CITI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION
COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 21 avril 1999
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.)): Nous commençons la rencontre du mercredi 21 avril. C'est la 51e séance du Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Conformément à un ordre de renvoi de la Chambre daté le 1er mars 1999, nous continuons l'examen du projet de loi C-63, Loi concernant la citoyenneté canadienne.
Nous avons plusieurs témoins à entendre cet après-midi. Avant de donner la parole au Conseil canadien pour les réfugiés,
[Traduction]
je voudrais souhaiter la bienvenue à tout le groupe du Forum pour jeunes Canadiens qui est ici. Je suis contente que vous ayez choisi le comité de l'immigration pour venir observer comment nous exerçons notre démocratie canadienne.
Les divers partis qui forment l'opposition sont représentés ici: le Parti réformiste, le NPD et le Parti progressiste conservateur. Le député du Bloc arrivera dans quelques minutes. De ce côté-ci, il y a les libéraux, le parti actuellement au pouvoir. Je suis moi-même députée libérale. Je m'appelle Raymonde Folco et je préside la séance à la place du président habituel du comité qui est absent.
Sachez que—j'espère que ça ne vous dérange pas que je prenne quelques secondes de notre temps—nous allons entendre des témoins qui vont nous faire part de leur réaction à un projet de loi concernant la citoyenneté canadienne, qui a été présenté à la Chambre des communes. Nous avons déjà entendu plusieurs témoins et, aujourd'hui, ce sont des représentants du Conseil canadien pour les réfugiés qui sont venus témoigner.
Le Comité tient des réunions pour entendre des témoins et, par la suite, il rédigera à partir de tous ces témoignages un rapport que nous présenterons à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration dans l'espoir qu'elle amendera son projet de loi en tenant compte de nos remarques. Ensuite, elle présentera le projet de loi une troisième fois à la Chambre des communes qui l'adoptera en troisième lecture.
Voilà comment les choses se passent. Merci beaucoup d'avoir choisi notre comité.
[Français]
Je donne maintenant la parole à Mme Aiken, qui va parler au nom du Conseil canadien pour les réfugiés. Soyez les bienvenus, madame Aiken et monsieur Rico-Martinez.
[Traduction]
Mme Sharryn Aiken (présidente sortante, Conseil canadien pour les réfugiés): Merci beaucoup. Nous vous sommes extrêmement reconnaissants de nous permettre de comparaître cet après-midi.
Je vais commencer par vous présenter sommairement le Conseil canadien pour les réfugiés. C'est une organisation-cadre nationale vouée d'une part à la défense des droits des réfugiés tant au Canada que dans le monde entier et, d'autre part, à l'établissement des réfugiés et des immigrants ici même au Canada. Nous nous préoccupons particulièrement du respect des droits fondamentaux des nouveaux arrivants et de la réussite de leur intégration. Nous avons des organisations membres de St. John's, Terre-Neuve, jusqu'à Victoria, Colombie-Britannique.
Nous sommes venus vous parler aujourd'hui de préoccupations concernant le projet de loi C-63 qui, à notre avis, sont très importantes. Je vais consacrer notre brève déclaration préliminaire à l'exposé de quatre questions précises qui nous intéressent particulièrement. Nous espérons d'ailleurs avoir la possibilité de nous étendre sur ces sujets à la période des questions.
Ces quatre questions sont les exigences linguistiques; la création d'une catégorie de citoyens de deuxième ordre au moyen du pouvoir d'annulation, de révocation et d'interdiction; la période de résidence exigée; et, enfin, l'apatridie.
Je vais donc commencer par la question de la langue. Une disposition du projet de loi C-63, plus particulièrement son article 6, vise à supprimer l'aide des interprètes. Le projet de loi C-63 exige à la fois une connaissance suffisante de l'anglais ou du français et la capacité d'exprimer sa connaissance du Canada dans l'une des langues officielles sans l'aide d'un interprète. C'est nouveau. À notre avis, cette disposition aura un effet disproportionné sur tous les immigrants dont la langue maternelle n'est pas l'anglais ni le français. Elle pénalisera surtout certaines personnes extrêmement vulnérables qui ont une difficulté particulière à apprendre une nouvelle langue—par exemple les personnes âgées, les immigrantes qui sont chefs de famille monoparentale et qui ont moins accès à des cours de langue, et les réfugiés qui ont réchappé de la torture et d'autres graves événements traumatisants.
Nous croyons que l'obligation de communiquer sans l'aide d'un interprète sa connaissance du Canada, qui peut d'ailleurs être assez compliquée et complexe—par exemple, la procédure électorale—porte atteinte aux droits à l'égalité garantis à l'article 15 de la Charte des droits et viole aussi d'autres dispositions fondamentales de la Charte, à savoir l'article 14 qui garantit à quiconque le droit à un interprète et l'article 27 qui confirme le caractère multiculturel très fondamental de notre pays. Manifestement, l'origine nationale et la langue sont des composantes capitales du multiculturalisme canadien.
• 1540
La disposition du projet de loi C-63 proposant d'éliminer
l'aide des interprètes nous inquiète énormément; nous prions donc
le gouvernement d'y repenser et de la supprimer.
Au sujet de notre deuxième préoccupation, le Conseil canadien pour les réfugiés craint sérieusement l'adoption de nouvelles mesures qui permettront d'annuler la citoyenneté, de la révoquer ou d'interdire son attribution, et de dépouiller les citoyens naturalisés de leur citoyenneté sans que leur soit offerte la protection des voies de droit régulières. À cet égard, nous voudrions souligner quelques observations clés.
Tout d'abord, au sujet de la révocation, le projet de loi C-63 propose qu'on ne fasse plus de distinction entre les fausses déclarations faites sciemment et les autres. Même les erreurs de bonne foi seront visées par ces dispositions et pourraient mener à la révocation de la citoyenneté.
Laissez-moi vous donner un exemple des catégories de personnes dont on craint qu'elles feront l'objet de cette nouvelle procédure. Prenons comme exemple une jeune femme nommée Hala, une de mes clientes, une jeune Somalienne de 17 ans et demi qui a été un témoin oculaire du meurtre de son père et de sa mère dans son village en Somalie. Elle a réussi à se sauver avec l'aide de sa parenté et s'est retrouvée dans un camp de réfugiés au Kenya où elle était encore très gravement traumatisée. Elle a été interrogée par un employé du HCR qui l'a informée de la possibilité d'être réétablie au Canada en vertu d'un programme appelé Femmes à risque. Comme elle était effectivement en danger, ce programme pouvait accélérer son réétablissement au Canada. Elle avait subi un traumatisme extrême.
L'employé du HCR lui a dit que ses chances d'être réétablie au Canada seraient bien meilleures si elle était célibataire et qu'elle ne devait donc pas mentionner si elle avait un fiancé ou une autre relation. La jeune femme a donc suivi ce conseil et n'a pas mentionné aux autorités canadiennes qu'elle était effectivement fiancée. Une fois arrivée au Canada, elle a rencontré un avocat pour la première fois—c'était moi—et elle a appris qu'elle avait en réalité dissimulé un fait essentiel la concernant. Elle ne l'a pas fait délibérément; elle suivait simplement les conseils d'un sage, c'est-à-dire d'une personne en autorité.
À cause de cette simple erreur, que l'ancienne procédure a permis de corriger facilement, quelqu'un comme Hala subirait de très graves conséquences en vertu des nouvelles dispositions du projet de loi C-63. Cela nous inquiète énormément.
Nous constatons aussi qu'aux termes du projet de loi, la citoyenneté des enfants sera révoquée à cause d'une erreur commise par leurs parents, même si celle-ci n'a rien à voir avec eux, indépendamment du temps qu'ils auront passé au Canada et de tout autre fait pertinent. Il est évident que la révocation de la citoyenneté des enfants dans de telles circonstances n'est pas dans leur intérêt et contrevient tant à la lettre qu'à l'esprit des obligations du Canada aux termes de la Convention de l'ONU sur les droits de l'enfant, puisque la Convention prévoit expressément que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de ceux-ci doit être une considération primordiale.
En ce qui concerne le nouveau pouvoir d'interdire l'attribution de la citoyenneté pour des motifs d'intérêt public et de sécurité nationale, nous avons certaines inquiétudes que nous voulons souligner.
Tout d'abord, nous avons de sérieux doutes au sujet du respect du droit de chaque demandeur à l'application des principes de justice fondamentale. Nous craignons que les nouvelles dispositions de ces articles ne créent collectivement le risque que l'exécutif jouisse d'un pouvoir discrétionnaire abusif de refuser la citoyenneté pour des motifs politiques. À cet égard, nous sommes particulièrement inquiets que le terme «intérêt public» ne soit défini nulle part dans le projet de loi.
Nous voulons aussi insister sur certaines craintes concernant la façon dont est actuellement appliqué le critère des menaces envers la sécurité du Canada actuellement défini par le SCRS, parce que c'est parfois fait d'une façon parfaitement incompatible avec les libertés individuelles d'association et d'expression.
• 1545
Bref, les propositions visant à refuser tout droit d'appel ou
de révision judiciaire sont incompatibles avec les valeurs
démocratiques de notre pays, des valeurs que nous estimons
essentielles dans toute société saine. Et ces propositions sont
farcies de nouvelles mesures qui priveront les gens de leur droit
fondamental aux voies de droit régulières dans tous ces domaines.
Ça ne veut pas dire que le Conseil canadien pour les réfugiés ne
partage pas les craintes concernant ceux qui constituent des
menaces sérieuses envers la sécurité et qui ne méritent vraiment
pas la citoyenneté canadienne, mais nous croyons que toute
procédure doit être juste, équitable et compatible avec notre
propre Charte des droits et libertés.
Je vais maintenant passer à la troisième question, celle de la prolongation de la période de résidence obligatoire, en insistant sur un aspect en particulier. À notre avis, il n'existe aucune justification valable de prolonger la période de résidence obligatoire de façon que les demandeurs ne puissent plus compter le temps passé au Canada avant d'avoir obtenu le statut de résident permanent.
Selon nous, une telle disposition pénalise injustement les réfugiés qui ont passé des années, bien souvent, à attendre l'audition de leur demande de statut de réfugié, puis à attendre la décision finale sur la reconnaissance du statut de réfugié et, enfin, à attendre de nombreuses autres années encore qu'on leur accorde le statut de résident permanent. Comme les réfugiés au sens de la Convention sont tenus de produire des pièces d'identité satisfaisantes, de nombreux réfugiés attendent même de cinq à sept ans avant d'obtenir le statut de résident permanent au Canada. Cet état indéterminé provoque énormément d'insécurité et d'anxiété chez les réfugiés. Le Conseil canadien pour les réfugiés craint qu'en prolongeant encore plus la période de résidence obligatoire pour l'obtention de la citoyenneté, on envenimera la situation d'individus déjà très vulnérables tout en retardant et gênant la réussite de l'intégration des réfugiés et des immigrants. Voilà pourquoi nous sommes très inquiets.
Je veux souligner un dernier point dans mes remarques liminaires. Il s'agit de nos obligations aux termes de la Convention sur la réduction des cas d'apatridie. Il est vrai que le projet de loi prévoit certaines mesures contre l'apatridie, mais nous prions le gouvernement d'énoncer clairement, dans la loi même, l'objectif d'empêcher l'apatridie et d'étendre la portée des dispositions concernant l'attribution de la citoyenneté afin que tout enfant né d'un Canadien ou d'une Canadienne qui, autrement, serait apatride, obtienne la citoyenneté canadienne. Il faudrait donc énoncer ça clairement et explicitement sous forme d'objectif afin que toutes les dimensions de la loi soient compatibles avec nos obligations internationales.
Voilà qui termine nos remarques préliminaires. Je voudrais maintenant céder la parole à mon collègue M. Francisco Rico- Martinez. Il espère répondre à vos questions ou étoffer certaines de nos observations.
Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci.
Nous allons plutôt passer à la période des questions, en commençant par M. McNally. On vous écoute, monsieur McNally.
M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Réf.): Merci, madame la présidente.
Je vous remercie d'être venus aujourd'hui. Vous avez soulevé certains points intéressants, des points qui, je le précise, ont déjà été abordés par d'autres groupes venus aussi témoigner devant nous.
J'ai quelques questions à vous poser, tout d'abord au sujet de votre remarque sur le refus d'accorder la citoyenneté pour des motifs politiques. Je pense que vous avez dit ça. Pourriez-vous préciser un peu quel effet, selon vous, le projet de loi aurait à ce sujet?
M. Francisco Rico-Martinez (président, Conseil canadien pour les réfugiés): Oui. Ce que nous voulons dire essentiellement c'est que la sécurité nationale et l'intérêt public pourraient servir de prétexte à des décisions extrêmement politisées. Par conséquent, celui qui serait pénalisé par une telle décision devrait pouvoir se prévaloir des voies de droit régulières pour se défendre, pour faire valoir ses arguments et pour s'expliquer. Il doit avoir des recours contre certaines décisions, mais ce n'est pas prévu dans le projet de loi.
Les voies de droit régulières ne seraient pas suivies, notamment dans les cas où les éléments d'intérêt public pour lesquels on refuserait d'attribuer la citoyenneté seraient des facteurs très politisés dépendant soit du parti du gouvernement au pouvoir dans le pays d'origine du demandeur, soit du passé de cette personne et du gouvernement établi ici. Nous avons différents exemples de la façon dont cette situation, à certaines époques au Canada, a entraîné une certaine politisation des décisions concernant la citoyenneté.
• 1550
Laissez-moi vous présenter un exemple patent. Prenons M.
Mandela, par exemple. Avant, Mandela n'était pas du tout considéré
comme un héros. Aujourd'hui, il a droit à un accueil princier et on
le traite comme un vrai héros, un être humain qui a totalement
transformé la situation que les pays occidentaux avaient connue,
celle de l'apartheid. Il y a 15 ans, il était en prison.
Si l'on appliquait ce concept d'une motivation politisée à la décision d'accorder ou non la citoyenneté canadienne à une personne se trouvant dans la situation que je viens de décrire, Mandela, en l'occurrence, aurait eu énormément de difficulté à obtenir la citoyenneté canadienne il y a 15 ans. Il faut que les gens le sachent. La situation a changé, mais le climat politique aussi.
Voilà pourquoi quelqu'un qui a pu être impliqué dans quelque chose autrefois, qui pourrait constituer un risque politique ou un risque pour la sécurité doit avoir le droit de défendre sa cause et de faire appel au besoin en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne.
M. Grant McNally: D'accord, merci.
Nous sommes en train d'étudier un projet de loi sur la citoyenneté et vous, vous représentez une organisation pour les réfugiés. Dans votre esprit, il y a manifestement un lien entre les deux. Les gens doivent arriver de quelque part avant de devenir citoyens canadiens. Bien entendu, les réfugiés font partie de cette catégorie. Je présume donc que vous faites ce lien comme moi et comme d'autres aussi.
Vous avez aussi mentionné l'idée d'être dans un état indéterminé, d'être apatride, en précisant combien c'est un problème dans le système actuel. Vous dites que, d'après vous, cette loi va envenimer la situation.
Vous avez parlé d'établir une procédure qui mettrait dans la balance ceux qui risquent d'abuser du système par opposition à ceux qui ont vraiment besoin de la protection du Canada. Si je ne m'abuse, on a dit qu'il fallait une procédure juste et équitable. Je me demande à quel type de procédure vous songez; quelles dispositions seraient meilleures que celles figurant dans le projet de loi?
M. Francisco Rico-Martinez: Voulez-vous répondre à la question?
Mme Sharryn Aiken: Si je comprends bien, vous ne songez pas uniquement à l'apatridie.
M. Grant McNally: Non.
Mme Sharryn Aiken: Les observations que nous avons faites au sujet des voies de droit régulières se rapportaient en fait aux dispositions concernant l'annulation, la révocation et l'interdiction.
M. Grant McNally: C'est vrai.
Mme Sharryn Aiken: Nous ne croyons certainement pas qu'il faut dépouiller les tribunaux de leur fonction de révision dans les affaires de citoyenneté. L'abolition de la révision judiciaire de ces décisions tout à fait critiques est foncièrement injustifiée, en particulier parce que le refus d'accorder la citoyenneté ou la décision de la révoquer ont des conséquences dramatiques. Nous visons essentiellement les procédures qui pourraient éventuellement aboutir à l'expulsion du Canada et qui, dans le cas des réfugiés, rendraient passibles d'expulsion des gens qui pourraient encore être à risque. Ce sont donc ceux-là même qui ont vraiment besoin de bonnes garanties judiciaires.
Nous trouvons tout à fait incompréhensible de conférer à l'exécutif la prérogative exclusive de prendre des décisions en la matière, d'être en fait à la fois juge et partie. Sans les tribunaux qui jouent un rôle de surveillance très important, on risque la prise de décisions très arbitraires. C'est dangereux.
On n'a jamais entendu dire que les appels dans les affaires de citoyenneté bloquaient le système et faisaient entrave à la justice. À notre avis, les dispositions ne survivront pas à une contestation de leur constitutionnalité; elles sont erronées au départ et ont besoin d'être repensées.
M. Grant McNally: D'accord. Vous croyez donc que si le projet de loi était adopté tel quel, sans amendement, la constitutionnalité de plusieurs de ses dispositions serait sérieusement discutable. Je sais que vous les avez mentionnés, mais quels articles problématiques voulez-vous signaler au comité?
