne sont pas recommandées non plus, car elles seraient trop coûteuses et ne donneraient pas les résultats escomptés. Les annonceurs n'ont pas pu proposer de solution de rechange qui soit viable.
La mesure prévue par le projet de loi C-55 est la seule approche susceptible de répondre aux critères, de respecter les règles commerciales et de fonctionner.
Tout se résume à une question d'équilibre. Les éditeurs canadiens n'ont pas toutes les parts du gâteau à cause de l'importation considérable de magazines et de ses effets défavorables dont la suppression de la part du secteur des magazines en matière de services publicitaires au Canada. Nous savons bien que les annonceurs canadiens n'ont pas non plus toutes les parts du gâteau, mais le fait de ne pas avoir accès à un moyen publicitaire, comme les magazines, ne représente que quelques parts du gâteau. Avoir accès à ce moyen—soit les magazines, essentiellement américains—n'ajouterait que quelques points de pourcentage en ce qui concerne l'ensemble des services publicitaires au Canada. Ils disposent de beaucoup d'autres moyens.
Nous pensons que les lecteurs canadiens devraient au moins être sûrs d'avoir accès à toute une gamme de possibilités dans le secteur des magazines et de pouvoir choisir les magazines dont le contenu est canadien.
C'est en atteignant cet objectif que le projet de loi réussit à équilibrer le mieux possible les intérêts des lecteurs canadiens, d'autres intervenants canadiens et du Canada en ce qui a trait à ses obligations commerciales internationales.
Merci.
Le président: Merci, monsieur de Gaspé Beaubien. J'imagine que vos collègues seront prêts à répondre aux questions.
M. François de Gaspé Beaubien: Oui, monsieur le président.
Le président: Monsieur Mark.
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Réf.): Merci, monsieur le président. J'aimerais remercier M. Beaubien et sa délégation d'avoir accepté de comparaître devant nous. J'aimerais également remercier M. Beaubien d'avoir pris le temps de me rencontrer avant le congé de la Chambre pour débattre de bien de ces questions.
Alors que j'écoute les témoignages d'aujourd'hui et ceux des jours précédents, il me semble vraiment dommage que deux secteurs essentiels d'une industrie canadienne s'opposent. Je crois que c'est dommage, car ces deux secteurs s'entendent sur beaucoup de points identiques. Ils pensent que les Canadiens devraient avoir le droit de lire des magazines canadiens, ce que les Canadiens font d'ailleurs. Leur approche est nationaliste et ils veulent que l'industrie vive et soit saine. En même temps, ils sont parfois en désaccord pour les mauvaises raisons. Peut-être que les deux secteurs n'ont pas été suffisamment consultés lors de la rédaction de ce projet de loi. Peut-être aurait-on pu éviter pareille situation. Nous avons déjà pas mal de difficulté à soutenir la concurrence sur les marchés internationaux et il ne sert à rien que nos propres industries se divisent et se disputent au lieu de concentrer leurs efforts sur la concurrence internationale.
C'est ce que je voulais dire en guise d'introduction.
J'aimerais me faire préciser deux points. Tout d'abord, je vais demander à M. Beaubien si, d'après lui, ce projet de loi se rapporte à la culture ou—et je vous ai déjà posé la question—au commerce.
M. François de Gaspé Beaubien: Monsieur, ma réponse est double. Je m'adresse à vous en tant qu'homme d'affaires et je tiens à vous dire comment nous fonctionnons. Si je travaille dans le domaine de la création de magazines canadiens, c'est parce qu'ils se vendent; les lecteurs veulent les acheter. Comme je vous le disais cependant, ce n'est pas parce qu'un lecteur veut acheter nos magazines que je vais nécessairement survivre. Je dépends fortement des recettes publicitaires.
Je peux donc parler d'un point de vue commercial et vous faire part des faits: notre pays est unique en son genre, car nous vivons à côté d'une superpuissance que nous aimons beaucoup, mais malheureusement, le fait est que les États-Unis ont des économies d'échelle que nous n'avons pas; par ailleurs, nous sommes le seul pays au monde où ils pratiquent librement le dumping de leurs magazines sur notre marché.
Pour bien comprendre les faits, 85 p. 100 des exportations de magazines des États-Unis sont destinées à un seul pays, le nôtre. Par conséquent, s'ils peuvent faire des tirages partagés, comme je vous l'ai dit, il leur suffit de retirer leurs annonces et de vendre quelques annonces canadiennes pour réaliser une marge de 80 p. 100. Par comparaison, notre marge est de 4 à 5 p. 100 en moyenne. Nous ferions faillite, c'est un fait.
Le deuxième volet de ma réponse, c'est que vous qui représentez les Canadiens, devez prendre une décision en connaissance de cause: il n'y aurait pas de contenu canadien.
Parlons du souci de la rentabilité. Ce qui m'intéresse, c'est de créer un contenu canadien, car c'est comme cela que je soutiens la concurrence avec le produit américain. Les Canadiens veulent un contenu canadien et c'est pourquoi nous existons. Si les Américains réalisent une marge de 80 p. 100 en pratiquant un dumping déloyal sur le marché des services publicitaires, je fais faillite. Vous n'aurez plus de contenu canadien dans les magazines. C'est un fait.
Par conséquent, s'agit-il d'une question culturelle? Je crois que oui. Je m'adresse à vous en tant qu'homme d'affaires et je défends bien sûr mes positions, mais voici les faits: ils vont enlever les annonces, ils vont réaliser une marge de 80 p. 100, ils vont réduire les tarifs et nous ferons faillite. Vous n'aurez plus de magazines canadiens. Cela vous importe-t-il? C'est à vous de le décider en tant que représentants de notre pays. L'industrie du magazine dont je suis le porte-parole peut vous dire qu'il n'y aura pas de magazines canadiens.
C'est la réponse que je vous donne.
Le président: Monsieur Salutin, je crois que vous voulez ajouter quelque chose.
M. Rick Salutin: Je veux juste dire que je suis ici pour défendre la culture. Je ne crois pas qu'il s'agisse uniquement d'une question de culture canadienne. Pour moi, les magazines offrent la meilleure occasion à une société de se mettre en question. Les quotidiens sont trop vite dépassés, ce qui donne peu de temps aux journalistes et aux lecteurs. Les livres sont trop longs et il faut du temps avant de les publier. Les magazines sont le principal moyen—et je ne parle pas seulement de politique, car cela peut s'appliquer à n'importe quel domaine—qui permette aux rédacteurs d'avoir le temps de réfléchir, de produire quelque chose et de le publier avant qu'il ne soit trop tard. Les magazines peuvent traîner à la maison pendant une semaine ou un mois et les lecteurs peuvent prendre leur temps pour les lire.
Je crois que les Canadiens le comprennent et je pense qu'ils sont de véritables lecteurs de magazines; il suffit de leur donner la possibilité de lire et ils le font. C'est un peu comme la poésie, je pense. Les Canadiens sont de véritables lecteurs de poésie et je crois qu'ils le sont en partie pour des raisons pratiques. Lire un poème ne prend pas beaucoup de temps. En général, on considère que les magazines sont vraiment utiles. Si je suis ici, c'est parce que d'après moi, ce projet de loi et ce genre de politique représentent la façon dont nous pouvons conserver cet élément essentiel de notre culture.
M. Inky Mark: Ce qu'a dit M. Beaubien au sujet de Women's Day et de Canadian Living prouve justement que tous les magazines canadiens créent des marchés pour la publicité. Par ailleurs, d'après les statistiques, 94 p. 100 de ce que lisent les Canadiens est canadien. Peu importe donc le nombre de magazines américains qui arrivent ici; les Canadiens continuent à préférer la lecture de magazines canadiens, mis à part ceux auxquels ils n'ont pas accès.
M. François de Gaspé Beaubien: Monsieur Mark, si vous permettez, je crois que vous tirez dans le mille.
Je n'ai absolument aucun problème à soutenir la concurrence avec des magazines provenant des États-Unis. Nous avons ici certains des meilleurs auteurs et rédacteurs du monde, ce qui explique notre réussite. Ce que je veux dire, monsieur, c'est que ce n'est pas parce que mes rédacteurs et mes journalistes font un excellent travail et que les lecteurs sont enthousiastes que je vais survivre.
