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CITI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CITIZENSHIP AND IMMIGRATION

COMITÉ PERMANENT DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 1er avril 1998

• 1554

[Traduction]

Le président (M. Stan Dromisky (Thunder Bay—Atikokan, Lib.)): À l'ordre. Nous allons ouvrir officiellement la séance dans 30 secondes. Tous les députés ne sont pas encore arrivés. Je ne sais pas si c'est parce que certains d'entre eux se préparent pour un vote, c'est peut-être la raison pour laquelle ils ne viennent pas. Il doit y avoir un vote, mais nous ne savons pas exactement quand va sonner la cloche. Je crois que nous devrions commencer, parce que nous avons ici un groupe de témoins de haut niveau qui a beaucoup de choses à nous apprendre.

Je déclare maintenant la séance officiellement ouverte conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, considération de la recommandation 155 du rapport du Groupe consultatif sur la révision de la législation, intitulé Au-delà des chiffres: l'immigration de demain au Canada traitant particulièrement de détention et d'ordonnances d'expulsion.

• 1555

Nous avons beaucoup de chance de pouvoir accueillir nos témoins d'aujourd'hui, et parmi eux, François Crépeau et France Houle. L'un est professeur de droit et l'autre avocate en immigration. Pour représenter la Toronto Refugee Lawyers Association, nous avons Michael Crane. Avvy Yao-Yao Go représente la Metro-Toronto Chinese and Southeast Asia Legal Clinic. Enfin, Gordon Maynard est venu de Vancouver pour représenter l'Association du Barreau canadien. Je vous souhaite la bienvenue. Demain, vous pourrez peut-être rattraper le sommeil perdu, Gordon.

Parfait. Nos cinq témoins sont ici. Nous allons commencer par François. C'est une table ronde. Chacun d'entre vous pourra faire un exposé s'il le souhaite. Une fois que tout le monde aura terminé, les membres du comité commenceront à poser des questions. Si quelqu'un lance une idée ou aborde un domaine en particulier, les autres membres pourront s'y intéresser jusqu'à ce que le sujet soit épuisé. Nous passerons alors à un autre sujet. Il n'y aura pas d'ordre déterminé. Tout dépendra des membres du comité et des questions qu'ils voudront bien vous poser.

François, êtes-vous prêt à commencer?

[Français]

M. François Crépeau (professeur de droit à l'Université du Québec à Montréal; témoigne à titre personnel): Je voudrais d'abord remercier le comité de nous avoir invités à faire une présentation sur la question. Cela fait suite au rapport qu'on a déposé lors des consultations que la ministre a tenues à Montréal, il y a quelques semaines, où nous avions déposé un rapport sur la question de la protection des réfugiés.

Pour votre gouverne, vous trouverez des notes biographiques à la fin du rapport que nous avons remis tout à l'heure, en arrivant. Nous nous excusons des erreurs et omissions éventuelles que vous trouverez dans le rapport. J'ai trouvé quelques erreurs qui sont dues principalement au peu de temps que nous avons eu pour préparer ce rapport.

Nous traiterons essentiellement de la question du traitement des demandeurs d'asile au point d'entrée et en particulier de la détention des demandeurs d'asile au point d'entrée au Canada. Pour placer cette question dans son contexte, je voudrais signaler que le nombre des demandes d'asile au Canada est relativement stable depuis quelques années, soit entre 20 000 et 25 000 par année. Cela s'est stabilisé non seulement au Canada, mais aussi dans l'ensemble des pays occidentaux. Cela a même décru fortement dans de nombreux pays.

Une des raisons de cette stabilisation ou de cette décroissance du nombre des demandes d'asile, c'est l'ensemble des mesures que les pays occidentaux, collectivement ou individuellement, ont mises en oeuvre, à l'intérieur ou à l'extérieur de leurs frontières, pour limiter le nombre des demandeurs d'asile qui arrivent à parvenir jusqu'à leur territoire. À l'intérieur des frontières, on a trouvé des mesures comme des procédures accélérées, le concept de «demande manifestement infondée» et également des accords de réadmission entre pays.

À l'extérieur des frontières, parmi les mesures qui ont été prises par les pays occidentaux, on peut trouver, par exemple, l'imposition de visas pour les ressortissants de tous les pays qui produisent des réfugiés. On trouve également des sanctions pénales contre les transporteurs qui laissent débarquer des demandeurs d'asile sans la documentation appropriée. On trouve, en Allemagne entre autres, un statut de protection temporaire qui interdit de demander le statut de réfugié. Et on voit des accords de coopération économique, par exemple les Accords de Puebla sur les relations entre l'Amérique du Nord et l'Amérique centrale, dans lesquels il y a des chapitres sur le contrôle de l'émigration de la part des pays d'Amérique centrale, entre autres.

On n'entrevoit pour la plupart des pays occidentaux, et là je vous renvoie aux études qui sont faites en matière de relations internationales, aucune augmentation majeure du nombre des demandeurs d'asile à court ou moyen terme. Quand on prend la situation canadienne, on voit qu'il y a un taux de reconnaissance du statut de réfugié qui est relativement stable, à environ 50 p. 100, depuis plusieurs années. Il a eu tendance à décroître ces dernières années. Donc, le Canada accorde une protection effective à un nombre important et à un pourcentage important des personnes qui se présentent aux frontières.

• 1600

Le Rapport Trempe propose la détention des demandeurs d'asile au point d'entrée au Canada lorsqu'ils n'arrivent pas à obtenir le statut provisoire. Ce statut provisoire serait, entre autres, refusé lorsque l'on considère que le demandeur d'asile n'est pas pourvu de ses documents, donc a détruit ses documents d'identité ou de voyage, et ne collabore pas avec les autorités en vue de l'établissement de son identité ou de son itinéraire.

L'objectif de la mesure est sans doute de lutter contre la destruction de documents en cours de route, dans les avions principalement, lorsque les personnes se dirigent vers le Canada. Nous pensons que cette mesure est injustifiée, qu'elle est inéquitable et, peut-être plus grave, qu'elle sera inefficace.

Pourquoi les documents sont-ils détruits par de nombreux demandeurs d'asile qui se présentent au Canada? Les documents sont détruits parce que ces personnes craignent. Elles craignent qui? Elles craignent les passeurs qui les ont aidées à trouver ces documents quand ils sont faux et qui leur ont bien recommandé de les détruire, sinon ils risquaient d'être renvoyés immédiatement. Ils craignent de mettre en danger des proches lorsque ces documents sont des documents qui sont empruntés, des documents de membres de la famille, par exemple. Et, souvent et surtout, ils craignent le refoulement vers le pays tiers par lequel ils ont transité ou, plus grave, vers le pays d'origine.

Je crois, et c'est la conclusion à laquelle nous arrivons dans notre rapport, que la mise en oeuvre d'une mesure comme la détention en cas de non-collaboration avec les autorités d'immigration au point d'entrée n'affectera en rien le phénomène de la destruction de documents, d'une part, car les craintes vont demeurer, que les documents soient détruits ou non. Deuxièmement, la collaboration que l'on attend de la part des demandeurs d'asile viendra principalement, on peut le prévoir, des personnes qui sont à la fois les plus mobiles, les plus informées et les moins traumatisées, et il y aura un risque sérieux de détenir les personnes qui ont le plus besoin de protection, celles qui sont le plus confuses, le plus traumatisées, le plus fatiguées ou celles qui craignent le plus les passeurs ou le refoulement. Ces personnes-là risqueront de ne pas collaborer et seront confuses dans leur collaboration, et on risque de trouver qu'elles ne collaborent pas suffisamment et donc de les détenir en leur refusant le statut provisoire.

Par ailleurs, demander à une personne qui fuit un pays de collaborer avec les autorités de l'immigration canadienne pour obtenir des documents d'identité et de voyage de la part des autorités du pays qui a été fui, c'est en demander beaucoup quand la personne craint réellement la persécution. Là encore, on risque d'avoir des refus de collaboration qui se traduiront par des détentions. Ce seront bien souvent les personnes qui craignent le plus la persécution dans leur pays d'origine qui ne collaboreront pas. Vous trouverez une argumentation beaucoup plus détaillée dans le rapport, bien entendu.

Le Rapport Trempe nous dit, à la page 89:

    Il serait naïf d'imaginer que le Canada puisse continuer de remplir convenablement ses obligations internationales sans adopter le concept du tiers pays sûr.

C'est la seule phrase justificative de la réintroduction du concept du tiers pays sûr: «il serait naïf d'imaginer», sans autre explication véritable. Nous pensons que ce concept du tiers pays sûr, en l'état actuel de la proposition qui est dans le rapport, est à la fois très faiblement justifié et dangereux, dangereux principalement pour les demandeurs d'asile qu'il conviendrait de protéger.

D'une part, les critères qui permettent d'établir qu'un pays tiers est «sûr» sont nettement insuffisants. De nombreuses analyses ont été faites sur les modèles européens là-dessus, et le Rapport Trempe n'apporte aucune amélioration sur le sujet. On pourrait éventuellement débattre des détails tout à l'heure.

D'autre part, le renvoi sur des pays tiers dont on a déterminé abstraitement qu'ils étaient sûrs risque de conduire le Canada à la violation d'obligations internationales s'il s'avère par la suite, après qu'on ait renvoyé la personne, que le pays en question n'était pas un pays sûr pour cette personne précise, et que donc cette personne précise avait un besoin effectif de protection, ce que nous ne pourrons pas savoir au point d'entrée.

• 1605

En effet, la mesure proposée est une mesure automatique, qui sera mise en oeuvre par un agent d'immigration au point d'entrée, à l'aéroport, qui n'aura pas de formation en matière de protection et qui n'aura aucune discrétion d'entendre la demande de protection faite par la personne. L'agent d'immigration se contentera de remarquer que la personne vient de France, d'Allemagne ou d'Angleterre et dira donc: «Vous reprenez l'avion dans l'autre sens.»

La décision Ward de la Cour suprême a montré qu'aucun pays, même a priori démocratique et protecteur des droits, n'est sûr pour tout le monde. Dans l'affaire Ward, il s'agissait de la Grande-Bretagne. La liste allemande des tiers pays sûrs comprend le Ghana. Cela signifie que si, sur la liste canadienne des tiers pays sûrs, nous avons l'Allemagne, un Zaïrois qui est passé par le Ghana et l'Allemagne avant de parvenir au Canada sera renvoyé immédiatement en Allemagne, qui le renverra immédiatement au Ghana. Qui se préoccupe de savoir ce que le Ghana fera de ce Zaïrois? Il est très possible que ce Zaïrois soit renvoyé au Zaïre; personne ne le saura puisqu'il n'y a dans la proposition, ici comme en Allemagne, aucun mécanisme prévu de suivi des dossiers.

Beaucoup de demandeurs d'asile, et principalement ceux qui ont besoin de protection, préféreront nettement être détenus au Canada, faute de collaboration, plutôt que de risquer un renvoi sur un tiers pays sûr. On risque, d'une part, d'augmenter le nombre des détentions parfaitement inutiles et, en plus, on va augmenter le nombre de destructions de documents. Je citais le cas d'un Zaïrois tout à l'heure. Si j'étais ce Zaïrois et que je craignais un renvoi au Zaïre par la voie de l'Allemagne et du Ghana, je détruirais mes documents dans l'avion entre l'Allemagne et le Canada pour être détenu au Canada plutôt que de risquer la détention ou la torture au Zaïre.

Je vais maintenant céder la parole à France Houle pour la continuation.

[Traduction]

Le président: Allez-y.

[Français]

Me France Houle (avocate en immigration; témoigne à titre personnel): Pour continuer sur la notion de tiers pays sûr, toujours dans le contexte des personnes qui demandent le statut de réfugié, une personne qui arrive à un point d'entrée au Canada se fera examiner par un agent de détermination du statut. Lorsqu'elle revendiquera le statut de réfugié, l'agent déterminera si elle vient ou non d'un tiers pays sûr. Si elle vient d'un tiers pays sûr, elle sera renvoyée dans ce pays.