Mme Sharryn Aiken: Ce sont toutes les dispositions prévoyant que les décisions sont sans appel.
À la partie 4 sur les interdictions, il y a les décisions prises dans l'intérêt public. Au paragraphe 22(3): «Le décret est définitif et [...] non susceptible d'appel ni de contrôle judiciaire». Pour la sécurité nationale, au paragraphe 27(3), le libellé est le même. Ensuite, à la partie 2, il y a les décisions concernant la révocation qui peuvent faire l'objet d'un appel à la section de première instance dont la décision sera pourtant définitive.
• 1555
Les citoyens canadiens ont plus de droits pour en appeler de
leurs contraventions dont on ne peut pas dire qu'elles soient aussi
lourdes de conséquences pour les droits fondamentaux que ce qui est
proposé dans le projet de loi. C'est problématique.
M. Francisco Rico-Martinez: La discussion au Conseil canadien pour les réfugiés a essentiellement tourné autour du fait que le droit d'appel allait devenir une exception après l'adoption du projet de loi alors qu'il est actuellement la règle comme le veut la tradition canadienne.
M. Grant McNally: Bien. Donc, le vaste pouvoir discrétionnaire concentré entre les mains de quelques-uns est très...
M. Francisco Rico-Martinez: Il est entre les mains de l'exécutif. De plus, cette impossibilité de faire appel des décisions, ce n'est pas rassurant.
M. Grant McNally: D'accord. Merci.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur McNally.
Monsieur Martin, vous avez une question?
M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Oui, s'il vous plaît.
Je vous remercie beaucoup pour votre exposé. Nous cherchons assurément des thèmes communs. Nombre des groupes qui sont venus témoigner ont exposé les mêmes préoccupations principales que vous.
Il ressort une chose; on dirait que la première question soulevée par nombre des organisations, c'est le fait que les épreuves doivent être subies dans l'une des langues officielles et sans l'aide d'un interprète. Vous êtes toutefois les premiers à affirmer que ce pourrait être contraire à la Charte. Selon vous, ça irait à l'encontre de quel article de la Charte?
Mme Sharryn Aiken: En fait, il y a trois articles. Tout d'abord, il y a l'article 15 qui est primordial puisqu'il garantit le droit à l'égalité. C'est la disposition qui nous oblige non seulement à respecter l'égalité proprement dite, mais à éviter ses conséquences néfastes et c'est pour cette raison qu'elle s'appliquerait ici. Mais il y a aussi l'article 14 qui garantit à quiconque le droit à un interprète et l'article 27 qui concerne le multiculturalisme.
M. Pat Martin: Ces renseignements seront très utiles au moment de présenter des amendements parce qu'on pourra renvoyer aux articles. Je vous remercie donc de ces précisions.
L'autre question que vous soulevez—et d'ailleurs, la plupart des organisations dont j'ai entendu le témoignage l'ont aussi fait—c'est que la prolongation de la période de présence effective obligatoire au pays est injustifiable. Ça n'aide pas le gouvernement à prendre une décision.
M. Francisco Rico-Martinez: Puis-je répondre?
M. Pat Martin: Oui, s'il vous plaît.
M. Francisco Rico-Martinez: Ce n'est pas la période de résidence effective qu'on augmente, c'est la période de résidence reconnue. C'est une tout autre histoire parce que les gens seront déjà ici, au Canada. Même si un revendicateur du statut de réfugié était au Canada depuis 10 ans, on pourrait décider de ne tenir compte que de trois de ces 10 années. Ça tourne autour de l'officialisation de la résidence. C'est insensé.
M. Pat Martin: Oui.
M. Francisco Rico-Martinez: Physiquement, la personne peut se trouver au Canada depuis 10 ans, mais on ne tiendra compte que des trois dernières années. Pourquoi? Impossible de savoir.
M. Pat Martin: Ce sera trois des cinq dernières années.
M. Francisco Rico-Martinez: C'est bien ça. Nous avons posé la question à Citoyenneté et Immigration Canada, le CIC, qui n'a pas pu nous répondre parce que ce n'est pas une mesure logique. Le ministère a parlé de résidence effective, mais c'est faux; il ne tiendra compte que de la résidence reconnue.
M. Pat Martin: Mais il prévoit expressément 1 095 heures de présence effective. On ne peut même pas quitter le pays pour aller s'occuper d'un parent âgé dans son pays d'origine pendant deux mois puisque ce serait déduit des 1 095 heures.
M. Francisco Rico-Martinez: En effet.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Excusez-moi, monsieur Martin, mais il est question ici de réfugiés et non de gens qui voyagent pour affaires. Je tiens à rappeler que si ces réfugiés cherchent à se protéger contre leur pays d'origine, je ne pense pas qu'ils voudront y retourner pour aller s'occuper d'un parent malade. Ce sont deux situations bien différentes.
M. Pat Martin: Excellente réflexion. On pourrait néanmoins avoir un motif de quitter le pays pendant un mois ou un mois et demi, par exemple. Je souscris donc sans réserve à ces deux observations.
L'autre chose intéressante que vous mentionnez a été soulevée aussi dernièrement par l'Association du Barreau canadien et, tandis que vous parliez, je suis allé voir dans le mémoire. Je crois que c'était la révocation de la citoyenneté pour fraude ou fausse déclaration. Vous avez toutefois fait remarquer une chose dont l'Association du Barreau canadien n'a pas parlé à ma connaissance, et c'est le fait qu'on pourrait être trouvé coupable d'une telle chose même s'il s'agissait d'une erreur de bonne foi ou même si on pensait qu'un ancien crime avait été pardonné ou effacé du casier judiciaire alors qu'il figurerait encore quelque part... et ce serait sans appel.
• 1600
David Matas a notamment mentionné qu'il préférerait que soit
ajouté au moins le droit de demander l'autorisation de faire appel
sinon un droit d'appel automatique. On devrait pouvoir au moins
présenter aux tribunaux une demande d'autorisation d'en appeler.
Est-ce qu'une telle disposition vous conviendrait ou est-ce que
vous voulez carrément un droit d'appel?
M. Francisco Rico-Martinez: La loi actuelle traite cette question d'une façon très humanitaire. On a la possibilité d'expliquer les circonstances de l'erreur. On peut présenter sa cause et se soustraire à la longue procédure de révocation de la citoyenneté parce que c'est une déclaration fausse ou quelque chose qu'on ignorait au moment où on a rempli la demande. Nous croyons que la loi ne laissera plus une telle marge de manoeuvre dans l'exercice du pouvoir décisionnel.
Il y a un autre aspect qui se rapproche énormément de celui-ci. Si on continue de permettre une certaine latitude, de faire place à la compréhension pour régler des problèmes qui n'ont peut-être rien à voir avec la citoyenneté canadienne, ce sera plus facile et moins cher de procéder par une entrevue en personne avec un agent d'immigration plutôt que d'instituer cette procédure devant la Cour fédérale et d'obliger à attendre une éternité avant que les décisions soient rendues.
Nous essayons de ne pas compliquer la procédure. Si on peut expliquer les erreurs à quelqu'un qui a toute la latitude voulue pour prendre une telle décision et pour comprendre la situation, c'est mieux que d'instituer toute cette procédure. Si, pour une raison ou pour une autre, la décision est maintenue et qu'à notre avis, c'est une erreur qui se répercute sur la citoyenneté canadienne obtenue antérieurement, il y a les voies de droit régulières—qui sont faciles à suivre—pour rendre une décision, puis faire appel et obtenir une ordonnance.
M. Pat Martin: Je suis d'accord. Merci beaucoup.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur Martin.
Monsieur Doyle, avez-vous des questions à poser aux témoins?
M. Norman Doyle (St. John's-Est, PC): Oui, j'ai deux questions. Tout à l'heure, vous avez dit que le ministre ne devrait pas annuler la citoyenneté sans permettre un recours. Le ministre devrait-il seulement avoir le pouvoir d'annuler la citoyenneté? Que se passerait-il pour un réfugié, par exemple, qui arrive ici, obtient la citoyenneté puis se révèle être un criminel de guerre? Le ministre devrait-il avoir le pouvoir d'annuler la citoyenneté dans un tel cas? Est-ce que ce serait un motif valable d'annulation par le ministre?
M. Francisco Rico-Martinez: Je ferai trois remarques à ce sujet. Premièrement, si vous voulez régler le problème des criminels de guerre dans la Loi sur la citoyenneté, faites-le, mais faites-le explicitement. Ne cherchez pas à créer une situation sans issue pour des tas d'innocents qui auront simplement commis une erreur ou oublié quelque chose.
Deuxièmement, même un criminel de guerre a des droits fondamentaux dont le droit à l'application régulière de la loi. Ce n'est pas parce qu'il a commis des crimes contre l'humanité un jour qu'on peut maintenant le traiter injustement. Il faut montrer notre respect pour l'humanité en lui accordant les recours habituels, c'est-à-dire un droit d'appel et tout le reste.
Troisièmement, comme Canadiens, nous avons des responsabilités qui nous empêchent de refiler un criminel de guerre à un autre pays en lui demandant de s'en occuper. Notre système et nos ressources judiciaires sont suffisants pour que notre procédure au Canada nous permette de régler le problème. On peut faire un procès au Canada à quelqu'un qui a commis des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre sans essayer de l'expulser, de lui retirer sa citoyenneté et de refiler le problème à un autre pays qui est parfois moins bien préparé à s'occuper d'un tel cas et qui peut laisser le criminel de guerre s'en tirer.
Prenez l'exemple de Pinochet en Angleterre. Voilà le genre d'attitude que nous, en tant que Canadiens responsables, nous devons avoir et il faut faire l'effort supplémentaire requis pour essayer d'utiliser notre système judiciaire dans une telle situation.
Révoquer la citoyenneté d'un criminel de guerre, ça rime à quoi? Il faudrait plutôt obliger cette personne à assumer la responsabilité de ce qu'elle a fait contre l'humanité. Voilà un autre problème qu'il faut affronter explicitement.
M. Norman Doyle: Ne croyez-vous pas que certains Canadiens répliqueraient que ce n'est pas la responsabilité du Canada? Si un tel crime a été commis dans un pays étranger, par exemple, dans le pays d'origine de cette personne, des Canadiens vous diront que ce n'est pas au Canada de traîner cette personne en justice, obligeant ainsi le système canadien à dépenser des centaines de milliers ou de millions de dollars pour le faire, que ce serait plutôt la responsabilité du pays d'origine. Qu'avez-vous à répondre?
M. Francisco Rico-Martinez: Le Canada joue divers rôles sur la scène internationale. Il a participé très activement à l'établissement d'un tribunal international des droits de la personne. Il a aussi envoyé des juges poursuivre différentes personnes dans les Balkans, par exemple. Pourquoi le Canada participe-t-il en ce moment à la guerre des Balkans s'il a l'intention de ne s'occuper que des violations des droits fondamentaux commises sur son territoire? Dans une telle situation, je crois que nous avons la responsabilité de faire la paix et de respecter la loi.
En l'occurrence, je suis tout à fait pour un engagement accru du Canada, c'est-à-dire pour qu'il se serve de ses instruments judiciaires, des instruments juridiques internationaux et des instruments nationaux dont il est déjà doté pour s'occuper des criminels de guerre du passé et des criminels de guerre d'aujourd'hui. Nous l'avons déjà fait et nous aurons à le faire encore.
Sharryn veut peut-être ajouter quelque chose.
Mme Sharryn Aiken: Certes, nous reconnaissons que c'est un sujet qui suscite tout un débat public sur la meilleure façon de procéder, à savoir soit tenter d'utiliser le droit criminel canadien pour poursuivre et châtier ici, soit expulser les prévenus pour laisser un autre pays s'occuper d'eux. Mais quelle que soit la solution retenue, le Conseil canadien pour les réfugiés est convaincu qu'indépendamment de l'acte reproché, un individu a droit à l'application régulière de la loi et c'est ce qui fait défaut dans le projet de loi. Il n'y a tout simplement pas assez de recours garantis aux individus. Nous avons tous la même opinion des criminels de guerre, mais nous voulons néanmoins être certains que même le pire d'entre eux pourra être entendu par le tribunal et jouir des recours judiciaires.
M. Norman Doyle: Il y a quelques jours, un juge de la citoyenneté qui est venu témoigner nous a donné à penser que l'obligation de parler l'anglais et le français n'était pas très stricte, que si quelqu'un avait quelques notions élémentaires d'anglais ou de français, il ne serait pas refusé. Vous ne semblez pas de cet avis.
M. Francisco Rico-Martinez: Non. Nous voulons parler de ce qui est prévu dans le projet de loi, pas de ce qui se passe en ce moment. À l'heure actuelle, on est très souple. De plus, si on a un problème avec l'anglais ou le français, on peut avoir une entrevue avec un juge de la citoyenneté pour régler certaines questions et le juge peut rendre une décision fondée sur des critères humanitaires. Il peut donc accorder la citoyenneté même si on ne parle pas les deux langues officielles. Ça, c'est la situation en ce moment.
Permettez-moi de vous donner un exemple très personnel. Mon beau-père, qui a 77 ans, est arrivé au Canada il y a cinq ans. Il est maintenant très fier de remplir une demande de citoyenneté canadienne. Il veut être citoyen parce que le reste de notre famille est de citoyenneté canadienne. Il ne parle pas assez bien l'anglais pour comprendre toutes les implications et subtilités de la procédure électorale et du reste, mais il veut devenir citoyen et il mérite de l'être. Ça aussi, c'est important. Donc, la loi actuelle laisse beaucoup de latitude. Mon beau-père va pouvoir devenir citoyen canadien même s'il ne parle pas l'anglais à la perfection.
Par contre, cette nouvelle loi pourra causer des problèmes puisqu'on ne sait pas ce qui arrivera si la personne interrogée sur différentes choses ne connaît pas assez bien l'anglais pour réussir l'examen. Il sera peut-être facile de dire: «C'est dommage, mais que peut-on faire, gardez cette personne indéfiniment à titre de résident permanent?» Pourquoi? Pourquoi faire ça à quelqu'un de 77 ans?
M. Norman Doyle: Croyez-vous qu'il faudrait supprimer intégralement cet article du projet de loi ou imposer l'obligation d'avoir une certaine connaissance de l'anglais ou du français? Qu'est-ce que la ministre devrait faire de cet article, le supprimer?
M. Francisco Rico-Martinez: La capacité de parler une langue, en particulier une langue seconde, n'a rien à voir avec le degré de compréhension qu'on peut avoir d'un système. Si je ne parle que l'espagnol mais que j'ai un très bon interprète, je peux comprendre parfaitement le régime canadien et faire partie intégrante de la société, dans les limites de mes capacités.
Nous croyons donc qu'en accordant l'aide d'un interprète, on accorderait du même coup des droits à l'intéressé, même à une personne âgée ou à quelqu'un qui a de graves difficultés à apprendre l'anglais, puisqu'on tiendrait compte des circonstances particulières de l'intéressé. Certains peuvent avoir plus de difficulté à apprendre l'anglais parce qu'ils ont subi des tortures et que la frustration et le traumatisme nuisent à leur apprentissage. Comprenez-vous ce que je veux dire? Ils pourraient néanmoins être des citoyens canadiens très productifs à d'autres égards. Donc, pour moi, la langue n'est pas un moyen d'évaluer si quelqu'un sera productif ou honnête comme citoyen canadien. La langue n'est qu'un moyen de communication.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur Doyle.
Monsieur Bryden, vous voulez poser une question?
M. John Bryden (Wentworth—Burlington, Lib.): Oui, merci. Madame la présidente, j'ai droit à combien de minutes. Je veux établir un ordre de priorité.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Vous avez huit minutes. Nous avons pris du retard.
M. John Bryden: Merci, madame la présidente.
Je vous remercie pour votre mémoire que j'ai lu. J'ai malheureusement manqué votre exposé.
Dites-moi, le Canada n'est-il pas l'un des très rares pays au monde où, étant donné la Charte des droits, les non-citoyens peuvent se prévaloir des voies de droit régulières—d'ailleurs, quiconque se trouve en sol canadien? Y a-t-il d'autres pays qui accordent le même droit? Si oui, quels sont-ils?
Mme Sharryn Aiken: Les droits des non-citoyens se discutent depuis de nombreuses années sur la scène internationale, et pas seulement par rapport à la citoyenneté. En fait, la Cour européenne des droits de l'homme rend maintes décisions confirmant que, dans nombre de pays européens, les non-citoyens jouissent de multiples droits.
M. John Bryden: Mais c'est la citoyenneté qui m'intéresse ici et je veux m'en tenir à ce sujet-là parce que c'est celui qui est à l'ordre du jour.
J'ai l'impression que, dans la plupart des pays du monde, y compris les grands pays, quand on décide qu'une personne qui est arrivée sur le territoire pose un risque—même s'il est impossible à prouver—on se réserve le droit de mettre cette personne dans un avion pour l'envoyer ailleurs. Par contre, nous savons tous que le Canada permet à quiconque met le pied sur son territoire de se prévaloir des voies de droit régulières. N'est-ce pas une description juste de la situation des non-citoyens dans les autres pays du globe?