En moyenne, 65 p. 100 des recettes proviennent de la publicité et dans certains cas, monsieur, on peut parler de 100 p. 100. Si vous autorisez les tirages partagés, qui existent déjà sur ce marché—soit dit en passant, pour bien comprendre les faits, 50 p. 100 du marché, et au Canada anglais, 65 p. 100 du marché, pour entrer dans les détails techniques—si vous leur donner ce droit, monsieur, qui est un avantage concurrentiel déloyal, parce que cela équivaut au dumping d'un service, ils auront une marge de 80 p. 100 puisqu'ils auront défrayé le coût de leurs produits sur leur marché intérieur. Nous devons, quant à nous, payer des auteurs canadiens, des journalistes canadiens et la distribution canadienne. Vous vous apercevrez alors que notre marge oscille entre 4 et 5 p. 100. Nul besoin de connaître le darwinisme économique pour savoir que celui qui a une marge de 80 p. 100 et qui pratique le dumping, qu'il s'agisse d'une voiture japonaise ou d'un service, va anéantir celui dont la marge est de 4 à 5 p. 100. C'est la réalité de notre marché.
Je vous remercie donc d'avoir soulevé ce point, car vous venez juste de prouver que la demande des lecteurs ne signifie pas nécessairement que je vais survivre.
Le président: Une dernière question, monsieur Mark.
M. Inky Mark: Qu'avez-vous à dire à propos de la majoration de 45 p. 100 des cartes de tarifs pour les non-Canadiens dans le but de respecter l'article 19 de la Loi sur l'impôt?
M. François de Gaspé Beaubien: Je suis heureux que vous souleviez ce point, monsieur. Time Canada a indiqué que sa carte de tarifs est majorée par rapport à celle de MacLean's et c'est un point que John voudra peut-être aborder. J'aimerais toutefois vous donner un petit avertissement. Monsieur, la réalité du marché, c'est ce que vous imprimez sur cette carte et ce qui se passe dans les coulisses des négociations. Comme chacun sait, sur le marché de l'immobilier, le prix imprimé que vous demandez pour votre maison et le prix que vous obtenez sont deux choses bien différentes. Nous sommes d'accord sur ce point. La même chose s'applique au prix indiqué pour une voiture. Ce que vous demandez et ce que vous obtenez sont deux choses bien différentes.
Vous ne serez donc pas surpris d'apprendre, monsieur, que c'est la même chose pour l'industrie du magazine. Le fait que Time ait une carte de tarifs qui comme par hasard est majorée par rapport à celle de MacLean's est une tactique promotionnelle très intéressante. Cela donne la possibilité à Time de réduire encore davantage les coûts une fois la porte fermée. C'est malheureusement la réalité de notre marché. Vous avez donc un particulier qui a une marge très élevée et qui ne veut pas s'en défaire. Honnêtement, si j'étais un éditeur américain, je ne verrais pas pourquoi je ne récolterais pas de bénéfices supplémentaires au Canada.
Vous vous apercevez donc qu'ils ont cette marge et qu'ils sont très heureux d'être ici. Ils sont très heureux de bénéficier de droits acquis et très heureux de demander à ce comité de ne pas supprimer de tels droits, ainsi que vous l'avez préconisé.
Le président: Monsieur Tory, je crois que vous voulez ajouter quelque chose.
M. John Tory: Je voulais juste dire, monsieur le président, qu'en essayant d'examiner les questions posées par M. Mark, si vous vous posez deux questions fondamentales... Et je ne passe pas de jugement sur qui que ce soit. Pourquoi les annonceurs tiennent-ils à ce que le marché des services publicitaires ne soit pas soumis aux restrictions auxquelles il serait soumis par ce projet de loi? C'est parce qu'ils croient que cela se traduirait par une diminution du coût de la publicité. Je reconnais que c'est à leur avantage. Tout ce qui arrive et le fait que d'autres arrivent sur le marché et sont en mesure d'offrir ces cartes de tarifs à prix réduit, du fait qu'ils n'ont pas à supporter les dépenses que représente le contenu éditorial canadien, exercent des pressions sur les tarifs publicitaires dont nous dépendons pour financer le contenu éditorial canadien.
Deuxième question, pourquoi les éditeurs américains veulent- ils venir ici? Je crois que François en a donné la raison. Ils veulent venir ici, car ils pensent pouvoir réaliser des bénéfices supplémentaires. Ils en sont assez fortement convaincus, ou sont assez capables de le prévoir, dans la mesure où ils peuvent offrir des éditions à tirage partagé. Ils savent bien qu'il leur suffit d'enlever les annonces américaines, de les remplacer par des annonces canadiennes et de ne rien dépenser dans certains cas, et très peu dans d'autres, pour le contenu canadien; ainsi, ils ont une marge qui dépasse tout ce dont nous pourrions rêver dans ce pays.
Nous aimons donner des exemples de temps à autre. Voici le numéro du 27 avril 1998 de Time Canada, et le numéro du 27 avril 1998 de MacLean's. Tous les deux traitent des fusions bancaires.
Dans le numéro de Time Canada, l'article sur les fusions bancaires ne fait nullement mention d'une banque canadienne qui pourrait fusionner ou essayer de fusionner. Dans la liste des 10 ou 15 premières banques d'Amérique du Nord, il n'est même pas indiqué que si ces fusions allaient de l'avant, une banque canadienne nouvellement créée pourrait en fait se trouver sur cette liste. Il n'est nullement fait mention du Canada dans cet article de cinq ou six pages.
• 1150
Dans l'article de Maclean's sur les fusions bancaires
proposées au Canada, article de quatre ou cinq pages, il est
indiqué à la fin que cinq reporters ont participé à la rédaction.
Dans le cas du magazine Maclean's, nous dépensons 9 millions de dollars pour le contenu canadien. Si nous nous retrouvons dans une position où nos tarifs sont diminués à cause de règles du jeu inéquitables en matière de services publicitaires et si nous sommes obligés de soutenir la concurrence avec d'autres qui n'investissent rien, ou pratiquement rien, dans le contenu canadien, nous ne pourrons pas survivre sur ce marché.
On est porté à croire que le magazine Maclean's fait beaucoup d'argent, car sa diffusion est vaste et le nombre de ses lecteurs important. Il réalise des marges correspondant à ce que François a décrit, ce qui veut dire que l'on ne dispose pas d'une grande marge d'erreur si jamais le marché changeait par rapport à ce qu'il est aujourd'hui. Sur le marché des services publicitaires, il n'y a pas de place pour autre chose que des règles du jeu équitables, ce qui, à notre avis, est rendu possible par cette mesure législative.
Le président: Madame Tremblay.
[Français]
Mme Suzanne Tremblay (Rimouski—Mitis, BQ): Bonjour, monsieur de Gaspé Beaubien. Je vous remercie de votre présentation. Lorsque vous êtes le dernier à parler au cours d'un débat, vous reprenez les arguments de ceux qui vous ont précédé. Notre jugement nous permettra de savoir lequel de vous deux a raison, mais j'ai l'impression que si vos prédécesseurs étaient assis à côté de vous, ils voudraient avoir le droit de réplique et nous dire que ce qu'ils nous ont écrit et présenté reste vrai.
Au sujet des règles commerciales en vigueur, ils nous ont dit qu'un magazine était composé de deux éléments: les articles, c'est-à-dire le contenu éditorial, et la publicité, ou le contenu publicitaire. Chacun de ces éléments a un aspect de service, mais les deux se combinent pour constituer un produit qui a une réalité physique, le magazine.
