ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de l'environnement et du développement durable
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 9 avril 2002
¿ | 0905 |
Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)) |
M. Jeff Barnes (membre, conseil d'administration, Association canadienne de la construction) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
Le président |
M. Robert Gibson (témoignage à titre personnel) |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
Le président |
M. Franklin S. Gertler (conseiller juridique, Grand Conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)) |
M. Diom Romeo Saganash (directeur des relations avec le Québec, Grand Conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)) |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Bob Mills (Red Deer, Alliance canadienne) |
M. Jeff Barnes |
¿ | 0950 |
M. Bob Mills |
M. Jeff Barnes |
M. Bob Mills |
M. Jeff Barnes |
M. Bob Mills |
M. Robert Gibson |
¿ | 0955 |
M. Bob Mills |
M. Robert Gibson |
Le président |
M. Bernard Bigras (Rosemont--Petite-Patrie, BQ) |
À | 1000 |
M. Diom Saganash |
M. Bernard Bigras |
M. Diom Saganash |
À | 1005 |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Guy St-Julien (Abitibi--Baie-James--Nunavik, Lib.) |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Diom Saganash |
À | 1010 |
M. Brian Craik (directeur, relations fédérales, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)) |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Guy St-Julien |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Guy St-Julien |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
À | 1015 |
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.) |
M. Jeff Barnes |
Mme Karen Redman |
M. Jeff Barnes |
Mme Karen Redman |
M. Robert Gibson |
À | 1020 |
Mme Karen Redman |
M. Robert Gibson |
Mme Karen Redman |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.) |
M. Robert Gibson |
À | 1025 |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Robert Gibson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Franklin Gertler |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Jeff Barnes |
À | 1030 |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Robert Gibson |
Mme Ginette Lajoie (coordonnatrice à l'Environnement, analyste, Administration régionale crie, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)) |
À | 1035 |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Bernard Bigras |
À | 1040 |
M. Diom Saganash |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
Mme Karen Kraft Sloan |
À | 1045 |
M. Robert Gibson |
Mme Karen Kraft Sloan |
M. Robert Gibson |
Mme Karen Kraft Sloan |
À | 1050 |
M. Robert Gibson |
M. Brian Craik |
M. Jeff Barnes |
À | 1055 |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Robert Gibson |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Jeff Barnes |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Joe Comartin (Windsor--St. Clair, NPD) |
Á | 1100 |
M. Robert Gibson |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
M. Alan Tonks (York-Sud--Weston, Lib.) |
M. Diom Saganash |
Á | 1105 |
M. Brian Craik |
Á | 1110 |
Le vice-président (M. Bob Mills) |
CANADA
Comité permanent de l'environnement et du développement durable |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 9 avril 2002
[Enregistrement électronique]
¿ (0905)
[Français]
Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): On commence aujourd'hui par les témoignages de deux organisations.
[Traduction]
Nous commençons aujourd'hui avec l'Association canadienne de la construction, suivie du Grand conseil des Cris du Québec, ou Eeyou Istchee. Nous souhaitons la bienvenue aux témoins—anciens et nouveaux amis.
Avant de commencer, je voudrais souhaiter bon retour à M. Mills de son aventure dans l'Ouest et féliciter M. Bigras pour son excellente allocution devant la Chambre hier.
Nous avons maintenant le quorum et nous pouvons commencer. Il se peut qu'un ou deux d'entre nous doivent quitter à regret l'audience à 10 heures pour participer au débat sur le projet de loi sur les pesticides, mais ce ne sera qu'une brève disparition. J'inviterai un collègue à prendre le fauteuil pendant cette absence.
Sans plus attendre, nous allons laisser la parole à M. Barnes. Si vous pouvez réduire vos déclarations à de courts exposés, lorsque tout le monde aura terminé, nous aurons le temps de poser des questions.
M. Jeff Barnes (membre, conseil d'administration, Association canadienne de la construction): Merci, monsieur le président et merci aux membres du comité de cette occasion de m'adresser à vous aujourd'hui au sujet du projet de loi C-19.
[Français]
Je suis très heureux d'être venu de la belle province du Nouveau-Brunswick afin d'être ici ce matin.
[Traduction]
Comme vous le savez, je suis ici pour représenter les 20 000 entreprises qui sont membres de notre association. L'ACC est porte-parole national de l'industrie de la construction non résidentielle et représente les entreprises oeuvrant dans les secteurs industriel, commercial et institutionnel.
La plupart des Canadiens sont peu conscients de l'importance de la construction pour notre économie. Saviez-vous, par exemple, qu'en 2001, la production brute des services de la construction dans l'économie canadienne s'est chiffrée à plus de 132 milliards de dollars, soit environ 11 p. cent du PIB du Canada? De plus, en 2001, le secteur de la construction a employé quelque 871 000 Canadiens, ce qui représente près de 6 p. cent de la main-d'oeuvre du Canada. Monsieur le président, ces données démontrent sans équivoque pourquoi la construction est, de loin, la plus grande industrie du Canada.
En tant que porte-parole national de l'industrie, l'ACC est déterminée à collaborer avec le gouvernement fédéral à la réalisation des objectifs et de buts communs. La protection de l'environnement, tout en favorisant le développement économique durable, est sans aucune doute l'un des objectifs communs que nous tentons tous d'atteindre. C'est pourquoi l'ACC a nommé un représentant pour siéger au Comité consultatif de la réglementation de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale depuis la mise sur pied du comité, en 1992. Je représente l'ACC au sein du CCR depuis cinq ans et, à ce titre, je joue un rôle actif dans cet examen quinquennal. De plus, je suis vice-président aux sciences environnementales de l'entreprise Jacques Whitford Environment Limited, un cabinet d'experts-conseils en environnement qui se spécialise dans les évaluations environnementales prévues par la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
L'ACC est d'avis que le projet de loi C-19, tel qu'il est, est un texte de loi solide et qui tient compte d'une part importante et sans précédent des recommandations formulées en concertation multilatérale et visant des modifications importantes et essentielles à l'amélioration du processus d'évaluation environnementale du Canada. De fait, le projet de loi est le résultat d'un travail approfondi et louable, et nous espérons sincèrement qu'il sera promulgué avant la fin de la présente session parlementaire. Nous sommes d'avis que le renforcement et l'amélioration du processus d'évaluation environnementale, par le biais de l'examen quinquennal et du projet de loi C-19, sont extrêmement importants pour attirer et conserver les investissements au Canada et pour soutenir la croissance économique du pays.
Plus précisément, l'ACC appuie les modifications qui ont été intégrées au projet de loi C-19 relativement à la détermination des types ou filières d'évaluation, soit une étude approfondie par opposition à une étude par une commission. L'introduction de ce nouveau point de décision ministériel dans le processus, visant à préciser le type d'examen exigé et à éliminer l'incertitude et les chevauchements possibles, contribuera grandement, à notre avis, à accroître la certitude, la prévisibilité et l'équité de la LCEE.
Nous sommes également très heureux de constater que le projet de loi C-19 tient compte des nombreuses recommandations du CCR formulées en consensus et qui figuraient dans le rapport présenté au ministre de l'Environnement en août 2000. L'ACC appuie pleinement les recommandations du CCR puisqu'elles représentent une évolution importante pour ce qui est d'établir un terrain d'entente entre les nouveaux intervenants prenant part à cet exercice, soit le gouvernement, l'industrie, les Autochtones et les spécialistes de l'environnement.
Le processus de concertation entamé par les membres du CCR est constructif, progressif et équitable et, à ce titre, devrait être le modèle d'autres initiatives environnementales multipartites. Les membres du CCR apportent à cet effort de concertation une expérience et des connaissances pertinentes de haut calibre, ainsi que des perspectives variées. Il s'ensuit donc que les recommandations qui découlent de ce processus de concertation sont solides et ont fait l'objet de délibérations raisonnées et éclairées. C'est pourquoi l'ACC se déclare déçue de constater que l'une des questions jugées importantes par les membres du CCR et sur lesquelles ceux-ci avaient atteint un consensus n'ait pas été traitée dans le projet de loi C-19, soit la question de la détermination de la portée.
Les membres de l'ACC se disent grandement préoccupés par les recours en justice découlant de l'application de la LCEE. À cet égard, l'ACC croit fermement que bon nombre de ces procès intenté à ce jour sont attribuables à l'insatisfaction du public et des intervenants relativement à certains aspects entourant, plus particulièrement, la façon dont les évaluations environnementales sont effectuées, soit le manque d'avis concernant les examens préalables, la qualité des évaluations environnementales et la portée de celles-ci.
Nous sommes convaincus que plusieurs des mesures proposées—entre autres, l'annonce au public et l'autorité responsable principale—contribueront énormément à réduire la fréquence des actions en justice. Or, le projet de loi C-19 ne donne pas suite aux recommandations 5.1, 5.3 et 5.4 formulées dans le rapport du CCR au ministre de l'Environnement sur la détermination de la portée.
¿ (0910)
Que signifie au juste l'expression «détermination de la portée», et pourquoi s'agit-il d'un concept aussi important? La détermination de la portée représente une étape essentielle du processus d'évaluation environnementale, puisqu'elle exige que l'autorité responsable, ou le ministre, selon le genre d'examen effectué, considère la portée appropriée du projet devant être évalué ainsi que la portée appropriée de l'évaluation. Cet exercice confère à l'autorité responsable, ou au ministre, le pouvoir discrétionnaire et la capacité de limiter la portée de l'évaluation environnementale et de concentrer les ressources de toutes les parties intéressées sur les questions jugées pertinentes ou importantes.
En vertu de la LCEE, telle qu'elle existe actuellement, l'autorité responsable, ou le ministre, est tenu de déterminer la portée du projet, les facteurs à évaluer et le degré d'importance de ces facteurs. Cependant, en pratique, il n'y a aucune uniformité dans la façon dont ces décisions sont rendues. En conséquence, il y a beaucoup d'incertitude pour les promoteurs, qui ne peuvent être sûrs de tenir compte de tous les enjeux qui doivent être étudiés et qui font face à la possibilité que les exigences puissent changer plus tard au cours de l'examen ou à la fin de celui-ci. Il y a aussi un grand flou incertitude pour le public et les intervenants, qui ne peuvent savoir avec certitude que les enjeux qui leur tiennent le plus à coeur sont évalués.
Ce sont les différends au sujet de la portée du projet et de la portée de l'évaluation qui sont au coeur de bon nombre des procès déjà très avancés relativement à la LCEE. Lorsque la détermination de la portée n'a pas été effectuée ou qu'elle est mal formulée, les exigences de la LCEE sont telles que tous les effets environnementaux—et je dis bien tous les effets—d'un projet doivent être évalués. S'il aucune limite n'est fixée à la détermination de la portée effectuée de manière raisonnable par l'autorité responsable, ou le ministre, les exigences ayant trait à une évaluation environnementale défendable devant les tribunaux et aux yeux du public sont difficiles à satisfaire.
Le libellé de la LCEE exige, sans les limites motivées du pouvoir discrétionnaire conféré aux articles 15 et 16, l'évaluation de tout effet environnemental éventuel du projet. L'ACC croit que ce problème peut être réglé facilement et efficacement en rendant obligatoire la documentation ou la publication de la détermination de la portée et intégrant cette obligation dans le projet de loi C-19. Il est essentiel que les participants puissent constater cette transparence relative à la portée du projet et à la portée de l'évaluation dans le cadre du processus de l'évaluation environnementale, afin qu'ils aient la même perspective de ce qui fait l'objet de l'évaluation.
De plus, l'ACC croit que les déterminations de la portée qui sont faites dans le cadre d'une étude approfondie devraient être accessibles au public aux fins de commentaires. Nous reconnaissons qu'il est possible que les ministères puissent vouloir contrecarrer cette exigence, en raison de l'augmentation perçue des efforts que cela entraînerait à une époque où plusieurs ministères manquent de ressources. Toutefois, nous croyons que l'investissement d'un peu plus de temps dès le départ dans le processus permettra de réduire grandement les délais d'examen, et évitera sans aucun doute des procès onéreux et chronophages pour tout le monde.
Il est également possible que l'autorité responsable puisse vouloir se réserver le droit de modifier la portée du projet ou de l'évaluation à une étape ultérieure du processus. Toutefois, ce genre d'incertitude est intenable si l'on souhaite mettre en place un processus équitable, prévisible et opportun pour tous les intervenants. Ce sont là des objectifs du processus renouvelé d'évaluation environnementale fédérale qui sont énoncés dans le rapport du ministre au Parlement.
La modification du projet de loi C-19 de manière à rendre obligatoire la documentation et la publication des déterminations de la portée permettrait de préserver le pouvoir discrétionnaire et la capacité de l'autorité responsable, ou du ministre, de prendre des décisions importantes et, du même coup, procurerait beaucoup plus de transparence et de certitude pour tous les participants au processus.
Nous sommes également préoccupés par le fait que le libellé actuel du projet de loi C-19, et notamment de l'article 13, pourrait en fait interdire la publication d'une détermination de la portée relative à une étude approfondie si ladite détermination figure dans un rapport présenté au ministre par l'autorité responsable. Nous craignons que le contenu d'un tel rapport puisse être assujetti à des règles de confidentialité du Cabinet et que, si la détermination de la portée n'est pas rendue publique par l'entremise du registre public, par exemple, de telles règles puissent en interdire la publication subséquente.