À ce moment-là, pour une personne qui craint la persécution, le problème qui se pose est le suivant. Cette personne ne voudra pas rembarquer dans l'avion. Elle peut se mettre à hurler ou avoir un comportement qui fera que le commandant de bord ne voudra pas d'elle dans son avion. Alors, il faudra attendre le prochain avion pour pouvoir la rembarquer. Si la même chose se produit encore après 24 heures, 48 heures, 72 heures, la personne restera dans la zone de transit à l'aéroport et ne pourra pas bouger. Elle devra y rester.

Dans l'affaire Deghani, la Cour suprême a dit qu'une personne qui est dans cette zone de transit n'est pas détenue. Elle est en liberté parce qu'elle peut repartir si elle le désire. Mais qu'est-ce que cela signifie pour une personne qui craint la persécution?

Dans le contexte particulier des demandeurs de statut, la notion de rétention à l'aéroport est fausse. La personne n'est pas libre. La personne est véritablement détenue à l'aéroport, et il faudrait le reconnaître comme tel et prévoir que cette personne aura droit à des garanties procédurales, comme toute personne qui est détenue.

Dans le même esprit, il faut aussi reconnaître que nous ne savons pas ce qui se passe quand ces personnes sont dans la zone de transit, et il faut le savoir. Si ces personnes sont dans cette zone et qu'on ne sait pas ce qui se passe, on ne sait pas si elles ont besoin de protection ou non. Pour cela, il faudrait qu'il y ait en permanence dans un aéroport un représentant d'une ONG qui puisse aider ces personnes à défendre leur position, avec un agent de détermination du statut ou éventuellement, ce qui serait préférable, un agent de protection de la nouvelle agence. Toute personne qui demande le statut de réfugié au Canada devrait pouvoir voir un tel agent.

• 1610

C'est le premier point sur la détention en tant que telle: il faut reconnaître que les rétentions à l'aéroport sont de véritables détentions.

Voici le deuxième point concernant la détention. Vous avez sans doute entendu parler de cette chose plusieurs fois. La détention ne peut pas être d'une durée indéterminée au Canada. C'est l'affaire Singh qui nous a rappelé que le principe de la liberté est fondamental au Canada, qu'il fait partie des principes de la Rule of Law et maintenant de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Donc, une détention indéterminée qui est non justifiée peut constituer une violation des principes de justice fondamentale.

Pour améliorer le système actuel, il faudrait absolument prévoir des dispositions législatives pour préciser les motifs pour lesquels on peut prolonger la détention d'une personne. À cet égard, la CISR a fait des directives il y a peu de temps. Elles seraient un guide utile.

À titre d'exemple, on pourrait préciser que la procédure de détention est une procédure nouvelle à chaque audition et ne constitue pas une vérification pour déterminer si les motifs invoqués antérieurement sont encore pertinents. Il faut plus que cela.

Il serait également conforme aux principes de justice fondamentale de prévoir qu'une détention pour une durée indéterminée est inacceptable si elle n'est pas justifiée. Tel est le cas, notamment, lorsque le demandeur d'asile n'a aucun contrôle sur les événements, qu'il n'est pas en mesure de favoriser un traitement accéléré des renseignements, par exemple.

Voilà ce que nous avions à dire sur ces points. Merci.

[Traduction]

Le président: Je vous remercie.

La parole est à madame Avvy Go.

Mme Avvy Yao-Yao Go (avocate en immigration, Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic): Merci de m'avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui. Je saisis cette occasion avec plaisir, mais je tiens cependant à signaler que les membres de notre clinique, comme ceux des nombreuses autres organisations qui se sont élevées contre le rapport Au-delà des chiffres sont assez déçus de constater que votre comité a décidé de ne pas tenir des audiences sur le rapport dans son ensemble et a préféré s'en tenir à un domaine en particulier en examinant...

Le président: Ça viendra plus tard; ne nous bousculez pas.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Bien. Je tenais cependant à le souligner parce qu'on ne peut pas se pencher sur la question de la détention et des expulsions sans examiner d'autres questions mentionnées dans le rapport. C'est pourquoi nous faisons référence dans notre mémoire à d'autres parties du rapport qui auront finalement des répercussions sur la question de la détention et des expulsions.

Vous lirez aussi dans notre mémoire que nous avons passé en fait beaucoup de temps à analyser l'opinion publique parce que nous estimons qu'il y a un lien étroit entre l'opinion publique et la politique du gouvernement sur les questions d'immigration. Nous considérons que la Loi sur l'immigration est probablement celle qui est politiquement la moins stable parce qu'elle fait constamment les manchettes et parce qu'elle est particulièrement susceptible d'être modifiée en fonction du climat politique. C'est l'un de ces domaines dans lesquels la législation s'appuie sur l'opinion publique et non pas sur une bonne conception de l'élaboration des politiques. Dans le cadre du droit de l'immigration, c'est probablement sur les questions de détention et d'expulsion que l'opinion publique s'exprime le plus. À son tour, l'opinion publique est souvent influencée dans ce domaine par la façon dont les médias représentent les immigrants et les réfugiés.

Nous examinons dans notre mémoire la façon dont un seul fait divers sanglant, celui de Just Desserts, peut donner lieu par la suite à l'adoption d'un texte comme le projet de loi C-44. Ce n'est pas le seul exemple de faits divers mis en vedette par les médias et impliquant un ou deux immigrants qui entraîne un tel changement de la politique d'immigration du gouvernement.

Nous avons rencontré récemment des fonctionnaires du Bureau d'immigration canadien pour la région de l'Ontario et ces derniers nous ont fait part de statistiques sur la détention et les expulsions de l'Ontario entre 1993 et 1997. En remontant à 1994, on s'aperçoit qu'un agent de police de Toronto, Todd Baylis, a été tué par un dénommé Clinton Gayle, un immigrant jamaïcain qui était au Canada depuis 1977. Dans l'année qui a suivi, on constate une augmentation de 200 p. 100 du nombre de jours de détention en Ontario. L'année suivante a été celle de l'attentat de Just Desserts et on a assisté à une autre augmentation de 15 p. 100 du nombre de jours de détention en Ontario.

• 1615

Qu'en déduire? Va-t-on essayer de nous dire que l'on a éventuellement découvert un plus grand nombre de réfugiés et d'immigrants illégaux au Canada au cours de ces deux années? Ou bien a-t-on assisté à une augmentation soudaine du nombre de crimes commis par les réfugiés et les immigrants? Je ne le crois pas. Tout cela est dû à deux attentats qui ont fait les manchettes. En conséquence, les arbitres et les membres de la commission se sont dit qu'ils ne voulaient pas être ceux qui allaient libérer le prochain Clinton Gayle, et ils ont donc tout simplement entrepris de mettre tout le monde, ou un maximum de gens, en détention.

C'est donc bien dans ce cadre que l'on doit replacer les détentions et les expulsions. Malheureusement, dans ce rapport, plutôt que d'essayer de replacer toutes ces questions dans leur contexte et de ne pas renforcer les stéréotypes qui font des immigrants et des réfugiés des tueurs de policiers et des vendeurs de drogue, on renforce à maintes reprises ces stéréotypes en parlant des réfugiés qui cherchent à profiter du système, des immigrants qui viennent ici avec... Même les immigrants qui ont de l'argent appartiendraient à une espèce de mafia—on trouve des commentaires de ce genre dans tout le rapport.

C'est sur cette base que l'on en est venu à des recommandations concernant les détentions et les expulsions. Par conséquent, les responsables prennent beaucoup de gens dans leurs filets. Ils englobent bien plus de gens que le nombre qui peut être mis en détention et expulsé par notre pays, y compris des réfugiés qui ont éventuellement dépassé un délai d'un jour ou deux ou qui ne sont pas allés à leur examen médical. On peut même parfois englober des membres de la famille relevant de la première catégorie qui s'aperçoivent, une fois arrivés ici, qu'ils ont perdu leur statut.

Nous citons dans notre rapport l'exemple des femmes immigrantes qui viennent ici après avoir été parrainées par leur conjoint ou leur fiancé. Ces personnes vont elles aussi perdre leur statut provisoire à partir du moment où elles ne sont plus parrainées, parce qu'il y a eu agression ou pour toute autre raison, et elles risquent elles aussi d'être placées en détention puis expulsées. Je rappelle aux membres du comité permanent qu'ils ont déjà examiné cette question auparavant, il y a deux ans, et que j'étais déjà intervenue sur la question. Le comité a rédigé un rapport aux termes duquel il était indiqué qu'il fallait se pencher sur la question de la discrimination sexuelle et que les femmes qui ne sont plus parrainées en raison d'une agression ne devraient pas être expulsées. Il convenait de leur donner une chance et de leur accorder un permis ministériel de trois ans pour qu'elles puissent s'établir au Canada et, dans l'intervalle, qu'elles tentent d'obtenir un statut définitif. C'était la recommandation de votre comité.

Toutefois, lorsqu'on prend connaissance de ce rapport, on voit que ce n'est pas ce qui va se passer. Non seulement ces femmes vont être passibles d'une détention et d'une expulsion lorsqu'elles perdent leur statut, mais en outre le rapport abandonne le principe du traitement humanitaire et charitable pour les personnes qui ont perdu leur statut ou pour les demandeurs du statut de réfugié qui ont échoué ou d'autres personnes qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont pas de statut, afin qu'elles s'efforcent de normaliser leur statut au Canada. Elles n'auront plus cette possibilité, c'est ce que dit le rapport.

Je considère que c'est très dangereux, car, en dépit de tous nos efforts, en dépit de tout ce que pourront faire les bureaucrates et le gouvernement, il y aura toujours des gens qui, pour une raison ou pour une autre, se retrouvent au Canada sans statut, et à long terme. Tant que l'on n'aura pas trouvé le moyen d'essayer de légaliser leur statut, ils resteront ici à jamais sans disposer de statut.

Donc, plutôt que d'essayer de se débarrasser de ces gens, je considère que nous devrions sérieusement penser aux moyens d'améliorer le système et de privilégier, entre autres, les considérations humanitaires et charitables. Ce n'est malheureusement pas ce que fait le rapport. J'invite donc votre comité à se pencher sur toutes ces questions et éventuellement, par la suite, sur celles qui ont trait à la détention et aux expulsions.

Voilà quelles sont mes recommandations.

• 1620

Le président: Merci beaucoup.

Michael Crane.

M. Michael Crane (représentant, Refugee Lawyers Association): Bonjour. Je vais mettre l'accent sur certaines recommandations du rapport. Je suis sûr que vous avez déjà entendu auparavant des commentaires sur ces différents points.

Je voudrais plus particulièrement vous parler de la recommandation faite par le comité au sujet du statut provisoire. Selon les témoignages que j'ai lus, la transcription des délibérations, le comité de révision a estimé que le statut provisoire serait un grand pas sur la voie de la promotion d'un système efficace d'expulsions permettant d'éviter les retards.

Je soutiens que ce ne sera pas efficace. Le statut provisoire n'est pas très différent de ce qui existe à l'heure actuelle. La plupart des personnes qui n'ont pas réussi à faire accepter leur demande de statut de réfugié, qui ont fait appel et qui attendent les révisions de CDNRSRC sont déjà soumises à des conditions. Si elles ne respectent pas ces conditions, elles risquent d'être placées en détention.

De ce point de vue, le statut provisoire n'ajoute rien de nouveau. Ce qu'il vise—et cela a été mentionné hier par Amnistie Internationale—c'est la création d'un statut différent. Il y a d'abord le statut provisoire et ensuite la détention. Si l'on ne s'y conforme pas, on est placé en détention. Le mécanisme proposé, c'est que l'on est relâché si l'on accepte de se conformer à la légalité.

Les responsables estiment que ce système est préférable parce qu'il est transparent et parce qu'il est compris par tout le monde, mais j'ai pu constater en lisant les témoignages présentés devant le comité qu'en réalité ce statut est en fait bien difficile à expliquer et je ne pense pas qu'il améliore la transparence.

Le problème que pose le recours à la détention comme seul moyen d'assurer la conformité à la loi, c'est que c'est une méthode très brutale. Elle est sans appel. La question de la conformité risque de ne pas pouvoir être corrigée.

Si, par exemple, une personne travaille illégalement—ça arrive parfois chez les demandeurs de statut de réfugié—elle a pu faire ou non une demande d'autorisation d'emploi et elle risque alors d'être repérée par un agent de l'immigration et replacée en détention.

