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Je déclare la séance ouverte.
J'aimerais vous souhaiter la bienvenue à la quinzième séance du Comité permanent de la défense nationale. Nous poursuivons notre étude concernant le rôle des soldats canadiens dans les missions de paix internationales après 2011.
Nous recevons aujourd'hui, du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix, M. Jocelyn Coulon, directeur et, à titre personnel, nous accueillons M. Douglas Bland, de la chaire d'études en gestion de la défense à l'École des études politiques de l'Université Queen's.
Je crois comprendre que M. Bland commencera. Vous disposez chacun de cinq à sept minutes, messieurs, puis nous passerons au premier tour, en commençant avec l'opposition officielle. Selon le nombre de questions qu'il y aura, nous pourrons probablement faire quelques tours.
Monsieur Bland, vous avez la parole.
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Merci, monsieur le président. J'ai quelques notes manuscrites dont je me servirai, puis, je serai très heureux de me joindre à votre discussion et de répondre à vos questions.
Je passe maintenant à mes notes. J'ai surtout ceci à transmettre au comité: une étude sur le futur des opérations de paix qui part du principe que les opérations de paix ou de maintien de la paix sont des opérations militaires distinctes des actions belliqueuses fait une fausse dichotomie susceptible de diminuer l'influence de l'étude dans la formulation des futures politiques de défense du Canada.
Les opérations de paix et de maintien de la paix sont des formes de guerre dans lesquelles, comme dans toutes les autres formes de guerre, les moyens et les tactiques sont adaptés pour répondre aux besoins des circonstances particulières. Situer ces opérations en dehors des réalités de la guerre sème la confusion dans la planification de la politique et de la défense et suscite des attentes irréalistes dans notre collectivité. Comme nous l'avons vu dans la campagne de l'Afghanistan, cette confusion peut compromettre les opérations des Forces canadiennes sur le terrain et nuire aux intérêts nationaux du Canada.
Les experts ont décrit la guerre depuis très longtemps comme un événement qui se produit dans le spectre de la violence. Au point le plus bas, on pourrait placer la paix instable ou les cessez-le-feu dans les conflits. Au point le plus élevé, nous avons la guerre totale, avec peu de limite d'échelle ou de férocité du combat.
Les exemples d'opérations menées au point le plus bas du spectre incluent les premières missions de maintien de la paix à grande échelle de l'ONU au Moyen-Orient en 1956 et à Chypre en 1964, opérations qui sont toujours en cours. Dans les deux cas, des forces légèrement armées ont été déployées dans des situations où la possibilité de conflits armés semblait faible.
À l'autre extrême du spectre, nous avons les guerres mondiales; le long du spectre, nous avons les soi-disant guerres limitées, par exemple en Corée en 1950 et au Moyen-Orient en 1956, 1967 et 1973, et au Liban plus récemment.
Toutes les guerres, définies par leurs caractéristiques particulières, peuvent se situer ici et là le long du spectre de gravité des conflits.
Les guerres qui partagent des caractéristiques particulières ont souvent des modes particuliers de conduite et de tactique. Par exemple, la guerre urbaine, la guérilla, la guerre révolutionnaire et la guerre civile ont leurs propres caractéristiques qui les définissent et ont donc souvent leurs propres modes de combat qui les définissent. Mais elles sont toutes des guerres aux termes de la définition générale. Elles ont leur propre grammaire, mais non leur propre logique. En d'autres mots, elles sont déterminées par leurs moyens et leurs modes particuliers, et non comme des opérations distinctes des circonstances générales et des exigences de la conduite de la guerre.
Également, les opérations de maintien de la paix et de paix ne sont pas distinctes de la guerre. Elles sont plutôt d'autres formes d'opérations militaires avec leur propre grammaire et leur propre logique.