Le cas échéant, il se peut que les participants à une étude approfondie ne puissent jamais connaître la portée d'un projet ou d'une évaluation. C'est tout à fait inacceptable si l'on souhaite créer un processus équitable et qui fasse preuve de certitude et cela suscitera vraisemblablement des contestations judiciaires et des retards dans le processus et ce, en dépit des aspects autrement favorables de l'inclusion de cette nouvelle détermination d'une étude approfondie.
¿ (0915)
En bref, l'ACC encourage fortement le comité permanent à envisager la modification du projet de loi C-19 de manière à exiger que la documentation et la publication de la détermination de la portée soient obligatoires, et ce pour toutes les évaluations; à donner au public l'occasion de se prononcer sur la détermination de la portée faite par suite d'une étude approfondie et à assurer que le libellé du projet de loi C-19 n'empêche d'aucune façon la publication de la détermination de la portée faite par suite d'une étude approfondie. Nous proposons à cet égard un libellé qui tient compte de ces modifications proposées, lesquelles sont annexées à notre mémoire.
[Français]
Au nom de l'ACC, je vous remercie de votre attention. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ou d'entendre vos commentaires.
[Traduction]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Barnes.
Le nom suivant sur notre liste est en fait celui de M. Gibson. J'ai fait une erreur tout à l'heure en pensant qu'il était ici avec M. Barnes pour parler au nom de l'Association de la construction, un faux pas gigantesque que, j'espère, M. Gibson me pardonnera. M. Gibson représente l'Université de Waterloo.
Nous vous souhaitons la bienvenue. Vous avez la parole.
M. Robert Gibson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur Caccia et membres du comité.
Je ne représente pas l'Association de la construction. Je suis actuellement professeur invité au Sustainable Development Research Institute de l'Université de la Colombie-Britannique, bien que, comme l'a dit M. Caccia, je sois normalement rattaché à l'Université de Waterloo. Je ne représente ici personne d'autre que moi-même.
Je fonde mes commentaires sur un nombre que je n'ose plus compter d'années de travaux d'évaluation environnementale généralement définis à la plupart des niveaux d'administration, du général au municipal, y compris la plupart des gouvernements du Canada, et de travaux réalisés avec, et parfois contre, des organismes fédéraux et provinciaux et des Premières nations, des ONG, des experts-conseils du secteur privé, etc. Je suis sûr d'avoir vexé à peu près tout le monde, mais en tant que chercheurs, nous pouvons nous le permettre sans trop de risque.
J'ai envoyé au comité trois choses. Tout d'abord, il y a quelque temps, je lui ai fait parvenir un article publié dans une revue juridique sur le projet de loi C-19 et ses lacunes, et les lacunes des lois connexes. La deuxième chose, ce sont les notes en vue d'une présentation ici, qui sont plus longues que ce qu'il me sera permis d'exposer, alors je vous en épargnerai la lecture pour le compte rendu. Mais vous avez ces documents, et ils sont aussi traduits, je crois.
J'ai annexé à tout cela un document qui date de 1994, lequel traite de l'une des questions soulevée dans le mémoire, soit l'application du processus au niveau stratégique des politiques, des programmes et des plans. Le mémoire s'appuie largement sur les résultats de consultations d'un éventail de collègues, dont des membres de diverses associations canadiennes de défense de l'environnement. Je leur dois les mérites qui leur reviennent, et je ne peux leur imposer le fardeau d'aucune responsabilité.
Le document fait l'examen de deux choses. D'abord, les 13 principaux éléments du projet de loi C-19 qui, dans l'ensemble, sont probablement plutôt positifs et qui pourraient, dans chaque cas, être quelque peu améliorés. Il y a des détails sur la façon que cela pourrait se faire, et je serais heureux d'en discuter, si vous le souhaitez. Je préférerais cependant me concentrer sur le deuxième sujet, soit les grandes lacunes du projet de loi C-19. M. Barnes a tout à fait raison de parler de ce projet de loi comme du produit d'un consensus entre de multiples intervenants, bien que ce puisse être un produit très incomplet justement pour cette raison.
Dans cette démarche, il n'a pas été possible de traiter de ce que j'appellerais les six principaux besoins d'amélioration en vertu de la loi fédérale. Le principal problème sous-jacent que je vois est celui d'une tension plutôt fondamentale entre l'objet de la loi, qui est de contribuer au développement durable, ou à la durabilité, et le véritable fond de bon nombre des dispositions de la loi.
Ceci s'est révélé de façon pratique dans des décisions récentes de comité, dans le cas du projet d'exploitation minière et de broyage de la baie de Voisey. Le comité en question a exigé des promoteurs du projet, à la lumière de la ligne directrice visant la préparation d'un énoncé d'impact environnemental, qu'il démontre qu'au bout du compte, les collectivités et les écosystèmes touchés seraient en meilleure position après qu'avant le projet—c'est le concept d'une nette amélioration.
¿ (0920)
Il est évident, d'après moi, que le concept du développement durable est, dans son ensemble, fondé sur la notion que ce que nous faisons actuellement n'est pas durable. Il s'agit donc de renverser la tendance afin de passer d'un développement non durable progressif à un développement susceptible d'améliorer notre situation. On ne peut le faire en se contentant d'atténuer les effets néfastes, car cela équivaut à sombrer plus lentement et ne conduit pas progressivement vers une durabilité plus grande.
Reconnaissant cette tension entre le but recherché, soit l'amélioration de la situation et l'interprétation normale de la loi, c'est-à-dire l'atténuation des effets néfastes les plus marqués, la commission a retenu le critère le plus élevé, lequel se retrouve dans les lignes directrices préparées dans l'affaire du projet de voie rapide de la vallée de Red Hill, actuellement en suspens. Les commissions interprètent donc la loi en fonction du critère le plus élevé, comme il se doit. Elles prennent les engagements en matière de développement durable au sérieux et par conséquent, exigent des améliorations.
La loi n'est pas très bien conçue pour ce faire. Cela apparaît de diverses façons et j'observe ici six grandes omissions. Il est très facile de corriger certaines d'entre elles contrairement à d'autres, très franchement. Je vais les passer en revue rapidement et nous pourrons en débattre si vous le souhaitez.
La première des omissions simples, c'est la définition de «environnement» et «effets environnementaux». La loi canadienne adopte une définition étrange de «environnement», pour, apparemment, éviter toute considération directe des effets sociaux et économiques. Ce n'est pas sans raison historique, même si ce n'est pas logique, à mon avis. La Loi sur l'évaluation environnementale initiale, soit la National Environmental Policy Act des États-Unis de 1969, définit le terme environnement qui est censé englober--ce qui est raisonnable--les aspects croisés sociaux, économiques, culturels et biophysiques. La Loi sur les évaluations environnementales de l'Ontario—la première au Canada qui date de 1975—renferme essentiellement la même définition. Il s'agit de toute évidence d'approches efficaces et qui sont beaucoup plus réalistes.
Les commissions qui se rendent dans de véritables collectivités, qui rencontrent de vraies personnes qui veulent parler des vrais problèmes qui se posent à elles, s'aperçoivent que la plupart des gens ne font pas une distinction claire entre effets sociaux directs et indirects. La plupart des commissions sont obligées de les écouter, de toute façon, car c'est ainsi que les choses se passent vraiment. Je pense qu'il est raisonnable de s'attendre à ce que ce soit inclus. J'ai noté un libellé juridique que nous pourriez utiliser.
Deuxièmement et peut-être encore plus simplement, la LCEE devrait exiger de prendre en compte les effets positifs ainsi que les effets néfastes. Un de mes collègues, qui a été directeur de la faune aquatique et terrestre à l'Île-du-Prince-Édouard, a essayé de persuader les promoteurs du pont de raccordement permanent de prévoir des aménagements d'habitat dans leur projet. Cela n'aurait pas été très difficile, ni très coûteux et aurait présenté des avantages importants à long terme. Il n'a pas réussi à les convaincre et ce, pour toutes sortes de raisons, la première étant que les promoteurs n'étaient poussés par aucun incitatif juridique, découlant du processus de l'évaluation environnementale, et qu'ils n'avaient pas à se soucier d'aménagements pour simplement atténuer des effets néfastes fort importants. Toutes sortes de gains potentiels nous ont échappés. Il semble donc qu'il soit tout à fait déraisonnable de l'exclure.
Troisièmement, il faut penser à la nécessité et aux solutions de rechange que l'on peut envisager en vertu de la LCEE, mais, habituellement, rétroactivement. L'autorité responsable ou le ministre peut exiger certains compléments, ce qui est souvent le cas, mais cela arrive habituellement après coup, une fois que le promoteur a pris des décisions. C'est une exigence complémentaire qui est tout à fait inefficiente et habituellement très peu efficace.
Il vaut mieux envisager la nécessité et les solutions de rechange au niveau de la planification, des programmes ou des politiques. Pendant de nombreuses années en Ontario, les principales solutions de rechange aux nouveaux projets d'énergie hydraulique, de lignes de transmission, ont essentiellement correspondu à la gestion de la demande. Il existe toutes sortes de documents qui sous-entendent qu'il est moins coûteux de faire de la gestion de la demande que de construire de nouvelles centrales. Pourtant, pour toutes sortes de raisons, les promoteurs en question n'étaient pas intéressés à le faire.
¿ (0925)
Ils ont été forcés de l'envisager éventuellement à cause de conflits incessants au niveau du projet. Il est apparu très clairement qu'il était beaucoup plus sensé de le faire au niveau des politiques et des plans en fonction de la gestion de la demande et de l'offre et ils ont été éventuellement obligés de le faire. Les batailles qu'il a fallu mener pour arriver jusque là ont été excessives. Toutes sortes d'arguments permettent de prouver qu'il serait plus efficace en matière d'évaluations de donner de bonnes lignes directrices au niveau du projet avant d'en arriver aux plans et aux programmes. Cela s'applique notamment aux agences comme l'ACDI, l'Agence canadienne de développement international, qui fait beaucoup de travail au niveau des programmes. Très souvent, il n'est pas très utile d'essayer d'appliquer la LCEE simplement au niveau des projets.
Enfin, deux derniers points. La loi, sous son libellé actuel, vise à éviter des effets néfastes importants, à moins qu'ils ne soient «justifiés dans les circonstances». Cette expression n'est pas définie dans la loi et même si certaines raisons peuvent être invoquées, décider ce qui représente une justification dans les circonstances dépasse le cadre de la loi et du débat public et ne peut être assujetti à quelque critère d'application que ce soit.
Il semblerait au moins raisonnable, dans le cadre d'une loi qui est censée contribuer au développement durable, d'exiger que les effets néfastes «justifiés dans les circonstances» surviennent dans des circonstances qui, dans une large mesure, contribuent au développement durable. S'il est possible de justifier des effets néfastes importants—ce que je contesterais dans tous les cas—cela ne devrait être possible que si l'on peut prouver que globalement, il y a lieu de penser que nous contribuons au développement durable.
Si vous pensez à la solution de rechange, c'est-à-dire si vous pouvez justifier un effet qui ne contribue pas au développement durable à long terme, vous donnez l'impression d'aller à l'encontre de la politique gouvernementale dans tous les cas. Il n'est pas possible à mon avis de l'éviter et il serait avantageux de préciser les critères à observer, de façon générale à tout le moins.
Finalement, nous avons débattu pendant 30 longues années de la nécessité de prévoir des pouvoirs d'application de la loi. La loi fédérale actuelle s'appuie sur une disposition qui s'ajoute à toutes les autres et qui stipule que les permis actuels peuvent être utilisés à des fins qui ne sont pas normalement prévues. Par conséquent, un permis accordé en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables peut englober des considérations liées à la pollution atmosphérique. Vous pouvez imaginer que c'est une façon assez maladroite d'essayer de limiter une approbation donnée. C'est certainement une façon très gauche de le faire, étant donné que les diverses lois adoptées lors de diverses années à des fins diverses renferment toute une gamme de mécanismes d'application.
On peut l'expliquer en se rapportant aux événements troubles de l'histoire également, qui se résument essentiellement aux jalousies exprimées à l'endroit du ministre de l'Environnement qui a le pouvoir de s'occuper de questions dépassant le cadre étroit de son mandat environnemental. Il se peut qu'au fur et à mesure que ce processus—à l'instar du processus européen et d'autres—devient davantage axé sur le développement durable, il exige une reddition de compte au Parlement plutôt qu'à un seul ministre. Comme je le disais plus tôt, certaines de mes propositions sont plus ambitieuses que d'autres et celle-ci en serait un exemple.
Je crois qu'au bout du compte, c'est ce vers quoi ce processus devrait probablement tendre, si l'on est vraiment attaché au développement durable.
Peut-être devrais-je m'arrêter ici et répondre aux attaques ou aux questions, le cas échéant. Merci.
¿ (0930)
Le président: Merci, monsieur Gibson, votre document est extrêmement utile.
Nous allons passer maintenant à M. Gertler. Voulez-vous prendre la parole?
M. Franklin S. Gertler (conseiller juridique, Grand Conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): Ce n'est pas M. Gertler qui va prendre la parole, monsieur le président, mais plutôt M. Saganash. Pour une fois, le conseiller juridique n'a, Dieu merci, pas à intervenir.