Selon le mécanisme prévu par le rapport Au-delà des chiffres, une fois qu'elle aura pu établir qu'elle s'est conformée à la loi, elle sera relâchée, mais il est impossible d'établir que l'on a une bonne raison de travailler illégalement. On peut donc penser que la détention sera perpétuelle ou alors que ce mécanisme, tel qu'il est proposé, ne va pas très bien marcher.

On propose aussi d'autres mesures, qui consistent par exemple à se départir de la direction de l'arbitrage et à disposer d'agents d'examen des dossiers qui décident à la fois du statut et de la mise en liberté et qui travaillent au sein du ministère. C'est en fait le système qui existait auparavant, en 1993.

J'ai été moi-même un arbitre pendant trois ans au bureau de Mississauga. Théoriquement, les arbitres font partie du ministère de l'Immigration. Dans une décision de la Cour fédérale, il a été déclaré qu'ils étaient indépendants d'un point de vue constitutionnel. Cette décision aurait pu être prononcée dans un sens comme dans l'autre.

Si, entre autres, la Cour fédérale a estimé qu'ils étaient indépendants, c'est parce qu'en examinant la structure et l'historique de l'organisation, elle a jugé que tout bien considéré le Parlement avait eu l'intention—étant donné que l'audience était quasi judiciaire—de créer un organisme indépendant et que les arbitres devaient être considérés comme tels.

Ce ne sera nécessairement pas le cas dans le nouveau système. L'arbitre ne sera pas nécessairement indépendant. Il est fondamental que lorsqu'on considère une mise en liberté, on puisse demander qu'un examen soit effectué par un responsable indépendant. Dans le rapport, on reconnaît effectivement la nécessité d'une certaine indépendance. Seulement, on ne dit pas précisément jusqu'à quel point.

La liberté, pour les auteurs du rapport, est liée au statut provisoire, la personne... Et une fois que le responsable a décidé que la personne a perdu son statut, on ne sait pas exactement comment il en vient à cette conclusion. Y a-t-il une audience devant lui? Est-ce qu'il examine les documents pour prendre sa décision? Enfin, est-ce la même personne qui va décider de la libération?

Si l'on remonte dans le passé, voilà quel était le système à l'origine avant 1978. Il y avait des agents appelés «enquêteurs spéciaux» qui recevaient les rapports, prenaient les décisions en conséquence et demandaient à la personne de témoigner. Ils pouvaient prononcer une détention et ordonner une expulsion. Tout le dossier était traité par la même personne. Je pense donc qu'il est bien utile de tenir compte de la dimension historique.

• 1625

Le Parlement a procédé à une modification en 1976, qui est entrée en vigueur en 1978. Il est évident qu'il a jugé que ce système était mauvais, et puisque ça s'est passé avant l'avènement de la charte, on ne peut pas vraiment reprocher à cette dernière d'être la cause de l'instauration d'une procédure d'audience. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille revenir aujourd'hui au système d'hier.

Le groupe de révision qui a rédigé le rapport Au-delà des chiffres a jugé bon que des personnes appartenant au ministère se penchent sur les questions de mise en liberté des personnes. Je soumets respectueusement au comité qu'il lui faut rejeter ce principe.

Il indique aussi que, pour des raisons pratiques, les décisions administratives doivent être prises par un moins grand nombre d'avocats. Il ne précise pas quelles sont ces raisons pratiques. Le professeur Crépeau a indiqué que son analyse des pays tiers ne donnait lieu qu'à une justification un peu faible. Il en va de même pour ce qui est d'une organisation moins pyramidale. Il ne précise pas pourquoi, parce que sa structure a trois niveaux. Il y a l'agent de détermination du statut, l'agent d'appel et ensuite la Cour fédérale ou un organisme quelconque de révision. Ce ne sera pas une structure moins pyramidale et les mécanismes de révision se situent à l'intérieur du ministère.

J'aimerais aussi aborder très rapidement un ou deux points qui ont été évoqués hier. J'ai assisté aux interventions d'hier et on y parlait en particulier du déménagement au centre-ville des arbitres de Mississauga en se demandant si c'était une bonne chose. Un représentant des services d'arbitrage a indiqué que cela permettrait d'éviter certains problèmes étant donné que l'on serait en mesure d'organiser les séances de révision des mises en détention au moyen de vidéoconférences. Je considère que c'est une grave erreur et je demande respectueusement au comité d'y réfléchir. Ce n'est pas une bonne idée de voir l'une des parties sur un écran vidéo alors que l'autre parle effectivement au responsable de la décision. Si la personne détenue est représentée par quelqu'un, le problème ne sera pas si grave, mais s'il se représente lui-même et s'il se trouve loin des débats à l'autre bout d'une caméra vidéo, il sera largement désavantagé. Les chances ne sont pas égales et ce n'est pas juste.

On a beaucoup discuté, aussi bien lors des séances précédentes de votre comité que dans le rapport Au-delà des chiffres, des préoccupations du ministère de l'Immigration, qui estime que l'une des raisons des retards apportés aux expulsions est la nécessité de faire la demande de documents de voyage et qu'il faut que l'on puisse faire en sorte que le demandeur demande au tout début de la procédure un passeport ou un document quelconque. Amnistie Internationale et le HCR sont contre cette mesure parce qu'ils considèrent que dès le départ elle fait très mauvaise impression. La seule proposition que font les responsables du rapport Au-delà des chiffres, c'est de mettre en détention quiconque ne se montre pas coopératif au sujet des documents. Je soutiens qu'il doit y avoir une meilleure façon d'agir.

En plusieurs points du système, il devrait être dans l'intérêt de la personne concernée de collaborer avec le ministère de l'Immigration. On a fait remarquer que les personnes qui comparaissent lors des audiences sur le statut de réfugié se voient généralement conseiller par leur avocat de fournir des documents pour appuyer leur demande. Elles se procurent des documents de voyage ou des documents d'identité que la Commission du statut des réfugiés juge crédibles, mais il n'y a pas de véritable interaction entre le ministère de l'Immigration et la Commission du statut de réfugié qui a reçu ces documents. Il m'apparaît qu'il y a là une source de renseignements dont pourrait se servir le ministère de l'Immigration pour obtenir des documents d'identité.

Comme vous le savez peut-être, pour les besoins de l'évaluation des risques, concernant les CDNRSRC, l'intéressé doit là aussi remplir une formule de demande. Il y a dans cette formule une case dans laquelle on lui demande: «Avez-vous remis avec cette demande des documents d'identité?». Aux termes de la réglementation, le ministère de l'Immigration n'est pas tenu de présenter une demande de documents d'identité ou de voyage, mais voilà un autre point d'information qui pourrait éventuellement permettre de maintenir un certain équilibre. Une personne qui souhaite que l'on fasse une évaluation des risques a peut-être tout intérêt à fournir à ce moment-là au ministère de l'Immigration quelque chose qui indique qu'elle est prête à collaborer en cas d'expulsion.

Il y a un autre élément qui est discutable, soit lorsque la procédure de CDNRSRC a échoué, que l'appel a lui aussi échoué et que la demande de statut de réfugié a été refusée, ce qui fait que théoriquement la personne concernée n'a plus le droit de bénéficier d'une autorisation de travail. Il en est ainsi même si en réalité bien des gens ne sont expulsés que deux ou trois ans plus tard—et ce n'est pas toujours par manque de coopération. Cela ne fait finalement qu'augmenter le coût de l'ensemble du système. Les gens concernés doivent alors travailler illégalement ou pas du tout, auquel cas ils se retrouvent sur les listes du bien-être.

J'ai eu l'occasion d'en parler à un responsable des politiques du ministère de l'Immigration. Je lui ai demandé pour quelle raison on n'avait pas réfléchi à la question. Il m'a répondu que c'est parce que le système n'était pas censé opérer de cette manière et qu'une fois que la demande de CDNRSRC avait été refusée, l'intéressé était censé être parti. Nous savons tous qu'en réalité il n'en est rien. Il me semble qu'à ce moment-là aussi il serait dans l'intérêt de la personne concernée d'obtenir une autorisation de travail. La plupart des personnes qui sont dans cette situation veulent effectivement travailler. Il est faux de penser qu'elles préfèrent vivre du bien-être. Il est paradoxal de les obliger à dépendre du bien-être. Il s'agit de reconnaître que l'expulsion ne se produit pas immédiatement et l'on a là encore l'occasion de donner quelque chose au demandeur qui a échoué et celui-ci pourrait donner lui aussi quelque chose en retour.

• 1630

Un dernier mot au sujet des CDNRSRC. Dans le système actuel, on peut présenter une demande et un examen intervient à un moment donné. Ce ne sont pas simplement des chiffres. Il est admis dans le rapport qu'il existe une obligation reconnue par la Cour fédérale de procéder à une certaine évaluation des risques. Ce fut le cas tout récemment il y a quelques jours lorsque le juge Gibson s'est prononcé sur la question. On recommande que l'on donne à l'intéressé un préavis de deux jours. Ce n'est pas suffisant.

Le système actuel est conçu de telle sorte que l'on doit faire une demande, soit dans le cadre d'une révision humanitaire, soit 15 jours après avoir reçu la notification de la décision négative de la Commission du statut de réfugié. Le système actuel comporte deux lacunes. Premièrement, on peut procéder à tout moment; il n'y a aucun lien avec un mécanisme préalable à l'expulsion. On procède souvent alors qu'une décision négative de la Section du statut de réfugié est en appel, ce qui est tout simplement stupide, parce qu'une fois qu'on en a terminé avec la décision de la Cour fédérale, cela peut prendre encore plusieurs mois.

La deuxième chose, c'est que les responsables de l'immigration ne disent pas à l'intéressé dans quel pays ils envisagent de l'expulser, de sorte qu'il doit considérer éventuellement plusieurs pays différents. C'est généralement le pays dont on est ressortissant, mais sur la formule de CDNRSRC, on dit bien clairement qu'il peut s'agir de l'un quelconque de quatre pays, ce qui correspond aux critères spécifiés dans la loi.

Si l'intéressé se voyait notifié sous une forme ou sous une autre dans quel pays et à quel moment il va être expulsé, cela renforcerait la crédibilité de cette procédure. À l'heure actuelle, la plupart des gens considèrent que le système de CDNRSRC est assez risible. Très peu de gens sont acceptés et les AAAR statuent finalement en fonction des décisions prises par la Section du statut de réfugié.

Je vous remercie.

Le président: Merci beaucoup, Michael.

La parole est à Gordon Maynard.

M. Gordon Maynard (membre de l'exécutif, Section sur le droit de la citoyenneté et de l'immigration, Association du Barreau canadien): Merci.

Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Merci d'avoir invité l'ABC à faire une intervention au sujet de la recommandation 155.

Nous avons distribué aux membres du comité le rapport rédigé par l'ABC à l'échelle nationale et intitulé Réponse au rapport du Groupe consultatif sur la révision de la législation sur l'immigration. C'est le document qu'a publié l'ABC au début de ce mois de mars. C'est celui qui a des bordures blanches. Je vois que tout le monde prend le document à couverture bleue. J'espère que vous l'avez reçu.

Mme Raymonde Folco (Laval-Ouest, Lib.): Le mien est bleu foncé.

M. Gordon Maynard: Le bureau national était censé l'envoyer ce matin.

Oh, vous avez une couverture bleu foncé.

Mme Raymonde Folco: Nous avons une couverture bleu foncé. Le mien est moins épais que le vôtre.

M. Gordon Maynard: Le mien est en anglais et en français.

Mme Raymonde Folco: Voilà donc l'explication.

M. Gordon Maynard: Vous avez le texte unilingue.

Mme Raymonde Folco: Est-ce que le texte est le même?

M. Gordon Maynard: Ça devrait être le même. Ma copie, quoi qu'il en soit, est bilingue.

Malheureusement, je ne suis pas bilingue, étant né et ayant été élevée dans cette oasis culturelle qu'était la ville de Vancouver des années 50 et 60. Je ne parle pas français, je le regrette, et je vous présenterai donc mon rapport en anglais.

Notre document a été revu par le Comité de la réforme du droit et de la législation de l'ABC. Il a été approuvé à titre de déclaration publique de la Section nationale du droit de la citoyenneté et de l'immigration. Notre étude est complète et approfondie pour répondre au projet ambitieux du rapport Au-delà des chiffres du GCRL.