Mme Sharryn Aiken: Vous parlez de deux choses différentes. D'une part, vous parlez des personnes qui sont expulsées dès leur arrivée. Aujourd'hui, nous parlons de la citoyenneté qui est l'aboutissement d'un processus qui dure de nombreuses années.
M. John Bryden: C'est vrai. Je saisis la différence.
Vous admettez donc que ma première observation est correcte, que le Canada est un pays extrêmement ouvert et l'un des rares à agir ainsi, puisque la Charte des droits accorde à quiconque foule le sol canadien le droit à l'application régulière de la loi.
Or, je sais que ça coûte 44 000 $ pour faire expulser une personne qui est entrée illégalement au pays parce qu'elle peut se prévaloir des voies de droit régulières. Mais c'est une autre affaire.
J'ai trouvé intéressant de vous entendre dire que si les gens font de fausses déclarations et s'avèrent être des indésirables au Canada, ils devraient néanmoins jouir des voies de droit régulières. Dans le cas d'une personne qui a pu participer au génocide au Rwanda, par exemple, et qui serait entrée au Canada sans rien déclarer alors qu'on apprend qu'en fait elle s'est livrée à des activités de génocide ou à un autre crime dans un pays étranger, comment peut-on prouver devant les tribunaux canadiens ce crime commis au Rwanda, en Afrique centrale ou au Kosovo, ou je ne sais où dans le monde? Comment arriver à en faire la preuve?
Mme Sharryn Aiken: Eh bien, je vais essayer.
Il est vrai qu'on peut avoir de la difficulté à rassembler les éléments de preuve. Il est même difficile de remplir une demande de revendication du statut de réfugié parce qu'il s'agit d'événements qui se sont produits à l'étranger. Mais ce n'est pas parce que c'est difficile que ça donne à l'exécutif le droit de priver les individus concernés de l'application régulière de la loi. D'ailleurs, selon nous, cela signifie plutôt qu'il faut absolument prévoir de bonnes garanties juridiques, parce que les risques d'erreur sont faramineux et les répercussions seront graves.
M. John Bryden: Vous reconnaissez donc qu'il peut être littéralement impossible de faire la preuve au Canada d'un crime qui s'est produit en Afrique ou en Serbie.
M. Sharryn Aiken: Ce que je reconnais, c'est que notre gouvernement a bien des explications à donner au sujet de la poursuite des criminels de guerre nazis, puisque ça a été un échec retentissant. Et si...
M. John Bryden: Et on comprend pourquoi.
Mme Sharryn Aiken: ...le projet de loi C-63 est fondé sur ce qui s'est passé avec les criminels de guerre nazis, c'est une erreur. Si les poursuites contre les criminels de guerre nazis ont échoué, ça n'a absolument rien à voir avec la situation que nous connaissons maintenant.
On a maintenant les moyens de rassembler la preuve contre les criminels de guerre modernes. On a des ressources, des êtres en chair et en os qui peuvent fournir au gouvernement assez de témoignages pour constituer une bonne preuve.
M. John Bryden: Merci.
Près de ma propre circonscription, quelqu'un qui vivait au pays depuis plusieurs années a été appréhendé. Cette personne avait participé au détournement d'un avion d'une ligne aérienne turque, si je ne m'abuse, au cours duquel il y avait eu des morts. Je crois que cette personne lutte encore contre l'expulsion, puisqu'elle a obtenu la citoyenneté canadienne dans l'intervalle.
N'est-ce pas là un exemple—et je peux malheureusement en citer de nombreux autres... N'est-il pas vrai que le Canada est devenu un refuge pour les criminels parce que quiconque y obtient la citoyenneté ou y arrive peut se prévaloir des voies de droit régulières? N'est-ce pas l'un des attraits du Canada? Vous n'êtes pas de cet avis, n'est-ce pas?
M. Sharryn Aiken: Certainement pas. Et je n'ai pas l'impression que le gouvernement nous a démontré que le Canada était effectivement devenu un refuge, comme l'ont affirmé le gouvernement et certains députés de l'opposition pour effrayer les gens.
M. John Bryden: Je vous ai donné un exemple.
Mme Sharryn Aiken: C'est une preuve anecdotique. Il y a bien d'autres cas que je pourrais vous exposer où ce sont des membres mêmes de la communauté qui ont informé Citoyenneté et Immigration Canada...
M. John Bryden: Mais c'est certain...
Mme Sharryn Aiken: ...qu'il y avait des problèmes.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Excusez-moi. Je vais vous interrompre maintenant pour demander à mon estimé collègue de s'efforcer de revenir sur... Je sais qu'il va finir par revenir à la notion de citoyenneté, mais je lui demanderais d'y arriver un peu plus directement.
M. John Bryden: Merci, madame la présidente. Mais si vous me permettiez de poursuivre mes questions sans intervenir, je vous en serais reconnaissant parce qu'il est très difficile de ne pas perdre le fil. Je comprends que votre intention est bonne, mais je préférerais continuer comme j'ai commencé. Vous voulez me faire dévier de ma trajectoire alors que je préférerais continuer sur ma lancée. Néanmoins, s'il me reste encore quelques minutes, je vais changer mes questions.
Je dois dire toutefois...
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Il vous reste trois minutes, monsieur Bryden.
M. John Bryden: Étant du parti ministériel, je sais qu'il faut s'inquiéter de l'arrivée au pays de criminels et d'autres parce que, dans le monde d'aujourd'hui, il y a toutes sortes de différends ethniques et les organisations terroristes au Canada pourraient être perçues comme un attrait.
Mais passons à une autre question. Comme vous avez dit être préoccupés par le pouvoir ministériel unilatéral de retirer la citoyenneté lorsque les pièces d'identité renferment des erreurs, que pensez-vous des cas où quelqu'un a une double nationalité, la citoyenneté canadienne ayant été acquise en deuxième? Ce pourrait être un réfugié qui a quitté un endroit où sévissaient de terribles conflits ethniques. Est-ce qu'on devrait laisser cette personne retourner dans son pays d'origine dont elle a la citoyenneté pour se joindre à une armée étrangère qui se battrait contre des soldats canadiens? Qu'arrive-t-il alors de la citoyenneté? Est-ce que les gens dans cette situation devraient conserver leur citoyenneté canadienne? Devrait-on leur permettre de le faire même si...
Je peux vous donner un exemple provenant de ma propre circonscription. On s'inquiète beaucoup de ce que des jeunes des communautés serbes ou kosovares soient recrutés pour aller se battre en Serbie ou au Kosovo dans l'un des deux camps.
M. Francisco Rico-Martinez: Je peux vous donner un autre exemple. J'ai un enfant qui est né au Canada. Si mon enfant né ici prend position et appuie un groupe...
M. John Bryden: Excusez-moi, je ne vous permets pas de...
M. Francisco Rico-Martinez: Non, laissez-moi terminer.
M. John Bryden: ...modifier la question. Non.
M. Francisco Rico-Martinez: S'il retourne dans mon pays d'origine pour prendre position... En passant, des soldats canadiens nés ici se rendent dans mon pays pour y provoquer un conflit et ils se battent ensuite entre eux. Ça pourrait bien arriver. Allez-vous priver mon enfant de sa citoyenneté canadienne, même s'il est né au Canada, dans la situation dont vous parlez?
M. John Bryden: Merci. Veuillez répondre à la question que j'ai posée.
M. Francisco Rico-Martinez: Non, je...
M. John Bryden: Je vous ai demandé ce qu'il faudrait faire si un néo-Canadien retournait dans son pays d'origine pour y prendre les armes contre le Canada? Devrait-il être autorisé à conserver sa citoyenneté canadienne?
M. Francisco Rico-Martinez: Je répondrais que si la personne peut se prévaloir des voies de droit régulières, elle aura la possibilité de prouver si les accusations portées au Canada sont vraies ou fausses.
M. John Bryden: Si elles sont vraies, que doit-il se produire ensuite?
M. Francisco Rico-Martinez: Non, non, vous parlez d'un exemple. Vous dites que c'est un fait établi. C'est exactement ce que nous voulons éviter: que quelqu'un, sans consulter le ministre, décide que la preuve est faite et qu'il peut dépouiller l'intéressé de sa citoyenneté. C'est exactement ce que nous voulons éviter.
M. John Bryden: Oui ou non? C'est ma seule question.
M. Francisco Rico-Martinez: Une décision prise sur la foi d'une seule personne? Non.
M. John Bryden: Vous croyez donc que si on...
M. Francisco Rico-Martinez: La personne a droit à l'application régulière de la loi.
M. John Bryden: Ça, nous le savons bien.
M. Francisco Rico-Martinez: Non, on ne le sait pas.
M. John Bryden: Si quelqu'un a bénéficié des voies de droit régulières et qu'il a été prouvé qu'il a pris les armes contre le Canada dans une région quelconque du globe, que ce soit au Kosovo, en Serbie ou ailleurs... Si quelqu'un a obtenu la citoyenneté canadienne puis est retourné dans son pays—comme on invite les gens à le faire en ce moment—pour prendre les armes contre le Canada, est-ce qu'il devrait conserver sa citoyenneté ou pas?
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je vais accepter une réponse à cette question puis votre tour sera terminé, monsieur Bryden. La réponse marquera la fin de cette première partie.
Nous vous écoutons.
Mme Sharryn Aiken: À mon avis, l'exemple que vous donnez serait probablement visé par les dispositions du projet de loi concernant les menaces pour la sécurité du Canada.
Nous avons expliqué très clairement au début que nous ne nous opposions pas à la possibilité que les personnes posant un véritable risque pour la sécurité puissent être poursuivies. Voilà notre point de départ. Mais tous les individus ainsi susceptibles d'être poursuivis devraient avoir droit à des recours juridiques adéquats, à une révision judiciaire acceptable de la décision rendue. Étant donné l'état actuel des choses, les décisions seront une prérogative exclusive de l'exécutif. C'est à ça qu'on s'oppose.
L'exemple que vous donnez et le spectre que vous agitez, c'est grave, mais je crois que la loi permet amplement de régler ces problèmes sans dépouiller quiconque de droits juridiques importants et très fondamentaux.
M. John Bryden: Vous n'avez toujours pas répondu à la question qui est de savoir si la personne doit conserver sa citoyenneté ou non.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Là-dessus, monsieur Bryden, je vous interromps si ça ne vous dérange pas.
Madame Leung.
Mme Sophia Leung (Vancouver Kingsway, Lib.): Merci, madame la présidente.
Je veux remercier les témoins pour les réflexions très judicieuses qu'ils ont exposées dans leur mémoire. Je souscris d'ailleurs à la plupart de leurs observations. Je n'ai que deux questions à poser.
Au sujet de la plus grande sévérité des exigences linguistiques, vous vous souviendrez que les premières recommandations présentées par les trois conseillers avaient suscité énormément de réactions et beaucoup d'opposition au sujet des conditions d'ordre linguistique. Je crois que la ministre en a tenu compte.
Si je comprends bien, on n'exigera pas que les gens parlent couramment la langue, seulement qu'ils en connaissent les rudiments. Les demandeurs auront ainsi de meilleures chances de s'adapter et de se réétablir dans leur nouveau pays. Je voulais le préciser parce que de nombreux autres témoins ont abordé cette question et en ont discuté.
Vous dites être inquiet pour votre père, mais je veux simplement que vous sachiez que, selon moi, il ne s'agit pas de parler couramment la langue. Nous savons tous que ce n'est pas facile à 77 ans. Je veux souligner que c'est du moins notre interprétation de cette disposition.
M. Francisco Rico-Martinez: Puis-je préciser quelque chose?
Mme Sophia Leung: Certainement.
M. Francisco Rico-Martinez: Le degré de connaissance ou de compréhension d'une langue varie. Ici, on parle de se passer de l'aide d'un interprète. Il est donc question de quelque chose d'un peu plus compliqué que ce que vous dites. Je suis d'accord avec vous: si ces dispositions ne visent effectivement que la connaissance des langues, alors pourquoi ne pas faire appel à un interprète dans les cas où la difficulté de comprendre en anglais différentes composantes du système oblige à avoir une connaissance supérieure de la langue? Est-ce que vous comprenez ce que je veux dire?
C'est pourquoi nous croyons qu'il serait préférable de fournir un interprète. Ainsi, on est certain que l'anglais est compris. Il est très facile d'avoir une conversation avec quelqu'un pour établir s'il a une compréhension élémentaire de l'anglais et s'il peut communiquer et vivre au Canada, si je peux dire. Mais il se peut que pour avoir une discussion ou une compréhension parfaite d'autres sujets, on aura besoin d'un interprète. C'est ce qui nous préoccupe.
Mme Sophia Leung: Je vous comprends. Mais la plupart du temps, quand vient le temps de prêter le serment de citoyenneté, on ne peut plus avoir recours à un interprète. C'est une cérémonie. Seul l'intéressé doit prêter le serment. C'est peut-être la cause du dilemme.
M. Francisco Rico-Martinez: En ce moment, la cérémonie ne fait pas problème. Elle se déroule soit en français soit en anglais et les gens ont la possibilité tout d'abord de mémoriser le serment dans leur propre langue. Ensuite, ils apprennent comment le dire en anglais. À mon avis, c'est acceptable. Ils comprennent le sens de ce qu'ils disent parce qu'on le leur a traduit.
Même si on fait prêter le serment à quelqu'un qui ne connaît pas l'anglais, il ne va pas comprendre le sens exact du serment et aura besoin d'interprétation ou de traduction pour décider s'il veut prêter le serment ou non. Ce qui nous intéresse, c'est précisément de donner cette possibilité à certaines gens.
Mme Sophia Leung: Je ne crois pas que l'interprète devrait être catégoriquement exclu de tout le processus. Mais sa présence n'est sans doute pas nécessaire à la cérémonie ultime où il y a prestation du serment.
M. Francisco Rico-Martinez: L'alinéa 5(1)d) du projet de loi se lit comme suit:
-
a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et
avantages conférés par la citoyenneté et est capable d'exprimer
cette connaissance dans l'une des langues officielles sans l'aide
d'un interprète.
Il est évident qu'on envisage une conservation et peut-être un examen sur la connaissance du Canada, et la personne devra le passer en anglais ou en français. Nous, nous croyons que cette personne pourra avoir une connaissance suffisante du Canada mais ne pas connaître l'anglais assez bien pour le montrer. Ce serait donc une bonne idée d'avoir un interprète sur place pour donner aux gens la possibilité de montrer leur connaissance du Canada dans leur propre langue.
Mme Sophia Leung: Merci.
Vous avez soulevé la question de la longue période de résidence—vous savez, pendant l'attente. Cela nous inquiète vraiment tous, pas seulement les demandeurs, mais aussi le gouvernement. Nous cherchons vraiment le moyen de raccourcir cette période. Voilà ce que je voulais dire. Si nous trouvons une solution magique, nous la raccourcirons pour éviter des complications et des difficultés aux demandeurs.
M. Francisco Rico-Martinez: La solution, c'est de ne pas augmenter la période officielle, parce que quelqu'un peut avoir vécu déjà un bon bout de temps au Canada avant de présenter une demande de citoyenneté. Voilà notre argument.
La période de résidence effective commence à la date à laquelle une personne exprime son intention de vivre au Canada en permanence. Quand un réfugié arrive à la frontière et présente une demande, il manifeste son intention de vivre au Canada sous la protection de notre État. Ce pourrait être suffisant pour être considéré comme une résidence effective au Canada, tout à fait à part de la période officielle qui commence après que la personne ait obtenu le statut de résident permanent. En prolongeant cette période, on prolongera la souffrance de quelqu'un qui peut avoir besoin de la citoyenneté canadienne pour se sentir de nouveau comme un citoyen à part entière, parce que la plupart des réfugiés n'ont même pas de titres de voyage qui leur permettraient de se déplacer. Ils ont énormément de difficulté à aller où que ce soit.
C'est précisément ce que nous cherchons à leur donner.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Monsieur Telegdi.
M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci, madame la présidente.
Monsieur Rico-Martinez, j'avoue que parfois il est avantageux que la loi confère un pouvoir discrétionnaire. Vous approuverez probablement le paragraphe 6(3) qui se lit comme suit: «Pour des raisons d'ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de dispenser le demandeur...», et ensuite il y a les conditions énoncées aux alinéas 6(1)c) et 6(1)d).
• 1630
Je vous en parle parce que le gouvernement a l'habitude
d'accorder une dispense à ceux qui sont incapables de remplir les
conditions linguistiques, en particulier les personnes âgées. Je
vous en parle en songeant à votre beau-père, afin que ce soit
connu.
M. Francisco Rico-Martinez: Puis-je faire une observation à ce sujet?
M. Andrew Telegdi: Certainement.
M. Francisco Rico-Martinez: Quand j'ai présenté cet exemple, je voulais entre autres montrer que toutes les personnes ayant des limites devraient être traitées de la même façon et qu'il ne fallait pas créer des groupes particuliers. Je voulais éviter de faire une recommandation visant certains cas particuliers. Nous croyons que bien des gens, à cause de leur situation personnelle et non de leur âge, ont aussi droit à une exception pour être exemptés des exigences linguistiques, par exemple. Il est donc préférable de procéder ainsi au lieu de créer des catégories.