[Français]
M. Diom Romeo Saganash (directeur des relations avec le Québec, Grand Conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): [Le témoin parle dans sa langue]
Tout d'abord, je remercie les membres de ce comité de me donner l'occasion d'être entendu ici aujourd'hui.
Il y a 26 ans, nous avons signé la Convention de la Baie-James et du Nord québécois avec le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec. Avec cette entente, nous avons eu la promesse d'un régime de protection de l'environnement et du milieu social qui serait efficace, permanent et adapté aux besoins de la population crie de notre territoire, Eeyou Istchee.
Monsieur le président, l'article 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois exige une présence fédérale réelle dans la formulation des politiques et dans l'examen des projets qui visent des affaires relevant de la compétence fédérale. On nous a promis un statut spécial pour nous permettre de participer à la procédure d'évaluation environnementale et sociale à tous les niveaux et à toutes les étapes, ainsi qu'à son interprétation et son application. En outre, non seulement a-t-il été prévu que «le régime de protection de l'environnement et du milieu social applicable dans le territoire est établi en vertu du présent chapitre et conformément à ces dispositions», mais encore nous a-t-on promis que le régime ne serait pas modifié sans le consentement des Cris.
Qu'en est-il aujourd'hui? Le régime est essentiellement mis de côté et rendu non exécutoire par le Canada. La partie du régime qui fonctionne de façon minimale, soit le Comité consultatif sur l'environnement de la Baie James, ne se voit pas accorder le rôle qui lui revient dans le domaine de la formulation des politiques et en plus, il est sous-financé. Le Canada refuse d'admettre que l'évaluation fédérale peut-être déclenchée en vertu de l'article 22 et, à la place, impose la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale sur notre territoire, en violation de l'article du traité que je viens de citer.
Nous avons dans le passé présenté des mémoires au sujet du projet de loi C-19 sans obtenir de réponse du Canada. De même, le Comité consultatif sur l'environnement de la Baie James, cité dans le traité comme l'organe préférentiel et officiel des gouvernements responsables à propos du régime, a présenté des mémoires similaires, qui ont également été mis de côté. Franchement, de notre point de vue, l'approche adoptée par le Canada à l'égard des droits constitutionnels des Cris, tels qu'ils sont définis par l'article 22 de la Convention de la Baie James, a été toute à la fois cavalière et désinvolte.
Au lieu de travailler avec nous dans le respect mutuel, le Canada a tenté de se soustraire aux obligations qui sont les siennes en vertu du traité. Alors qu'il nous promet un régime spécial dans notre territoire, le Canada cherche à remplacer ce régime par une loi sur l'environnement qui s'applique ailleurs au Canada et qui ne respecte les exigences de notre traité.
Le Canada défend sa position à cet égard en invoquant les observations d'un juge fédéral, ce qui est ironique et ce, dans l'affaire du projet Eastmain-1. Dans cette région, le juge Décarie a conclu que le projet Eastmain-1 était exempté de l'examen environnemental étant donné qu'il faisait partie du complexe initial La Grande approuvé par la Convention de la Baie James du Nord québécois. En outre, il a déclaré à propos du régime, sans que cela fasse partie de sa décision, que les projets sont soit provinciaux soit fédéraux et que dans presque tous les cas, le fédéral ne joue aucun rôle. Il a prétendu que les projets hydroélectriques ne devraient pas être assujettis à l'examen gouvernemental fédéral en vertu de la Convention de la Baie James, puisqu'ils relèvent de la compétence provinciale.
À cet égard, ce n'est pas la décision du juge Décarie qui est la décision exécutoire, mais plutôt celle du juge Rouleau, qui a conclu dans l'affaire Administration régionale crie c. Canada, en 1992, que l'application de l'article 22 ne peut pas s'appuyer sur la notion voulant que les projets soient de nature fédérale ou provinciale.
Les projets entraînent également des effets qui souvent sont reliés à des questions relevant de la compétence fédérale et provinciale, comme cela a été le cas du projet Grande-Baleine, qui a été l'objet de la décision Rouleau. Il suffit d'examiner la décision de la Cour suprême dans l'affaire Friends of the Oldman River Society pour s'apercevoir qu'il est clairement établi que la responsabilité de la protection environnementale appartient tant au gouvernement fédéral qu'au gouvernement provincial. Par analogie avec l'affaire crie jugée par la Cour suprême du Canada à propos de la compétence de l'Office national de l'énergie, il serait surprenant que le régime fédéral complexe, prévu par l'article 22 de la Convention de la Baie James, ait été mis sur pied par le Canada pour ne jamais être appliqué. Cela serait un exemple de mauvaise foi.
Franchement, jusqu'à présent, nous avons l'impression d'être bafoués par l'État à cet égard. Le manque de sincérité de l'État à ce sujet apparaît clairement, puisque même les éléments déclencheurs de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale sont ceux qui visent des questions relevant de la compétence fédérale. Les éléments déclencheurs ne sont pas fondés sur une théorie artificielle de compétence en matière de projets qui l'emporterait sur d'autres considérations.
Dans notre mémoire, nous expliquons que les questions de compétence fédérale ou provinciale sont le fondement de la procédure d'évaluation environnementale et sociale prévue à l'article 22 et garantie par la Constitution du Canada. Nous vous demandons de respecter l'engagement pris par le Canada à notre égard en 1995.
¿ (0935)
On peut se demander ce que prévoit l'article 22 que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ne prévoit pas. L'article 22 prévoit notamment un régime de protection sociale et en plus, une protection environnmentale. Il ne s'agit pas dans la LCEE d'une exigence égale à celle relative à la protection environnementale.
Deuxièmement, le régime de traité vise notamment à protéger le régime foncier et l'allocation des ressources, ainsi que notre environnement, nos collectivités, notre société et nos économies.
Troisièmement, l'article 22 de la Convention prévoit un statut spécial ainsi que la participation des Cris à l'étude d'impact. Notre gouvernement—pas le Canada, comme dans le cadre de la LCEE—nomme les membres des comités d'examen et de formulation de politiques.
Quatrièmement, les organes d'évaluation sont permanents et ne sont pas soumis aux caprices de multiples «autorités responsables»—j'utilise l'expression à la légère—et de commissions spéciales, lorsqu'en de rares occasions des commissions sont prévues, en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
Cinquièmement, l'article 22 de notre traité permet l'établissement par le public de la portée de l'évaluation dans le cas des études d'impact et des décisions prises en fonction de telles études plutôt que l'approche opaque de la LCEE, où les décisions sont habituellement prises à huis clos.
Sixièmement, en fonction du traité, nous devons accepter des changements apportés au processus au lieu qu'un gouvernement éloigné et indifférent ne nous les impose.
Septièmement, l'article 22 prévoit une protection constitutionnelle, contrairement à la LCEE.
Huitièmement, l'évaluation et l'examen des projets doivent prendre en compte les principes directeurs définis au paragraphe 22.2.4, contrairement à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
Neuvièmement, l'harmonisation des processus fédéraux et provinciaux d'examen doit être acceptée par le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et les Cris assujettis à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, ce qui n'est pas le cas de la LCEE.
Notre mémoire renferme huit recommandations qui vous permettent de régler cette situation. Nous vous demandons d'y donner suite et de modifier la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale pour préciser la mise en application du régime prévu à l'article 22 de la Convention de la Baie James.
Nous aimerions préciser que si les droits constitutionnels des femmes ou des provinces étaient traités de façon aussi cavalière par le Canada, comme cela a été le cas des droits des Cris en vertu de l'article 22, il y aurait beaucoup plus d'agitation dans ce pays.
Permettez-moi de vous citer un exemple typique, celui du projet de détournement de la rivière Rupert, Eastmain-1. Nous nous attendons à ce que l'article 22 du processus fédéral s'applique à l'examen de ce projet. C'est un projet qui aura un impact sur une voie navigable historique, étant donné que cette rivière était la voie empruntée par la Compagnie de la Baie d'Hudson pour envoyer des marchandises à ses comptoirs intérieurs et qui lui permettait aussi de recevoir les fourrures de l'intérieur. Bien avant cela, c'était une voie importante de navigation pour notre peuple, comme c'est le cas aujourd'hui et cette rivière est le sujet de la légende crie relative à la création. Elle est également abondante en esturgeons, en ciscos, en corégones et en dorés jaunes. La pêche au cisco à Notimeshanan est d'une importance historique pour le peuple de Waskaganish qui la pratique encore aujourd'hui. La rivière revêt également une importance écologique pour la baie Rupert sans compter qu'elle sert aussi d'important lieu d'escale pour la migration des oies des neiges et qu'elle représente un habitat pour les baleines blanches.
Nous avons récemment signé une entente avec le Québec dans laquelle nous acceptons la construction du projet, dans la mesure où il sera assujetti à la procédure d'examen environnemental ainsi qu'aux stipulations relatives à la conception ou aux travaux de correction fixés par l'examen. Le Québec assujettira le projet à son processus d'examen en vertu du traité.
Le Canada tourne en rond et nous pensons qu'il envisage peut-être de nous imposer le régime de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Les ministères de Pêches et Océans, des Affaires indiennes et du Nord et d'autres, y compris Patrimoine Canada, restent silencieux. Le peuple cri n'est jamais resté inactif et ne va pas rester sans rien faire pendant que le Canada viole nos droits en matière d'application régulière de la loi concernant nos collectivités, nos activités traditionnelles, notre environnement et notre avenir dans le nord du Québec. À cet égard, nous considérons que le gouvernement du Canada bloque des décisions importantes auxquelles le peuple cri a le droit de participer à propos de ce projet de développement.
¿ (0940)
Nous trouvons que le gouvernement du Canada bloque le développement. Nous sommes prêts à harmoniser les processus d'examen fédéral et provincial en vertu du chapitre 22 de la Convention pour le dérivation de la rivière Rupert et le projet Eastmain. Avec la participation et le consentement des Cris, notre traité prévoit des mesures de coordination à ce sujet. Le problème vient du fait que le Canada refuse de respecter le traité.
Nous sommes même prêts à harmoniser le processus d'examen pour ce projet sans préjuger des positions des parties sur l'application globale du processus d'examen du chapitre 22. Le Canada est-il prêt à collaborer en ce sens?
Le gouvernement du Canada a abordé le chapitre 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois de façon réactionnaire. Il a cherché des moyens de ne pas mettre en oeuvre le régime plutôt que de respecter son engagement constitutionnel à notre égard. Il ne tient pas compte de nous au lieu de chercher à collaborer avec nous pour définir le régime de mise en oeuvre du traité pour l'examen des projets d'aménagement de territoire.
Cette arrogance n'est pas nouvelle. Elle existait avant l'arrivée au pouvoir de l'actuel gouvernement, ce qui nous donne vraiment l'impression que la volonté du gouvernement au pouvoir n'entre même pas en ligne de compte dans les décisions qui sont prises par d'autres qui cherchent à limiter nos droits. En votre qualité de parlementaires, vous n'êtes pas contraints par les limites des lois en vigueur ni par les conseils juridiques donnés par le ministère de la Justice sur la façon pour le Canada de tenir le moins possible les promesses faites dans les traités.
Nous venons vous demander de trouver des moyens de mettre en oeuvre le chapitre 22 de notre traité signé en 1975 de façon à respecter les droits du peuple cri et la prépondérance que la Constitution leur accorde sur les autres lois fédérales. Les changements que nous proposons se trouvent aux pages 30 à 33 de notre mémoire.
L'entente récemment signée avec le gouvernement du Québec traite de l'avenir de notre développement économique et communautaire. Elle a d'importantes répercussions sur le développement durable de la région de la Baie James sur le territoire du Québec et, bien entendu, sur le développement futur du Québec.
Notre récente entente traite de la participation du Québec à ce développement. Le Canada est l'autre important signataire de la Convention de la Baie James et du Nord québécois, et il est bénéficiaire du développement rendu possible. Pourtant, le Canada a fait bien peu pour tenir ses engagements prévus dans le traité. Des questions comme le logement des Cris et le développement de l'infrastructure, les centres communautaires et le développement économique de la région, sans parler des services de police, des service de justice, de l'exercice des pouvoirs et des considérations de l'Association des trappeurs cris, qui figurent toutes dans le traité de 1975, sont laissées de côté par le Canada qui systématiquement refuse de respecter les droits des Cris.
Tant que le Canada ne reconnaîtra pas le rôle important de la Nation crie dans le développement futur du Nord québécois et qu'il ne s'engagera pas à traiter avec elle d'égal à égal, le développement de la région continuera d'être menacé et incertain.
Notre vision du Canada et du Québec comprend une Nation crie forte qui a son mot à dire dans les décisions concernant son avenir et l'avenir de son territoire Eeyou Istchee. Nous venons à peine de conclure avec le Québec un accord qui définit le processus à suivre pour préparer l'avenir. Nous invitons le Canada à changer d'attitude, mais nous ne croyons pas que ce soit possible avec le ministère des Affaires indiennes, l'Agence canadienne d'évaluation environnementale ou tout autre ministère agissant seul. Seulement une décision des hautes instances du gouvernement et un travail de collaboration avec la Nation crie permettront au Canada de s'acquitter de ses engagements inscrits dans la Constitution à l'égard du peuple cri et au sujet du développement de la région de la Baie James sur le territoire du Québec. Nous invitons le Parlement à contribuer à faire sa part.