L'élaboration du rapport national de l'ABC a été une entreprise considérable. Le document du Groupe consultatif sur la révision de la législation a été distribué à tous nos membres à l'échelle du Canada par l'intermédiaire de nos sections provinciales. Nos membres ont passé en revue le document du groupe consultatif.

Nous avons reçu en retour leurs mémoires et leurs commentaires. La direction nationale, dont je fais partie, ainsi que le bureau national ont alors regroupé et reformulé les réponses à l'intérieur d'un rapport cohérent. Cette tâche s'est révélée d'une grande difficulté étant donné la portée du rapport du groupe consultatif et le nombre de ses recommandations.

Vous relèverez au chapitre des commentaires généraux au début du rapport, à la suite du sommaire, que notre section est d'avis qu'il convient de considérer le rapport du groupe consultatif comme un document devant susciter le dialogue et stimuler les discussions. Les recommandations du groupe consultatif ne peuvent servir de fondement à une réforme législative tant qu'il n'y aura pas eu des consultations publiques approfondies.

• 1635

Sur bien des points, le groupe consultatif soulève des questions légitimes. Ce qui nous inquiète, cependant, ce sont les réserves importantes que l'on peut faire au sujet de nombre de recommandations du groupe consultatif et des hypothèses qui émaillent son rapport.

Sur certains points, le groupe consultatif fait des recommandations novatrices qui présentent de l'intérêt, et nos membres y sont favorables. Dans d'autres domaines, nos membres sont divisés ou hésitent, ce qui ne doit pas surprendre.

Il faut citer en particulier les chapitres 8, 9 et 10 du rapport du groupe consultatif qui traitent des questions de détention et d'expulsion, des mécanismes de révision et du recours au pouvoir discrétionnaire... C'est à l'intérieur de ces chapitres que nos membres ont clairement et avec force rejeté les recommandations du groupe consultatif.

Vous avez déjà pris connaissance de ce qui nous préoccupe, non seulement en lisant notre rapport, mais en écoutant les déclarations et les commentaires des représentants du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que du vérificateur général, qui ont déjà comparu devant vous. Vous avez pu entendre différents responsables, notamment M. Flageole, M. Gaudet, Greg Fyffe, Brian Grant, Susan Leith, Neil Cochrane de la Direction générale de l'exécution des lois à la Citoyenneté et l'Immigration, ainsi que Roman Borowyk, Georges Tsaï et John Sims.

J'ai lu toutes les transcriptions de ces témoignages, qui ont tous un élément en commun, notamment en ce qui concerne la procédure de détention, d'expulsion, de révision et de détermination de l'admissibilité. Ce sont là des fonctions essentielles du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que des tribunaux indépendants qui sont compétents lorsqu'il s'agit de prendre ces décisions. Ces fonctions font intervenir des éléments disparates mais reliés entre eux du droit canadien, du droit international, des obligations internationales, des clauses financières et de la gestion des risques.

Cette procédure exige que l'on mette en place un système qui tienne bien compte de nos définitions légales concernant le rejet de l'admissibilité et les motifs d'expulsion, du respect du statut des immigrants au Canada, de la nécessité de nous conformer à nos obligations internationales en accueillant ceux qui recherchent une protection et qui méritent notre protection au sein de nos frontières, et de l'obligation de respecter les normes établies par la justice et par la charte en ce qui a trait aux règles du droit et à la justice fondamentale, tout cela en respectant les contraintes budgétaires et les impératifs politiques qui découlent des pressions exercées par le public.

C'est une tâche ambitieuse qui occupe les personnes les plus compétentes du ministère depuis de nombreuses années. Je pense que la chose a été parfaitement résumée dans le rapport du vérificateur général, où l'on dit que les valeurs de la société ont imposé des «limites intrinsèques» aux améliorations que l'on peut apporter sur le plan de la performance du système actuel, ainsi que dans cette observation de M. Greg Fyffe, qui a déclaré que le ministère cherchait toujours à manoeuvrer en se fixant deux points de repère importants: tout d'abord, le point de repère que constituent le droit et les principes de respect des règles du droit et de justice fondamentale établis par la charte; et ensuite, le deuxième point de repère que constituent les réalités financières, la nécessité de rentabiliser ses crédits dans ses politiques d'administration. Ce sont là deux observations exactes et crédibles qui reflètent bien la situation en dépit de leur concision. Ce sont des déclarations importantes.

L'ABC considère que le Canada a mis en place des mécanismes de décision qui sont fondamentalement solides, à quelques exceptions près. Est-ce que le système fonctionne de manière efficace? Non, pas à 100 p. 100. Nous sommes venus ici vous présenter notre rapport—et je suis moi-même ici aujourd'hui—pour avaliser ou proposer des solutions devant conduire à une amélioration, solutions qui, à notre avis, seront efficaces sans remettre en cause le fonctionnement global des mécanismes existants.

J'aimerais faire deux observations après avoir passé en revue les transcriptions des séances de la semaine précédente de votre comité et des questions posées par les députés.

Tout d'abord, j'ai constaté que l'on revenait constamment dans les transcriptions sur la question des demandes pour des raisons humanitaires et charitables. On y répète constamment que le dépôt d'une demande pour des raisons humanitaires et charitables bloque le mécanisme d'expulsion et renvoie la procédure à son point de départ, qu'il agit en soi comme un moyen d'appel.

• 1640

Laissez-moi vous détromper. Le dépôt d'une telle demande n'arrête jamais la procédure d'expulsion. N'importe qui peut mettre 500 $ dans une enveloppe, remplir une formule et la remettre à un agent d'immigration. Cette opération n'a absolument aucun effet juridique sur l'ordonnance d'expulsion prise à l'encontre de cette personne. Aucune disposition de la Loi sur l'immigration n'exige un sursis à l'exécution de cette mesure à la suite du dépôt de la demande.

Les services d'immigration indiquent très clairement, et les tribunaux n'ont pas manqué de le confirmer au fil des années, qu'une demande d'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre n'a pas priorité par rapport à l'obligation légale d'expulser. La seule chose qui peut arrêter l'exécution d'une ordonnance d'expulsion, c'est un sursis à exécution prononcé par la Cour fédérale. Si une personne, en désespoir de cause, souhaite mettre sur la table une demande pour des raisons humanitaires et charitables, les responsables de l'immigration vont se faire un plaisir d'accepter l'enveloppe contenant les 500 $ en lui conseillant de demander une ordonnance de sursis à exécution à la Cour fédérale. Tous ceux qui en sont arrivés à la dernière extrémité, au point de présenter à la dernière minute une demande à la cour, seront bien déçus, la plupart du temps, par la réponse de cette dernière.

Il y a des cas exceptionnels dans lesquels la cour va prononcer un sursis à exécution, mais il faut effectivement qu'il y ait des circonstances exceptionnelles. Ceux qui se contentent de dire qu'ils ont déposé une demande pour des raisons humanitaires et charitables, qu'ils sont là depuis longtemps et qui prient la cour de ne pas entériner leur expulsion même s'ils ne sont pas admissibles pour des raisons pénales et s'ils ont épuisé la procédure d'appel, ne bénéficieront pas d'un sursis. Il est très difficile de répondre aux conditions. Il y a peu d'exceptions.

J'ai peur qu'en quelque sorte on comprenne mal les demandes présentées pour des raisons humanitaires et charitables ainsi que leurs répercussions, parce que ces demandes jouent un rôle très important dans la procédure d'immigration. Leur existence est justifiée et il est normal qu'elles soient conçues de manière très large pour que l'on puisse exercer à plein un pouvoir discrétionnaire. Je ne voudrais pas cependant que votre comité ait l'impression qu'elles servent d'une manière ou d'une autre à surseoir à l'exécution d'expulsions légitimes; ce n'est pas le cas. Celui qui dépose une telle demande doit le faire en temps utile pour qu'une décision puisse être prise. Présentée à la dernière minute, cette demande ne sert à rien. C'est ainsi que les choses se passent en réalité.

Deuxièmement, lorsque j'ai examiné la transcription des témoignages présentés devant vous par les membres du Groupe consultatif sur la révision de la législation, il y a des observations—plusieurs en fait—qui m'ont paru inquiétantes. Celle qui m'a le plus dérangé provenait d'un des membres de ce groupe, qui a demandé aux députés de votre comité de se tenir à l'écoute des gens de leurs circonscriptions lorsqu'ils formuleraient leurs recommandations ou rédigeraient leur rapport. Comprenez-moi bien; vous êtes tous les représentants des gens de vos circonscriptions, moi y compris. Pourtant, il y a un monde entre la perception du public et un avis informé.

En matière d'immigration, l'opinion publique n'est pas bien servie par les médias ni, malheureusement, par certains politiciens, qui ne l'informent pas comme il se doit des enjeux et des mécanismes et préfèrent s'en tenir au sensationnalisme et aux demi-vérités. Cet avis, qui est le mien, est partagé par d'autres. J'ai lu l'autre jour, la semaine dernière, dans le Globe, une déclaration publique du directeur du Bureau des affaires correctionnelles, je crois, qui nous mettait en garde contre les dangers d'une réforme législative touchant la détermination des peines et l'incarcération fondée sur les avantages qu'elle présenterait aux yeux du public pour ce qui est de la lutte contre la criminalité.

En novembre 1997, l'ensemble des juges de la Cour suprême du Canada se sont prononcés dans l'affaire Phillips et Parry contre La Reine. Il s'agissait d'un appel interjeté contre une condamnation pénale par les directeurs de la mine de Westray, en Nouvelle-Écosse, où avait eu lieu une explosion. Deux directeurs de la mine ont été inculpés et déclarés coupables sur le plan pénal.

• 1645

Ces condamnations ont été portées en appel aux différents paliers devant les tribunaux pour aboutir finalement devant la Cour suprême du Canada. En fin de compte, la Cour suprême du Canada a cassé ces condamnations en raison de l'influence exercée par l'opinion publique sur le comportement du ministère public. Je tiens à vous faire part des observations de la Cour suprême parce que je considère qu'elles s'appliquent bien à notre propos. Voici ce qu'a déclaré la cour:

    [...] c'est surtout lorsqu'on recherche la vérité au nom de la morale que les responsables des enquêtes et des poursuites criminelles doivent se garder de trop en faire. Quelle que soit la gravité du crime, on ne peut tolérer un comportement abusif et oublier l'application des règles du droit. De par leur nature, les procès très en vue jouent très fortement sur les émotions du public. Dans notre société, le ministère public a l'obligation de s'assurer que tout accusé est traité équitablement. C'est particulièrement dans les affaires très en vue, où la justice est sur la sellette, que les avocats doivent faire tout leur possible pour s'assurer que les condamnations qui sont prononcées s'appuient sur des faits et non pas sur des jugements émotifs. Lorsque le ministère public laisse l'opinion publique influencer son action, notre système perd sa légitimité et le sens de la justice qui lui est indispensable. Nous retombons alors au niveau d'une populace qui cherche à se venger.

Dans le domaine du droit de l'immigration, nous risquons tout autant de nous laisser aller à des réactions émotives au risque de renoncer à des principes plus élevés. Ne retombons pas au niveau d'une populace qui cherche à se venger.

Voilà les observations que j'avais à faire. Je suis prêt à répondre à vos questions.

Le président: Je vous remercie. Merci à tous.

Nous allons maintenant commencer par monsieur Reynolds.

Mme Raymonde Folco: Monsieur Reynolds, je vais devoir vous quitter très rapidement cet après-midi. Voyez-vous un inconvénient à ce que je pose une question en premier?

M. John Reynolds (West Vancouver—Sunshine Coast, Réf.): Allez-y.

Mme Raymonde Folco: Je vous en suis très reconnaissante. Merci.

M. John Reynolds: Aucun problème.

[Français]

Mme Raymonde Folco: J'aurais deux questions à poser. La première se pose à qui veut y répondre.

J'ai déjà été membre de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Mon expérience m'a appris qu'un nombre quand même assez important de personnes qui devaient se présenter devant les commissaires ne se présentaient pas. Dans certains cas, les gens se présentaient, mais en retard parce qu'ils n'avaient pas reçu la lettre de convocation, parce qu'on ne savait pas leur adresse. Tout cela a à voir avec ce qu'on appelle en anglais le tracking, c'est-à-dire comment on peut faire pour savoir où se trouvent ces personnes.