M. Andrew Telegdi: Si un pouvoir discrétionnaire est prévu ici c'est parce que, toutes choses étant égales d'ailleurs, nous voudrions que les gens apprennent au moins l'une des langues officielles. Vous conviendrez avec moi que ça valorise la citoyenneté et accroît la capacité de participer à la société dans le pays qu'on a choisi. Je trouve que c'est une bonne chose. Si la situation était bien tranchée, on aurait des problèmes dans certains cas commandant une exception.
L'autre sujet qui m'intéresse, c'est le commentaire que vous avez fait d'un petit débat animé qu'il y a eu au comité. Je comprends vos craintes, mais vous avez dit «certains vont dans mon pays» en parlant manifestement de votre pays d'origine. J'ai du mal à accepter ça.
Je suis arrivé ici de la Hongrie comme réfugié. La première fois que j'y suis retourné en 1994—j'en étais parti en 1957—c'est seulement quand quelqu'un m'a dit «Bienvenue chez toi» que j'ai eu de la difficulté avec ça. J'ai répondu: «Merci beaucoup pour les souhaits de bienvenue, mais chez moi, c'est au Canada. C'est là que se trouvent mon épouse et ma fille et ni l'une ni l'autre n'est Hongroise.» Leur seul lien avec la Hongrie, c'est moi. Si vous voulez savoir, ma femme est irlandaise.
Voilà pourquoi je suis curieux. Je sais que la question n'est pas simple, qu'elle est même compliquée. Mais quand les gens parlent de retourner chez eux, je me dis que chez eux, c'est quand même ici. Qu'en pensez-vous?
M. Francisco Rico-Martinez: Je pense que vous avez raison. C'est une façon de parler qu'il faudrait corriger parce que je considère le Canada à la fois comme mon pays et mon chez moi. Vous avez raison, je me suis trompé quand j'ai dit «retourner dans mon pays». Je lutte moi-même contre ça. Ce n'est pas facile de devenir Canadien à cause de la langue et de mon passé.
Moi-même, je ne vis ici que depuis neuf ans; je suis donc encore à cheval sur deux cultures et histoires différentes. Je le montre ici même si je suis devenu citoyen canadien il y a un an ou peut-être avant. Vous avez raison, il faut se sentir engagé envers le Canada, décrire le Canada comme son chez soi et avoir le sentiment que le Canada, c'est chez soi. Je pense que c'est une façon de parler dont il faut se corriger quand on est engagé et convaincu qu'ici, c'est chez nous.
Par contre, il faut que la loi soit accueillante pour les gens. C'est pourquoi nous craignons tant la création de citoyens de deuxième ordre parce que ce n'est pas une façon d'accueillir les nouveaux citoyens et les nouveaux arrivants. Toutes ces personnes continueront de parler de «chez nous» en parlant de leur pays d'origine. Ils ne se sentiront peut-être pas les bienvenus au Canada s'ils ont l'impression d'être des citoyens de deuxième ordre.
M. Andrew Telegdi: J'admets que c'est difficile, parce que ce n'est devenu clair pour moi qu'au bout de près de 40 ans. Je suis d'accord avec vous au sens où près de six millions de Canadiens sur 30 millions sont nés à l'étranger. Certains ont dit que c'était préoccupant.
Merci beaucoup.
Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur Telegdi.
Je donne la parole à M. Volpe. Monsieur Bryden, je crois que vous avez une deuxième question à poser, mais nous avons déjà du retard. Je vous demanderais donc d'être très bref. Merci.
M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.): Eh bien, merci, madame la présidente. Je vais essayer d'être très bref. Je suis l'un des six millions de Canadiens nés à l'étranger.
Mme Raymonde Folco: Vous êtes loin d'être l'exception autour de cette table, monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe: Je ne me suis jamais considéré comme un problème, mais j'en suis peut-être un pour certains.
De toute façon, je m'excuse d'avoir manqué la première partie de l'exposé. Je ne poserai donc que deux questions.
Je n'aurais pas d'excuse à faire pour la notion de chez soi. Il y a à peine 40 ans, madame la présidente, les États-Unis ont vécu une expérience traumatisante. Ils ont vécu une campagne électorale dont le principal enjeu était de savoir si la population américaine serait un jour à l'aise de voter pour—tenez-vous bien—un président catholique. C'était en 1960. La cause de cette incertitude—et c'est le plus intéressant—c'est que certains Américains avaient l'impression qu'un catholique se sentirait une allégeance d'abord envers quelqu'un se trouvant bien loin.
Or, je crois que d'après les sociologues et les historiographes qui étudient ces types de phénomènes, les gens ont une métropole soit spirituelle soit culturelle au-delà de leurs propres frontières. Par exemple, certains historiens canadiens considèrent le Canada comme une société en devenir qui a déplacé ses métropoles culturelles de Londres à New York, Los Angeles et même Chicago. Dans d'autres régions du pays, la métropole culturelle c'est Paris et certains ont délaissé Paris au profit de Québec. Pendant un certain temps, Montréal était la métropole culturelle de ce segment de la population.
Mais est-ce que ça veut dire que les gens ont une allégeance moins forte envers le pays où ils vivent et qu'ils considèrent comme leur chez soi, comme celui-là même qui vous parle? Je ne crois pas. Donc, quand quelqu'un dit «retourner chez nous», pour moi, ça ne signifie rien d'autre qu'une métropole culturelle ou spirituelle. Les Américains ont évolué, je pense, et j'espère que les Canadiens ont aussi évolué.
Je voulais vous poser deux questions à ce sujet. La première a été soulevée par d'autres témoins avant vous, à savoir faudrait- il se concentrer sur la présence effective ou faudrait-il plutôt parler d'un «résident habituel»? Je me demande ce que vous en pensez et, je le répète, je m'en excuse si vous avez déjà traité le sujet. Si je comprends bien les précédents dans les autres pays, c'est le concept de la «présence habituelle» qui s'applique parce qu'il indique l'intention. Est-ce que je me trompe?
M. Francisco Rico-Martinez: On en a discuté et on a conclu que quand la loi actuelle parle de résidence physique, elle ne fait pas allusion à ce concept. Elle vise essentiellement un ancien résident permanent du Canada et c'est la période que le gouvernement veut prendre en considération. Nous suggérons d'appliquer le concept de la résidence effective au Canada que vous avez appelé la résidence habituelle, c'est-à-dire lorsqu'une personne a exprimé l'intention de vivre au Canada en permanence. Le statut juridique de ces personnes importe peu. Quelqu'un peut être un revendicateur du statut de réfugié pendant six ans ou attendre le statut de résident permanent pendant trois autres années, etc., et tout ce temps serait pris en considération en vue de l'octroi de la citoyenneté.
M. Joseph Volpe: En fait, ce que je veux vraiment savoir, c'est s'il faut être physiquement présent pour indiquer son engagement et son allégeance envers le pays. Est-ce que c'est ça votre notion de résidence?
M. Francisco Rico-Martinez: Non, c'est le concept que l'on trouve dans le projet de loi.
M. Joseph Volpe: Bien. Merci.
Ma deuxième question concerne la langue. J'accorde beaucoup d'importance à la langue. C'est mon seul moyen de communication avec mes semblables. Madame la présidente, certains membres de ma famille ne sont toujours pas capables de comprendre les rouages de la langue anglaise. C'est vraiment difficile pour eux. Par bonheur, ils m'ont appris une autre langue et je peux par conséquent encore communiquer avec eux dans cette langue.
Je voudrais bien savoir quel rapport il peut y avoir entre la langue et la loyauté ou l'allégeance envers le pays dont on veut devenir citoyen.
M. Francisco Rico-Martinez: En un mot, aucun.
M. Joseph Volpe: Je n'ai pas entendu.
M. Francisco Rico-Martinez: Aucun.
M. Joseph Volpe: Bien. Je ne savais plus très bien au juste. Je pensais que vous estimiez qu'il y avait un rapport entre les deux. Je suis heureux de constater que nous sommes du même avis à ce sujet.
Madame la présidente, je crois que je vais profiter du fait que je n'ai pas encore dépassé le délai qui m'était accordé pour m'arrêter.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je pensais que vous alliez continuer, monsieur Volpe. Nous donnerons toutefois une chance à M. Bryden.
M. Joseph Volpe: Vous avez été très aimable de me laisser faire une entrée en matière. Je n'ai pas pu résister à la tentation de parler des États-Unis.
M. John Bryden: Je voudrais juste situer les questions que j'ai posées antérieurement et vous inviter à faire des commentaires sur mes opinions. Je serai clair.
Ce qui me préoccupe surtout, ce sont les réfugiés en provenance de zones de conflit qui obtiennent la citoyenneté. Je ne suis pas trop inquiet au sujet de personnes comme M. Telegdi qui sont ici depuis 10, 20, 30 ou 40 ans. Ce qui me préoccupe, c'est la possibilité que certaines personnes en provenance de zones de conflit obtiennent la citoyenneté grâce à la procédure régulière et à la protection qu'elle assure, puis retournent dans leur patrie pour participer au conflit dans un camp ou dans l'autre.
Le problème est le suivant: aucune disposition du projet de loi ne prévoit la révocation de citoyenneté d'une personne qui retourne dans sa patrie pour prendre les armes contre le Canada. Rien n'est prévu à cet égard. Si, dans un tel cas, nous n'accordons pas au ministre le pouvoir de révoquer la citoyenneté sans suivre les voies de droit régulières, cette personne sera jugée selon la loi et accusée de trahison. Autrement dit, pour un citoyen canadien, le fait de prendre les armes contre ses concitoyens est une infraction beaucoup plus grave que celle dont il serait accusé si l'on donnait au ministre la possibilité d'annuler la citoyenneté pour faire intervenir un autre type de procédure.
Par conséquent—c'est mon avis, mais vos opinions sont peut- être différentes—nous sommes en présence d'une situation où des jeunes gens venus de diverses régions du monde sont rappelés dans leur pays d'origine par leur parenté pour y prendre les armes. D'après les journaux, ils promettent de retourner dans leur patrie même s'ils ont obtenu la citoyenneté canadienne comme réfugiés. Ils déclarent en fait aux journalistes qu'ils ont effectivement l'intention de retourner dans leur patrie pour y prendre les armes. Il est possible que, sous peu, ils se battent contre des soldats canadiens.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je voudrais que votre réponse soit très brève, monsieur Rico-Martinez.
M. Francisco Rico-Martinez: Oui. Il y a en fait deux problèmes.
Dans une section du nouveau projet de loi qui est consacrée à la sécurité nationale, et plus précisément à l'alinéa 23(2)a), il est question des activités «qui constituent des menaces envers la sécurité du Canada». C'est à cette section du nouveau projet de loi que vous faites allusion.
Ce que nous voulons savoir, c'est ce que vous entendez par «sécurité nationale», étant donné que ce n'est pas indiqué dans le projet de loi. Par ailleurs, quel type de procédure va-t-on adopter à l'égard d'un Canadien qui se met dans ce genre de situation? Somme toute, ce sont les deux points qui nous préoccupent: nous voudrions une définition de la notion de «sécurité nationale» parce qu'elle n'est pas claire; nous souhaiterions par ailleurs que l'on précise quelles seront les «voies de droit régulières» dans ce genre de cas.
Le climat politique joue un rôle très important sur le plan historique. À l'heure actuelle, certains Canadiens, voire des Américains et des ressortissants d'autres pays, se joignent à l'armée de libération du Kosovo et se battent contre des adversaires. Peut-être que dans 20 ans, on ne verra plus ces événements du même oeil que maintenant, et c'est précisément là- dessus que nous voulons attirer votre attention. C'est parfois une question de perception politique et, même si nous croyons que c'est entièrement justifié pour le moment, il se peut qu'il s'agisse après tout d'un simple malentendu, qui pourrait avoir des répercussions sur l'application de la loi.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci. Je voudrais poser une ou deux questions.
Voici la première: vous avez parlé de l'absence de possibilité de devenir citoyen même s'il s'agit d'une erreur commise en toute innocence. Je pensais qu'il y avait une procédure appelée le pardon, permettant à l'intéressé de demander au ministère de réviser son cas, ce qui lui permettrait éventuellement de demander le statut d'immigrant, en suivant la procédure régulière. C'est ma première question.
• 1645
Ma deuxième question porte sur la durée de la résidence. Vous
reconnaissez que lorsqu'une personne demande le statut de réfugié
au Canada, la durée de la période de résidence devrait être
calculée à partir du moment où elle est arrivée au Canada, un point
c'est tout. Je suis d'accord. Je dirais que si nous raccourcissions
le délai entre l'arrivée au Canada et la décision de la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié, on pourrait peut-être
faire coïncider les deux un peu plus que maintenant. C'est ce que
j'espère.
Ma troisième question porte sur la langue dans laquelle on prête le serment. Je suis entièrement d'accord avec M. Volpe à ce sujet. Nous savons—et je l'ai déjà dit à mes collègues—que ce ne sont pas les immigrants de la première génération qui deviennent de vrais citoyens canadiens mais ceux de la deuxième voire la troisième génération. C'est eux que l'on peut considérer comme de véritables Canadiens non seulement de par leur langue mais aussi de par leur culture. En ce qui me concerne, le problème de la langue dans le contexte de la cérémonie ne me préoccupe pas beaucoup.
Je voudrais toutefois que l'on m'explique une chose en ce qui concerne le serment. J'ai tendance à croire que l'intéressé doit être capable de prêter serment en français ou en anglais, étant donné qu'il y a eu une répétition en quelque sorte et que l'on a tout expliqué dans les cours préparatoires à la cérémonie de prestation de serment.
Je voudrais que vous fassiez des commentaires sur ces trois points.
M. Francisco Rico-Martinez: Nous sommes exactement du même avis que vous en ce qui concerne le serment: il faut d'abord faire une «répétition» pour que la personne comprenne la nature du serment et qu'elle prête serment en anglais au cours de la cérémonie. C'est exactement ainsi que l'on procède actuellement et nous tenons à ce que cette tradition soit maintenue.
Quelle était l'autre question?
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Elle concernait la durée de la période de résidence. Vous avez parlé de pardon.
Mme Sharryn Aiken: Je pense que la loi actuelle contient déjà un mécanisme de règlement en ce qui concerne ce genre de problème. Le système proposé dans le projet de loi C-63 complique la tâche à l'intéressé et ne facilite pas le redressement des erreurs involontaires. Le terme «délibérément» a été retranché, alors qu'il avait une importance capitale.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci beaucoup d'être venus. Nous vous avons écoutés attentivement. Nous avions beaucoup de questions à vous poser et, comme vous avez pu le constater, nous avons manifesté beaucoup d'intérêt.
Mme Sharryn Aiken: Merci.
M. Francisco Rico-Martinez: Merci.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci encore.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Veuillez vous asseoir. Nous reprenons nos travaux.
Je tiens à signaler la présence des représentants du Conseil national des associations canadiennes des Philippines, M. Salvador Cabugao, président et M. Emilio Benavince, conseiller juridique. Bonjour. Monsieur Cabugao, je pense que nous avons déjà eu le plaisir de nous rencontrer.
Soyez les bienvenus. Vous avez environ huit minutes pour faire un exposé, après quoi les membres du comité vous poseront des questions.
M. Salvador Cabugao (président, Conseil national des associations canadiennes des Philippines): Merci, madame la présidente.
Notre conseiller juridique, M. Emilio Benavince, vous exposera nos préoccupations au sujet du projet de loi C-63, sous l'angle juridique. Cela lui prendra environ six minutes. Ensuite, je vous parlerai des préoccupations de notre communauté pendant les deux dernières minutes.
Emilio.
M. Emilio Benavince (conseiller juridique, Conseil ethnoculturel du Canada et Conseil national des associations canadiennes des Philippines): Merci.
J'examine votre avant-projet de loi depuis un certain temps déjà. Cela vous intéressera peut-être de savoir que je suis professeur de droit international et de droit constitutionnel, mais je ne suis pas ici pour vous donner un cours. Je suis venu pour tenter de vous donner quelques éclaircissements au sujet des dispositions de ce projet de loi que je trouve passablement dures. Il y en a beaucoup. Je ne peux malheureusement pas les examiner toutes.
La première chose qu'il faut déterminer au sujet de ce projet de loi, c'est si les exigences sont justifiables. La deuxième question qu'il faut se poser concerne la méthode employée pour en arriver à une décision. Il convient de se demander si elle est suffisamment réaliste, si vous allez en arriver à une conclusion entièrement justifiée. Pour cela, il faut comprendre pourquoi vous exigez la citoyenneté canadienne et l'objectif que l'on veut atteindre.
À mon avis, le premier principe qu'il faut comprendre, c'est que la citoyenneté n'est pas à sens unique. Il y a un facteur de réciprocité qui s'y rattache. Les candidats à la citoyenneté canadienne auront à la fois des droits et des obligations à assumer. Si l'on ne comprend pas cela, on aura tendance à mettre exagérément l'accent sur les «valeurs canadiennes», sans se rendre compte que la personne qui vient au Canada assume également des obligations. Il existe un lien justifiable entre les obligations et les droits. On ne peut nier certains types de droits à une personne qui vient ici et ne lui imposer que des obligations.