Merci, monsieur le président.
¿ (0945)
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Saganash.
Nous allons certainement examiner très attentivement les huit recommandations que vous nous avez présentées, et dont je vous remercie.
Pour ce qui est de vos commentaires sur la qualité des conseils fournis par le ministère de la Justice, comme il en est question à la page 30, je peux vous assurer qu'il y a plus d'un membre du comité qui partage entièrement votre avis.
Nous n'avons plus d'autres témoins à entendre, je pense. Nous allons donc passer aux questions. Figurent sur ma liste M. Mills, M. Bigras, M. St-Julien et Mme Redman.
Monsieur Mills, allez-y.
M. Bob Mills (Red Deer, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être venus nous rencontrer.
Monsieur Barnes, j'aimerais savoir s'il arrive souvent qu'on modifie les projets à la suite d'études d'impact sur l'environnement. Autrement dit, quelle en est l'importance et les coûts pour un projet?
M. Jeff Barnes: Monsieur Mills, j'ai le plaisir de rédiger beaucoup d'évaluations environnementales, puisque c'est mon gagne-pain, et je dirais que, presque sans exception, il y a des changements. L'évaluation environnementale permet de mieux planifier et de prendre de bonnes décisions au sujet du projet et de la gestion de ses effets sur l'environnement.
En fait, d'après mon expérience, une planification minutieuse associée aux exigences de l'évaluation environnementale fait parfois réduire les coûts du projet dans son ensemble. Les exigences nous amènent à trouver de meilleures solutions et à faire une étude plus rigoureuse. Donc, les coûts n'augmentent pas toujours; en fait, ils peuvent parfois diminuer.
Cependant, je pense que les promoteurs partout au pays savent bien maintenant qu'ils doivent planifier leurs projets en tenant compte de la protection de l'environnement et des aspects sociaux. C'est un coût associé aux activités courantes. En général, je ne crois pas que ce soit perçu de façon négative.
¿ (0950)
M. Bob Mills: Comment obtenir la participation de la population? Nous parlons d'assurer la transparence et de tout consigner, et le reste. Comment faire participer la population assez tôt?
M. Jeff Barnes: Plusieurs des modifications proposées à la loi favorisent, je pense, beaucoup cette participation, comme la publication d'un avis sur les examens préalables. La loi actuelle n'exige pas vraiment que la population soit informée des examens préalables.
C'est la cause de tous les maux, je pense, pour la population. Le grand public se rend compte que des décisions ont été prises une fois que les bulldozers arrivent sur le terrain, et c'est après avoir fait des recherches que les gens découvrent qu'une évaluation a été effectuée sans qu'ils aient été consultés.
C'est donc une très bonne chose de rendre obligatoire l'annonce, au début du processus, de la tenue d'une évaluation environnementale. Je dirais que ce qui mécontente notamment le grand public, c'est le fait qu'il n'a pas la possibilité d'influencer la portée de l'évaluation environnementale.
Nos recommandations à cet égard proposent que les responsables mandatés par le ministre précisent ce que l'évaluation environnementale va comporter—le projet qui sera évalué, la portée de l'évaluation et les questions à examiner—pour que nous soyons tous au courant. Je pense que si nous informons la population de l'évaluation en cours, si nous lui faisons part des décisions prises au sujet de ce qui sera évalué, les résultats seront beaucoup mieux accueillis, et il devrait y avoir moins de poursuites judiciaires.
M. Bob Mills: D'après mon expérience, beaucoup d'entreprises veulent maintenant obtenir la participation du grand public bien avant le début des travaux. Cette attitude est-elle assez générale dans l'ensemble du pays?
M. Jeff Barnes: C'est un long et lent processus, mais je dirais qu'il est certain que la plupart des entreprises reconnaissent aujourd'hui qu'il est essentiel d'aller rencontrer les gens et les groupes touchés avant d'achever ses plans. On s'attire seulement des ennuis si on fait ses plans avant de consulter, pour apprendre ensuite qu'il faut y apporter des changements.
M. Bob Mills: Monsieur Gibson, selon vous, les solutions de rechange sont importantes. Voulez-vous dire qu'elles devraient être définies dès qu'un projet est proposé?
M. Robert Gibson: Oui. Les solutions sont présentées au tout début, au moment de la conception du projet, du programme ou de la politique, d'ailleurs. Il est important de savoir que les choses fonctionnent seulement si les promoteurs savent dès le début de leur projet que c'est une obligation. S'ils l'apprennent plus tard, ils doivent revenir en arrière et faire des changements. C'est frustrant pour le promoteur qui agit alors par devoir plus que par conviction; la mesure n'est alors pas très efficace. Il est utile que la loi prévoit un mécanisme par lequel le ministre peut exiger telle ou telle chose, mais ce mécanisme n'est pas efficace à moins d'être connu par le promoteur dès le départ. Si vous agissez toujours de cette façon, les promoteurs finissent par le savoir.
L'autre problème, c'est que la loi actuelle s'est appliquée seulement à la planification de travaux d'envergure, qui représentent une infime partie des projets réalisés. Un examen minutieux des objectifs et des solutions de rechange est tout aussi utile pour des travaux beaucoup moins importants.
Je vais vous donner rapidement un exemple. À Waterloo, où je vis normalement, le ruisseau qui traverse la ville risque de déborder si l'étalement urbain se poursuit en amont, parce qu'il y aura plus de surfaces imperméables. La ville a donc décidé d'améliorer l'écoulement du cours d'eau entre le magasin de bière et le magasin des alcools. On voulait construire un muret de béton pour que l'eau coule rapidement. Évidemment, l'eau aurait coulé rapidement jusqu'au prochain segment de la rivière, qu'il aurait fallu aussi aménagé, et cela jusqu'au lac Érié.
Les résidents ont plutôt logiquement conclu que, si la cause du problème était en amont, c'est là qu'il fallait le régler, avec un plan d'aménagement hydrographique prévoyant des bassins de retenue, des procédés d'infiltration, et le reste, en amont. C'est ce qui a été fait par la suite. La ville ne l'aurait jamais fait si elle n'avait pas été obligée de soumettre son projet à une évaluation environnementale. Sachant qu'elle ne parviendrait pas à faire approuver son projet, elle l'a retiré, pour y repenser et examiner les autres possibilités, et elle a réglé le problème de façon beaucoup plus efficace. En bout de ligne, le projet a coûté beaucoup moins cher aux contribuables.
L'évaluation environnementale est surtout utile quand elle force les gens à envisager différentes façons de faire les choses.
¿ (0955)
M. Bob Mills: Quel devrait être l'équilibre entre les facteurs socio-économiques et les facteurs environnementaux?
M. Robert Gibson: D'après la plupart des ouvrages sérieux sur l'évaluation environnementale du point de vue d'un développement durable, ce n'est pas une question d'équilibre. C'est le discours qu'on tient habituellement et, comme la vaste majorité des gens, vous parlez de trouver un compromis entre les deux. Souvent, on va échanger des emplois contre des mesures environnementales, et ce genre de chose.
Dans son étude sur la pauvreté et la protection environnementale au sein des grands organismes permanents de l'ONU, la Commission Brundtland a indiqué qu'on ne peut protéger l'environnement sans réduire la pauvreté; les deux sont liés. Ce n'est pas une question d'équilibre; il faut agir sur les deux plans, sinon les deux en souffrent. C'est essentiellement la même chose pour nos intérêts à long terme. Le vrai problème consiste à déterminer comment concilier le bien-être socio-économique et la santé humaine, que nous avons tendance à considérer comme un aspect, et la protection de l'environnement biophysique, que nous considérons comme un autre aspect et dont la responsabilité est confiée à un autre ministre.
Pour des raisons administratives, il faut répartir les disciplines mais, dans la réalité, le monde n'est pas ainsi compartimenté; tous ces éléments sont interdépendants, comme la réduction de la pauvreté et la protection de l'environnement. C'est donc un problème d'essayer de les distinguer et, quand on est guidé par des obligations administratives et des partages de mandats, c'est la facilité administrative qui finit par s'imposer, et on va à l'encontre du but recherché.
Le président: Merci, monsieur Mills. Cela me dit quelque chose.
Monsieur Bigras, s'il vous plaît.
[Français]
M. Bernard Bigras (Rosemont--Petite-Patrie, BQ): Merci, monsieur le président.
J'aimerais, dans un premier temps, remercier les témoins de leur présentation, en particulier le Grand conseil des Cris du Québec qui--c'est le moins qu'on puisse dire--a déposé un mémoire très technique mais très étoffé et qui mérite une attention particulière de la part du comité. Ce sont certainement des références et des recommandations qu'on a en tête et qu'on a l'intention de présenter.
Pour ce qui est de la question qu'on étudie aujourd'hui, je retiens un passage, qui se trouve à la page 12, qui fait le constat de la situation actuelle au Canada. Je cite:
Le Canada a agi de façon contraire à ses obligations constitutionnelles fiduciaires et de traité, prenant une approche minimaliste, mécanique et adversative [...] des questions juridiques de tous les types. Cela s’est soldé par le refus constant d’appliquer le processus fédéral d'EERES prévu au chapitre 22 aux projets de développement qui, manifestement, comportent des aspects de compétence fédérale. |
Quand je regarde la page 13, ce que je comprends de votre mémoire, c'est que ce n'est pas le chapitre 22 qui cause problème, mais plutôt son application et son interprétation. Plus loin, vous dites que le gouvernement du Québec a conclu avec les Cris une entente que vous estimez et que vous qualifiez d'importante. Qu'est-ce qu'il y a, dans cette entente entre le gouvernement du Québec et le Grand conseil des Cris du Québec, qui devrait se retrouver dans les principes fondamentaux des relations fédérales écrits qu'il n'y a pas actuellement? Vous dites qu'il y a une entente importante que vous qualifiez d'intéressante pour les Cris. Qu'est-ce que vous souhaiteriez voir, dans une approche fédérale, qui se trouve dans l'entente signée entre le gouvernement du Québec et les Cris?
À (1000)
M. Diom Saganash: Je faisais référence, dans ma présentation orale de ce matin, à cette nouvelle entente que nous avons avec Québec. Bien sûr, le souhait du Grand conseil des Cris est d'en arriver peut-être à une entente similaire avec le gouvernement du Canada surtout dans les domaines qui sont traités dans cette nouvelle entente, c'est-à-dire le développement économique et le développement communautaire. C'est notre souhait.
Quant au sujet qui nous préoccupe ce matin, j'aimerais y revenir parce que la plupart des questions qui nous préoccupent aujourd'hui, monsieur le président, sont des choses que nous avons déjà consacrées dans un traité que nous avons signé il y a près de 27 ans maintenant. Pour toute question de processus fédéral-provincial et dans le cas où il y aurait des incidences sur des questions de juridiction mixte en raison d'un projet de développement, il y a un processus d'harmonisation et de coopération qui est déjà prévu dans l'entente que nous avons signée il y a 27 ans. Le problème, vous l'avez très bien soulevé, c'est l'application de ce régime qui est déjà prévu dans notre entente.
Je vais vous donner un autre exemple. Dans la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, il y a, à l'article 22.2.4, des principes directeurs. Les comités qui sont prévus dans le processus d'évaluation environnementale doivent prendre en considération ces principes lorsqu'ils étudient les impacts d'un projet. Il y a toute une liste de principes directeurs qu'ils doivent prendre en considération et que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale ne prévoit pas. Je vous donne des exemples.
L'article dit:
[Traduction]
«Les gouvernements responsables et les organismes créés en vertu du présent chapitre, dans le cadre de leur compétence ou de leurs fonctions respectives selon le cas, accordent une attention particulière aux principes directeurs suivants».
[Français]
Et là, on donne une liste de principes directeurs.
[Traduction]
Il y a entre autres la protection des droits de chasse, de pêche et de trappage des Autochtones dans le territoire; le régime de protection de l'environnement et du milieu social pour ce qui est de réduire le plus possible les répercussions sur les Autochtones; la protection des Autochtones, de leurs sociétés et communautés et de leur économie relativement aux activités de développement touchant le territoire; la protection des ressources fauniques, du milieu physique et biologique; et les droits et garanties des Autochtones en vertu du chapitre 24.
[Français]
Tous ces principes directeurs sont déjà contenus dans notre entente. C'est ce qu'on souhaiterait.
Il y a un projet de développement qui va bientôt voir le jour. C'est le projet Rupert-Eastmain, qui comprend la dérivation partielle de la rivière Rupert. On souhaite en arriver à une entente, évidemment, avec les deux gouvernements afin que l'on puisse harmoniser les processus qui sont applicables à ce projet-là.
M. Bernard Bigras: Voici la question inverse. Je vous ai demandé ce qu'il y a dans l'entente entre le gouvernement du Québec et les Cris que vous souhaiteriez voir intégré à une entente fédérale avec les Cris. Je pose la question inverse. Dans le contexte actuel, qu'est-ce qui fait en sorte que vous refusez d'appliquer le processus fédéral, sur des aspects qui sont dans l'entente Québec-Cris ou peut-être sur d'autres aspects?