Bien sûr, les spécialistes et les fonctionnaires qui ont comparu devant nous ont répondu à des questions d'examens qu'ils avaient déjà réussis haut la main. Ils nous ont donc répété les mêmes réponses. Leurs interventions ne m'ont pas vraiment éclairée puisqu'ils avaient tenu les mêmes propos lorsque nous avions étudié l'autre projet de loi, dont ils disaient qu'il était foolproof, sans aucun danger. Ils affirmaient qu'on ne serait pas battus sur la place publique par les Américains, au GATT et à l'OMC à la suite de l'adoption de ce projet de loi. C'était complètement étanche, disaient-ils. Ces mêmes personnes sont venues nous dire que ce projet-ci est complètement étanche, mais il y a quelqu'un qui nous dit que cela n'est pas évident. Que devrait-on faire?
M. François de Gaspé Beaubien: Ma réponse comprendra deux parties, si vous me le permettez. Puisque ma perspective n'est pas celle d'un expert dans le commerce international, je céderai un peu plus tard la parole à Anne McCaskill, qui possède cette expertise, qui a travaillé longuement dans ce domaine et qui a négocié beaucoup d'accords conclus entre le Canada et d'autres pays du monde.
J'ai cru comprendre qu'on avait soumis à l'OMC le concept qu'il s'agit d'une question de service. Tout le monde est d'accord que la vente publicitaire est un service. Malheureusement, notre mécanisme s'applique plutôt sur le produit comme un produit brut aux termes du GATT. Alors, nous sommes soumis à une taxe d'accise, soit le tarif 9958, ce qui ne se marie pas à ce concept que nous avions soumis relativement à la question de service. En somme, on a toujours dit que chaque pays avait le droit de promouvoir sa propre culture et sa propre identité, mais on croit que notre mécanisme n'était pas en relation avec l'accord que nous avions signé. C'est ce que j'ai cru comprendre.
Nous avons aujourd'hui ce mécanisme, et notre service publicitaire est tout à fait en accord avec les ententes que nous avons au GATT. Auparavant, ce n'était pas un accord, mais maintenant c'en est un. C'est pourquoi je crois que notre cause est très défendable devant l'OMC. Je vais demander à Anne si elle aimerait ajouter quelque chose sur ce dossier.
[Traduction]
Mme Anne McCaskill: J'espère que vous allez pouvoir m'entendre. A mon avis, il ne convient pas de sortir de son contexte un élément d'une conclusion du groupe spécial OMC à propos de mesures canadiennes préalables et de simplement l'appliquer à une mesure fondamentalement différente, qui est celle contenue dans le projet de loi C-55.
Cette conclusion du rapport du groupe spécial s'appliquait à des mesures qui, même si elles visaient—c'est ce que nous maintenons—des pratiques du marché des services publicitaires, s'appliquaient néanmoins aux magazines en tant que produits. Nous avions un poste tarifaire applicable à l'importation des magazines. Nous avions une taxe d'accise applicable aux magazines. Par conséquent, dans le cas de nos mesures préalables, le groupe spécial examinait des mesures s'appliquant directement aux magazines en tant que produits. Les membres de ce groupe ont par conséquent fait des observations sur le rapport entre l'aspect service et l'aspect produit du produit, soit les magazines.
• 1155
Dans le cas qui nous intéresse, la mesure ne s'applique
nullement aux magazines en tant que produits et elle ne vise pas le
commerce des magazines en tant que produits. Elle traite uniquement
et directement de l'accès à un marché de services, le marché de
services publicitaires. En fait, si les États-Unis voulaient
avancer les mêmes arguments à propos de la nouvelle mesure, ils
tomberaient sous le coup d'un autre article du GATT.
Il ne convient donc pas d'appliquer une conclusion préalable—qui se rapportait à une mesure complètement différente—au projet de loi C-55 et suggérer qu'elle est identique.
J'aimerais terminer en disant, brièvement, qu'on a oublié de mentionner que le groupe spécial, dans sa décision, n'a aucunement remis en question le droit du Canada de poursuivre sa politique culturelle. Il s'est plutôt demandé si les mesures spéciales qui avaient été contestées étaient conformes aux ententes commerciales.
[Français]
Mme Suzanne Tremblay: J'ai deux petites questions à partir d'exemples. La personne qui faisait la présentation avait devant elle ELLE United States, ELLE français, ELLE Grande-Bretagne et ELLE-Québec. Elle prétendait que le projet de loi C-55 nous ferait perdre Elle-Québec. Vrai ou faux?
M. François de Gaspé Beaubien: Faux. Je suis l'éditeur de ELLE-Québec. Comme je publie ELLE-Québec, je suis sûr de mon fait. ELLE-Québec est créé à Montréal, pour les Québécois et par des Québécois. Le contenu est à 88 ou 90 p. 100 québécois, canadien. Donc, c'est un magazine canadien, qui satisfait à toutes les lois canadiennes, à celles d'Industrie Canada, etc. C'est un magazine canadien.
Je ne suis pas avocat, mais ayant examiné attentivement le projet de loi C-55, je trouve qu'en aucune façon il ne nie le droit de produire un autre ELLE-Québec.
Mais parlons un peu de certains aspects de ELLE-Québec. Cela nous ramène à la question de M. Mark. Les Américains ne sont pas intéressés à faire un ELLE-Québec. Les Américains sont intéressés à reprendre un produit déjà vendu au Canada, parce que ce qui les motive, bien entendu, ce sont les profits. Prenons Cosmopolitan, par exemple, qui tire à 200 000 exemplaires. Leur idée, c'est d'arracher les pages publicitaires d'un magazine déjà vendu pour leur substituer de nouvelles pages publicitaires canadiennes. C'est ce qui donne de bonnes marges de profit.
ELLE-Québec a été créé ici, au Canada. Je peux vous affirmer que, dans sa septième année, les millions de dollars que nous avons dépensés à créer ce magazine n'ont pas encore été récupérés. J'y crois; nous y arriverons progressivement. Donc, nous avons investi énormément pour créer ce magazine. Nous avons dépensé des millions de dollars, que mous sommes encore à tenter de recouvrer. Nous n'y sommes pas encore arrivés.
Les Américains ne sont pas intéressés à dépenser des millions de dollars pour créer du contenu canadien. Non, ils sont simplement intéressés à recycler leur contenu rédactionnel et à aller chercher la publicité canadienne. Alors, en court, la réponse est non; le projet de loi C-55 n'empêche pas la création d'autres ELLE-Québec, parce que la réalité est que les Américains n'y sont pas intéressés.
Le président: Une dernière question, madame Tremblay.
Mme Suzanne Tremblay: À l'heure actuelle, est-il possible de mettre de la publicité canadienne dans un magazine américain?
M. François de Gaspé Beaubien: Oui.
Mme Suzanne Tremblay: Ce ne le sera plus, avec la nouvelle loi?
M. François de Gaspé Beaubien: Non, non. Écoutez, voici ce que cela veut dire.
Mme Suzanne Tremblay: Je vais vous donner un exemple concret.
M. François de Gaspé Beaubien: D'accord.
Mme Suzanne Tremblay: Par exemple, à l'heure actuelle, est-il possible pour Zellers de faire de la publicité dans des revues américaines qui sont vendues au Canada? Et est-il exact qu'après l'adoption de la loi, ils ne pourront plus le faire? Wal-Mart, qui est une compagnie américaine installée au Canada, pourrait continuer à le faire, mais pas Zellers, n'est-ce pas?
M. François de Gaspé Beaubien: Voici la situation qui prévaut réellement.
• 1200
Premièrement, un annonceur canadien peut
prendre de la publicité dans un magazine américain
vendu aux États-Unis et
aussi au Canada. En d'autres mots, si un
annonceur canadien veut prendre une pub dans
Newsweek, par exemple, il doit la prendre
dans toute la
distribution américaine et toute la distribution canadienne.
Il a le droit de faire cela.
Si l'annonceur canadien souhaite prendre de la
publicité strictement dans le Newsweek qui est
vendu au Canada, la réponse est non.
En fait, depuis 30 ans, les annonceurs n'ont pas
le droit de prendre de la publicité
dans le Newsweek qui
vise strictement les lecteurs canadiens.
Est-ce qu'un annonceur, aujourd'hui, a le droit de prendre de la publicité dans un magazine à tirage partagé, c'est-à-dire dans un magazine américain vendu au Canada? Il n'a pas le droit de prendre de la publicité uniquement dans le magazine vendu au Canada, sauf dans le cas des magazines à tirage partagé qui ont déjà des clauses grand-père. C'est le cas du Time, par exemple.