Quand nous supposons, dans nos situations modernes, que ces opérations de paix ne sont pas des guerres parce qu'elles ont lieu dans des circonstances particulières et sous la conduite des autorités internationales, et parce qu'elles utilisent des tactiques et des modes d'opération particuliers, nous commettons une erreur de taille. De plus, lorsque nous supposons que toutes les opérations de paix futures doivent entrer strictement dans le moule des opérations de maintien de la paix de l'ONU des années 1950 et 1960, nous faisons également une grave erreur.
Permettez-moi d'appuyer mes remarques sur deux illustrations d'opérations militaires des Forces canadiennes conduites entre 1990 et 2010. Les Forces canadiennes ont été déployées dans l'ancienne Yougoslavie en 1991 sous le drapeau bleu de l'ONU et, comme il devait s'agir d'une opération de maintien de la paix, elles ont été équipées en conséquence pour cette mission. Les unités de combat sont arrivées sur le théâtre des opérations avec seulement six rondes de munition à fusil par soldat. Elles ont été attaquées presque immédiatement par des forces locales bien équipées. Pendant dix ans, ces unités ont essayé de conduire des opérations de maintien de la paix à l'intérieur d'une guerre conventionnelle. Le gouvernement libéral du jour a refusé de reconnaître ce fait et a sacrifié la vie de 25 soldats et provoqué une myriade de blessés graves.
Aujourd'hui, les Forces canadiennes participent à une guerre en Afghanistan. Pour les unités de combat, il s'agit d'une guerre aussi mortelle que les autres que nous avons menées ailleurs dans le monde, une guerre conduite avec toutes les armes conventionnelles que les Forces canadiennes possèdent. Pourtant, au beau milieu de cette guerre, les soldats des Forces canadiennes et les fonctionnaires du gouvernement du Canada mènent des opérations de paix complexes, des missions humanitaires et de développement, par exemple. Notre mission en Afghanistan ne peut pas être étiquetée comme une guerre ou une opération de paix; c'est plutôt une mission en situation de conflit que nous menons avec les moyens et les méthodes appropriés à ces circonstances particulières.
Les questions sur lesquelles le comité se penche et les recommandations qu'il fera sont importantes. Mais une étude qui parvient à des conclusions destinées à influencer les politiques de défense futures en s'appuyant sur la notion que les opérations de paix sont séparées et distinctes de la guerre sera moins crédible.
L'environnement international dans lequel les Forces canadiennes peuvent s'attendre à opérer dans le futur ne permettra pas le déploiement de forces de maintien de la paix qui ne sont pas prêtes au départ pour les rigueurs du combat parmi les populations des États et des communautés en désintégration.
J'espère que le comité rompra avec le passé et sera le premier à alerter audacieusement les Canadiens à propos des réalités opérationnelles et des limites des opérations de paix de troisième génération et des dangers qu'elles présentent pour les hommes et les femmes des Forces canadiennes.
Merci, monsieur le président.
[Français]
Monsieur le président, messieurs les députés, ce comité examine, bien sûr, le rôle des militaires canadiens dans les opérations de maintien de la paix après 2011. J'ai quelques idées à soumettre et quelques suggestions à faire non seulement sur l'évolution des opérations de maintien de la paix, mais sur ce que le Canada pourrait effectivement entreprendre, que ce soit en Afrique ou sur d'autres théâtres d'opérations.
Toutefois, je pense qu'il est avant tout important de faire des distinctions — Douglas Bland a souligné ce point dans son mémoire. Les opérations de maintien de la paix ne sont qu'un aspect des opérations de paix plus larges d'aujourd'hui qui comprennent des opérations de prévention de conflit, d'imposition de la paix, de rétablissement de la paix ou de consolidation de la paix. À l'intérieur de ce spectre, il y a aussi le maintien de la paix traditionnel, celui auquel les Canadiens ont été habitués pendant une cinquantaine d'années.