M. Diom Saganash: Pour répondre à la première question, monsieur le président, je dirai que ce qu'on retrouve dans l'entente entre Québec et les Cris et qu'on serait prêts à voir avec le gouvernement fédéral, c'est cette notion de relation de nation à nation. La Constitution canadienne reconnaît les peuples autochtones en ce pays et, dans la nouvelle entente avec Québec, il y a cette reconnaissance que le peuple cri constitue une nation. C'est à ce titre qu'on traite avec les Cris.
Je ne crois pas qu'on ait dit qu'on refuse d'appliquer la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale dans le territoire. On dit que les garanties aux Cris qui sont prévues par la Convention de la Baie-James, c'est-à-dire la participation, l'implication directe dans les comités, etc., ne se retrouvent pas dans la loi canadienne. Lorsqu'il y a incompatibilité entre la loi et le traité, le principe constitutionnel veut que le traité ait préséance sur la loi dans la mesure de son incompatibilité. Tel est le point fondamental ici. C'est ce qu'on souhaiterait voir dans le processus qui serait applicable à ce projet.
À (1005)
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur St-Julien.
[Français]
M. Guy St-Julien (Abitibi--Baie-James--Nunavik, Lib.): Merci, monsieur le président.
En premier lieu, j'aimerais remercier Me Saganash et son équipe, de même que le grand chef Ted Moses, pour l'entente des Cris avec le gouvernement du Québec qui a été signée dernièrement afin d'assurer l'avenir des Cris. Je tiens à vous dire merci, maître Saganash. Pour moi, vous êtes un grand leader au Canada.
J'ai deux questions. Premièrement, quelles sont les juridictions qui s'appliquent à la revue du projet hydroélectrique Eastmain-Rupert de la Baie-James 2002?
Deuxièmement, je vous trouve très poli dans votre mémoire, maître Saganash. Pensez-vous que le gouvernement va respecter l'article 22 signé le 11 novembre 1975? Après 26 ans, le gouvernement n'a même pas respecté à 75 p. 100 les dispositions sur le développement économique, l'habitation, les îles côtières, la justice, la police, la santé et, aujourd'hui, l'environnement. Vous avez présenté aujourd'hui un excellent mémoire. Je tiens à vous dire que les fonctionnaires sont tous situés dans les grands centres urbains. Ils ne sont pas dans les régions éloignées. Plus de 50 p. 100 des ministres du Cabinet, à Ottawa, ne savent même pas que vous existez. Pensez-vous qu'en ce qui concerne l'article 22, ils vont vous respecter davantage après 26 ans?
Nous sommes tous fiduciaires de la Convention de la Baie-James. Je représente ceux qui habitent à la Baie-James. Il n'y a pas un seul fonctionnaire du gouvernement fédéral qui sait ce qui se passe. Même les ministres ne le savent pas. Je tiens à vous dire que même si on a un excellent président et d'excellents membres, je serais surpris qu'ils vous respectent. S'ils vous respectent, je le dirai publiquement. J'aimerais obtenir vos commentaires. Dites-moi pourquoi, après 26 ans, personne ne vous écoute à Ottawa.
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Cela pourrait prendre plusieurs jours, mais essayez d'être bref, je vous prie.
[Français]
M. Diom Saganash: Monsieur le président, je suis accompagné ce matin de certains collègues, dont le directeur des relations entre le Grand conseil des Cris et le gouvernement fédéral. Je laisserai donc M. Craik répondre à la deuxième question.
La première question était celle-ci: quel processus devrait s'appliquer à ce nouveau projet qui est prévu par cette nouvelle entente que nous avons signée avec le Québec ? C'est une question délicate et complexe. Je dirais qu'à tout le moins, le processus provincial prévu par le chapitre 22 doit s'appliquer à ce projet. Le processus fédéral prévu par le chapitre 22 doit s'appliquer à ce projet. Dans la mesure où ce projet a des impacts sur les îles côtières et la baie James, je suppose que le processus qui est prévu au Nunavut doit s'appliquer également à ce projet. Dans la mesure où le projet a des impacts également sur les terres de catégorie 1, qui sont de la juridiction de l'administrateur local en environnement, le processus local devra s'appliquer également. La Loi canadienne sur l'évaluation environnementale devra sûrement aussi s'appliquer. J'ajouterais qu'il y a aussi toutes les questions juridictionnelles inhérentes aux droits des Cris qui n'ont pas été réglées par la Convention de la Baie-James, mais qui demeurent. Donc, toute la question de la juridiction crie est une chose qui demeure entière dans tout ça.
Donc, à mon avis, au moins six processus devraient s'appliquer à ce projet, d'où l'importance, et je veux insister là-dessus, d'essayer d'harmoniser tous ces processus. Depuis presque 27 ans maintenant, il y a des dispositions de la Convention de la Baie-James qui prévoient la possibilité d'harmoniser tous ces processus dans la mesure où ils s'appliquent à un projet donné. Je peux vous lire l'article de la Convention de la Baie-James qui prévoit cela. C'est l'article 22.6.7.
L'article 22.6.7 dit :
À (1010)
[Traduction]
«Le Canada, le Québec et l'Administration régionale crie peuvent, de consentement mutuel,»—donc, cela devrait être à tout le moins une entente tripartite—«fusionner les deux comités d'examen prévus au présent chapitre, et plus particulièrement aux alinéas 22.6.1.», qui est le processus provincial, «et 22.6.4», qui est le processus fédéral, «pourvu que cette fusion ne porte pas atteinte aux droits et aux garanties établis en faveur des Cris par le présent chapitre.»
[Français]
Donc, cette possibilité existe depuis presque 25 ans. Nous ne demandons pas mieux que de combiner ces processus pour qu'on puisse avoir quelque chose de pratique pour l'évaluation de ce projet, qui demeure important, autant pour les Cris que pour le Québec.
M. Brian Craik (directeur, relations fédérales, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): En ce qui concerne la participation des Cris à la revue des projets, le Grand conseil participe à la revue des projets dans le nord du Québec depuis 25 ans. On fonctionne dans les communautés en trois langues. On a fait la revue de mines, de projets hydroélectriques, de routes forestières, d'infrastructures touristiques. Donc, on a une longue expérience de la façon de faire une revue et de faire en sorte que les communautés participent à la revue des projets. Il n'y a aucun problème à cet égard.
Je dirais que le problème vient des fonctionnaires. Du côté des politiciens, je ne vois aucune volonté de confectionner des lois qui répondent vraiment aux besoins du nord du Québec et qui prennent en considération les droits des Cris protégés dans la Loi constitutionnelle du Canada.
C'est pour cette raison que nous attachons une grande importance à des échanges entre nous et les parlementaires. Il faudrait une intervention politique pour régler la situation. On n'a que du désespoir maintenant quand on voit les lois confectionnés par les ministères comme l'ACEE. On parle de la façon de transmettre l'information aux communautés. On le fait depuis 25 ans, mais quand eux ont été appelés à faire une revue d'un petit pont sur une rivière, l'ACEE a accordé un contrat à une compagnie du Nouveau-Brunswick. Les gens de cette compagnie se sont rendus dans la communauté de Weswanipi à un moment donné et les habitants de Weswanipi se demandaient qui étaient ces gens. Ils ne parlaient pas cri. Les gens de la communauté se demandaient si quelqu'un pouvait faire la traduction, quelle était l'implication de tout cela et ce qu'ils allaient faire de l'information qu'ils allaient leur donner. Ils n'ont eu aucune réponse.
Est-ce que le Grand conseil des Cris va rester tranquille en voyant que le gouvernement du Canada a l'intention de traiter de la même façon d'autres grands projets? La réponse est non.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Craik, je veux simplement signaler que cela arrive dans d'autres régions du pays, que quelqu'un venu d'ailleurs ne comprenne pas les problèmes. Cela n'arrive pas seulement à la baie James.
Madame Redman.
[Français]
M. Guy St-Julien: J'invoque le Règlement, monsieur le président. Je quitte pour aller au Comité des affaires autochtones. J'aimerais obtenir le consentement unanime des députés présents aujourd'hui pour que le mémoire des Cris de la Baie-James soit annexé au compte rendu. Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Êtes-vous d'accord?
Des voix: Oui.
[Français]
M. Guy St-Julien: Ça veut dire que le mémoire au complet sera annexé au compte rendu. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Nous allons le mettre en annexe.
Madame Redman.
À (1015)
Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser mes premières questions à M. Barnes. Un avis de lancement sera affiché dans le registre canadien d'évaluation environnementale, en vertu du projet de loi C-19. Pensez-vous qu'il serait possible d'utiliser le registre pour rendre publique la portée proposée d'un projet à évaluer? Je pense en particulier aux projets qui font l'objet d'un examen préalable.
M. Jeff Barnes: Oui, tout à fait, on pourrait l'utiliser. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas le faire.
Nous avons recommandé un libellé qui indiquerait aussi... Avez-vous notre mémoire? Une nouvelle disposition au paragraphe 55(2) sur le contenu du registre permettrait en fait d'ajouter les déterminations de la portée dans le registre canadien. C'est ce que nous recommandons fortement. Je pense que si tout le monde connaissait les règles et pouvait participer aux examens préalables, il n'y aurait pas autant d'insatisfaction parmi les participants au processus d'évaluation environnementale, surtout les groupes d'intérêt et le grand public.
Mme Karen Redman: Si les déterminations de la portée—et il y a une période prévue pour commenter—étaient publiées même pour les petits projets de construction, cela ne causerait-il pas des difficultés dans certains cas à vos membres?
M. Jeff Barnes: D'abord, il faut se rappeler que c'est l'autorité responsable qui doit déterminer la portée, non le promoteur, ce qui n'entraîne aucun coût pour lui. Cependant, vous soulevez une question qui touche peut-être un autre problème, à savoir si nous évaluons ce qui doit l'être.
On évalue les aspects environnementaux de beaucoup de projets assez peu importants qui viennent d'être entrepris. Je sais que l'Agence révise les listes d'exclusions pour s'assurer qu'on met l'accent sur les évaluations de projets qui ont des effets importants sur l'environnement.
Donc, réduire le nombre d'évaluations serait sûrement très utile, et je sais qu'on se penche là-dessus; d'ailleurs, je pense que c'est important qu'on concentre nos efforts sur les projets qui peuvent vraiment avoir des effets sur l'environnement et pour lesquels un examen pourrait être utile.
Mme Karen Redman: Merci beaucoup.
Sans vouloir l'attaquer, j'aimerais poser une question à M. Gibson. Vous avez indiqué dans vos commentaires que la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, qui a été conçue pour examiner des projets individuels, n'est peut-être pas le bon moyen de répondre aux problèmes environnementaux stratégiques régionaux ou sectoriels puisqu'aucun projet précis n'est proposé. Pouvez-vous nous indiquer l'approche la plus efficace en ce qui concerne cette question très importante, qui est directement liée au développement durable et au débat qui l'entoure?
M. Robert Gibson: Je ne peux pas répondre à cette question en 30 secondes.
La loi actuelle est axée sur les projets. Il n'y a aucune raison pour qu'une loi sur l'évaluation environnementale ne puisse pas aussi prévoir des évaluations environnementales stratégiques, des évaluations de plans et de programmes, etc. Il existe un grand nombre de lois sur l'évaluation environnementale qui ont une portée plus vaste. Certains pays n'effectuent des évaluations qu'au niveau stratégique ou presque parce qu'ils ne peuvent pas se permettre de le faire au niveau des projets, par exemple le Malawi.
Peut-on le faire en vertu d'une loi de ce genre? La réponse est oui. Serait-il possible d'élargir la portée de la LCEE pour que des évaluations soient faites au niveau stratégique? Certainement. Par exemple, la Loi sur les évaluations environnementales de l'Ontario, par l'entremise de son mécanisme d'évaluation de classe, qui est différent du mécanisme utilisé par le gouvernement fédéral, s'applique aux opérations forestières sur les terres publiques pour lesquelles un examen global a été effectué. Grâce à ce mécanisme, on a identifié un processus précis qu'on applique à des projets précis dans un cadre global. L'évaluation au niveau des politiques ou des programmes précise ce qui doit être fait au niveau des projets, ce qui permet une efficacité et une cohérence beaucoup plus grandes au niveau des projets. L'Ontario le fait en vertu de sa Loi sur l'évaluation environnementale. En Colombie-Britannique, une disposition de la loi prévoitdes évaluations au niveau stratégique. La province l'a appliquée à la salmoniculture.
Il existe donc de pareilles dispositions au Canada. Cela peut se faire tout aussi bien d'une manière que d'une autre. L'évaluation par projet précis est délicate parce qu'il existe des politiques de tout genre, à des niveaux variés. Les évaluations au niveau des plans et des programmes sont moins difficiles. Le processus expliqué dans l'annexe que je vous ai fournie établit des distinctions entre les évaluations au niveau des politiques, des plans et des programmes.
Ce que je voulais souligner, c'est que cela s'inscrit dans la tendance mondiale en matière d'évaluation environnementale. Nous étendons l'application du mécanisme à ce niveau, ainsi qu'à la définition globale de l'environnement, aux effets positifs et aux critères de durabilité. Lorsque la transition est fait, le concept global qui était étroitement défini dans un processus d'évaluation environnementale est beaucoup plus proche de l'évaluation de la durabilité. Par exemple, les Européens effectuent maintenant des évaluations de la durabilité des régimes commerciaux proposés.