Ils n'ont pas ce droit aujourd'hui et ce sera encore la même chose demain. Il n'y aura pas de changement. Pour eux, c'est le statu quo.
Mme Suzanne Tremblay: Ils peuvent aujourd'hui prendre de la publicité dans le Newsweek, par exemple, mais ça leur coûte très cher.
M. François de Gaspé Beaubien: Dorénavant, ils pourront encore faire de la publicité dans tout le continent nord-américain.
Mme Suzanne Tremblay: Cela leur coûterait très cher.
M. François de Gaspé Beaubien: Tout à fait.
Mme Suzanne Tremblay: Ils veulent payer peu et annoncer seulement au Canada.
M. François de Gaspé Beaubien: Ils n'avaient pas le droit d'annoncer seulement au Canada auparavant, et ils n'en auront pas plus le droit à l'avenir. Soyons clairs.
Ils ont le droit d'annoncer dans tout le continent nord-américain, c'est-à-dire dans toute l'édition américaine, avant et après. Ils n'ont pas le droit d'annoncer seulement au Canada.
Mme Suzanne Tremblay: D'accord. Merci.
[Traduction]
Le président: Madame Lill.
Mme Wendy Lill (Darmouth, NPD): C'est un plaisir de vous accueillir. Malheureusement, je suis arrivée en retard et j'ai manqué la première partie de votre exposé.
Je m'intéresse également à la question culturelle et je me demande pourquoi le projet de loi C-55 ne contient aucune exigence quant au contenu canadien. Est-ce pour des raisons tactiques ou autres? Vous dites que cette exigence n'est pas nécessaire, mais je crois que je me sentirais plus à l'aise s'il y en avait une.
M. François de Gaspé Beaubien: Il y a deux facteurs. D'abord, nous détenons un avantage concurrentiel par rapport aux magazines américains en ce sens que nous livrons un produit à teneur canadienne. Nous avons déjà abordé cette question avec le comité.
Pour ce qui est de la structure du service, je vais laisser à Anne le soin de vous en parler.
Il faut que le projet de loi C-55 soit jugé acceptable, si je peux m'exprimer ainsi, par l'Organisation mondiale du commerce. Il a été conçu, si je ne m'abuse, de manière à être jugé acceptable par l'OMC, et aussi dans le but de promouvoir une politique qui est en place depuis 30 ans. Donc, à mon avis, nous allons continuer à produire des magazines à teneur canadienne en raison de l'avantage concurrentiel que cela nous procure.
Pour ce qui est de la question de savoir pourquoi cette exigence ne figure pas dans le projet de loi, je pourrais peut-être demander à Anne de vous répondre.
Mme Anne McCaskill: Comme on a pu le voir dans les journaux, l'idée d'inclure des critères de teneur canadienne a fait l'objet de nombreuses discussions. On a jugé, au bout du compte, que l'inclusion de tels critères poserait de nombreux problèmes puisqu'il faudrait s'assurer qu'ils respectent nos obligations commerciales, les exigences de l'OMC et les dispositions de la Charte. Ces critères soulevaient en effet quelques questions en ce qui concerne la Charte.
Mme Wendy Lill: Donc, nous ne pouvons pas protéger le contenu canadien en vertu des règles commerciales.
Mme Anne McCaskill: Franchement, je ne crois pas qu'on puisse répondre à cette question par un oui ou un non. Le problème, en ce qui concerne les règles commerciales, c'est que si vous imposez des critères en teneur canadienne, ils vont s'appliquer aux magazines en tant que produit. Vous fixez presque une condition que le produit lui-même doit remplir. Il faut se demander si cela va ou non aboutir à une contestation en vertu de l'accord sur les biens, le GATT.
• 1205
Personnellement, je crois qu'on aurait pu défendre l'inclusion
de tels critères au moyen d'arguments très valables. On aurait pu
justifier l'inclusion de tels critères dans le GATT. Mais il y a
beaucoup d'incertitude entourant cette question. C'est un sujet
très imprévisible. Nous ne savons pas bien où nous allons.
Mme Wendy Lill: Pouvez-vous me dire quels arguments auraient pu être invoqués, à votre avis?
Mme Anne McCaskill: Eh bien, il faudrait, pour cela, examiner les dispositions du GATT dans les moindres petits détails. La façon la plus simple de l'expliquer est la suivante: comme le GATT précise qu'il ne doit y avoir aucune discrimination entre les produits intérieurs et les produits importés, il faut se demander si, dans un cas où il existe des critères potentiellement discriminatoires, ces critères s'appliquent à des produits similaires, qui est une des exigences du GATT. Dans le cas qui nous intéresse, la question qu'il faudrait se poser est la suivante: est-ce que le magazine canadien, en se fondant sur son contenu rédactionnel, pourrait être considéré comme un produit différent d'un magazine importé. Il faudrait voir si le contenu rédactionnel peut servir de base à l'argument voulant que ces deux magazines ne sont pas des produits similaires.
Mme Wendy Lill: D'accord.
Mme Anne McCaskill: C'est un point discutable. Certains sont sceptiques. Il faut dire, avec juste raison, que la contestation présentait sans doute certains risques.
M. Rick Salutin: Je tiens tout simplement à ajouter ceci. Comme vous le savez, l'auteur canadien doit, en général, diversifier ses écrits. Le seul secteur où la question du contenu canadien n'a jamais posé problème, c'est dans celui des magazines en raison de la nature de ceux-ci.
M. John Tory: Monsieur le président, puis-je ajouter quelque chose à ce que vient de dire M. Salutin?
Le président: Brièvement.
M. John Tory: Je tiens à dire à Mme Lill, sans répondre directement à sa question concernant le contenu canadien, que nous sommes d'avis—ceux qui sont ici réunis et bon nombre des représentants du Canadian Business Press et autres qui ont comparu devant vous la semaine dernière—que l'adoption de règles du jeu équitables pour les services publicitaires constitue un des meilleurs moyens d'assurer le contenu canadien des publications. Comme nous l'avons dit à maintes et maintes reprises—et cela va au coeur de toute la discussion—si les services publicitaires sont victimes d'une concurrence déloyale, nous ne pourrons pas produire ou distribuer des publications à teneur canadienne.
En fait, dans bon nombre des cas, ce sont les auteurs, et non pas nous, qui produisent ce contenu canadien. Or, nous ne serons pas en mesure de les embaucher pour le produire et le distribuer.
Donc, à bien des égards, la santé de l'industrie canadienne du magazine dépend de l'adoption de règles du jeu équitables pour les services publicitaires. Ces règles nous permettront d'avoir accès aux outils dont nous avons besoin pour assurer la distribution de publications à teneur canadienne, distribution qui ira en s'augmentant avec le temps, nous l'espérons.
Le président: Monsieur Muise.
M. Muise (West Nova, PC): Merci, monsieur le président.
J'aimerais d'abord remercier les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Cet échange est très utile.
Ce qui m'inquiète, entre autres, c'est le fait qu'on supprime la publicité américaine pour la remplacer par de la publicité canadienne. Hier, nous avons posé une question à ce sujet aux représentants du ministère. Ils ne semblent pas avoir d'inquiétudes.
L'année dernière, le gouvernement a eu des problèmes avec le MMT. Il a pris une décision. Il a dit oui, cela ne pose aucun problème, tout va bien se passer. Toutefois, cette décision est revenue nous hanter. Elle nous a coûté assez cher.
Je me demande s'il n'existe pas d'autres moyens de parvenir au même objectif, des moyens qui ne sont pas perçus comme une atteinte aux lois commerciales. Je me demande si nous n'aurions pas pu utiliser d'autres moyens pour atteindre le même objectif et mieux nous protéger.
M. François de Gaspé Beaubien: C'est une question très juste et fondée. Nous avons pris part à des consultations pendant un an et demi. Même si nous n'étions pas au courant du contenu du projet de loi C-55 avant son dépôt, nous nous sommes efforcés d'examiner toutes les options qui existent.
