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CITI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 15 avril 1999

• 0911

[Traduction]

Le président (M. Rey D. Pagtakhan (Winnipeg-Nord—St. Paul, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du comité permanent.

M. Ménard m'a donné avis d'un rappel au Règlement. Avant de procéder, je voudrais préciser que nous sommes réunis pour étudier le projet de loi C-63, Loi concernant la citoyenneté canadienne.

Nous accueillons aujourd'hui Mme Agnès Jaouich, qui est juge principale de la citoyenneté.

Je cède maintenant la parole à M. Ménard, pour un rappel au Règlement.

[Français]

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Monsieur le président, conformément à notre règlement qui prévoit un préavis de 24 heures, je veux vous donner avis que je souhaite que, lors de sa prochaine séance, notre comité étudie la motion que je vais lire maintenant et déposer par la suite:

    Que le greffier du comité soit autorisé à distribuer les documents reçus seulement lorsqu'ils ont été traduits dans les deux langues officielles et que le comité ne soit autorisé à siéger que lorsque la traduction est faite dans les deux langues officielles.

J'ai donc donné avis du dépôt de cette motion et j'aurai l'occasion de l'expliquer à notre prochaine séance.

Deuxièmement, en conclusion à mon rappel au Règlement, j'aimerais dire que j'espère que lors de la prochaine séance, vous ferez également le point au sujet de la comparution de la ministre. Vous vous étiez engagé à faire en sorte que la ministre comparaisse dans les plus brefs délais afin de discuter des crédits passés et à venir. Ces plus brefs délais commencent à se prolonger.

[Traduction]

Le président: Je voudrais répondre brièvement pour donner une précision, et non pas pour débattre la motion. Vous en avez donné préavis, et elle sera débattue ultérieurement.

La greffière du comité: Je voudrais simplement faire savoir au député qu'aucun document n'est jamais distribué à moins d'avoir été traduit ou d'être présenté dans les deux langues officielles. Si je reçois un document en anglais seulement, celui-ci n'est pas distribué aux députés tant qu'il n'a pas été traduit. Je voulais seulement donner cette précision au député.

Le président: Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Absolument pas. Il arrive très souvent qu'on distribue uniquement la version anglaise des mémoires aux membres du comité.

[Traduction]

Le président: Je ne peux pas permettre de débat sur la motion. Comme vous l'avez dit, c'est un avis de motion. Elle a seulement donné une précision.

Là-dessus, je souhaite de nouveau la bienvenue à notre témoin cet après-midi. Madame la juge, vous pouvez maintenant faire votre exposé. Vous savez sûrement que du côté droit se trouvent les députés ministériels; du côté gauche les députés de l'opposition; l'attachée de recherche, Margaret Young; et la greffière du comité, Santosh Sirpaul.

Madame la juge, vous avez la parole.

[Français]

Mme Agnès Jaouich (juge principale de la citoyenneté): Merci, monsieur le président et honorables membres du comité. Je vous remercie de m'avoir invitée à me présenter devant vous aujourd'hui au nom des juges de la citoyenneté.

• 0915

En ma qualité de juge principale, il me revient de coordonner les secteurs de responsabilité des juges de la citoyenneté et d'être leur porte-parole. Il est évident qu'une nouvelle Loi sur la citoyenneté suscite un énorme intérêt et des discussions parmi les juges de la citoyenneté. Ils ont été consultés à plusieurs occasions, par moi-même et par le personnel du ministère, et on les a invités à faire connaître leur point de vue sur les éléments du projet de loi C-63 qui touchent à leurs nouvelles responsabilités. Les observations que je ferai aujourd'hui devraient donc être considérées comme celles du groupe complet des sept juges de la citoyenneté à temps plein et des 15 juges à temps partiel de toutes les régions du Canada.

Avant de parler du projet de loi, j'aimerais vous décrire brièvement les responsabilités actuelles des juges de la citoyenneté. Selon la loi actuelle, leurs principales responsabilités sont les suivantes: présider les cérémonies de citoyenneté et faire prêter le serment de citoyenneté aux nouveaux citoyens; examiner et approuver toutes les demandes de citoyenneté; tenir des audiences visant à vérifier que les exigences en matière de connaissances du Canada, de connaissance des langues officielles et de résidence ont été remplies et qu'il n'existe aucune interdiction pour des raisons de criminalité.

La nouvelle loi modifie le rôle des juges de la citoyenneté. Elle leur enlève certaines de leurs responsabilités actuelles et leur en donne d'autres. Les juges de la citoyenneté appuient le projet de loi C-63 et sont d'accord sur bon nombre des modifications qu'il apporte. Ils sont particulièrement satisfaits de ce que certaines des recommandations qu'ils ont faites à la ministre ont été retenues.

Je traiterai maintenant de la question de la résidence. Dans le cadre de la révision de la loi, les juges de la citoyenneté ont écrit à la ministre en mars 1998 pour lui recommander de clarifier cette question dans la nouvelle loi. Ils apprécient donc particulièrement les dispositions plus claires proposées dans le projet de loi C-63. La loi actuelle se prête beaucoup trop à l'interprétation et elle ne définit pas ce qu'on entend par «résidence». Au cours des années, ce manque de clarté a donné lieu à des interprétations très différentes de la part des juges de la citoyenneté et des juges de la Cour fédérale. L'ambiguïté et l'incohérence actuelles ont entraîné de nombreux problèmes. Les décisions des juges de la citoyenneté sont constamment susceptibles d'appel, quel que soit le soin avec lequel elles ont été prises ou la justesse des motifs sur lesquels elles se fondent, car la loi est ambiguë. Les résidants permanents ne savent pas non plus que faire pour se conformer à la loi. Les juges de la citoyenneté appuient donc les dispositions du projet de loi C-63 exigeant qu'un résidant permanent ait accumulé au moins trois années de présence effective au Canada au cours des cinq années précédant la présentation de sa demande de citoyenneté. La définition de «résidence» comme supposant une présence effective contribuera à la cohérence du processus de prise de décision; les décisions seront plus uniformes et plus justes.

[Traduction]

Pour ce qui est des exigences du projet de loi en ce qui a trait aux connaissances et à la langue, elles sont considérées comme essentielles pour donner aux immigrants toutes les chances de s'intégrer avec succès dans la société canadienne avant de devenir citoyen. Cela leur permettra d'exercer le droit de participer pleinement à la société canadienne sur le plan social, politique et économique.

On estime importante l'exigence d'avoir une connaissance élémentaire de l'une des langues officielles du Canada pour devenir citoyen. Je dois dire que plusieurs juges de la citoyenneté trouvent exaspérant que certains candidats n'aient pas démontré leur engagement envers leur nouveau pays en acquérant une connaissance de base de la langue. Cette connaissance de la langue non seulement facilite leur intégration à la société canadienne, mais est également impérative pour que les nouveaux Canadiens puissent communiquer ne serait-ce que les renseignements les plus élémentaires en cas d'urgence.

Il est important que des mesures soient prises pour bien faire comprendre aux nouveaux arrivants que la connaissance de base de l'anglais ou du français est une exigence pour l'obtention de la citoyenneté canadienne. Il est important de bien transmettre ce message aux immigrants récents, au moment où ils obtiennent le statut d'immigrant reçu, afin de les encourager à faire des efforts pour apprendre la langue bien avant de demander la citoyenneté canadienne. Les juges de la citoyenneté doivent aussi transmettre cet important message dans le cadre de leurs activités de promotion.

• 0920

Le nouveau titre de commissaire à la citoyenneté est considéré comme reflétant mieux le nouveau rôle des juges de la citoyenneté, comme il est précisé dans le projet de loi. Tant que les juges étaient chargés de rendre des décisions de façon indépendante, le titre «juge de la citoyenneté» était pertinent.

Le projet de loi leur enlève ce pouvoir, tout en renforçant leurs rôles en matière de promotion et de cérémonies et leur rôle de conseiller, qui exigent néanmoins un titre reflétant la dignité et la solennité de ces importantes fonctions. Toutefois, les juges de la citoyenneté recommandent que l'on utilise toujours le titre complet de commissaire à la citoyenneté, afin qu'il soit bien clair que le rôle du commissaire a trait directement au processus d'obtention de la citoyenneté.

Pour ce qui est des nouvelles fonctions, une disposition du projet de loi suscite des inquiétudes parmi les juges de la citoyenneté. L'alinéa 31(7)c) précise que l'une des attributions du commissaire à la citoyenneté est la suivante:

    c) ils conseillent le ministre à la demande de ce dernier concernant

      (i) les demandes de citoyenneté,

      (ii) l'exercice des pouvoirs discrétionnaires du ministre,

      (iii) les méthodes de vérification des connaissances des demandeurs en ce qui concerne le Canada, les responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté et les langues officielles;

Le libellé de cet alinéa est considéré comme trop vague, dans la mesure où l'on n'a pas encore défini quel sera le rôle des commissaires à la citoyenneté dans des dossiers comme l'évaluation des connaissances, notamment en ce qui a trait aux langues officielles, et l'approbation ou la non-approbation des demandes.

Le ministère devra trouver le moyen de faire en sorte que les commissaires à la citoyenneté participent régulièrement à de telles activités si l'on veut que ces derniers soient en mesure de donner au ministre des conseils judicieux et de lui faire des recommandations. Autrement, on pourrait leur demander de donner des conseils sur des questions qu'ils ne connaissent pas personnellement.

La suppression du pouvoir de prendre des décisions indépendantes donne aux commissaires à la citoyenneté l'occasion de donner des conseils sur l'élaboration de la politique en matière de citoyenneté. Aussi longtemps que les juges de la citoyenneté exerçaient de façon indépendante des pouvoirs décisionnels, ils fonctionnaient de façon indépendante par rapport au ministère. L'avènement de ce nouveau régime libère les commissaires à la citoyenneté et leur permet de donner des conseils sur des questions de politique en tablant sur leur propre expérience et en reflétant les points de vue exprimés dans leur communauté. Il sera toutefois important d'évaluer en permanence le fonctionnement et les répercussions de ce nouveau régime, afin d'établir une base pour les conseils donnés au ministre.

Au sujet de l'aspect cérémonial, les juges de la citoyenneté appuient également l'affirmation dans le projet de loi de leur rôle pour ce qui est de présider les cérémonies d'octroi de la citoyenneté. L'article 33 du projet de loi souligne expressément l'importance de cette cérémonie, qui marque un tournant dans la vie des nouveaux citoyens.

Il attribue aussi aux commissaires à la citoyenneté la responsabilité de veiller à ce que le serment soit prononcé avec dignité et solennité. La cérémonie est considérée comme l'occasion de promouvoir le sens civique, notamment le respect de la loi, l'exercice du droit de vote, la participation aux affaires de la collectivité et la compréhension respectueuse entre Canadiens. Les juges de la citoyenneté reconnaissent que c'est seulement en préservant la solennité et la dignité de la cérémonie d'octroi de la citoyenneté, et en veillant à ce que personne n'en soit exclu, que ces objectifs peuvent être atteints.

On estime que le nouveau serment des citoyens reflète mieux le Canada d'aujourd'hui. Le serment établi par la loi actuellement en vigueur n'a pas changé depuis 1947, à l'exception de changements de forme superficiels. L'assermentation des nouveaux citoyens est l'élément central de la cérémonie officielle à l'occasion de laquelle les nouveaux citoyens se font remettre leur certificat de citoyenneté.

Les juges de la citoyenneté estiment pertinent que le nouveau régime législatif inclue un serment modernisé qui non seulement reflète mieux les valeurs contemporaines, mais aussi exprime clairement la loyauté envers le Canada.

[Français]

Les juges de la citoyenneté sont également satisfaits que leur rôle dans la promotion de la citoyenneté soit formellement reconnu dans le projet de loi. Un grand nombre de juges de la citoyenneté participent à des activités de promotion, comme les cérémonies de réaffirmation de la citoyenneté, des tournées dans des écoles et des rencontres avec des organisations communautaires. Ils sont heureux d'avoir l'occasion de faire la promotion de la citoyenneté et de renforcer ainsi le sens du civisme. Ils font toutefois remarquer que les activités de promotion, comme l'organisation de cérémonies de citoyenneté dans la collectivité, dans les écoles ou les centres communautaires, exigent un soutien logistique pour qu'on puisse maintenir un niveau de dignité adéquat. Le ministère devra s'assurer que des fonds et des ressources suffisants soient prévus pour l'organisation d'activités de promotion en dehors des bureaux de la citoyenneté.

• 0925

La période de transition suscite quelques inquiétudes. Il y aura en effet près de 150 000 demandes de citoyenneté dans le système à la date de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Le ministère examine des façons de traiter ces demandes rapidement et équitablement. Toutefois, il est déjà évident que la période de transition sera difficile étant donné que les personnes qui ont présenté leur demande sous le régime de l'ancienne loi seront évaluées en vertu de la nouvelle loi. Les juges de la citoyenneté ont conscience des ramifications de cette question et ont offert leur aide à la ministre pour gérer le règlement des demandes pendant la période de transition.

Enfin, les juges de la citoyenneté apprécient l'occasion qui leur est donnée de participer à l'élaboration de la nouvelle loi. Ils sont également prêts à participer et à donner leur avis en leur qualité d'experts ayant accumulé une expérience directe tout au long du processus législatif et au-delà, à mesure que les détails de la mise en oeuvre de la nouvelle loi seront connus. Les juges de la citoyenneté prennent cette responsabilité au sérieux et ont exprimé leur volonté de continuer de participer à ce processus dans les mois et les années à venir.

Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Merci, madame la juge.

M. McNally a la parole.

M. Grant McNally (Dewdney—Alouette, Réf.): Merci, monsieur le président. Je vous remercie d'être venue ici, Votre Honneur.

La juge Agnès Jaouich: Vous n'êtes pas obligé de m'appeler Votre Honneur.

M. Grant McNally: Dès que je suis en présence d'un juge, je l'appelle Votre Honneur.

Le président: Vous avez déjà été devant les tribunaux?

M. Grant McNally: J'ai deux ou trois questions à vous poser. Premièrement, vous avez dit au début de votre exposé que l'on a assurément apporté des changements à vos responsabilités. Je pense que vous avez dit que l'on a supprimé certaines de vos attributions, tandis que l'on en a ajouté d'autres.

Lors d'une séance d'information que nous avons eue auparavant au comité, on nous a fait observer que les actuels juges de la citoyenneté, dirigés par une juge en chef, seraient remplacés et que leurs fonctions seraient reprises par des fonctionnaires agissant au titre d'un pouvoir délégué par le ministre aux termes de l'article 44. Je me demande si vous pourriez nous donner quelques précisions sur ce que les juges considèrent comme leurs attributions: lesquelles seront supprimées et lesquelles seront ajoutées. Autrement dit, quelle sera votre tâche, concrètement?

La juge Agnès Jaouich: Merci, monsieur McNally. Comme je l'ai dit dans mon exposé, il faudra apporter des précisions à l'alinéa 31(7)c), parce que tout cela n'a pas été précisé concrètement. Chose certaine, à cause de leurs fonctions, les juges ne seront pas les décideurs indépendants qu'ils étaient dans le passé. Ils pourraient aussi exercer des pouvoirs de décision qui leur seraient conférés aux termes de l'article 44, parce qu'aux termes de l'article 2 du projet de loi ils sont également définis comme des fonctionnaires de la citoyenneté.

Des fonctions pourraient leur être déléguées, parce qu'il sera important qu'ils participent aux activités courantes, afin de pouvoir conseiller le ministre sur diverses questions potentiellement complexes, surtout au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Je suis donc d'accord avec vous pour dire qu'il faut préciser davantage les modalités concrètes prévues à l'alinéa 31(7)c), en tenant compte du fait qu'il y a possibilité de délégation de pouvoir, et aussi parce que les juges donneront des conseils, ce qui veut dire qu'ils pourront également participer à l'élaboration des politiques. Maintenant, parce qu'ils fonctionnent de façon indépendante, ils ne peuvent pas s'ingérer dans les décisions politiques; leur rôle consiste seulement à appliquer la politique. Certains juges ont trouvé frustrant de constater que l'on aurait parfois pu fonctionner différemment, mais ce n'est plus leur rôle maintenant. Dans cette nouvelle définition de leurs attributions, on précise qu'ils pourront participer à l'élaboration des politiques en donnant des conseils.

• 0930

M. Grant McNally: Merci. Avez-vous des recommandations précises à faire pour ce qui est de modifier le projet de loi, pour apporter des précisions dans ce domaine, des suggestions qui pourraient nous être utiles?

La juge Agnès Jaouich: Il est certain que les juges ont discuté du besoin de rester en contact avec les demandeurs. Il serait donc très important qu'ils puissent continuer, d'une façon ou d'une autre, d'assister aux audiences, d'entendre ce qui se dit et de conserver ce contact.

M. Grant McNally: Avez-vous des précisions quant à ce que vous voudriez que l'on dise à l'alinéa 31(7)c)? Je me trompe peut-être, mais je crois comprendre que vous trouvez qu'il y a ambiguïté quant à l'application éventuelle de cette disposition.

La juge Agnès Jaouich: Nous espérons que le ministère pourra définir comment cette disposition s'appliquera exactement aux nouveaux commissaires, ce que l'on prévoit exactement aux termes de cet alinéa. Nous voudrions bien le savoir.

M. Grant McNally: Vous voudriez donc que le ministère précise davantage ce que l'on entrevoit aux termes de l'alinéa 31(7)c)?

La juge Agnès Jaouich: Ce serait utile.

M. Grant McNally: Cela aura certainement des répercussions sur votre emploi.

Je passe maintenant à un autre sujet. Vous avez dit que plusieurs juges de la citoyenneté étaient exaspérés de constater que des demandeurs n'avaient pas fait la preuve de leur engagement envers leur nouveau pays en acquérant une connaissance de base de la langue.

D'après votre propre expérience, comment se fait-il que des gens se présentent devant vous, après avoir peut-être passé à travers tout le processus, sans pour autant avoir acquis une connaissance de base de la langue?

La juge Agnès Jaouich: J'ai eu le privilège, en raison de mon poste, de visiter toutes les régions du pays et d'assister à des audiences présidées par des juges. Je préside également des audiences moi-même. Je ne pense pas que les nouveaux immigrants aient compris—du moins certains d'entre eux, pas tous—la nécessité d'essayer d'apprendre l'une des langues officielles à leur arrivée. Parfois, ils s'y prennent un peu trop tard pour être prêts à demander la citoyenneté. Ils disent: «Écoutez, je vais essayer de voir si je peux glaner quelques connaissances ici et là, afin de passer l'examen.»

Vous devez comprendre par ailleurs que les demandeurs qui passent devant les juges de la citoyenneté sont ceux qui ont échoué à l'examen écrit. Nous ne les voyons pas tous. Nous voyons seulement ceux qui ont échoué et qui veulent une deuxième chance à l'occasion d'une audience orale. Nous voyons donc ceux qui ne se sont pas bien préparés. C'est pourquoi nous disons qu'il faut insister davantage là-dessus dès leur arrivée.

Les futurs commissaires voudraient pouvoir jouer un rôle qui leur permettrait d'avoir des contacts personnels avec les communautés, en allant prendre la parole devant de nouveaux arrivants qui ne sont pas ici depuis longtemps, pour insister à leur intention sur l'importance d'apprendre l'une des deux langues officielles, et non pas seulement six mois avant de passer l'examen. Voilà ce qui nous préoccupe.

M. Grant McNally: Bien sûr, c'est une question qui a fait l'objet d'une discussion animée lorsque la proposition initiale a été faite—je veux parler des exigences linguistiques. C'est intéressant d'entendre votre point de vue là-dessus. Merci.

Pour changer de sujet encore une fois, vous dites vers la fin de votre exposé que les juges de la citoyenneté ont conscience des ramifications de la période de transition entre l'ancienne loi et la nouvelle loi et qu'ils ont offert leur aide à la ministre pour faciliter cette transition. Avez-vous certaines idées d'ordre opérationnel précises pour faciliter cette transition? Bien entendu, comme vous l'avez dit, cette période va être extrêmement difficile.

La juge Agnès Jaouich: C'est une question de volume. Quels critères le ministère va-t-il demander aux juges d'appliquer à l'égard des personnes qui ont présenté une demande avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi? Nous espérons que le ministère établira des critères très précis pour cette période de transition. Je pense qu'au cours de cette période les juges de la citoyenneté devront y mettre du leur pour traiter toutes les demandes antérieures à la nouvelle loi.

Si on demande aux requérants de mettre à jour leurs demandes ou s'il y a la moindre possibilité pour nous de donner une chance équitable à ceux qui ont présenté leurs demandes avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, nous demanderons au ministère de nous fournir des directives à ce sujet.

M. Grant McNally: Très bien. Vous espérez donc, tout comme nous tous, que le ministère établira des critères très précis, ce qui est une bonne chose.

• 0935

À votre connaissance, les responsables du ministère ou certains intervenants du système ont-ils déjà fait des suggestions concrètes à ce sujet?

La juge Agnès Jaouich: Nous n'en savons rien, monsieur.

M. Grant McNally: Vous voulez donc dire que, à l'heure actuelle, pour autant que vous le sachiez, il n'existe aucun plan précis et concret pour cette période de transition?

La juge Agnès Jaouich: C'est exact. Nous n'en avons pas entendu parler.

M. Grant McNally: Vous n'en avez pas entendu parler.

Le président: Je voudrais maintenant donner la parole à M. Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Je me joins à notre président pour vous souhaiter la bienvenue. J'aimerais discuter avec vous de trois aspects. Est-ce qu'il serait possible que vous fassiez parvenir aux membres du comité qui le souhaitent—moi, je le souhaiterais—la documentation que vous remettez aux nouveaux citoyens lorsqu'ils prêtent serment? D'ailleurs, en entendant vos remarques préliminaires ce matin, je me disais qu'il serait intéressant que j'aille assister à une cérémonie. Je sais que certains de mes collègues l'ont fait, mais je n'ai jamais eu la chance de le faire.

La juge Agnès Jaouich: Vous manquez une grande occasion.

M. Réal Ménard: Je le sais, mais vous savez que la vie va vite. Toujours est-il que j'aimerais bien y assister et surtout voir ce qu'on remet aux nouveaux citoyens.

Deuxièmement, quand les nouveaux citoyens prêtent serment ou lorsqu'on leur parle du Canada, est-il vrai qu'on n'accorde actuellement qu'un espace très minimal au Québec? Vous savez qu'il y a tout un courant d'opinion en ce sens. Je ne sais pas si Mme Folco va partager ce point de vue-là, mais je pense que cela va la séduire étant donné son ouverture d'esprit.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Elle est cependant limitée.

M. Réal Ménard: Pas tant que ça. Je la sens très grande. Est-ce qu'il ne serait pas intéressant que lorsqu'ils prêtent serment, les résidants permanents qui sont en territoire québécois reçoivent une copie de la Loi électorale, une copie de la Loi 101 et une copie de la déclaration qu'avait adoptée M. Bourassa sur les relations intercommunautaires et qui avait fait l'objet d'un consensus à l'Assemblée nationale? Est-ce qu'il n'y aurait pas un espace pour parler également de la spécificité du Québec lors des cérémonies? C'est ma première question, à laquelle je vous laisserai répondre avant de vous poser les deux autres.

La juge Agnès Jaouich: Je peux simplement vous dire que nous essayons de faire des commentaires très généraux lorsque nous souhaitons la bienvenue aux nouveaux arrivants et que nous ne parlons pas nécessairement de spécificité. Nous leur parlons de leur arrivée et de leur inclusion au Canada. C'est ce à quoi se limite notre rôle.

M. Réal Ménard: D'accord, mais est-ce qu'il vous sera possible de me faire parvenir les documents?

MLa juge Agnès Jaouich: Certainement.

M. Réal Ménard: Deuxièmement, j'aimerais parler de l'évaluation des compétences linguistiques, qui est une question à la fois importante et controversée. Ce n'est pas simple, évidemment. Ai-je raison de dire qu'il est possible que les résidants permanents du Québec qui se destinent à la citoyenneté puissent prêter serment comme citoyens canadiens sans connaître le français? Est-ce qu'on exige qu'ils connaissent l'une ou l'autre des langues officielles, mais sans tenir compte du critère de la résidence? Est-ce qu'on pourrait se retrouver dans une situation telle qu'on fait prêter serment à des résidants permanents qui sont sur le territoire du Québec depuis au moins trois ans sans connaître le français?

La juge Agnès Jaouich: Toutes les personnes qui présentent une demande de citoyenneté ont la possibilité de passer les examens écrit et oral dans la langue officielle de leur choix. On ne fait pas de distinction.

M. Réal Ménard: Mais est-ce que le scénario que je vous décris est plausible? Si demain j'assistais avec vous à une cérémonie sur le territoire du Québec, serait-il possible qu'un résidant permanent qui se destine à devenir citoyen canadien prête serment sans connaître le français même s'il vit au Québec depuis trois ans?

La juge Agnès Jaouich: C'est possible.

M. Réal Ménard: D'accord. Parlons de l'évaluation des compétences linguistiques. Vous nous avez dit que vous ne rencontriez que les gens qui avaient échoué au test écrit qu'on donne à la première étape. Croyez-vous qu'il serait utile que les membres du comité obtiennent une copie de ce test? En avez-vous un exemplaire?

La juge Agnès Jaouich: Non, mais je puis vous dire que les questions sont extraites du document Regard sur le Canada qu'on remet aux résidants permanents lorsqu'ils font leur demande afin qu'ils puissent l'étudier et acquérir des connaissances sur le Canada en vue du test. À la fin de ce document, on retrouve 197 questions dont certaines sont reprises dans l'examen. Je serais heureuse de vous en faire parvenir copie.

• 0940

M. Réal Ménard: Parfait, j'apprécierais que vous me le fassiez parvenir avec le reste du matériel qu'on leur remet. Les candidats passent donc un test dans la langue de leur choix. Est-ce que vous avez des statistiques sur le taux d'échec? Les échecs sont-ils l'exception ou un phénomène assez répandu?

La juge Agnès Jaouich: Je vous dirai qu'en général, 95 p. 100 des candidats réussissent.

M. Réal Ménard: Ils n'échouent pas parce que ce sont des questions relativement générales et qu'ils ont pu se préparer au test. Vous convoquez à une entrevue les candidats qui échouent et vous leur faites subir un test oral.

La juge Agnès Jaouich: C'est exact. La loi n'exige pas que les résidants soient des lettrés. Ils n'ont pas besoin de savoir lire et écrire pour devenir citoyens canadiens. Nous donnons à ceux qui ne sont pas capables de passer le test écrit la chance de subir un examen oral.

M. Réal Ménard: Les nouvelles dispositions de la loi feront-elles en sorte que cela va changer?

La juge Agnès Jaouich: Non, pas que je sache.

M. Réal Ménard: Est-ce qu'ils peuvent avoir recours aux services d'un interprète, par exemple?

La juge Agnès Jaouich: C'est une autre question. En ce moment, lors de l'examen de connaissance de la langue, l'interprète ne joue aucun rôle. L'entrevue comporte deux volets, dont le premier consiste en un examen de connaissance de la langue. Même si l'interprète est présent dans la salle, il n'a pas le droit d'intervenir.

M. Réal Ménard: Parfait.

La juge Agnès Jaouich: Lors du deuxième volet, on évalue les connaissances sur le Canada et on permet à l'interprète d'interpréter la question que le juge pose ainsi que la réponse du candidat.

M. Réal Ménard: D'accord. Je crois que la ministre voudrait également changer cela et apporter des modifications à la loi actuelle.

La juge Agnès Jaouich: Ce sont deux volets différents.

M. Réal Ménard: J'ai cru comprendre que la ministre souhaitait que le recours aux interprètes ne soit plus possible, et je crois qu'elle a raison.

La juge Agnès Jaouich: Je dois avouer que nous nous trouvons parfois dans des situations assez cocasses avec les interprètes. Je sais qu'en principe, ils sont là pour aider les candidats, mais les questions que nous posons en vue d'évaluer leurs connaissances sur le Canada sont vraiment des questions de base. Par exemple, on leur demande quels sont les trois paliers de gouvernement au Canada. Ce n'est pas une question très complexe.

Je dois vous dire que lorsque j'ai demandé tout récemment à un candidat dans quelle province se trouvait Toronto, un interprète a traduit ma question et m'a dit que le candidat avait répondu «l'Ontario», bien que je n'aie pas entendu ce dernier prononcer ce mot. L'interprète soutenait que le candidat avait donné la réponse dans sa langue. Vous comprenez que ce n'est pas acceptable.

M. Réal Ménard: C'est semblable à un gentil trafic d'influence linguistique.

La juge Agnès Jaouich: À notre avis, les résidants doivent avoir un minimum de connaissances. Il est important qu'on puisse répondre «l'Ontario» dans un tel cas. Nos questions sont vraiment des questions de base. On ne croit pas qu'il leur faille détenir un bac pour pouvoir dire quels sont leurs droits en tant que citoyens canadiens. Nous leur posons des questions simples qui démontrent qu'ils sont capables de mener une conversation.

M. Réal Ménard: J'ai vraiment hâte d'obtenir cette information sur l'éventualité qu'on fasse une plus grande place au Québec dans les cérémonies. Vous n'êtes peut-être pas la meilleure personne avec qui en discuter.

Ma troisième question porte sur votre compréhension du nouveau rôle. Lorsque la ministre a comparu devant nous—j'étais complètement d'accord avec elle—, elle disait qu'il fallait revoir le rôle des juges parce qu'ils ne font actuellement qu'une démarche assez routinière, la Loi sur la citoyenneté n'étant pas la plus complexe et les questions d'intendance étant assez simples. Il serait peut-être plus rationnel que certaines de leurs responsabilités relèvent d'agents de la citoyenneté et qu'on confie aux juges un rôle plus important, non seulement en matière de promotion de la citoyenneté, mais aussi de civisme. Bien qu'il se soit trouvé certains esprits pour y voir là une voie royale dans la propagande, je ne suis pas de ceux-là. Vous savez qu'on vit dans un monde étrange malgré tout. J'aimerais savoir ce que vous auriez tendance à inscrire au contenu de promotion de civisme.

La juge Agnès Jaouich: Je voudrais d'abord répondre à la question de la présidence des cérémonies et passer ensuite à celle de la promotion. Comme je le disais lors de mon allocution, les cérémonies sont des événements très importants et j'ai bien hâte que vous soyez là. Vous verrez les larmes et ressentirez l'émotion dans la salle. Ça nous donne la chair de poule.

Mme Raymonde Folco: C'est quand ils deviennent Canadiens, monsieur Ménard, qu'ils ont cette émotion et les larmes aux yeux. Ils ressentent la joie de devenir Canadiens.

M. Réal Ménard: J'aimerais que Mme Folco soit avec moi quand je vivrai cette expérience.

Mme Raymonde Folco: J'ai déjà assisté à... [Note de la rédaction: Inaudible] ...et je suis...

Le président: Order, please.

M. Réal Ménard: Madame Folco, assurez-vous d'être là quand j'y serai pour qu'on puisse vivre ces émotions ensemble.

• 0945

La juge Agnès Jaouich: Je voulais vous dire qu'il se déroule quelque 3 000 cérémonies par année au Canada, lesquelles sont effectivement assez émouvantes et empreintes de beaucoup de dignité. Les juges de la citoyenneté sont présents et président. Dans la plupart des cas, nous avons la chance qu'un gendarme de la Gendarmerie royale en uniforme soit aussi présent. Le drapeau canadien est déployé. Enfin, c'est un événement empreint d'émotion auquel assistent les amis et la famille du nouveau citoyen canadien. On prend des photos et ainsi de suite. Cet aspect de notre travail ne changera pas.

M. Réal Ménard: Invitez-vous des députés?

La juge Agnès Jaouich: Absolument.

M. Réal Ménard: Oui, parfait.

La juge Agnès Jaouich: Je suis sûre que certains d'entre vous ont été invités.

[Traduction]

Le président: Je vais vous interrompre et donner la parole à M. Telegdi.

[Français]

M. Réal Ménard: Mme Jaouich n'a pas fini de répondre à ma question. Accordez-lui 30 secondes puisqu'elle a presque terminé. Ce serait impoli de lui couper la parole. Ses propos sont trop émouvants; on ne saurait l'interrompre comme ça, monsieur le président. Je ne poserai plus de questions.

La juge Agnès Jaouich: La question...

[Traduction]

Le président: Je ne coupe pas la parole au témoin, mais s'il y a des interruptions pendant qu'elle fournit sa réponse, cela retarde les choses. Nous nous sommes entendus sur la répartition du temps. Je vais permettre à la juge de conclure sa réponse.

[Français]

M. Réal Ménard: Je ne poserai pas d'autres questions.

La juge Agnès Jaouich: J'ai déjà parlé de cérémonies et je vais passer à la question de la promotion. Ce n'est pas nécessairement un nouveau rôle, mais un rôle qui sera un peu plus élaboré. Comme nous l'indiquions plus tôt, les juges s'adonnent à un certain travail routinier puisqu'ils doivent signer toutes les 180 000 demandes, même si elles sont tout à fait en règle. On se propose d'éliminer ce côté très administratif de leur travail.

La question de la résidence étant un peu plus claire, on n'aura pas besoin de faire autant d'interventions. Nous souhaitons que notre rôle dans la communauté consiste d'abord à insister sur l'importance de connaître l'une de nos langues officielles, à préparer les gens à assumer leur rôle et leurs responsabilités en tant que citoyens canadiens, à leur parler de leurs droits et à les aider à s'intégrer en leur expliquant le processus qu'ils devront suivre, ce qui nous permet de rapprocher les nouveaux arrivants de ceux qui sont ici. C'est un élément important de notre travail.

Nous voulons aussi insister sur une valeur canadienne d'une très grande importance, soit le bénévolat. Comme vous le savez, la Semaine du bénévolat débutera le 18 avril. Il y a plus de 7 millions de personnes qui font du travail bénévole. Nous encourageons fortement les nouveaux citoyens à s'impliquer dans la communauté et à faire du travail bénévole.

M. Réal Ménard: Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Le président: Merci.

Monsieur Telegdi.

M. Andrew Telegdi (Kitchener—Waterloo, Lib.): Merci beaucoup, Votre Honneur, de votre témoignage et du mémoire que vous nous avez remis.

Comme vous le savez sans doute, dans ma région de Kitchener-Waterloo, nous avons un excellent juge, le très respectable juge Somerville. Il me semble surchargé de travail. Il se rend parfois en Colombie-Britannique pour y tenir des audiences de citoyenneté. C'est la preuve que nous manquons de juges à l'heure actuelle. Il apporte en tout cas une grande respectabilité au tribunal.

Je voudrais dire à M. Ménard que, s'il venait dans ma région, je pourrais l'inviter...

M. Réal Ménard: Merci.

M. Andrew Telegdi: ...parce que la cérémonie qu'organise le juge Somerville a lieu dans les deux langues officielles. Cela donne encore plus de valeur à cette cérémonie. Il est très émouvant de voir de nouveaux Canadiens dans la région de Waterloo prononcer le serment en anglais et en français.