C'est un processus graduel pour lequel il faut définir à qui des comptes doivent être rendus. À une agence indépendante? À quel point doit-elle être indépendante? Les rapports devraient-ils continuer d'être présentés au ministre de l'Environnement ou faudrait-il les déposer au Parlement, comme le fait le vérificateur général par exemple? Il existe différents modèles dont il faudrait discuter. Je ne crois pas qu'il y ait un modèle vraiment plus efficace qu'un autre, mais il est indéniable que l'efficacité et la cohérence peuvent être énormément améliorées si l'on concentre ses ressources à ce niveau plutôt qu'uniquement au niveau des projets.
Cela est encore plus évident lorsqu'on tient compte des effets cumulatifs. Quelques-uns de mes étudiants de deuxième cycle étudient les effets cumulatifs de l'extraction de diamants dans la province géologique des Esclaves, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il n'est pas très efficace, ni particulièrement équitable, d'évaluer chaque projet individuellement en imposant à chaque promoteur les effets cumulatifs de l'ensemble. Si nous pouvions étudier les effets globaux des divers facteurs de développement reliés à l'extraction de diamants dans cette région au niveau des programmes, ce serait beaucoup plus efficace, beaucoup plus logique et beaucoup plus avantageux. De plus, le processus serait beaucoup plus clair pour les nouveaux promoteurs, et ainsi de suite.
À (1020)
Mme Karen Redman: Je vous remercie pour votre réponse plutôt élaborée, étant donné le peu de temps dont nous disposons.
Voici ma dernière question. Quelle serait selon vous la façon la plus appropriée de tenir cette discussion?
M. Robert Gibson: On a déjà beaucoup discuté de cette question. Il existe des documents complets sur la manière de procéder. Plus particulièrement, si le comité n'est pas prêt à ce stade-ci à recommander une modification, il faudrait qu'il prévoit le faire lors du prochain examen quinquennal. Il pourrait par exemple dire qu'il veut avoir une discussion complète sur le sujet, y compris sur les principes qui détermineront de quelle manière les niveaux stratégiques devraient être prescrits par la loi, où il faudrait rendre compte et comment se conformer au critère de durabilité. Ensuite, il pourrait discuter d'autres détails. Une telle exigence me paraît très raisonnable, et elle pourrait être incluse dans la loi, comme l'a été l'examen quinquennal dans la loi existante.
Mme Karen Redman: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Bob Mills): Madame Kraft Sloan, la parole est à vous.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai quelques questions à poser et je tiens à m'excuser auprès des témoins pour mon retard de ce matin.
Monsieur Gibson, dans votre document, vous parlez du processus d'examen en tant que tel, et vous dites que bien qu'il ait été très ouvert, selon vous, il avait été orchestré de près de sorte que des aspects importants n'étaient ni ouverts ni transparents. Je me demande si vous aimeriez faire des commentaires à ce sujet et si d'autres témoins n'auraient pas eux aussi des commentaires à nous faire sur le processus d'examen?
M. Robert Gibson: Les principales parties qui manquaient de transparence étaient les discussions distinctes et parallèles tenues avec les représentants provinciaux, ainsi que des discussions internes parmi les diverses autorités responsables et les divers ministères promoteurs. Ces discussions se sont déroulées en même temps que les discussions du Comité consultatif de la réglementation et le débat public général. Par exemple, si le Comité consultatif de la réglementation étudie un processus d'entente multilatéral, on peut facilement comprendre que l'efficacité de ce processus peut être réduite par un processus parallèle où certaines des parties sont aussi en négociation.
J'ai un très grand respect pour les processus multilatéraux, mais certaines règles doivent être suivies pour qu'ils fonctionnent adéquatement, et le débat doit vraiment avoir lieu dans le cadre du processus. On ne peut pas tenir de discussions parallèles où les gens ne sont pas motivés à faire des compromis honnêtement et ouvertement.
À (1025)
Mme Karen Kraft Sloan: Afin que tout soit bien clair, monsieur le président, je signale que certains participants du processus entamé par le CCR ont aussi pris part à des discussions distinctes, tenues derrière des portes closes.
M. Robert Gibson: Il ne faudrait pas oublier non plus ceux qui ne faisaient pas directement partie du processus du CCR et qui représentaient diverses organismes gouvernementaux. Cela n'est pas rare dans ce genre de discussions, mais je crois qu'il y a là un problème intrinsèque.
Mme Karen Kraft Sloan: Je me demande si M. Saganash, ou tout autre représentant des Cris, ou si M. Barnes ont quelque chose à ajouter.
M. Franklin Gertler: M. Saganash m'a demandé de commenter ce sujet, mais je serai bref.
Dans le mémoire présenté par le Grand Conseil au début des discussions portant sur le processus d'évaluation environnementale et plus tard, il est clairement indiqué que les droits des Cris issus du traité existant sont garantis par la Constitution. Le traité dispose que le Comité consultatif pour l'environnement de la Baie James est le forum officiel et privilégié, et il confère à cet organisme un rôle de supervision dans l'élaboration et la mise en oeuvre de l'évaluation environnementale sur le territoire couvert par l'entente.
Il s'agissait donc de permettre aux Cris de participer aux discussions à un titre autre que celui d'indigents de simples témoins parmi tant d'autres. Que nous nous soyons trouvés dans pareille situation et qu'en plus on n'ait pas tenu compte de nos observations écrites ne sont aucunement reflétées dans le rapport présenté par le ministre au Parlement ni dans le projet de loi, il y a lieu de s'interroger sur le bien-fondé et l'efficacité du processus. Pour les Cris, le projet de loi C-19, à bien des égards, ne s'attaque pas aux vraies questions. On fait beaucoup de rafistolage, de modelage et de polissage pour essayer d'en arriver au processus parfait, mais nous ne sommes pas là au service du processus.
Entre temps, le gouvernement fédéral renonce complètement et ne répond pas à ses obligations dans une grande partie du territoire, un territoire qui fait toujours partie du Canada. Ce sont d'importants projets qui ont des incidences sur d'énormes bassins hydrographiques et qui soulèvent des préoccupations en matière de climat, d'oiseaux migrateurs et d'espèces en voie de disparition. Il est tout à fait inacceptable que le Canada fasse fi du traité et qu'il applique la LCEE comme si elle n'était qu'une annexe venue se greffer après coup au régime provincial en vertu du traité, de sorte qu'aucun des mécanismes d'harmonisation ne fonctionne. C'est ce dont nous traitons dans notre exposé: la mise en application du traité... du processus fédéral. En même temps, on doit veiller à ce que... on ne doit pas simplement s'opposer à la mise en application de la LCEE et recommander la mise en oeuvre du traité, pour qu'ensuite le gouvernement fédéral ne respecte pas de ses engagements en vertu du traité. Cette démarche doit être mixte.
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Barnes, la parole est à vous.
M. Jeff Barnes: Merci, monsieur le président.
Je serai bref, contrairement à M. Franklin qui n'a pas tenu sa promesse. Nous avons travaillé ensemble dans le CCR. Je peux donc le taquiner un peu.
Sur une note plus sérieuse, je trouve qu'il est très difficile de savoir si le processus utilisé par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale était complet ou non. Ce processus comportait non seulement le processus d'entente du CCR, mais aussi une discussion avec les organismes fédéraux et provinciaux et les collectivités autochtones, un processus de consultation publique très complet. Je crois que les divers outils d'examen, les recommandations et la discussion ont fourni une base très solide au projet de loi C-19.
J'aimerais ajouter que d'après surtout mon expérience au sein du CCR, le processus fondé sur un consensus est très efficace. Nos conclusions étaient très semblables à celles que nous avons entendues d'autres forums. J'ai aussi été très heureux de constater que les recommandations du CCR ont grandement contribué au projet de loi C-19. Je crois qu'il s'agissait d'un excellent processus.
À (1030)
Mme Karen Kraft Sloan: Merci, monsieur le président. J'ai une deuxième question à poser à propos du document de M. Gibson.
Vous avez souligné que le projet de loi C-19 propose la reconnaissance officielle des connaissances traditionnelles autochtones et communautaires. Vous poursuivez en expliquant les difficultés que présente l'intégration de ces connaissances au processus d'évaluation et vous parlez de l'espoir que les modifications apportées au projet de loi C-19 règlent ce problème.
On peut ensuite lire que le simple fait de dire que les connaissances communautaires et traditionnelles doivent être prises en considération ne revient pas à exiger qu'elles le soient. Vous ajoutez:
«De plus, le rapport d'examen quinquennal en tant que tel considère les connaissances communautaires et traditionnelles comme étant une initiative de participation du public, et non comme étant une façon d'améliorer la qualité des évaluations environnementales.»
C'est une question entièrement différente de la science, de ce qu'est la science occidentale et de ce qu'est la science autochtone. Je me demande si vous pouvez nous donner votre opinion à ce sujet? J'adresse une fois de plus ma question à M. Saganash, en tant que porte-parole des Cris, ainsi qu'à M. Barnes.
Merci.
M. Robert Gibson: Je conviens que le projet de loi C-19 fait un pas en avant puisqu'il reconnaît de manière symbolique ce genre d'information, qui correspond souvent aux données écologiques et sociales les plus détaillées et les plus complètes.
Je ne faisais que souligner que c'est toutefois un tout petit pas que de prendre en considération un élément qui aurait dû l'être au départ. En fait, logiquement, nous aurions pu croire qu'en tenir compte était obligatoire si l'on tenait à bien faire son travail. On reconnaît ainsi que ce qui semble logique et nécessaire ne se produit pas sur une base assez régulière et qu'il faut à nouveau le mentionner. C'est décevant de constater que cette mention est si faible. On devrait obligatoirement prendre en considération toutes les bonnes informations lorsqu'il s'agit de toute façon d'une variable. Cette exigence ne devrait pas représenter un si grand effort.
Il est simplement révélateur de voir qu'on en parle dans le cadre de participation du public plutôt que comme un moyen d'améliorer le processus. On peut présumer que si ces données sont vraiment utiles—et selon moi ce sont souvent des données cruciales—, elles devraient améliorer le processus. Ce devrait être le principal bénéfice. En associant ces connaissances à la participation du public, nous posons un geste symbolique en vue d'améliorer nos relations publiques. Or, nous ne cherchons pas ici à améliorer des relations publiques, mais bien les évaluations environnementales.
Donc, c'est un peu une insulte. Je suis certain que ce n'était pas, mais cela démontre que nous avons encore du chemin à faire. La distance à parcourir cependant n'est pas bien grande.
[Français]
Mme Ginette Lajoie (coordonnatrice à l'Environnement, analyste, Administration régionale crie, Grand conseil des Cris du Québec (Eeyou Istchee)): J'aimerais ajouter que, quand on parle de savoir autochtone, cela illustre très bien comment la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale n'est pas du tout à la hauteur. De toute façon, elle est très timide quant à la proposition qui est devant nous. Si on fait le lien avec le mémoire du Grand conseil des Cris, cela illustre merveilleusement bien les problèmes fondamentaux que nous avons quant à l'application de cette loi, alors qu'il est déjà prévu, dans le chapitre 22 de la Convention de la Baie-James, une procédure d'évaluation environnementale qui encadre tout ça.
Comme vous l'avez bien mentionné, il y a deux dimensions. Il y a, d'une part, la dimension de la participation. Cela ne veut pas dire que parce qu'on participe, on tient automatiquement compte de façon adéquate de tout le savoir autochtone. C'est un élément à prendre en considération.
Il y a deux éléments dans tout cela. Il y a la participation directe aux comités d'examen dans la procédure d'évaluation environnementale qui, au niveau du chapitre 22, est fondamentale, essentielle et absolument nécessaire, ce que la loi canadienne ne nous donne pas du tout. Par ailleurs, il y a tout l'aspect méthodologique. En amont de tout cela, il faut tenir compte de façon adéquate de tout le savoir autochtone. Ces connaissances sont très vastes et importantes. Il y a peut-être des problèmes d'approche quant à l'incorporation du savoir autochtone. Cet aspect est essentiel.
Le mémoire que nous présentons ici est, encore une fois, une illustration de l'importance de respecter ce qui a été mis en place il y a presque 27 ans. C'est un autre élément qui illustre très, très bien cela.
À (1035)
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Bigras.
[Français]
M. Bernard Bigras: Merci, monsieur le président.
J'ai une autre question qui me vient à l'esprit. Je ne voudrais pas avoir à faire le travail du gouvernement, mais j'aimerais qu'on puisse comprendre l'impact négatif, pour le gouvernement fédéral, de ne pas avoir une entente de mise en oeuvre adéquate avec les Cris en regard du chapitre 22.
Ce que je comprends de la Convention de la Baie-James, c'est qu'elle divise le territoire en territoires désignés de compétence fédérale et de compétence provinciale. Si je ne me trompe pas, il y a trois territoires désignés de compétence provinciale pour un territoire désigné de compétence fédérale. Non? Pas du tout? Je pensais qu'il y avait des territoires désignés 1A, 1B ou autre.