Je demanderais à notre spécialiste des questions commerciales, Anne McCaskill, de nous donner son avis là-dessus, parce qu'elle s'occupait, précédemment, de négocier des ententes commerciales pour le compte du Canada. Elle nous a aidés à examiner les diverses options qui existent.
• 1210
Je peux vous dire—je suis un profane qui a beaucoup appris au
cours des 18 derniers mois—que nous avons examiné diverses
solutions et que le projet de loi C-55 constitue pour nous la
meilleure option. Mais je voudrais savoir ce qu'en pense Anne.
Mme Anne McCaskill: Non, il n'existe pas vraiment de solution de rechange qui ne ferait l'objet d'aucune contestation sur le plan commercial. Le premier cas que nous avons soumis à l'OMC a permis de démontrer que les mesures s'appliquant aux produits en tant que tels peuvent être contestées avec succès, mais que les mesures visant les services sont traitées différemment en vertu des règles commerciales. Je crois que le Canada a tout à fait le droit d'adopter un projet de loi qui réglemente l'accès au marché des services publicitaires.
M. Mark Muise: D'après vous, est-ce que ce projet de loi ne présente aucun risque, dans le sens habituel du terme?
Mme Anne McCaskill: Rien n'est sans risque dans nos accords commerciaux. Il est toujours difficile de prédire ce qu'un groupe spécial décidera dans un cas particulier. Ces groupes ont tendance à être imprévisibles.
Toutefois, je crois que nous disposons d'arguments valables et bien fondés dans ce cas-ci. Le projet de loi, comme certains l'ont laissé entendre, ne ternira pas l'image du Canada en tant que citoyen respectueux des lois commerciales internationales. Cette mesure est tout à fait valable et justifiable pour ce qui est de nos droits et obligations aux termes des ententes commerciales internationales.
M. Rick Salutin: Monsieur le président, j'aimerais ajouter quelque chose.
Les relations culturelles canado-américaines, notamment dans l'industrie du film des années 30, m'intéressent beaucoup. Toute initiative culturelle entreprise par le Canada qui a pour effet de nuire aux entreprises américaines sera contestée par les États- Unis. La situation s'aggrave avec la mondialisation des marchés. Ils contestent tout. Les Américains sont tenaces. Aucune démarche n'est sans risque. Vous devez tenter le coup et être prêt à défendre votre position. Les Américains sont coriaces. Ils finissent très souvent, à la longue, par gagner. La ténacité et la conviction sont à tout le moins aussi importantes que l'effort que l'on met à élaborer un projet de loi aussi étanche que possible.
Le président: Pouvez-vous attendre qu'on passe à la deuxième ronde? Je dois donner la parole aux autres intervenants.
[Français]
Monsieur Bélanger, s'il vous plaît.
M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je veux également remercier les témoins d'être venus nous rencontrer.
Le projet de loi soulève plusieurs préoccupations et ce qu'il faut, au bout du compte, c'est de faire un choix. Nous avons abordé certaines de ces préoccupations, hier, avec les spécialistes des questions commerciales.
Or, un autre point a été soulevé, avec lequel je ne suis pas d'accord, mais que nous devrions peut-être essayer d'explorer. J'aimerais adresser ma question à M. Salutin.
On a parlé de la liberté d'expression, de parole, de la presse. Certains ont laissé entendre que le projet de loi limiterait essentiellement ces libertés. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, en tant que journaliste. Croyez-vous que le projet de loi C-55, dans sa forme actuelle, porte atteinte à ces libertés?
M. Rick Salutin: Je trouve cet argument plutôt fallacieux et cynique. La liberté d'expression, pour moi, est très importante. J'ai perdu de nombreuses possibilités d'emploi, au fil des ans, à cause de cela. Cette préoccupation, à mon avis, n'est pas justifiée. On ne peut avoir de liberté d'expression sans diversité d'opinions. Autrement, ce principe ne veut rien dire.
• 1215
Ce projet de loi, si j'ai bien compris, vise à favoriser la
diversité des opinions, surtout canadiennes, dans toute une gamme
de domaines. Comment peut-on imposer des limites à cette diversité
au nom de la liberté d'expression? Non, au contraire, nous n'avons
pas, en vertu de ce projet de loi, et dans la conjoncture actuelle,
le genre de diversité, de liberté d'expression que nous pouvons
qualifier d'optimale dans la société. En fait, il y en aurait
beaucoup moins si l'industrie canadienne du magazine était appelée
à disparaître.
Je trouve cette attitude très cynique. Les grandes entreprises et l'industrie de la publicité ont utilisé cet argument à toutes les sauces dernièrement. Il y a quelques années, l'industrie du tabac a tenté de courtiser un certain nombre d'auteurs en promettant de leur verser quelques milliers de dollars s'ils écrivaient des articles sur l'importance de la liberté d'expression pour les fabricants de tabac. Ce fut un choix difficile pour bon nombre d'entre eux, puisqu'ils étaient à court d'argent. Je trouve donc leur attitude cynique. Je suis en faveur de la liberté d'expression même si cela nous oblige à entendre des arguments ridicules comme ceux-là. Il suffit tout simplement de ne pas leur attacher de l'importance.
M. Mauril Bélanger: Merci.
On a reproché au gouvernement d'avoir déposé un projet de loi qui vise essentiellement à aider, enrichir et protéger quelques, peut-être même juste deux, grandes maisons d'édition canadiennes. Votre réputation vous précède. J'aimerais avoir votre avis là- dessus.
M. Rick Salutin: De quelle réputation parlez-vous?
M. Mauril Bélanger: Vous savez ce que je veux dire.
M. Rick Salutin: Personnellement, je m'en fous si François et John s'enrichissent ou perdent leur chemise. Je suis ici parce que je m'intéresse à la survie de la culture canadienne, et surtout de l'industrie du magazine, pour les raisons que j'ai mentionnées. Cette industrie joue un rôle capital non seulement sur le plan culturel, mais aussi politique, puisqu'elle contribue à créer une saine ambiance. Voilà la question. Si quelques personnes parviennent à s'enrichir, tant mieux pour elles.
Mais je crois également qu'il y a effectivement... J'ai consacré trente années de ma vie à une petite revue appelée This Magazine, et personne n'a fait de l'argent avec cette publication. Nous avons été nombreux à investir du temps dans ce projet, sans rien toucher en retour. Mais nous avons une petite industrie prospère, et je dirais qu'il existe une bonne symbiose entre les grands magazines de luxe que publient François et John, et les centaines de revues plus petites que l'on trouve sur le marché.
J'ai rédigé des articles pour les publications de luxe que représente le Canadian Business Press pendant des années. Il y avait entre autres le Canadian Business, le Toronto Life, le TV Times de Southam, et le Globe and Mail's Broadcast Week Magazine. Je publie une chronique dans le Globe and Mail toutes les semaines. Pendant tout ce temps là, j'ai aussi rédigé une petite chronique intitulée «The Culture Vulture» pour ce magazine. Or, c'est là que j'ai puisé, sur le plan intellectuel et en tant qu'auteur, les idées qui m'ont permis d'écrire des articles pour les grands magazines, et c'est l'argent de ces grands magazines, de même que l'opinion du grand public en général, qui a permis d'alimenter en retour les petits magazines. Je crois que ce phénomène est assez répandu.
C'est Andrea Curtis qui est maintenant la rédactrice en chef de la revue This Magazine. Elle travaillait avant pour le compte de Toronto Life, et ils auraient tout fait pour la garder, mais elle a préféré travailler pour une publication où elle avait l'occasion de s'exprimer plus librement. Il se peut fort bien qu'elle retourne à son ancien poste. Un grand nombre de rédacteurs en chef de la revue The Magazine sont allés travailler pour les grands magazines. Il ne faudrait pas sous-estimer le mouvement de va et vient que l'on observe entre ces publications.
Pour terminer, je veux tout simplement dire que je trouve rassurant de savoir que ni l'un ni l'autre de ces types ne sera un jour aussi riche que Ted Turner ou Rupert Murdoch.