Ce qui m'enthousiasme vraiment, c'est l'alinéa 31(7)b), qui porte sur le rôle du commissaire, à savoir encourager la participation active des citoyens au sein de la collectivité. J'ai toujours estimé que c'était un domaine où il était possible de faire davantage.

Très souvent à la cour de la citoyenneté on voit des gens qui viennent de l'ex-Yougoslavie, et en même temps que l'on espère les voir apporter au Canada tout ce que leur pays d'origine a de mieux à offrir, on espère également qu'ils comprennent la réalité du Canada et laissent une partie de leur histoire derrière eux.

Je pense que c'est un élément crucial—les relations inter-raciales—mais il faut également aller dans la collectivité et parler aux Canadiens de leur histoire, de la citoyenneté et de ce que représente notre pays, avec ses deux peuples fondateurs, les peuples autochtones et tous les autres groupes qui sont venus par la suite. À mon avis, c'est un rôle crucial auquel le commissaire à la citoyenneté consacre sans doute énormément de temps, mais c'est un rôle qui revêt une importance cruciale et qui jusqu'ici a été quelque peu négligé. Qu'en pensez-vous?

• 0950

La juge Agnès Jaouich: C'est en tout cas un rôle sur lequel les juges ont insisté lors de la rencontre avec la ministre en mars 1997. À cette époque, ils lui ont fait part de leur désir de voir cet aspect de leurs fonctions quelque peu étendu.

Jusqu'à présent les juges ont été tellement pris par les audiences et la signature des demandes courantes que c'est un aspect de leurs fonctions qu'ils ont malheureusement dû négliger. Grâce aux modifications apportées dans l'équilibre de la tâche qui incombera aux futurs commissaires, ces derniers auront plus de temps à consacrer à ce rôle d'encouragement, qui vise à faciliter l'intégration des nouveaux venus et à aider les collectivités à mieux se comprendre. Les juges ont donc hâte d'assumer ces fonctions.

Cela permet également aux citoyens de comprendre ce que représentent l'acquisition de la citoyenneté et les valeurs que partagent les Canadiens, et là encore nous insistons sur le rôle du secteur bénévole, car, comme vous l'avez sans doute vu à Kitchener-Waterloo, et dans bien d'autres villes également, une fois la cérémonie terminée, certains organismes organisent gratuitement et de façon bénévole une petite réception. C'est un autre exemple pour les nouveaux citoyens des valeurs qui nous tiennent à coeur.

M. Andrew Telegdi: Les commissaires peuvent réellement contribuer à faire en sorte que notre diversité continue d'être un point fort pour notre pays, et c'est à mon avis l'occasion pour le comité, pour la collectivité, de miser là-dessus et de bien faire comprendre à tous que cela représente une fonction essentielle de la citoyenneté dans notre pays.

La juge Agnès Jaouich: Permettez-moi d'ajouter qu'aux termes du paragraphe 31 (6), pour être nommé commissaire, il faut être citoyen, être sensible aux valeurs qui animent la citoyenneté et être reconnu pour avoir apporté une contribution civique importante. Nous espérons donc que certains serviront de modèles et pourront s'adresser aux membres de leurs collectivités pour leur faire comprendre ce dont il s'agit.

M. Andrew Telegdi: Merci beaucoup.

Merci, monsieur le président. Je cède le temps qu'il me reste à Mme Folco.

Le président: Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Merci beaucoup, monsieur Telegdi, et à vous également, monsieur le président.

[Français]

Madame Jaouich, bienvenue du côté des libéraux également. J'ai plusieurs questions à vous poser, certaines plus courtes et d'autres plus longues.

Tous les témoins que nous avons entendus jusqu'ici et nous-mêmes estimons que la question de la résidence est un problème épineux et délicat auquel on ne réussit pas vraiment à avoir des réponses qui nous aideraient à le régler. Tout le monde sait que c'est un problème et tout le monde le dit, mais jusqu'ici, on n'arrive pas à trouver comment le régler.

Vous en avez aussi beaucoup parlé. Vous l'avez soulevé en premier lieu, indiquant ainsi, selon moi, l'importance que vous lui accordez. J'aimerais que vous nous parliez des problèmes que la question de la résidence a pu causer aux juges de la citoyenneté et des améliorations que nous pourrions apporter aux articles du projet de loi qui s'y rapportent.

En passant, j'aimerais vous dire que nous avons entendu hier une ancienne juge de la citoyenneté qui nous recommandait de préciser qu'un résidant qui s'est absenté de façon continue pendant six mois ne satisfait pas aux critères de résidence, plutôt que de tenir compte du nombre de jours d'absence au cours des trois, quatre, cinq ou dix dernières années. J'aimerais bien entendre votre opinion.

La juge Agnès Jaouich: Merci beaucoup, madame Folco. Je vais tout d'abord essayer de cerner pour vous les problèmes auxquels nous faisons face. Comme je le disais lors de mon allocution, étant donné que le mot «résidence» n'est pas défini, il est très, très difficile d'être juste envers tout le monde parce qu'il y a énormément de différences d'interprétation. Même si les juges de la citoyenneté s'appliquent autant que possible à maintenir une certaine similarité dans leurs décisions, une fois qu'on est à la Cour fédérale, les jugements sont tellement différents qu'il n'y a ni continuité ni stabilité.

• 0955

Tous les juges de la Cour fédérale et de la citoyenneté confirment que pour résider au Canada, une personne doit établir et mener sa vie essentiellement au Canada. Par contre, certains juges déclarent que la durée de l'absence n'est pas un point crucial, tandis que d'autres déclarent qu'une absence prolongée annule le but de l'obligation de résidence. Ce sont les interprétations qu'ils donnent d'une loi qui n'est pas claire. On va éliminer cette ambiguïté en définissant la résidence en tant que présence physique.

Dans certains cas, on voit des individus qui n'ont été au pays que quelques jours devenir citoyens canadiens. Comment ont-ils pu acquérir un attachement à notre pays? Comment peuvent-ils comprendre nos valeurs, s'intégrer à la communauté et y contribuer? Comment peut-on leur donner le droit de vote? Finalement, c'est ce qu'on leur donne; on leur donne un passeport et le droit de vote. Comment peuvent-ils exercer intelligemment ce droit qui, j'en suis sûre, est pour vous tous très important, sans savoir de quoi il s'agit, sans avoir vécu au Canada et sans comprendre les différents volets de notre démocratie?

Mme Raymonde Folco: De tels individus représentent le Canada lorsqu'ils sont à l'extérieur également.

La juge Agnès Jaouich: Vous avez tout à fait raison. En exerçant son droit de vote, un tel individu ne fait pas nécessairement son avenir, mais notre avenir à nous tous. Nous voulons qu'il sache de quoi il s'agit lorsqu'il décide d'acquérir la citoyenneté en répondant aux critères et en acquérant le droit de vote. Ce sont les difficultés auxquelles nous faisons face. Je dois vous dire qu'il est très démoralisant pour les juges de la citoyenneté en ce ce moment d'essayer de rendre des décisions aussi étudiées que possible, tandis que dans certains cas, selon le juge de la Cour fédérale qui entend la cause en appel, la décision peut aller dans un sens comme dans l'autre.

Mme Raymonde Folco: J'ai d'autres questions.

La juge Agnès Jaouich: La nouvelle loi clarifie cette définition.

J'ai de la difficulté à comprendre l'approche de la juge dont vous avez parlé. À notre avis, l'individu devrait être sur place la majorité du temps.

Mme Raymonde Folco: Elle proposait qu'on affirme que lorsqu'une personne s'est absentée pendant six mois au cours d'une année, donc pendant la moitié de l'année, elle ne satisfait plus aux critères que vous venez justement d'énoncer.

La juge Agnès Jaouich: Pour toutes les années depuis...

Mme Raymonde Folco: Elle ne l'a pas précisé.

La juge Agnès Jaouich: Eh bien, c'est cela qui n'est pas clair. Si c'est une période de six mois, sa recommandation va dans le même sens que la loi, qui prévoit qu'il n'est pas nécessaire d'être physiquement présent pendant cinq années, mais seulement pendant trois ans. Si c'est six mois par année, c'est différent.

[Traduction]

Le président: Je vais donner la parole à M. Doyle.

Mme Raymonde Folco: Mon temps de parole est épuisé?

Le président: À vous deux, vous avez utilisé tout le temps prévu.

Monsieur Doyle.

M. Norman Doyle (St. John's-Est, PC): Je voudrais revenir pendant un instant sur la question de l'exigence linguistique pour voir dans quelle mesure celle-ci est appliquée strictement.

Je me demande ce que deviendra une personne qui, par exemple, n'a pas l'aptitude voulue pour apprendre les éléments les plus fondamentaux de l'anglais ou du français. Que deviendra cette personne? Va-t-on lui refuser la citoyenneté pour cette raison? Certaines personnes n'ont vraiment pas d'aptitude pour apprendre une langue étrangère, autre que leur langue maternelle. J'en suis un exemple. Je me demande quel sort sera réservé à une personne dans ce cas-là.

La juge Agnès Jaouich: Le projet de loi prévoit un pouvoir discrétionnaire, et il y aura donc des façons d'exonérer certaines personnes de l'application de cette exigence. C'est mon interprétation.

M. Norman Doyle: On ne va donc pas renvoyer les requérants dans leur pays d'origine. On va les accepter dans le pays et...

La juge Agnès Jaouich: Votre argument est très pertinent, car lorsque nous refusons des personnes qui ont fait une demande de citoyenneté, elles ne retournent pas dans leur pays d'origine. Elles ont le droit de rester au Canada à titre de résidents permanents aussi longtemps qu'elles le souhaitent, en jouissant de tous les mêmes privilèges, sauf qu'elles ne peuvent pas être titulaires d'un passeport canadien et qu'elles n'ont pas le droit de vote. Autrement, ces personnes jouissent des mêmes privilèges et des mêmes droits, à l'exception de ceux que je viens de citer.

M. Norman Doyle: Je comprends.

La juge Agnès Jaouich: Ainsi, si nous refusons une demande, le seul problème auquel le requérant se heurtera est l'impossibilité d'obtenir un passeport canadien et de voter.

M. Norman Doyle: À votre connaissance, donc, est-il déjà arrivé qu'une personne se soit vu refuser sa demande parce qu'elle ne possédait pas cette connaissance fondamentale du français ou de l'anglais?

La juge Agnès Jaouich: Oui.

M. Norman Doyle: C'est arrivé?

• 1000

La juge Agnès Jaouich: À l'heure actuelle, les critères prévus dans le projet de loi prévoient qu'il faut avoir une connaissance très fondamentale de la langue, et nous ne parlons pas de choses poussées... Par exemple, voici certaines questions que je pose: Quel temps fait-il aujourd'hui? Comment êtes-vous venu ici? Êtes-vous venu seul? Qu'avez-vous mangé au petit déjeuner? Avez-vous des enfants? Ce sont des renseignements très fondamentaux pour déterminer la connaissance linguistique.

M. Norman Doyle: Dans l'intérêt de la discussion, si la personne était en mesure de répondre: oui, il fait très beau aujourd'hui, et j'aime les oeufs au bacon pour le petit déjeuner, elle pourrait...

La juge Agnès Jaouich: Nous posons un certain nombre de questions et nous nous faisons une idée.

M. Norman Doyle: Je voulais vous poser une question au sujet des fonctions et obligations du juge. Je remarque que vous «tenez des audiences visant à vérifier que les exigences en matière de connaissance du Canada et des langues officielles et de résidence ont été remplies et qu'il n'existe aucune interdiction pour des raisons de criminalité». De quel genre de ressources avez-vous besoin pour effectuer cette vérification? À mon sens cela doit coûter assez cher lorsqu'il faut établir si un immigrant a pris part à des activités criminelles. Il faut disposer de ressources assez importantes pour assumer ce genre de responsabilité, n'est-ce pas?

La juge Agnès Jaouich: En fait, la GRC fournit des rapports que le ministère met à notre disposition, et nous appliquons ensuite les articles 21 et 22 de la loi actuelle pour établir si les requérants sont admissibles. La documentation pertinente nous est remise par le ministère, qui l'obtient de la GRC.

M. Norman Doyle: J'ai une dernière remarque à faire. J'ai entendu un certain nombre de critiques à l'égard du serment de citoyenneté. Il n'y est plus fait mention des «héritiers et successeurs». Toutefois, il y est toujours fait mention de la Reine, sauf erreur. Je ne sais pas si vous êtes en mesure d'y répondre, mais vous dites que le nouveau serment reflète mieux le Canada d'aujourd'hui.

Que représente pour vous le retrait de la mention des «héritiers et successeurs»? Quel message cela fait-il passer? À mon avis, et d'après les critiques que j'ai entendues jusqu'ici, il semble que... et je suppose que ces critiques émanent de personnes qui ont à coeur le maintien de la monarchie. À quoi sert-il de supprimer «héritiers et successeurs»? S'il continue d'être fait mention de la Reine, est-ce à dire qu'une fois la Reine actuelle disparue, ce sera fini et qu'on ne fera plus jamais allusion à la monarchie dans le serment de citoyenneté? Quel est le but de ce changement? Cela me paraît anormal. Nous sommes fermement attachés à la monarchie, à mon avis, et pourquoi ne pas continuer de le refléter dans le serment?

La juge Agnès Jaouich: Nous avons posé la question, mais d'après ce qu'on nous a dit, cela s'applique à la Reine et à la personne qui la remplacera comme monarque, que ce soit une reine ou un roi; cela ne prendra pas fin lorsqu'elle aura quitté le trône. Le serment fera alors mention de la personne qui occupera le trône après elle. Le titre demeurera le même ainsi que le nom. D'après les explications qu'on nous a données, cela ne touche en rien à la monarchie. Nous y avons ajouté le terme «Canada», ce qui satisfait tous les juges.

M. Norman Doyle: Ce que je voulais dire...

Le président: Désolé, votre temps de parole est écoulé.

J'aimerais poser deux brèves questions, madame. Nous avons déjà dépassé le temps qui nous était imparti. Je vais accorder une prolongation. Nous allons continuer à discuter bien après 11 h 45, étant donné l'intérêt très vif que nous portons à cette question. Étant donné votre compétence particulière et votre expérience pratique, je suis sûr que le comité souhaite que l'on poursuive cette discussion.

Jusqu'ici, certaines personnes ont critiqué la suppression du principe d'accumulation des périodes de résidence, en vertu duquel le séjour effectué au Canada par une personne avant qu'elle ne devienne résidente permanente est calculé aux fins de la période de résidence, ce qui ne sera plus le cas. Votre groupe a-t-il une opinion à ce sujet?

La juge Agnès Jaouich: Non, nous n'en avons pas discuté.

Le président: Je vois. Que pensez-vous de l'idée de modifier le critère de sorte que, au lieu de trois ans sur une période de cinq ans, ce soit trois ans sur une période de six ans? Avez-vous une opinion sur ce point?

La juge Agnès Jaouich: Nous n'en avons pas non plus discuté. Une période de quatre nous a paru acceptable, et cinq ans aussi, mais je n'ai entendu aucun des juges préconiser que l'on prolonge cette période.

• 1005

Le président: J'aimerais maintenant, monsieur Doyle, parler du budget. Je vais toutefois donner la parole à M. Bryden.

M. John Bryden: Madame, puis-je vous demander depuis combien de temps vous êtes juge de la citoyenneté?

La juge Agnès Jaouich: Un peu plus d'un an.

M. John Bryden: Vous avez donc été nommée par le gouvernement actuel.

La juge Agnès Jaouich: En effet.

M. John Bryden: Êtes-vous venue témoigner devant notre comité de votre propre chef, ou y avez-vous été invitée par le comité? Vous en souvenez-vous?

La juge Agnès Jaouich: J'ai été invitée.

M. John Bryden: Vous avez dit dans votre exposé que, à votre avis, le nouveau serment représente une nette amélioration par rapport au serment actuel. Pourriez-vous préciser votre pensée? Pouvez-vous me donner des détails?

La juge Agnès Jaouich: Lorsque les juges l'ont lu pour la première fois, ils ont eu l'impression que cela sonnait bien. Ce texte aborde tous les sujets importants, à notre avis.

M. John Bryden: Mais quoi en particulier? Quelles sont les améliorations précises que vous constatez dans ce nouveau serment?

La juge Agnès Jaouich: Le texte est beaucoup plus facile à lire et porte sur un plus grand nombre de questions.

M. John Bryden: Ne le lisez pas; vous devez le savoir.

La juge Agnès Jaouich: Non, je ne l'ai pas encore utilisé. Le nouveau texte n'est pas encore en vigueur.

M. John Bryden: Vous l'avez déjà lu, toutefois.

La juge Agnès Jaouich: Oui.

M. John Bryden: Vous avez dit au début que cela représente une amélioration. Si c'est le cas, pouvez-vous me dire en quoi ce serment est une amélioration par rapport à l'ancien?

La juge Agnès Jaouich: Là encore, je parle au nom de tous les juges de la citoyenneté, et pas seulement en mon nom propre. Nous avons estimé que le serment est plus facile à comprendre par les nouveaux venus et fait état de toutes les valeurs qui nous tiennent à coeur.

M. John Bryden: À quelles paroles précises pensez-vous?

La juge Agnès Jaouich: Nous ne sommes pas encore entrés dans les détails.

M. John Bryden: J'aimerais donc vous signaler qu'il n'y a que deux petits paragraphes qui diffèrent de la version antérieure. N'avez-vous pas remarqué quels sont ces deux paragraphes?

La juge Agnès Jaouich: Non, je regrette, nous ne l'avons sans doute pas remarqué.

M. John Bryden: Permettez-moi de vous dire que si, lorsque vous venez témoigner devant notre comité, vous affirmez que le nouveau serment représente une amélioration par rapport à l'ancien, on pourrait s'attendre à ce que vous soyez en mesure de nous fournir des explications.

Lors de votre exposé, vous avez également...

C'est normal, non, chers collègues?

Une voix: Votre ton est un peu sévère.

Le président: Allez-y.

M. John Bryden: Je regrette, je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais je vais rapidement expliquer ma position, si vous le permettez, monsieur le président. Le seul changement apporté au serment, outre la place où se trouve le mot «Canada», c'est l'ajout de la phrase: «Je m'engage à respecter les droits et libertés de notre pays, à défendre nos valeurs démocratiques...» Puis on revient à la version antérieure du serment, à savoir: «... à observer fidèlement nos lois et à remplir mes devoirs et obligations de citoyen(ne) canadien(ne)». Ce qui me préoccupe, c'est que c'est un nouveau libellé qui reprend les idées de l'ancien.

Permettez-moi de pousser les choses un peu plus loin. Connaissez-vous ou avez-vous étudié tous les serments de citoyenneté comparables des États-Unis, de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande? Les connaissez-vous?

La juge Agnès Jaouich: Non, je ne les connais pas.

M. John Bryden: Très bien. Seriez-vous surprise d'apprendre que, dans le texte de ces autres serments, il est fait mention de Dieu? Savez-vous qu'il n'est plus question de Dieu dans le texte de notre serment depuis déjà longtemps? Est-ce une chose que...?

La juge Agnès Jaouich: Je savais que ce changement avait eu lieu, en effet.

M. John Bryden: Lors de votre exposé, vous avez dit qu'à votre avis la nouvelle loi ajoutait à la solennité du processus grâce à la disposition qui précise que les commissaires à la citoyenneté doivent veiller à ce que ce serment soit prêté avec dignité et solennité.

À votre avis, si l'allusion à «Dieu» continuait de se trouver dans le serment de citoyenneté, cela ajouterait-il à la solennité du serment?

La juge Agnès Jaouich: Nous n'en avons pas parlé entre nous, et je suis ici pour représenter les opinions de tous les juges.

M. John Bryden: Très bien, ça va.

Enfin, vous avez fait un certain nombre de remarques sur les améliorations subies au fil des ans par la cérémonie de citoyenneté, mais vous admettez que vous n'en avez pas une vaste expérience. À votre avis, donc, le fait de remplacer le titre de «juge», qui sous-entend dignité, par celui de «commissaire» n'ôte-t-il pas une certaine solennité et un certain cérémonial au...?

La juge Agnès Jaouich: Permettez-moi d'apporter une ou deux corrections. Je n'ai pas dit que c'était une amélioration. J'ai dit que c'était un événement très solennel, et, encore une fois, je parle au nom de tous les juges, et non pas en mon nom personnel.

M. John Bryden: C'est bien.

La juge Agnès Jaouich: Le titre de «juge» était tout à fait acceptable quand les juges de la citoyenneté étaient des décideurs indépendants. Si ce n'est plus le cas, alors il n'y a pas lieu de les appeler juges. Un «commissaire» est un titre très respectable. Le commissaire à la citoyenneté suscite également beaucoup de respect; je ne vois donc pas en quoi cela aurait grugé leur autorité. Les commissaires continueront de porter la toge. La cérémonie se déroulera exactement comme à l'heure actuelle. Même si j'ai peu d'expérience, l'expérience combinée de tous les juges me permet de faire certaines remarques devant le comité.

• 1010

M. John Bryden: J'ai une dernière question. Hier, une ex-juge de la citoyenneté a témoigné devant notre comité. Elle a dit que le projet de loi était la dernière étape en vue d'ôter toute importance à cette cérémonie. De toute évidence, les juges actuels n'en ont pas discuté, mais savez-vous que par le passé des membres de la Gendarmerie royale assistaient à la cérémonie de citoyenneté? Nous permettions à l'époque aux gens de prêter serment sur le Coran ou sur la Bible. Il y avait toutes sortes de possibilités. D'après ce témoin, le projet de loi à l'étude met définitivement fin à tous ces aspects de la cérémonie.

Comment pouvez-vous vous présenter devant notre comité—je ne remets pas en cause votre présence, car vous avez tout à fait le droit d'être ici—en disant que la cérémonie est acceptable et que nous allons la maintenir, en vous fondant sur votre expérience d'une année, alors que si on retourne cinq, 10 ou 15 ans en arrière, on constate que cette cérémonie s'est en fait beaucoup dépréciée et a perdu tout son caractère de solennité?

La juge Agnès Jaouich: Je ne suis pas certaine de comprendre à quoi vous faites allusion en parlant de dépréciation, car les membres de la GRC sont toujours là.

Une voix: C'est exact.

La juge Agnès Jaouich: Les cérémonies se déroulent comme par le passé. Les juges continuent de porter la toge comme par le passé. Les livres saints sont toujours mis à la disposition des personnes qui le désirent, et ils sont fournis par les différentes associations. Ils se trouvent au fond de la salle. Les réceptions ont lieu le plus souvent possible—ce sont des réceptions gratuites offertes par des organismes. Par conséquent, à moins que vous n'ayez une idée précise...

M. John Bryden: Très bien...

Le président: Madame la juge, je fais appel à votre indulgence, en ma qualité de président. Nous souhaitons que vous restiez un peu plus longtemps, car certains membres du comité ont encore des questions à vous poser, et j'en fais partie.

J'aimerais maintenant interrompre les délibérations—car il y a quorum—pour discuter d'une affaire courante d'importance cruciale pour notre comité, à savoir son budget.

Puis-je avoir l'attention du comité?

[Français]

M. Réal Ménard: Monsieur le président, pourquoi voulez-vous discuter du budget maintenant, alors que nos témoins attendent? Ne pourrions-nous pas en discuter à 12 h 15, à moins que vous vouliez procéder très rapidement et que nous adoptions le budget sans trop tarder?

[Traduction]

Le président: Oui, et c'est parce que j'ai reçu un excellent conseil de la part de la greffière. Étant donné que nous sommes tous pris par de nombreuses autres activités, il nous faut avoir un quorum particulier pour examiner le budget. C'est pourquoi j'ai invoqué le pouvoir discrétionnaire du président pour le soumettre à votre approbation.

Si j'entrevois une discussion prolongée, j'interromprai le débat sur le budget. Toutefois, s'il est accepté rapidement, j'aimerais que quelqu'un propose une motion pour l'adopter tel quel.

M. Andrew Telegdi: Je propose la motion.

M. Réal Ménard: J'appuie la motion.

(La motion est adoptée)

Le président: Adoptée à l'unanimité. Merci. Notre comité est formidable.

Nous reprenons maintenant la discussion avec la juge Jaouich. Monsieur McKay, vous avez la parole.

M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Merci de votre témoignage. Je regrette d'en avoir manqué une bonne partie, mais nous n'avons pas tous le don d'ubiquité.

Je voudrais en revenir au principe qui est au coeur de ce projet de loi, lequel modifie en fait le rôle du juge, qui ne sera plus un décideur indépendant, mais un fonctionnaire engagé—pour dire les choses comme elles sont—et prive le commissaire de tout pouvoir discrétionnaire. Les commissaires n'auront pratiquement plus aucun pouvoir discrétionnaire. Il faudra respecter les critères de la condition de résidence. À mon avis—et je lance l'idée sur un ton provocateur—on essaie de limiter les frais, tout en restreignant le pouvoir discrétionnaire des commissaires.

• 1015

Pendant toute la soirée hier nous avons entendu des témoignages qui, l'un après l'autre, ont insisté sur la souplesse dont il faut faire preuve à l'égard des critères de résidence et de connaissances linguistiques. Pour une raison qui nous échappe, la ministre propose de supprimer cette latitude dans des domaines importants.

D'après votre expérience et vos discussions avec vos collègues, est-ce une façon réaliste d'aborder la question? Je vous demande également votre avis sur le sous-alinéa 31(7)c)(ii), qui semble redonner indirectement au commissaire ses pouvoirs discrétionnaires, lesquels sont actuellement exercés ouvertement dans le cadre d'une fonction judiciaire.

Qu'en pensent les membres de votre groupe et les gens que vous représentez qui ont une vaste expérience? Lorsque vous tombez dans les zones grises, celles où il faut pouvoir user de pouvoirs discrétionnaires, comment allez-vous exercer ces pouvoirs?

La juge Agnès Jaouich: Je répondrai tout d'abord en vous disant que, même si le commissaire jouit désormais d'un pouvoir de décision déléguée, cela n'ôte rien à son pouvoir discrétionnaire et à sa marge de manoeuvre. La seule différence, c'est qu'en cas d'appel d'une décision indépendante il faut porter l'affaire devant la Cour fédérale, chose que ce projet de loi essaie d'éviter. Il sera toujours possible d'interjeter appel des décisions, mais uniquement grâce à ce processus très complexe et très onéreux.

La ministre continuera de déléguer aux commissaires et aux agents de citoyenneté le pouvoir de prendre des décisions. En vertu de cette délégation de pouvoir, nous jouirons d'une certaine latitude pour prendre la décision définitive. Les choses ne vont pas être très...

M. John McKay: Cela ne vous met-il pas—et là encore j'essaie de provoquer une réaction de votre part—dans une situation pratiquement inextricable? Le commissaire sera appelé à exercer un pouvoir discrétionnaire qui ira à l'encontre de ce que souhaite le ministère ou la ministre par rapport à l'orientation politique.

La juge Agnès Jaouich: D'après moi, ce pouvoir sera délégué au commissaire. S'il y a des cas, comme l'a dit M. Doyle, où il faut user de ce pouvoir discrétionnaire pour dispenser certaines personnes de l'application de l'exigence linguistique, par exemple, ce pouvoir sera également délégué. Cela fera partie intégrante du nouveau rôle des commissaires. Ils joueront un rôle universel qui consiste à prendre des décisions, à appliquer des critères, mais tout en ayant...

M. John McKay: Vous n'aurez toutefois aucun pouvoir discrétionnaire relativement à l'alinéa 6(1)b) concernant la résidence. Quant à l'alinéa 6(1)c), qui concerne la connaissance des langues officielles, il est possible de dispenser les requérants de son application pour des raisons humanitaires.

La juge Agnès Jaouich: L'exigence relative à la résidence va être une question de calcul, c'est évident.

M. John McKay: C'est exact.

La juge Agnès Jaouich: Manifestement, ce projet de loi souligne l'importance de la présence physique, ce qui est très important aux yeux des juges de la citoyenneté. Comme je l'ai dit plus tôt, les seules conséquences négatives d'un refus, pour celui qui passe beaucoup de temps outre-mer, c'est l'impossibilité d'obtenir un passeport canadien—de toute évidence, cela ne l'empêchera pas de voyager—et d'avoir le droit de vote. Sinon, il conserve les mêmes privilèges. Souhaitons-nous vraiment que ceux qui ne vivent pas au pays puissent influer sur notre démocratie en votant?

M. John McKay: Merci.

Le président: Merci. Il y a déjà un moment que nous avons épuisé le temps que nous nous étions accordé. Je sais que Mme Folco voudrait encore un peu de temps, et j'aimerais moi-même poser quelques questions. Je permettrai à Mme Folco de poser une courte question avant d'en poser une tout aussi brève moi-même.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: S'il faut que ma question soit courte, ce sera difficile, car j'ai quatre questions à poser.

M. Grant McNally: Choisissez-en une.

M. John McKay: Posez le quart de chacune de vos questions.

Mme Raymonde Folco: Je ferai une observation.

• 1020

[Français]

Je voudrais faire un commentaire par rapport à la langue officielle et la connaissance de la langue officielle. Je fais partie de ceux qui croient fermement qu'en immigration, ce qui compte véritablement, c'est le long terme et non pas le court terme. Même si les personnes qui arrivent ici et qui demandent à devenir citoyens canadiens ne connaissent pas la langue, leurs enfants vont la connaître et leurs petits-enfants vont très certainement bien la connaître. Cela m'inquiète beaucoup moins que le fait que certaines personnes qui se présentent devant vous ne peuvent pas répondre en français ou en anglais, surtout compte tenu du fait que, de plus en plus, les gens qui immigrent ici viennent des pays du tiers monde ou des pays en voie de développement, comme on les appelle aujourd'hui, y compris des régions rurales de ces pays. Ces personnes n'ont peut-être pas eu la possibilité d'apprendre à lire et à écrire dans leur propre pays et n'ont pu acquérir qu'une instruction assez limitée. Je voulais simplement soulever cet élément. La question de savoir si on pourra leur faire prêter serment en français ou en anglais est très mineure pour moi. La question de la résidence me semble beaucoup plus importante.

J'aimerais vous poser une question au sujet du serment. Je viens du Québec. Vous savez très bien qu'au Québec, nous avons la possibilité de prêter serment sur la Bible ou l'Évangile, ou encore de faire une déclaration solennelle. Je suis portée à croire que ce genre d'approche plus réaliste serait souhaitable au niveau du serment, non seulement pour les personnes qui croient en Dieu, mais aussi pour celles qui souhaiteraient ne pas utiliser le nom de Dieu durant une telle cérémonie. Est-ce que vous voudriez commenter là-dessus, madame Jaouich?

La juge Agnès Jaouich: Comme je le disais tout à l'heure, les juges de la citoyenneté croient que le texte du serment rejoint les objectifs de plusieurs et ne laisse pas qui que ce soit de côté. Il est assez inclusif. Nous estimons que les paroles du serment, «Je promets fidélité et allégeance au Canada et à Sa Majesté», leur suffisent pour exprimer leur engagement lorsqu'ils deviennent Canadiens.

Mme Raymonde Folco: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur Bryden.

M. John Bryden: Ai-je raison de conclure de votre témoignage et de notre discussion que vous et vos collègues n'avez pas beaucoup débattu de la forme ni du contenu de ce nouveau serment de citoyenneté? En avez-vous véritablement débattu?

La juge Agnès Jaouich: Nous n'avons pas tenu un long débat sur ce sujet, mais quand nous en avons discuté, je dirais que la majorité, sinon la plupart, des juges ont dit que le nouveau serment leur plaisait.

M. John Bryden: Mais en a-t-on discuté?

Le président: Merci, monsieur Bryden.

Madame la juge, avec l'adoption de ce projet de loi, la fonction de juge de la citoyenneté sera remplacée par celle de commissaire à la citoyenneté; pouvez-vous nous assurer que, quelles que soient les règles d'indépendance de cet organe que nous devrons réaffirmer, l'évaluation des demandeurs de la citoyenneté canadienne sera de qualité?

La juge Agnès Jaouich: Ce sera certainement l'objectif des commissaires à la citoyenneté. Ils voudront pouvoir prendre leur décision en fonction de la meilleure évaluation possible; c'est certain.

Le président: Et votre groupe est convaincu qu'il en sera comme tel, puisque c'est prévu comme condition dans cette loi?

Mme Agnès Jaouich: C'est exact.

Le président: Merci, madame la juge.

Sur ce, je vous remercie au nom du comité. On a manifesté beaucoup d'intérêt pour votre témoignage. Je tiens à assurer aux autres témoins qui ne sont pas ici présents que nous saurons faire un bon usage du temps qui leur sera imparti, et même leur en accorder un peu plus, comme nous venons de le faire.

Encore une fois, merci, madame la juge, au nom du comité.

La juge Agnès Jaouich: Merci.

• 1025

Le président: Je souhaite maintenant la bienvenue à M. François Auger, de la Fédération des parents adoptants du Québec.

Au nom du comité, je vous demanderais de bien vouloir nous présenter vos remarques liminaires. Nous vous saurions gré de le faire le plus rapidement possible, car, comme l'un des membres du comité l'a fait remarquer à juste titre, le fait d'accorder un peu plus de temps au premier témoin a un effet d'entraînement. Nous vous serions reconnaissants de nous aider. Allez-y.

M. François Auger (membre du conseil d'administration, Fédération des parents adoptants du Québec): Merci. C'est ce que je vais tenter de faire, monsieur.

[Français]

Au nom des parents adoptants et des enfants adoptés du Québec, j'aimerais remercier le comité de nous avoir invités à comparaître. Je remplace notre présidente qui est présentement malade. Je n'ai pas eu beaucoup de temps pour me préparer. Veuillez donc m'excuser de ma nervosité.

Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration procède actuellement à la révision de la Loi sur la citoyenneté, dont un volet porte sur la citoyenneté des enfants adoptés hors du Canada.

Actuellement, la loi prévoit qu'est citoyenne canadienne toute personne qui est née hors du Canada et dont, au moment de sa naissance, le père ou la mère, mais non un parent adoptif, était citoyen canadien.

Nous croyons que cet article de la loi est discriminatoire envers les enfants adoptés, lesquels devraient, tel que le prévoient les jugements d'adoption, recevoir les mêmes privilèges et les mêmes droits qu'un enfant biologique.

Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration propose d'accorder directement la citoyenneté aux enfants adoptés au lieu de leur donner un visa d'immigrant. En ce moment, la citoyenneté est accordée automatiquement aux enfants biologiques nés à l'étranger, sans examen médical ni preuve de solvabilité des parents.

Au Québec, le Secrétariat à l'adoption internationale a présenté quelques objections au projet de loi, notamment sur le bilan de santé émis par Immigration Canada. En effet, le SAI craint que les enfants adoptés n'aient pas un bilan de santé complet et que les parents ne soient pas informés de la situation médicale de leurs enfants.