Si je comprends bien les choses, dans la mesure où il y a un accord de mise en oeuvre avec le gouvernement du Québec quant au chapitre 22 de la convention, et dans la mesure où il y a ce que je pourrais appeler une « mésentente » avec le gouvernement fédéral sur l'application et l'interprétation du chapitre 22, avec, pour conséquence, ce que je lis à la page 12, cela se solde par le refus constant d'appliquer le processus fédéral d'évaluation prévu au chapitre 22 aux projets de développement qui, manifestement, comportent des aspects de compétence fédérale. Donc, dans la mesure où il n'y a pas d'entente de mise en oeuvre du chapitre 22 de la convention et dans la mesure où la loi fédérale ne tient pas compte de vos revendications, est-ce qu'en bout de ligne, actuellement, il ne s'agit pas de faire comprendre au gouvernement que la seule harmonisation possible pour votre groupe se fait avec un autre gouvernement qui, lui, a un accord de mise en oeuvre du chapitre 22 qui répond à vos attentes et une certaine loi provinciale qui est peut-être plus adéquate? Donc, au fond, est-ce que le fait de ne pas avoir une entente de mise en oeuvre et le fait d'avoir une loi fédérale d'évaluation environnementale que vous jugez inadéquate ne rendent pas plus difficile la conclusion d'une entente d'harmonisation?
À (1040)
M. Diom Saganash: D'abord, je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'avoir une entente de mise en oeuvre pour mettre en oeuvre une entente ou un traité comme la Convention de la Baie-James. Ce qui a été signé il y a près de 27 ans est un traité qui a été déclaré valide par une loi du Parlement. Donc, normalement, c'est censé s'appliquer de plein droit sans qu'il y ait nécessité d'avoir une autre entente de mise en oeuvre. C'est le premier point que je voulais mentionner.
Deuxièmement, je pense que les propositions d'amendements que nous suggérons et que vous allez retrouver aux pages 30 et 31 de notre mémoire sont suffisamment claires pour que le chapitre 22 de la Convention de la Baie-James et le processus fédéral du chapitre 22 puissent s'appliquer dans les différents projets, notamment celui dont on a discuté amplement ce matin, le projet Eastmain, avec dérivation partielle de la Rupert.
Là-dessus, j'aimerais mentionner une chose. À l'heure actuelle, on est encore en discussion avec le gouvernement du Québec pour savoir quel processus devrait s'appliquer à ce projet. Pour l'instant, le gouvernement du Québec estime qu'il n'y a pas lieu de mettre en oeuvre le processus fédéral prévu au chapitre 22. Cela a été la position traditionnelle du gouvernement du Québec là-dessus. Le gouvernement fédéral semble d'accord avec le gouvernement du Québec là-dessus, et les deux gouvernements se proposent de signer une entente administrative entre eux, en excluant les Cris, contrairement aux dispositions de la Convention de la Baie-James. Donc, on est loin d'une entente par rapport à ce projet et par rapport au processus qui devrait s'appliquer à ce projet.
Il faut convenir que l'Assemblée nationale a fait les choses différemment à la suite de la signature de la Convention de la Baie-James. Elle a adopté une vingtaine de lois après la signature de la Convention de la Baie-James pour ajuster ses propres lois et pour mettre en oeuvre la Convention de la Baie-James. Notamment, en matière d'environnement, il y a un deuxième chapitre à la Loi sur la qualité de l'environnement qui s'applique uniquement aux territoires conventionnés. Donc, il y a un chapitre distinct de la Loi sur la qualité de l'environnement du Québec qui reprend fondamentalement et essentiellement les dispositions que l'on retrouve dans le chapitre 22 de la Convention de la Baie-James en termes de processus.
Le fédéral n'a pas procédé ainsi. Il a plutôt adopté une loi générale qui met en oeuvre et déclare valide la Convention de la Baie-James. Cette loi générale précise que, s'il y avait une loi fédérale qui était incompatible avec la Convention de la Baie-James, les dispositions de la convention devraient l'emporter dans la mesure de leur incompatibilité.
Le problème que nous avons encore aujourd'hui, c'est l'historique de cette convention depuis 27 ans. À chaque fois qu'il y a une loi qui est proposée au Parlement canadien ou à l'Assemblée nationale à Québec, jamais on ne fait référence à cette convention que nous avons signée, qui contient pourtant des dispositions qui devraient garantir des droits et nous garantir une participation adéquate à tous les processus d'évaluation environnementale.
Encore là, les propositions de modifications du projet de loi C-19 ne prennent aucunement en considération ce qui est déjà prévu par la Convention de la Baie-James, d'où notre présence devant vous aujourd'hui pour vous rappeler encore une fois qu'il y a 27 ans, nous avons négocié cette entente.
Cette entente est un mariage à trois, qu'on aime cela ou pas. Comme c'est un mariage à trois, on devrait faire les choses à trois. Il devait y avoir depuis ce temps-là, non pas un dialogue, mais une conversation à trois, ce qui ne se passe pas à l'heure actuelle. Je propose donc que le gouvernement, pour assumer complètement sa responsabilité, incorpore au projet de loi les amendements qu'on propose aux page 30 et 31 de notre mémoire. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président (M. Bob Mills): Mme Kraft Sloan, et ensuite M. Comartin.
Mme Karen Kraft Sloan: Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais poursuivre la discussion que nous avons commencée un peu plus tôt à propos, notamment, de la question de l'information, des données, de la connaissance des peuples autochtones et de la science. Il me semble que quand nous prenons des décisions d'intérêt public, il nous arrive de nous tromper. Je pense que ce comité a pu en voir les effets. Une partie du problème tient à la difficulté de cerner les obstacles et de comprendre le fondement des défis auxquels nous sommes confrontés.
Monsieur Gibson, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre exposé—pardonnez-moi de m'en prendre à vous; j'encourage d'ailleurs les autres à prendre le relais—, dans lequel vous parlez des définitions étroites d'environnement et d'effets environnementaux. Il me semble qu'il y avait un raisonnement préalable élaboré par les témoins et que vous, monsieur Gibson, avez dit essentiellement que s'il y a de l'information là-dedans, nous devrions l'utiliser dans le processus d'évaluation environnementale, parce qu'il s'agit véritablement d'un processus de planification. Vous avez dit que la définition d'«environnement» était trop limitative et qu'il fallait l'élargir. Qu'entend-on par «environnement»? Ce n'est pas seulement l'espace naturel. En tant qu'êtres humains, nous oublions souvent que nous faisons partie de la nature et que la nature est en nous. Je veux dire par là qu'il y a beaucoup d'autres éléments souvent laissés de côté dans le processus.
Je me demande, messieurs Gibson, Saganash et Barnes, si vous pourriez nous dire comment améliorer le projet de loi C-19 et, plus particulièrement, la définition d'«environnement» et d'«effets environnementaux».
À (1045)
M. Robert Gibson: Comme je l'ai dit dans mon exposé, il s'agit d'une pratique courante puisque beaucoup de pays donnent maintenant des définitions plus détaillées dans leur loi sur l'évaluation environnementale. Ce n'est donc pas inhabituel au Canada, lorsqu'il y a un processus d'harmonisation et des commissions mixtes. Dans l'affaire Voisey's Bay, par exemple, impliquant Terre-Neuve et le Labrador, le protocole d'entente avec les Innus et les Inuits offre une définition plus large de l'environnement, parce que cela avait été demandé par les autres parties. Même en vertu de la LCEE, on a observé, de facto, une application large de l'évaluation avec une définition détaillée de ce que l'on entend par «environnement».
De plus, en pratique, en vertu de la loi existante, on a souvent porté attention à ces questions, ne serait-ce que parce que d'ordinaire, l'évaluation environnementale est le seul processus public ouvert permettant de débattre de tous les aspects d'un projet. Ce n'est ni raisonnable ni pratique de refuser aux gens la possibilité de parler de ce qui les touche, et tout se rejoint, nécessairement.
En fait, le processus doit simplement reconnaître une réalité, au quotidien, et être clair pour dissiper la confusion chez tous les intervenants. Il est difficile pour les promoteurs qui examinent la loi, de la respecter pleinement et de constater, qu'en pratique, ils doivent aborder des questions sociales, ce qu'ils feraient de toute façon, ou peut-être pas, ou encore pas dans le cadre adéquat. Cela retarde les choses. Je trouve qu'il est inconcevable que nous n'ayons pas encore résolu ce problème. Mais comme c'est si simple à faire, cela me semblait assez évident et facile à préparer.
Mme Karen Kraft Sloan: Nous parlons tous les deux de la relation entre les différents éléments. Donc, il ne s'agit pas, comme vous l'avez dit auparavant, d'opposer les choses, mais de les intégrer les unes aux autres et de voir comment elles s'articulent.
M. Robert Gibson: C'est exact, même si je ne devrais pas être exagérément simpliste et apparaître comme quelqu'un de naïf.
La question soulevée précédemment par M. Mills, au sujet de l'équilibre, est tout à fait judicieuse. Il faut toujours trouver des compromis. Mais je soutiens que ce n'est pas entre les considérations sociales et environnementales. C'est peut-être entre l'efficacité et l'équité. Il faut s'occuper des choses qui nous intéressent vraiment pour créer un environnement durable.
Je viens de préparer un document assez détaillé, dans le cadre d'un projet de recherche et de développement mené par l'Agence canadienne d'évaluation environnementale, sur la façon de prendre des décisions importantes axées sur la durabilité—l'une des grandes questions de la loi. Cela dépend de la façon dont on s'y prend pour élaborer les processus permettant de déterminer les véritables compromis à faire sur les questions qui nous importent. Les choses qui comptent vraiment ne se classent pas dans la catégorie du milieu social. Ce sont des choses comme l'intégrité d'un système social et écologique, en reconnaissant qu'il y a, dans à peu près chaque environnement qui nous intéresse, des gens dont nous devons tenir compte aux fins d'évaluations environnementales.
Comment améliorer l'efficience dans l'utilisation de l'énergie et des matériaux, qui représente à la fois une problématique sociale, commerciale et environnementale? Comment garantissez-vous une meilleure équité entre les générations ou au sein des générations? Voilà les questions auxquelles il faut répondre si on veut garantir un développement durable et, parfois, les réponses sont contradictoires. Donc, vous devez décider quels compromis vous êtes prêts à faire et sur quels terrains vous ne voulez pas céder. Ce n'est pas une question insignifiante, loin de là. C'est un sujet qui mérite la plus grande attention, et qui l'obtient, puisque nous sommes en train de nous occuper de l'évaluation de la durabilité dans toutes sortes d'instances.
Mme Karen Kraft Sloan: Pour clarifier ce que vous venez de dire, nous ne parlons pas d'opposer des critères socioéconomiques à des critères écologiques, mais d'opposer l'équité à l'efficacité. Quand nous classons les choses dans des catégories ou un cadre conventionels, nous faisons référence à quelque chose d'autre.
À (1050)
M. Robert Gibson: C'est sûr. Il y a certainement des cas où, par exemple, si quelqu'un décide d'augmenter le prix de l'essence dans le but d'accroître l'efficacité énergétique, l'effet négatif d'une telle décision sera probablement davantage ressenti par les pauvres, ceux qui ont une vieille voiture cabossée pour aller travailler ou ceux qui n'ont pas accès au transport en commun. C'est un exemple où l'intégrité écologique et sociale à long terme est en conflit avec votre désir d'être équitable et de ne pas alourdir le fardeau des plus défavorisés. Vous devez trouver une autre solution. Si vous admettez qu'il y a une contradiction, vous cherchez des solutions de rechange pour obtenir les mêmes résultats. Ce n'est pas simple, mais le monde n'est pas simple non plus et il faut faire avec.
M. Brian Craik: J'aimerais faire quelques commentaires supplémentaires à propos de la connaissance des peuples autochtones et de la question que vous avez posée. J'imagine que quand le problème touche un projet particulier, lorsque nous parlons de compromis, nous parlons, dans un sens, du type de compromis qui est atteint, parce qu'il en faut un, naturellement. À mesure que le processus d'évaluation avance, nous voyons que certaines choses fonctionnent et d'autres pas. Nous essayons donc de repousser les frontières de notre évaluation de façon à obtenir certaines garanties et à ce des emplois soient créés dans le village visé, par exemple.
Ainsi, la connaissance des peuples autochtones ne doit pas être perçue comme quelque chose de statique. Cette connaissance émane toujours des gens qui sont sur le terrain et qui interagissent avec l'environnement. Il y a un grand dilemme moral entourant la connaissance autochtone parce que, dans une certaine mesure, vous pouvez en saisir quelques aspects—en compilant, disons pendant cinq ans, toutes ces connaissances dans un ordinateur—, mais la crainte des Autochtones à ce stade, ou des communautés locales, si nous n'avons pas affaire à des Autochtones, c'est d'être exclus en quelque sorte du processus, parce que quelqu'un d'autre, qui voit l'ensemble du problème, en sait plus qu'eux.
Il faut trouver un équilibre, et il n'y a rien qui puisse remplacer une certaine forme de participation équitable des gens sur le terrain, combinée à la collecte de données ou d'informations pouvant être utilisées par les personnes de ce comité, de façon à mieux comprendre ce que les gens sur le terrain perçoivent, comment ils comprennent la situation, et aussi pour avoir un meilleur aperçu des questions scientifiques et sociales qui se posent et qui ne sont pas évidentes à saisir sans cette connaissance du terrain.
M. Jeff Barnes: Monsieur le président, je crois que des gens, ici, ont une perception erronée de la situation, à cause du point de vue exprimé par M. Gibson, selon lequel, d'une certaine façon, les effets socioculturels et économiques sur l'environnement ne peuvent être évalués dans le cadre de la LCEE. C'est faux.