Les représentants du ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration nous ont dit à plusieurs reprises qu'ils avaient bien du mal à savoir où se trouvent les revendicateurs avant qu'ils comparaissent devant la Commission et après qu'ils aient été refusés par le Commission, dans le cas de ceux qui ont été refusés. Quelle serait, selon vous, une façon de pallier ce problème sans imposer le port d'une espèce de carte d'identité, comme le propose le Rapport Trempe?

D'autre part, je voudrais moi aussi m'inscrire contre cette idée de vidéo-téléconférence. Je vois mal comment quelqu'un qui vient d'un milieu rural d'un pays du tiers monde pourrait réagir devant un écran et répondre à des questions quand la personne qui s'adresse à lui n'est pas présente. C'est un petit aparté.

J'aurais une question importante à poser à Me Maynard, et c'est la suivante. Lorsque j'étais membre de la Commission, un nombre important de personnes à qui la Commission avait refusé le statut de réfugié se trouvaient encore sur le territoire canadien un an, deux ans ou trois ans après le refus parce qu'elles avaient demandé au ministère de leur accorder la possibilité de rester pour des motifs de risque, pour des motifs humanitaires, d'une part.

D'autre part, j'avais demandé aux fonctionnaires du ministère de nous apporter un organigramme détaillé—je dis bien détaillé—nous montrant exactement les parcours possibles des gens qu'on avait acceptés mais à qui on avait refusé le statut. Dans cet organigramme, il y avait des flèches qui nous montraient que ces personnes-là avaient le droit d'avoir recours au ministère lorsque leur vie était en danger dans leur pays d'origine ou dans le pays qu'elles fuyaient, et aussi pour des motifs humanitaires.

• 1650

Dans l'organigramme, il y avait comme un loop, comme on dirait en anglais. À un moment donné, à la fin d'un processus, l'individu pouvait demander que le processus recommence. Lorsqu'on a posé des questions aux fonctionnaires, ces derniers, si j'ai bien compris, nous ont répondu que cet organigramme correspondait à la réalité.

Si j'ai bien compris ce que vous nous avez dit, maître Maynard, ce n'est pas du tout le cas. J'aimerais bien vous entendre là-dessus. Merci.

[Traduction]

M. Gordon Maynard: Voulez-vous que l'on réponde d'abord à la première question ou à la deuxième?

Mme Raymonde Folco: La première question s'adresse à qui veut bien y répondre.

[Français]

M. Michael Crane: Vous dites qu'il y a toujours des problèmes dans le cas des personnes qui ne se présentent pas à la CISR, qui changent d'adresse, etc. Ce n'est pas que ce n'est pas un problème, mais est-ce que le fait de conférer un statut provisoire serait la solution? Je ne crois pas que le fait de conférer un statut provisoire à ces personnes permettra au système de les retrouver plus facilement. Avoir une carte d'identité est utile pour la personne, mais les données ne seront pas davantage à jour.

Les auteurs du Rapport Trempe disent que leur système de statut provisoire va faire en sorte que la personne va mieux fournir ces renseignements. Si une personne ne veut pas donner de renseignements et n'est pas détenue, je ne vois pas comment on va la convaincre de fournir ces renseignements. Si une personne veut disparaître, elle va disparaître.

Pour ce qui est de la carte d'identité, premièrement, nous n'avons pas nécessairement la technologie et, deuxièmement, cela n'assurera pas nécessairement que l'information sera davantage à jour.

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, je peux me tromper, mais il me semblait, lorsque cela avait été présenté, qu'il s'agissait d'une carte électronique avec une puce. L'individu devait mettre la carte dans une machine appropriée à toutes les 48 heures ou tous les trois jours, ce qui permettait de suivre l'individu dans ses déplacements. Il avait un boulet attaché au pied, si j'avais bien compris.

Donc, ce n'était pas juste une petite carte d'identité comme celles que j'ai connues dans mon enfance, un petit bout de papier avec une photo, mais quelque chose de beaucoup plus avancé au plan technologique. Je me suis dit: Tiens, on peut être pour ou contre ce genre de concept, mais il est clair que si on a une carte à puce et qu'on doit la mettre dans une machine à tous les deux ou trois jours, on pourra suivre nos mouvements. Cela me semblait assez évident.

M. Michael Crane: Je suis d'accord avec vous que s'il s'agit d'un système où il faut se rapporter assez souvent, deux fois par semaine, ce sera efficace. Cependant, je n'ai pas compris du ministère que cette technologie était disponible. Mais vous avez raison: si cela existait, c'est sûr que ce serait un système assez efficace.

Deuxièmement, selon le Rapport Trempe, ce système n'est pas nécessairement lié au statut provisoire. Ce système pourrait être imposé immédiatement si cela était possible aujourd'hui. Cela se fait déjà. Les arbitres obligent certaines personnes à se rapporter à intervalles réguliers.

• 1655

[Traduction]

Le président: Quelqu'un d'autre veut-il répondre?

Mme Avvy Yao-Yao Go: J'ai une question à poser.

Le président: Allez-y.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Je me souviens d'il y a quelques années, alors que les conservateurs étaient au pouvoir, qu'ils avaient eu l'idée en présentant le projet de loi C-86 d'exiger éventuellement que tous les immigrants aient une carte d'identité. Ils ont effectivement adopté une loi et dépensé des millions et des millions de dollars pour essayer de concevoir une carte d'identité. Toutefois, après avoir dépensé tout cet argent, ils se sont rendu compte que non seulement ils ne pourraient pas réussir à avoir une carte d'identité qu'ils pourraient considérer comme fiable, mais qu'en outre, elle ne pourrait pas répondre aux objectifs fixés au départ.

Je pense que la question préoccupe beaucoup de gens en ce moment. Des gens sont venus me dire qu'ils étaient contre cette carte d'identité. Je viens de Hong Kong et j'ai moi aussi fait l'expérience d'une carte d'identité que les citoyens de cette colonie sont obligés de porter sur eux parce que la police arrête constamment des réfugiés provenant de la Chine territoriale. Voilà entre autres ce qui préoccupait les gens, obliger certains membres de notre société à porter ce genre de carte dans le but...

Mme Raymonde Folco: Excusez-moi de vous interrompre, mais je dois partir dans quatre minutes. Je ne vous demande pas de critiquer la chose, parce que moi aussi j'aurais des critiques à faire. La question que je vous pose, c'est comment remédier au problème, le problème étant de savoir comment suivre à la trace tous ces gens—qui sont-ils? Ils sont là quelque part. Nous ne savons pas où. Voilà les véritables problèmes.

Mme Avvy Yao-Yao Go: C'est un problème et ce n'en est pas un, parce qu'il m'apparaît que l'on suppose au départ que dans leur majorité ces gens veulent rester clandestins. Prenez les clients qui viennent dans mon bureau, et je suis sûre que c'est la même chose pour tous ceux qui s'occupent des réfugiés et des personnes sans statut. Leur rêve, c'est de pouvoir être un jour immigrant reçu au Canada. C'est leur objectif. Malheureusement, pour une raison ou pour une autre, c'est bien difficile à obtenir pour nombre d'entre eux. Mais de là à penser qu'ils préfèrent... et par conséquent, qu'ils vont s'efforcer de se tenir en dehors du système, je ne suis pas d'accord.

Je suis d'accord pour dire avec Michael que ceux qui veulent être clandestins le resteront quel que soit le système mis en place. En adoptant un système en fonction du comportement d'une poignée de gens, d'une minorité, vous ne rendez pas service à la majorité et vous portez en fait préjudice à cette majorité qui respecte le système. Nous n'avons pas de solution à offrir, mais je considère que face à un tel problème, une solution n'est pas facile à trouver et ce n'est certainement pas celle qui est proposée dans le rapport.

Le président: Quelqu'un d'autre veut intervenir? Monsieur Maynard, allez-y.

M. Gordon Maynard: Madame, vous avez probablement bonne mémoire. Le droit de l'immigration est un domaine merveilleux qui fluctue. Les choses changent tout le temps. La procédure est élaborée, mise en place puis abandonnée lorsqu'on en conçoit une meilleure—du moins on peut l'espérer.

Il fut un temps, notamment peu après 1989, après l'adoption du projet de loi C-55, où la procédure d'expulsion des demandeurs n'ayant pas réussi à obtenir le statut de réfugié entraînait toujours un examen des considérations humanitaires. C'était donc automatique, pour tous les dossiers. On n'avait pas besoin de le demander. C'était fait automatiquement et souvent sans que l'intéressé en soit notifié. Les personnes concernées s'en sont rendu compte et ont entrepris de présenter des demandes officielles dans le cadre de ce mécanisme d'examen.

Mme Raymonde Folco: Avec l'aide de leurs avocats.

M. Gordon Maynard: Bien entendu, avec l'aide de leurs avocats. C'est notre travail.

Mme Raymonde Folco: En effet.

M. Gordon Maynard: Au fil des années, cette procédure d'examen de type humanitaire a été modifiée. Elle a été reprise dans le cadre du programme IMRED pour les personnes qui sont restées au Canada pendant un certain temps sans être expulsées. Elle s'est transformée en une procédure d'examen des risques officialisée par voie de réglementation, l'examen des CDNRSRC, et l'examen institutionnalisé des demandes pour des raisons humanitaires et charitables a cessé d'exister. Il reste probablement des situations dans lesquelles, pour certaines nationalités, la Direction générale de l'exécution des lois demandera l'accord d'Ottawa avant de procéder à une expulsion. Cela revient là aussi à étudier une demande pour des raisons humanitaires et charitables, mais en fonction des dangers et des risques courus et non pas de la situation personnelle de l'intéressé dans son pays.

Je me réfère en particulier à la demande officielle présentée par quelqu'un au titre des dispositions du paragraphe 114(2) ou du règlement 2.1 aux termes de laquelle il déclare: «Je veux que le ministre exerce un pouvoir discrétionnaire et me laisse séjourner au Canada pour des raisons humanitaires et charitables». Le dépôt de cette demande n'a aucun effet. Pourtant, c'est la demande que présentent la plupart des gens. Ils disent: «Regardez-moi; considérez mon cas. Je vous supplie de ne pas m'expulser.» Cela n'a aucun effet sur l'application de l'ordonnance d'expulsion.

• 1700

Mme Raymonde Folco: Monsieur le président, sans vouloir abuser de votre gentillesse et de celle de M. Reynolds, j'aimerais intervenir ici parce que je crois que c'est un point important.

Je pense qu'il est important de savoir où en est le système à l'heure actuelle et s'il fonctionne vraiment—je le signale en me référant à la partie située en bas et à droite de l'organigramme que nous a fourni le ministère. J'aimerais que l'on demande au responsable de ce ministère, le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, de nous dire combien de personnes ont demandé un sursis à exécution d'une expulsion en demandant un réexamen de leur dossier en fonction des risques ou pour des raisons humanitaires. Combien de demandes ont été acceptées? Cela m'apparaît particulièrement important.

Le président: Je pense que les statistiques existent. Je crois qu'elles figurent dans l'un de nos rapports.

Invoquez-vous le Règlement, ou tout simplement...?

M. Steve Mahoney (Mississauga-Ouest, Lib.): Eh bien, je voulais moi aussi lui demander de discuter des effets des demandes présentées à l'organisme, mais si M. Reynolds veut prendre la parole, je lui laisse la place.

Le président: Très bien, monsieur Reynolds, vous pouvez y aller.

M. John Reynolds: Vous nous avez indiqué, monsieur Crane, que vous avez assisté à notre séance d'hier, et vous avez donc probablement entendu les commentaires de Phil Rankin au sujet de l'arbitrage. Il a déclaré que ce mécanisme donnait de bons résultats à Vancouver, mais pas à Toronto. Comme vous étiez déjà là par le passé, j'imagine que les difficultés sont apparues depuis lors. Quelle est la différence entre les deux systèmes?