M. Michael Rae: Puis-je faire un commentaire?
Le président: Oui, monsieur Rae. Vous avez été plutôt silencieux. Comme le temps presse, je vous demanderais d'être bref. Merci.
M. Michael Rae: Oui.
Pour ce qui est de la question de savoir si cette initiative est l'oeuvre de MacLean Hunter-Télémédia, bien que ce groupe ait un intérêt dans ce projet, elle ne l'est pas. La Canadian Magazine Publishers Association a appuyé le projet de loi C-55 à l'unanimité. Par exemple, Canadian Geographic, une des revues les plus populaires au Canada avec un tirage d'environ 220 000 copies, compte sur des recettes publicitaires d'environ 2 millions de dollars pour réaliser des profits de moins de 500 000 dollars par année. Si ces recettes publicitaires disparaissaient ou diminuaient de façon considérable, disons d'environ 25 p. 100, alors la rentabilité de la publication serait sérieusement minée, de même que sa capacité de renseigner les Canadiens sur la géographie du Canada.
• 1220
C'est un facteur important. Il y a beaucoup de magazines qui
ne font pas partie du groupe MacLean Hunter-Télémédia, mais qui
renseignent les Canadiens sur leur pays. Ce projet de loi est très
important pour eux.
Le président: Merci beaucoup.
Madame Bulte.
[Français]
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Ma collègue, Mme Tremblay, a déjà posé mes deux premières questions et il y a beaucoup de gens qui ont posé ma troisième question, mais j'ai encore un petit commentaire à faire.
[Traduction]
Pour ce qui est de la contestation fondée sur la Charte, M. Sosnow, du cabinet Lang Michener, a laissé entendre que la Cour suprême avait statué, récemment, que la publicité était une forme d'expression commerciale protégée par la Charte. Je pourrais peut- être adresser ma question à Mme McCaskill. Pouvez-vous me dire comment l'interdiction de la publicité porte atteinte à la liberté d'expression?
Mme Anne McCaskill: Je ne suis pas une spécialiste en la matière, mais nous avons consulté des avocats de droit constitutionnel. Tout ce que je peux dire, c'est que, à mon avis, personne n'a jamais remis en question le fait que la Charte s'applique à l'expression commerciale. Il n'y a jamais eu de doute là-dessus. D'après les avis que nous avons reçus concernant la Charte, et selon nous, la question prépondérante dans ce cas-ci, c'est celle là même qui a été soulevée par M. Salutin. Nous convenons que la question de la liberté d'expression est très importante et qu'il faut faire en sorte que les magazines puissent continuer de bénéficier de cette liberté d'expression.
Mme Sarmite Bulte: Merci.
J'aimerais revenir à la question de M. Muise concernant la société Ethyl et le différend commercial touchant le MMT. Je crois comprendre qu'une contestation a été amorcée en vertu de l'ALENA, que cet accord constituait la voie à suivre pour régler le différend commercial. Toutefois, le ministre intéressé a dit que l'ALENA n'avait rien à voir avec ce projet de loi, qu'il s'applique uniquement au GATT. Est-ce exact?
Mme Anne McCaskill: Oui. Le projet de loi C-55 respecte les droits et obligations du Canada en vertu des accords de l'OMC et de l'ALENA. Compte tenu de l'exemption culturelle que prévoit l'ALENA, les obligations de cette entente ne s'appliquent tout simplement pas aux mesures prises en faveur des industries culturelles. Celles-ci sont définies dans l'ALENA et englobent l'industrie de l'édition et toutes les activités entourant celle-ci. Donc, il n'y a pas de doute que cette mesure tombe sous le coup de cette exemption. Je suis d'accord avec ce qu'a dit, hier, le spécialiste des questions commerciales du ministère des Affaires étrangères. Les États-Unis peuvent prendre des mesures de représailles dans certains cas, mais seulement si la mesure en question va à l'encontre des obligations du Canada en vertu de l'ALE. Or, compte tenu de cette exemption culturelle, l'ALE ne s'applique pas à cette mesure.
Mme Sarmite Bulte: Merci beaucoup, madame McCaskill.
Le président: Merci.
Monsieur Bonwick.
M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie d'être venus nous rencontrer aujourd'hui. Cela nous permet de connaître votre point de vue.
D'abord, on a fait une déclaration il y a quelques jours et j'aimerais la clarifier. Je l'ai prise en note. Je n'ai pas le texte exact devant moi, mais on peut le trouver dans le hansard. Les détracteurs du projet de loi C-55, notamment les publications américaines ou étrangères, ont laissé entendre que vous aviez peut- être accès à des renseignements privilégiés du ministère ou du ministre du Patrimoine. Cette déclaration, comme bien d'autres, n'était pas fondée. Je vous demanderais de clarifier cela rapidement.
M. François de Gaspé Beaubien: Merci. Comme je l'ai mentionné...
M. Paul Bonwick: Vous avez abordé la question.
M. François de Gaspé Beaubien: Oui, mais je veux bien me faire comprendre. Quand l'OMC a rendu sa décision il y a dix-huit mois, l'industrie du magazine, la Canadian Magazine Publishers Association et le Canadian Business Press, se sont réunis en vue d'examiner les mesures qu'il conviendrait de prendre. Le ministère du Patrimoine nous a demandé de lui expliquer les rouages de l'industrie du magazine, ce que nous avons fait avec plaisir.
Nous leur avons fait part de certaines informations qui se rapportaient aux questions que nous examinions avec eux; il était clair que nous ne voulions pas que cette information—et c'était évidemment leur prérogative que de décider de ce qu'ils allaient faire, mais nous examinions cela ensemble—arrive aux mains des Américains. Pas une seule fois je n'ai reçu du ministère des documents confidentiels qui ne m'étaient pas destinés.
Je vais vous donner un exemple concret. Lorsque le projet de loi C-55 a été proposé, je l'ai reçu après les journalistes et tous les autres, c'est-à-dire 12 heures après tout le monde. Vous voyez donc que ces allégations ne sont que cela, des allégations.
M. Paul Bonwick: Merci beaucoup. Voilà cette question éclaircie. En tant que comité, je suppose, nous accordons beaucoup d'importance à la manière dont une personne peut étayer ce qu'elle avance. C'est un genre de thermomètre de la crédibilité.
M. François de Gaspé Beaubien: Je tiens à préciser, cependant, comme je l'ai déjà dit à M. Lund, que j'ai rencontré les publicitaires parce qu'ils sont nos clients, et je leur ai dit que je détenais des renseignements que je ne pouvais pas leur transmettre. Mais manifestement... Je sais ce qui serait arrivé si je la leur avais transmise.
M. Paul Bonwick:
[Note de la rédaction: Inaudible]... stratégie.
M. François de Gaspé Beaubien: Oui, merci.
M. Paul Bonwick: Nous avons entendu une multitude de témoins provenant de divers milieux, ainsi que des avocats et des représentants des deux parties. Alors ce que j'essaie de faire, en tant que monsieur tout-le-monde, c'est de simplifier tout cela et de me faire une opinion. Pour moi, cela se résume au fait que ce projet de loi, et j'aimerais entendre votre avis là-dessus tout à l'heure, porte sur l'accessibilité plutôt que sur le manque d'accessibilité, c'est-à-dire l'accessibilité, pour les Canadiens, non seulement aux oeuvres canadiennes mais aussi aux oeuvres internationales, aux questions internationales qui touchent à la mosaïque historique dont est fait le Canada.
J'ai lu l'édition canadienne de la revue Time, et elle illustre amplement cette question d'accessibilité. Alors que je le feuilletais... J'encourage mes collègues réformistes à prendre le temps de feuilleter cette revue. Sur 74 pages, quatre seulement touchent la scène internationale. L'un des sujets abordés était l'accord de paix en Irlande du Nord, présenté selon une perspective très américaine. Il n'y est pas une seule fois question du Canada, malgré le fait que M. Adams y a séjourné, ainsi que le premier ministre, et malgré que nous ayons été reconnus à l'échelle internationale—notamment par l'Irlande du Nord—pour notre contribution passée et future à cet accord de paix. Pas un seul mot sur le Canada.