À un certain moment, un citoyen canadien né au Canada, ou qui est citoyen de par ses parents, se confond pour ainsi dire avec la personne à laquelle vous refusez la citoyenneté parce qu'elle ne remplit pas ses obligations. Vous la privez de ce fait de deux types de droits. Les premiers sont les droits démocratiques et politiques qui sont, bien entendu, très importants. Vous privez en fait l'intéressé du droit de vote. Le deuxième type de droits, c'est la liberté de circulation et d'établissement, le droit d'aller dans un autre pays puis de revenir ici. Ce sont des droits très importants.
L'autre observation que je voudrais faire est que la notion de citoyenneté a considérablement évolué. À l'origine, c'était une notion très féodale. Ses origines remontent à une époque du Moyen 'ge, voire à une période antérieure. Il s'agissait de former un groupe de personnes pour se protéger des agressions venant de l'extérieur. Quand la société grossit, les agressions se multiplient. À l'origine, le concept de citoyenneté avait un caractère purement défensif. On devenait citoyen de tel ou tel clan ou groupe parce que l'on voulait être défendu par quelqu'un qui avait le pouvoir.
Après le déclin de la féodalité, les déplacements humains ont commencé en même temps que la colonisation et dans notre société actuelle, ils sont devenus très fréquents. Quand on veut rédiger un projet de loi sur la citoyenneté, on voudrait qu'il soit parfaitement adapté à une société planétaire mobile. J'estime que votre projet de loi est fondé sur des principes qui sont archaïques.
Le troisième aspect important dont il faut tenir compte est la cohérence. Il est nécessaire que les nouvelles dispositions proposées soient compatibles, en principe du moins, avec certains types de droits fondamentaux qui sont reconnus dans la Constitution et plus particulièrement dans la Charte. J'en ai mentionné deux: les droits démocratiques et les droits à l'égalité ainsi que la liberté de circulation et d'établissement.
Il est très injuste de refuser la citoyenneté canadienne à un immigrant qui, sur les plans psychologique et affectif, est aussi Canadien qu'un Canadien de naissance; en effet, c'est une question d'attachement. Par conséquent, le problème est le suivant: le pouvoir que vous vous attribuez d'établir des critères de citoyenneté est en fait un pouvoir qui vous permet de décider quelles personnes sont mises sur un pied d'égalité. En fait, vous attribuez le pouvoir de décider qui bénéficiera des droits politiques, de la liberté de circulation et d'établissement et, en fin de compte, de certains types de droits constitutionnels. J'estime qu'à cet égard, votre projet de loi aura des conséquences lamentables.
• 1655
D'une façon générale, le ministère—et vous aussi
d'ailleurs—prétend que l'on voulait éliminer certaines
incongruités et qu'il était nécessaire de préciser certains points
dans la loi. Le premier argument invoqué est donc qu'il faut faire
disparaître certaines ambiguïtés. Le deuxième, c'est qu'il faut
rehausser la valeur de la citoyenneté canadienne. Je passe
directement à ce dernier sujet.
Nous n'avons pas besoin de rehausser la valeur de la citoyenneté canadienne étant donné la réputation dont elle jouit à l'échelle mondiale. Nous sommes légèrement paranoïaques. Nous faisons en quelque sorte un complexe d'infériorité. Il ne s'agit pas d'améliorer la réputation de la citoyenneté canadienne mais plutôt de déterminer qui la mérite. C'est très différent.
Je ne crois pas que les critères d'acquisition de la citoyenneté canadienne que vous proposez rehaussent sa valeur. Ce n'est pas ainsi qu'on y arrivera. Il y a des moyens plus efficaces. Vous vous proposez d'éliminer toutes les ambiguïtés pour éviter tout risque d'interprétation. Certaines incongruités ont été mises en évidence dans les innombrables cas où il y a eu contestation. Je vous signale que toutes les lois prêtent à interprétation. On ne peut pas bureaucratiser la citoyenneté. On ne peut pas la rattacher à un système purement mécanique. Il n'est pas possible de se baser uniquement sur une liste de contrôle. L'application de toute loi requiert un certain jugement. Il nous faut des personnes qui puissent rendre une décision sans se baser uniquement sur une liste de contrôle. L'interprétation est l'essence même de tout système juridique. C'est elle qui permet d'en faire un système sain et équilibré. Si l'on écarte toute possibilité d'interprétation, le processus devient purement mécanique et par conséquent impitoyable.
De toute façon, c'est un but impossible à atteindre. Vous n'arriverez jamais à rédiger une loi qui ne nécessite pas un minimum d'interprétation. Dans votre projet de loi par exemple, il est vaguement question de «connaissance suffisante». Il faut que quelqu'un précise ce que l'on entend par là. Si l'on peut préciser ce que l'on entend par «connaissance suffisante», pourquoi ne pourrait-on pas en faire autant pour le concept de «résidence»? Ce n'est pas normal. Il est à mon sens absolument ridicule de croire que l'on puisse faire appel au jugement pour certains types de concepts et non pour d'autres. Comment trouver des personnes prêtes à rendre une décision en fonction de tels critères? À mon humble avis, la solution réside dans le choix de juges plus compétents et non dans une formulation plus efficace de la loi.
Toutes ces considérations me poussent à aborder un des aspects de ce projet de loi qui m'irrite au plus haut point et que l'on m'avait demandé d'examiner. Il s'agit de la question de la présence physique. Cette notion est tellement omniprésente dans votre projet de loi qu'elle risque d'empêcher certains Canadiens de la troisième génération de conserver la citoyenneté que leur ont transmise leurs parents, pour la seule raison qu'ils ne vivent pas au Canada.
Vous avez perdu de vue l'importance de la lignée. Vous avez perdu de vue l'importance de la culture et des liens affectifs avec le Canada. La présence physique n'a rien d'indispensable, surtout pas dans une société aussi mobile que la nôtre, dans une société planétaire. Je vous assure que bien des personnes qui vivent en dehors du pays sont plus attachées au Canada que d'autres qui ont passé toute leur vie ici. C'est une erreur de considérer la présence physique comme un critère absolu.
Il est injuste de faire perdre la citoyenneté à un Canadien issu d'une famille établie depuis trois générations à l'étranger pour la seule raison qu'il vit depuis longtemps à l'extérieur du Canada ou à un Canadien de deuxième génération qui a omis de se faire inscrire au registre à l'âge de 28 ans. En fait, ce sont les raisons pour lesquelles cette personne est à l'étranger qu'il faut comprendre.
• 1700
Les motifs convaincants et justifiables de leur absence
peuvent être très révélateurs. De toute façon, j'estime que l'on ne
devrait perdre la citoyenneté acquise par la naissance pour aucun
motif, si ce n'est pour cause de trahison. C'est un des droits les
plus élémentaires. Il faut supprimer les dispositions qui prévoient
la possibilité de perdre la citoyenneté pour la seule raison que la
personne concernée est un Canadien de troisième génération. On peut
exiger à la rigueur que cette personne se fasse inscrire. C'est
effectivement justifiable, parce que la demande d'inscription est
une preuve que l'intéressé souhaite rester Canadien. Ce n'est pas
trop coûteux. Cependant, combien de Canadiens vivant actuellement
à l'étranger seront au courant de la perte automatique de la
citoyenneté pour les membres de la troisième génération et combien
sauront qu'il faut se faire inscrire à l'âge de 28 ans. Aucun.
C'est très compliqué.
Je voudrais parler maintenant du problème de la présence physique, étant donné que cela dépend de ce que l'on entend par «résidence».
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Excusez-moi de vous interrompre, monsieur Benavince. Il vous reste deux minutes. Je vous demande donc de choisir soigneusement. Vous pourrez peut-être poursuivre vos observations lorsque vous répondrez aux questions.
M. Emilio Benavince: Si la citoyenneté est définie en fonction de la période de résidence, il est à craindre qu'il y ait confusion entre résidence et domicile. Cette notion se retrouve dans un très grand nombre de lois, notamment dans la Loi de l'impôt sur le revenu et dans la Loi sur le divorce. Elle est très répandue. Si la question n'est pas très difficile à trancher pour certains juges qui font preuve d'imagination, je ne vois pas pourquoi il en serait autrement en ce qui concerne la Loi sur la citoyenneté. Dans toutes ces lois, il n'a jamais été question de devoir faire une distinction entre résidence et domicile.
À la page 6 de notre mémoire, je vous recommande une solution originale au problème de la présence physique.
Le dernier point que je voudrais aborder concerne la décision d'appeler désormais les juges de la citoyenneté des commissaires à la citoyenneté. Ce changement est parfaitement inutile; c'est le type de fonctions que ces personnes doivent assumer qui est capital. Si votre seul désir est que les fonctions du commissaire se bornent à prendre une décision en se basant uniquement sur une liste de contrôle, autrement dit qu'elles deviennent purement mécaniques, cela n'a aucune importance. Par contre, si vous voulez qu'il porte un jugement, appelez-le donc juge. J'estime qu'il est essentiel de porter un jugement dans ces cas-là.
Enfin, je vous recommande de jeter un nouveau regard sur les valeurs liées à la citoyenneté. Nos valeurs ne sont pas aussi évidentes que nous nous plaisons à le croire.
Merci.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci beaucoup, monsieur Benavince.
Je tiens à vous signaler qu'un mémoire a été déposé mais dans une des deux langues officielles seulement. Tenez-vous bien, il est en français. Par conséquent, nous le conservons jusqu'à ce qu'il ait été traduit. Nous vous le distribuerons dès que possible.
Merci, messieurs.
Monsieur McNally, vous avez des questions à poser aux témoins.
M. Grant McNally: Merci, madame la présidente.
Merci pour votre exposé.
Je suppose que les suggestions que vous avez faites quant à la modification ou à la suppression de certains articles du projet de loi se trouvent dans le mémoire que nous recevrons plus tard. Est- ce le cas?
M. Emilio Benavince: Étant donné que l'on m'a demandé d'examiner ces deux aspects, et plus particulièrement la question de la présence physique, j'ai une formule à vous suggérer pour apporter des modifications au projet de loi à cet égard. Je vous prie de bien vouloir la prendre en considération.
Je vous recommande une approche en deux étapes. Si vous tenez absolument à exiger la présence physique, vous pouvez accepter que la loi exige que le requérant ait résidé au Canada pendant au moins trois ans au cours des cinq dernières années. Par contre, vous pouvez ensuite glisser dans le projet de loi une autre disposition stipulant que le requérant doit fournir des preuves d'une présence physique minimum, de 100 ou de 200 jours, par exemple. Vous pouvez en faire un critère absolu mais il est exagéré, il me semble, d'exiger une présence de trois ans. Je vous recommande d'exiger une période de présence d'environ 180 jours, ce qui est tout aussi efficace dans la plupart des cas.
• 1705
Par ailleurs, on peut stipuler que toute personne qui n'a pas
séjourné effectivement au Canada depuis un an ou deux est présumée
non résidente, à moins de fournir des preuves crédibles que son
absence était temporaire et justifiable. C'est alors qu'il convient
de porter un jugement. Il faut au moins avoir des motifs
justifiables, des motifs sérieux. Vous devriez donner une chance à
l'intéressé au lieu de l'exclure d'emblée parce qu'il n'a pas passé
trois ans au Canada.
J'ai défendu une cause pour laquelle le jugement a été rendu il y a environ une semaine. Il s'agit d'une femme qui était venue au Canada à l'époque où elle était étudiante. Elle avait économisé beaucoup—elle était encore mineure—et avait acheté une maison où vivent ses parents. Elle avait toutefois dû retourner à Hong Kong pour terminer ses études. Une fois ses études terminées, elle est revenue au Canada et a voulu faire une demande d'emploi. Vous savez ce qui se passe dans le domaine de l'emploi. Elle n'a pas pu trouver d'emploi parce qu'elle était médecin. Elle s'était mariée entre-temps, avait eu un enfant et avait laissé l'enfant ici. Elle avait été obligée de retourner à Hong Kong pour pouvoir survivre et pour aider sa famille.
Elle n'avait que deux possibilités: être à charge de l'assistance sociale—avez ses parents—ou trouver un emploi. Elle n'a pas pu obtenir la citoyenneté canadienne. C'est absurde. Elle avait un enfant qui vivait ici depuis plusieurs années et possédait une maison. Malgré cela, parce qu'elle n'avait pas été présente physiquement pendant toute cette période, sauf 180 jours environ, sa demande de citoyenneté a été rejetée.
J'ai demandé au juge s'il aurait préféré qu'elle se soit mise à la charge de l'assistance sociale au lieu de retourner à Hong Kong pour pouvoir aider ses parents. Il m'a donné une réponse de fonctionnaire: «Elle doit être physiquement présente. C'est ce qui est indiqué dans le guide».
M. Grant McNally: Merci. Vous avez employé des termes comme «dures», «archaïques» et «erronées», à propos de certaines dispositions de ce projet de loi. Je sais que vous auriez beaucoup d'autres commentaires à faire à ce sujet, mais notre temps est compté. Je me demande si vous ne pourriez pas nous faire parvenir plus tard un résumé de vos principaux commentaires en indiquant clairement les divers articles du projet de loi sur lesquels ils portent.
M. Emilio Benavince: J'ai rédigé il y a un certain temps un mémoire assez long, avant que l'Association du Barreau canadien ne fasse le sien. Je comptais le présenter à cette dernière mais, pour une raison ou pour une autre, j'ai été évincé. Je vous ferai parvenir volontiers l'analyse que j'ai faite au sujet de ce projet de loi, étant donné le nombre de dispositions qui sont contestables.
Je voudrais dire quelques mots au sujet de la question de la langue. La langue est intimement liée à la culture. Qu'on le veuille ou non, le Canada est un pays bilingue. On ne peut pas exiger un niveau de connaissance extrêmement élevé mais le désir d'apprendre suffit. On peut se baser sur ce dernier critère; il ne faut pas éliminer des candidats pour la seule raison qu'ils ne parlent pas la langue. Après tout, l'attachement n'est pas un critère obligatoire.
Si les intéressés veulent apprendre la langue, c'est très bien, surtout en ce qui concerne les immigrants de la première génération. Ce serait à voir en ce qui concerne les membres de la deuxième génération. Par contre, si vous travaillez en tandem avec la Loi sur l'immigration, il est probable que certaines prescriptions se recoupent. Par conséquent, il faudrait examiner le problème sous cet angle également.
M. Grant McNally: Merci.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur McNally.
Monsieur Martin, avez-vous des questions à poser aux témoins?
M. Joseph Volpe: J'invoque le Règlement, madame la présidente. M. Benavince nous fera-t-il parvenir son texte?
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Pardon. Merci de me l'avoir rappelé.
Monsieur Benavince, vous pourriez peut-être envoyer à la greffière ou me faire parvenir un exemplaire du texte dont vous venez de parler et nous veillerons à ce qu'il soit distribué à tous les membres du comité.
M. Emilio Benavince: Il s'agit d'une analyse très technique des modifications que je recommande.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): D'accord. Merci.
M. Emilio Benavince: Je me ferai bien entendu un plaisir de vous faire parvenir ce texte.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Monsieur Martin.
M. Patrick Martin: Merci. J'ai fait remarquer au dernier groupe de témoins que certains thèmes revenaient constamment dans la plupart des témoignages que nous avons entendus.
• 1710
Un des deux thèmes qui ressortent le plus des témoignages de
la collectivité philippine—au Manitoba ou ici—c'est le problème
de la langue. J'estime que c'est capital. Nous sommes en train de
rédiger des propositions d'amendements pour que soient biffés les
termes «sans l'aide d'un interprète» et que soit rétabli, pour ainsi
dire, le texte initial.
Un des arguments invoqués par certains groupes est que, même si une personne a passé au Canada les trois années nécessaires pour être admissible, il se peut que, durant cette période, elle ait été tellement occupée à exercer un voire deux emplois ou à élever des enfants, qu'elle n'avait pas l'occasion d'accéder à un niveau de connaissance suffisant d'une des deux langues officielles pour réussir un test compliqué portant sur les diverses étapes de l'adoption d'un projet de loi à la Chambre des communes. Cela ne veut pas dire que cette personne n'est pas capable d'exercer sa profession, de mener une vie normale dans la collectivité ni d'appeler une ambulance si son enfant est en train d'étouffer parce qu'il a avalé un os de poulet. Ces personnes-là sont capables de s'en tirer assez bien dans la vie courante. Par conséquent, je suis heureux qu'on ait abordé à nouveau le sujet aujourd'hui et qu'on nous ait rappelé ces réalités.
Le deuxième point d'achoppement concerne la présence physique effective pendant 1 095 jours. À ce sujet, je suis entièrement d'accord avec vous. Je ne crois pas qu'une telle exigence permette de prouver quoi que ce soit. Je ne crois pas qu'elle permette de déterminer si la personne concernée sera un bon citoyen ni d'évaluer son degré d'intérêt pour la citoyenneté canadienne. Je crois qu'une présence de 180 jours serait un compromis raisonnable. Cela fait six mois. Je serais prêt à l'accepter.
Et même si cette période n'était que de six mois, quels critères recommanderiez-vous d'appliquer par exemple dans le cas d'une personne qui a dû s'absenter du pays pour aider un membre de sa famille malade ou s'occuper de ses affaires ou encore pour des motifs légitimes? Sur quels critères vous baseriez-vous pour décréter qu'une absence temporaire du Canada pendant une partie de cette période de 180 jours est justifiable? Quelle formule recommanderiez-vous?