M. Michael Crane: En effet, il est vrai que je travaille dans ce service depuis 1992 et que les détentions ont augmenté depuis lors. Cela s'explique pour deux raisons. La première, c'est que le ministère de l'Immigration est devenu plus agressif pour ce qui est des détentions. Mississauga est le point d'entrée qui dessert principalement l'Aéroport international Lester B. Pearson et le nombre de détentions au point d'entrée a largement augmenté à un moment donné. En plus des personnes qui ont été détenues parce qu'elles avaient été condamnées dans le cadre du système pénal, un plus grand nombre d'affaires d'immigration ont été prises en charge par la procédure pénale, ce qui a entraîné une augmentation des détentions.

Il y a aussi les décisions prises par la Section d'appel concernant les dangers représentés, lorsque le ministre détermine qu'une personne présente un danger pour le public. Je ne sais pas exactement ce qu'on fait maintenant, mais lorsque la procédure a été mise en place, presque toutes ces personnes étaient placées en détention par le ministère de l'Immigration. Je ne suis pas sûr que cela ait été dit clairement devant votre comité, mais la situation n'est pas la même suivant que c'est un arbitre ou le ministre qui décide qu'une personne présente un danger pour le public et doit être détenue. Ce sont des décisions distinctes. Toutefois, si c'est le ministre qui décide qu'une personne présente des dangers pour le public, il fait en conséquence délivrer un mandat d'arrestation et la personne se retrouve devant un arbitre. La plupart des arbitres ne considèrent pas cette déclaration de danger pour le public comme étant définitive ni même probante, et ils réexaminent tout le dossier.

Quant à savoir maintenant s'il y a un gros problème qui se pose au sujet des arbitres de Toronto, il s'agit là des personnes avec lesquelles j'avais l'habitude de travailler, elles n'ont pas changé, même si elles sont moins nombreuses. Il est vrai que bien des gens se plaignent de certaines affaires et je pense que c'est la conséquence malheureuse de l'inertie. Il y aura toujours des gens qui vont être mis en détention au départ, et les arbitres vont continuer à mettre en détention des gens. Étant donné qu'il y a plus de gens en détention qu'il n'y en avait auparavant, ces situations vont se reproduire de plus en plus, ce qui est malheureux.

Demandez à pratiquement n'importe quel avocat des réfugiés ou à toute personne qui oeuvre dans le domaine de l'immigration de comparer les arbitres aux autres intervenants du système, et ils vous répondront presque tous que les arbitres s'en tirent très bien. De manière générale, je considère que les arbitres s'en tirent toujours mieux que la plupart des autres intervenants du système du statut des réfugiés ou de l'exécution des lois. Ils motivent leurs décisions et ils font preuve d'une grande souplesse. Il y en a qui sont assez durs mais, dans l'ensemble, ils sont assez raisonnables.

Il est vrai cependant que les choses ont tendance à évoluer. Ainsi, on a l'impression que les demandeurs du statut de réfugié sont davantage placés en détention, ce qui est vrai. Par contre, sans dire que l'on fasse preuve ici d'une grande indulgence, il faut bien voir que la plupart des demandeurs du statut de réfugié sortent au bout d'un ou deux mois, même s'il y en a qui ont été placés en détention pendant plus d'un an.

M. John Reynolds: Vous nous dites donc qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre Vancouver et Toronto.

M. Michael Crane: Il apparaît que ceux de Vancouver sont un peu plus indulgents—d'aucuns disent «indulgents» et d'autres vont dire «raisonnables». Toutefois, je ne crois vraiment pas qu'il faille pointer du doigt les arbitres et considérer qu'il y a là un gros problème. En fait, c'est tout le contraire. Je considère que les arbitres sont un excellent rouage du système.

• 1705

Pour revenir à nouveau sur la question du déménagement au centre-ville des arbitres de Mississauga, qui a été évoquée hier, il est évident qu'ils ont leurs raisons de vouloir travailler près de chez eux, mais on peut légitimement considérer que lorsqu'on éloigne les décideurs de l'endroit où ils font le plus gros de leur travail, le système ne peut que se dégrader. Que ce soit en raison du coût du transport des personnes détenues ou parce que l'arbitre ne verra pas la personne dont il parle...

Lorsque j'étais arbitre, je ne dirais pas que c'était courant, mais il n'était pas rare d'entendre des histoires à vous faire dresser les cheveux sur la tête. Je me souviens d'une affaire dans laquelle un homme était en prison depuis six mois sans que l'on se soit rendu compte qu'il était en détention aux fins de l'immigration. Il n'a pas bénéficié d'un réexamen de son dossier de détention. Il y a eu une période où ce genre de chose arrivait assez fréquemment. Toutefois, là encore, je ne veux pas exagérer l'importance de ces situations.

En disposant d'arbitres, on se donne les moyens de rendre des comptes. Le service de l'immigration doit justifier les détentions et donner les raisons pour lesquelles une personne est détenue. On fait fausse route en voulant instaurer un système qui aille au-delà des chiffres, comme le préconise le rapport, et au sein duquel des responsables non indépendants sont chargés de revoir ces décisions.

Pour répondre très brièvement à votre question, il y a des facteurs externes qui donnent lieu à des détentions plus longues, mais je ne crois pas que les arbitres soient nécessairement les grands responsables de cette difficulté.

M. John Reynolds: Je vous remercie.

J'ai moi aussi une question à poser.

Je tiens à remercier l'ABC de cet excellent rapport. Je considère qu'il est très complet et que vous avez relevé beaucoup de bonnes choses.

Vous avez indiqué qu'il fallait instaurer maintenant un large débat dans le public. Que proposez-vous? Le ministre va probablement préparer une législation qui va être déposée devant votre comité. Préconisez-vous que le ministre ne présente pas de législation et rédige un livre blanc qui pourrait faire à nouveau l'objet de débats avant qu'on ne passe au dépôt d'un projet de loi?

M. Gordon Maynard: La difficulté, lorsqu'on délibère au sujet d'un projet de loi, c'est que la loi est déjà là. Quand on a déjà pressé le tube pour en faire sortir la pâte dentifrice, il est difficile de la remettre en place.

À tort ou à raison peut-être, l'ABC a toujours considéré qu'elle avait un grand rôle à jouer dans le débat, mais nous préférerions que nos discussions aient lieu au moment de l'élaboration des politiques, lorsqu'on publie des documents de discussion ou de travail sur lesquels on peut influer, plutôt qu'à la suite de la rédaction d'un projet de loi dont il est ensuite débattu publiquement. À ce moment-là, les dés sont en grande partie déjà jetés, pour le meilleur ou pour le pire. Je souhaite donc qu'il y ait davantage de discussions.

M. John Reynolds: Monsieur le président, je dois vous dire que le Parti réformiste est d'accord avec l'ABC. Ça n'arrive pas si souvent.

Le président: Monsieur Mahoney.

M. Steve Mahoney: Ça pourrait l'obliger à revoir sa position.

Ma question porte sur les arguments de M. Maynard au sujet des demandes présentées pour des raisons humanitaires et charitables, et je pense que vous avez pu prendre connaissance dans le hansard de certaines questions et de certaines préoccupations sur le sujet en ce qui a trait à la procédure d'appel. J'ai posé des questions, et d'autres l'ont fait, dans les deux camps, au sujet de cette procédure, et même si je ne considère pas nécessairement que les demandes présentées pour des raisons humanitaires et charitables soient sur la sellette, cela peut se produire, ces demandes peuvent être présentées à tout moment au cours de la procédure.

En ma qualité de député, je le vois dans mon bureau aux différents stades de la procédure, que ce soit au tout début ou à un autre moment. Il est évident qu'il s'agit là d'un moyen d'appel dont disposent ces personnes. Je suis bien d'accord pour dire que si, soudainement, au moment de monter dans l'avion et de quitter le pays, elles décident de mettre l'argent dans une enveloppe, etc., il est peu vraisemblable que l'on interrompe la procédure, que l'on retienne l'aéronef et qu'on les fasse sortir. Je vous affirme cependant qu'il s'agit là d'un cas extrême qui ne correspond pas à la règle quant à l'utilisation qui est faite de ce genre de demande.

Je ne suis pas un avocat en immigration et je n'ai pas travaillé dans ce domaine, contrairement à vous tous. Je me suis familiarisé avec la question en siégeant au sein de ce comité ainsi que du comité des comptes publics, qui s'est chargé d'étudier le rapport du VG sur la question, et j'en ai finalement appris plus que ce que je ne voulais en savoir. Il m'apparaît toutefois que toute la procédure devrait être fondée dès le départ sur des raisons humanitaires et charitables. Si l'on traite avec un réfugié, c'est exclusivement parce qu'il est soumis à des pressions. Il peut craindre pour sa vie, les persécutions, la torture, etc. Tout notre système devrait donc être fondé sur des motifs humanitaires et charitables.

• 1710

Pourquoi donc disposer de ces différentes procédures d'appel, à plusieurs niveaux, qui peuvent prendre 17 ou 18 mois ou même davantage alors qu'un être humain subit une certaine forme de purgatoire et attend sans savoir ce qui se passe et ce que l'on va faire de lui? Pourquoi ne pas ramener tout le système à une simple procédure d'appel permettant de prendre la décision définitive? Je suis sûr que vous avez tous pu voir dans l'organigramme qui nous a été remis les différents secteurs auxquels ces personnes pouvaient s'adresser pour que, soit leur demande de statut de réfugié soit rejetée, soit qu'elle soit acceptée et que l'on traite leur dossier en conséquence, soit qu'elles fassent appel pour repasser par toute cette procédure.

C'est la durée de l'opération qui m'inquiète et le fait que cette demande pour des raisons humanitaires et charitables semble faire double emploi avec la procédure déjà en place. Comment accélérer la procédure? Ne pourrions-nous pas la ramener à une période de six mois, qui m'apparaît plus juste pour les demandeurs, moins lourde et moins coûteuse pour le système? Cela pourrait réduire, excusez-moi de vous le dire, une partie de votre tâche, mais ce n'est pas sûr.

M. Gordon Maynard: Je n'ai jamais vu le ministère de l'Immigration faire quoi que ce soit qui réduise ma tâche.

M. Steve Mahoney: J'en suis certain.

Voilà donc ce que je tiens à dire au sujet des motifs humanitaires et charitables.

M. Gordon Maynard: J'aimerais qu'il y ait une réponse simple à votre question, parce qu'il semble que ce soit une proposition raisonnable à laquelle j'ai beaucoup réfléchi en lisant les commentaires que vous avez faits lors des autres séances.

La quantité d'examens et d'appels que permet la procédure actuelle varie selon les circonstances propres à chacun car le nombre d'examens et d'appels que l'on peut obtenir est directement proportionnel aux prérogatives et aux droits qui sont mis en jeu.

Prenons par exemple une situation très simple dans laquelle un Américain traverse la frontière et finit par travailler chez nous sans avoir le droit. Un agent d'immigration le découvre, lui remet une ordonnance administrative d'expulsion, sans qu'il y ait d'audience, et éventuellement le reconduit à la frontière pour qu'il retourne dans son pays. Cette personne n'a pas le droit de faire appel. Pourquoi? Parce qu'en réalité elle n'a en substance aucune prérogative ou aucun droit qu'on lui enlève en l'expulsant. Elle est ici illégalement, elle n'a aucun droit.

Par contre, une personne qui est entrée légalement au Canada en tant qu'immigrante, qui y habite depuis 35 ans et qui enfreint les dispositions de la Loi sur l'immigration et risque une expulsion a un droit d'appel. Cette personne a le droit de faire appel devant un tribunal indépendant, la section d'appel, qui est habilitée à réexaminer l'affaire en tenant compte du droit, des faits et des circonstances humanitaires et charitables—en jugeant en fait en équité en fonction de toutes les circonstances de l'affaire. Nous conférons à cette personne un droit d'appel plus étendu parce qu'elle a davantage le droit d'être protégée.

Peut-on réunir les deux choses? Non, parce que l'on a affaire à des cas différents et qu'on ne peut les regrouper. Il n'y a aucune commune mesure.

Le demandeur du statut de réfugié passe devant la SSR, la Section du statut de réfugié, parce que cette section est compétente lorsqu'il s'agit de se prononcer précisément sur la question suivante: Cette personne est-elle un réfugié aux termes de la Convention? Voilà la charge qui lui est confiée. Elle ne se penche pas sur les motifs humanitaires. Elle n'examine pas les autres facteurs de risque. Elle n'examine que les dangers et les risques de persécution conformes à la définition du réfugié qui est donnée par la Convention.