Ces opérations de paix, monsieur le président, ont pris une ampleur considérable et jamais vue au cours des 65 dernières années. Il y a 20 ans, sur la planète, il y avait 12 opérations de maintien de la paix; 11 étaient chapeautées par les Nations Unies, et 1 par une force multinationale installée dans le Sinaï entre l'Égypte et Israël. Aujourd'hui, comme je l'ai bien décrit dans mon document, les opérations de paix, ce sont 40 missions de maintien, d'imposition ou de consolidation de la paix déployées sur 5 continents, 200 000 gardiens de la paix, 6 organisations internationales et régionales et 2 coalitions qui prennent part actuellement à ces missions, des milliards de dollars destinés à reconstruire des États fragiles et à offrir un nouveau départ aux populations de 23 pays, situés particulièrement en Afrique, et un taux de réussite salué par la plupart des chercheurs et centres de recherche, dont la RAND Corporation et le Human Security Report.
Si les opérations de paix d'aujourd'hui sont devenues aussi populaires auprès des décideurs, en tant qu'outils de gestion ou de règlement des conflits, c'est que leur perfectionnement au fil des ans a produit des résultats. Aujourd'hui, les mandats des opérations de paix permettent un certain nombre d'activités, telles que l'établissement de la confiance, l'arrestation de criminels de guerre, la création ou le renforcement de structures étatiques, le désarmement et le déminage, la réintégration des enfants-soldats, la protection des civils dont les femmes et les enfants, la réforme du secteur de la sécurité, etc.
En fait, le succès des opérations de paix est dorénavant pris en compte, même par un nombre croissant de pays occidentaux qui les avaient plus ou moins abandonnées dans les années 1990. Les témoignages de cette confiance retrouvée se multiplient. En 2006, 7 pays européens, dont des grands pays comme la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, sont venus renforcer la mission au Liban, et à leurs conditions, monsieur le président, ce qui est important pour le Canada dans la suite des choses. En septembre 2009, au cours d'une rencontre sans précédent dans l'histoire des Nations Unies, le président américain s'est adressé aux pays contributeurs de contingents de l'ONU et leur a promis un engagement soutenu des États-Unis. Enfin, en février 2010, le nouveau Livre vert de la Défense britannique souligne que« le rôle exceptionnel de l'ONU dans l'architecture internationale, l'édification de la paix, la sécurité et la gouvernance est plus important que jamais ».
Donc, depuis cinq ans, il y a de nombreux pays occidentaux qui réfléchissent à un retour dans les opérations de paix, ou qui franchissent ce pas pour participer aux opérations de l'ONU, de l'OTAN, de l'Union européenne, de l'OSCE. Ils soutiennent les opérations de paix de l'Union africaine et d'autres organisations régionales.
Je vais poursuivre très rapidement. Vous le savez — Douglas l'a souligné dans son témoignage —, les années 1990 ont été pénibles pour ce qui est des opérations de maintien de la paix. Il y a eu des erreurs et des catastrophes, et on oublie souvent les succès. J'ai été journaliste pendant 20 ans. Comme vous le savez, messieurs les députés, les journalistes écrivent des mauvaises nouvelles, parce que les gens ne veulent pas lire les bonnes nouvelles. Concernant les opérations de maintien de la paix, il y a des bonnes nouvelles. Sur 120 missions de maintien de la paix établies par différentes organisations internationales sur une période de 20 ans, une écrasante majorité d'opérations ont été un succès. Il faut donc rappeler ces choses à nos décideurs politiques, au public et aux chercheurs.
Pour le Canada, qu'est-ce que cela veut dire? Je crois que si vous regardez la façon dont les Européens ont négocié leur retour au sein de la FINUL au Liban en 2006, vous vous rendez compte qu'ils ont imposé un certain nombre de paramètres qui ont permis aux Français, aux Italiens, aux Allemands et à d'autres de déployer leurs forces en toute sécurité. Bien entendu, une opération de paix ne sera jamais une opération de guerre. Je comprends la distinction que fait mon collègue et je comprends aussi sa définition de la guerre. Toutefois, les opérations de paix respectent les règles définies par les membres des organisations internationales, en accord avec les parties. Je reviens à mon idée de base: la plupart de ces opérations de paix fonctionnent.