M. Emilio Benavince: Il n'est pas possible d'énumérer une série de critères pour la bonne raison que, comme je l'ai déjà souligné, chaque cas est unique en matière de citoyenneté. La famille est pour ainsi dire unique et la situation dans laquelle elle se trouve est pratiquement unique.
Prenez la question de la langue, par exemple. Je doute beaucoup que la plupart des immigrants n'aient pas le moindre désir d'apprendre l'anglais ou le français. Ils désirent apprendre. La plupart du temps, s'ils n'apprennent pas la langue, c'est tout simplement parce qu'ils n'en ont pas les moyens ou pas le temps. Les raisons sont tellement personnelles qu'il est impossible de les énumérer toutes.
C'est la même chose en ce qui concerne l'absence du Canada. Je dirais qu'il faudrait avoir au moins deux exigences à cet égard: l'absence doit être temporaire et elle doit être justifiable. Les tricheurs ne pourraient pas contourner ce deuxième critère; ils pourraient toujours faire croire que leur absence était temporaire mais il est difficile d'inventer des motifs de toutes pièces, parce qu'il faut les justifier.
Je crois que je laisserais au juge le soin de trancher la question. Un juge qui examine en toute impartialité le cas d'un candidat à la citoyenneté canadienne doit bien être capable de faire la différence entre des motifs d'absence crédibles et des raisons fantaisistes. Je suis certain que les juges seront capables de faire preuve de discernement à cet égard.
M. Pat Martin: Ai-je encore le temps pour une autre question?
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): D'accord, monsieur Martin.
M. Pat Martin: Que faudrait-il faire dans le cas d'une personne qui perd sa citoyenneté parce qu'elle a atteint l'âge de 28 ans et qu'elle ne répond pas encore au critère de période de résidence de trois ans? Pouvez-vous nous dire d'abord si cette exigence est acceptable et ensuite si vous pensez que cette personne n'aurait plus qu'à devenir résident permanent ou apatride?
M. Emilio Benavince: J'estime que la citoyenneté de naissance est un héritage.
À une certaine époque, le même genre de problème constitutionnel s'est posé à propos du statut d'Autochtone. À mon avis, le fait d'être né Autochtone est un héritage. Ce n'est pas parce que l'on est parti ailleurs que l'on perd son statut d'Autochtone. On devrait toujours rester Autochtone.
Le même raisonnement s'applique à la citoyenneté canadienne. C'est important à mon avis. Soit dit en passant, cette situation a ses avantages. On devrait encourager les Canadiens à aller à l'étranger, parce qu'ils sont les meilleurs ambassadeurs de notre pays. Ils peuvent en vanter les mérites. On ne devrait pas avoir peur que les Canadiens s'expatrient. Ceux qui veulent s'expatrier ne savent pas ce qu'ils perdent.
• 1715
Par conséquent, je ne crains rien à ce sujet. Cette
disposition est inspirée par une crainte paranoïaque.
Voici ce que je propose: étant donné qu'on exige la plupart du temps que les Canadiens vivant à l'étranger se fassent inscrire dans les diverses missions canadiennes par mesure de protection, on est par conséquent en mesure de les localiser et, si l'on décide de fixer la limite à 28 ans, on pourrait par exemple leur envoyer un avis les invitant à se faire inscrire, sous peine de perdre leur citoyenneté canadienne. Il faudrait prendre l'initiative. Il ne faut pas compter sur eux, parce qu'ils risquent d'oublier. Je trouve que le projet de loi est un peu trop strict à cet égard.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci beaucoup.
Monsieur Bryden, je pense que vous aviez une question à poser.
M. John Bryden: Mon père est arrivé de Grande-Bretagne en 1925 et je suis né au Canada. D'après les règlements de l'époque, j'avais droit à la citoyenneté britannique du fait que mon père était né en Grande-Bretagne. En fait, il n'a jamais pris la citoyenneté canadienne mais cela n'a aucune importance en l'occurrence.
Pendant ma jeunesse, je suis allé en Grande-Bretagne et je n'avais pas du tout l'impression que c'était mon pays. J'avais alors et j'ai toujours le sentiment que si certains aspects de la tradition britannique ne m'étaient pas étrangers du fait que j'étais né au Canada, c'était tout de même un pays complètement différent.
Par conséquent, je me pose des questions au sujet de l'exemple que vous avez cité parce que, quand on est né à l'étranger, de parents canadiens, et qu'on y a passé sa jeunesse, il est difficile de considérer le Canada comme sa patrie. En ce qui me concerne du moins, je n'arrive pas à considérer la Grande-Bretagne comme ma patrie.
M. Emilio Benavince: Il y a une possibilité de régler ce genre de situation appelée double citoyenneté. Dans certains cas, on peut exiger un processus de répudiation parce que le fait d'omettre de s'inscrire est en soi une répudiation. Vous essayez en fait de donner à ces gens-là l'occasion de renoncer à leur citoyenneté.
Je crois qu'il est de notre devoir de faire savoir aux intéressés qu'il existe une possibilité de répudiation de citoyenneté de fait, ou par consentement. Ils sauraient par conséquent qu'une décision cruciale est sur le point d'être prise, ce qui est autre chose que de rendre une décision par défaut. C'est très important.
M. John Bryden: Vous avez dit que la citoyenneté est un statut transmis par les parents, que c'est un héritage. Vous avez fait la comparaison avec le statut d'Autochtone.
Je vous rappelle mon cas personnel. Je suis né de parents britanniques. C'est un fait incontestable. Par contre, j'ai le sentiment profond de ne pas pouvoir me considérer comme Britannique. J'ai l'impression d'avoir des liens de parenté plus étroits avec vous qu'avec un Britannique, malgré les liens ancestraux.
Malgré tout le respect que je vous dois, je dois vous dire que je ne trouve pas vos comparaisons très convaincantes.
M. Emilio Benavince: Je comprends.
M. John Bryden: J'irais même plus loin. Je suis très conscient du fait que nous faisons face à un terrible problème en ce qui concerne l'ex-Yougoslavie. C'est le même type de problème. Si l'on applique votre raisonnement, toute personne née au Canada, de parents serbes, doit se considérer comme étant citoyen serbe. Dans ce cas, cette personne doit se considérer, ne fût-ce que par loyauté, solidaire des événements qui frappent actuellement la Serbie. En poussant votre raisonnement plus loin, dans le cadre d'un conflit, certaines personnes pourraient faire abstraction du pays qu'elles connaissent, c'est-à-dire le Canada, pour défendre le pays qu'elles ne connaissent pas, quant à moi.
M. Emilio Benavince: La réponse est la suivante: il y aurait répudiation à partir du moment où la personne quitte le Canada pour émigrer à l'étranger, mais cette personne serait apatride en attendant d'avoir obtenu la citoyenneté d'un autre pays.
Je ferai une distinction. Je ne présumerai pas qu'il y a répudiation du seul fait de l'absence. Dans bien des pays, la citoyenneté n'est pas nécessaire pour avoir droit de résidence. Vous pouvez vivre aux États-Unis; de nos jours, il y a des centaines de pays où l'on se rend pour profiter du climat ou pour quelque autre raison. J'estime que l'on ne peut pas interpréter la seule absence du Canada comme une répudiation tacite.
• 1720
J'admets à la rigueur qu'à partir du moment où quelqu'un
émigre pour aller s'établir dans un autre pays, on en déduise, dans
un premier temps, qu'il y a intention de quitter le Canada.
J'admets que l'on estime qu'il y a répudiation à partir du moment
où l'intéressé obtient la citoyenneté de l'autre pays. J'admets que
l'on considère qu'un Canadien de la deuxième génération, qui n'a
jamais manifesté le moindre désir de conserver la citoyenneté
canadienne héritée de ses parents canadiens, ait en quelque sorte
accepté la répudiation de citoyenneté d'un de ses parents. Il
faudrait toutefois au moins lui donner une chance de décider. Voilà
ce que je veux dire.
On ne peut interpréter le simple fait d'être absent du Canada comme une répudiation. C'est impossible.
M. John Bryden: D'accord.
Merci, madame la présidente.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci.
Je crois que vous avez manifesté le désir de faire quelques dernières observations, monsieur Cabugao.
M. Salvador Cabugao: Oui, madame la présidente.
Notre exposé est analogue à celui du Conseil ethnoculturel du Canada qui a été présenté il y a une semaine. Je vous signale que nous avons insisté sur plusieurs aspects importants, et principalement sur le déni et la répudiation de citoyenneté.
Le document que nous vous avons remis contient 15 recommandations. Je me contenterai de vous lire les recommandations 11 et 13, parce qu'elles ont une incidence sur le rôle et les pouvoirs du ministre.
-
(11) Le ministre doit exercer ses pouvoirs avec prudence et
compassion, en tenant compte du degré de gravité de l'infraction,
compte tenu de la possibilité de commettre une erreur «involontaire»
en faisant la demande. Par exemple, le fait d'omettre de signaler
que l'on a des personnes à charge à cette occasion ne devrait pas
être un motif d'annulation de la citoyenneté et la loi devrait
permettre aux citoyens naturalisés de corriger leurs erreurs, selon
des lignes directrices bien précises.
-
(13) Le ministre ne doit pas avoir le pouvoir absolu dans le
contexte de la Loi sur la citoyenneté alors que les droits des
citoyens et des immigrants sont protégés par la Constitution et par
la Charte des droits et libertés. La Loi sur la citoyenneté doit
offrir des possibilités de recours devant l'instance suprême du
pays et devrait être conforme à d'autres lois analogues qui
pourraient être révisées ou modifiées par le Parlement.
Voilà quelques-uns des points que je tenais à signaler. Je crois que vous aurez le temps de lire plus tard les 15 recommandations faites par nos collectivités.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Étant donné que le Conseil ethnoculturel du Canada a déjà présenté son mémoire, je m'abstiendrai de solliciter des questions de la part de mes collègues, à moins qu'ils n'y tiennent absolument.
M. Salvador Cabugao: D'accord.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Monsieur Benavince, je tiens à signaler que j'ai fort apprécié votre intervention au sujet des droits et des obligations liés à la citoyenneté. On a souvent tendance à oublier que certaines obligations vont de pair avec les droits.
Nous nous réjouissons de recevoir un exemplaire de votre mémoire. J'espère que vous le ferez parvenir dès que possible à notre greffière.
M. Emilio Benavince: Bien volontiers.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je le ferai distribuer aux membres.
M. Emilio Benavince: Certainement.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci encore d'être venus. Votre participation a été très appréciée.
M. Emilio Benavince: Merci.
M. Salvador Cabugao: Merci beaucoup de nous avoir permis de venir.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci.
Il me fait énormément plaisir de recevoir les représentants du Centre de recherche-action sur les relations raciales de Montréal, M. Fo Niemi, directeur général, et M. Walter Chiyantom, président du conseil d'administration. Bienvenue à vous deux. Je vous donne 10 minutes pour une présentation et nous passerons ensuite aux questions des membres du comité.
Maître Walter Chiyantom (avocat et président du conseil d'administration, Centre de recherche-action sur les relations raciales): Merci, madame la présidente.
Le CRARR désire d'abord remercier le Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de l'avoir invité à partager avec lui ses opinions sur le projet de loi C-63, Loi concernant la citoyenneté canadienne.
Le CRARR reconnaît l'importance pour le Canada de se doter d'une nouvelle loi sur la citoyenneté qui devrait refléter les valeurs modernes de notre société multiculturelle, multiraciale et bilingue, qui se retrouve en plein coeur d'une mondialisation sans précédent dans l'histoire.
À titre d'organisme montréalais indépendant qui oeuvre depuis 1983 dans le domaine des relations raciales et qui a pour mandat de promouvoir la participation active des membres des minorités ethnoculturelles et des communautés autochtones vivant en milieux urbains, dans tous les secteurs de la société, le CRARR se réjouit du fait que le projet de loi comporte plusieurs dispositions et éléments empreints d'équité.
Le CRARR reconnaît les défis formidables auxquels font face les autorités en matière de citoyenneté et d'immigration ainsi que ceux et celles qui, dans leur vie quotidienne, sont touchés directement par ces défis, soit les Canadiens et les Canadiennes de première génération ainsi que ceux et celles issus de l'immigration récente.
Cela étant dit, en situant le débat entourant la citoyenneté dans un contexte d'évolution économique, technologique et culturelle sans limite dans lequel se trouve le Canada, le CRARR désire faire ressortir en même temps plusieurs dispositions du projet de loi qui semblent peu productives et même nuisibles à plusieurs secteurs de la société.
Parallèlement, le CRARR constate qu'il existe quelques omissions dans le projet de loi actuel, qui vont au coeur de la signification de la citoyenneté dans une société postindustrielle et postmoderne. Cela s'avère particulièrement important dans le contexte d'un pays qui est obligé de redéfinir régulièrement ses valeurs et ses organisations sociales et économiques à cause des forces tant mondiales que domestiques, notamment les mouvements transnationaux de peuples et de cultures, la redéfinition des frontières géographiques, etc.
On aurait pu également, avec ce projet de loi, élaborer de manière plus substantielle la notion de la citoyenneté dans un contexte de postmodernité en considérant les oeuvres et les réflexions de penseurs sur l'identité canadienne afin de moderniser notre conception collective de la citoyenneté.
On aurait pu introduire—c'est une recommandation très concrète—dans le projet de loi un préambule inspirant qui résume, entre autres, les grands principes et valeurs que l'on retrouve actuellement dans les diverses conventions internationales portant sur les droits civils et économiques, sur les droits de l'enfant, sur les droits de la femme et sur le racisme, ainsi que dans la Charte canadienne et les diverses lois nationales. À titre d'exemple, le préambule de la Loi sur le multiculturalisme peut servir d'exemple.
On aurait pu aborder quelques sujets additionnels tels que la formation à la citoyenneté et les normes et objectifs fédéraux à adopter pour ce genre de formation.
Dans les chapitre à venir, le CRARR va aborder d'autres problématiques, plus particulièrement—là on va entrer dans le vif du sujet—l'incohérence de ce processus d'adoption du projet de loi.
Avant de présenter une analyse plus détaillée de ce projet de loi, il faut se demander pourquoi on est en train d'adopter un projet de loi qui touche vraiment au coeur de l'identité canadienne sans toucher le processus qui mène à cette conclusion. Autrement dit, il aurait été souhaitable que le gouvernement présente en même temps, ou même avant, un projet de loi portant sur l'immigration étant donné le lien étroit entre cette matière et la citoyenneté, et le fait que le projet de loi actuel comporte plusieurs notions juridiques pertinentes au domaine de l'immigration.
• 1730
Notre organisme n'a pas fait une
analyse juridique du projet de loi. Je crois que l'ABC,
l'Association du Barreau canadien, en a fait une
analyse assez détaillée mais, comme on le dit au Québec,
est-ce qu'on n'essaie
pas de faire passer la charrue devant les boeufs?
Autrement dit, il y a beaucoup de notions
importantes dans la Loi sur l'immigration. Peut-être
faudrait-il d'abord concrétiser cela avant de passer à la
Loi sur la citoyenneté.
L'autre chose importante, c'est que le fait d'adopter tout de suite un projet de loi sur la citoyenneté risque, selon nous, de compromettre la valeur réelle et l'efficacité des consultations sur les nouvelles orientations en matière d'immigration.
En d'autres mots, si la citoyenneté est la conclusion ou l'achèvement d'un processus d'obtention et de maintien de la résidence permanente, le fait de mettre d'abord en place des balises et des procédures limitant l'accès à la citoyenneté pourrait obliger le gouvernement à faire certaines réformes de la Loi sur l'immigration. C'est une considération très importante dont il faut tenir compte.
Pour ces raisons, parmi nos recommandations, nous suggérons au gouvernement du Canada de s'assurer: de l'uniformité dans la politique politique globale en matière de citoyenneté et d'immigration dont il se dotera pour le prochain siècle; de la cohérence avec les autres lois et politiques gouvernementales de nature sociale ayant un impact direct sur la citoyenneté et les nouveaux citoyens et citoyennes en devenir, dont la Loi sur le multiculturalisme, la Loi canadienne des droits de la personne et la Loi sur les langues officielles; et, finalement, de la cohérence avec les autres lois et politiques gouvernementales de nature économique, dans les domaines de la fiscalité, du commerce international et du développement économique.
Parlons maintenant de notions à modifier.
Pour ce qui est de la citoyenneté de naissance, le CRARR appuie les dispositions relatives à la citoyenneté de naissance, qui confirment en général les valeurs et les pratiques traditionnelles du Canada d'accorder la citoyenneté aux personnes nées au Canada.
Toutefois, l'alinéa 4(1)b) semble contredire l'article 3, car il empêche le droit à la citoyenneté aux personnes qui ne rencontrent pas l'exigence soi-disant générationnelle stipulée dans le projet de loi. Dans sa formulation actuelle, l'alinéa 4(1)b) signifie que la personne née à l'étranger d'un parent canadien au-delà de la deuxième génération ne serait plus considérée citoyenne. Quel raisonnement sous-tend cette forme de limite et d'exclusion, surtout dans le cadre de la mobilité des gens et de leurs familles dans une économie mondiale? Cette mesure est-elle compatible avec les conventions internationales et avec la Charte canadienne, surtout si l'on tient compte du fait que l'enfant né du sang canadien n'est nullement responsable du lieu de sa naissance? Mènerait-elle même à une situation d'enfants apatrides ou sans nationalité?