Que se passe-t-il en ce moment? Les enfants sont examinés par un médecin reconnu par l'ambassade canadienne dans un pays et on envoie le bilan de l'examen au bureau d'Immigration Canada dont relève le pays en question. On n'exige ni test sanguin ni radiographie. C'est pourquoi sont entrés au Canada, à l'insu des parents adoptants et des autorités, des enfants souffrant de l'hépatite B, du sida, de la tuberculose, du syndrome alcoolo-foetal et d'autisme.

Nous pensons que la réforme de la citoyenneté pour les enfants adoptés à l'étranger est une excellente réforme. Cependant, pour améliorer la prise de conscience de l'état de santé des enfants, nous aimerions que les services de l'immigration favorisent les examens médicaux des enfants lors de la proposition de jumelage. Ne vaudrait-il pas mieux demander qu'au moment de la proposition de l'enfant, il y ait un bilan complet de l'état de santé comprenant des tests sur le sida et l'hépatite, surtout dans les pays à risque? Les parents pourraient alors faire un choix éclairé sur leur capacité de prendre soin d'un enfant souffrant d'un certain handicap. Cette information devrait être donnée lors de la proposition d'enfant et non lors de l'émission du passeport, alors que les démarches d'adoption sont pratiquement terminées dans le pays et que les parents sont déjà attachés à leur enfant.

Nous comprenons que l'adoption d'enfants étrangers est de juridiction provinciale. Malgré cela, les provinces ne disposent pas d'outils à l'étranger pour s'acquitter efficacement de cet aspect de l'adoption internationale. Il serait donc important que les services médicaux de l'immigration, seul système canadien organisé et disponible à l'étranger, puissent, de concert avec les organismes d'adoption internationale ou à la demande de parents en démarche privée, collaborer à de tels examens médicaux.

Je vous remercie de l'attention que vous avez portée à nos commentaires.

[Traduction]

Le président: Merci beaucoup, monsieur Auger.

Monsieur McNally.

M. Grant McNally: Merci, monsieur le président.

Merci d'être venu témoigner.

Manifestement, votre principale préoccupation est la santé, et, si j'ai bien compris ce que vous dites, vous estimez qu'il serait bon que ces examens médicaux se fassent avant que l'on ne commence le traitement du dossier de l'enfant à l'étranger aux fins d'adoption.

M. François Auger: Oui.

M. Grant McNally: Alors, voici ma question: comment croyez-vous que cela pourrait se faire concrètement, de façon efficace?

M. François Auger: Dans la plupart des pays, à l'heure actuelle, le certificat de santé est remis par un médecin qui est recommandé par l'ambassade canadienne. À notre avis, cela se fait trop tard au cours du processus d'adoption. Nous sommes d'avis que cela devrait se faire plus tôt.

• 1030

Lorsqu'un orphelinat offre un enfant en adoption au Canada, l'examen médical devrait se faire à ce moment-là, et non pas à la fin du processus, lorsque les parents se trouvent de toute évidence dans le pays, qu'ils ont rencontré l'enfant et établi des liens avec ce dernier. Nous pensons que cela devrait se faire un peu plus tôt que ce n'est le cas à l'heure actuelle.

Par ailleurs, nous sommes d'avis que les examens médicaux demandés et les formulaires sont désuets. Il faudrait qu'ils soient mis à jour en tenant compte des nouvelles maladies ou risques pour la santé aujourd'hui. Par exemple, inclure des prélèvements sanguins et des tests de dépistage du sida, de l'hépatite et autres choses de ce genre. Nous sommes d'avis que cela devrait se faire un peu plus tôt au cours du processus que ce n'est le cas à l'heure actuelle.

M. Grant McNally: Votre préoccupation est-elle fondée sur le fait que les parents ne connaissent peut-être pas les antécédents de santé de l'enfant qu'ils sont en train d'adopter?

M. François Auger: Oui.

M. Grant McNally: Pour ces personnes, non pas celles qui savent déjà qu'un enfant en particulier a peut-être un grave problème de santé qu'il a amené ici?

M. François Auger: Oui. Ce que nous disons, c'est que les parents devraient être au courant, de façon à pouvoir décider s'ils ont la capacité de prendre un enfant qui a un handicap, par exemple, ou toute autre maladie, et de s'en occuper. Mais dans la plupart des cas le processus est déjà trop avancé. C'est ce qui nous préoccupe à l'heure actuelle.

M. Grant McNally: D'après votre expérience, avez-vous constaté qu'il y avait de nombreux cas où des parents qui avaient adopté un enfant n'avaient obtenu des renseignements sur la santé de cet enfant que beaucoup plus tard, alors que s'ils les avaient eus auparavant ils auraient peut-être changé d'idée?

M. François Auger: Non pas changé d'idée, car...

M. Grant McNally: Eh bien, pas changé d'idée, mais peut-être qu'ils auraient pris une décision différente s'ils avaient eu l'information plus tôt au cours du processus. Est-ce ce que vous dites? Pouvez-vous nous donner une idée du nombre de personnes que cela pourrait toucher à votre avis?

M. François Auger: Dans des pays où... par exemple au Québec, la moitié des adoptions se font en Chine, et on a signalé un niveau très élevé d'hépatite B. Nous avons donc eu des cas où des parents sont arrivés ici avec leur enfant et ont appris par la suite que leur enfant était malade et avait l'hépatite B, alors que des tests avaient été faits en Chine et qu'on n'avait rien trouvé.

Personne ne m'a dit que s'ils avaient su, ils n'auraient pas adopté l'enfant, mais...

M. Grant McNally: Vous dites que si les gens avaient cette information à l'avance, ils seraient mieux placés pour prendre une décision éclairée au sujet d'un enfant en particulier.

M. François Auger: Exactement.

M. Grant McNally: Et avez-vous une idée du nombre de cas en particulier où cette situation s'est présentée, d'après votre expérience?

M. François Auger: Je n'ai pas de pourcentages. Cependant, dans certains pays le pourcentage est assez élevé pour certaines maladies. Je n'ai pas vu de nombreux cas de VIH, mais l'hépatite est la principale préoccupation, et il semble y avoir eu une hausse des cas de tuberculose également au cours des dernières années, alors qu'aucun test n'est effectué dans d'autres pays. Or, nous commençons à faire ces tests ici. Par exemple, au Québec... J'ai trois enfants, et ce n'est que pour le troisième qu'ils ont demandé un test de dépistage de la tuberculose, car le nombre de cas de tuberculose a augmenté.

M. Grant McNally: Merci.

Le président: Merci, monsieur McNally.

Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Auger. Dans le fond, le point de vue que vous présentez aux collègues du comité est celui qu'a repris le gouvernement du Québec. Comme vous le savez, on éprouvait deux types d'inquiétudes.

D'abord, on souscrit à la volonté de ne pas faire de distinction entre les enfants naturels et les enfants adoptés. Depuis longue date, votre fédération fait des représentations pour que le processus soit simplifié, et il faut se réjouir de ce que des efforts sont faits en ce sens.

Notre collègue Yvan Loubier, député de Saint-Hyacinthe—Bagot, a adopté une petite fille de Thaïlande et nous a expliqué les difficultés qu'il avait rencontrées. Certains membres du caucus du Bloc québécois ont témoigné de situations qu'ils ont vécues et recommandé que le processus soit simplifié.

Nous nous inquiétons du fait qu'on officialise le statut à l'étranger, alors qu'en ce moment, c'est une cour du Québec qui devrait le faire. Je comprends toutefois qu'il s'agit d'un processus qui est en cours de négociation avec le gouvernement fédéral et que ça ne devrait pas poser de difficultés.

• 1035

Il faut garder en tête le point de vue que vous exprimez puisque la question qui se posait était de savoir qui, du gouvernement fédéral ou du gouvernement du Québec, allait assumer les coûts liés aux examens médicaux. Le gouvernement du Québec ne refusait pas de les assumer, moyennant une compensation, mais il reconnaissait que le gouvernement canadien avait beaucoup d'expertise en la matière puisque dans le processus, c'est un élément réglementaire.

Je comprends très bien les préoccupations que vous faites valoir ce matin et je souscris à votre point de vue. Vous en retrouverez d'ailleurs une application concrète dans notre rapport. Je ne pense pas qu'il y ait de difficulté face à cela.

Pourriez-vous nous rappeler le nombre d'adoptions? Si je ne me trompe pas, le Québec vient au deuxième rang des provinces canadiennes.

M. François Auger: Au premier rang.

M. Réal Ménard: D'accord.

M. François Auger: Il y a en moyenne environ 850 adoptions par année au Québec, environ 750 en Ontario, et 2 000 au Canada tout entier si on inclut toutes les provinces, y compris la Colombie-Britannique, qui vient au troisième rang, si ma mémoire est bonne.

M. Réal Ménard: Parfait. Vous pouvez compter sur nous pour appuyer les revendications que vous présentez ce matin.

M. François Auger: Merci.

[Traduction]

Le président: Monsieur McKay.

M. John McKay: Je regarde l'article 8, qui dit: «Le ministre attribue, sur demande, la citoyenneté à la personne mineure...». C'est facile. Ensuite: «... qui a été adoptée par un citoyen après l'entrée en vigueur... conformément au droit du lieu de l'adoption et du lieu de résidence de l'adoptant...» On parle ensuite de véritable lien de filiation, etc.

Y a-t-il quoi que ce soit dans l'article 8 avec lequel vous ne seriez pas d'accord, particulièrement lorsqu'on parle de créer «un véritable lien de filiation entre l'adopté et l'adoptant»?

M. François Auger: Nous n'avons pas d'objection. Nous sommes d'avis cependant que ce sera difficile à appliquer dans certains pays. Par exemple, certains pays n'ont pas de juge pour rendre une décision concernant l'adoption. C'est un notaire ou un fonctionnaire qui le fait, ce qui est différent. Donc, je pense que nous devrons nous adapter aux différents types de lois selon le pays.

L'article dit: «... conformément au droit du lieu de l'adoption», et je pense qu'il sera difficile dans certains pays de savoir dans quels cas il faudra avoir un jugement pour aller plus loin pour obtenir la citoyenneté, particulièrement lorsqu'on revient à une législation provinciale comme celle du Québec, par exemple.

Donc, nous croyons qu'il y a une certaine ambiguïté et qu'il faudrait plus de clarté, mais de façon générale nous n'avons pas d'objection à cet article comme tel.

M. John McKay: Ce sera un peu étrange. Il y a eu quelques cas d'adoption en Thaïlande récemment qui ont été portés à mon attention, et je me demandais tout simplement de quelle façon cela fonctionnerait pour les bébés de la Thaïlande qui naissent avec le virus du sida, mais il semblerait que dans le tiers des cas ils s'en débarrassent, ce qui m'a surpris—je ne le savais pas. Ces bébés peuvent donc être adoptés, mais les Thaïlandais ne veulent absolument rien savoir de ces bébés, de sorte qu'ils sont tous offerts en adoption à l'étranger.

Je présume que l'on pourrait adopter un bébé thaïlandais conformément au droit de la Thaïlande. Cela serait relativement simple. Ensuite, le droit du lieu de résidence de l'adoptant—je me demande pourquoi on ne dit pas plutôt: «conformément au droit du Canada».

M. François Auger: Je pense que c'est surtout parce qu'il s'agit d'une compétence provinciale.

M. John McKay: On pourrait dire plutôt le droit du Canada, au sens générique.

M. François Auger: Oui. Si j'ai bonne mémoire, il n'y a pas de jugement d'adoption en Thaïlande. Les enfants sont confiés aux parents jusqu'à ce qu'il y ait un jugement dans le pays des parents, de sorte qu'il y a une différence. En Thaïlande, il n'y a aucun jugement qui est rendu comme tel pour l'adoption, de sorte qu'il n'y a pas d'affiliation entre les parents, les parents adoptifs et l'enfant.

M. John McKay: Donc, les parents adoptifs se retrouvent alors en quelque sorte devant un dilemme, n'est-ce pas, s'il n'y a pas de loi sur l'adoption dans le pays où est né l'enfant?

M. François Auger: S'il n'y pas de jugement, il y aura...

M. John McKay: On ne peut donc pas produire de certificat.

• 1040

M. François Auger: Il n'y a rien. Il n'y a aucun article dans la loi qui dit que dans un tel cas il faudra suivre tel ou tel processus. Comme je l'ai dit, selon le pays d'origine de l'enfant, il y a des différences énormes entre les lois là-bas et les nôtres.

M. John McKay: Oui, je le comprends. Je suppose qu'on ne peut pas remplacer le mot «et» par le mot «ou». Cela ne fonctionnerait pas, car cela créait certains problèmes. Très bien, c'est un bon point.

Ma dernière question concerne le «véritable lien de filiation». Je sais que le Québec fait beaucoup d'adoptions en Chine, et il y a une chose qui pique ma curiosité. Étant donné que les parents sont ici au Canada ou au Québec et que l'enfant est là-bas, et qu'ils vont rencontrer l'enfant, restent là-bas pendant une semaine, puis reviennent au pays, comment peut-on parler alors d'un véritable lien de filiation?

M. François Auger: C'est la même chose lorsqu'une femme donne naissance à un bébé et le voit pour la première fois.

M. John McKay: Et c'est tout.

M. François Auger: C'est la même chose pour nous. Il y a un attachement instantané, cela est certain, même avec une photo ou une vidéo. Dans d'autres cas, il faut du temps et des efforts. Ce n'est pas toujours le coup de foudre.

M. John McKay: Oui, j'ai le même problème avec les députés réformistes.

Une voix: Nous avons fini par avoir de l'amitié pour vous également.

Le président: Merci, monsieur McKay.

Puisque les membres du comité n'ont pas d'autres questions à poser, le président aimerait en poser quelques-unes.

Faites-vous une distinction entre la légalité des adoptions selon la loi et l'authenticité du lien de filiation en plus de ce qui est considéré par la loi comme étant légal? Est-ce la même chose?

M. François Auger: Il y a une distinction, car c'est souvent une question d'amour entre un parent et un enfant, ce qui n'a rien à voir avec la loi. Je crois cependant que la distinction est difficile à faire. Nous devons suivre des lois, et, que cela nous plaise ou non, nous vivons en société, nous vivons ensemble. Je ne crois pas que cette distinction soit une exigence ou quelque chose de spécifique. Comme je l'ai dit, c'est plutôt une question de sentiment par rapport à ce qui est bien.

Le président: D'après votre expérience, pour qu'un lien de filiation soit véritable, il faut naturellement un certain temps. Peut-il y avoir un autre facteur qui entre en ligne de compte, à part le temps?

M. François Auger: Je ne le pense pas. Je pense qu'il faut un certain temps pour apprendre à se connaître l'un et l'autre.

Le président: Combien de temps faut-il? Un minimum au-dessous duquel il ne serait pas possible d'établir un lien, et un maximum qu'il ne faut pas dépasser.

M. François Auger: Je ne pense pas que l'on puisse déterminer cela ainsi, monsieur. Je ne pense pas que l'on puisse déterminer une date ou le temps qu'il faut pour établir un véritable lien. Comme je l'ai dit, il est possible d'établir un lien instantanément avec une photo.

Le président: Est-ce que cela peut être défini par quelqu'un d'autre, à part le parent et l'enfant?

M. François Auger: Personnellement, je ne le pense pas. C'est une question personnelle entre les parents et l'enfant. Parfois, on peut même aimer le bébé avant de l'avoir.

Le président: Si c'est le cas, une disposition qui exige l'existence d'un tel lien, qui ne peut être évalué par qui que ce soit d'autre que le parent et l'enfant, serait un critère extrêmement difficile à évaluer.

M. François Auger: Oui.

Le président: Est-ce ce que vous dites?

M. François Auger: Oui.

Le président: Très bien. Or, pour être admis par l'immigration au Canada il faut répondre à certains critères, notamment à des critères médicaux. Si l'admission se fait selon la citoyenneté lorsqu'il y a citoyenneté automatique, pouvez-vous dire au comité ce que vous pensez de ces conditions que fixe à l'heure actuelle la Loi sur l'immigration pour être admissible sur le plan médical, lorsqu'un parent adoptant peut considérer, malgré ces conditions... Je sais que ces conditions existent, au sujet de la tuberculose, etc. Votre groupe dit-il que dans les cas où l'entrée au Canada d'une nouvelle personne se fait par la citoyenneté, il y aura de toute évidence dérogation à la non-admissibilité médicale dans la Loi sur l'immigration?

• 1045

M. François Auger: Exactement. C'est ce que nous croyons.

Le président: Est-ce ce que vous souhaitez également?

M. François Auger: Nous n'avons pas d'objection à ce que l'on passe par la citoyenneté plutôt que par l'immigration. Nous croyons que c'est une bonne chose. Nous sommes cependant d'avis qu'à un moment donné il faudrait avoir un avis médical pour déterminer si un enfant a ou non une maladie.

Le président: Je vous ai entendu parler de cette question. J'ai vu l'importance que cela a pour vous que le parent sache que l'enfant a telle ou telle maladie, ou qu'il en ait été averti. C'est un aspect. Le deuxième aspect, naturellement, c'est le coût lié à ce diagnostic, à la confirmation de ce diagnostic, au Canada. Ensuite, naturellement, il y a le coût du traitement de cette maladie, comme les autres membres du comité l'ont mentionné. Le troisième aspect, naturellement, c'est celui des conséquences pour la santé publique, pour la communauté en général.

Quels sont vos sentiments sur ces questions?

M. François Auger: À l'heure actuelle, la plupart des examens médicaux qu'exige Immigration Canada ou l'ambassade dans ces pays sont payés par les adoptants, les parents.

Le président: Non, ce n'est pas le coût qui me préoccupe pour le moment. Voici ma question: pensez-vous que les critères médicaux d'admissibilité, tels que nous les connaissons aujourd'hui, dans la Loi sur l'immigration sont des critères raisonnables que l'on peut imposer à toute personne qui veut s'établir en permanence au Canada?

M. François Auger: Nous ne croyons pas qu'ils reflètent la réalité d'aujourd'hui. Nous pensons que certains examens devraient être plus détaillés, surtout pour les enfants.

Le président: Si nous avions un examen détaillé qui permettrait de déceler tout état imaginable, pensez-vous qu'il faudrait maintenir l'exclusion fondée sur l'état de santé?

M. François Auger: Si on l'accepte, oui, je pense que l'exclusion doit être maintenue.

Le président: Êtes-vous alors d'avis que, pour les besoins de l'adoption, étant donné que ces personnes peuvent recevoir la citoyenneté canadienne sans être assujetties à la Loi sur l'immigration, il est raisonnable d'imposer les mêmes conditions?

M. François Auger: Je crois que oui.

Le président: C'est de toute évidence l'avis de votre groupe?

M. François Auger: Oui.

Le président: D'accord. Je vous remercie.

Maintenant, en ce qui concerne la résidence des parents adoptants en vertu des lois sur l'adoption, vous vous rendez compte qu'il peut s'agir du Canada, de n'importe quelle province au pays, ou de n'importe quel autre pays dans le monde où les parents adoptants résident, quoiqu'ils soient Canadiens, ou il peut s'agir du pays même où l'enfant est adopté, si les parents adoptants—qui sont citoyens canadiens—sont dans ce pays. Vous vous en rendez compte?

M. François Auger: Oui.

Le président: Et cela ne vous pose pas de problèmes?

M. François Auger: Non.

Le président: Aucun? D'accord. Je n'ai plus d'autres questions.

Les autres membres du comité ont-ils des questions? Monsieur Telegdi.

M. Andrew Telegdi: Monsieur le président, pour en revenir à l'article 8: «ayant créé un véritable lien de filiation entre l'adopté et l'adoptant», si la personne de toute évidence assume la responsabilité financière, et doit aussi payer son avocat dans ce processus, cela est au coeur de cette question.

M. John McKay: Oui. C'est un aspect objectif de la relation.

M. Andrew Telegdi: Merci.

Le président: Au nom du comité, je vous remercie encore une fois de votre témoignage.

M. François Auger: Merci.

Le président: Nous allons maintenant inviter le groupe de témoins suivant à s'avancer, qui nous viennent du Comité inter-Églises pour les réfugiés et du Conseil canadien des Églises, ainsi que de la Table de concertation de Montréal au service des réfugiés.

• 1050

Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos témoins. Je crois comprendre que Mme Janet Somerville, du Conseil canadien des Églises, sera la première à prendre la parole. M. Van Eek parlera au nom du Comité inter-Églises pour les réfugiés. Et Mme Rivka Augenfeld parlera au nom de son groupe. J'imagine que nous pouvons procéder dans cet ordre.

M. Clark interviendra aussi? Non.

Nous allons également entendre Mme Mounib.

Madame la greffière, j'ai nommé plus tôt ceux qui allaient faire une allocution liminaire, mais je vous remercie quand même de ce rappel.

Madame Somerville.

Mme Janet Somerville (secrétaire générale, Conseil canadien des Églises): Monsieur le président, nous tenons à remercier votre comité de son invitation.

Arie Van Eek est le président du Comité inter-Églises pour les réfugiés. Arie est devenu citoyen canadien en 1955, à l'époque où il préparait son ordination au séminaire.

Tom Clark est le directeur du Comité inter-Églises pour les réfugiés. C'est un employé. Depuis 19 ans, il étudie de près les problèmes relatifs aux réfugiés et la jurisprudence en matière de droit relatif aux réfugiés pour le compte des nombreuses Églises qui financent son action.

Je suis la secrétaire générale du Conseil canadien des Églises. Ma présence symbolise l'intérêt que portent toutes nos Églises à cette question, mais je tiens à dire que le contenu de notre mémoire s'inspire surtout de notre expérience, surtout celle de Tom et d'Arie, relativement aux problèmes des réfugiés. Nous allons donc nous en tenir largement à cette dimension, soit à des réflexions qui s'inspirent de notre expérience.

Je cède maintenant la parole à Arie.

M. Arie Van Eek (président, Comité inter-Églises pour les réfugiés): Monsieur le président, nous allons passer en revue le projet de loi C-63 et vous faire part de nos réflexions, et non pas de suggestions visant à modifier le projet de loi. Mais nous croyons sincèrement que les communautés confessionnelles que regroupe notre coalition veulent une Loi sur la citoyenneté qui soit juste et bonne pour tous ceux qui ont droit à la citoyenneté canadienne et en font la demande.

Nous nous proposons de vous lire notre mémoire.

Toute loi concernant la citoyenneté, qui prévoit un processus d'octroi de la citoyenneté, est l'un des rares textes de loi qui disent ce que c'est que d'être Canadien. C'est donc dans une telle loi, et dans le serment qu'elle contient, que l'on peut retrouver les aspirations les plus nobles des Canadiens. Il est bon que le Canada confirme le principe que ceux qui sont nés sur son territoire ont droit à la citoyenneté canadienne. C'est une chose normale dans les pays modernes. Mais nous nous préoccupons du fait que le projet de loi ne donne même pas une définition minime de la citoyenneté. Les parlementaires et les citoyens que cette question préoccupe ne peuvent donc pas vraiment se prononcer sur le contenu de cette loi et sur les privilèges et responsabilités qui sont conférés à la personne qui reçoit la citoyenneté canadienne. Il nous semble donc contre-indiqué d'adopter une loi concernant la citoyenneté qui ne définit pas clairement le sens de la citoyenneté.

• 1055

Même à l'heure où la réflexion constitutionnelle est difficile, il ne faut pas se contenter, pour ce qui est de définir la citoyenneté, du serment que l'on retrouve en annexe à ce document et qui n'est défini que par le ministre. Je parle du texte du serment que l'on retrouve à la page 32 de ce document.

Mme Janet Somerville: Nous aimerions parler maintenant de l'application régulière de la loi et de tous les recours juridiques entourant la question de la nationalité, de la citoyenneté et de l'apatridie. Les réfugiés et les apatrides savent mieux que personne que la citoyenneté, ou la nationalité, est un droit fondamental. Une constitution, et tous les droits qu'elle contient, n'a aucun sens si l'on peut déporter vers un autre pays une personne qui a fait quelque chose ici.

La citoyenneté définit le lieu sur le globe où une personne peut être renvoyée et où elle a le droit de rester: de travailler, de voter, d'être solidaire et de profiter de la solidarité, et de se sentir chez elle. On ne saurait priver une personne de sa citoyenneté pour des motifs frivoles. Que l'on accorde ou que l'on retire la citoyenneté, les Canadiens ont le droit de savoir pourquoi on ne saurait dépendre du seul avis du ministre fédéral ou du gouvernement du moment. C'est un thème qui nous est cher, à savoir que le pouvoir discrétionnaire, le pouvoir discrétionnaire ministériel, doit être fondé sur des critères transparents.

Si la citoyenneté canadienne est une chose valable et importante, comme nous le croyons d'ailleurs, l'attribution et le retrait de la citoyenneté doivent se faire objectivement. L'attribution ou le retrait doivent se faire dans le respect de critères nets et connus de tous.

L'attribution de la citoyenneté doit incomber à un organisme indépendant du gouvernement, un organisme insensible aux pressions politiques des autres gouvernements du monde, et un corps public à l'abri des passions publiques du moment. C'est bien le sens de la primauté du droit dans un État démocratique et moderne.

M. Arie Van Eek: Nous allons maintenant vous expliquer les cinq grandes préoccupations relativement au projet de loi qui est devant nous ce matin. La première a trait à l'attribution de la citoyenneté en vertu des directives ministérielles. Dans le processus que l'on propose, il appartiendra à un «commissaire» d'attribuer ou de retirer la citoyenneté, et ce fonctionnaire doit, comme on le dit plus loin, selon le bon plaisir du ministre, «conseiller le ministre à la demande de ce dernier», comme le veut l'alinéa 31(7)c), et mettre en oeuvre les directives du ministre en vertu de l'alinéa 31(7)d).

Nous nous préoccupons aussi du fait que le processus d'attribution de la citoyenneté peut être accéléré par le ministre sans que le projet de loi fasse mention de critères en ce sens. Le projet de loi permet des interventions politiques qui échappent à l'autorité du ministre dans la mesure où l'on peut attribuer la citoyenneté sans tenir compte des dispositions de l'article 31. Le ministre peut accélérer le processus d'attribution de la citoyenneté pour la personne qui réside au Canada depuis au moins 10 ans «... et que le ministre déclare telle, à compter de la date qu'il fixe». Aucune disposition ne fait mention de critères plus détaillés pour ce qui est du règlement défini à l'article 43, et il n'existe aucun corps public impartial chargé de faire respecter ces critères.

De même, le ministre peut dispenser le demandeur de certaines conditions d'obtention de la citoyenneté «pour des raisons d'ordre humanitaire»—paragraphe 6(3). Même si aucun organisme impartial ne décide en de tels cas, il peut y avoir, comme on dit, des règlements qui énonceront des critères précis, mais on ne connaît pas ces critères, et leur application n'est pas obligatoire.

• 1100

Mme Janet Somerville: Le gouvernement peut révoquer la citoyenneté si, sur rapport du ministre, il est convaincu que

    l'attribution, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté ou sa réintégration dans celle-ci est intervenue par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation de faits essentiels.

Il s'agit de l'article 16.

Dans ce cas-ci, on a accès à la Cour fédérale—c'est surtout un tribunal administratif—et la décision de cette cour est définitive. Le texte dit: «par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel». C'est à l'article 17.

Nous inclinons à croire que si l'on veut protéger la personne et rassurer l'opinion publique, rassurer les Canadiens, un tribunal doit déterminer qu'il y a bel et bien eu fausse représentation ou fraude. Ce qui revient à dire qu'il ne suffit pas simplement que le gouvernement soit convaincu; il faut qu'un tribunal soit en mesure de déterminer s'il y a bel et bien eu fraude ou fausse représentation. Nous pensons que le rôle que l'on propose à la Cour fédérale est insuffisant et que le fait que le gouvernement soit convaincu est un critère insuffisant aussi.

S'il suffit de convaincre le gouvernement qu'il y a eu fraude, les conséquences peuvent être très graves. Une fois dépouillée de sa citoyenneté, la personne qui a un casier judiciaire risque d'être déportée en vertu des vastes pouvoirs discrétionnaires que la Loi sur l'immigration confère au ministre. On se demande pourquoi l'on ne tient pas le gouvernement responsable de ne pas avoir su déceler les fausses représentations ou la fraude lors de l'examen qui a mené à l'octroi du statut d'immigrant reçu et de la citoyenneté, et pendant les années de résidence au Canada. Chose certaine, à compter du moment où la citoyenneté est attribuée, le Canada doit assumer la responsabilité de la personne pour ce qui est de tout châtiment et de toute réinsertion en vertu des lois canadiennes, et non révoquer ou restaurer un statut.

Ce qui préoccupe particulièrement ceux qui s'intéressent à ces questions, c'est le fait que ce sont des membres innocents de la famille de la personne, par exemple les enfants, qui souffrent des conséquences de telles décisions. Nous pensons qu'il est très important de ne pas infliger la perte d'un parent, par exemple, aux enfants qui sont nés ici, lorsqu'on révoque la citoyenneté canadienne de ce parent.

Tom Clark.

M. Tom Clark (coordonnateur, Comité inter-Églises pour les réfugiés): Notre quatrième préoccupation tient au fait que le gouvernement peut interdire l'attribution de la citoyenneté—il peut vous empêcher de l'obtenir—en invoquant ce contexte assez mal défini qu'on appelle «l'intérêt public». En vertu du paragraphe 22(1), le ministre peut, s'il le veut, demander au gouvernement de refuser l'attribution de la citoyenneté «s'il est convaincu... qu'il est contraire à l'intérêt public d'attribuer la citoyenneté».

Aucun critère précis ne définit ce que c'est que l'intérêt public dans l'article qui fait état du règlement, à savoir l'article 43. Il n'existe aucun critère qui aide le ministre à décider s'il peut ou non demander au gouvernement d'interdire l'attribution de la citoyenneté si quelqu'un y a droit. Ce projet de loi veut fermer l'accès aux tribunaux, comme cela s'est vu ailleurs:

    Le décret est définitif et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel ni de contrôle judiciaire.

C'est ce que dit le paragraphe 22(3).

Notre cinquième et dernière préoccupation tient à l'application régulière de la loi lorsque le gouvernement interdit l'attribution de la citoyenneté pour des motifs ayant trait à la sécurité ou au crime. Selon ces dispositions du projet de loi, le gouvernement peut interdire l'attribution de la citoyenneté à l'intéressé «parce qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il s'est livré ou se livrera à des activités qui...»,—et j'y reviendrai dans un instant.

Le ministre enclenche ce processus en décidant de faire un rapport. Encore là, il a le droit de faire un rapport, et il peut ne pas le faire aussi. De même, il n'existe aucun critère qui permet de décider si une personne qui a droit à la citoyenneté fera l'objet ou non d'un rapport.

Encore là, le ministre enclenche le processus en décidant d'adresser un rapport à un comité de surveillance dans les cas où il est d'avis que l'intéressé devrait se voir refuser l'attribution de la citoyenneté «parce qu'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il s'est livré ou se livrera à des activités qui»—et on mentionne alors les deux catégories:

    a) soit constituent des menaces envers la sécurité du Canada;

    b) soit font partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert [...]

• 1105

Le comité de surveillance examine ces motifs—et il ne s'agit pas pour lui de savoir s'ils sont raisonnables ou non—et l'intéressé ne voit qu'un «résumé des informations dont il dispose à ce sujet», paragraphe 23(5), et ne peut pas connaître toute la preuve qui pèse contre lui.

Le ministre n'a pas l'obligation de refuser l'attribution de la citoyenneté à ces personnes, mais il peut le faire. Le Règlement, article 43, ne fait état d'aucun critère qui guide le ministre dans ses choix.

M. Arie Van Eek: Encore là, le projet de loi vise à refuser l'accès aux tribunaux. Le paragraphe 27(3) dit:

    La déclaration est définitive et obligatoire et, malgré toute autre loi fédérale, n'est susceptible ni d'appel ni de contrôle judiciaire.

Donc ce qui existe à l'article 22 se répète à l'article 27.

Le Comité inter-églises pour les réfugiés a constaté le caractère injuste de dispositions semblables dans la Loi sur l'immigration. Ces dispositions ont été appliquées, par exemple, dans un cas assez bien connu, l'affaire Suresh. Plusieurs tribunaux se sont prononcés sur cette affaire qui a été mentionnée à maintes reprises dans les actualités.

Dans cette situation, le gouvernement s'est rendu coupable d'une omission dans l'attribution du statut d'immigrant reçu, et l'on se demande s'il convient de s'en prendre à l'intéressé à l'étape de la citoyenneté plutôt qu'aux étapes antérieures dont il a été question.

M. Tom Clark: Dans nos réflexions, il y a d'autres éléments que nous appelons «autres préoccupations». C'est un peu un fourre-tout, et ce qui nous préoccupe, dans certains cas, c'est l'existence possible de deux poids deux mesures. Même si l'on respecte l'application régulière de la loi, même si l'on comble les lacunes juridiques que nous venons de mentionner, le fait que l'on refuse la citoyenneté à des personnes qui constituent une menace à la sécurité du Canada soulève une préoccupation différente, et cette préoccupation a trait à la présence de deux poids deux mesures.

Les citoyens qui se prêtent à des activités qui sont considérées comme une menace à la sécurité du Canada ne sont pas passibles des mêmes sanctions. C'est ce qu'illustre l'affaire Suresh, qu'Arie Van Eek a mentionnée, qui est actuellement menacé d'expulsion en vertu de la Loi sur l'immigration pour des activités—en l'occurrence une campagne de financement pour le compte de la LTTE—auxquelles les citoyens peuvent se prêter sans être passibles de la moindre sanction.

On se demande donc s'il n'y a pas lieu de traiter de telles questions différemment. Autrement dit, si le fait de se prêter à ces activités pose de graves problèmes, ne vaut-il pas mieux invoquer le Code criminel que de refuser l'attribution de la citoyenneté? C'est une réflexion parmi bien d'autres.

Deuxièmement, nous voulons prévenir les cas d'apatridie. Le projet de loi ne protège pas totalement l'intéressé qui pourrait se retrouver apatride, comme le veut la Convention sur la réduction en cas d'apatridie. Par exemple, l'article 11 semble être compatible avec l'article 1, parties 1 et 2, de cette convention, mais non avec l'article 1, parties 4 et 5, de cette même convention. Nous croyons donc que l'on pourrait mieux prévenir l'état d'apatridie par l'adoption d'une disposition de dérogation, ou si l'on en faisait l'un des buts déclarés du projet de loi.

Mme Janet Somerville: Nous nous demandons s'il ne faut pas mieux énoncer les objectifs de la loi. Le texte ne semble pas énoncer clairement les objectifs de la loi, et cela pourrait compliquer la tâche des tribunaux qui doivent assurer le respect des droits et libertés, d'une part, et les objectifs de la loi, d'autre part. Les tribunaux sont chargés de faire respecter la Charte des droits et libertés, et il faut que les textes de loi leur donnent des objectifs précis si on veut qu'ils fassent respecter l'article 1 de la charte.