Ainsi, compte tenu des réformes qui ont été effectuées aux Nations Unies dans les 10 à 15 dernières années, et plus particulièrement, compte tenu de ce qu'on appelle le maintien de la paix robuste qui permet à la France, à l'Allemagne, à l'Italie ou à l'Espagne de déployer des chars d'assaut, des avions, des hélicoptères ou des bateaux au Liban pour assurer le mandat de la FINUL, je crois que nous sommes entrés dans une nouvelle ère des opérations de paix. Ce ne sont pas l'Afghanistan, l'Irak, le Rwanda ou les anciennes missions de maintien de la paix.
Pour terminer, monsieur le président — je répondrai aussi aux questions que vous nous avez soumises —, je crois que le Canada a acquis une réputation et une expérience exceptionnelles en Afghanistan. Certes, nous avons perdu 140 soldats. Toutefois, nous devons être très fiers de ce que les Canadiens ont accompli en Afghanistan, pour notre sécurité, pour la sécurité de l'OTAN et pour la sécurité internationale. Forts de cette expérience de près de 10 ans de combats, de relations avec les peuples et d'interopérabilité avec nos alliés sur le terrain, je crois que maintenant, les soldats canadiens sont bien équipés pour s'engager dans des opérations de paix, que ce soit au Congo ou ailleurs sur la planète.
Merci, monsieur le président.
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Permettez-moi de répondre tout d'abord aux premières observations, monsieur le président.
Dans le cadre de mes activités universitaires — mes activités militaires datent d'une autre époque — nous aimons commencer, et je suis certain que Jocelyn sera d'accord avec moi, par définir les termes que nous utilisons. Ce que nous n'avons jamais réussi à faire, à mon avis, c'est trouver quelqu'un qui puisse nous dire ce qu'était une mission de maintien de la paix et qui s'en tienne à cette définition très longtemps. Nous parlons de missions de maintien de la paix ou d'opérations de paix ou d'opérations de maintien de la paix musclées. Nous cherchons constamment à trouver une définition. J'ai l'impression que nous tentons de définir une notion qui est peut-être trop difficile à définir, car la définition change selon les circonstances.
C'est pourquoi, comme bon nombre d'autres personnes, particulièrement les membres des Forces canadiennes, je suis d'avis que le maintien de la paix est considéré comme étant une guerre, et se fait dans les conditions d'une guerre, et ces circonstances peuvent changer d'un moment à l'autre, comme cela a été le cas à Chypre en 1974 lorsque le petit groupe qui s'occupait d'assurer le maintien de la paix s'est fait attaquer par les Turcs. Ils ont abattu un de mes amis, un officier des Forces canadiennes, au cours de cette opération. Tout était très calme ce matin-là, mais avant la fin de la journée, il avait perdu la vie.
Donc, si on regarde l'expérience en Afghanistan et ailleurs, depuis la guerre froide, particulièrement en Bosnie, ceux qui ont dirigé les Forces canadiennes... Et ceux qui dirigent les Forces canadiennes en Afghanistan sont de jeunes officiers qui ont fait leur entraînement dans l'ancienne Yougoslavie et qui y ont acquis de l'expérience. Rick Hillier, Andy Leslie, Mike Jeffery — tous ces gens ont grandi dans ces circonstances et comprenaient la situation, alors que les Canadiens ne comprenaient pas. Ils sont ensuite passés à l'opération suivante en disant: « Nous ne referons plus cela. »
Donc, je croirais que la politique et les plans qui seront proposés par les officiers au Canada consisteront à dire que le maintien de la paix constitue une guerre, et c'est là la première supposition. Je crois que nous adapterons les besoins du déploiement aux circonstances de la mission, que cela représente beaucoup ou peu de choses, mais nous irons là-bas en partant du principe qu'il s'agit d'un environnement dangereux. Nous aurons besoin de soutien logistique et nous ne pourrons pas dépendre des alliés pour cela. Nous aurons besoin d'avoir nos propres règles d'engagement, nos propres armes, etc. Et si à notre arrivée, nous constatons que la situation n'est pas aussi dangereuse, eh bien, les commandants agiront en conséquence.