Lorsqu'on a rédigé la LCEE, je pense qu'on a très soigneusement tenu compte, dans la définition d'«environnement», des questions de compétences fédérale et provinciales en matière sociale et culturelle. On considérait que cette définition était appropriée, équilibrée et qu'elle reflétait bien la compétence fédérale.
Maintenant, permettez-moi d'ajouter que les effets environnementaux provoquant des changements socioculturels ou économiques doivent être précisés dans toute évaluation faite en vertu de la LCEE. En outre, certaines questions plus importantes—qu'elles soient culturelles, liées à l'emploi ou aux projets—peuvent être incluses. Cela nous ramène à mon point précédent sur la détermination de la portée. L'alinéa 16(1)e) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale permet à l'autorité ou au ministre responsable de prendre en compte «tout autre élément». Lorsque vous établissez la portée de l'évaluation avec la participation du public et des intervenants, vous pouvez, dès le début de l'évaluation, dégager les questions qui méritent d'être évaluées, les inclure et les articuler autour de la détermination de la portée.
Le problème que pose la modification de la définition et ce qu'il semblerait logique de faire, c'est que pour les 4 500 évaluations de projets n'ayant pas une incidence significative sur l'environnement, ou au moins sur la gérabilité des effets environnementaux, il faut quand même prendre en compte les dimensions socioculturelles et économiques. Le résultat est que, dans bien des cas, on pousse l'évaluation des projets trop loin, inutilement, je crois.
Par exemple—et là encore je dois corriger M. Gibson lorsqu'il dit que nous n'avons qu'à évaluer les effets néfastes—, je suis d'accord sur le fait que, dans la pratique, on met l'accent sur les effets négatifs des projets, mais la loi dit qu'il faut évaluer les effets environnementaux des projets, cela veut dire pas seulement les effets négatifs, mais aussi les effets positifs. Une évaluation environnementale qui ne tiendrait pas compte de cela ne respecterait pas les exigences de la loi. De mon point de vue, nous devons pousser les autorités compétentes à faire leur travail, à cerner les problèmes et à s'assurer que les évaluations environnementales tiennent compte, de manière appropriée, des questions socioculturelles et économiques importantes, tout en respectant les efforts requis pour mener à bien ces évaluations et la compétence du gouvernement fédéral.
Merci.
À (1055)
Le vice-président (M. Bob Mills): Très brièvement, monsieur Gibson, souhaitez-vous répondre?
M. Robert Gibson: Je vous remercie.
Les questions sociales relèvent, à mon avis, de la compétence fédérale. J'imagine que ceux d'entre vous qui ont eu affaire au pouvoir fédéral seront bien au courant de tout ce que le gouvernement fait dans le domaine social. L'histoire, si j'en juge par le nombre d'années que j'ai passées à travailler sur le processus, porte davantage sur la question de la compétence au sein du gouvernement qu'entre les gouvernements.
Mon éminent collègue a raison quand il dit qu'on peut considérer ces questions comme des choses additionnelles pouvant s'ajouter au processus. Le problème, c'est qu'on les ajoute tard. Je pense que les promoteurs tiennent compte de ces questions, de toutes façons. Ils doivent souvent le faire car ils relèvent d'autres compétences qui l'exigent. Je ne vois vraiment pas comment on peut se fonder sur une identification tardive et rétroactive des conséquences sociales directes. Bien d'autres instances sont spécialistes en la matière.
Y a-t-il autre chose à faire? Oui. Mais je pense que nous commençons par parer au plus pressé et ensuite nous nous efforcerons de voir comment rendre le processus plus efficace et consacrer nos ressources à des choses essentielles. Cela peut avoir une incidence sur la façon dont on effectue l'examen préalable, etc. Je suis prêt à poursuivre la discussion là-dessus.
Par ailleurs, la loi ne précise pas qu'il faut évaluer les effets positifs, mais elle le permet certainement. Cependant, les principales fonctions décisionnelles décrites dans la loi disent qu'il faut éviter les effets néfastes majeurs, un point c'est tout.
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Barnes, vous faites non de la tête. Pour éviter que M. Comartin... Au moins, il ne sera plus jamais en retard. Brièvement, monsieur Barnes. Ensuite, nous passerons à M. Comartin.
M. Jeff Barnes: Il n'y a rien de mieux qu'un exemple. Supposons qu'on effectue une évaluation des effets environnementaux d'un projet très simple, financé par un ministère fédéral, dans un milieu urbain, disons un parc industriel de la banlieue d'Ottawa, et que l'on part du principe que tous les effets environnementaux, y compris les effets socio-économiques, seront pris en compte. On constate qu'il faudra embaucher 10 travailleurs pour assurer la construction de l'immeuble.
Or, l'embauche de 10 travailleurs, à Ottawa a, indubitablement, un impact positif sur l'environnement. Toutefois, cet impact doit être évalué dans le cadre de l'examen préalable dont fera l'objet ce projet de petite envergure. Pourquoi? Dans quel but? Cette démarche ne fait qu'accroître les formalités et élargir la portée de l'évaluation environnementale, sans procurer d'avantage net. Or, les facteurs économiques, dans le cas des projets d'envergure, sont inclus dans l'évaluation. Ils sont inclus quand ceux-ci ont un effet direct, comme on l'a déjà mentionné.
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor--St. Clair, NPD): Merci, monsieur le président.
Je voudrais d'abord m'excuser auprès des membres du comité et des témoins. Si je suis arrivé en retard, c'est que j'avais un problème urgent à régler, un problème qui ne pouvait attendre.
Ma question s'adresse à M. Gibson. Encore une fois, je m'excuse si on a déjà abordé le sujet, mais j'estime que la question est très importante et je veux savoir ce qu'il en pense.
Monsieur Gibson, concernant le problème 4 que vous exposez dans votre mémoire, vous faites allusion à l'annexe qu'a préparée la West Coast Environnemental Law Association en 1994, et je ne comprends pas très bien ce que vous voulez dire. Je ne sais pas où, dans le projet de loi C-19, vous voulez qu'on apporte afin que la loi vise, comme vous le dites, des entreprises «au niveau stratégique des politiques, des programmes et des plans». Quelles sont les dispositions du projet de loi C-19 qu'il faudrait modifier? Pouvez-vous nous le dire?
Ensuite, j'aimerais savoir si vous avez un libellé précis à nous proposer pour régler ce problème, un libellé que nous pourrions utiliser comme proposition de modification.
Á (1100)
M. Robert Gibson: Il y a une proposition de modification détaillée dans le mémoire de la West Coast Environmental Law, que nous avons soumis il y a environ huit ans. Il y a également une proposition de modification détaillée, quoique différente mais tout aussi valable, dans le mémoire de l'Association canadienne du droit de l'environnement, que vous avez déjà reçu, bien que le groupe n'ait pas encore témoigné. Des propositions détaillées ont été soumises.
Le projet de loi C-19 n'aborde pas cette question de façon directe. Je ne sais pas si le comité est prêt à envisager des modifications qui dépassent la portée immédiate du projet de loi. Je suppose qu'on l'a déjà fait dans le passé. Je m'en remets à vos connaissances.
Pour ce qui est de l'autre point, on a posé, plus tôt, une question à ce sujet. Si le comité ne se sent pas prêt à soumettre ce texte au Parlement, on devrait pouvoir, à tout le moins, insister sur le fait que des modifications doivent être apportées au cours des années à venir, peut-être lors du prochain examen quinquennal de la loi. Le comité pourrait recommander, dans un nouveau rapport, que le service de recherche du Parlement se penche là-dessus, qu'il examine les changements qui pourraient apportés à la LCEE.
J'imagine qu'il existe divers moyens d'assurer le suivi de ces travaux, de faire en sorte qu'on fournisse, au Parlement, un rapport sur les options envisagées, leurs points forts et leurs faiblesses. Je pense que vous pourriez poser un geste audacieux et accepter le libellé que nous avons proposé, sauf que je suis certain que quelqu'un d'autre voudra y jeter un second regard, et pas seulement au Sénat.
Le vice-président (M. Bob Mills): Monsieur Tonks.
M. Alan Tonks (York-Sud--Weston, Lib.): Je voudrais poser une question à M. Saganash.
Merci à tous d'être venus.
Pour ce qui est des traités et des relations entre nations, j'ai fait partie de comités qui se sont penchés sur l'équité en matière d'emploi et les espèces en péril, et il nous est arrivé, dans le cadre de nos travaux, de discuter des relations entre nations.
Est-ce que le projet de loi va au-delà de ces considérations, autrement dit est-ce qu'il permet d'harmoniser, de rationaliser les relations entre les conseils de bande pour ce qui est des terres cédées en vertu d'un traité? Est-ce que les dispositions qui visent à accroître les fonds de participation, qui donnent aux conseils de bande le pouvoir d'exercer un contrôle sur les évaluations environnementales ne constituent pas un pas dans la bonne direction, et ce, même si la question des relations entre nations, que nous espérons régler un jour, continue de poser problème? Ne croyez-vous pas que le projet de loi constitue un pas en avant, en ce sens qu'il va au-delà de ces considérations?
M. Diom Saganash: D'abord, pour ce qui est des relations entre nations, c'est-à-dire entre les gouvernements et les Premières nations, très souvent, ces relations sont définies dans les traités que nous signons. Comme je l'ai mentionné et comme j'ai essayé de vous l'expliquer, nous avons défini ces relations, dans notre cas, en 1975.
Bon nombre des dispositions, des concepts et des principes visés par l'article 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois sont jugés progressistes. On parlait déjà à l'époque, il y a près de 27 ans de cela, de la protection de l'environnement et du milieu social. C'est d'ailleurs comme cela que s'intitule le chapitre 22 de la Convention—régime de protection de l'environnement et du milieu social.
Il y a de nombreuses raisons à cela. D'abord, un grand nombre de Cris tenaient à ce que leur mode de vie traditionnel soit protégé. Un grand pourcentage de nos membres continuent de vivre de la chasse, de la pêche et du piégeage dans le grand territoire de la Baie James. Ils tiennent à ce que la loi sur l'environnement continue de protéger ce mode de vie.
Il est vrai que certaines dispositions du projet de loi sont progressistes. Toutefois, ce que j'essaie de vous dire, c'est que j'ai l'impression que le comité tente de réinventer la roue avec ce projet de loi. Les Cris de la Baie James ont déjà signé un traité. Les concepts que vous proposez dans ce projet de loi figurent déjà dans bon nombre des dispositions du traité que nous avons signé en 1975.
Ensuite, la Loi sur les indiens ne s'applique pas aux Cris. Comme vous le savez, le chapitre 9 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois traite de l'autonomie gouvernementale. De plus, la Loi sur les Cris et les Naskapis du Québec remplace depuis 1984, dans le cas des Cris et des Naskapis, la Loi sur les Indiens.
Comme je l'ai dit plus tôt, le chapitre 22 de la Convention de la Baie James et du Nord québécois prévoit, outre les processus d'évaluation et d'examen provinciaux et fédéraux, des processus d'examen locaux. Encore une fois, c'est quelque chose que nous avons négocié en 1975. C'est essentiellement ce que nous demandons.
Je l'ai dit plus tôt: le Parlement ne tient jamais compte des dispositions de ce traité quand il propose d'adopter une nouvelle loi, de rédiger un projet de loi ou d'élaborer des règlements. On a presque tendance à oublier la Convention de la Baie James et du Nord québécois quand on rédige un projet de loi ou qu'on élabore des règlement. On n'en tient jamais compte.
Notre message, essentiellement, est le suivant: à notre avis—et j'insiste là-dessus—la Convention de la Baie James et du Nord québécois prévoit de nombreuses garanties qui ne figurent pas dans le projet de loi dont vous êtes saisi. La Convention nous garantit une place au sein des comités d'évaluation et d'examen, ce que ne fait pas nécessairement la LCEE.
La Convention de la Baie James et du Nord québécois précise que les projets seront évalués en fonction des principes directeurs énoncés à l'article 22.2.24 de l'entente, chose que ne fait pas la LCEE.
Le traité prévoit de nombreuses garanties qui ne figurent pas dans le projet de loi. Par conséquent, il va sans dire dans les cas où il y aura incompatibilité entre la loi et l'entente, c'est la Convention de la Baie James et du Nord québécois qui l'emportera. C'est là un principe de la loi constitutionnelle de ce pays.
Á (1105)
M. Brian Craik: Je tiens à ajouter que les Cris font partie des comités d'examen qui exercent un droit de regard sur l'ensemble de leur territoire traditionnel, qui couvre environ 310 000 kilomètres carrés. Ils participent, de concert avec le Québec et le Canada, aux décisions qui touchent le développement de leur territoire.
Il y a des bandes, au Canada, qui ont l'impression que le projet de loi va s'appliquer aux terres de réserve, mais peut-être pas sur l'ensemble du territoire visé par traité qui leur appartient. La viabilité de ces collectivités dépend des relations qu'elles entretiennent avec l'environnement.
Á (1110)
Le vice-président (M. Bob Mills): Il n'y a pas d'autres questions.
Je tiens à remercier les témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui.
Le comité se réunira jeudi, à 9 heures. Merci.