Toute loi doit respecter la Charte des droits et libertés ainsi que les obligations du Canada relativement aux traités internationaux en matière de droits de la personne, dont celui que Tom vient de mentionner, à savoir la Convention sur la réduction en cas d'apatridie, et la Convention relative au statut de réfugié.

• 1110

Nous avons une autre réserve, qui est liée à l'absence d'objectifs explicites dans ce projet de loi, et c'est la possibilité qu'on fasse des liens entre ce projet de loi et d'autres préoccupations du gouvernement. Cette loi pourrait consacrer des mesures prises à l'égard des criminels de guerre, dans ce cas-ci les criminels de guerre nazis, mesures qu'il faut maintenant repenser.

On a signalé à un comité d'église que, lorsque les poursuites au Canada se sont révélées difficiles et lentes, on a dépouillé les criminels de guerre nazis de leur citoyenneté afin de pouvoir les déporter et les traduire en justice dans d'autres pays. Nous pensons que l'heure est venue de repenser cette approche. Tout d'abord, pour ce qui est de la non-discrimination, si le Canada veut traduire en justice les criminels de guerre et les tortionnaires, ce qui est une bonne idée à notre avis, tous les citoyens qui commettent de tels actes doivent être traduits en justice, pas seulement les citoyens naturalisés. En principe, il n'y a aucune nécessité de révoquer la citoyenneté si l'on veut atteindre cet objectif qui consiste à exiger des comptes des personnes qui se sont rendues coupables de violation des droits de la personne.

Deuxièmement, il y a des effets évidents lorsqu'on révoque la citoyenneté d'une personne et lorsque cette personne, ayant vécu au Canada de nombreuses années, est expulsée loin de sa famille, de ses amis et de son travail et il faut tenir compte de ce fait lorsqu'on décide de prendre des mesures. Il faudrait entre autres songer à intenter des poursuites à la personne au Canada en vertu de nos lois, dont certaines n'ont peut-être pas été rédigées mais qui deviendraient des lois du Canada.

Troisièmement, si l'on veut que les gouvernements soient justes entre eux, le Canada doit accepter sa part des procès des criminels de guerre et sa part des peines d'emprisonnement qui sont infligées à ceux qui sont reconnus coupables ici au Canada.

M. Arie Van Eek: Enfin, à la page 24, articles 47 et 49, on mentionne les catégories de citoyenneté et de droit de propriété de ceux qui ne sont pas citoyens. Pour ce qui est des catégories de citoyenneté, nous pensons que la qualité de citoyen du Commonwealth que l'on veut créer ici est curieuse, pour ne pas dire très troublante. On ne définit nullement cette citoyenneté dans ce projet de loi, et il nous apparaît discriminatoire d'accorder un statut spécial à certains citoyens canadiens et non à d'autres. Pouvez-vous imaginer, par exemple, la création de la qualité de citoyen de la francophonie?

Enfin, pour ce qui est des droits de propriété et autres des personnes qui ne sont pas citoyens, aux articles 49 à 54, il y a des dispositions très curieuses. Il nous semble que la disposition sur le droit de propriété n'a rien à voir avec la citoyenneté. Il s'agit en fait de droits précis pour les non-citoyens, surtout pour ce qui concerne la propriété, et l'on définit à l'article 50 les rôles des provinces. Il est difficile de se prononcer sur ces dispositions si on ne connaît pas l'objectif de ce projet de loi et si l'on n'explique pas les problèmes auxquels on cherche à remédier.

Quelle que soit l'utilité de ces énoncés, ils devraient logiquement s'inscrire dans les lois concernant les droits des non-citoyens et ils n'ont pas leur place dans la Loi concernant la citoyenneté. Ces dispositions nous éloignent de l'importance de la citoyenneté elle-même, son sens, l'attribution de la citoyenneté, la suspension et le retrait de la citoyenneté, soit les mesures que l'on s'attend à retrouver au coeur d'une loi qui porte le nom de Loi concernant la citoyenneté canadienne.

Monsieur le président, voilà qui conclut notre exposé.

Le président: Madame Augenfeld, comme vous savez, j'ai permis aux témoins de compléter leur exposé. J'ai le droit de limiter les exposés à dix minutes.

[Français]

Mme Rivka Augenfeld (présidente, Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés): Mon allocution sera très brève, monsieur le président.

Monsieur le président, merci de nous avoir invités. La Table de concertation des organismes de Montréal au service des réfugiés est un regroupement qui existe depuis bientôt 20 ans. Elle regroupe quelque 96 organismes membres, dont de nombreux qui travaillent au niveau de l'accueil et de l'établissement des nouveaux arrivants. Nous vous avons fait parvenir une brève description de nos activités et une liste de nos membres.

Ce n'est pas la première fois que nous comparaissons devant ce comité, bien que ce soit la première fois que nous rencontrons plusieurs des députés qui y siègent aujourd'hui.

• 1115

Au fil des ans, nous avons acquis non seulement une expertise, mais aussi une vaste expérience à la suite de notre intervention auprès des personnes directement touchées par certaines dispositions de cette loi. Nous côtoyons plus particulièrement des réfugiés, des personnes ayant besoin de protection, des personnes vulnérables et d'autres immigrants dans leur vie quotidienne et nous sommes souvent témoins des conséquences de certains règlements et lois, dont l'intention n'était pas mauvaise, mais qui, dans la vraie vie, ont des effets démesurés et sont souvent source de contraintes pour les personnes qu'on dit, dans d'autres textes, vouloir protéger et aider.

Depuis quelque temps, on voit se manifester une tendance assez inquiétante de la part du ministère de l'Immigration, qui intervient à différents niveaux pour retirer des droits à des personnes physiquement présentes sur le territoire, que ce soient des droits d'appel à des personnes qui font une demande de statut de réfugié ou à des personnes à qui on refuse le statut de résidant permanent, et là on arrive à une restriction des droits d'appel pour des résidants permanents à qui on va refuser la citoyenneté. Mais ce qui est encore plus inquiétant, c'est que certaines personnes à qui on a déjà accordé la citoyenneté canadienne ne pourront plus revendiquer de droits d'appel adéquats dans l'éventualité où on voudrait leur retirer leur citoyenneté.

Nous sommes d'accord avec nos collègues sur de nombreux points qu'ils ont exprimés et nous ne les répéterons pas, préférant nous pencher sur deux choses. Les dispositions actuelles de la loi permettent qu'on tienne compte, dans le calcul du temps requis avant d'obtenir la citoyenneté, du temps pendant lequel les personnes ont été physiquement présentes sur le territoire avant qu'on leur octroie le statut de résidant permanent. Ces dispositions favorables sont particulièrement importantes pour les réfugiés acceptés au Canada, pour les personnes acceptées pour d'autres raisons humanitaires, pour celles qui seraient à risque si elles retournaient dans leur pays et pour celles qui sont parrainées sur place, lesquelles sont le plus souvent, comme vous le savez, des femmes parrainées par leur mari qui sont sur le territoire avant de devenir des résidantes permanentes.

Il arrive souvent que la période qui précède l'acceptation à titre de résidant permanent soit très longue, bien que la situation semble s'améliorer. Cette longue attente n'est la faute de personne puisqu'il y avait des délais dans le système. Bien que les personnes à qui on octroie le statut de réfugié devraient normalement se voir accorder certains droits, pour différentes raisons, le ministère de l'Immigration ne leur accorde pas le statut de résidant permanent avant un délai très long. On a été témoins de situations où le ministère de l'Immigration avait fait attendre jusqu'à cinq ans des personnes acceptées comme réfugiés mais qui n'avaient pas assez de documents. Il s'agissait souvent de personnes de Somalie et d'Afghanistan. Ces personnes qui ont le plus souffert, qui n'ont pas de citoyenneté, qui n'ont pas de documents, qu'on a laissé attendre longtemps et qui ont un besoin urgent de documents et d'une citoyenneté, se voient contraintes d'attendre encore plus longtemps. Certaines personnes peuvent facilement passer 10 ans sur le territoire avant qu'on leur accorde la citoyenneté canadienne.

Les dispositions qui étaient inscrites dans la loi jusqu'ici nous permettaient au moins de compter le temps passé sur le territoire en attente du statut de résidant permanent à titre de temps requis pour obtenir la citoyenneté. Nous comprenons très bien la volonté du législateur, qui voudrait exiger que les personnes soient présentes au Canada, qu'elles aient appris à connaître le Canada et qu'elles aient manifesté le désir d'y rester avant de devenir citoyennes. On nous explique que dans certains cas, on vise justement les personnes qui voyagent beaucoup, des hommes d'affaires ou des entrepreneurs, mais l'ironie, c'est que certaines personnes ne peuvent pas bouger du Canada jusqu'à ce qu'elles obtiennent la résidence permanente. Souvent, les résidants permanents ne peuvent pas voyager parce qu'ils n'ont pas de documents. Bien qu'il ait passé beaucoup de temps sur le territoire, le réfugié d'un pays ne peut pas par la suite obtenir un passeport de ce pays; il doit souvent prendre un titre de voyage canadien, un document de voyage qu'il est difficile d'obtenir et qui n'est pas toujours la meilleure chose pour les voyages.

Je vous lirai la réponse qu'a reçue le Conseil canadien pour les réfugiés de la part de Mme Ingrid Hauck, directrice générale de la Division d'intégration, lorsqu'il avait demandé aux fonctionnaires du ministère de clarifier la raison pour laquelle ils avaient enlevé cette disposition. Si vous comprenez sa réponse mieux que moi, je vous invite à me l'expliquer. On y disait:

[Traduction]

    Nombre de personnes vivent au Canada pendant un certain temps avant d'acquérir le statut de résident permanent. Dans l'exigence relative à la résidence, on ne tient pas compte du temps que l'on a séjourné au Canada en vertu d'un statut autre que celui de résident permanent. L'obligation relative à la résidence vise à permettre aux futurs Canadiens de se familiariser avec la vie canadienne, afin qu'ils comprennent ce que signifie la vie au Canada, qu'ils s'adaptent et s'intègrent dans la société canadienne le plus vite possible. En resserrant l'obligation relative à la résidence, on s'assure que la personne qui acquiert la citoyenneté aura créé de véritables liens avec le Canada.

• 1120

[Français]

C'est exactement ce qu'ont fait les personnes qui étaient là longtemps avant qu'on leur accorde le statut de résidant permanent; elles n'ont pas commencé leur vie au Canada le jour où on leur a octroyé ce statut. Je crois que vous comprenez un peu le sens de mon intervention.

Nous sommes très préoccupés par la question de la connaissance des langues puisque les dispositions y touchant sont très vagues. On a accordé un certain pouvoir discrétionnaire à la ministre à ce chapitre, mais on a retiré aux juges de la citoyenneté la discrétion de prendre des décisions pour des raisons d'ordre humanitaire, qui l'appliquaient surtout dans le cas de personnes âgées ou de personnes traumatisées et qui pouvaient les dispenser de l'exigence de maîtriser une langue officielle, et on a confié cette discrétion aux fonctionnaires. Il y aura beaucoup moins de flexibilité. Bien qu'on fasse état de cette discrétion à l'alinéa 6(3)a) du projet de loi, elle n'est pas très bien définie.

Évidemment, nous sommes très perplexes face à l'allusion qu'on fait à un citoyen du Commonwealth. Nous ne comprenons pas ce que cette référence veut dire, pourquoi on l'a inscrite et ce qui en découle. C'est une question que nous nous posons. Puisque nous ne comprenons pas ce qu'on veut dire, je n'ai pas de commentaire à faire là-dessus.

Je reviens aux propos préliminaires de mon allocution. Il est très difficile de concevoir que, face à des questions aussi importantes que la citoyenneté, on accorde une discrétion ministérielle permettant de décider qu'en raison d'un intérêt public qu'on ne définit nulle part, on pourra nier la citoyenneté et qu'il n'y aura pas de droit d'appel. Si on n'a pas le droit d'appel ici au Canada, on n'est pas traité conformément aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.

Je vais m'arrêter ici. Je vous remercie de votre attention. Nous sommes maintenant disposés à répondre à vos questions.

[Traduction]

Le président: Nous respectons encore l'horaire, et je vous en remercie.

Avant de céder la parole à M. McNally, j'aimerais une petite précision, et je me le permets rarement en ma qualité de président. Vous avez dit que vous étiez d'accord avec vos collègues sur de nombreux points qu'ils ont exprimés.

Mme Rivka Augenfeld: Oui, nous sommes d'accord. Je suis d'accord sur tout ce qui a été dit.

Le président: Bien. Je voulais que ce soit clair, parce que «de nombreux points», ça ne veut pas dire tous les points.

Monsieur McNally.

M. Grant McNally: Je m'y retrouve encore moins maintenant.

J'attends votre remarque, John.

M. John McKay: Je n'ai rien dit.

M. Grant McNally: Merci d'avoir été des nôtres. Vos exposés fouillés démontrent certainement que vous avez longuement réfléchi à toutes ces questions, vous tous, je crois. Très franchement, bon nombre de vos réflexions rejoignent les idées que nous avons exprimées il y a longtemps lorsque nous avons songé à réparer un système qui nous semble défaillant, au pire, ou mal en point, au mieux.

Vous avez mentionné cette idée de révocation du statut et le fait qu'il faut rendre davantage de comptes dès l'enclenchement du système, lorsqu'une personne arrive chez nous et revendique le statut de réfugié au début du processus. C'est bien ce que vous dites, je crois.

Mme Janet Somerville: Ce que nous disons en fait, c'est qu'une fois qu'une personne devient citoyen canadien, il ne faut révoquer la citoyenneté que dans de très rares cas. Il faut que cette personne soit très respectueuse des lois canadiennes, et il se peut que nous ayons à adopter de nouvelles lois au Canada concernant... Étant donné que notre pays est multiculturel et que nos citoyens nous viennent des quatre coins de la planète, et qu'il y a des choses terribles qui se passent dans certaines parties du monde d'où viennent ces gens... Il nous est donc difficile d'imaginer comment nous allons exiger des comptes des gens qui ont fait des choses au Rwanda. Dans ce domaine, il nous faut vraiment imaginer de nouvelles possibilités.

M. Grant McNally: Je pense que vous avez dit que...

Mme Janet Somerville: Il est préférable de ne pas révoquer leur citoyenneté mais de leur demander des comptes pour les actes pour lesquels nous devons tous rendre des comptes.

M. Grant McNally: Ma question portait expressément sur une remarque que vous avez faite au sujet des comptes que ces personnes doivent rendre dans un système où l'on examine d'abord toutes les informations et où l'on prend une décision, et une fois la citoyenneté attribuée... Puis vous dites que si l'on avait été plus vigilant aux premières étapes du système—c'est ce que vous avez dit, si j'ai bien compris—et plus conséquents, on n'aurait pas besoin de faire ça, comme vous dites, de révoquer la citoyenneté.

• 1125

Mme Janet Somerville: Oui, mais nous n'avons pas dit que le Canada devrait être plus soupçonneux au début du processus.

M. Grant McNally: Non, je ne dis pas ça non plus. J'en reviens à ce que vous avez dit, à savoir qu'il vaut mieux se servir de ces informations ou prendre une décision dès le début du processus, au lieu de dire plus tard qu'on n'avait pas toutes les informations au départ ou que la personne a eu recours à de fausses représentations. Tout cela devrait se faire plus tôt.

Monsieur Clark, je vois que vous hochez la tête.

[Français]

Mme Rivka Augenfeld: Des vérifications de sécurité sont faites à plusieurs étapes. Certaines personnes, n'ayant même pas le statut de résidant permanent, attendent très longtemps à cause de vagues allusions au sujet d'une question de sécurité.

Une fois obtenues la résidence permanente et la citoyenneté, le temps écoulé est suffisant et on a la possibilité de procéder si la personne a commis des crimes qui devraient être jugés. S'il arrive qu'après toutes les vérifications, on se retrouve avec certaines personnes qui ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, on a aussi l'obligation de juger ces criminels. Il est arrivé à certaines occasions que des victimes qu'on protège, les réfugiés, rencontrent leur tortionnaire. On peut les juger et on doit le faire. Toutes les conventions internationales qu'on a signées nous obligent à le faire. Ce serait également un signal lancé au monde entier. Si on commençait à faire des procès aux personnes contre lesquelles on a des preuves sérieuses, on lancerait aux personnes responsables de certains crimes graves un signal concernant l'attitude du Canada, ce qui n'a pas été fait jusqu'ici.

Je me permets de dire une chose très personnelle; je ne parle plus au nom de l'organisme que je représente. Ici, on est tous des immigrants devenus citoyens. On espère que cette citoyenneté vaut quelque chose. J'appartiens à une communauté qui a beaucoup souffert lors de la Deuxième Guerre et je ne pense pas qu'on doive utiliser le fait que le Canada n'a rien fait pendant si longtemps contre les criminels de guerre nazis pour se tourner maintenant vers d'autres personnes et appliquer des choses injustes. On a maintenant des dispositions, et si des criminels sont au Canada, on peut juger leur cas. C'est sérieux, et personne ne veut qu'il y ait parmi nous des personnes qui ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Il faut les juger et les condamner si nécessaire. On a des dispositions qui nous permettent de le faire, sinon on doit soumettre leur cas à des tribunaux internationaux.

[Traduction]

M. Grant McNally: Merci. Si je vous comprends bien, vous dites—et corrigez-moi si j'ai tort—qu'il faut mettre en place un meilleur processus qui nous permettra de déterminer tout cela d'avance, avant que la personne n'entre au pays, au lieu de créer des apatrides ou d'obliger les gens à attendre très longtemps, comme vous dites. Est-ce bien ce que vous dites? Répondez oui ou non, cela me suffit.

M. Tom Clark: Non.

M. Grant McNally: Bon.

Mme Janet Somerville: Ce n'est pas là-dessus que nous voulons insister.

M. Tom Clark: Nous disons que si des personnes qui sont au Canada commettent des crimes, elles devraient y être poursuivies, reconnues coupables, condamnées, etc. Voilà ce que nous disons. On ne devrait pas se préoccuper de savoir s'il s'agit d'anciens citoyens, de nouveaux citoyens, d'immigrants reçus, etc. C'est là-dessus que nous voulons insister.

Toutefois, il est vrai—c'est donc un oui mitigé—...

M. Grant McNally: Vous parlez également des personnes qui n'ont aucun statut au Canada?

M. Tom Clark: ...que nous faisons certainement allusion, dans notre mémoire, au fait que si les gouvernements ont eu de nombreuses occasions de mettre la main au collet de quelqu'un, à certains égards, peut-être faudrait-il commencer à procéder différemment...

M. Grant McNally: Devrait-il en être aussi de même dans le cas des personnes sans statut au Canada? Si quelqu'un arrive au Canada sans statut, peut-être a-t-il revendiqué le statut de réfugié, mais avant la décision à cet égard, il se livre à des activités criminelles...

M. Tom Clark: Permettez-moi de formuler la réponse d'une autre façon.

M. Grant McNally: ...et est inculpé et reconnu coupable...

M. Tom Clark: Le Canada n'a de responsabilités, si je comprends bien, et je ne connais que les normes internationales des droits de la personne, qu'envers quiconque se trouve en territoire canadien et de quiconque relève de la compétence du Canada.

M. Grant McNally: Voulez-vous dire qu'une personne qui vient au Canada et y réclame le statut de réfugié et qui, avant la décision concernant cette revendication, commet un acte criminel dont elle est accusée et reconnue coupable devrait quand même pouvoir obtenir un statut au Canada?

Mme Janet Somerville: Non, nous disons que si cette personne a obtenu la citoyenneté...

M. Grant McNally: Très bien, donc vous parlez de...

Mme Janet Somerville: ...on ne devrait pas la lui retirer, on devrait plutôt exiger des comptes de cette personne comme on le ferait de n'importe qui d'autre.

M. Grant McNally: Très bien.

• 1130

Mme Janet Somerville: Monsieur le président, je m'excuse. Je fais partie d'une autre délégation du Conseil canadien des Églises qui vient tout juste de rencontrer le premier ministre et j'ai autre chose à 11 h 30, et donc j'aimerais partir.

Le président: Oui, vous pouvez prendre congé.

Mme Janet Somerville: Je vous laisse mes collègues.

M. John Bryden: Je pense qu'ils réussiront à se tirer d'affaire.

M. Tom Clark: Mais c'est toute une amputation.

Le président: Le relevé de notes sera envoyé à Mme Somerville.

Mme Raymonde Folco: Merci beaucoup.

Le président: Encore une fois, merci.

Monsieur Ménard.

[Français]

M. Réal Ménard: Je vous remercie de comparaître devant nous. Je voudrais soulever trois questions. La plus importante est celle qui a été soulevée par Rivka de la Table de concertation de Montréal au service des réfugiés.

Pour que l'on comprenne bien et que cela puisse figurer dans notre rapport concernant les modifications qu'on souhaite voir adopter, vous voulez qu'on tienne compte, pour l'octroi de la citoyenneté, du temps effectif que les personnes ont passé en territoire canadien avant l'octroi de leur statut de résidant permanent. Vous voulez cela non pas pour une clientèle en particulier, mais bien comme principe général figurant dans la loi.

Mme Rivka Augenfeld: Oui.

M. Réal Ménard: Est-ce que je comprends bien votre position?

Mme Rivka Augenfeld: Oui. J'ai donné l'exemple des personnes pour qui on a un souci particulier, mais cela devrait valoir pour tout le monde. Quand on est physiquement présent au Canada, qu'on y est venu avec l'intention d'y rester et qu'on a obtenu la permission d'entreprendre le processus d'immigration sur place, le temps passé ici devrait compter. Pour le moment, le temps passé au Canada compte pour la moitié, jusqu'à un maximum d'un an; on ne substitue pas tout le temps, mais au moins une partie du temps. Cela fonctionne assez bien et réduit un peu le temps d'attente pour les personnes qui étaient déjà là.

On ne voit pas pourquoi on a enlevé cette disposition; on l'a changée sans en donner la raison. Le paragraphe que je vous ai lu parle de la nécessité de comprendre la société; si c'est cela, les gens l'ont fait, parfois pendant plus de temps que ce qu'on demande pour l'obtention de la citoyenneté après la résidence permanente. Aucune explication ne nous a été donnée pour justifier ce changement. On nous parle de personnes qui arrivent, qui voyagent, des hommes et des femmes d'affaires. Nous parlons d'un autre groupe de personnes qui sont pénalisées.

M. Réal Ménard: Monsieur le président, serait-il possible, avec l'accord de mes collègues et dans le souci d'une meilleure compréhension, qu'au nom du comité vous fassiez parvenir une demande d'explication de la raison de cette modification à la loi, et également de la raison de l'allusion spécifique aux citoyens du Commonwealth dans la loi? Avant qu'on arrive à l'étape du rapport, j'aimerais avoir plus d'information sur les deux questions soulevées, à moins que quelqu'un soit déjà en mesure d'y répondre.

[Traduction]

Le président: Monsieur Ménard, le comité a l'intention, avec la coopération du personnel de recherche, c'est-à-dire à la suite de sa recommandation, celle du greffier et la mienne, de réinviter les fonctionnaires après que nous aurons entendu tous les autres témoins.

[Français]

M. Réal Ménard: D'accord, parfait.

[Traduction]

Le président: Il faut que ce soit en public.

[Français]

M. Réal Ménard: Parfait, merci.

Le comité pourrait garder contact avec vous pour essayer d'avoir plus d'information sur la raison de ces dispositions de la loi et si jamais cela ne vous satisfaisait pas, il faudrait alors proposer un amendement à l'étape du rapport.

Je comprends le sens général des interventions du Comité Inter-Églises pour les réfugiés. Je souscris au principe voulant que toute décision, tant au plan administratif qu'au plan des tribunaux de droit commun, doive faire l'objet d'un appel. Il est clair que la possibilité de revoir ces décisions doit exister.

Il est aussi clair, dans mon esprit, que les lois telles la Loi sur l'immigration ou la Loi sur la citoyenneté doivent donner une marge de manoeuvre discrétionnaire à la ministre. Prenons un exemple très fréquent parmi d'autres. On découvre que des criminels de guerre sont au Canada, et un certain mouvement se mobilise dans l'opinion publique. Je ne parle pas seulement des criminels de guerre nazis, mais de l'ensemble des circonstances permettant de considérer des gens ayant commis des exactions dans l'un ou l'autre pays de la planète. La ministre doit avoir un moyen rapide de mettre en oeuvre un processus pour appliquer des redressements.

• 1135

N'oubliez pas que, quelquefois, les lois et les fonctionnaires nous amènent dans des processus... Je trouve sain qu'en démocratie, on élise des gens pour former un gouvernement et que les ministres aient une possibilité d'intervention rapide et discrétionnaire. Il faut appeler les choses par leur nom: cela est discrétionnaire.

Je vais vous donner un exemple récent qui ne touche pas à la Loi sur la citoyenneté mais qui illustre bien qu'il faille parfois faire appel à une intervention des ministres, une fois que toutes les portes de la fonction publique fermées. C'est le cas de Mme Nancy Castilli-Duran. On doit se féliciter que la ministre ait utilisé son pouvoir discrétionnaire pour obtenir une décision des fonctionnaires. Je conviens qu'il s'agit d'une logique d'immigration et non pas de citoyenneté, mais l'idée d'une marge de manoeuvre discrétionnaire octroyée à un ministre par une loi reçoit mon assentiment. Êtes-vous d'accord sur le principe général d'un pouvoir discrétionnaire? Si vous le trouvez trop accentué dans cette loi, dites-nous pourquoi et dites-nous jusqu'où vous seriez prêts à aller pour la saine conduite des affaires publiques. Finalement, c'est de cela que l'on parle en ce moment. Je suis certain que vous avez des commentaires à ce sujet, madame Augenfeld.

Mme Rivka Augenfeld: Dans le cas mentionné, la personne a fait une demande de résidence permanente pour des raisons humanitaires. Elle a été refusée par l'Immigration, pour les motifs qu'on lui a donnés. Elle a exposé toutes les raisons pour lesquelles elle demandait la résidence permanente pour raisons humanitaires après 18 ans au Canada. Immigration Canada l'a refusée pour des raisons qui ne sont pas vraiment liées à tout ce qu'elle a exposé. Elle demande ensuite à la ministre d'utiliser sa discrétion humanitaire pour prendre en considération tous ses arguments malgré la décision du ministère.

C'est différent du cas d'une personne qui ferait une demande de citoyenneté, sur laquelle la ministre aurait de l'information qu'elle ne transmettrait pas bien à la personne. Par la suite, la ministre, dans l'intérêt public—et on n'a pas défini ce qu'est l'intérêt public—déciderait de ne pas accorder la citoyenneté à cette personne, sans que cette dernière ait le droit d'en appeler de cette décision. C'est très différent.

M. Réal Ménard: Êtes-vous d'accord que certaines situations peuvent faire l'objet d'une telle discrétion? La logique de l'immigration est bien différente de celle de la citoyenneté, mais dans la conduite des affaires publiques, quelle que soit la personne en poste, reconnaissez-vous que l'existence d'un pouvoir discrétionnaire puisse être saine, ou si vous êtes contre le principe en général?

Mme Rivka Augenfeld: Je ne suis pas contre le principe en général. Il y a effectivement des endroits où vous enlevez une discrétion dans le projet de loi actuel. Les juges de la citoyenneté ont actuellement un certain pouvoir discrétionnaire de dispenser les personnes âgées et les personnes traumatisées de certaines exigences, comme la langue, etc. C'est une discrétion bien établie et bien comprise car on sait sur quoi porte la discrétion. Mais la discrétion accordée à un ministre de décider de vous accuser de quelque chose sans que vous compreniez vraiment de quoi on vous accuse et pourquoi on vous condamne, sans vous donner la permission d'aller en appel, est une discrétion très négative et très néfaste. Pour moi, ce n'est pas le même type de discrétion. Cela enlève des droits à une personne.

La résidence permanente compte pour quelque chose même si ce n'est pas encore la citoyenneté. Si, plus tard, on peut enlever sa citoyenneté à quelqu'un pour des raisons qui ne sont pas très claires, c'est très, très dangereux. On est quand même dans une société de droit. Je suis d'accord sur une certaine discrétion. En matière d'immigration, pour les demandes de résidence faites pour des raisons humanitaires, il existe des lignes directrices sur le contenu de la discrétion et elles sont assez exhaustives.

[Traduction]

M. Tom Clark: Le Comité inter-églises pour les réfugiés n'est pas encore prêt à préconiser l'élimination pure et simple du pouvoir discrétionnaire, mais nous travaillons pour réduire la portée de ce pouvoir qui, à l'heure actuelle, ressemble à un pouvoir arbitraire de prise de décision.

Nous nous fondons sur les principes qui ressortent des traités internationaux sur les droits de la personne, lesquels malheureusement ne sont pas très bien connus même si nous tous, à titre personnel, sommes censés en faire la promotion. L'idée, le concept international qui n'est pas tout à fait accepté au Canada, c'est un élément de non-discrimination que l'on appelle le traitement égal en droit. Aussitôt qu'un pouvoir est tout à fait discrétionnaire, on perd ce traitement égal en droit, ce qui est injuste. Cela signifie que des personnes qui se trouvent essentiellement dans les mêmes circonstances ne peuvent pas s'attendre au même traitement et je pense que si on expliquait cela aux Canadiens, ils n'en seraient pas très heureux.

• 1140

Le président: La parole reviendrait à M. Bryden, mais je vais passer à Mme Folco qui l'a demandée à titre exceptionnel parce qu'elle a un autre engagement. J'espère que j'ai le consentement des membres du comité.

Madame Folco.

Mme Raymonde Folco: Merci beaucoup, monsieur le président. Merci à vous, monsieur Bryden.

Je vous remercie tous de vos exposés des plus intéressants. J'aimerais poser une question et faire un commentaire. Ma question porte sur ceux qui arrivent en terre canadienne mais qui ne sont pas encore devenus citoyens. Le nouveau projet de loi, si je comprends bien, s'appliquera à tous ceux qui ne sont pas encore citoyens. J'aurais pensé qu'il était plus approprié, plus juste, de viser dans ce nouveau projet de loi ceux qui ne sont pas encore en terre canadienne plutôt que ceux qui ne sont pas encore citoyens. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Auparavant, permettez-moi de dire que j'ai trouvé extrêmement intéressant votre point de vue sur la révocation du droit de citoyenneté et l'expulsion des personnes qui n'ont pas été reconnues coupables de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. En fait, en nous assurant que ces personnes demeurent au Canada, comme Canadiens, nous reconnaissons notre obligation morale de maintenir ce principe et notre responsabilité morale à l'égard non seulement de la population au Canada, mais des populations mondiales. Je trouve donc que c'est très intéressant.

Par contre, j'entrevois des critiques très sévères car tout cela coûte beaucoup d'argent. Je comprends que certaines personnes—pour ne pas dire certains partis—pourraient peut-être prétendre qu'il en coûte beaucoup pour suivre ce processus. Peut-être pouvez-vous me dire ce que vous en pensez. Voilà les deux choses que je voulais aborder.

Le président: Mme Augenfeld, suivie brièvement de M. Clark, s'il vous plaît.

Mme Rivka Augenfeld: Tout d'abord, nous n'avons pas vraiment examiné cet aspect. Évidemment, s'il y a une nouvelle loi, il faut trouver moyen de ne pas l'appliquer rétroactivement à ceux... Je dois reconnaître que nous n'avons pas vraiment examiné cette question. Toutefois, je pense que la plupart diraient que les règles du jeu doivent être les mêmes pour tous. Ce n'est qu'après l'entrée en vigueur de la loi, que celle-ci devrait s'appliquer aux nouveaux arrivés.

En ce qui concerne la procédure à l'égard des criminels de guerre ou de ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité,

[Français]

prenons le cas de Leon Mugusera qui est actuellement au Québec et à qui on tente d'enlever le statut de résidant. Tout ce qu'on a fait a coûté quelque chose, mais il me semble qu'on aurait pu faire autre chose, utiliser les ressources mises...

Pour les gens qui ne le savent pas, Leon Mugusera est arrivé au Canada du Rwanda. Il a fait sa demande à l'extérieur du Canada, en Espagne, et a été accepté par les autorités canadiennes comme réfugié. Ils ont eu le temps de faire leur vérification de sécurité et autres, peut-être pas comme ils auraient dû le faire, mais il est arrivé au Canada comme résidant permanent dans la catégorie des réfugiés.

Peu de temps après, les gens ont commencé à se rendre compte que Leon Mugusera était peut-être un des incitateurs du génocide au Rwanda. Ce sont les allégations qui pèsent contre lui. Cela a pris beaucoup de temps; je vous dirai que les les plus grands défenseurs des réfugiés veulent qu'il soit amené devant les tribunaux.

Il a fallu un certain temps à Immigration Canada pour rassembler toutes ses preuves, et, au lieu de l'amener devant le tribunal pour l'accuser de crimes contre l'humanité et d'incitation au génocide, on a décidé de procéder par la voie du retrait de son statut de résidant. Ils ont passé peut-être 25 jours d'audience devant un arbitre de l'immigration. On a fait comparaître des témoins de différents pays, des experts des droits de la personne et d'autres experts de différentes parties du monde. Ensuite, 35 jours se sont déroulés en appel devant la section d'appel de la CISR. Cela fait un total de 60 jours et cela est coûteux. Est-ce qu'on n'aurait pas pu investir le même temps dans un procès pour accuser directement M. Mugusera de crimes et permettre au tribunal de décider s'il est bien un criminel de guerre et, dans l'affirmative, de décider ce qu'on fait de lui? Le retrait de la citoyenneté est un processus coûteux; il vaut mieux investir dans un processus de droit.

• 1145

[Traduction]

Le président: Monsieur Clark, très rapidement, car nous terminons cette étape. Ensuite nous passerons à M. Bryden.

M. Tom Clark: En ce qui concerne la responsabilité morale, nous préconisons je suppose le partage entre les États. Je pense que c'est une approche pratique dans le monde d'aujourd'hui. Il y a aussi la possibilité, je pense, de créer des tribunaux internationaux de sorte que tout citoyen, naturalisé ou autre, pourrait être extradé vers la Cour internationale. Le lieu de l'incarcération sur condamnation demeure un problème. Il me semble que les États vont devoir se partager cette responsabilité afin que cela ne soit pas une question de coût. La tendance est vraiment en ce sens. À l'avenir, je pense que nous allons assumer notre part du coût qui découle des problèmes de la Terre.

Le président: Monsieur Bryden.

M. John Bryden: Merci, monsieur le président.

La teneur du serment de citoyenneté m'intéresse. Je conviens que c'est en fait un élément essentiel de la Loi sur la citoyenneté canadienne ou du moins devrait l'être. Selon l'une des dernières modifications, la personne promet de respecter les droits et libertés de notre pays et de défendre nos valeurs démocratiques. Toutefois, d'après votre expérience à tous auprès des réfugiés et de ceux qui viennent de pays décimés par la guerre, n'est-il pas vrai que ces personnes, lorsqu'elles pensent à venir au Canada ou lorsqu'elles considèrent le Canada comme un refuge, ne réfléchissent pas beaucoup à nos lois ou à notre régime démocratique? Ces personnes ne connaissent probablement pas nos lois, mais elles savent que comme pays, nous respectons, de façon générale, les droits de la personne. N'est-ce pas la raison pour laquelle nous avons des gardiens de la paix? N'est-ce pas pourquoi nous sommes actuellement au Kosovo?