Il est très difficile, comme nous l'avons appris en Bosnie, d'aller en mission et de revenir au pays en disant: « Nous avons besoin de plus que six cartouches. Les gens tentent de nous tuer. »
Pour répondre à votre question de façon générale, je dirais que les gens vont partir du principe que les opérations auxquelles ils participent sont des opérations de combat militaire et que l'efficacité opérationnelle — c'est-à-dire, « est-ce que cela va fonctionner dans une situation de conflit? » — est la première question qu'ils vous poseront.
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Monsieur le président, je partage en partie la définition de mon collègue Doug, mais je ne voudrais pas que l'on fasse de généralisations sur les opérations de paix. Il y a des opérations de paix dangereuses, nous les connaissons. Lorsque le Conseil des sécurité des Nations Unies ou d'autres organisations adoptent des mandats et des postures militaires sur le terrain, ils tentent bien sûr, par tous les moyens, d'offrir aux soldats, aux militaires qui sont déployés, le maximum de protection qu'il est possible d'utiliser dans une opération de paix.
Là où je mets l'accent, c'est que l'ensemble des opérations de paix ne sont pas toutes caractérisées par la violence du Rwanda, de la Bosnie ou d'autres théâtres d'opérations. Comme je vous le mentionnais plus tôt, des études ont été faites sur 120 opérations de paix depuis 20 ans. Nous calculons en général que de 10 à 20 p. 100 de ces opérations avaient un caractère plus ou moins violent. Donc l'immense majorité de ces opérations se faisaient avec le consentement des parties et avec des forces militaires légèrement armées comme celles auxquelles nous étions habituées pendant plusieurs années.
Bien sûr, l'ONU ayant appris que le vent pouvait changer rapidement, que ce soit à Chypre en 1974 ou dans les années 1990 en Bosnie, elle a équipé ses soldats d'une robustesse — si je peux m'exprimer ainsi — dans le comportement, mais aussi dans le déploiement de certains matériels militaires.
Je crois que, quand le comité examine l'ensemble des opérations de paix, il doit avoir à l'esprit tout le spectre des opérations de paix.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Bienvenue à nos deux invités qui sont des sommités sur la question, M. Bland et M. Coulon, dont j'ai lu le rapport qui nous a été présenté il y a environ un mois. Je dois vous dire que vous apportez une très grande contribution au comité. Je trouve qu'on part du bon pied avec vous en écoutant vos suggestions. Mes questions s'adresseront à vous deux.
Lors d'un précédent débat, on avait décidé de faire quelque chose concernant les missions de paix. Les membre ont commencé la discussion en se demandant s'il s'agissait de peacekeeping ou de peacebuilding. Je trouve que votre façon de décortiquer la question est originale.
Oui, il peut y avoir encore des missions de maintien de paix. Oui, il y aura sûrement beaucoup de missions d'imposition de la paix aussi. Puis, il y aura des missions de consolidation. Je me demande si on ne pourrait pas mettre un certain nombre de coffres à outils à notre disposition en examinant l'ensemble de la problématique et en se disant que pour tel conflit, voilà ce qui est à notre disposition pour ce qui est du mandat. La communauté internationale pourrait dire de prendre le mandat de l'OTAN pour mener tel type de mission, ou encore le mandat de l'Union européenne pour tel autre type de mission. Ce serait un premier coffre à outils.
Naturellement, je voudrais vous entendre sur la réforme de l'ONU. Ce n'est pas normal que le Conseil de sécurité soit obligé de prendre parfois des années pour réagir à un conflit où des centaines de milliers de personnes sont tuées. Donc, selon moi, ça ne peut pas se faire tant que l'ONU ne sera pas réformée.