Il est donc difficile de concilier les deux choses. On peut difficilement les juger à la même aune. C'est une question qu'a examinée le ministère il y a plusieurs années. Les responsables se sont demandés si l'on ne pouvait pas instituer une demande unique qui recouvre l'ensemble et, dans l'affirmative, à quel niveau il fallait la placer? À l'entrée du système ou en bout de chaîne?

• 1715

Certaines personnes parlent de conférer à la Section du statut de réfugié une compétence élargie lui permettant de tenir compte d'autres types de risques qui ne relèvent pas de la définition de la Convention, ce qui éviterait ainsi d'avoir à présenter une demande distincte portant sur l'évaluation des risques ou sur des considérations humanitaires et charitables. D'autres veulent conférer cette compétence à la Section d'arbitrage qui délivre la première ordonnance d'expulsion. Pourquoi ne tiendrait-on pas compte à ce niveau des motifs humanitaires et charitables pour se débarrasser du double examen?

Prenons le cas où j'ai affaire, par exemple, à un immigrant reconnu coupable au Canada d'une infraction unique qui amène la Section de l'arbitrage à se prononcer sur la nécessité de délivrer une ordonnance d'expulsion. Les éléments de preuve vont être les suivants: «Je m'appelle Bob, je suis résident permanent et voilà ma condamnation.» On délivre une ordonnance d'expulsion.

Il n'y a pas de moyen de défense dans ce cas. Je n'ai pas encore vu une affaire dans laquelle je pouvais me lever et dire: «Il ne s'appelle pas Bob, il n'existe pas.» Nous allons donc devant la Section d'appel pour que l'affaire soit entièrement réexaminée. Pourquoi ne pas y être allé directement? Pourquoi être passé par ce premier niveau? De ce point de vue, je ne pense pas que la Section d'arbitrage joue un rôle utile. Par contre, je considère que la Section d'arbitrage a un rôle considérable à jouer lorsqu'il convient de réexaminer des ordonnances de mise en détention ou de juger de l'éventualité d'une expulsion dans des affaires complexes dans lesquelles les personnes concernées n'ont pas le droit de faire appel devant la Section d'appel.

Peut-on procéder à une certaine rationalisation? Oui. Je pense qu'en y réfléchissant bien on peut trouver des domaines dans lesquels une rationalisation s'impose. Toutefois, je considère que le gros problème est administratif et non pas fonctionnel. Les mécanismes que nous avons mis en place me paraissent bien conçus. Ils sont logiques. Ils m'apparaissent logiques.

Sur le plan administratif, toutefois, nous avons des difficultés. J'ai d'ailleurs lu avec intérêt les observations de M. Borowyk touchant la gestion de l'information et les moyens que l'on cherche à se donner pour garder la trace des personnes concernées et découvrir des sources d'information pour qu'au moment où l'on doit procéder à l'expulsion, l'information soit disponible et l'on ne recommence pas à zéro. Voilà qui me paraît logique. Je dis à M. Borowyk: «Allez-y. Faites. Plus vous aurez de l'information, mieux ce sera.»

M. Steve Mahoney: Lorsque vous nous dites que c'est un problème d'administration, est-ce que vous voulez entendre que l'on manque de personnel?

M. Gordon Maynard: Je pense que le vérificateur général a eu raison de parler de la Section du statut de réfugié et de déclarer qu'à un moment donné, en 1994, je crois, le ministre avait reconnu qu'il avait besoin de 184 membres à la commission et qu'il n'y en avait que 152 et que, deux ans plus tard, il y en avait 154. Où se situe le problème ici? Je pense que le vérificateur général a raison de dire que l'on perd de l'argent et que l'on perd en efficacité en engageant à court terme du personnel qui a besoin d'une formation, avec un taux de roulement élevé. Ce n'est pas intelligent. On ne le ferait pas dans le secteur privé.

M. Steve Mahoney: C'est comme pour les députés.

Des voix: Oh, oh.

M. Gordon Maynard: Et vous êtes tous en phase d'apprentissage.

M. Steve Mahoney: Pour certains d'entre nous, une phase de courte durée.

M. Gordon Maynard: On ne le ferait pas dans le secteur privé. Pourquoi le fait-on à la Section du statut de réfugié? J'aime bien la Section du statut de réfugié, j'aime son indépendance.

Je n'aime pas ce qui est proposé dans le rapport du GCRL, les fonctionnaires qui... Lorsque je demande aux membres du GCRL comment ils conçoivent ces «agents de protection», ils y voient des gens qui occupent alternativement ces fonctions: une semaine ils agissent en qualité d'agent de protection et la semaine suivante en qualité d'agent du respect de l'application des lois. Ce n'est pas une bonne chose. Il faut à mon avis qu'ils se spécialisent. C'est un domaine très complexe.

Toutefois, il faut donner à ces responsables les moyens d'avancer et de faire leur travail. Il faut qu'ils aient du personnel et des ressources. Si on le fait, le service est rentable. Si on ne le fait pas, on se retrouve avec les lacunes qu'on mérite.

Le président: Madame Minna.

M. Gordon Maynard: Excusez-moi, je me suis beaucoup étendu sur le sujet.

Le président: Pas de problème.

Mme Maria Minna (Beaches—East York, Lib.): Vous êtes tout excusé. Je m'en suis déjà prise à M. Maynard en d'autres occasions, et je suis maintenant plus patiente.

Je veux simplement revenir sur une ou deux observations que vous avez faites tout à l'heure dans votre exposé. Vous nous avez dit—et nous le savons tous—qu'il y a des réfugiés ou des personnes qui ont épuisé tous les moyens d'appel. Jusqu'à un certain point, ils ont épuisé la procédure, mais nous constatons au bout d'un an ou deux qu'ils sont encore là et, selon vous, s'ils pouvaient travailler, ils ne seraient pas obligés de vivre des prestations du bien-être. Très bien.

La question que je me pose cependant est la suivante: Si la procédure d'appel a été épuisée, pourquoi sont-ils encore là? Sont-ils devenus des clandestins? J'essaie de comprendre quels autres mécanismes...

M. Gordon Maynard: Pour commencer, ce n'est pas moi qui ai fait ces observations.

Mme Maria Minna: Excusez-moi. C'était peut-être M. Crane.

M. Gordon Maynard: Oui, je crois que c'était M. Crane.

Mme Maria Minna: Vous avez raison. Je vous fais mes excuses. Je lui renvoie la balle. Vous vous en sortez bien—du moins pour l'instant.

M. Michael Crane: Pourquoi donc les gens sont-ils toujours là alors que tout est terminé?

Mme Maria Minna: Oui. Vous ne sembliez pas laisser entendre qu'ils étaient devenus clandestins et je me demandais simplement s'il y avait quelque chose dont j'ignore l'existence, en plus de la procédure d'appel.

• 1720

M. Michael Crane: J'aimerais souligner quelque chose qu'a déclaré M. Maynard. Il est vrai—je l'ai noté moi aussi—qu'il n'y a en fait qu'un seul appel efficace pour surseoir à l'exécution d'une expulsion, c'est l'appel de la décision prise par la Section du statut de réfugié qui a refusé ce statut. Ce n'est pas en appelant un organisme que l'on va arrêter l'expulsion, absolument pas.

Mme Maria Minna: C'est vrai. Cela, nous le savons.

M. Michael Crane: Quoi qu'il en soit, cet argument a déjà été présenté. Je tenais simplement à le souligner.

Si ces gens sont toujours là, c'est en raison de plusieurs facteurs. L'un d'entre eux vient en fait des ressources dont dispose l'immigration. J'ai relevé que lorsque les responsables de ce ministère ont témoigné, ils ont pointé du doigt certains pays vers lesquels il était difficile d'expulser, et certains demandeurs, qui ne veulent pas fournir l'information. Ils ont dû toutefois reconnaître que les demandeurs qui ne donnent pas d'information ne sont qu'une minorité. Ils n'ont pas précisé quelle minorité.

En réalité, l'un des gros problèmes vient des ressources que l'on y consacre. Je pense que le GCRL n'en tient pas vraiment compte puisque, par exemple, il va être plus onéreux de placer tout le monde en détention.

Si les gens restent sur place, c'est aussi parce qu'il y en a qui deviennent clandestins. C'est une particularité, du moins en Ontario. Je ne sais pas si ça se passe ou non à l'échelle du Canada. M. Rankin m'a dit que ce n'était pas le cas à Vancouver.

Comme vous le savez, de nombreuses demandes sont présentées au point d'entrée. L'intéressé reçoit automatiquement ce que l'on appelle une mesure d'interdiction de séjour conditionnelle. Lorsque la mesure d'interdiction de séjour conditionnelle a pris effet, on est obligé de quitter le Canada dans les 30 jours. Si l'on suit la procédure normale, on présente une demande de statut de réfugié, puis on fait appel et il faut ensuite que l'examen postérieur à la demande entraîne un refus. On reçoit alors une lettre nous enjoignant de quitter le pays dans les 37 jours.

La plupart des demandeurs ne veulent pas quitter le pays dans les 37 jours pour diverses raisons. En Ontario, un mandat d'arrestation est délivré immédiatement à l'encontre de ceux qui ne quittent pas le pays. Les responsables savent que l'on n'a pas quitté le pays puisque l'on est tenu de fournir une confirmation du départ et d'envoyer le document correspondant lorsqu'on quitte le pays au point d'entrée. Sur leur ordinateur, les responsables ont la liste des gens qui devraient avoir quitté le pays et, si le départ n'est pas confirmé, on délivre des mandats à l'encontre de ces personnes.

C'est presque automatique. Dans la lettre qui est envoyée, on peut lire qu'un mandat va être délivré. J'imagine qu'il n'est pas délivré dans tous les cas.

Ces personnes n'ont pas vraiment envie d'entrer en contact avec le ministère de l'Immigration, à aucun prix. Elles ne sont plus autorisées à travailler. Dès qu'elles se signalent, elles sont placées en détention.

Certaines personnes se voient délivrer une ordonnance d'expulsion dès le départ. C'est une chose qui arrive. Celui qui présente une demande sur le territoire peut se voir signifier une ordonnance d'expulsion ou d'interdiction de séjour. Si on présente une demande une seconde après avoir quitté l'aéroport, à condition de trouver un agent d'immigration, on peut se voir délivrer une ordonnance d'expulsion. Les personnes en cause peuvent attendre deux ou trois ans avant que le ministère de l'Immigration ne les fasse venir pour les interroger sur les documents de voyage.

Ce que je veux dire par là, c'est que les gens sont tentés, du moins en Ontario, d'éviter le ministère de l'Immigration étant donné qu'on les a obligés à entrer dans l'illégalité. Pour une raison ou pour une autre, il semble qu'il faille se résoudre, lorsqu'on fait appliquer les lois de l'immigration, à ce qu'il y ait un certain décalage entre le moment où une personne peut être expulsée et le moment où elle l'est effectivement.

Je dois préciser que cela ne se retrouve pas dans tout le système. Le Canada et les États-Unis ont passé une entente pour procéder aux expulsions, et en Ontario ces expulsions sont prises en charge par les services de Niagara Falls. Une personne sur le point d'être expulsée reçoit souvent une lettre expédiée par les services de Niagara Falls deux semaines après un refus de l'ARRR. Ces personnes se retrouvent assez rapidement au point d'expulsion, ce qui fait que ce n'est pas l'ensemble du système qui est lent.

Mme Maria Minna: Monsieur Maynard, vous avez quelque chose à ajouter?

M. Gordon Maynard: Oui.

Ce n'est pas parce que le ministère ou le vérificateur général ne peuvent constater le départ du pays que d'un certain pourcentage de gens au cours d'une période donnée que les autres sont toujours sur place. Certains suivent encore la procédure. Ils sont identifiés. Ils passent devant la Cour fédérale ou en sont à une autre procédure d'examen. Ils sont encore sous le coup d'une ordonnance d'expulsion, mais elle n'est pas encore effective, il y a sursis à exécution.