Ne pensez-vous pas qu'il y a peut-être lieu d'élargir notre respect pour les droits et libertés de notre pays afin d'englober les droits de la personne en général. Est-ce que cela ne décrirait pas de façon plus juste la perception que nous avons de nous-mêmes et la perception que devons avoir de nous-mêmes?

M. Arie Van Eek: Si vous le permettez, monsieur Bryden, mon député, après réflexion, j'en suis venu à la conclusion que ce serait merveilleux si, dans la loi, on mentionnait le fait que le Canada est signataire de certaines conventions très importantes sur les droits de la personne. Notre propre souhait que ces droits existent dans notre propre pays serait ainsi concrétisé en mentionnant dans la loi que nous sommes des partenaires dans ce monde de nations et que nous avons l'intention de respecter tous les droits. Personnellement, j'en serais enchanté.

Lorsque nous en avons discuté au Comité inter-églises pour les réfugiés, nous avons vu la contradiction. Dans le cas de déclarations telles que celles des Nations unies visant les droits de la personne qui n'ont pas encore d'instance à l'échelle mondiale pour les appliquer, il semble difficile de les inclure dans cette loi alors que nous ne les avons pas encore incluses dans les lois canadiennes pertinentes.

Une des dernières déclarations que nous avons signées, c'est la Déclaration universelle des droits de l'enfant. Cette déclaration ne figure toujours pas dans nos propres lois, ce qui signifie que comme nation canadienne, nous n'exigeons pas de comptes de nous-mêmes. Nous pourrions y faire référence, comme vous le suggérez. En principe, nous aimerions le faire, mais le principe n'a toujours pas été inclus. Toutes les dispositions pertinentes n'ont pas encore été incluses dans les lois qui gouvernent les droits de l'enfant.

En ce qui concerne les droits des travailleurs itinérants, il y a de nombreuses obligations qui pour l'instant font bonne figure sur une déclaration que l'on a signée. En réalité toutefois, ces droits ne font pas encore partie de nos lois canadiennes. Je suppose qu'il serait difficile de donner suite à votre suggestion dans le cas d'une seule loi, la Loi canadienne sur la citoyenneté, mais en principe, cela nous convient.

• 1150

M. John Bryden: Ne peut-on pas trouver une solution à ce problème et à celui que vous évoquez dans le projet de loi à cause de certaines sanctions qui vous préoccupent beaucoup, telles que la révocation du droit de citoyenneté? Si je vous comprends bien, on ne trouve rien dans ce projet de loi qui reflète les dispositions de la Charte des droits, c'est-à-dire un respect global des droits qu'on soit ou non citoyen.

M. Arie Van Eek: Oui.

M. John Bryden: Donc, à votre avis, j'aurais raison de dire que vous voudriez me convaincre que dans le serment, au moins, il faut reconnaître l'existence de la Charte des droits et affirmer notre respect pas seulement pour les droits et libertés du pays, mais pour les droits de la personne en général.

Mme Rivka Augenfeld: Je pense que ce serait merveilleux.

[Français]

Ce serait une chose merveilleuse, pourvu que le gouvernement soit prêt à prendre le même engagement envers la personne. Si je jure de respecter la Charte, etc., j'aimerais aussi savoir que le gouvernement du pays dont je deviens citoyenne... Pour les gens que nous voyons à tous les jours, la citoyenneté canadienne est la chose le plus précieuse parce que, souvent, ils n'ont pas d'autre citoyenneté.

Je voudrais faire une parenthèse avant de revenir à votre question, parce que parfois on oublie. Cette semaine, une jeune femme d'environ 30 ans que je connais a obtenu sa résidence permanente après avoir été acceptée comme réfugiée; elle n'a pas encore la citoyenneté. C'est la première fois que cette jeune femme de 30 ans a une résidence permanente quelque part dans le monde. Elle m'a dit que, finalement, elle était arrivée quelque part. Elle était en larmes. Je ne vous raconte pas cela pour vous impressionner, mais pour vous dire qu'on oublie jusqu'à quel point ce statut de résidant est précieux pour certaines personnes. Étant ici depuis longtemps, nous oublions tout ce que cela représente. J'espère que cette jeune personne pourra obtenir la citoyenneté le plus vite possible, après tout le temps qu'elle a passé ici.

Pour revenir à votre question, nous sommes toujours en faveur de tout ce qui assure le respect des droits de la personne, mais l'engagement doit être mutuel et on doit préciser explicitement dans la loi l'engagement du gouvernement de respecter tous les droits inscrits dans la Charte et dans nos ententes internationales.

[Traduction]

Le président: Merci.

M. John Bryden: J'ai encore quelques questions, mais puis-je faire une remarque?

Le président: Oui.

M. John Bryden: Au cours de la campagne électorale, lorsque je me suis présenté pour la première fois, je me souviens qu'à la pluie battante, j'ai rencontré une femme qui était sur le trottoir, à une rue et demie de là, et qui attendait pour me serrer la main. Elle était venue de Russie comme réfugiée et elle n'avait jamais vu un politicien qui faisait vraiment du porte-à-porte.

Une voix: Qui faisait du porte-à-porte?

Des voix: Oh, oh!

M. John Bryden: Si vous le permettez, j'ai une autre question sur le même thème. Vous avez tous parlé de la primauté du droit. Ce thème est revenu à plusieurs reprises. Dans le serment actuel, et dans la version précédente, on a toujours l'expression «observer fidèlement nos lois». N'est-il pas vrai que si vous vous engagez à respecter fidèlement les lois de notre pays, cela vous engage à respecter fidèlement les lois même lorsqu'elles sont mauvaises? Si le Canada devenait une dictature tyrannique, devenait comme l'Allemagne nazie, le serment de citoyenneté signifierait qu'il faudrait respecter fidèlement même de très mauvaises lois. Ne vaudrait-il pas mieux, comme vous le suggérez implicitement, changer «observer fidèlement nos lois» à «respecter la primauté du droit»? N'y a-t-il pas une différence énorme entre tout simplement respecter les lois du pays et respecter la primauté du droit?

Le président: Monsieur Clark.

M. Tom Clark: L'organisation n'a pas de position, mais j'en ai une, oui.

J'aimerais enchaîner sur les commentaires que vous avez exprimés au sujet de la dernière question et de celle-ci, à propos de la partie du serment qui traite des responsabilités et des devoirs. Nous en avons tous à l'égard des droits de la personne, mais on nous ne le dit pas. Je suis un de ces hurluberlus qui croient qu'il serait indiqué de renseigner les Canadiens à ce sujet.

• 1155

Par exemple, les deux principaux traités sur les droits de la personne, des conventions internationales que le Canada a signées, bien sûr avec l'appui de toutes les provinces, commencent ainsi:

    Prenant en considération le fait que l'individu a des devoirs envers autrui et envers la collectivité à laquelle il appartient et

    est tenu de s'efforcer de promouvoir et de respecter les droits reconnus dans le présent pacte [...]

Il s'agit donc d'un devoir et d'une responsabilité bien précis que nous partageons tous, mais nous ne sommes pas au courant.

Le président: Très rapidement, s'il vous plaît.

[Français]

Mme Rivka Augenfeld: Cela me semble évident parce qu'on est une société de droit. Vous avez dit tout à l'heure que les gens ne connaissaient pas notre système démocratique. Je vous soumets que beaucoup de personnes qui arrivent comme réfugiés savent très bien ce qu'est un système démocratique. Cependant, elle n'ont pas un tel système dans leur pays et c'est ce qu'elles viennent chercher ici. D'autres arrivent à la suite du coup d'État qui a éliminé le système démocratique instauré dans leur pays; elles viennent chercher ici un tel système. On essaie de leur apprendre qu'ici, on essaie de minimiser l'arbitraire: il y a des règles du jeu, un droit, etc.

Je souhaite que cela n'arrive jamais ici, mais si on avait l'extrême malheur de vivre un jour dans une dictature, j'espère qu'on aurait le courage, comme des gens d'autres pays, de ne pas faire n'importe quoi, de dire qu'on ne veut pas respecter certaines lois parce qu'elles sont contre nature et de lutter contre un tel gouvernement dictatorial.

[Traduction]

Le président: Monsieur Telegdi.

M. Andrew Telegdi: Merci, monsieur le président.

Permettez-moi d'abord de vous dire que je vous sais gré de votre attachement au concept de la citoyenneté et au principe que la révocation de ce droit, si une telle révocation est possible, doit se faire dans des conditions très rigoureuses. Certains d'entre nous autour de cette table sont des immigrants—et je suis moi-même un réfugié. Cette question intéresse certainement environ cinq millions de Canadiens nés à l'étranger et maintenant citoyens canadiens.

M. McNally a soulevé une question très épineuse, à laquelle M. Clark et Mme Somerville ont répondu. Ma question est la suivante. Avant que quelqu'un n'obtienne la citoyenneté, si on apprend que le demandeur est un criminel de guerre, avec tout ce que les crimes de guerre impliquent, comme on peut le voir dans les Balkans, il est très dangereux pour la nature même de notre pays d'importer ce genre de violence et de haine ethnique, et le Canada voudra sûrement s'assurer de ne pas devenir le théâtre d'événements semblables. Si on se rend compte que quelqu'un est un criminel de guerre, nous devrions alors être en mesure de le poursuivre ou de l'extrader vers le pays où il devra rendre compte de ses gestes.

N'êtes-vous pas d'accord, monsieur Clark?

Le président: Monsieur Clark, oui ou non?

M. Tom Clark: Eh bien, je dois dire que oui. Je ne crois pas que cela soit aussi simple, je suis désolé.

Le président: Laissez-moi vous rappeler que Mme Somerville a dit que les faits doivent justifier la restriction de la citoyenneté. Il faut pouvoir tenir compte de ces faits.

M. Tom Clark: Oui.

Le président: Je vous invite à répondre à la question.

M. Tom Clark: À mon avis, même les criminels de guerre doivent vivre quelque part. Donc, pour répondre à votre question quant à savoir si nous voulons devenir un refuge pour les criminels de guerre, il faut déterminer si, dans les processus relatifs au traitement des criminels de guerre de ce monde, le Canada veut en accepter un nombre démesuré. Je dirais non.

Selon moi, il faudrait qu'il y ait un partage équitable, et je ne sais pas comment l'établir. Mais je ne crois pas qu'il soit réaliste pour le Canada de prétendre pouvoir tenir à distance tous les criminels de guerre, compte tenu que le monde compte un nombre fini de pays et de criminels de guerre et que nous sommes une puissance relativement petite. Je pense que c'est à l'avantage du Canada, en tant que puissance petite ou intermédiaire, de s'assurer qu'il existe une méthode équitable de répartition de ce genre de problèmes mondiaux.

Le président: Monsieur Telegdi.

• 1200

M. Andrew Telegdi: Sur ce point en particulier, je ne suis pas d'accord. Je crois que si cette situation existe, nous en sommes conscients, et un des moyens d'y faire face est de ne pas accorder la citoyenneté à ces gens.

M. Rivka Augenfeld: Il n'a pas dit qu'il fallait leur accorder la citoyenneté. Ce n'est pas ce qu'il a dit.

M. Andrew Telegdi: Ou leur permettre de rester au pays, si vous voulez, qui risquerait de se transformer en refuge. C'est là où votre position diffère de celle de Mme Somerville. C'est la différence que j'ai notée dans vos propos. Laissez-moi passer à une autre question que je trouve aussi très importante. Elle suscite beaucoup de problèmes et je vous ai entendu y faire allusion, comme d'autres délégations l'ont fait avant vous. Il s'agit des criminels de guerre nazis, prétendus ou réels.

Le problème, dans le cas des crimes de guerre qui datent de 50 ans ou plus, c'est qu'il est très difficile de prouver la culpabilité des prévenus. La nouvelle stratégie qui a été adoptée par les gouvernements consiste à dire que les criminels de guerre ont obtenu leur citoyenneté en dissimulant certains renseignements pertinents qu'on aurait dû leur demander. Qu'on leur ait demandé ou non ces renseignements est une autre question.

Je crois que cela crée un véritable problème. Ces gens entrent presque dans une autre catégorie que ceux qui sont accusés de crimes de guerre récents. Avez-vous déjà discuté de la question avec B'nai B'rith? Vous l'avez sûrement fait. Je me demande s'il serait utile que vous témoigniez tous les deux pour discuter de la même question, car vous provenez de toute évidence des deux extrémités du spectre quant aux mesures que vous voudriez voir adoptées.

Le président: Je rappelle à mon collègue que B'nai B'rith a déjà témoigné devant le comité.

M. Andrew Telegdi: Oui.

Le président: Madame Augenfeld.

[Français]

Mme Rivka Augenfeld: Je vais répéter ce que j'ai dit tout à l'heure. Le fait que le Canada n'ait rien fait contre les criminels de guerre nazis est une honte pour ce pays, mais ce n'est pas parce qu'on a laissé traîner très longtemps la situation de ces personnes arrivées au Canada sous leur identité, dont on savait assez bien qui elles étaient, etc.—à l'époque, c'étaient les victimes de cette guerre qui avaient plus de difficulté à venir, notamment ma famille—, qu'on doit utiliser cette inaction pour justifier le fait de mettre dans la loi des dispositions qui serviront à l'avenir. J'espère qu'on ne laissera plus jamais traîner une telle situation pendant 50 ans. J'espère que ce n'est pas ce qu'on essaie de prévoir et que maintenant, ayant appris des erreurs du passé, on s'y prendra autrement.

Avant d'octroyer la citoyenneté à quelqu'un dont on sait qu'il est un criminel de guerre, on peut l'amener devant un tribunal pour le faire condamner et le mettre en prison, ou encore, puisque le Canada vient de signer son engagement à l'égard d'une cour internationale, il peut, à titre de membre d'un groupe du pays ayant établi une cour internationale, mettre dans la loi des dispositions lui permettant d'extrader les gens devant cette cour.

Cette situation des criminels de guerre nazis ne devrait pas être utilisée pour faire des choses à l'avenir. Finalement, cette situation a été le résultat d'une inaction inacceptable et ce n'est pas ce qui devrait nous animer. J'espère que cette situation historique ne se répétera pas. Ce n'est pas parce qu'on n'a pas bien fait notre travail dans le passé qu'on devrait maintenant se tourner vers d'autres personnes et ne pas faire les choses correctement.

[Traduction]

Le président: Merci, monsieur Telegdi.

M. Andrew Telegdi: Monsieur le président, j'aimerais savoir si je peux demander à M. Clark de nous parler des discussions qu'ils ont eues avec B'nai B'rith à ce sujet.

Le président: Monsieur Clark.

M. Tom Clark: Ce que j'ai retenu des discussions que j'ai eues avec le représentant juridique de B'nai B'rith, qui je pourrais appeler un ami, va dans le même sens que les propos de Mme Rivka Augenfeld, c'est-à-dire que la communauté juive n'a vu d'autre choix que cette approche consistant à retirer la citoyenneté parce que les tribunaux, sans doute avec quelque... De toute façon, pour une raison quelconque, les tribunaux ne semblent pas en mesure d'entamer des poursuites. On voulait donc poursuivre et on n'avait pas d'autre outil.

• 1205

Ce que nous disons, et ils sont d'accord avec nous, c'est que la meilleure façon de procéder est de faire ce qu'ils voulaient faire au départ, c'est-à-dire de traduire en justice les criminels de guerre ici même au Canada. Le monde évolue, et il est probable que certaines poursuites soient menées au Canada et d'autres devant les tribunaux internationaux d'ici un an ou deux, du moins je le crois. C'est la nouvelle façon de procéder. Ce que nous disons dans notre mémoire, qui n'expose pas de position dure ou ferme, c'est qu'il est temps de repenser les anciennes méthodes qui se sont implantées, car le monde change.

Le président: Le président aimerait aussi poser quelques questions. Vous déclarez que nous devrions accueillir une juste part des réfugiés, et je suis entièrement d'accord avec vous. Pour ce qui est d'accueillir une juste part de ceux ayant commis des crimes contre l'humanité, ma position est tout à fait différente, si c'est bien ce que vous avez dit. Proposez-vous que nous accueillions une juste part ou même une fraction des criminels de guerre au Canada?

M. Tom Clark: Nous réfléchissons à notre proposition. Nous évoluons dans un monde où des tribunaux internationaux vont être créés pour juger les auteurs des crimes de guerre. Je vous demande ceci: où croyez-vous que ces criminels de guerre vont aller?

Le président: Dans les pays où ils sont nés. Je crois que les pays doivent exprimer clairement leur position. Cela ne devrait pas être négociable. Mais je suis désolé, je ne devrais pas vous entraîner dans ce débat. Donc, pour l'instant, vous n'avez aucune position.

M. Tom Clark: Non.

Le président: Vous êtes en train d'y réfléchir.

M. Tom Clark: Oui, mais cela nous préoccupe. Nous croyons que les solutions à venir reposeront probablement sur un processus quelconque de répartition équitable.

Le président: Faites-vous une distinction entre un privilège et un droit? Y a-t-il une différence entre les deux?

M. Arie Van Eek: Oui, monsieur le président. Il faut faire une distinction entre les privilèges et les droits, en ce sens qu'il y a des droits inaliénables qui devraient être garantis à tous les citoyens du monde, mais il y a des privilèges que seul le Canada peut accorder et que d'autres pays ne sont pas en mesure d'offrir.

Le président: Puisque vous connaissez la différence, seriez-vous d'accord, et soyez clair, qu'avant l'octroi de la citoyenneté, l'obtention de cette citoyenneté constitue un privilège?

M. Arie Van Eek: Oui.

Le président: D'accord. Mais après l'obtention de cette citoyenneté, il s'agit d'un droit qui doit être conservé.

M. Arie Van Eek: Oui.

Le président: Mais qu'arrive-t-il, avant que cela devienne un droit, si tout a été fait, lorsque la citoyenneté n'aurait pas dû être accordée? S'agit-il encore d'un droit qu'il faut conserver si elle n'aurait pas dû être accordée en tant que privilège, mais comme un droit?

M. Arie Van Eek: Il me semble que la citoyenneté se définit en partie par l'accès à un système équitable qui applique les lois du pays. Nous ne devrions pas extrader des gens vers d'autres pays où ils risquent de ne pas obtenir justice. Par conséquent, comme ce sont des citoyens, ils devraient avoir accès, comme les autres citoyens nés au Canada, à un traitement juste et équitable devant les tribunaux.

Le président: Cela ne fait pas de doute. Je suis d'accord avec vous. Mais pour ce qui est de retirer ou d'annuler la citoyenneté comme si elle n'avait jamais été accordée, parce qu'elle n'aurait pas dû l'être, si nous nous entendons sur le fait qu'elle n'aurait pas dû l'être, est-ce qu'il n'y aurait pas motif pour annuler ce qui n'aurait pas dû être accordé? Est-ce logique?

M. Arie Van Eek: Non.

Mme Rivka Augenfeld: Ce serait logique si les règles étaient très claires, si les raisons étaient claires, et si la personne, étant citoyenne canadienne, avait entièrement accès aux tribunaux pour se défendre, de façon à s'assurer qu'il n'y a aucun traitement arbitraire ou discrétionnaire...

Le président: Oui, j'en suis conscient.

• 1210

Mme Rivka Augenfeld: ...mais rien ne nous empêche de collaborer avec les tribunaux internationaux. Si un citoyen canadien, né au Canada, commet un crime dans un autre pays avec lequel nous avons signé un traité d'extradition et que nous pouvons accepter d'extrader quelqu'un vers un pays avec lequel nous avons signé un traité sans le priver de sa citoyenneté. Nous reconnaissons qu'il a pu commettre dans ce pays un crime suffisamment important pour l'extrader en vertu des traités d'extradition, mais nous ne lui retirons pas sa citoyenneté.

Le président: Non, c'est différent. J'essaie de faire une distinction, et je comprends votre argument. Vous acceptez que l'on puisse annuler la citoyenneté, d'abord qu'il y a application régulière de la loi.

Mme Rivka Augenfeld: C'est une situation extrêmement rare et il faudrait connaître les motifs.

Le président: Ce serait ma prochaine question. M. Telegdi a laissé entendre que les crimes contre l'humanité constituent un délit grave. Est-ce suffisant pour retirer à quelqu'un sa citoyenneté? Dans la négative, il n'y aurait aucun motif possible pour retirer à quelqu'un sa citoyenneté. Si on ne peut pas invoquer les crimes les plus graves et les plus odieux pour annuler, révoquer ou retirer la citoyenneté, aucun autre motif ne pourrait être invoqué. Êtes-vous d'accord?

Mme Rivka Augenfeld: Ce qui m'inquiéterait, c'est de savoir comment nous procéderions pour traduire en justice l'auteur du crime contre l'humanité?

Le président: Non, cela a lieu après. J'essaie de tirer les choses au clair. Il se peut que votre réponse ne me plaise pas, mais cela n'a pas d'importance ici. J'essaie de cerner une philosophie et un code de déontologie. Que répondez-vous à cette question, si vous me permettez d'insister? Si vous pouvez y répondre, je vous en serai très reconnaissant.

M. Arie Van Eek: Je dirais, monsieur le président, que si l'auteur des crimes a été reconnu coupable dans un système juridique que le Canada reconnaît dans le cadre des traités d'extradition, etc., les faits deviennent clairs, et je serais d'accord avec vous.

Le président: Vous faites donc une distinction, et c'est très bien. Voilà où je voulais en arriver, qu'il faudrait établir une distinction entre une personne reconnue coupable d'un délit et une personne accusée d'un délit, cette dernière étant innocente jusqu'à preuve du contraire dans le système judiciaire canadien.

M. Arie Van Eek: Oui, c'est très élémentaire.

Le président: J'aimerais dissiper tout doute possible. En ce qui concerne les documents internationaux, le besoin d'incorporer certains traités, droits et conventions dans cette loi... la jurisprudence canadienne ne dit-elle pas que lorsqu'un traité a été ratifié, il devient automatiquement exécutoire?

M. Tom Clark: Non, le 26 mars, le ministère de la Justice a déclaré au Comité des droits de l'homme de l'ONU que le Pacte relatif aux droits civils et politiques et autres traités de cette nature n'étaient pas exécutoires au Canada tant qu'ils n'étaient pas officiellement intégrés dans la législation nationale.

Le président: Je suppose qu'il a été ratifié?

M. Tom Clark: Oui.

Le président: D'accord, vous avez éclairci ce point.

M. Tom Clark: Le gouvernement a éclairci ce point, après une certaine période d'ambiguïté.

Mme Rivka Augenfeld: Il arrive fréquemment que les traités internationaux que nous signons, que nos obligations internationales, ne sont pas respectés ou mis en oeuvre dans le cadre de nos lois. Il y a deux arguments distincts. Je crois que vous trouverez instructifs les témoignages qui ont été présentés à la Cour suprême en novembre dans la cause Mavis Baker, dans laquelle on a pesé les meilleurs intérêts de l'enfant dans les cas d'expulsion d'enfants nés au Canada. Les intervenants dans cette cause ont cité des représentants canadiens à Genève qui ont témoigné devant le Comité des droits de l'homme, où ils ont assuré le comité que le Canada respectait toujours ses obligations internationales et que même si elles ne sont pas prescrites dans les lois, toutes nos obligations découlant des traités internationaux sont respectées. L'instant d'après, le représentant du ministère de la Justice a déclaré qu'il n'était pas tenu de respecter les pactes internationaux relatifs aux droits de l'enfant, qu'il n'avait aucune obligation de ce genre. Nous nous trouvons donc dans une situation ridicule où nous pouvons citer ce que le Canada affirme à l'étranger et le ministère de la Justice déclare devant la Cour suprême qu'en fait nous ne sommes pas liés.

Le président: La Cour suprême a-t-elle rendu sa décision?

Mme Rivka Augenfeld: Pas encore.

Le président: D'accord.

Mme Rivka Augenfeld: Ce n'est qu'un exemple, monsieur le président.

Le président: Oui. J'aimerais faire un commentaire à ce sujet. J'ai ma propre opinion. En toute modestie, j'ai formulé cet argument avant même qu'il devienne une cause devant un tribunal, mais cela relève du bon sens commun, de la logique—puisque je ne suis pas un avocat.

Vous m'avez convaincu lorsque vous avez dit que c'est la durée du séjour qui devrait servir à établir la période effective de résidence, si en fait la durée est à la base même du sentiment d'attachement et d'engagement. J'ai du mal à voir qu'il ne puisse pas en être ainsi, et je voulais préciser quelque chose. Vous dites que la loi actuelle prévoit la reconnaissance d'au plus un an. Cette période d'un an vous satisfait.

• 1215

Mme Rivka Augenfeld: La loi actuelle reconnaît la moitié du séjour antérieur au Canada, en remontant jusqu'à une certaine période. Vous pouvez accumuler au maximum un an des trois années requises pour la citoyenneté, mais pour accumuler cette année vous devez avoir effectivement résidé au Canada pendant au moins deux ans, qui comptent pour la moitié. Les deux années antérieures comptent pour une, et deux autres années de résidence permanente sont requises. Après deux années de résidence permanente, vous pouvez accumuler trois années et être admissible à la citoyenneté.

Le président: Et vous estimez que c'est une politique raisonnable, ni trop sévère ni trop indulgente.

Mme Rivka Augenfeld: Oui.

Le président: D'accord, merci.

Est-ce que les autres membres du comité ont d'autres questions?

M. John Bryden: Je voulais enchaîner sur les questions qu'a posées M. Telegdi, et le président, au sujet de la double citoyenneté. Vous savez tous qu'il arrive que quelqu'un immigre au Canada, obtienne la citoyenneté canadienne, puis retourne dans son pays d'origine, où il peut même se faire élire président. Cela s'est effectivement produit. Quelqu'un est devenu président de son pays d'origine.

J'attire votre attention sur le serment de citoyenneté tel qu'on l'a révisé et tel qu'il était. Il se lit en partie comme suit:

    Je m'engage à respecter les droits et libertés de notre pays, à défendre nos valeurs démocratiques, à observer fidèlement nos lois et à remplir mes devoirs et obligations [...]

Il est entendu qu'un serment d'allégeance est un genre de contrat, spirituel, voire même légal. Supposons que cette personne, qui jouit de la double citoyenneté, quitte le Canada et devient président d'un autre pays et commet de graves violations des droits de la personne comme il s'en produit actuellement dans l'ex-Yougoslavie. N'est-il pas vrai qu'en vertu du serment de citoyenneté actuel, cette personne ne violerait pas son serment d'allégeance même si elle commet des actes de purification ethnique dans le pays où elle est devenue leader politique. N'est-il pas vrai qu'elle demeurerait un citoyen canadien honnête aux termes du serment de citoyenneté actuel?

Mme Rivka Augenfeld: Mais elle aurait commis un crime contre l'humanité. Si nous pouvions le prouver et la traduire en justice, elle purgerait une peine. Le fait qu'elle soit citoyenne de ce pays ne nous empêche pas de la traduire en justice.

M. John Bryden: Ce n'est pas ma question.

Mme Rivka Augenfeld: Je comprends votre raisonnement.

M. John Bryden: Je pourrais le relire, mais le serment de citoyenneté parle de nos lois, de nos droits et de nos libertés. Par conséquent, il n'empêche pas un citoyen canadien de retourner dans son pays d'origine, d'y devenir un leader militaire ou politique et de commettre des violations des droits de la personne. N'est-ce pas exact?

M. Arie Van Eek: Je ne crois pas, monsieur Bryden, mais je reconnais d'emblée que ce n'est pas de mon domaine. Il me semble que peu importe où je sois dans le monde, en tant que citoyen canadien, je suis responsable devant la loi canadienne de tous les gestes que je pose dans la mesure où ils intéressent l'État.

M. John Bryden: Peut-être pouvons-nous aborder la question différemment. Si nous pouvions indiquer dans le serment de citoyenneté que le fait d'être Canadien exige un respect général pour les droits de l'homme et la règle de droit, plutôt que le respect de «nos» droits et libertés ou de «ma» démocratie, ne contribuerions-nous pas à éviter ce problème éventuel? En fait, ne soulignerions-nous pas aux nouveaux Canadiens qui viennent de pays où sévissent des conflits qu'en prêtant le serment de citoyenneté, ils doivent laisser ces conflits de côté, du moins pour ce qui est d'y prendre part de façon violente? Est-ce raisonnable?

M. Arie Van Eek: C'est un élément extrêmement important.

M. John Bryden: J'ai une autre question, très rapidement. Je terminerai là-dessus.

Une autre différence entre les deux serments, c'est que le nouveau ne fait aucune allusion à Dieu. Cela est assez inhabituel en ce sens que les autres grandes démocraties qui accueillent de nouveaux citoyens invoquant Dieu dans le serment de citoyenneté. D'après votre expérience auprès des réfugiés, des gens qui émigrent de pays où sévissent des conflits et qui seraient tentés après leur arrivée au Canada de continuer à participer activement à ces conflits... Si nous modifions le serment grosso modo comme je l'ai proposé, en parlant du respect général des droits de la personne, et si nous ajoutions une invocation à Dieu, pour la majorité des immigrants, de ces réfugiés, cela ne serait-il pas une façon de leur faire comprendre qu'il s'agit d'un serment solennel qu'ils doivent respecter?

• 1220

M. Arie Van Eek: Je serais heureux de répondre. On nous a adressé la même question il y a quelque temps lorsque la mention de Dieu a été supprimée. Nous avons envisagé de faire une intervention mais nous avons changé d'idée parce qu'il faut que la personne croie en Dieu pour que cela constitue un engagement. La majorité des personnes que vous décrivez comme étant des immigrants au Canada ne partagent pas consciemment cette conviction, et le serment en lui-même est vidé de ce qu'il cherche à exprimer dans la déclaration d'allégeance.

M. John Bryden: Là, je dois réagir. Est-ce que vous dites que la majorité des réfugiés ne croient plus en Dieu ou n'ont aucun lien avec les religions officielles?

Mme Rivka Augenfeld: Ce que je dis, c'est que bien des gens ont des croyances différentes. Ils appartiennent à différents groupes confessionnels, et nous en représentons plusieurs. Je ne crois pas que le fait de mentionner Dieu dans le serment en fasse une loi plus importante ou impressionnante.

J'aimerais faire un commentaire personnel, parce qu'il n'y a pas consensus à ce sujet au sein de mon groupe, mais je crois qu'il serait d'accord que ce n'est pas très utile de mentionner Dieu dans le serment. Des gens ont immigré au Canada après avoir été persécutés par quelqu'un qui agissait conformément à son interprétation de la volonté de Dieu, tant de gens ont tant souffert qu'il est peut-être préférable de ne pas mentionner les croyances personnelles et religieuses. Il est suffisant de s'assurer de leur loyauté lorsqu'ils prêtent serment d'allégeance à ce pays, de même qu'à ses lois, droits et libertés. Je ne crois que ce soit utile de mentionner Dieu. Je pense même qu'il est réconfortant de dire qu'enfin il y a un pays où l'on respecte la primauté du droit, où l'on a rejeté l'arbitraire, et où tout le monde est traité de la même manière peu importe leur croyance.

Le président: Une dernière question, John.

M. John Bryden: Je suis désolé, mais c'est un groupe important et j'aimerais connaître l'opinion des autres sur cette question. Je m'interroge sur le caractère solennel du serment. Je ne comprends pas comment on peut prononcer un serment solennel sans avoir la possibilité d'invoquer un Dieu. C'est difficile à comprendre.

Ma question s'adresse à Mme Mounib. Lorsque l'on pense à Dieu, dans le cas d'une personne qui vient d'un autre pays, il peut s'agir du Dieu mentionné dans le Coran. En fait, dans les cours de la citoyenneté, qui ont été éliminés, c'était possible; il était possible de prononcer le serment de citoyenneté en jurant sur le Coran ou sur la bible. Ces dispositions ont été supprimées. Cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas avoir la possibilité d'invoquer Dieu, mais cela ne serait-il pas préférable, pour souligner le caractère solennel du geste de même que le sentiment d'engagement, pour les immigrants qui croient en Dieu, si nous ajoutons au serment une invocation quelconque à Dieu? Il n'est pas nécessaire de dire «au nom de Dieu». Cela peut être fait d'une autre façon. Mais ne devrions-nous pas rétablir l'invocation dans le but d'affirmer et non de jurer, afin que les nouveaux Canadiens se rendent compte que nous sommes encore—ou du moins à ma connaissance—un pays croyant où vivent des gens de différentes confessions?

Le président: Madame Mounib, voulez-vous faire une observation à ce sujet?

[Français]

Mme Khadija Mounib (Table de concertation de Montréal au service des réfugiés): C'est une position personnelle. Toute question de croyance demeure individuelle. Je fais partie du Centre d'études arabes pour le développement. Notre cliente est une pratiquante musulmane, mais cela ne devrait pas venir en conflit avec le fait d'être citoyen. Je pense que c'est une question personnelle.

[Traduction]

M. John Bryden: Il y a une dernière question à laquelle j'aimerais obtenir une réponse. Il y aurait peut-être une façon de contourner le problème; au lieu de dire «Dieu me vienne en aide», soit la formule normale dans les serments, nous pourrions parler des Canadiens, des Canadiens qui sont un peuple uni devant Dieu, afin que la personne qui prête le serment de citoyenneté n'affirme pas directement sa croyance en Dieu, mais reconnaisse plutôt que les Canadiens, d'une manière générale, constituent un peuple uni devant Dieu par divers intérêts. Est-ce une solution au problème?

• 1225

M. Arie Van Eek: Ce n'est pas le cas pour moi, monsieur le président. Cela ressemble encore trop à une tentative de maintenir quelque chose en quoi nous ne croyons plus tous. Je suis de tradition évangélique et il n'y a rien que je préférerais davantage voir qu'une reconnaissance par tous d'un Dieu quelconque.

Le président: Sur ce, monsieur Van Eek et tous les autres témoins, la présidence aimerait avoir le mot de la fin...

M. John Bryden: Comme toujours.

Le président: Conviendriez-vous qu'il faudrait promettre fidélité à la Constitution du Canada au lieu de s'engager à la respecter? Oui ou non?

Mme Rivka Augenfeld: Dans le serment?

Le président: Dans le serment.

Mme Rivka Augenfeld: Si vous parlez des droits et libertés, vous aurez alors un problème au Québec, et il faudra recommencer encore une fois.

Le président: La Constitution du Canada est la Constitution du Canada. Contestez-vous cela?

Mme Rivka Augenfeld: Non, je dis qu'en incluant dans le serment «respecter les droits et libertés» dont nous parlions...

Le président: Les droits et libertés font partie de la Constitution, mais voulez-vous dire que nous devons seulement respecter les droits et libertés, mais pas les autres parties de la Constitution du Canada?