Passons maintenant à la question du citoyen par attribution et de la fameuse période de résidence physique.
L'article 6, portant sur la résidence physique, comporte plusieurs éléments qui ne doivent pas, à notre avis, être retenus dans leur formulation actuelle.
Nous réclamons surtout des modifications à l'exigence de résidence permanente d'au moins 1 095 jours au cours des cinq années précédant la date de la demande. Cette exigence est rigide et ne tient pas compte de l'effet de la mondialisation dont nous vous avons parlé auparavant.
Bien que le CRARR comprenne la préoccupation du gouvernement face aux résidants permanents qui ne résident au Canada que sur papier, il constate que l'exigence proposée ne correspond pas de manière très réaliste aux dynamiques et aux exigences contemporaines de la mondialisation et de l'économie canadienne.
Quelle que soit la raison réelle motivant cette nouvelle exigence, le CRARR ne demeure pas convaincu quant au lien de causalité entre la durée de résidence permanente ou la résidence physique et la capacité d'une personne d'accéder à la citoyenneté officielle ou de s'intégrer à la société canadienne.
• 1735
Faut-il rappeler de nouveau que les conditions
d'obtention de la citoyenneté doivent être
nécessairement et logiquement basées sur la capacité de
l'immigrant de rencontrer certaines obligations et de
remplir certaines responsabilités en tant que membre à
part entière de la société canadienne? En même temps,
la société canadienne se doit d'assumer elle aussi ses
responsabilités et obligations d'accueil et d'ouverture
en ce qui concerne l'intégration des immigrants.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je vais vous interrompre. Je vous donne encore deux minutes. Vous pourrez, dans les réponses aux questions qui vous seront adressées, nous faire part du reste de votre présentation ou des concepts que vous voulez présenter. Vous avez dépassé largement votre temps. Continuez pendant encore deux minutes, s'il vous plaît.
Me Walter Chiyantom: Le point essentiel concernant la résidence physique est le que le cheminement vers la citoyenneté commence dès la sélection de l'immigrant. Je parle non pas du moment de la sélection de l'immigrant par le Canada, mais du moment où la personne choisit le Canada comme pays de destination. Cette personne a déjà fait un choix. Elle veut que le Canada soit le pays où sa famille vivra et où ses enfants grandiront. Il faut tenir compte de ce cheminement.
Il faut aussi tenir compte du fait que beaucoup de ces gens, pour une raison ou une autre, ne peuvent pas être ici physiquement pour des raisons de commerce, parce qu'ils doivent gagner leur vie ailleurs. Ce qui est le plus important, c'est la notion d'identité canadienne, à savoir ce que veut dire être Canadien ou ce que veut dire être un résidant permanent.
Au fond, il faut regarder ce que cet immigrant donne à sa famille qui reste au Canada, dont les membres deviennent éventuellement des citoyens. Le monsieur ou la dame qui voyage un peu partout doit gagner de l'argent pour permettre l'intégration de sa famille. La notion de citoyenneté devrait donc être plus vaste et plus générale.
Finalement, l'élimination des demi-journées, plus particulièrement à l'article 5 de la présente loi—je suis certain que d'autres organismes ont présenté ce même point de vue—est carrément contraire à la logique de la présente loi. D'un côté, on exige la résidence physique parce qu'à ce moment-là, les gens peuvent mieux s'intégrer à la société, mais de l'autre côté, on ne tient pas compte de la résidence physique de certaines gens. Ce n'est pas logique. Il y a une incohérence dans la loi.
Je laisse M. Niemi vous faire part de la conclusion.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Monsieur Niemi.
M. Fo Niemi (directeur général, Centre de recherche-action sur les relations raciales de Montréal): En terminant, madame la présidente, nous aimerions vous faire part de deux autres éléments qui n'ont peut-être pas été adéquatement soulevés jusqu'à maintenant. Je vais le faire en anglais pour que ce soit plus rapide.
[Traduction]
Nous abordons un certain nombre de problèmes dans notre mémoire. Je crois qu'il contient également quelques recommandations très précises entraînant une modification du libellé du projet de loi, sans toutefois en modifier l'esprit. Cependant, nous voudrions en profiter pour dire que ce projet de loi aurait dû être une occasion de préciser ce que l'on entend par «citoyenneté canadienne».
Le ministère devrait pouvoir se référer à un cadre législatif lorsqu'il évalue les cours préparatoires à la citoyenneté. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'alors que le gouvernement fédéral a tendance à déléguer ses pouvoirs ou à signer des accords avec les provinces en matière d'immigration et de cours préparatoires à la citoyenneté, il n'existe pas de normes précises et que, par conséquent, les critères et le contenu des cours risquent de varier énormément d'une province à l'autre.
Nous estimons que c'est une question qui mérite d'être examinée parce que cela pose de gros problèmes dans certaines régions. Au bout du compte, les nouveaux arrivants risquent d'avoir une conception très différente du Canada, selon la région où ils sont établis.
• 1740
Nous estimons par ailleurs que l'on pourrait aborder le
problème de la citoyenneté comme condition d'emploi, dans la
fonction publique fédérale et à Élections Canada par exemple, dans
le cadre de la présente discussion. La Cour d'appel fédérale est
actuellement saisie d'une affaire concernant la fonction publique
fédérale et l'obligation d'avoir la citoyenneté canadienne pour
pouvoir y occuper un emploi. Je signale en passant que le
gouvernement du Québec a cessé de considérer la citoyenneté comme
une des conditions d'emploi dans la fonction publique provinciale,
du fait qu'il en est arrivé à la conclusion que la citoyenneté n'a
pas le moindre rapport avec les critères de compétence, de
connaissances ou de rendement. Il conviendrait d'examiner la
question, parce que cette exigence incite les futurs citoyens ou
résidents permanents à se demander si la société canadienne est
effectivement une société qui prône l'égalité des chances et qui
défend les droits à l'égalité reconnus dans la Charte. Ce sont les
problèmes que nous voulions vous soumettre.
Enfin, nous suggérons que l'adoption de ce projet de loi soit retardée pour concentrer plutôt tous les efforts sur le Livre blanc sur l'immigration.
Merci beaucoup.
[Français]
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci beaucoup, monsieur Chiyantom et monsieur Niemi. Nous passons à la période des questions.
[Traduction]
Avez-vous une question à poser aux témoins, monsieur McNally?
M. Grant McNally: Merci, madame la présidente. Je n'ai que quelques questions à poser.
Ce que vous avez dit à propos de la nécessité d'examiner un projet de loi sur l'immigration plutôt qu'un projet de loi sur la citoyenneté est très intéressant. Je crois que mes collègues d'en face vous apprendront qu'un projet de loi sur l'immigration sera bientôt présenté. Vous estimez qu'il aurait dû passer avant celui- ci. Est-ce bien cela ou voulez-vous dire qu'ils auraient dû être présentés en même temps?
Me Walter Chiyantom: En même temps ou l'autre avant. Sans entrer dans les détails d'ordre technique... En plus d'être président bénévole du CRARR, je suis avocat, et je suis spécialisé en droit de l'immigration. J'ai en fait participé un peu à la préparation du mémoire de l'ABC également.
Voilà de quoi il s'agit. Comme je le disais en français, comment peut-on faire passer la charrue devant les boeufs? Certaines notions élémentaires du droit de la citoyenneté doivent être compatibles avec celles du droit de l'immigration. On ne peut pas présumer dans un projet de loi sur la citoyenneté des objectifs d'un projet de loi ultérieur sur l'immigration. Par conséquent, nous voudrions que vous réfléchissiez notamment aux conséquences que pourrait avoir l'adoption d'un projet de loi qui risque de restreindre le débat sur la future réforme du droit de l'immigration.
M. Grant McNally: Quelles seraient, d'après vous, les conséquences d'une limitation du débat due au fait que ce projet de loi précède...
Me Walter Chiyantom: Une des conséquences, que nous n'avons peut-être pas examinée en détail mais à laquelle d'autres témoins ont fait allusion, est l'élimination de la possibilité d'appel de novo, autrement dit de la possibilité de tenir une audience approfondie permettant aux candidats à la citoyenneté dont la demande a été rejetée de faire réexaminer leur dossier de plus près.
La citoyenneté n'est pas une question qui peut être réglée d'avance. Elle est liée à l'identité, à la connaissance et à bien d'autres facteurs. Elle ne peut être ramenée à une simple question de présence physique, sans compter les possibilités que bien des dates ne soient pas calculées correctement. Même si l'on s'en tient à la définition actuelle, il est toujours possible que le premier juge fasse une erreur sans qu'il s'agisse pour autant d'une erreur de droit grave. Pour le moment, le projet de loi ne prévoit qu'un examen judiciaire.
Dans le Livre blanc sur l'immigration, qui est en cours de préparation, on envisage les mêmes possibilités—à savoir l'élimination des appels pour certaines catégories de personnes qui ont actuellement le droit d'appel, pour les remplacer par un examen judiciaire.
Nous estimons que le fait d'adopter certains mécanismes dans la Loi sur la citoyenneté crée un dangereux précédent, ne fût-ce qu'en ce qui concerne la perte de citoyenneté, entre autres choses.
M. Grant McNally: Bien. Merci. Je vous signale que nous allons bientôt connaître la différence entre un examen judiciaire et un appel. Ce que l'on dit ici est également consigné à tout jamais au compte rendu. Pourriez-vous nous expliquer de façon un peu plus précise quelle est, d'après vous, la différence entre un examen judiciaire et un appel, c'est-à-dire un examen portant sur des points de droit?
Me Walter Chiyantom: Oui. Un examen judiciaire est un examen effectué par un juge de cour supérieure dû au fait qu'il y a erreur de droit grave et non simple erreur de droit, ou erreur de fait grave. Cet examen permet à ce juge de renverser la décision du juge de première instance. Aucun nouvel élément de preuve ne peut être fourni. Aucun document supplémentaire ne peut être fourni. Le jugement est basé entièrement sur les éléments de base.
Par exemple, surtout dans le domaine de la citoyenneté, bien des cas... À supposer que la demande d'une personne ait été rejetée parce qu'elle ne parlait pas assez bien la langue et que deux, trois ou quatre mois plus tard, il y ait appel de novo. Il est possible que sa connaissance de l'anglais se soit améliorée, sa connaissance du Canada également. Par contre, l'intéressé n'aurait pas le droit d'invoquer ces nouveaux éléments parce qu'il s'agit d'un appel de novo.
M. Grant McNally: Bien des témoins nous ont dit la même chose au sujet de la suppression du droit d'appel et du pouvoir discrétionnaire supplémentaire conféré au ministre et à l'exécutif en ce qui concerne ce genre de décisions. Vous dites la même chose qu'eux.
Me Walter Chiyantom: Effectivement.
M. Grant McNally: Bien. Merci.
Je donne la parole à...
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci.
Vous n'avez pas de questions, monsieur Martin?
Monsieur McKay.
Je m'excuse. Quelqu'un d'autre parmi les représentants du Parti libéral a-t-il levé la main? Non? Monsieur McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Enfin.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Je voulais seulement m'assurer que tous les membres du caucus libéral ici présents sont traités de façon équitable.
M. John McKay: Vous êtes tellement équitable!
Je me ferai l'avocat du diable pour quelques secondes en avançant l'argument invoqué par le ministère, à savoir que la pire conséquence possible de l'article 6, c'est que l'intéressé n'arrive pas à obtenir un passeport ni à avoir le droit de voter. Il n'est pas question d'expulsion du pays. Il n'est pas question de changement de statut ni de quelque autre changement de cette nature. Il n'est pas question de ne pas pouvoir se déplacer et aller où l'on veut. L'intéressé pourra toujours voyager en utilisant son passeport de l'autre pays.
Telle est la position du ministère. L'avantage—et le corollaire—de cette position est qu'elle simplifie les choses. Il suffit de savoir si l'intéressé a passé trois années sur cinq ici ou non. Il suffit de savoir s'il a passé 60 p. 100 du temps ici ou non, un point c'est tout. Cette exigence met un terme à la mini- industrie, si je puis dire, qui s'est développée chez les fonctionnaires judiciaires, du fait qu'il faut déterminer si une personne peut être effectivement considérée comme un résident.
Quel tort cela peut-il bien causer, je vous le demande?
Me Walter Chiyantom: Pardon?
M. Grant McNally: Quel tort cela peut-il causer?
Me Walter Chiyantom: Je crois que vous devez avant tout vous demander si le gouvernement considère que la citoyenneté n'est rien de plus qu'un morceau de papier. Le gouvernement veut-il dire que la citoyenneté n'est qu'une question de passeport? Si c'est effectivement sa position, il devrait le dire clairement parce que dans le préambule... En fait, il n'y a pas de préambule. C'est ce que nous réclamons précisément. Voyons ce que l'on entend par la citoyenneté. Pourquoi ne pas ajouter un préambule à la Loi sur la citoyenneté qui explique exactement ce que l'on veut? Que veut-on savoir au juste?
M. Grant McNally: Le préambule n'est-il pas en fait un postambule? Le serment n'est-il pas le préambule de la citoyenneté?
Me Walter Chiyantom: Non, parce qu'un préambule est très différent. Un préambule indique dans quel esprit il faut interpréter la loi. Je ne veux pas entrer dans les détails techniques mais vous m'avez demandé...
M. Grant McNally: Je sais ce qu'est un préambule. Ce que je veux dire, c'est que le ministre prétend que les décisions qui sont prises au sujet de la résidence sont contradictoires, ce qui a engendré une mini-industrie. Nous appliquons un système axé sur les droits, ce qui donne lieu à quantité de litiges à propos d'un concept qui a finalement très peu d'incidence sur le statut social de l'intéressé.
Me Walter Chiyantom: Oui. Cela revient à dire encore une fois que la citoyenneté n'est rien d'autre qu'un morceau de papier. J'ai obtenu la citoyenneté canadienne quand je suis arrivé au Canada. C'est comme si l'on demandait aux gens pourquoi ils se sont mariés. Le mariage est-il seulement un morceau de papier? Qu'est-ce que la citoyenneté? N'est-ce qu'un morceau de papier?
M. John McKay: Je ne pense pas que ce soit un point de comparaison parfait, mais c'est une autre question.
Me Walter Chiyantom: C'est à peu près la même chose. Vous vous demandez quel tort cela peut faire? Eh bien cela peut causer des problèmes d'identité canadienne. Pour bien des gens, l'acquisition de la citoyenneté canadienne est un rite de passage. Les immigrants viennent au Canada en raison des valeurs que représente et que symbolise la citoyenneté canadienne.
M. Fo Niemi: J'ajouterais que pour nous en particulier, la citoyenneté donne le droit de voter aux élections ou aux référendums. Dans certains cas, chaque voix a beaucoup d'importance.
Par ailleurs, comme je l'ai déjà signalé, notre système électoral confère certains types de privilèges aux citoyens, comme le droit de se faire élire ou, selon notre législation provinciale, le droit de faire une contribution financière à un parti politique. Au Québec, on ne peut pas faire un don en espèces à un parti politique provincial si l'on n'a pas le droit de vote, c'est-à-dire si l'on n'a pas la citoyenneté canadienne. Par conséquent, c'est l'essence même de la démocratie.
Beaucoup de personne qui vivent dans notre société ne sont pas nécessairement des citoyens canadiens. C'est toutefois le genre de domaine où il faut être prudent parce que c'est le principe même de la justice fondamentale qui est en cause. Lorsqu'il s'agit d'être accusé et emprisonné à tort, on peut dire que c'est une question de justice et de démocratie fondamentales.
M. John McKay: Passons alors à la question suivante. En fait, on s'éloigne de la définition de résidence dans le contexte de l'impôt sur le revenu pour aborder la notion assez compliquée de «résident» dans le contexte de ce projet de loi.
Je comprends que le ministre se sente frustré par les décisions contradictoires et par la mini-industrie qui s'est développée dans ce domaine, à en juger d'après les doléances de divers juges de la citoyenneté. Dites-moi ce qu'on pourrait faire pour que le processus prête moins à litige, pour qu'il soit plus efficace tout en tenant compte des problèmes que vous avez signalés.
Me Walter Chiyantom: En fait, cela revient à dire ceci. Si le législateur n'a pas exprimé clairement ses intentions dans la loi, les juges s'en donnent effectivement à coeur joie, comme vous le dites si bien. Par contre, quand le législateur a précisé exactement ce que l'on veut, ce qu'est la citoyenneté et quelles sont les obligations qui s'y rattachent et quelle est la jurisprudence contradictoire, c'est lui qui décide.
Mes antécédents juridiques sont peut-être un léger handicap, mais s'il était indiqué clairement dans le préambule, comme dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans la Loi sur le multiculturalisme, ce que le législateur et finalement les Canadiens entendent au juste par «citoyenneté canadienne», on comprendrait beaucoup mieux comment les juges appliquent la loi. C'est précisément lorsque le législateur ne donne aucun point de repère que l'on est confronté à des interprétations très différentes.