Je considère toutefois que lorsqu'ils ont véritablement épuisé la procédure, les gens ont vraiment tout intérêt à partir parce qu'après cela leur vie au Canada est très hasardeuse. Ils n'ont plus de statut légitime. Ils ne peuvent plus légitimement travailler. Ils n'ont plus d'autorisation d'emploi. Ils courent toujours le risque d'être découverts.

S'ils se retrouvent devant les services d'immigration sans avoir respecté la mesure d'interdiction de séjour, il y a maintenant une ordonnance d'expulsion à leur encontre. On les renvoie vers leur pays d'origine, où ils affirment qu'on va les persécuter, ou vers un pays dans lequel ils n'ont aucun statut, si c'est le pays de transit.

Ces gens n'ont donc aucun intérêt à se présenter devant le ministère de l'Immigration et aucun intérêt à rester au Canada. Ce qui se passe, je crois, c'est qu'ils quittent clandestinement le pays. Ils vont, je pense, aux États-Unis et essaient de travailler illégalement là-bas ou encore d'y présenter une demande de réfugié. Je ne comprends pas comment on peut penser qu'ils sont encore là, parce que c'est une existence bien triste.

• 1725

Mme Maria Minna: C'est juste. Je vous comprends.

J'ai une dernière question qui s'adresse elle aussi à monsieur Crane. Vous nous avez dit tout à l'heure que peu de CDNRSRC étaient acceptées, que les chiffres étaient très faibles, et que les ARRR se fiaient à l'information donnée par la commission. Vous sembliez laisser entendre que cette information n'était pas bonne.

J'aimerais avant tout vous poser deux questions. Tout d'abord, est-ce que vous jugez, en vous fondant sur votre expérience, que ce faible taux d'acceptation est justifié? Préconisez-vous au contraire que l'on accepte davantage de demandes? Enfin, à votre avis, est-ce que l'information qui est fournie est bonne ou y a-t-il dans ce domaine des problèmes? J'essaie de comprendre les remarques que vous avez faites sur toute cette question. Je ne sais pas trop si c'était une simple description ou si vous évoquez l'existence d'un problème.

M. Michael Crane: C'était une simple description, mais il y a un problème.

Comme l'a fait remarquer monsieur Maynard, il y avait une évaluation des risques qui était faite à peu près depuis 1989, avant que la réglementation des CDNRSRC soit mise en place, et jusqu'en 1994 les demandeurs, ceux qui n'avaient pas réussi à obtenir le statut de réfugié, n'en étaient pas vraiment informés. À l'heure actuelle, un agent revoit les motifs de la Section du statut de réfugié, la formule de renseignements personnels, la documentation fournie par la CISR et tout ce que le demandeur dont le statut a été refusé lui envoie.

Quand je dis que l'on se fie beaucoup à ce que fait la CISR, je veux parler précisément du fait que la plupart des demandeurs dont le statut de réfugié a été refusé échouent. S'ils viennent d'un pays qui produit des réfugiés, ils sont déboutés parce que la commission déclare qu'ils n'ont pas dit la vérité. Les ARRR, les agents chargés de la révision des revendications refusées, vont rarement s'écarter de cette analyse. Ils partent généralement du principe que l'on ne peut pas nier la crédibilité des constatations faites par la Section du statut de réfugié et ils souscrivent à ses conclusions.

Les derniers chiffres, si quelqu'un n'en a pas de plus récents, ceux dont j'ai entendu parler il y a un an, nous révèlent qu'environ 5 p. 100 des CDNRSRC sont acceptées. Cela va changer, même si je ne sais pas dans quel sens, parce que depuis l'année dernière, les intéressés doivent désormais choisir de faire revoir leur dossier par un ARRR, ce qui n'était pas le cas auparavant dans le cadre de l'examen des CDNRSRC. C'était automatique.

Un examen a été effectué par le ministre en 1994 ou vers cette date. Le taux d'acceptation était de 1,5 p. 100, il est passé à 5 p. 100 à la suite de cet examen parce que l'on a émis des directives et parce que l'on avait le sentiment, je crois, qu'il convenait d'accepter davantage de gens.

Je crois comprendre—et ce n'est absolument pas un sondage scientifique—que la plupart des personnes acceptées dans la catégorie CDNRSRC sont des ressortissants des pays en proie à la guerre civile, comme l'Afghanistan ou la Somalie, et qu'un demandeur dont le statut a été refusé a bien des difficultés à convaincre un ARRR, s'il n'appartient pas à l'un de ces pays, qu'il court un risque, quelle qu'en soit la raison. Les CDNRSRC semblent servir avant tout à identifier les personnes qui sont des ressortissants des pays dans lesquels il est assez évident que de grosses difficultés les attendent. Elles ne tiennent pas vraiment compte des questions spécifiques.

Les CDNRSRC ont aussi l'inconvénient de ne pas présenter à ce moment-là les motifs de la décision, même si on peut les obtenir. Lorsqu'on fait appel de ces décisions, il n'y a pas sursis à exécution. L'immigration peut toujours vous expulser.

Toutefois, la Cour fédérale a déclaré que l'examen des CDNRSRC était totalement discrétionnaire. J'ai vu peut-être un ou deux appels auxquels on a fait droit parce que des éléments de preuve qui auraient dû être pris en compte pour une raison ou pour une autre auraient dû être signalés à l'attention du demandeur.

Normalement, le demandeur ne sait pas exactement ce que va considérer l'agent. On lui dit qu'il va se pencher sur tout ce qui se trouve à la CISR, soit par conséquent sur des affaires qui peuvent être assez anciennes.

Il y a là aussi une difficulté, parce que quelqu'un qui fait une demande de CDNRSRC n'a que 30 jours pour faire parvenir l'information. Il peut être statué à n'importe quel moment sur la demande de CDNRSRC, même si les responsables vont prendre en compte tout renseignement nouveau, mais il est difficile de fournir continuellement des renseignements sur la CDNRSRC pour se retrouver soudain devant une décision négative. Si l'on avait averti l'intéressé que l'on envisageait de procéder à un réexamen dans les deux mois, ce dernier aurait pu fournir davantage de renseignements.

Le président: Madame Augustine.

Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.): Merci, monsieur le président. Excusez-moi. Je couve une maladie, la grippe, un rhume ou quelque chose comme ça.

• 1730

J'aimerais poser une série de questions qui découlent de vos dernières observations, monsieur Crane, et les poser à l'ensemble des témoins qui sont ici aujourd'hui. À partir du moment où l'on parle de prise de décisions, d'enquêtes, de recueil des éléments de preuve tout en prévoyant parallèlement des pouvoirs discrétionnaires et des pouvoirs de décision, j'essaie encore de voir où est la corrélation, comment interviennent dans tout cela les critères liés à la race, à la couleur et au lieu d'origine. Pouvez-vous nous dire, compte tenu de ce que vous savez des détentions et des expulsions, comment cela se répartit en fonction du pays d'origine, de la race et de la couleur?

Il est dommage que mon ami du Parti réformiste nous quitte.

Le président: Voulez-vous commencer? Oui, allez-y, madame Go.

Mme Avvy Yao-Yao Go: Nous avons en fait participé aux activités d'un groupe intitulé Coalition de l'immigration, faute de meilleure appellation. Ce groupe a été constitué l'année dernière à la suite de la grève de la faim qui a été déclenchée dans le centre de détention de l'ouest de la communauté urbaine.

À l'époque, nous nous sommes entretenus avec près de 200 personnes, qui étaient détenues dans le centre de détention de l'ouest de la communauté urbaine, et je pense que presque toutes étaient là parce qu'elles tombaient sous le coup des lois qui les déclaraient dangereuses pour la société. Elles avaient purgé une peine et étaient ensuite détenues par les services de l'immigration même s'il s'agissait parfois de résidents permanents ou de réfugiés au titre de la Convention qui habitaient depuis très longtemps au Canada.

Avant cela, j'avais déjà eu en fait l'occasion d'aller dans l'ouest de la communauté urbaine pour rencontrer certaines de ces personnes. À l'époque, le groupe n'était pas encore constitué, mais nous étions allés là parce que nous avions commencé à recevoir des appels des membres de la communauté vietnamienne. Les parents étaient venus nous dire que leur fils, leur mari, etc., se trouvait dans le centre de détention depuis longtemps—un an ou deux, et même plus parfois—et qu'on ne le laissait pas sortir même s'il avait déjà purgé sa peine au pénal.

Nous sommes allés sur place et nous n'avons rencontré qu'une poignée d'entre eux. Il y en a qu'une vingtaine qui sont venus ce jour-là. Plus tard, nous avons appris que d'autres... Il y a beaucoup de Jamaïcains qui sont détenus dans ce centre, des Vietnamiens, et un certain nombre de personnes appartenant à d'autres groupes, mais à 99 p. 100 des non-Blancs. Les personnes ainsi placées en détention nous ont dit qu'elles avaient vu nombre d'immigrants blancs qui avaient été condamnés au pénal et qui, après avoir été placés en détention, et parfois même sans avoir été mis en détention, sont repartis très rapidement.

Nous avons alors posé des questions pour en savoir la raison et le motif. Tout d'abord, qui est déclaré dangereux pour la société? Deuxièmement, qui n'est pas libéré, ou qui est libéré sous caution lorsque l'affaire va en arbitrage? Selon les statistiques mêmes que nous a fournies le ministère de l'Immigration, pour la région de l'Ontario, il ressort que parmi les détenus à long terme, un très gros pourcentage sont des Jamaïcains, les Vietnamiens venant ensuite—mais que dans la grande majorité il s'agissait d'immigrants et de réfugiés non blancs. Il y a de quoi se poser des questions.

Je considère toutefois que cela s'explique en fait en partie par des raisons qui ne tiennent pas à la procédure d'immigration mais davantage à la justice pénale. Ainsi, qui considère-t-on comme des criminels? Quels sont ceux que l'on arrête pour trafic de drogue, contrairement aux habitants de Forest Hill qui en font une habitude? Qui sont les petits trafiquants de drogue qui se font arrêter constamment parce que la police fait du zèle dans certains quartiers de Toronto? Lorsqu'il y a trafic de drogue, il suffit d'une inculpation pour que l'on soit jugé dangereux pour le public et c'est pourquoi de nombreux Jamaïcains et Vietnamiens se font prendre même s'ils n'ont peut-être commis aucun crime violent.

Je considère donc que c'est déjà au niveau de la justice pénale que les non-Blancs sont criminalisés, qu'on les considère comme des criminels, et qu'ils subissent alors les foudres de l'immigration. Il y a donc une procédure qui fait qu'ils sont réputés être dangereux pour la société parce qu'il se trouve qu'ils sont Jamaïcains ou Vietnamiens.

Dans un grand nombre d'affaires qui font les manchettes... Voyez Paul Bernardo, personne ne s'est jamais demandé d'où il venait, ou s'il était immigrant. Toutefois, si un Jamaïcain est arrêté parce qu'il a tiré sur quelqu'un ou pour toute autre raison, la première chose qui vient à l'esprit du public, c'est de se demander quel est son statut vis-à-vis de l'immigration.

Je pense donc qu'il y a là un vrai problème et qu'il nous faut le considérer de plus près. Cela porte en outre non seulement sur le pouvoir discrétionnaire de décréter qu'une personne va pouvoir bénéficier d'un cautionnement, mais aussi sur celui de décider qui présente un danger.

• 1735

Le président: Vous pourriez éventuellement ne pas vous arrêter à la province et examiner à l'échelle du pays s'il y a là une tendance commune et si ce scénario se reproduit dans d'autres centres. C'est une remarque très intéressante.

Avez-vous d'autres questions à poser, Jean, ou peut-on lever la séance?

Mme Jean Augustine: Non, je pense que c'est tout.

Le président: Très bien.

Merci beaucoup de ces exposés. Vous nous avez présenté une grande quantité d'information, d'un grand intérêt parfois, et il nous faut poursuivre nos délibérations. Naturellement, nous vous tiendrons au courant de nos travaux futurs. Je sais pertinemment que vous vous préoccupez de l'orientation que nous allons donner à nos travaux dans les mois à venir. On parle de mois, mais ce pourrait être dans une année ou deux, parce que les problèmes sont extrêmement complexes. Merci beaucoup et bonsoir.

La séance est levée.