M. Arie Van Eek: Non, ce n'est pas ce que je dis.

Le président: Comprenez-vous que si nous parlons de respecter les lois, cela inclut la Constitution du Canada? Je veux être certain que nous nous comprenons.

M. Arie Van Eek: Oui.

Le président: Comprenez-vous que la Constitution du Canada reconnaît notamment «la suprématie de Dieu et la primauté du droit»?

M. Arie Van Eek: Dans un préambule.

Le président: Dans un préambule à la Charte des droits et libertés.

M. Arie Van Eek: En effet.

Le président: Merci. Sur cette note, je vous remercie tous d'avoir comparu devant notre comité.

Mme Rivka Augenfeld: Monsieur le président, c'était l'une des démonstrations les plus habiles que j'ai jamais vue.

Le président: La séance est suspendue jusqu'à 18 heures.

SÉANCE DU SOIR

• 1808

Le président suppléant (M. Steve Mahoney (Mississauga-Ouest, Lib.)): La séance est ouverte. Des membres du comité sont présents et cette réunion est une prolongation de celle que nous avons tenue plus tôt aujourd'hui. Nous avons trois groupes de témoins ce soir.

Notre premier témoin est Michelle Williams, avocate en principes du droit et en recherche juridique pour l'African Canadian Legal Clinic. Bienvenue et merci de votre patience. Nous consacrerons de 30 à 45 minutes à votre exposé et aux questions des députés. Nous vous invitons à faire votre exposé, après quoi nous aurons une période de questions et réponses.

Mme Michelle Williams (avocate en principe du droit et en recherche juridique, African Canadian Legal Clinic): Merci. Bonsoir, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je représente un organisme appelé African Canadian Legal Clinic. Vous devriez avoir en main un sommaire des recommandations de l'African Canadian Legal Clinic. J'ai aussi apporté avec moi ce soir un mémoire plus détaillé qui sera traduit, je crois, et distribué à tous les membres du comité après la réunion de ce soir.

L'African Canadian Legal Clinic est une clinique d'aide juridique de l'Ontario qui est dotée d'un mandat à l'échelle provinciale pour s'occuper des problèmes de racisme et de discrimination raciale systémique au moyen de la poursuite de causes types, de l'assistance judiciaire, de la réforme du droit et de l'information juridique communautaire. Dans notre rôle de clinique juridique, nous avons plaidé devant tous les paliers juridiques, y compris la Cour suprême du Canada, et nous avons comparu devant des conseils municipaux, ainsi que des comités permanents provinciaux et fédéraux.

Permettez-moi de vous parler un peu de la communauté que nous représentons. Il y a plus de 570 000 Noirs au Canada, dont 42 p. 100 sont nés au Canada, d'après le dernier recensement. Les Afro-Canadiens constituent environ 18 p. 100 de la population minoritaire visible du Canada.

Étant donné ces chiffres, il est clair que les Afro-Canadiens, à titre d'élément significatif de la société canadienne, sont parmi les principaux intéressés aux changements apportés à la politique en matière d'immigration, de réfugiés et de citoyenneté.

• 1810

Nous sommes extrêmement préoccupés par l'approche adoptée ces dernières années par le ministère de l'Immigration dans ses initiatives concernant la citoyenneté, en particulier quand nous voyons que la sévérité accrue de la politique d'immigration coïncide avec l'augmentation du nombre de nouveaux venus appartenant à certains groupes raciaux. Les trois quarts de la population immigrante arrivée pendant les années 90 sont membres de minorités visibles.

Je vous ferai part brièvement des faits saillants de nos recommandations.

Premièrement, l'African Canadian Legal Clinic recommande que l'on procède à d'autres consultations avant de terminer l'étude de cette mesure et de l'adopter. Il n'y a pas eu de consultation avant la présentation du projet de loi C-63, bien qu'on ait fait des consultations au sujet des politiques en matière d'immigration et de réfugiés. Les questions touchant la citoyenneté, l'immigration et les réfugiés sont inextricablement liées et il est vraiment difficile d'entreprendre de modifier la loi dans ce domaine sans tenir compte de toutes les autres lois connexes. Nous exhortons le comité à tenir compte de cette recommandation.

Je veux parler maintenant brièvement du pouvoir de révocation prévu au projet de loi C-63. La présente loi sur la citoyenneté parle spécifiquement d'une intention délibérée de tromper, comme motif de révocation de la citoyenneté. Dans le projet de loi à l'étude, on a supprimé des dispositions de la loi l'élément intentionnel. Nous craignons que si le gouvernement est vraiment préoccupé par le cas de personnes qui ont obtenu la citoyenneté d'une manière frauduleuse, il ne semble pas bien logique d'appliquer cette disposition également aux personnes qui ont fait une erreur dans leur demande.

Il est aussi intéressant de noter que cette disposition de révocation peut s'appliquer à d'autres personnes—c'est-à-dire que le décret de révocation peut inclure les noms de personnes qui ont obtenu la citoyenneté grâce à la qualité de citoyen de la personne visée par le décret. Il pourrait facilement en résulter qu'on enlève la citoyenneté à des enfants sans protéger le moindrement les personnes nommées d'une manière secondaire dans les décrets de révocation, et cela nous préoccupe énormément.

De même, l'article 18 du projet de loi permet au ministre de révoquer de son propre gré la citoyenneté de quelqu'un, avec un préavis minime, sans avoir à donner de motif et sans qu'il y ait de mécanisme d'appel. Cet article nous préoccupe beaucoup et nous recommandons qu'à tout le moins les exigences procédurales prévues dans le cas des décrets de révocation s'appliquent également au pouvoir d'annulation du ministre prévu dans le projet de loi C-63.

Je vais parler brièvement d'un autre élément qui nous préoccupe, à savoir la nouvelle disposition permettant au ministre de refuser à quelqu'un la citoyenneté lorsqu'il est considéré dans l'intérêt public de le faire. Comme vous le savez, l'article 21 du projet de loi stipule que s'il existe des motifs raisonnables de croire qu'il est contraire à l'intérêt public d'attribuer la citoyenneté, la personne en question se verra interdire de prêter serment ou d'obtenir la citoyenneté.

Nous estimons que cette disposition est vraiment incroyable et inacceptable dans une société libre et démocratique. Un tel pouvoir discrétionnaire complet et sans limite de refuser la citoyenneté à une personne ne concorde pas avec les principes d'équité et de justice. En outre, il faut signaler, si ce n'est déjà fait, que le concept de l'intérêt public proposé dans le projet de loi C-63 est extrêmement vague et ne réussira fort probablement pas à passer le test de la Charte.

Enfin, il semble n'exister absolument aucun mécanisme d'appel dans le cas où une personne se voit refuser la citoyenneté en vertu de cette disposition, et pour ces raisons, nous recommandons que toute la partie sur l'intérêt public soit supprimée du projet de loi C-63.

En ce qui concerne la question des juges de la citoyenneté et de l'administration de la nouvelle loi sur la citoyenneté, il est intéressant de remarquer qu'au moment où il devient plus difficile d'obtenir la citoyenneté et plus facile de voir révoquer sa citoyenneté, le gouvernement a décidé d'éliminer les procédures qui pouvaient servir de protection en passant d'un système judiciaire à un système administratif. C'est le remplacement des juges de la citoyenneté par des commissaires, que nous croyons extrêmement inquiétant. Il n'est pas clair qu'une telle approche engendrera des économies. On accroît la bureaucratie tout en maintenant les commissaires et en éliminant l'efficacité garantie dans la loi actuelle, qui exige le traitement des demandes dans un délai de 60 jours.

On ne se contente pas d'enlever la garantie de 60 jours, on a aussi empiré la situation en supprimant la protection fournie par le droit d'appel qui est également remplacé par la révision judiciaire. Et comme vous le savez probablement, la révision judiciaire n'est pas l'équivalent d'un appel. Elle concerne davantage le droit procédural et les modalités d'application que le bien-fondé d'une demande donnée.

• 1815

Certaines personnes pensent que les commissaires à la citoyenneté continueront en réalité de jouer le rôle des juges de la citoyenneté, et ce n'est manifestement pas le cas. De fait, l'alinéa 31(7)c) stipule qu'un commissaire conseillera le ministre au sujet des demandes de citoyenneté et le fera seulement à la demande du ministre. Par conséquent, le ministre doit inviter le commissaire à participer au processus, ce que nous trouvons inquiétant.

Enfin, je voulais parler brièvement du serment d'allégeance. Les membres de notre organisation sont heureux que le serment d'allégeance soit considéré comme faisant partie du projet de loi C-63.

Nous croyons qu'il est important de comprendre que certains Afro-Canadiens ont des problèmes de conscience à prêter un serment d'allégeance à la reine. C'est à cause de l'esclavage de peuples africains par le gouvernement britannique, même ici au Canada. Pour cette raison, certaines personnes d'ascendance africaine sont incapables de prêter un serment d'allégeance à une monarchie qui a réduit en esclavage leurs ancêtres.

L'African Canadian Legal Clinic demande au comité de tenir compte de cette situation historique qui pose un problème de conscience et qu'il reconnaisse que le serment présente un obstacle à l'obtention de la citoyenneté par certaines personnes.

Ce sont des gens qui ont contribué énormément au Canada, depuis leur enfance dans bien des cas, et certains ne peuvent pas en toute conscience prêter le serment demandé à cause de l'histoire de leur peuple.

En conclusion, les changements proposés dans le projet de loi C-63 sont extrêmement sérieux. Ils rendront plus difficile l'obtention de la citoyenneté et faciliteront la révocation ou l'annulation de la citoyenneté, en plus de créer de nouvelles infractions et d'imposer des peines plus lourdes.

La nouvelle loi sera plus sévère envers les citoyens éventuels, en plus de diminuer gravement ou d'éliminer complètement les mesures de protection et les mécanismes d'appel qui existaient auparavant. Les changements comprennent le remplacement, comme je l'ai dit, des juges par un pouvoir discrétionnaire accordé au ministre.

Le gouvernement soutient que le moment est venu de renforcer la valeur de la citoyenneté, sans aucunement expliquer, ou du moins si peu, pourquoi cette valeur a besoin d'être renforcée maintenant ou pourquoi il faut le faire d'une manière aussi punitive.

Lorsque nous cherchons à dire pourquoi il faut le faire maintenant, nous devons sérieusement nous demander si ces changements ont quelque chose à voir avec le fait que la majorité des immigrants qui sont arrivés au Canada au cours de la dernière décennie font partie de groupes minoritaires visibles.

Malheureusement, le gouvernement et votre comité n'ont pas profité de véritables consultations sur ces questions cruciales, comme ce fut le cas pour d'autres questions concernant l'immigration et les réfugiés.

On rendrait un fort mauvais service à la population du Canada, à l'avenir du Canada, et à la valeur de la citoyenneté même en adoptant cette mesure législative sans plus ample consultation. C'est une occasion idéale d'entamer un véritable dialogue avec la population du Canada au sujet de son avenir. Ne sacrifions pas les futurs citoyens sur l'autel de l'opportunisme politique. Passons plutôt ensemble dans le nouveau millénaire.

Merci. Ceci termine mes commentaires.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup.

M. McNally a la parole pendant 10 minutes.

M. Grant McNally: Merci, monsieur le président. Je vous remercie de votre exposé et d'être ici ce soir.

Je commencerai par votre commentaire au sujet de l'absence de consultation, car je prévois que mes collègues du côté ministériel pourraient mentionner le rapport du Groupe consultatif pour la révision de la législation sur l'immigration et les consultations qu'on y a faites, et ils pourraient ajouter que la ministre s'est rendue dans différentes villes du pays, ce qu'elle a fait en effet. Je ne le conteste certainement pas.

Votre groupe a-t-il eu la possibilité de présenter un mémoire ou non?

Mme Michelle Williams: Je tiens à vous dire que c'est une question très utile. Nous avons en effet préparé un mémoire. Cependant, aucune organisation communautaire d'Afro-Canadiens n'a eu la possibilité de participer aux consultations nationales, en dépit de demandes officielles à cette fin. Il y a de nombreuses organisations qui en ont fait la demande.

Donc en ce qui concerne cette communauté en particulier, nous n'avons pas pleinement participé à ces consultations.

Par ailleurs, de toute évidence, ces consultations n'ont pas porté sur les particularités de la Loi sur la citoyenneté comme cela a été le cas ici encore des propositions sur l'immigration et les réfugiés qui ont été énoncées dans le cadre du nouveau Livre blanc, comme on l'a appelé en janvier de cette année.

M. Grant McNally: Très bien. Je vous remercie. L'une des raisons pour lesquelles j'ai soulevé cette question, c'est que j'ai entendu des observations semblables d'autres particuliers et de groupes qui ont trouvé que le processus établi dans le cadre du travail du Groupe consultatif pour la révision de la législation sur l'immigration, sans compter les recommandations formulées dans le Livre blanc, a difficilement permis de consulter le ministre. Nous avons donc proposé que le processus de consultation soit plus ouvert. Je sais qu'il y a une limite de temps et qu'il y a de nombreux groupes différents qui veulent comparaître, mais le processus était très peu clair et on n'a en fait jamais expliqué à tous les membres ici présents quelle était exactement la marche à suivre pour déterminer les témoins devant comparaître. Je vous en remercie.

• 1820

Je conviens également avec vous qu'il existe un lien très étroit entre la politique en matière de réfugiés et d'immigration et la citoyenneté, car bien entendu avant de devenir citoyen, il faut bien que les gens viennent de quelque part.

En ce qui concerne certaines des observations que vous avez faites concernant les pouvoirs discrétionnaires, certains témoins qui ont comparu devant notre comité ont aussi exprimé des préoccupations à cet égard. Pourrais-je vous demander de préciser quels sont les points névralgiques? Nous les avons indiqués ici mais vous pourriez peut-être nous en dire plus en ce qui concerne les questions clés en matière de pouvoir discrétionnaire.

Mme Michelle Williams: J'en soulignerai quelques-uns. Ici encore, le pouvoir discrétionnaire prévu dans les dispositions d'annulation, comme on les appelle... Il s'agit essentiellement d'un pouvoir de révocation; c'est-à-dire le pouvoir de révoquer la citoyenneté. Nous sommes préoccupés par le pouvoir discrétionnaire du ministre à cet égard et nous ne voyons pas pourquoi à tout le moins les mécanismes de protection de nature procédurale qui sont offerts lorsque la citoyenneté peut être révoquée ne devraient pas également s'appliquer en vertu des dispositions d'annulation. On disposerait ainsi d'une forme de mécanisme d'appel, sans compter une plus grande obligation de rendre compte et de préciser les motifs de la décision.

Un autre domaine important où le ministre peut exercer un pouvoir discrétionnaire, c'est de toute évidence les dispositions relatives à l'intérêt public. Il est encore plus difficile de commenter la mise en oeuvre de ces dispositions car la notion d'intérêt public est très vague, et comme vous l'avez probablement entendu par exemple dans l'arrêt Morales devant la Cour suprême du Canada, certaines dispositions portant entre autres sur l'intérêt public ont en fait été annulées pour cette raison même.

Enfin, en ce qui concerne l'administration générale de la loi, ce qui est extrêmement inquiétant c'est que lorsque les dispositions deviennent plus sévères, on se trouve à miner les mécanismes de protection de nature procédurale destinés à assurer une certaine équité, qui existe à l'heure actuelle. Cela ne semble pas justifié sur le plan des coûts ou d'autres mesures. Quel est le coût de la justice? Quel est le coût d'une évaluation équitable permettant de déterminer si vous pouvez devenir citoyen canadien? Je pense qu'en ce qui concerne le processus qui existe à l'heure actuelle, il est beaucoup plus logique de conserver une approche judiciaire. On se trouve ici à miner les garanties en matière de préavis, et si nous parlons de la valeur de la citoyenneté, c'est vraiment une décision qui mérite une procédure équitable ouverte et transparente, et non une procédure bureaucratique.

M. Grant McNally: Je vous remercie. Et vous proposez que l'on élimine complètement l'article 21? Est-ce l'article dont vous avez parlé?

Mme Michelle Williams: Oui, nous recommandons que l'on élimine l'article 21 du projet de loi tel qu'il est libellé.

M. Grant McNally: Je céderai la parole à quelqu'un d'autre si je peux poser d'autres questions plus tard.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Je ne peux pas m'empêcher de remarquer que lorsque j'occupe le fauteuil, vous êtes encore plus aimable. Cela s'annonce comme une réunion très amicale.

M. Grant McNally: Mais je suis toujours aimable, monsieur Mahoney.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Vous m'avez vraiment calmé.

Monsieur Bryden, vous avez 10 minutes.

M. John Bryden: Depuis combien de temps votre organisation existe-t-elle?

Mme Michelle Williams: Elle existe depuis la fin de 1994.

M. John Bryden: Si je vous pose la question, c'est parce que j'ai été élu la première fois en 1993 et que j'ai passé mes deux premières années comme député au Comité de la citoyenneté et de l'immigration qui procédait à de vastes consultations qui se tenaient d'un bout à l'autre du pays en vue de renouveler la Loi sur la citoyenneté. Autrement dit, je ne comprends pas comment votre organisation n'aurait pas été au courant de la chose entre 1993 et 1996, ou lorsque nous avons terminé nos délibérations et que j'ai passé à autre chose mais je tiens à vous assurer qu'on a procédé à des vastes consultations au moins pendant deux ans, il y a six ans. Puis on les a reprises en prévision de la préparation de ce projet de loi. Si cela vous intéresse, j'ai un dossier très épais juste sur les délibérations auxquelles j'ai participé, et il y bien des délibérations consignées au hansard qui portent sur cette question.

Je suppose que tout ce que cela veut dire c'est que, peu importe les efforts que nous déployons lorsque nous procédons à des consultations sur un nouveau projet de loi, il faut bien qu'à un moment donné ces consultations prennent fin, et il arrive parfois que certains groupes n'aient pas l'occasion d'y participer parce qu'ils ne sont pas au courant ou pour quelque autre raison que ce soit. Je tiens à dire toutefois que je suis très heureux que vous soyez ici car vous avez dit certaines choses que je trouve très intéressantes.

Mais permettez-moi d'aborder certains des aspects un peu compliqués au sujet desquels j'ai des questions. Vous avez dit qu'en cas de révocation de la citoyenneté d'un parent, vous vous opposez à ce que cette révocation puisse s'appliquer à un enfant. Que feriez-vous alors dans une situation où un parent voit sa citoyenneté révoquée pour un motif valable et qu'il risque alors l'expulsion? N'est-il pas logique alors que les enfants soient expulsés avec le parent? Ne mettez-vous pas le gouvernement devant un dilemme impossible, même sur le plan des droits de la personne, si vous ne liez pas la citoyenneté des enfants à celle qu'avait au départ le parent qui présente une demande, si vous ne liez pas les deux ensemble? Comment réglez-vous ce problème?

• 1825

Mme Michelle Williams: Premièrement, il n'est pas clair d'après ces dispositions que la citoyenneté serait révoquée pour un motif valable. Si vous éliminez l'exigence relative à l'intention et la partie qui dit «de la dissimulation délibérée de faits essentiels», si vous éliminez l'adjectif «délibérée», c'est notre première préoccupation, alors vous n'avez peut-être pas en fait de motif valable.

Par ailleurs, en ce qui concerne la question que vous vous posez à propos du lien entre la citoyenneté d'un enfant et d'un parent, il s'agit d'une question dont nos tribunaux sont saisis à l'heure actuelle. La Cour suprême est toujours en train de délibérer sur l'arrêt Baker. Il y a des problèmes très graves, y compris sur le plan des droits de la personne à l'échelle internationale, qui découlent du fait que la citoyenneté d'un enfant est la sienne propre et qu'elle est tout à fait distincte de celle du parent. Si vous accordez la citoyenneté et que vous l'accordez à un enfant, on pourrait très facilement se trouver dans une situation où un enfant devient apatride, selon la façon dont la citoyenneté a été obtenue pour commencer, si cette citoyenneté est révoquée.

Je tiens également à ajouter qu'en vertu de ces dispositions, l'enfant ne recevrait peut-être même pas de préavis—cela n'est pas précisé dans les dispositions—selon lequel ces procédures pourraient être entreprises et l'issue possible de ces procédures, ce qui serait une exigence procédurale minimale.

M. John Bryden: Mettez-vous à ma place en tant que législateur et n'oubliez pas que nous sommes au-dessus de la Cour suprême. La Cour suprême se prononce uniquement en fonction des lois existantes. Lorsque la Cour suprême se heurte à un problème, elle ne peut l'examiner qu'en fonction des lois existantes. Je dois pour ma part l'examiner en fonction de ses répercussions sur les gens.

Je reviens donc à ma question et je vous demande comment vous réglez une situation où une personne est entrée au pays accompagnée peut-être de quatre ou cinq enfants et a obtenu la citoyenneté, après quoi on découvre soudainement qu'elle l'a obtenue de manière frauduleuse, d'une manière qui en justifie la révocation et qui pourrait aboutir effectivement à l'expulsion de ladite personne. Comment pouvez-vous séparer les enfants du parent qui retourne dans son pays d'origine?

Mme Michelle Williams: À un certain niveau, les enfants ont leur propre droit à la citoyenneté. Donc en ce sens, les enfants n'ont pas forcément à subir le même sort que celui réservé aux parents. Je pense que c'est un aspect sur lequel le gouvernement doit vraiment se pencher.

Si je reviens à ce que vous avez dit à propos de la Cour suprême, de toute évidence, comme vous l'avez dit, la Cour suprême doit interpréter les lois qui existent conformément à notre Charte mais aussi aux obligations internationales en matière de droits de la personne dont le Canada est signataire en tant que gouvernement canadien. Comme vous le savez sans doute, les comités internationaux ont exprimé des inquiétudes par exemple à propos du nombre d'expulsions qui ont eu lieu, à propos du fait que les expulsions de citoyens canadiens, surtout des femmes, ont soulevé ces problèmes de séparation des enfants et des parents et des droits que possèdent effectivement les enfants.

M. John Bryden: Laissez-moi formuler ma question d'une autre façon. Si nous ne réglons pas ce problème en tant que législateurs, ne courons-nous pas le risque que, mettons des gens ne fassent délibérément des déclarations trompeuses pour entrer au pays et amènent délibérément leurs enfants ou même aient des enfants ou fassent ce qu'il faut, pour utiliser ces enfants comme un moyen de conserver leur citoyenneté s'ils l'ont obtenue au moyen d'une fausse déclaration? N'y a-t-il pas un problème à ce niveau? Comment pouvez-vous dire que je ne devrais pas tâcher de remédier à une situation très humaine et très probable?

Mme Michelle Williams: Cela revient à l'argument général que j'ai fait valoir. Pourquoi tout à coup cela pose-t-il problème? Ce qui nous préoccupe en fait, c'est qu'il y a longtemps que des gens émigrent au Canada, à l'exception des Autochtones, et que si ces lois s'appliquaient au moment où certains d'entre nous sommes arrivés au Canada, on nous aurait peut-être refusé l'entrée au pays étant donné les circonstances de notre arrivée.

Je pense que nous devrions d'abord commencer par déterminer si ces lois sont nécessaires. Quelles sont les données statistiques dont vous disposez qui indiquent qu'il y a eu fausse déclaration? Où se situe le problème?

M. John Bryden: Je suis désolé mais je ne suis pas vraiment d'accord avec vous.

Mme Michelle Williams: Avancer comme argument qu'un problème existe...

M. John Bryden: Je tiens à vous assurer que nous n'avons pas créé ce projet de loi sans raison; le projet de loi reflète l'existence d'un problème. La raison pour laquelle je vous dis qu'un problème existe—et je suppose que nous pourrions revenir là-dessus si vous vouliez vous en convaincre—mais je tiens à vous assurer que ce problème existe bel et bien. La ministre ne présente certainement pas des lois et des recommandations pour des raisons futiles. Il y a quelque chose qui ne va pas et elle essaie d'y remédier.

• 1830

Je pense que de toute évidence nos opinions vont légèrement diverger à ce sujet parce que vous n'avez pas, même si vous avez essayé, trouvé un moyen de me convaincre qu'il existe une solution facile autre que celle proposée par la ministre.

Mme Michelle Williams: Si vous me permettez de présenter deux derniers arguments, cela pourrait être utile.

M. John Bryden: Oui, bien sûr. Ceci est votre tribune.

Mme Michelle Williams: Tout d'abord, je dois avouer que j'ai un peu de difficulté à accepter que des gens déclarent que des femmes viendraient ici et auraient...

M. John Bryden: Pas forcément des femmes.

Mme Michelle Williams: ...des enfants ou amèneraient des enfants simplement pour obtenir la citoyenneté. Mettre des enfants au monde, ou adopter et élever des enfants, c'est une grave décision et c'est un énorme engagement pour la vie. C'est pourquoi j'ai un peu de difficulté à accepter que l'on dise que c'est ce que font les femmes ou que l'on demande ce que nous faisons dans un tel cas. Ici encore, je pense qu'il faudrait au moins envisager de satisfaire aux garanties internationales et autres qui existent afin de nous assurer qu'on a une procédure permettant de traiter précisément du problème dont vous parlez. Si cela risque d'avoir des répercussions sur les enfants ceux-ci devraient avoir accès à une procédure, à un mécanisme d'appel, au même titre que le parent...

M. John Bryden: Je sais.

Mme Michelle Williams: ...qui pourrait faire l'objet d'un décret de révocation, afin que l'on puisse démêler ces questions mêmes. Il s'agit en fait d'une exigence minimale qui serait nécessaire pour satisfaire aux obligations de la Convention sur les droits de l'enfant. J'espère que cette précision vous est utile.

M. John Bryden: Elle l'est. C'est une bonne observation. Permettez-moi maintenant d'aborder certains aspects peut-être un peu moins compliqués.

Mme Michelle Williams: Très bien.

M. John Bryden: Vous vous débrouillez très bien. Vous déplorez le fait que l'expression «intérêt public» soit vague, que la citoyenneté pourrait être révoquée ou refusée dans l'intérêt public. Je peux vous dire que cela est attribuable au fait que nous avons un grave problème à nos frontières. Il y a énormément de gens qui veulent entrer au Canada et certains d'entre eux sont tout à fait indésirables. Il est effectivement très difficile de définir l'intérêt public parce qu'il est difficile de prévoir les gens auxquels on aura affaire, qu'il s'agisse de criminels de guerre ou de quoi que ce soit. Donc l'expression «intérêt public» est à mon avis délibérément vague parce qu'il est difficile de prévoir exactement ce à quoi nous avons affaire.

Cependant, vous avez mentionné plusieurs fois la législation sur les droits de la personne. Avez-vous constaté que le projet de loi ne fait aucune mention des droits de la personne en tant que principe général? L'avez-vous remarqué?

Mme Michelle Williams: Je ne l'ai pas vu, c'est bien certain.

M. John Bryden: C'est exact. On en fait aucune mention. Pourrions-nous du moins jusqu'à un certain point, calmer certaines de vos craintes à propos de la définition d'«intérêt public», si nous ajoutions une disposition dans le projet de loi indiquant que le projet de loi défend les droits de la personne en général? Là où je veux en venir c'est que si vous examinez le serment, et vous avez soulevé la question du serment, vous constaterez que dans sa version modifiée, on demande au nouveau Canadien, à la personne qui prête serment, de respecter nos droits et libertés—c'est ce qui est indiqué «nos droits et libertés»—et aussi de «respecter les devoirs et obligations du Canada».

Mais nulle part le serment ne fait mention du principe auquel, à mon avis, souscrivent tous les Canadiens, à savoir le respect des droits de la personne partout dans le monde. Si ce principe était inscrit dans la loi, est-ce que cela permettrait de mieux définir une expression comme «intérêt public» de façon à ce que la ministre, lorsqu'elle exerce son pouvoir discrétionnaire, tienne toujours compte des droits de la personne lorsqu'elle applique une mesure comme le refus de la citoyenneté dans l'intérêt public?

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci. Je vais laisser le témoin répondre, mais vous avez terminé.

M. John Bryden: En fait, je n'ai pas terminé.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Peut-être plus tard.

M. John Bryden: Dix minutes passent vite.

Mme Michelle Williams: Merci. Je crois que toute forme de déclaration qui réitère la volonté du Canada de défendre les droits de la personne serait utile, surtout dans un projet de loi comme celui-ci qui traite des gens qui franchissent des frontières. Il n'est certainement pas suffisant de se limiter aux problèmes que soulèvent les dispositions sur l'intérêt public, car elles sont trop vagues pour un certain nombre de raisons. Je pense que sur le plan légal, elles sont trop vagues, mais de plus en tant que Canadienne, je ne consens pas à donner au gouvernement le pouvoir de décider de ne pas accorder la citoyenneté à quelqu'un parce qu'il estime que c'est dans l'intérêt public. Je ne crois pas que ce soit trop demander que de préciser dans la loi ou de donner certaines indications quant à ceux dont on parle. Comment pouvons-nous savoir de quelle façon ce pouvoir sera exercé? Comment pouvons-nous savoir qui on empêchera à un certain moment de devenir citoyen parce qu'aujourd'hui le gouvernement en place considère que ce n'est pas dans l'intérêt public? Si vous précisez en disant par exemple «des criminels de guerre reconnus satisfont à ces dispositions», alors cela m'indique qu'effectivement vous examinez la situation des criminels de guerre reconnus. Mais ces dispositions, telles qu'elles sont libellées à l'heure actuelle, sont beaucoup trop vagues.

• 1835

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Mme Augustine, cinq minutes.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président.

Madame Williams, je suis vraiment désolé d'avoir raté votre exposé, mais nous avons parfois des situations d'urgence ici, et il arrive qu'on ne puisse pas être là où l'on devrait être.

J'ai parcouru le résumé des recommandations que vous nous avez faites et il y a deux ou trois points sur lesquels je voudrais vous poser des questions. Le premier a déjà été examiné; il s'agit de toute cette question de l'intérêt public. Je veux revenir sur la question du pouvoir discrétionnaire, car c'est une question qui se pose que nous parlions d'immigration ou du projet de loi dont nous sommes saisis. Certains diraient que l'on peut présenter des arguments pour montrer soit les avantages soit les inconvénients de ce pouvoir discrétionnaire. Que pouvez-vous nous dire au sujet du pouvoir discrétionnaire en rapport avec le droit de l'immigration et le projet de loi à l'étude?

Mme Michelle Williams: Vous voulez dire de manière générale?

Mme Jean Augustine: Oui, de manière générale.

Mme Michelle Williams: En règle générale, le pouvoir discrétionnaire est essentiel dans toutes les situations. Il faut avoir un certain pouvoir discrétionnaire pour pouvoir mettre certaines choses en oeuvre ou administrer certaines choses. Il faut aussi des limites à ce pouvoir discrétionnaire afin que tout le monde sache bien ce que l'on attend d'eux mais aussi ce qu'ils peuvent faire pour s'assurer que ce pouvoir discrétionnaire est exercé équitablement.

Or, avec le projet de loi C-63, on abandonne, pour certains domaines, l'examen judiciaire en faveur du pouvoir discrétionnaire, et nous sommes d'avis que ce changement n'est pas justifié, surtout quand on sait que le gouvernement se dit préoccupé par la valeur de la citoyenneté, par son importance, et qu'il dit vouloir resserrer la loi. Nous estimons que, pour cela, il faudrait pencher davantage du côté de l'examen indépendant que du côté de l'accroissement du pouvoir du ministre.

L'autre point que je tiens à souligner relativement au pouvoir discrétionnaire qui s'exerce dans le contexte de l'immigration—et j'entre dans les détails à ce sujet dans le mémoire complémentaire que j'ai présenté au comité—est le suivant. Par le passé, le pouvoir discrétionnaire en matière d'immigration a été exercé de façon raciste. Les documents historiques l'attestent. J'estime donc que nous avons bien raison, notamment dans ce contexte, de redouter l'accroissement du pouvoir discrétionnaire, de pécher par excès de prudence à cet égard, étant donné la façon dont il a été utilisé, par exemple, contre les Canadiens d'origine africaine, japonaise, chinoise ou je ne sais trop quelle origine encore, par le passé.

Mme Jean Augustine: Monsieur le président, je veux également m'attarder au point 6, simplement parce qu'il s'agit du seul document que j'ai sous les yeux... à savoir que le projet de loi C-63 devrait être amendé afin de prévoir le rétablissement de la citoyenneté dans des circonstances bien définies. Je crois que cela se trouve dans le résumé de vos recommandations. Nous pouvons peut-être nous reporter à la loi afin de parler de façon un peu plus précise des circonstances dans lesquelles la citoyenneté est révoquée ou annulée. Vous proposez de retrancher du projet de loi le paragraphe 19 (1).

Mme Michelle Williams: Exactement. La raison en est la suivante—c'est ainsi que j'interprète le projet de loi et j'aimerais qu'on me reprenne si je me trompe—: D'après mon interprétation de l'alinéa 19 (1)a), toute personne dont la citoyenneté est révoquée ou annulée ne pourra jamais, au grand jamais, recouvrer sa citoyenneté. Je me suis aussitôt mise à penser à certains cas où cette règle pourrait être excessivement sévère.

Dans le cas, par exemple, d'un réfugié sans papiers qui se serait enfui d'un pays en proie à la guerre et qui, aux termes de la réglementation actuelle, devrait attendre huit ans avant d'obtenir la citoyenneté... La personne obtiendrait sa citoyenneté, qui serait ensuite révoquée, parce que, au moment où elle cherchait à s'enfuir de son pays, elle aurait peut-être eu recours à un moment donné à de faux papiers d'identité pour s'extirper de la situation dans laquelle elle se trouvait. En vertu des dispositions du projet de loi, la personne pourrait donc perdre sa citoyenneté après avoir passé, mettons, huit ans ici, comme c'est notamment le cas des Somaliens. Pareilles mesures sont excessivement sévères à mon avis.

Ne pourrait-on pas prévoir une disposition ou une modalité suivant laquelle, ayant reconnu en l'occurrence l'existence de circonstances excessivement pénibles, on pourrait accepter que quelqu'un fasse une nouvelle demande de citoyenneté, si cette dernière a été révoquée ou annulée? Ainsi, avec cette latitude, on pourrait prendre en compte des situations très exceptionnelles qui échappent aux catégories que le gouvernement vise.

• 1840

Mme Jean Augustine: Est-ce que cela serait inclus dans la catégorie de ce qui est discrétionnaire?

Mme Michelle Williams: Cela pourrait relever de la discrétion du ministre mais la demande pourrait également être adressée à un juge de la citoyenneté. On devrait prévoir une disposition qui permettrait d'en faire la demande de la même façon qu'on le fait pour obtenir la citoyenneté.

Mme Jean Augustine: Merci, monsieur le président.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup.

Monsieur McNally, allez-y.

M. Grant McNally: Je voudrais parler davantage de cette question de discrétion car j'ai l'impression que dans votre propos, c'est la chose essentielle que vous soulevez à propos du projet de loi, à savoir l'utilisation de cette discrétion par le ministre ou la possibilité qu'il a de le faire. Reprenez-moi si je me trompe, mais il me semble qu'un des reproches essentiels que vous faites à l'absence de dispositions pour contester les décisions prises par le ministre en vertu de cette prérogative. Comme on le constate dans les dispositions du projet de loi—et je pense que vous vous référez à l'article 21—lorsque le ministre prend une décision, il n'y a pas de procédure d'appel. C'est bien cela, n'est-ce pas?