M. John McKay: Bien. C'est une bonne réponse.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci, monsieur McKay.
Vous avez une question à poser, monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe: Merci.
Si vous me le permettez, je me ferai, moi aussi, l'avocat du diable. Ma colère est en partie retombée quand M. Niemi a parlé des conséquences qu'avait eu un déni de citoyenneté il y a quelques années à une autre occasion, dans une autre région du pays.
Vous avez dit que vous aviez une formation juridique. Vous êtes avocat, est-ce bien cela?
Me Walter Chiyantom: Oui.
M. Joseph Volpe: Parlez-moi du secteur juridique ou de l'industrie qui se développerait. On nous a dit que l'année dernière environ 160 000 personnes ont obtenu leur citoyenneté et que dans 248 cas, le ministère a fait appel. La cause de l'appel était la question de la résidence dans 109 de ces cas. J'essaie de calculer rapidement quel pourcentage cela représente, mais je crois qu'il est infime. Pouvez-vous nous dire, à la lumière de votre expérience, s'il est suffisant pour justifier l'adoption d'une loi dont le but est d'éliminer ces cas litigieux?
Me Walter Chiyantom: Nous nous écartons légèrement du mémoire que nous présentons.
M. Joseph Volpe: Je voudrais en savoir plus sur cette «industrie».
Me Walter Chiyantom: Je ne peux pas parler pour mes confrères, mais voici en fait de quoi il s'agit. Comme vous l'avez dit, il convient de se demander notamment si le pourcentage de cas litigieux justifie un resserrement des conditions d'obtention de la citoyenneté et, partant, une diminution de l'accès à la citoyenneté. Je dois admettre en toute honnêteté que j'ai eu très peu de cas de refus de citoyenneté à traiter, la raison étant que, la plupart du temps, les personnes concernées doivent rentrer chez elles, faute de moyens, ou pour d'autres motifs. Si le refus est fondé sur l'incapacité de parler la langue, les intéressés doivent consacrer plus de temps à l'étude de l'anglais ou du français.
M. Joseph Volpe: Du point de vue juridique, que vous avez omis d'aborder, le requérant dont la demande est rejetée a un certain nombre d'options. L'une consiste à remédier aux lacunes, que ce soit au niveau de la langue ou de la présence physique, mais c'est l'industrie générée par les appels qui nous intéresse.
D'après le ministère, 248 appels ont été faits l'année dernière pour une raison ou l'autre, dont 109 pour la question de résidence. Je pense que vous avez dit, comme les deux témoins précédents, que ce projet de loi est principalement axé sur le concept de résidence. Le témoin qui a parlé juste avant vous nous a parlé également de considérations d'ordre politique et d'ordre démocratique. Je me demande si ces cas, sur un total de 160 000, représentent un problème suffisamment grave ou une industrie assez importante pour que cela engorge le système judiciaire ou surcharge le ministère. Je voudrais avoir l'opinion d'un expert dans le domaine, qui est par ailleurs praticien.
Me Walter Chiyantom: Personnellement, je ne m'occupe pas de litiges en matière de citoyenneté. Ma spécialité est davantage l'immigration.
M. Joseph Volpe: Bien. Je crois que vous avez la même formation que M. McKay. Les avocats refusent généralement de répondre aux questions qu'on leur pose.
Toujours pour me faire l'avocat du diable, si un requérant présente une demande au ministère—puisque c'est le premier palier où la demande peut être acceptée ou rejetée—et que sa demande est rejetée ou que le ministère juge que le requérant se classe dans une catégorie qui... Comme on l'a déjà signalé, le ministère peut faire les vérifications et constater que tout va bien, mais il faut que quelqu'un fasse une évaluation. Il faut que quelqu'un rende un jugement et c'est pour cette raison que l'on s'adresse à l'arbitre, un juge en l'occurrence, pour le moment du moins. Le juge peut prendre une décision favorable ou défavorable et les juges étant ce qu'ils sont, ils ont des perspectives différentes. On commence à le constater dans pratiquement tous les autres domaines de la jurisprudence.
Étant donné qu'ils ont des perspectives différentes, les conséquences pour les requérants ne seront pas uniquement liées à la permission de conserver leur passeport; en effet, ils devront prendre toute une série de décisions importantes à cause des conséquences politiques et économiques de la non-citoyenneté. Dans ce cas, peut-on parler de dévaluation de la citoyenneté canadienne à cause des conséquences d'un rejet ou s'agit-il en fait d'une réévaluation?
Me Walter Chiyantom: Tout au long de notre exposé—et M. Niemi voudra peut-être faire des commentaires à ce sujet—nous n'avons cessé d'affirmer que la citoyenneté représente davantage qu'un morceau de papier. C'est en fait un rite de passage. C'est pourquoi il importe que les juges et les arbitres aient la latitude de tenir compte de tous les aspects différents de la citoyenneté et de tout ce que l'intéressé a à offrir comme citoyen.
M. Joseph Volpe: Puis-je poser une dernière question, madame la présidente?
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Allez-y.
M. Joseph Volpe: Je vais poser une question qu'un de mes collègues a déjà posée rapidement à une de nos séances précédentes. Sur le plan juridique, comment peut-on justifier que l'on exige que le demandeur de citoyenneté prête un serment d'allégeance à une personne qui n'est pas présente physiquement au Canada alors qu'on oblige le demandeur à l'être?
M. Fo Niemi: C'est une question dont nous n'avons pas discuté parce que...
M. Joseph Volpe: Cela se justifie-t-il sur le plan juridique?
M. Fo Niemi: Vous faites allusion à la Reine et je crois qu'il s'agit plutôt de la Couronne, qui est le symbole de la démocratie.
Je voudrais toutefois...
Une voix: Et Dieu?
M. Joseph Volpe: Dieu n'est pas mentionné dans ce serment, mais bien la Reine.
M. Fo Niemi: Je voudrais revenir sur un sujet que vous avez abordé tout à l'heure, à savoir si le fait que l'instance ou le juge compétents refuse la citoyenneté à une personne constitue une évaluation ou une dévaluation de la notion de citoyenneté.
Une des raisons qui nous poussent à adopter une telle attitude à l'égard de la citoyenneté est que celle-ci est davantage associée à des documents administratifs, comme l'a dit M. Chiyantom. Pour l'individu, il s'agit plutôt d'un attachement humain, affectif, psychologique et mental au pays. Par conséquent, lorsqu'une personne est privée de la citoyenneté pour quelque raison que ce soit, il faut à mon avis tenir compte des facteurs qui ont motivé cette décision et de ses conséquences pour l'intéressé. On ne peut pas adopter une règle générale si elle n'est pas énoncée clairement dans la loi.
Lorsqu'on analyse ce projet de loi et qu'on le compare aux documents d'immigration, il faut toujours se demander ce que l'on entend par les valeurs traditionnelles canadiennes. Quels sont les paramètres? Quelles sont les «assises solides» comme on dit en français? Quelles sont les bases qui permettent de définir la citoyenneté de façon à ce qu'elle ne soit pas associée uniquement à une procédure administrative?
Je crois qu'au Québec, on a souvent mentionné que la citoyenneté est un droit. Le gouvernement du Québec, par l'intermédiaire de ses divers organismes, publie des documents qui vont beaucoup plus loin que la simple possession d'un passeport. Qu'est-ce que la citoyenneté québécoise en termes de droits économique et social?
Ce sont les questions qui vont au coeur du problème. En 1994, un comité parlementaire les a abordées dans son rapport sur la citoyenneté mais pour une raison ou l'autre, ces notions n'ont malheureusement pas été réexaminées ou débattues suffisamment. À notre avis, en ce qui concerne ce projet de loi, le problème est qu'il puisse être axé davantage sur l'accession à la citoyenneté ou le contrôle que sur la notion proprement dite de citoyenneté.
Vous avez posé une question au sujet de la valeur de la citoyenneté canadienne. C'est le genre de notion qui reste plutôt floue. Les perceptions varient selon les personnes et selon les circonstances. Étant donné que je viens d'une province et d'une couche de la société où la citoyenneté prend un sens politique, social, économique et culturel différent, nous estimons qu'il y a une lacune en la matière, à laquelle votre gouvernement doit remédier par le biais du projet de loi, pour établir un contexte législatif qui va plus loin que le simple processus administratif.
Je ne sais pas si vous comprenez les subtilités et les conséquences psychologiques, mentales et culturelles profondes de ce débat. On ne peut pas énoncer les critères auxquels il faut répondre pour avoir le droit de devenir citoyen canadien sans exposer peut-être un peu plus clairement les valeurs liées à la notion de citoyenneté à l'aube du XXIe siècle. Le Livre blanc sur l'immigration expose en quelque sorte avec plus de précision que le présent projet de loi les valeurs associées à notre pays.
M. Joseph Volpe: Connaissez-vous quelqu'un qui aime ce projet de loi?
M. Fo Niemi: Certaines dispositions concernant l'adoption sont acceptables.
Me Walter Chiyantom: Certaines dispositions sont constructives. Par contre, cela revient à dire encore une fois que la citoyenneté est la cerise sur le gâteau. C'est le produit final. C'est le but de tous les efforts. Et si la citoyenneté revêt une telle importance, il conviendrait peut-être que ce projet de loi renferme non seulement des dispositions qui indiquent qui ne pourra pas devenir citoyen mais surtout d'autres qui précisent qui devrait être citoyen et ce que la citoyenneté signifie. Par conséquent, une étude plus approfondie est peut-être nécessaire.
M. Fo Niemi: Puis-je vous recommander d'examiner le rapport du Conseil québécois des relations interculturelles qui explique ce que c'est d'être citoyen dans une société démocratique pluraliste. Il va au-delà de la notion de diversité ethnoculturelle et explique ce que cela signifie d'être citoyen dans une société mouvante qui doit adapter ses organisations sociales et économiques, quelle est la relation entre l'État et le peuple qui vit sur un territoire déterminé, quelles sont les obligations réciproques et ce que veut dire la notion de...
Je répète que le Québec a adopté un concept qui se rapproche de celui de contrat social entre un aspirant citoyen et l'ensemble de la société. Ce sont des cadres de référence importants qui peuvent nous aider à mieux situer ce débat et à trouver une meilleure formule pour définir les conditions d'accès à la citoyenneté canadienne. Ottawa est... Certaines de ces choses-là n'ont peut-être pas la résonnance ni l'influence que ce projet de loi est censé avoir sur le pays. C'est tout ce que je voulais dire.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci.
J'aurais encore quelques commentaires à faire, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Je comprends ce que vous voulez dire à propos de la définition de la notion de citoyenneté et du lien que la citoyenneté crée entre l'individu et l'État. Comme vous le savez, j'ai participé au débat qui s'est déroulé au Québec. Par contre, je crois que dans un certain sens, le Québec est un cas très particulier. C'est pourquoi nous avons ressenti le besoin de tenir un tel débat. Il fallait définir la relation qui existe entre le citoyen et l'État et celle qui existe entre les divers citoyens.
Je ne suis pas absolument convaincue qu'une telle définition ou un tel débat soient aussi importants dans toutes les régions du Canada que dans cette province-là. Nous avons effectivement tenu un débat d'envergure, qui n'est pas terminé d'ailleurs. Il a engendré beaucoup d'animosité mais je crois qu'il a également permis d'entendre des commentaires intéressants sur l'essence de la citoyenneté et principalement sur les liens qui existent entre la notion de citoyenneté et l'ethnicité, puisque les perceptions varient selon qu'il s'agit d'un Canadien français (ou Québécois francophone) ou de Québécois qui parlent d'autres langues, que ce soit l'anglais ou l'italien, par exemple.
Telle est par conséquent la question que je me pose. Je me demande également ce qui se passerait si nous tenions un débat de ce genre ici ou à la Chambre... Je crois que cela poserait beaucoup de problèmes. Si nous voulions faire cela, il serait très difficile de faire adopter un projet de loi à la Chambre dans un court délai. Par contre, je crois qu'il serait peut-être intéressant de tenir un débat sur la question à l'extérieur de la Chambre, comme ce fut le cas au Québec d'ailleurs. Ce débat a en effet eu lieu en dehors de l'Assemblée nationale.
J'ai une ou deux questions à vous poser. Monsieur Chiyantom, quand vous avez parlé de cohérence par rapport aux autres lois à caractère social, vous avez cité la Loi sur le multiculturalisme, la Loi sur les droits de la personne ainsi qu'une troisième loi dont je n'ai pas compris le nom. J'essaie de...
[Français]
Me Walter Chiyantom: La Loi sur les langues officielles.
[Traduction]
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): La Loi sur les langues officielles, cela va de soi.
Il y a un autre sujet sur lequel je voudrais avoir des éclaircissements. Il s'agit des ententes passées entre certaines provinces et le gouvernement fédéral en matière de citoyenneté, en vertu desquelles—comme vous l'avez signalé, monsieur Niemi—certaines provinces, dont le Québec, sont désormais responsables de la formation linguistique et, semblerait-il, des cours de préparation à la citoyenneté. Je voudrais que vous nous donniez un peu plus de détails sur les critères que vous voudriez que l'on adopte, en précisant pourquoi vous les jugez nécessaires et quel rôle le gouvernement pourrait jouer à cet égard, compte tenu du fait que la responsabilité a été déléguée à au moins trois des provinces canadiennes.
M. Fo Niemi: Je crois que... J'ai un rhume et par conséquent ma voix a des hauts et des bas.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Vous avez un rhume chaque fois que je vous parle, monsieur Niemi.
M. Fo Niemi: Il y a un an ou deux, on a annoncé publiquement au Québec que la plupart de ces cours pour immigrants organisés par le ministère de l'Immigration ne contenaient pas beaucoup d'informations sur l'histoire canadienne. Pourtant, le gouvernement fédéral a signé un accord avec le gouvernement du Québec portant sur le transfert des responsabilités à la province en matière d'adaptation et d'établissement des immigrants.
Ce n'est pas parce qu'il s'agit du Québec, mais la question est de savoir quels sont, lorsque le gouvernement fédéral délègue une partie de ses responsabilités administratives et financières et octroie des ressources à un palier de gouvernement inférieur pour que celui-ci assume une partie de son mandat en matière de services, les normes et les objectifs minima qu'il impose pour assurer une certaine uniformité ou un minimum de cohérence, et pour essayer de rectifier les perceptions faussées que certains nouveaux immigrants de diverses régions du pays peuvent avoir quant aux autres régions?
Je voyage beaucoup au Canada et lorsque je vais à Vancouver par exemple, j'entends dire ceci: «Le français n'est pas notre langue, parce que c'est le chinois». Il faut croire que dans la formation de ces nouveaux citoyens ou que dans les cours de préparation à la citoyenneté, on ne fait pas passer le message que si le français n'est pas «leur» langue, c'est tout de même une des deux langues nationales. Pourtant, il ne devrait pas y avoir de différence entre «nous» et «eux». Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres.
Par ailleurs, il y a la question du rôle de Louis Riel, de l'histoire du développement de l'ouest du Canada, des débuts de l'histoire de cette région. Quand on pense au peu de place qu'occupe l'histoire du Canada dans les cours de préparation à la citoyenneté... justement, il est actuellement beaucoup question de connaissance de l'histoire du Canada. On discute également de la géographie et de la population. Ce que l'on enseigne aux futurs citoyens en Ontario ou au Québec, ou encore dans les cours organisés par des ONG, par des organismes sans but lucratif ou par des écoles, pour aider les immigrants à s'établir, manque totalement d'uniformité.
Nous en avons discuté et nous estimons qu'il est très important que le gouvernement qui finance ces cours puisse imposer un minimum de critères. Pourquoi donne-t-on des cours de préparation à la citoyenneté? Quels sont les outils? Quels tests types, quels outils et quels critères peut-on établir pour assurer un minimum de cohérence à l'échelle nationale et instaurer un cadre qui puisse servir de point de repère pour la préparation des immigrants à la citoyenneté et pour leur éducation civique?
Nous ne savons pas si c'est un problème qui a été abordé au cours des discussions sur ce projet de loi mais nous estimons que, dans le contexte actuel, il est important de le régler parce que, comme vous l'avez dit, cela provoque une certaine confusion chez les Canadiens anglais qui ont tendance à s'identifier plus ou moins aux Américains. Par ailleurs, en raison du fossé qui sépare toutes les régions, nous avons tendance à esquiver les problèmes qui semblent trop compliqués. Ce faisant, nous aggravons la confusion et les immigrants peuvent avoir une perception très déformée et très différente de notre pays, selon la région où ils se sont établis.
C'est pourquoi nous estimons que, dans le contexte de la discussion concernant ce projet de loi, il faudrait peut-être—pas nécessairement dans le cadre de l'étude de ce projet de loi mais peut-être dans un ministère comme celui du Patrimoine—instaurer un cadre qui permette d'uniformiser dans une certaine mesure la formation des immigrants ou des aspirants citoyens.
La vice-présidente (Mme Raymonde Folco): Merci beaucoup.
Je m'attendais à ce que votre exposé soit un puissant moteur de réflexion et vous ne m'avez pas déçue, comme d'habitude. Merci beaucoup.
Je rappelle à mes collègues que notre prochaine réunion aura lieu demain, le jeudi 22 avril, à 9 heures, à la pièce 308 de l'édifice de l'Ouest.
Merci beaucoup.
La séance est levée.