Je me demande si nous n'avons pas l'obligation, en tant que gouvernement, de veiller à ce que les jeunes Canadiens, et tous les Canadiens, d'ailleurs, aient accès à ce genre d'information et sachent le rôle que joue leur gouvernement ou leur société sur la scène internationale. Comme je le disais, sur 74 pages, seulement quatre touchaient les questions internationales. Les 70 pages restantes contenaient de la publicité ou des nouvelles américaines. À mes yeux, c'est un péché que notre gouvernement ne veille pas à ce que les Canadiens aient accès à cette mosaïque canadienne et internationale plutôt que de ne connaître les événements internationaux que sous l'angle américain, d'avoir la perspective américaine sur la culture, si toutefois ils estiment avoir une culture.
M. John Tory: Permettez-moi de commenter votre déclaration. L'une des choses que nous ne remettons absolument pas en question—et François en a parlé dans sa déclaration préliminaire—est le droit inhérent de tout le monde au pays, notamment, j'en suis convaincu, bon nombre d'entre nous ici présents, de lire l'édition canadienne du Time. Nous n'avons jamais remis cela en question. Nous ne mettons pas en doute le droit des Canadiens d'acheter cette revue et de la lire aussi souvent que cela leur chante. Ce dont nous voulons nous assurer, par contre, c'est de pouvoir produire des revues de toutes sortes, et pas uniquement des revues d'actualité, qui, elles, présenteraient les choses selon une perspective canadienne.
Je pense qu'il y a une grande différence entre un article rédigé par le bureau de Time et un article rédigé par le bureau de Maclean's, à Washington. L'article de Maclean's est rédigé par un journaliste canadien qui analyse les événements qui se produisent, que ce soit là ou en Irlande du Nord, d'un point de vue canadien. Malheureusement, contrairement à la revue Time, les magazines canadiens ne se vendent pas beaucoup à Houston, Los Angeles, Chicago, Paris ou New York. Il n'y a pas beaucoup de personnes qui les achètent.
M. Paul Bonwick: De nombreux témoins ont laissé entendre que l'industrie canadienne du magazine risquait d'être décimée et, en fait, de disparaître, si rien n'était fait pour empêcher les Américains d'en prendre le contrôle. C'est ce qui se produirait si l'industrie était dominée par des intérêts américains.
M. John Tory: Ce marché demeure actuellement un des plus ouverts au monde, et il continuera de l'être une fois le projet de loi adopté. Les recettes publicitaires sont essentielles à la viabilité du secteur canadien du magazine et, partant, à la production de revues à teneur canadienne. Le projet de loi, à notre avis, créera des règles du jeu équitables sur le plan des services publicitaires, ce qui nous permettra de continuer de réaliser des recettes et de produire des publications à teneur canadienne. Cela ne veut pas dire qu'on doit les acheter et les lire ou qu'on ne peut pas lire des articles rédigés par des auteurs d'autres pays. Cela veut tout simplement dire qu'il y aura des articles à contenu canadien dans ces magazines.
Le président: Merci.
Nous avons beaucoup de questions courantes à examiner en tant que comité.
J'aimerais savoir quels sont les membres qui souhaitent poser d'autres questions. À part M. Mark, y en a-t-il d'autres? Alors nous allons terminer avec lui.
Monsieur Mark.
M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.
Je crois comprendre que la question au coeur de ce projet de loi n'est pas le contenu canadien, mais la publicité canadienne. J'invite mon collègue, M. Bonwick, à feuilleter n'importe quel numéro de la revue MacLean's et de vérifier le pourcentage de publicité canadienne qu'on y trouve.
Ma question est la suivante: la concurrence vient d'où essentiellement? Des annonceurs canadiens ou étrangers?
M. François de Gaspé Beaubien: Je tiens à rappeler à tout le monde ici présent que les magazines à tirage partagé ne sont pas autorisés au Canada, sauf quelques exceptions, comme le Time et le Reader's Digest.
À l'heure actuelle, les magazines américains, à l'exception de ceux qui sont protégés, ne peuvent vendre de la publicité au Canada, de sorte que l'industrie canadienne du magazine se livre concurrence à elle-même. Mais il ne faut pas oublier que la publicité indirecte accapare 50 p. 100 du marché des livres et des magazines américains. Elle accapare une bonne part du marché, comme nous l'avons mentionné, et nous livrons concurrence à d'autres médias.
Je m'excuse, mais je ne comprends pas très bien la question.
M. Inky Mark: J'ai cru comprendre que se sont essentiellement les Canadiens qui veulent vendre de la publicité dans les revues canadiennes. Est-ce exact?
M. François de Gaspé Beaubien: Oui.
M. John Tory: Je tiens à préciser, monsieur Mark, que la publicité indirecte mentionnée par M. de Gaspé Beaubien nous coûte très cher, parce qu'une entreprise comme General Motors—et je pourrais en nommer une centaine qui sont présentes des deux côtés de la frontière—achète moins de publicité dans les magazines canadiens en raison du nombre de Canadiens qui lisent les revues américaines et qui voient ainsi l'annonce de General Motors. Cette situation nous coûte très cher non pas tant à cause des règles du jeu inéquitables qu'elle crée, mais parce qu'elle nous empêche en fait d'encourager et de financer la production de contenu canadien.
Donc, oui, nous nous livrons concurrence à nous-mêmes pour l'instant, en raison des divers magazines canadiens qui existent, et aussi des services spécialisés de télévision et des nombreuses autres personnes qui essaient de mettre la main sur des recettes publicitaires limitées. Mais il est vrai que nous sommes défavorisés dès le départ en raison de la publicité indirecte que font les entreprises présentes des deux côtés de la frontière.
Le président: Ce sera votre dernière question.
M. Inky Mark: Ce n'est pas vraiment une question, mais plutôt un commentaire. Vous soulevez-là un point intéressant, car c'est justement une des questions sur lesquelles nous nous sommes penchées. Maintenant, pourquoi un homme d'affaire prospère achèterait-il de la publicité bon marché? Si vous êtes un homme d'affaire prospère, vous allez cibler votre marché et annoncer votre produit comme il se doit.
M. François de Gaspé Beaubien: Monsieur Mark, nos annonceurs sont des amis et des clients. Comme vous l'avez dit, il nous arrive parfois malheureusement... mais ils m'appellent après avoir témoigné. Mais passons. Le fait est que nous entretenons avec eux des rapports inusités, comme vous pouvez bien le comprendre, surtout à ce stade-ci de la partie.
La réponse à votre question est la suivante. Vous voulez savoir pourquoi ils ne font pas de publicité? Ils nous ont dit qu'ils vont continuer de faire affaire avec nous, et c'est là une bonne nouvelle. Mais ils ont ajouté très clairement, «nous allons continuer de vous donner une bonne part de notre argent, sauf que vous allez perdre maintenant.» Même les annonceurs qui ont comparu devant vous ont fait état de baisses allant jusqu'à 75 p. 100. Mais supposons que les recettes publicitaires ne baissent pas de 75 p. 100, mais plutôt de 40 ou de 20 p. 100. Le fait est que, malgré une marge de profit de 4 ou 5 p. 100, une baisse de même 10 p. 100 des recettes publicitaires—choisissez le chiffre que vous voulez—va nous acculer à la faillite.
Vous dites qu'ils vont continuer de faire affaire avec moi. Oui, mais pas autant qu'avant, parce qu'ils vont se tourner vers ceux qui leur offre un rabais de 80 p. 100. Et vous me demandez, «François, comment peuvent-ils faire cela?». Je vais vous le dire, moi. Time Warner va prendre les revues People, Time, Money Magazine et Sports Illustrated et dire: «Et si on s'entendait sur une offre globale?» Le fait est qu'ils vont regrouper toutes les revues actuellement vendues sur le marché et dire
[Français]
«voilà, mes amis, un escompte de 80 p. 100»,
[Traduction]
et nous ne serons pas en mesure de leur livrer concurrence, parce qu'il s'agit d'une offre globale. Voilà comment les choses vont se passer.