Mme Michelle Williams: C'est cela. Cela m'amène à notre commentaire général. Si cette discrétion existe de façon générale...

M. Grant McNally: J'en conviens.

Mme Michelle Williams: ...comment peut-on exercer un contrôle? Il ne semble pas logique que le système de contrôle qui existe actuellement soit supprimé alors qu'en fait il devient plus difficile de devenir citoyen et plus facile de se faire révoquer cette citoyenneté. À mon avis, c'est précisément dans un tel cas que l'on veut maintenir le système qui existe, voire le consolider.

M. Grant McNally: Vous dites donc qu'à votre avis, les dispositions de ce projet de loi font disparaître ces moyens de contrôle...

Mme Michelle Williams: C'est cela.

M. Grant McNally: ...et le ministre se voit conférer un pouvoir discrétionnaire accru...

Mme Michelle Williams: Oui.

M. Grant McNally: ...et que cela constitue selon vous le problème essentiel du projet de loi.

Mme Michelle Williams: C'est cela, du moins en partie.

M. Grant McNally: Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Monsieur Bryden.

Mme Jean Augustine: Si j'ai bien compris, d'après vous, le mieux est l'ennemi du bien, n'est-ce pas?

Mme Michelle Williams: En toute honnêteté, c'est ce que nous concluons en prenant connaissance des dispositions du projet de loi C-63 car nous le trouvons très strict, le système de vérification et contrôle étant supprimé, l'intervention de l'intérêt public, etc., ce qui nous fait dire que la loi actuelle est supérieure au projet de loi C-63.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci.

Monsieur Bryden.

M. John Bryden: Depuis que je siège au comité, et nous avons procédé à des consultations qui ont duré deux ans, je peux affirmer qu'une des questions qui n'a jamais été soulevée est celle dont vous parlez, et dont ma collègue me dit que si je lui en avais parlé, elle aurait su me répondre. Il s'agit en effet du fait que certaines personnes ne peuvent pas prêter serment à la Reine à cause du passé esclavagiste de la Couronne.

Pouvez-vous nous en parler? À quels pays cela s'applique-t-il? Quelle est l'origine de cette exception et avez-vous des exemples?

Mme Michelle Williams: Essentiellement, cela tient compte du fait que certains peuples africains ont été réduits à l'esclavage et dominés par la puissance coloniale en Afrique de même que les colonies antillaises. En outre, nous avons connu l'esclavage au Canada. Pour certaines personnes, et je parle ici par expérience car je me suis entretenu avec des gens qui à cause du traitement horrible et abominable que l'on a fait subir à leurs ancêtres, ne peuvent pas en toute conscience prêter serment à la Reine et à la monarchie. Ils sont tout à fait prêts par contre à prêter serment au Canada. Bien des gens, par exemple, qui sont résidents permanents depuis des dizaines d'années et qui ont contribué énormément à la vie canadienne, ne peuvent pas, en toute conscience, à cause de ce qui s'est passé autrefois, prêter serment à la monarchie.

M. John Bryden: Cela signifie-t-il qu'ils renoncent à la possibilité de devenir citoyens parce qu'ils ne peuvent pas prêter serment?

Mme Michelle Williams: Oui.

M. John Bryden: Monsieur le président, permettez-moi de faire un commentaire. Depuis de nombreuses années, il est possible de ne pas invoquer Dieu dans le serment. Les gens ont la possibilité de prêter serment sans faire intervenir le nom de Dieu, et leur serment est tout à fait valable même s'ils ne disent pas «que Dieu me vienne en aide».

Toutefois, je ne me rendais pas compte que le nom de la Reine figurait dans le serment prononcé comme c'était le cas autrefois et que ce l'est toujours, ceux qui en toute conscience ne peuvent pas prêter allégeance à la Reine, qui a mon avis est une souveraine étrangère... je ne me rendais pas compte que cela leur interdisait... Est-ce que je me trompe? Il va falloir que l'on me confirme cela—en fait, nous refusons la citoyenneté aux gens qui pourraient l'obtenir s'ils pouvaient prêter serment sans devoir prêter serment d'allégeance à la Reine?

Mme Michelle Williams: Absolument.

M. John Bryden: Merci beaucoup.

• 1845

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): À ce propos, j'ai une question à poser. Avez-vous analysé le paragraphe 6(3), page 4 du projet de loi, Et les paragraphes suivants et je cite:

    Pour des raisons d'ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire de dispenser les demandeurs et ensuite on donne certains exemples. Aux sous-alinéas 6(3)b) que je cite «la prestation du serment de citoyenneté». Le libellé ne permet pas de tenir compte du cas que vous avez décrit, mais je me demande si un amendement donnant au ministre le pouvoir de dispenser les demandeurs de prêter serment à ceux qui invoquent des raisons majeures, satisferait vos préoccupations. Vous n'avez peut-être pas songé à cela, mais...

Mme Michelle Williams: Si, j'y avais songé. Je pense que cela serait utile. La difficulté toutefois, comme je l'ai dit, est qu'il faut que les gens sachent qu'ils peuvent affirmer leur allégeance ou prêter serment. Pour que les gens en soient conscients, pour qu'ils comprennent qu'ils ont le choix, il faudrait que cela figure dans la disposition concernant le serment car je ne suis pas sûre que ce soit clair pour tout le monde. En fait, le plus difficile serait pour le gouvernement de faire oeuvre éducative pour que tous sachent qu'on leur offre ce choix.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): J'ai une question à vous poser à propos du point 3.b dans le résumé de vos recommandations. Vous demandez que les mots «résident» ou «résidence» soient conservés. Pouvez-vous développer votre pensée?

Mme Michelle Williams: Volontiers, mais nous donnons des explications dans le mémoire supplémentaire que je vais vous remettre.

Je pense que d'autres témoins vont vous en parler mais il s'agit de l'exigence d'une présence physique au Canada ouvrant droit à la citoyenneté. Par exemple, cela pourrait constituer une contrainte insurmontable dans le cas d'une personne qui doit quitter le pays pour des raisons familiales inférieures, pour ses affaires ou pour d'autres raisons. Voilà pourquoi la souplesse qui existe actuellement convient beaucoup mieux.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Vous préconisez donc le statu quo?

Mme Michelle Williams: C'est cela.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Je voudrais maintenant vous poser une question concernant les juges de la citoyenneté que l'on pourrait remplacer par des commissaires.

D'après votre neuvième recommandation, dans laquelle vous citez le fait que les juges de la citoyenneté seront remplacés par des bureaucrates... ce n'est pas ainsi que j'interprète les dispositions du projet de loi. Qu'on me reprenne si je me trompe, mais j'avais l'impression que les commissaires seraient aussi nommés de la même façon que les juges. En fait, il s'agit de favoritisme et le gouvernement au pouvoir—il faut bien le reconnaître—nomme des gens pour exercer diverses fonctions. Il y aurait donc une nomination, et ce ne serait pas un employé qui jouerait ce rôle. Ainsi, ces commissaires procéderaient eux aussi au cérémonial que président actuellement les juges le 1er juillet ou à d'autres moments de l'année, quand on regroupe en grand nombre les futurs citoyens canadiens pour qu'ils prêtent serment.

Ce ne seront donc pas des bureaucrates. Donnez-moi des précisions.

Mme Michelle Williams: Volontiers. Je voudrais signaler deux ou trois choses. Que l'on utilise le mot «bureaucrate» ou «délégué ministériel», le problème n'en existe pas moins. Premièrement, la demande ne sera pas faite, comme c'est le cas actuellement, à un juge de la citoyenneté mais au ministre par l'intermédiaire du ministère. Voilà pourquoi nous parlons d'un processus bureaucratique que l'on a qualifié d'efficace. Toutefois, pour ce qui est du rôle confié au commissaire, ce n'est pas l'aspect du cérémonial qui nous inquiète mais le fait qu'on érode le mécanisme indépendant qui permet un examen des demandes.

L'alinéa 31(7)c) prévoit, au lieu de s'adresser directement comme c'est le cas actuellement à des juges qui peuvent surveiller le processus de la demande, le candidat s'adressera à un commissaire qui se bornera à donner des conseils et à faire des recommandations concernant la demande et, en outre, ne le fera qu'à la demande du ministre. Ainsi, on ne peut pas faire intervenir le commissaire, qui cesse d'être l'arbitre indépendant des demandes, à moins que le ministre ou le délégué ministériel demande lui-même au commissaire: «Quels sont vos conseils et recommandations dans le cas de cette candidature?» Nous estimons que ce processus n'est pas assez indépendant étant donné les enjeux que pose la nouvelle loi et la valeur que l'on veut accorder à la citoyenneté.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup de votre exposé. Vous avez été claire et minutieuse.

• 1850

Mme Michelle Williams: Merci.

M. John Bryden: Vous avez peut-être raté les consultations précédentes mais vous vous êtes bien rattrapée ici. Cette tribune est bien meilleure de toute façon.

Mme Michelle Williams: Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Nous accueillons maintenant les représentants du Council of Agencies Serving South Asians, en la personne de Latha Sukumar, secrétaire du conseil d'administration et Ram Selvarajah. Bienvenue.

Mme Latha Sukumar (secrétaire, conseil d'administration, Council of Agencies Serving South Asians): Bonsoir.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Commencez tout d'abord par faire votre exposé et nous vous poserons ensuite des questions.

Mme Latha Sukumar: Le défi est difficile à relever. Je vais faire de mon mieux.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Je suis sûr que vous réussirez très bien.

Mme Latha Sukumar: Le Council of Agencies Serving South Asians a été créé en 1988 et constitué en société en 1991. Il regroupe actuellement plus de 40 organismes qui fournissent des services à la population sud-asiatique de la ville de Toronto et de l'agglomération torontoise.

Le Conseil est un organisme communautaire qui a pour mandat de représenter les organismes qui en font partie et leur fournir d'autres types de soutien, de veiller à ce que la population sud-asiatique reçoive les services sociaux dont elle a besoin, et de contribuer activement à l'élimination de toutes les formes de racisme et de discrimination dans la société canadienne.

L'appellation «sud-asiatique» désigne les personnes originaires de pays du sous-continent indien—Inde, Pakistan, Sri Lanka, Bangladesh, Népal et Bhutan, mais aussi celles venant des Caraïbes et d'autres régions comme l'Europe et Fidji qui sont natives de ce sous-continent. Le nombre d'immigrants d'Asie du Sud est demeuré élevé ces dernières années.

Le projet de loi C-63 aura des conséquences sérieuses pour les futurs Canadiens d'Asie du Sud. Bon nombre de personnes originaires de cette région ne sont pas au courant du projet de loi et de sa portée. Nous prions donc instamment le comité de prévoir plus de temps pour sensibiliser notre communauté et recueillir son avis. Nous n'avons pas réussi à tenir une consultation complète mais nous vous présentons un bref résumé des observations que nous avons réunies. Nous y mettons en évidence nos craintes envers certains changements et formulons des recommandations à l'égard de quelques-uns en particulier.

Notre première préoccupation concerne le fait que les requérants devront subir l'examen pour la citoyenneté en anglais ou en français et ne pourront recourir au service d'un interprète. C'est une chose que de demander à des citoyens de se soumettre à un test d'anglais élémentaire et une autre que d'évaluer leurs connaissances sur le Canada en appliquant les mêmes critères. L'examen pour la citoyenneté exige une connaissance beaucoup plus approfondie de l'anglais ou du français.

Cette exigence aura de sérieuses répercussions sur les requérants de la catégorie de la famille et contribuera à marginaliser encore plus les groupes défavorisés sur le plan de la langue parlée. Il importe de déterminer si la nouvelle loi contrevient à l'article 15 de la Charte qui garantit l'égalité en droit à tous, tous ayant droit à une protection et à des avantages juridiques égaux sans discrimination pour des motifs de race, d'origine nationale ou ethnique, de couleur, de religion, de sexe, d'âge ou d'incapacité mentale ou physique.

Le projet de loi prévoit que pour avoir droit à la citoyenneté canadienne—et c'est mon deuxième point—un immigrant doit avoir résider au Canada pendant trois années sur cinq alors qu'auparavant, c'était trois années sur quatre, ce qui est positif. Fait intéressant, l'Australie n'exige que deux années de résidence, la Grande-Bretagne deux et trois quarts et les États-Unis deux et demi. Il semble donc que le Canada soit le plus restrictif à cet égard.

La loi actuelle n'utilise pas l'expression «présence physique», et cela a été signalé par un autre témoin. Cela a donné lieu à plusieurs interprétations contradictoires et c'est comme cela que le gouvernement justifie les nouvelles dispositions. Le Conseil est d'avis qu'il y a lieu de corriger ces termes et les autres incohérences relatives à la durée de résidence. Bien que celles-ci aient été allongées, nous souhaitons soulever plusieurs autres questions.

L'exigence de résider au Canada pendant trois ans constituerait un obstacle important pour deux groupes de notre communauté. Tout d'abord les étudiants. Les sujets les plus brillants et les plus compétents de notre communauté vont à l'étranger poursuivre leurs études de deuxième et troisième cycles. Auparavant, ils pouvaient présenter une demande et obtenir leur citoyenneté à leur retour au Canada mais aux termes du projet de loi, ils ne rempliront pas les conditions prescrites.

• 1855

Les gens d'affaires immigrants y penseront à deux fois avant de présenter une demande ce qui privera le Canada des importantes ressources financières qu'elles injecteraient au pays et des emplois qu'elles créeraient. Comme elles ont des intérêts commerciaux à l'étranger, elles doivent se rendre régulièrement dans d'autres pays. Par conséquent, cette exigence de présence physique est excessivement lourde et peut les inciter à choisir de ne pas s'installer ici. Ceux qui exercent des professions libérales, en particulier ceux qui sont des experts-conseils techniques et doivent s'absenter du pays fréquemment, auront du mal à calculer le nombre de jours de présence et ils ne pourront pas réunir les conditions nécessaires telles que prescrites. Par exemple, comment serait considéré un voyage d'une journée aux États-Unis? Je connais bien des gens qui régulièrement passent trois jours par semaine aux États-Unis.

Nous sommes conscients qu'il est nécessaire de prendre des mesures pour prévenir les abus et de fait nous les louons. Toutefois, nous contestons la nécessité d'obliger une personne à prouver sa présence au Canada. Souvent, dans notre communauté, les plus défavorisés sont ceux qui ont le plus de mal à réunir les preuves tangibles, comme des baux, des lettres d'employeurs, qui permettent de prouver leur présence physique. Par exemple, dans une famille typique d'Asie du Sud, il est tout à fait possible de constater qu'il n'existe absolument pas de documents officiels ou quasi-officiels portant le nom d'une personne âgée.

Maintenant, j'ajouterai que la loi s'appliquera non seulement aux futurs immigrants mais également à ceux qui sont déjà établis au Canada. Ces derniers se verront du jour au lendemain imposer de nouvelles règles et nombreux sont ceux qui ne sont même pas au courant qu'on est en train d'étudier une telle loi.

Nous nous inquiétons également des enfants nés outre-mer. La deuxième génération d'enfants nés à l'étranger de parents canadiens pourra, comme auparavant, se prévaloir de son droit à la citoyenneté canadienne jusqu'à l'âge de 28 ans. Pour conserver leur citoyenneté, on propose un changement—en ce qui concerne la résidence—et désormais l'année de résidence exigée sera remplacée par la nouvelle exigence de résidence, c'est-à-dire trois ans de présence physique sur cinq ans. Nous sommes heureux qu'on continue d'offrir cette possibilité aux Canadiens de deuxième génération. Toutefois, nous tenons à signaler que l'exigence d'une durée plus longue de résidence pourrait constituer un empêchement dans certains cas.

Pour ce qui est des dispositions relatives à l'adoption, nous sommes heureux de la modification proposée en vue de réduire la distinction entre les enfants nés à l'étranger de parents canadiens et les enfants nés de parents étrangers. Cette modification accélérera le processus d'adoption. Toutefois, la mesure législative proposée stipule que l'adoption ne doit être faite principalement dans le but d'être admis au Canada ou d'obtenir la citoyenneté canadienne. C'est une bonne chose. On n'indique pas dans le projet de loi comment cela pourrait être déterminé. En raison de cela, il est possible que les agents de la citoyenneté puissent mal interpréter ces dispositions par ignorance des normes culturelles du pays de l'enfant adoptif. L'Inde en est un exemple dont je vous pourrai vous parler davantage.

Pour ce qui est du nouveau processus de prise de décisions, comme l'a fait remarquer la personne qui m'a précédé, la loi actuelle exige que les juges de la citoyenneté examinent toutes les demandes et rendent une décision dans tous les cas. La mesure proposée modifie les fonctions des juges et confie la tâche de rendre une décision aux agents de la citoyenneté. Pour toutes les raisons que j'ai déjà mentionnées et discuté de façon détaillée, le processus deviendrait principalement administratif qui ne permettrait pas de tenir compte des considérations d'ordre humanitaire dans des situations particulières. La Cour fédérale serait le seul recours des demandeurs dont la demande de citoyenneté est rejetée, et c'est un recours qui peut être trop onéreux pour ceux qui n'ont pas les ressources nécessaires et qui se verraient, de ce fait, refuser la citoyenneté.

Je répète que je suis entièrement d'accord avec l'opinion exprimée par l'orateur précédent quant aux dispositions sur le refus et la révocation de la citoyenneté. Ce processus établit une démarcation claire entre les personnes nées au Canada et celles nées à l'étranger. Cette discrimination inhérente quant à la révocation ou au refus de la citoyenneté constitue une poire de discorde au sein des groupes d'immigrants depuis de nombreuses années; en révoquant la citoyenneté des enfants des citoyens dont la citoyenneté est révoquée, on risque de créer un groupe de citoyens de seconde zone menacés, malgré leur innocence, d'être mis au ban de la société.

• 1900

Nous croyons que c'est aux tribunaux plutôt qu'au ministre qu'il faudrait conférer le pouvoir de révoquer la citoyenneté, et nous demandons, en conclusion, que le comité permanent tienne d'autres séances publiques d'information et de discussion pour examiner plus à fond ces questions.

Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup.

Passons aux questions. Monsieur McNally.

M. Grant McNally: Merci, monsieur le président.

Je vais commencer par votre argument au sujet des exigences en matière de résidence, argument que d'autres groupes ont également mentionné. Ces groupes nous ont dit que le Canada est en concurrence avec d'autres pays pour ce qui est d'attirer des immigrants et que cette exigence en matière de résidence nous empêchera d'attirer au Canada des personnes qui pourraient apporter une contribution au pays. C'est également ce que vous dites.

J'aimerais savoir quels changements vous nous proposez à cet égard—des changements pratiques. Vous avez brièvement abordé cette question.

Mme Latha Sukumar: Nous devrions faire autant sinon davantage que les autres pays. Si on exige deux années de présence physique en Australie... Je sais que l'Australie est un pays relativement jeune et qu'il attire plus particulièrement les immigrants sud-asiatiques. Si nous voulons faire concurrence à un pays comme l'Australie pour attirer les meilleurs candidats chez nous, nous devrions appliquer des règles semblables, sinon meilleures.

M. Ram Selvarajah (vice-président, Council of Agencies Serving South Asians): Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelque chose...

M. Grant McNally: Bien sûr.

M. Ram Selvarajah: ...par exemple, il y a au Canada une pénurie de techniciens. Nous embauchons des gens d'Europe et d'autres parties du monde, qui viennent travailler au Canada. Nous exportons surtout vers les États-Unis, et en raison des différents règlements sur le trafic international des armes, certains d'entre eux ne peuvent travailler à des projets de la défense, par exemple, s'ils ne sont pas citoyens canadiens. Les entreprises embauchent ces travailleurs en espérant qu'ils obtiendront la citoyenneté et les font travailler entre-temps à des projets qui ne sont pas assujettis à ces règlements et à des projets canadiens.

Ces gens voyagent partout au monde pour gagner de l'argent pour leur employeur canadien, mais ils ont de la difficulté à calculer combien de jours ils sont demeurés au Canada. Après deux ans, lorsqu'il leur est possible d'être transféré à un projet pour lequel ils sont peut-être les seuls à posséder les compétences, cela leur est impossible et leur candidature doit être rejetée.

J'ai travaillé pour un fabricant d'équipement spatial canadien, et le cas s'est produit. Nous avions embauché un ingénieur qui était le seul travailleur qualifié disponible—en fait, il venait de France. Nous l'avons envoyé aux États-Unis, et l'entreprise a dû refuser sa candidature parce qu'il n'était pas citoyen canadien et qu'il n'aurait pu consulter la documentation du projet.

Par conséquent, le travailleur voit son professionnalisme mis en doute. Il ne peut exercer ses compétences dans le domaine.

L'entreprise perd pour sa part de l'argent car nous ne pouvons traiter les demandes plus rapidement et nous imposons des exigences inutiles.

Le problème de l'exigence en matière de résidence pourrait être réglé simplement par le truchement du régime de déclaration d'impôt. Lorsqu'une personne soumet un rapport d'impôt au Canada, cela signifie, aux fins de l'impôt, que cette personne est un résident du Canada. Nous pourrions appliquer la même règle en matière de citoyenneté.

M. Grant McNally: Nous savons que ce serait un bon moyen de tenir les gens à l'oeil, car le gouvernement veille à ce que chacun paie ses impôts.

M. Ram Selvarajah: Le fait qu'une personne soit à l'extérieur du Canada ne signifie pas qu'elle ne s'intéresse plus au pays. Nous voyageons tous à l'étranger. Cela ne signifie pas que nous ne pensons pas au Canada ou que nous ne nous considérons pas comme des Canadiens.

M. Grant McNally: Je vais revenir à votre premier point au sujet des tests en anglais et en français. Nous avons entendu plus tôt aujourd'hui un juge de la citoyenneté, qui a abordé cette question. Si je me souviens bien, l'une de ses observations—que mes collègues me corrigent si je me trompe...

M. John Bryden: Je vais vous aider.

M. Grant McNally: ...au sujet du recours à des interprètes pour l'examen, par exemple, l'une des questions était: «Dans quelle province se trouve la ville de Toronto?» Le candidat répond dans une autre langue, puis l'interprète donne la réponse en... Elle semblait troublée de ce que le candidat ne pouvait prononcer le mot «Ontario». Cela la dérangeait un peu. Vous dites que cela pourrait marginaliser certaines personnes.

• 1905

Mme Latha Sukumar: J'ai l'impression que vous mêlez deux choses. J'estime qu'il est important de connaître le pays.

M. Grant McNally: D'accord.

Mme Latha Sukumar: Cela devrait être une exigence. Mais pour ce qui est des examens...

M. Grant McNally: Il semble que le problème se soit la langue anglaise.

Mme Latha Sukumar: Oui. Il pourrait être très onéreux de faire passer ces examens en anglais ou en français, car si mon père venait ici, à l'âge de 65 ans, il ne serait pas pressé d'apprendre l'anglais. Il lui faudrait beaucoup de temps avant de le parler couramment. Il lui faudrait peut-être 15 ans avant de pouvoir présenter une demande de citoyenneté et de devenir Canadien.

M. Ram Selvarajah: Pour un simple citoyen, c'est déjà suffisamment difficile d'expliquer dans sa propre langue ce qu'est un gouvernement responsable. Alors l'expliquer dans une autre langue...

M. Grant McNally: Tout à fait. Je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai enseigné pendant un certain nombre d'années et, dans ma naïveté, je croyais en connaître un bout sur le gouvernement avant de venir ici à Ottawa.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Je ne veux pas abuser de votre temps, mais je vous signale que dans le cas de votre père, toutes les personnes de plus de 60 ans sont exemptées de cette exigence.

Mme Latha Sukumar: D'accord. Merci d'apporter la correction.

M. Grant McNally: D'autres ont dit qu'en apprenant l'une des langues officielles, que ce soit le français ou l'anglais, l'immigrant a plus de facilité à s'acclimater au Canada et à s'intégrer à la société. En n'apprenant pas les langues officielles, l'immigrant est marginalisé car il ne sait pas...

Mme Latha Sukumar: Je suis entièrement d'accord avec vous, mais il faut tenir compte de ce que cela prend beaucoup de temps. Ils ne peuvent apprendre une autre langue s'ils n'ont pas suffisamment de contacts avec les gens.

M. Grant McNally: C'est vrai. Je suppose qu'il faut trouver un juste milieu.

Mme Latha Sukumar: Il ne faudrait pas que cette exigence soit obligatoire. S'ils veulent apprendre la langue par choix, ce qu'ils feront vraisemblablement afin de mieux connaître le pays...

Mon père m'a fait remarquer à juste titre que vivre dans un pays dont on ne connaît pas la langue, c'est vivre en sourd-muet, et les immigrants ne souhaitent pas vivre dans un tel monde. Vous avez raison, mais si cette exigence est obligatoire, c'est très onéreux.

M. Ram Selvarajah: Il faut faire la distinction entre la connaissance de la langue nécessaire pour les activités de tous les jours et celle qui est nécessaire pour un examen de la citoyenneté. C'est tout ce que nous voulons signaler à...

M. Grant McNally: D'accord, je comprends votre préoccupation et la distinction entre les deux.

Mme Latha Sukumar: Cette distinction existe.

M. Grant McNally: Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Monsieur Bryden.

M. John Bryden: Vous dites qu'il y a une différence entre les citoyens canadiens qui sont nés ici et les personnes qui demandent à devenir citoyens canadiens, qui font l'objet de discrimination, car dans le cas de ces dernières, leur demande peut être refusée.

Je soumets qu'à l'exception des réfugiés, la majorité des personnes qui demandent la citoyenneté au Canada sont déjà citoyens de quelque part. En fait, puisque je n'ai pas la double nationalité, si ma citoyenneté était révoquée, je n'aurais plus de nationalité. Mais si on révoque ou refuse la citoyenneté de quelqu'un qui possède une double nationalité, comment pouvez-vous expliquer qu'il y ait discrimination, comme vous le dites, puisque cette personne a encore une nationalité?

Mme Latha Sukumar: Tout d'abord, l'Inde...

M. John Bryden: Je connais la situation de l'Inde.

Mme Latha Sukumar: ...d'où viennent la majeure partie de nos membres, ne permet pas la double nationalité.

M. John Bryden: C'est l'un des seuls pays au monde dans ce cas. Mais parlons des autres pays.

M. Ram Selvarajah: Le Sri Lanka ne permet pas non plus la double nationalité.

M. John Bryden: Ah non?

Mme Latha Sukumar: Nous représentons la communauté sud asiatique, et à ma connaissance, l'Inde et le Sri Lanka ne permettent pas la double nationalité. Je suis certaine que c'est également le cas d'autres pays.

Toutefois, vous avez demandé en quoi cela constitue de la discrimination. Ce que nous faisons valoir, c'est qu'un citoyen canadien de naissance devrait jouir des mêmes droits que l'enfant d'une personne dont la citoyenneté pourrait être révoquée.

Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre question.

M. John Bryden: Permettez-moi de la reformuler, et je la situerai dans le contexte de l'Inde et du Sri Lanka. Je ne savais pas que le Sri Lanka était dans la même catégorie, mais c'est exceptionnel, puisque la majorité des pays acceptent la double citoyenneté. Mais même dans le cas de l'Inde et du Sri Lanka, une personne qui demande la citoyenneté canadienne ne voit sa citoyenneté d'origine révoquée qu'au moment où elle obtient la citoyenneté canadienne, n'est-ce pas?

Mme Latha Sukumar: C'est exact.

• 1910

M. John Bryden: Donc, je ne comprends pas. Vous dites qu'il y a discrimination contre certaines personnes car on ne leur permet pas—pour des motifs valables, je suppose—d'avoir ce qu'elles possèdent déjà, c'est-à-dire une nationalité.

Mme Latha Sukumar: Non, ce n'est pas ce que j'ai expliqué. J'ai dit que ces personnes peuvent perdre leur citoyenneté canadienne pour les motifs énoncés dans cette mesure législative, par exemple en cas de fausse représentation ou d'erreur. Il s'ensuivrait que les enfants de cette personne perdraient également leur citoyenneté. Mais si cette personne était née ici, ses enfants ne perdraient pas leur citoyenneté.

Ce que nous comparons, dans ce cas-ci, c'est deux catégories de personnes qui vivent au Canada quant à leur droit à la citoyenneté canadienne et non quant à leur droit de posséder une nationalité.

M. John Bryden: Je vais préciser; vous reconnaissez que vous ne vouliez pas un droit de refuser la citoyenneté; mais n'importe quelle nation a certainement le droit de refuser la citoyenneté à une personne qui possède déjà une citoyenneté.

Mme Latha Sukumar: Je suis d'accord sur ce point.

M. John Bryden: Je reconnais que s'il s'agit d'un apatride...

Mme Latha Sukumar: Oui, oui.

M. John Bryden: Très bien; j'accepte également votre explication de la révocation.

Mais permettez-moi de revenir sur cette notion. Nous sommes en train de réfléchir à haute voix. Ce qui m'ennuie, c'est que si une nation comme le Canada ne conserve pas un certain pouvoir de révocation de la citoyenneté, lorsqu'on découvre que certains immigrants ont menti, si nous ne pouvons pas exercer un certain contrôle, nous portons atteinte à la valeur même de notre citoyenneté. Il est vrai que notre Charte des droits est exceptionnelle, comparée à ce qui se fait dans le reste du monde. En effet, nos lois accordent à n'importe quelle personne qui met le pied sur le territoire canadien des droits identiques à ceux de nos citoyens. Est-ce que nous ne devrions pas essayer de conserver à la qualité de citoyen une certaine valeur supplémentaire?

Quand vous dites que nous devrions retirer au ministre, c'est-à-dire au gouvernement, le droit de révoquer une citoyenneté obtenue sur la base de renseignements mensongers, je crains que vous n'enleviez toute signification à la qualité de citoyen canadien. En effet, il suffit de mettre le pied sur le territoire canadien pour être protégé par la Charte de toute façon.

Mme Latha Sukumar: Vous avez raison, mais je ne parlais pas de... Peut-être me suis-je mal exprimée. Je pensais surtout aux enfants des gens dont on révoquerait la citoyenneté. J'ai comparé le statut de vos enfants, si vous êtes né ici, et des miens, si je suis arrivée comme immigrante. De toute évidence, ce sont deux types de citoyenneté différents, et dans le cas de mes enfants, ils peuvent la perdre à n'importe quel moment si on s'aperçoit que j'ai menti.

M. John Bryden: Monsieur le président, puis-je approfondir ce point?

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Oui.

M. John Bryden: J'aimerais aborder la question d'un angle un peu différent. Le témoin précédent a parlé de la monarchie, et cela m'a pris par surprise, bien que...

Mme Latha Sukumar: En fait, nous partageons son sentiment.

M. John Bryden: Pouvez-vous vous expliquer?

Mme Latha Sukumar: Si nous sommes d'accord avec elle, c'est que nous sommes passés par des années de colonialisme. Étant moi-même de l'Inde, et Ram du Sri Lanka, nos ancêtres ont subi des années de colonialisme. Pour nous, ce sont des souvenirs très difficiles. Nous avons traversé 300 ans d'oppression, et ce système a laissé des traces dans nos sociétés. Nous vivons toujours dans un système féodal, avec des hiérarchies extrêmement rigides dont nous avons hérité à cause de cela. Nous ne voulons pas que cela se perpétue. Pour nous, cela n'a rien de positif. C'est un problème qui nous tient très à coeur.

M. John Bryden: Si vous puisez dans votre expérience personnelle, connaissez-vous des gens qui ont refusé de prêter le serment de citoyenneté parce qu'ils ne voulaient pas prêter allégeance à la reine ou se plier aux exigences en ce qui concerne la reine? Connaissez-vous quelqu'un qui a bel et bien refusé de prêter ce serment?

Mme Latha Sukumar: Je ne connais personne moi-même, mais je peux vous dire que pendant ma propre cérémonie de citoyenneté, j'ai gardé le silence. L'idée de prêter allégeance me répugnait. Cela signifie peut-être que je ne suis pas citoyenne canadienne, et vous pouvez m'enlever ma citoyenneté, mais je peux vous dire que cette notion me paraissait révoltante. Mais qui étais-je pour protester? J'étais là, et j'ai assisté au processus en conservant le silence.

Je sais que d'autres ont eu la même réaction, mais je ne connais personne qui ait vraiment refusé de le faire.

M. John Bryden: Ainsi, pour vous personnellement, cela a minimisé la valeur du serment.

Mme Latha Sukumar: Absolument.

M. John Bryden: Merci beaucoup.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Madame Augustine.

• 1915

Mme Jean Augustine: Je pensais que mon collègue continuerait et reviendrait à cette question qu'il ne cesse de soulever ce matin, la présence du mot «Dieu» dans le serment.

Pouvez-vous nous en parler? Comment l'avez-vous exprimé?

M. John Bryden: Monsieur le président, si vous le permettez...

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Aviez-vous vraiment besoin de le relancer sur cette question?

M. John Bryden: Non, cela ne fait rien.

Mme Jean Augustine: Non, mais cela me paraît important.

M. John Bryden: Permettez-moi de mettre les choses en contexte...

Mme Jean Augustine: Non, non, il suffit...

M. John Bryden: D'accord, c'est bien.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Vous savez que vous débordez sur son temps à elle, mais allez-y.

Mme Jean Augustine: Exactement.

M. John Bryden: À l'heure actuelle, le serment n'invoque absolument pas une déité. Cette mention a été supprimée il y a des années, et on ne l'a jamais rétablie.

Pour quelqu'un qui vient de votre partie du monde, est-ce que le serment serait plus solennel si on y mentionnait Dieu, étant bien entendu qu'il s'agit du Dieu de tous les peuples, de toute l'humanité, et non pas d'un Dieu particulier. À votre avis, est-ce que cela serait positif? Nous sommes le seul pays du monde qui accepte de nouveaux citoyens sans mentionner le nom de Dieu. À votre avis, est-ce que cela serait plus positif?

Mme Latha Sukumar: À mon avis? Je suis agnostique. Pour moi, cela ne ferait aucune différence.

M. Ram Selvarajah: Je pense que non, que ce n'est pas une bonne idée de mettre Dieu là-dedans, surtout à une époque où on s'écarte des références à Dieu pour mettre en évidence la personnalité, la personne individuelle. Une affirmation est suffisante.

Mme Jean Augustine: Maintenant, vous avez eu assez de temps.

M. John Bryden: Maintenant je regrette d'en avoir parlé.

Mme Jean Augustine: D'accord, allez-y.