M. John Tory: Monsieur le président, si je puis me permettre, si nos recettes publicitaires baissent de 10 ou de 20 p. 100, la teneur canadienne des publications va diminuer, de sorte que les Canadiens vont trouver les revues moins attrayantes. Le nombre de lecteurs va ainsi diminuer, et les autres recettes publicitaires vont finir par disparaître. Voilà pourquoi la viabilité de notre secteur est en jeu.
Le président: Madame Lill.
Mme Wendy Lill: J'aimerais poser une question au sujet de la disposition de droits acquis. Pourquoi cette disposition figure-t- elle dans le projet de loi? Si vous vouliez établir une nouvelle politique d'édition pour les magazines, incluriez-vous dans celle- ci une disposition de droits acquis? Pourquoi acceptez-vous qu'on maintienne le statu quo dans le cas des revues Time et Reader's Digest? J'aimerais savoir ce que Rick en pense. On dit que le niveau de teneur canadienne est très faible. Manifestement, les auteurs canadiens seraient en meilleure posture si les grands magazines à tirage partagé étaient assujettis à des critères de teneur canadienne.
M. François de Gaspé Beaubien: Cela n'a jamais constitué un problème pour l'industrie. En fait, nous avons dit que les revues Time et Reader's Digest devraient être autorisées à rester ici. C'est la position que nous avons défendue.
Vous me demandez pourquoi? Il y a, comme vous le savez, des considérations d'ordre juridique dont il faut tenir compte. Si le gouvernement canadien interdisait la publication de Time, il éliminerait une entreprise viable, ainsi de suite, qui est présente dans ce pays, comme ils l'ont mentionné, depuis 55 ans. Je ne suis pas bien placé pour parler au nom de Time ou de Reader's Digest. Toutefois, nous avons toujours dit qu'une telle décision revenait au gouvernement. Nous voulons tout simplement faire en sorte qu'il y ait encore des revues canadiennes sur le marché.
M. Rick Salutin: Si j'étais chargé de rédiger ce projet de loi, alors oui, Time et Readers's Digest ne bénéficieraient plus de ce statu quo. Mais cette question n'est pas de mon ressort.
Regardez comment agissent les Américains. Time Warner a la revue Time, mais ce n'est pas suffisant. Il veut maintenant Sports Illustrated, People et toutes les autres.
On cherche à faire de notre mieux dans les circonstances. Mais ce qui m'étonne, c'est que même si nous avons cédé aux pressions de Time et de Reader's Digest au fil des ans et diminué notre part du gâteau, nous continuons d'avoir une industrie dynamique.
Le président: Merci beaucoup, monsieur de Gaspé Beaubien et chers collègues. Je vous remercie d'être venu nous rencontrer.
[Français]
M. François de Gaspé Beaubien: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup d'être venus.
M. François de Gaspé Beaubien: Merci. Le plaisir a été pour nous.
J'ai une dernière chose à dire, monsieur le président. Si nous avons une industrie très viable, c'est justement grâce à la politique qui est en place depuis 30 ans. Nous vous remercions d'avoir créé un climat qui nous permet de créer des magazines canadiens.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
Merci.
Est-ce que les membres du comité peuvent rester? Il nous faut le quorum pour discuter d'affaires courantes. Il nous faut neuf personnes.
• 1240
La semaine prochaine, soit le 30, nous allons entreprendre
l'étude détaillée du projet de loi. Nous allons être saisis du
projet de loi C-48...
Une voix: Le 30?
Le président: Non, la semaine du 30.
Le projet de loi C-48 va sans doute être renvoyé au comité le 7 décembre. Ce n'est pas nous qui décidons. Si la Chambre nous renvoie le projet de loi, nous n'y pouvons rien. Nous allons soit l'examiner ou... Je ne fais que vous avertir.
J'aimerais céder la parole à M. Mills. Si vous jetez un coup d'oeil sur l'ordre du jour, j'aimerais passer au point... parce qu'il nous faut le quorum pour en discuter.
Monsieur Mills.
M. Dennis Mills: Monsieur le président et chers collègues, vous avez tous reçu cette semaine le rapport du sous-comité. Ce dernier a convenu à l'unanimité que les opinions minoritaires me seraient remises d'ici la fin de la semaine, qu'il s'agisse de celle du Parti réformiste, du Bloc québécois ou du Nouveau Parti démocratique. Nous allons faire en sorte qu'elles soient annexées au rapport.
Cela dit, je proposerais que le comité adopte le rapport qui a été déposé.
Le président: D'accord.
[Français]
Mme Suzanne Tremblay: Il faut quand même faire des corrections dans le document officiel. Je ne voudrais pas qu'on bouscule les choses. Il y a des erreurs. Même cette version ne peut pas sortir comme ça.
[Traduction]
La recommandation 50 a été incluse dans la recommandation 49, mais les versions française et anglaise ne concordent pas.
M. Dennis Mills: Vous voulez dire la recommandation?
Mme Suzanne Tremblay: Oui. La recommandation 50 ne figure pas dans la version française.
M. Dennis Mills: L'attaché de recherche principal est ici.
Mme Suzanne Tremblay: Si vous nous autorisez à vous remettre le corrigé lundi...
M. Dennis Mills: Nous, nous devons travailler le texte en fin de semaine.
Mme Suzanne Tremblay: Oui, mais je peux le lire à bord de l'avion, vendredi, et vous faxer le corrigé en fin de semaine. Cela ne me dérange pas.
Il y a des passages qui ne sont pas tellement élégants en français, surtout le titre. Si vous jetez un coup d'oeil sur les versions anglaise et française, vous allez constater qu'elles ne disent pas la même chose. «Accountability» ne se traduit pas par «transparence». Ces mots n'ont pas le même sens.
M. Dennis Mills: Je vais demander à notre attaché de recherche de répondre à cette question.
Kevin, voulez-vous répéter ce que vous venez de me dire?
M. Kevin Kerr (attaché de recherche): Je crois comprendre qu'à l'étape finale de préparation du rapport, le Service des comptes rendus des comités vérifie les versions française et anglaise pour s'assurer qu'elles concordent. C'est à ce moment là qu'il examinerait le problème que vous avez soulevé. Je vais toutefois porter la question à son attention.
[Français]
Mme Suzanne Tremblay: Je n'ai pas relu la version finale.
[Traduction]
Le président: Le greffier me signale qu'il faut modifier la page couverture.
M. Dennis Mills: Ce n'est pas la page couverture du rapport, monsieur le président.
Le président: Je le sais, mais il faut y apporter des modifications. D'après le greffier, le nom du sous-comité n'y figure pas.
M. Dennis Mills: Excusez-moi, monsieur le président, mais j'ai bien indiqué au greffier, au début de la réunion, que tous les points que vous soulevez aujourd'hui seront réglés lors de l'étape finale de préparation du rapport. Vous n'avez que le libellé devant vous aujourd'hui.
Le président: D'accord. Le comité doit maintenant autoriser l'impression du rapport final, s'entendre sur son coût et fixer le nombre d'exemplaires qui seront imprimés.
Madame Tremblay.
[Français]
Mme Suzanne Tremblay: J'ai une question. Depuis quelques semaines, on est un peu bousculés dans le processus du sous-comité. Si on adopte le rapport aujourd'hui, monsieur Mills, puisqu'on est en assemblée publique, cela veut dire que le rapport sera dorénavant public. On avait convenu qu'on ne le rendrait pas public avant les élections au Québec.
M. Dennis Mills: Non.
Mme Suzanne Tremblay: Vous m'avez dit que vous le déposeriez et le rendriez public le 3 décembre. Si on l'adopte aujourd'hui, à mon avis... On n'a même pas fini. Comment peut-on adopter un rapport alors qu'on n'a même pas encore déposé les avis minoritaires? Cela n'a aucun sens.
[Traduction]
Le président: Le rapport ne sera rendu public qu'après avoir été déposé à la Chambre. Je pense que nous devrions poursuivre cette réunion à huis clos, si vous êtes d'accord.
Des voix: D'accord.
(Note de la rédaction: La séance se poursuit à huis clos)