M. John Bryden: C'est un aspect important de la question.

Vous nous avez donné votre opinion personnelle, mais j'aimerais que vous nous parliez de la réaction probable des gens qui viennent de votre partie du monde. Est-ce que pour eux ce serait important? Cela nous intéresse particulièrement parce que nous voudrions savoir si cela rendrait l'occasion plus solennelle. Si nous tenons à la solennité... Peut-être ne voyez-vous pas le rapport, je vais donc l'exprimer autrement. Pensez-vous que le serment de citoyenneté constitue une sorte de contrat, ou bien pensez-vous qu'il représente un engagement quelconque?

Mme Latha Sukumar: Absolument. C'est une question qui n'est pas facile pour moi à cause de mes croyances personnelles. Toutefois, toute cette notion de religion, et Dieu est associé à la religion, est difficile pour des pays comme l'Inde. En effet, on a souvent utilisé la religion pour nous opprimer, avec le système des castes, avec les groupes religieux fondamentalistes qui exercent une discrimination contre d'autres minorités religieuses... Il est possible que tout cela n'ait pas une connotation très positive, mais il est possible que cela ajoute une certaine valeur, c'est concevable.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Il vous reste deux minutes, donc si Mme Augustine veut...

M. John Bryden: D'accord, je terminerai au second tour.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): C'était le second tour.

M. Ram Selvarajah: J'aimerais faire un commentaire au sujet de votre question. Lorsque nous prêtons le serment de citoyenneté, c'est un contrat entre nous et la communauté, et non pas un contrat entre nous et Dieu.

M. John Bryden: Jean, vous me permettez une courte observation? Il faut que vous me laissiez terminer.

Cela dit, j'espère que vous savez que la Constitution canadienne contient une invocation à Dieu. Est-ce que vous préféreriez qu'au lieu de vous demander de prêter serment devant Dieu nous vous disions que vous venez vous joindre à un peuple qui est unit devant Dieu, un peuple de Dieu? Est-ce que cela vous semblerait plus acceptable, en tant qu'agnostique d'un pays étranger qui arrive au Canada pour se joindre à un groupe de personnes qui se considèrent unies devant Dieu?

M. Ram Selvarajah: Unis, certainement, mais pas devant Dieu; qui est Dieu, de toute façon?

M. Grant McNally: Cela, c'est tout un autre débat.

M. Ram Selvarajah: En effet, unis, certainement, mais pas devant Dieu.

M. John Bryden: C'est très intéressant.

Mme Latha Sukumar: Avant de pouvoir répondre, je devrais sonder les gens de ma communauté.

Mme Jean Augustine: Nous nous sommes attardés beaucoup aux aspects négatifs du projet de loi. J'aimerais tout de même que vous me disiez s'il y a deux ou trois aspects du projet de loi qui vous semblent une amélioration, par rapport à ce qui existait.

M. Ram Selvarajah: Nous aimerions que la citoyenneté soit maintenue pour les enfants nés au Canada, peu importe l'origine de leurs parents. Nous serions très heureux que vous adoptiez également la clause sur l'adoption, même si la façon dont elle s'applique nous préoccupe un peu. L'adoption a toujours été un phénomène important, et particulièrement pour les immigrants provenant de pays déchirés par la guerre: il leur arrive souvent de vouloir adopter des enfants dans leur pays d'origine pour les ramener ici... et c'est merveilleux. Différentes collectivités vous parlent souvent de ce qui leur semble négatif, et ne semblent pas suffisamment louer le gouvernement pour ce qu'il fait. Je sais que vous, pour votre part, vous aimeriez bien qu'on vous dise que le gouvernement libéral fait des choses fantastiques, mais malheureusement, nous préférons nous attarder à ce qu'il devrait faire et n'a pas encore entrepris.

• 1920

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Vous et quelques autres aussi.

Monsieur McNally, vous avez une question?

M. Grant McNally: Ne trouvez-vous pas que c'est là un excellent propos d'introduction? On a l'impression d'entendre l'opposition.

D'abord, un bref commentaire, puis une petite question. Je comprends ce que vous avez dit au sujet du serment. J'ai moi-même enseigné aux États-Unis pendant un an, et tous les matins, je devais lire, à partir d'un petit bout de papier, le serment d'allégeance au drapeau américain, que devaient répéter tous les enfants de la classe. Évidement, ce serment n'avait pas le même sens pour moi que pour eux.

Vous avez dit à la toute fin, et vous l'avez inscrit dans votre mémoire, que le comité permanent devrait mener une campagne approfondie de sensibilisation de la population; à vrai dire, je doute que cela soit de notre ressort. Mais pourriez-vous nous faire quelques suggestions?

Mme Latha Sukumar: D'abord, si toutes les communautés ethniques savaient que vous vous proposez d'imposer que le test de citoyenneté soit mené dans les langues officielles, il y aurait un tollé de protestation. Il faudrait que nous en discutions beaucoup plus avec les membres de nos communautés. Moi-même, j'occupe différentes fonctions. Je pratique le droit, mais je gère également un service d'interprètes, et il m'arrive souvent de m'occuper de personnes assez âgées, de plus de 60 ans, qui demandent la citoyenneté canadienne mais qui doivent suivre des cours intensifs de langue qui durent plusieurs mois avant de pouvoir réussir leur test de citoyenneté, même dans les circonstances présentes. Si vous devez les obliger à subir le test en anglais ou en français, cela leur rendra la vie encore plus difficile.

J'ai l'impression que les différents groupes ethniques ne sont pas au courant de ce que vous proposez ni des démarches que vous entendez instaurer. Prenez, par exemple, le critère de la présence physique: il y a beaucoup d'immigrants qui nous arrivent de l'Asie du sud qui sont des experts-conseils techniques ou financiers et qui travaillent beaucoup aux États-Unis, par exemple. S'ils étaient au courant de cette disposition, ils auraient sans doute beaucoup à dire, et réagiraient beaucoup plus qu'ils ne le font actuellement.

M. Ram Selvarajah: Il faut faire la distinction entre la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur l'immigration, qui sont toutes deux, en même temps, en voie de révision. Il est difficile pour quelqu'un de comprendre de quelle loi exactement relève telle ou telle disposition, car les deux lois sont liées de toute façon.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup. Soit dit en passant, ce n'était certainement pas facile de prendre la parole après les témoins précédents, mais vous avez fait du très bon travail.

Mme Latha Sukumar: Pas vraiment.

M. John Bryden: Mais ils n'ont pas non plus répondu à nos questions.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Mais cela ne veut pas dire que les témoins n'ont pas fait du bon travail. Il nous arrive souvent de ne pas avoir de réponses aux questions que nous posons. Merci d'avoir comparu.

Nous accueillons notre dernier témoin d'aujourd'hui: il s'agit d'Avvy Yao-Yao Go de la Clinique juridique chinoise et asiatique du sud-est de la région métropolitaine de Toronto Bienvenue.

Mme Avvy Yao-Yao Go (avocate et conseillère juridique, directrice de la clinique, Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic): Merci. Je m'appelle Avvy Go, et je dirige actuellement la Clinique juridique chinoise et asiatique du sud-est de la région métropolitaine de Toronto.

Notre clinique est l'une des rares cliniques juridiques, et nous représentons l'un des rares groupes communautaires chinois et asiatiques du sud-est à avoir participé à la consultation, avant et après la LRAG. J'ai pris part moi-même aux consultations, et peut-être même à celles que vous avez mentionnées, mais je n'en suis pas sûre. C'était à l'époque où M. Marchi était le ministre, et je me rappelle être venue à Ottawa et avoir pris la parole devant une foule de 200 personnes. Mais je ne me rappelle pas que l'on ait discuté de citoyenneté.

Quoi qu'il en soit, je remercie le comité permanent de m'avoir invitée à vous parler d'une question qui me touche beaucoup. À titre d'avocate, j'ai travaillé avec les immigrants et avec les réfugiés depuis—je ne voudrais pas dire depuis quand...

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Cela ne peut pas faire si longtemps que cela.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Plus longtemps que vous ne le croyez. Le projet de loi sur la citoyenneté est sans doute l'une des mesures législatives les plus importantes que le gouvernement ait déposées au cours des dernières années. Il importe donc que vous vous penchiez avec soin sur les répercussions que pourrait avoir le projet de loi pour les groupes d'immigrants et de réfugiés avant qu'il n'ait force de loi.

• 1925

J'ai déposé un mémoire qui décrit nos grandes préoccupations et qui vous recommande certains changements en vue d'améliorer le projet de loi.

J'invite les membres du comité à le lire. Je ne le parcourrai pas en entier, car je préférerais commencer mon témoignage par une anecdote personnelle, qui remonte à un événement qui est survenu il y a plusieurs années, peu après que les libéraux eurent défait les conservateurs et furent devenus le gouvernement.

À cette époque, on avait organisé une activité destinée à honorer les diverses députées dont l'action communautaire remontait à plusieurs années. D'ailleurs, Mme Augustine était présente. Je me rappelle avoir entendu ce soir-là une des nouvelles députées parler très éloquemment de la façon dont sa mère, immigrante de première génération, avait dû lutter pour élever ses enfants et les mener sur la voie du succès. Pendant que cette députée nous expliquait tout cela, sa mère—les larmes aux yeux mais très fière—écoutait un interprète qui lui traduisait la moindre parole de sa fille. En effet, cette femme ne parlait elle-même pas un mot d'anglais, même si elle avait vécu au Canada pendant 20 à 30 ans et qu'elle avait travaillé toute sa vie dans une manufacture pour élever ses enfants.

Bien sûr, en ce jour de grande fierté pour elle, son ignorance de l'anglais lui importait sans doute peu. Ce qui lui importait surtout, c'est qu'elle avait fait de sa famille et d'elle-même de fiers Canadiens. Or, cette fière Canadienne aurait pu ne pas en devenir une si le projet de loi C-63, et particulièrement l'article 6 du projet de loi, avait eu force de loi à l'époque où elle est arrivée au Canada. Pourquoi? Parce que l'article 6 interdit que l'on ait recours à un interprète pour passer l'examen de citoyenneté.

Vous vous demandez peut-être pourquoi je vous raconte cette anecdote. Évidemment, ce qui est arrivé à la mère de cette députée lui est arrivé il y a de cela longtemps, et les immigrants ont aujourd'hui la chance de pouvoir apprendre l'anglais. Malheureusement, les défis qu'a dû relever cette femme sont les mêmes que ceux que doivent relever des milliers d'immigrants et de réfugiés d'aujourd'hui, et tout comme il y a 20 ou 30 ans, nombre d'immigrants se retrouvent aujourd'hui dans des ghettos d'emplois mal rémunérés, à gagner des salaires dérisoires, parfois moins que le salaire minimum. Cela les oblige donc à de très longues heures de travail, ne serait-ce que pour pouvoir boucler les fins de mois. Les femmes immigrantes continuent à occuper deux emplois à temps plein, tout comme elles le faisaient il y a 20 ou 30 ans, car elles travaillent à l'extérieur, puis s'occupent des enfants au foyer.

Ces personnes manquent déjà de temps pour s'occuper d'elles-mêmes et elles en ont encore moins pour suivre des cours de langue. Même si elles veulent apprendre l'anglais ou participer à des activités communautaires pour s'intégrer à la société, elles n'ont peut-être pas l'occasion de le faire en raison des coupes considérables que font tous les niveaux de gouvernement dans le financement des services d'établissement, y compris les cours de langue. Il n'y a tout simplement pas suffisamment de services et d'argent pour permettre aux immigrants de bien s'intégrer et de pouvoir acquérir la connaissance de l'anglais dont ils ont grandement besoin.

Par conséquent, en refusant aux gens les services d'un interprète pour subir l'examen des connaissances, le gouvernement envoie deux messages au public. Premièrement, cela revient à dire que ceux qui ne parlent pas l'anglais ou le français ne sont pas de vrais Canadiens et ne sont pas des citoyens à part entière. Deuxièmement, comme on l'a déjà souligné, cela revient à refuser la citoyenneté, l'un des principaux droits qui définissent les habitants du Canada, aux immigrants qui ne parlent pas anglais, ce qui est injuste.

Comme l'a souligné le témoin précédent, nous estimons que cette loi va à l'encontre des droits que la Charte des droits et libertés accorde aux immigrants, notamment le droit à l'égalité devant la loi, et qu'elle est contraire aux principes du multiculturalisme, qui font également partie de la Charte et qui font du Canada ce qu'il est aujourd'hui.

Mais l'article 6 n'est pas la seule disposition qui soit mauvaise dans le projet de loi C-63. Comme d'autres l'ont déjà souligné, ce projet de loi pose un autre problème fondamental en accordant à la ministre de la Citoyenneté et à ses délégués le pouvoir de décider qui peut obtenir la citoyenneté, quand la citoyenneté peut être refusée à quelqu'un et quand elle peut être révoquée. Les pouvoirs considérables qui sont confiés au ministre au nom de l'intérêt public et de la sécurité nationale, sans que les tribunaux ne puissent vraiment les réexaminer, ont pour effet de confier au gouvernement des pouvoirs presque absolus sur une question d'une importance fondamentale. Ce serait très bien si nous vivions en dictature, mais le Canada est un pays démocratique qui se fonde sur des concepts très important comme la séparation des pouvoirs et l'existence de freins et de contrepoids. En accordant au ministre toute une série de nouveaux pouvoirs qui ne peuvent pas être examinés, le projet de loi C-63 va à l'encontre de ces principes importants.

• 1930

Une dernière chose qui nous inquiète—mais nous émettons dans notre mémoire d'autres préoccupations dont je ne parlerai pas ici—est le changement concernant la présence effective selon lequel le temps qu'une personne aura passé au Canada avant d'acquérir la résidence permanente ne sera pas compté. Il n'y a absolument aucune raison d'imposer cette nouvelle exigence qui est discriminatoire envers de nombreux réfugiés au sens de la convention, et envers d'autres personnes qui ont attendu des années avant d'obtenir la résidence permanente, souvent pour des raisons indépendantes de leur volonté et parfois en raison des retards causés par Immigration Canada.

Pour terminer, je voudrais citer la documentation fournie pour l'examen de citoyenneté qui donne la liste des responsabilités du citoyen que le gouvernement demande aux immigrants d'assumer. Voici:

    En tant que citoyens canadiens, nous partageons la responsabilité de:

    Voter aux élections.

... et c'est sans doute de bonnes nouvelles pour vous...

    Travailler pour aider les autres membres de la collectivité.

    Préserver le patrimoine du Canada.

    Obéir aux lois du Canada.

    Exprimer librement ses opinions tout en respectant les droits et libertés des autres.

    Éliminer la discrimination et l'injustice.

J'exhorte le comité à faire en sorte que le gouvernement joigne le geste à la parole. Je vous demande de veiller à ce que le gouvernement obéisse aux lois du Canada, y compris la plus haute loi du pays; à vraiment respecter les droits et libertés des immigrants et des réfugiés et à éliminer la discrimination et l'injustice que l'on retrouve dans ce projet de loi.

Je vous remercie.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Merci beaucoup.

C'est au tour de M. McNally.

M. Grant McNally: Merci, monsieur le président et merci de votre exposé.

Vous nous avez donné de quoi réfléchir et certains des mêmes thèmes reviennent continuellement. La question des pouvoirs discrétionnaires semble revenir souvent et, comme vous l'avez mentionné vers la fin de votre exposé, vous estimez que ce projet de loi confère au pouvoir exécutif des pouvoirs—je crois que vous avez dit...

Mme Avvy Yao-Yao Go: Qui échappent à tout examen.

M. Grant McNally: ...des pouvoirs qui échappent à tout examen. Je dois vous dire qu'il y a déjà plusieurs domaines dans lesquels le ministre possède ces pouvoirs, notamment dans le cas de la Loi sur l'immigration plutôt que la Loi sur la citoyenneté—bien que ces deux lois soient reliées l'une à l'autre à bien des égards comme on l'a déjà mentionné—pour l'expulsion des criminels de guerre, au paragraphe 19(1.1). Une personne qui ne peut obtenir la citoyenneté pour cette raison n'a aucun droit d'appel, aucun droit d'en appeler aux tribunaux et ne peut pas faire réexaminer la preuve, ce qui est déjà inquiétant. D'après ce que vous dites, j'ai l'impression que vous redoutez le même problème.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Oui, si ce n'est que dans le cas des criminels de guerre, cela peut sans doute se justifier. Mais comment pouvez-vous mettre dans le même panier des personnes qui vivent au Canada depuis des années et révoquer leur citoyenneté simplement parce que, comme je l'ai vu dans certains cas, elles sont arrivées comme personnes à charge et se sont mariées juste avant leur arrivée au Canada si bien que, pour des raisons artificielles, elles n'entrent plus dans la définition des immigrants de la catégorie de la famille? Toutes ces exigences faussent la situation. Je ne vois pas comment vous pouvez mettre ces personnes dans le même panier que des criminels de guerre.

M. Grant McNally: En effet. Je comprends ce que vous voulez dire, vous vous demandez quel raisonnement on a suivi pour inclure cette disposition dans le projet de loi. La ministre voulait sans doute exclure des individus qui pouvaient poser des problèmes, mais ce faisant...

Mme Avvy Yao-Yao Go: C'est sans doute une idée des bureaucrates.

• 1935

M. Grant McNally: Je ne vais pas me lancer dans une discussion là-dessus avec vous, mais ce faisant on a peut-être sans le vouloir créé toutes sortes de difficultés pour des gens qui risquent de se trouver exclus pour des raisons indépendantes de leur volonté. C'est ce que vous faites valoir.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Oui, et même dans les cas où ces personnes ont peut-être commis une faute, les conséquences sont démesurées par rapport à la gravité du péché qu'elles ont commis, si je puis dire, et ces personnes seront traitées de la même façon que les criminels de guerre qui perdront leur citoyenneté.

M. Grant McNally: Pour en revenir à ce que vous avez dit au départ, en tant qu'ancien professeur d'anglais langue seconde dans la région de Vancouver, j'ai vu défiler toutes sortes de gens, jeunes et vieux, ayant des antécédents différents et venant de différents pays et je comprends donc vos inquiétudes pour ce qui est du manque de services et de ses conséquences. J'ai certainement pu voir quels en étaient les effets. Selon vous, quels sont les besoins en ce qui concerne les services?

Mme Avvy Yao-Yao Go: D'abord, il faudrait consacrer beaucoup plus d'argent aux services d'établissement. Malheureusement, comme depuis quelques années le gouvernement fédéral se décharge de ses responsabilités sur les instances inférieures, y compris les municipalités... Et bien entendu, en Ontario, la situation est aggravée en raison de la nature du gouvernement actuel qui ne s'intéresse pas vraiment aux services aux immigrants. Nous constatons donc l'érosion de tous les services offerts aux immigrants, tant pour ce qui est des cours de langue que des autres services d'établissement.

Comment peut-on dire aux gens qu'ils doivent s'intégrer, qu'ils doivent apprendre l'anglais...? C'est très bien, mais il faudrait joindre le geste à la parole. Si vous voulez que les gens s'intègrent, qu'ils apprennent la langue, vous devez investir dans ces domaines. Si vous n'y consacrez pas l'argent nécessaire, vous ne pouvez pas reprocher à quelqu'un de ne pas parler un mot d'anglais après avoir vécu ici pendant cinq ans ou dix ans. En réalité, sans subvention, sans appui et sans services, certaines personnes comme ma mère n'apprendront jamais.

M. Grant McNally: Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Monsieur Bryden.

M. John Bryden: À propos de l'article 6 et de la connaissance suffisante des langues officielles du Canada, je me demande si vos inquiétudes ne sont pas injustifiées en ce sens que tout dépend de l'interprétation d'une connaissance «suffisante». La ministre aura certainement l'occasion de définir l'adjectif «suffisante» dans le règlement. Il peut suffire, par exemple, de comprendre le mot «stop» ou «arrêt» sur un panneau indicateur ou de connaître les mots de base dont on peut avoir besoin en arrivant au Canada pour pouvoir sortir de chez soi sans danger, pour savoir ce qu'est la droite ou la gauche en anglais ou en français. Je ne crois pas qu'il y ait vraiment lieu de s'inquiéter.

Néanmoins, l'alinéa 6(1)d) est un peu plus préoccupant étant donné qu'il est très précis. Il y est dit que vous devez posséder une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté et être capable d'exprimer cette connaissance dans l'une des langues officielles sans l'aide d'un interprète. Néanmoins, si nous pouvions résumer ces responsabilités et ces avantages en un paragraphe à l'intention des nouveaux arrivants, ne serait-il pas normal que ces derniers puissent les énumérer, disons en 25 mots anglais ou français?

Mme Avvy Yao-Yao Go: Avant de répondre à votre question, je dois souligner que l'alinéa 6(1)c) est le même que dans la loi actuelle et que je n'ai donc pas à aborder cette disposition. Je parlais seulement du recours à un interprète. Pour le moment, on permet aux gens de se faire aider par un interprète s'ils ont de la difficulté à parler à...

M. John Bryden: Cela revient au même. Vous devriez posséder un minimum de vocabulaire.

• 1940

Mme Avvy Yao-Yao Go: Cette nouvelle disposition ne permettra pas d'obtenir l'aide d'un interprète. J'ai une cliente de 58 ans, qui se trouve juste en dessous de la limite de 60 ans et qui n'est donc pas exemptée automatiquement. Elle est toutefois analphabète, même dans sa propre langue. Elle n'a pas pu apprendre l'anglais. Elle a tenté à trois reprises d'obtenir la citoyenneté. Tous ses enfants et petits-enfants sont des citoyens canadiens. Elle n'a pas pu réussir l'examen.

En pareil cas... elle s'est fait accompagner de sa fille pour parler au juge et lui servir d'interprète. La dernière fois, le juge de la citoyenneté a accepté. Elle a pu réussir l'examen. Le représentant de la ministre a toutefois annulé cette décision.

Voilà pourquoi je m'inquiète vivement, non seulement de ce qu'il n'est pas possible d'obtenir l'aide d'un interprète, mais également du fait que ce sont les bureaucrates qui prennent les décisions.

M. John Bryden: Nous partageons vos inquiétudes en ce qui concerne les bureaucrates. Mais je ne vois pas d'objection à ce qu'on exige que les nouveaux Canadiens puissent reconnaître les mots «stop», «arrêt», «right» et «droite». Vous devriez posséder au moins un vocabulaire d'une vingtaine de mots. Peu importe que vous sachiez lire ou non. Vous devriez pouvoir reconnaître les mots qui vous permettront de circuler en sécurité sans l'aide d'un interprète.

Mme Avvy Yao-Yao Go: C'est sans doute une bonne chose et il faudrait s'efforcer d'y parvenir. Mais je veux vous faire comprendre... Tout d'abord, je ne suis pas linguiste et j'ignore combien il est difficile ou facile de retenir ou de réciter 25 ou 30 mots dans une langue qu'on ne connaît pas. Je ne sais même pas dans quelle mesure ce genre de test serait réaliste.

Mais ce qui est vraiment inquiétant...

M. John Bryden: Nous pouvons certainement exiger qu'au moins, les personnes qui veulent obtenir la citoyenneté canadienne, puissent réciter 25 ou 30 mots contenant la définition de leurs droits et privilèges.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Encore une fois, j'ignore dans quelle mesure c'est réaliste et je ne pense pas que... Ce n'est pas très équitable en ce sens que vous conceviez un test de connaissance sans examiner la façon dont les gens font l'acquisition d'une langue.

Étant donné que pour l'apprentissage de l'anglais langue seconde, le niveau de formation linguistique... Comme vous le savez peut-être, il y a différents niveaux. En principe, pour que les choses soient un peu plus objectives, on pourrait exiger que vous terminiez la première étape du cours de langue pour les immigrants au Canada ou un niveau équivalent. Mais je ne sais pas. J'ignore quelle sera la teneur du règlement.

M. John Bryden: Dans ce cas, laissez-moi terminer. Suivant votre raisonnement, un nouveau Canadien n'aurait pas à prêter le serment de citoyenneté dans l'une ou l'autre des deux langues officielles. Bien entendu, si le serment de citoyenneté était bien rédigé—et je ne crois pas qu'il le soit actuellement—il devrait contenir la description de ce que c'est qu'être Canadien.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Même maintenant, pour prendre l'exemple de ma mère, je ne pense pas que le jour où elle a prêté le serment d'allégeance elle ait vraiment récité le serment. Je pense qu'elle a simplement...

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): En espérant que personne ne regardait?

Mme Avvy Yao-Yao Go: Je la regardais.

Je crois qu'en réalité c'est ce qui se passe déjà quotidiennement.

M. John Bryden: Mais c'est une bonne chose?

Mme Avvy Yao-Yao Go: Non, ce n'est pas... Ce n'est pas une bonne chose ou une mauvaise chose. Mais je pense que...

M. John Bryden: Il faut que ce soit l'un ou l'autre. C'est...

Mme Avvy Yao-Yao Go: Les gens ont intérêt à pouvoir parler anglais. Mais encore une fois, il s'agit de leur en donner les moyens. Vous ne pouvez pas seulement dire que la loi exige qu'ils apprennent l'anglais. Vous devez mettre en place des services...

M. John Bryden: Désolé, monsieur le président, je vais simplement terminer et m'arrêter là.

Le fait est que, dans le cadre de ce processus, notre pays a le droit de faire comprendre ce que c'est qu'être canadien. Je reconnais que, tant sous son ancienne que sous sa nouvelle forme, le serment de citoyenneté n'est pas tellement utile, car il ne décrit pas vraiment ce que c'est qu'être Canadien. Il n'y est pas question de la primauté du droit. Il n'y est pas question du respect des droits de la personne. Et je crois qu'il faudrait en faire mention. Mais si vous inscrivez ce genre de chose dans le serment de citoyenneté, il faut le formuler de façon à ce que l'intéressé puisse comprendre la teneur de ce serment.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Oui, et le meilleur moyen est de le formuler dans la langue que les gens comprennent.

• 1945

M. John Bryden: Je disais simplement que vous pourriez satisfaire entièrement aux exigences de l'alinéa 6(1)d) si le serment de citoyenneté était formulé en 25 mots décrivant les droits, responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté et si ce serment était prêté dans l'une des deux langues officielles. Mais vous me dites que c'est encore trop demander.

Mme Avvy Yao-Yao Go: N'étant pas linguiste, je ne sais pas si c'est réaliste.

M. John Bryden: Nul n'est besoin d'être linguiste. Permettez-moi de vous dire que 25 mots, c'est 25 mots, peu importe la langue.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Vous devriez vraisemblablement la laisser répondre.

M. John Bryden: Effectivement, excusez-moi. Steve est un bon bougre.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Ce n'est pas un débat.

M. John Bryden: Excusez-moi. De toute façon, merci infiniment. Vous avez été très directe.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Voulez-vous dire autre chose à M. Bryden?

Mme Avvy Yao-Yao Go: Non, je crois que nous continuerons à camper sur nos positions respectives.

M. John Bryden: Merci beaucoup.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Madame Augustine.

Mme Jean Augustine: Il y a ce qu'on appelle le par coeur, et cela consiste à nommer des mots sans vraiment... il faut reconnaître, je crois, qu'il était impossible de le faire en 25 mots, de les mémoriser et de les sortir.

Je voudrais vous dire que ce comité est très conscient de votre réputation, de celle de la clinique et des gens que vous desservez. Nous prenons donc votre exposé très au sérieux et je suis sûre que nous nous mettrons de nouveau en rapport avec vous à mesure que nous progresserons.

Je voudrais revenir à la question des commissaires à la citoyenneté. Il me semble que le rôle du commissaire vu par notre comité et vu par les trois intervenants est différent. D'après ce que j'ai pu comprendre, le commissaire ne serait pas un bureaucrate qui serait détaché de son poste actuel dans la fonction publique et promu, mais il jouerait un rôle très similaire à son rôle précédent où on supprimerait la confusion que suscitait le juge tout en ajoutant des fonctions de sensibilisation, de travail communautaire, etc. C'est ainsi que je vois le rôle du commissaire, d'après ce qu'en dit la loi.

Pouvez-vous nous dire quel est ce rôle, à votre avis? Il semble qu'il y ait confusion.

Mme Avvy Yao-Yao Go: En effet. À mon avis, ces commissaires seraient des juges mais ne pourraient plus décider de l'issue des demandes de citoyenneté, ce qui rejoint ce que Mme Williams disait tout à l'heure. Ils joueront un rôle d'information, iront dans les écoles parler des droits et responsabilités des citoyens mais ils ne prendront plus de décisions sur l'octroi de la citoyenneté canadienne.

À l'heure actuelle, de nombreux cas sont décidés par les juges de la citoyenneté car on peut choisir soit une épreuve écrite qui consiste, je crois, en des questions à choix multiples, soit passer devant un juge de la citoyenneté. En règle générale, ceux qui passent devant des juges de la citoyenneté sont ceux qui ne parlent pas très bien anglais. Ils viennent avec leurs interprètes et le juge de la citoyenneté leur parle et décide de leur accorder la citoyenneté ou non.

Ce ne sera plus possible de procéder ainsi dorénavant car, d'après le projet de loi tel que je l'interprète, la plupart des cas seront décidés comme des épreuves écrites. Soit on leur accorde la citoyenneté, soit on ne la leur accorde pas. Ces décisions seront revues dans certains cas particuliers uniquement. Elles ne seront donc pas prises par ces commissaires qui font du travail de sensibilisation. Nous ne pensons pas que les commissaires sont des bureaucrates qui prennent des décisions, mais plutôt qu'ils ne prennent pas de décisions; ceux qui les prennent sont les bureaucrates.

Mme Jean Augustine: Bien. Il me semble que le paragraphe 31(7) établit une liste de toute une série d'attributions—les commissaires président les cérémonies de citoyenneté, ils encouragent la participation active des citoyens au sein de la collectivité, ils conseillent le ministre à la demande de ce dernier concernant les demandes de citoyenneté, l'exercice des pouvoirs discrétionnaires du ministre et les méthodes de vérification des connaissances des demandeurs en ce qui concerne les langues officielles.

• 1950

Mme Avvy Yao-Yao Go: J'essaie de trouver dans l'ancienne loi que m'a généreusement prêtée Mme Williams... Excusez-moi, je n'arrête pas de l'appeler l'ancienne loi; c'est en fait la loi en vigueur.

Mme Jean Augustine: Effectivement.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Je peux comparer ou vous exposer le rôle des juges de la citoyenneté. Cela permettrait peut-être de faire ressortir les différences entre les deux.

Mme Jean Augustine: En fait, j'essayais seulement de comprendre comment vous pouvez y voir une opération bureaucratique.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Parce que c'est ce qui manque sur cette liste.

Mme Jean Augustine: D'accord. Nous allons nous pencher là-dessus. Le comité pourrait peut-être comparer les deux et étudier cette question.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Oui.

Mme Jean Augustine: D'autre part, monsieur le président, je voudrais que Mme Go nous dise ce qu'elle pense de toute cette discussion sur les pouvoirs discrétionnaires dont nous avons parlé tout à l'heure. Je crois que c'est une question importante qu'il faudra aborder lorsque nous discuterons de ce projet de loi.

Êtes-vous d'accord avec ce que Mme Williams a dit à ce sujet? Quels pouvoirs discrétionnaires devrions-nous faire ressortir?

Mme Avvy Yao-Yao Go: Je souscris totalement à la position exprimée par Mme Williams. Sans parler des problèmes que j'ai abordés tout à l'heure à propos de la personne qui devrait prendre la décision et, une fois cette décision prise, si le système devrait être muni de freins et de contrepoids, je dirais que cette question de pouvoirs discrétionnaires est particulièrement importante dans le domaine de l'immigration et de la citoyenneté.

Déjà, dans le contexte de l'immigration, c'est un domaine de la loi—et certains disent que ce n'est pas vraiment une loi étant donné que les agents d'immigration disposent de tant de pouvoirs discrétionnaires. Très souvent, les décisions prises varieront selon les agents, et comme ils sont des êtres humains, ils ont tendance, en l'absence de paramètres et de lignes directrices législatives claires et nettes, à prendre des décisions fondées sur leurs propres préjugés et expériences. C'est le problème que pose en partie le pouvoir discrétionnaire. Il ne s'agit pas simplement d'accorder un pouvoir discrétionnaire à n'importe qui; c'est que ce pouvoir discrétionnaire est accordé à des agents d'immigration qui ne rendent directement compte à personne sauf à la ministre elle-même, au bout du compte.

Ce sont ces facteurs, auxquels il faut ajouter l'inquiétude provenant des gens de couleur. Nous avons vu de nombreux exemples ou de cas où ces pouvoirs discrétionnaires sont exercés de manière à avoir un impact disproportionné sur les gens de couleur. Un exemple en serait les ordonnances d'expulsion, les certificats de danger public où l'on constate que 99,9 p. 100 des gens qui en font l'objet sont des gens de couleur. Ce n'est pas un hasard. Nous avons vu, dans d'autres cas ayant trait à l'immigration, comment les agents exercent leur pouvoir discrétionnaire lorsque des considérations humanitaires sont en jeu. De nombreux problèmes systémiques existent également.

Il y a de grands concepts dans ce projet de loi en particulier—intérêt public, sécurité nationale—aucun d'entre eux n'est défini. Parallèlement, ce projet de loi donne beaucoup de pouvoir à ces agents qui sont des êtres humains. Vous courez droit à la catastrophe.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Malgré ce que j'en pense, je vais autoriser M. Bryden à poser une question très brève.

M. John Bryden: À la suite de notre conversation, et en ma qualité d'ancien rédacteur en chef, j'ai essayé de réduire au minimum le serment définissant les principes de la citoyenneté canadienne. Je l'ai réduit à 40 mots. J'aimerais les réciter, avec l'autorisation du président, et j'aimerais ensuite vous demander si tout le monde pourrait l'apprendre dans l'une ou l'autre langue officielle. Le voici:

    En prêtant serment au Canada, je prends ma place parmi les Canadiens, un peuple uni par les cinq principes suivants: l'égalité des chances, la liberté d'expression, la démocratie, le respect des droits de la personne et la primauté du droit.

Les gens pourront-ils apprendre ce serment en anglais ou en français? Est-ce trop leur demander?

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Il n'y a rien là-dedans à propos des beignes de chez Tim Horton?

M. John Bryden: Non, absolument rien.

Mme Jean Augustine: Rien à propos de Dieu non plus.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Déroulez le bord pour gagner.

M. John Bryden: Ni à propos de la reine—fini, la reine.

• 1955

Mme Avvy Yao-Yao Go: Je pense que ce serment est bien meilleur que celui que nous devons prêter actuellement. Ce serait une bonne chose à ajouter. Là encore, je ne sais pas s'il est si facile que cela de l'apprendre.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Je pense qu'il est bon de mettre fin à nos audiences en faisant une observation positive à propos d'une des suggestions de M. Bryden.

M. John Bryden: Il est évident que je n'aurai pas le dernier mot.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Cela dit, je vous remercie de votre exposé. Nous apprécions à sa juste valeur les efforts que vous et les autres avez déployés pour venir ici. Nous vous remercions de vos conseils.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Merci.

Le président suppléant (M. Steve Mahoney): Nous reprendrons nos travaux à 15 h 30, le mercredi 21 avril en l'an 1999 de Notre Seigneur. Il fallait bien que je Le place quelque part.