Du côté des doctrines aussi, ce serait un autre coffre à outils. On pourrait regarder l'ensemble des doctrines existantes, mais il y en a de nouvelles qui arrivent. J'aimerais vous entendre, entre autres, sur le devoir de protection. Dans le panier de services proprement dit, on pourrait ajouter cela en disant qu'on ne peut plus attendre l'ONU, ni l'OTAN. Le Canada déciderait lui-même d'intervenir en vertu du devoir de protection. C'est une doctrine qui n'est pas encore tout à fait développée, et que l'ONU n'a pas encore explorée à fond.
En ce qui concerne la question des règles d'engagement, on pourrait les adapter. S'il s'agit d'une mission de maintien de la paix, ce ne sont pas le même types de règles d'engagement que celles d'une mission d'imposition de la paix. Comment peut-on régler la question des règles d'engagement lorsque les Parlements nationaux qui participent à l'opération ont la liberté d'imposer les règles d'engagement?
Finalement, pour ce qui est des composantes, je pense que l'ONU fait un effort actuellement pour y inclure la question civile. Je crois que c'est vous, monsieur Coulon, qui recommandez un commandement unifié. Je dis « civile », et cela signifie que les autres composantes sont les militaires et les policiers. Je pense que ce sera difficile de convaincre les militaires qu'un civil puisse diriger l'opération. J'aimerais que vous donniez votre avis sur la question. En ce moment, c'est sûr qu'il y a un coordonnateur civil, souvent de l'ONU, mais le commandement sur le terrain appartient généralement à l'armée et aux forces militaires plutôt qu'à la police.
J'ai peut-être erré un peu, mais je résume. De qui peut-on obtenir des mandats? En ce qui concerne les doctrines, j'aimerais vous entendre sur le devoir de protection. Comment règle-t-on la question des règles d'engagement? Concernant les différentes composantes qui sont devant nous, le commandement unifié est-il la bonne façon ou pourrait-il y avoir une coordination entre les différents groupes énumérés, soit les militaires, la police et les civils?
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Je vais commencer, et je pense que Doug pourra répondre en ce qui concerne la doctrine et peut-être aussi les règles d'engagement. Je ne suis pas militaire, et je pense qu'il comprend mieux ces questions que moi.
[Français]
Je ferai donc mes remarques en français.
D'abord, je voudrais rappeler à tous les députés que, dans une opération de maintien de la paix, la plupart du temps — à 95 p. 100, je crois —, c'est un civil qui dirige l'ensemble de l'opération de maintien de la paix. On le nomme le « représentant spécial » du secrétaire général auprès du Sahara occidental, du Congo ou de la Côte d'Ivoire. Bref, le premier, celui qui dirige l'ensemble de l'opération et qui a sous sa responsabilité les différentes composantes civiles, police civile et militaire, c'est habituellement un diplomate.
Ensuite, vous avez la deuxième personne en importance, le force commander. C'est celui qui va diriger l'ensemble des Casques bleus ou des militaires de l'Union européenne ou d'autres organisations internationales. Cette façon de fonctionner est présente depuis plus de 10 ans aux Nations Unies et elle satisfait les états membres, qui ont une ligne de commandement très claire.
Je veux revenir à la réforme du Conseil de sécurité. Je crois que votre question impliquait que le Conseil de sécurité met trop de temps à décider d'une opération de paix et, conséquemment, il faudrait qu'il soit réformé. La question ne porte pas sur la réforme; elle porte sur la volonté politique des membres autour du Conseil de sécurité. Qu'ils soient 15, 20 ou 25 membres, s'ils n'ont pas la volonté politique de faire quelque chose, rien ne va se passer. Ce n'est pas l'ONU seule, ce n'est pas le secrétaire général de l'ONU qui va téléphoner pour avoir des forces armées à déployer.
Ça a une incidence sur une autre de vos questions qui était de dire: si l'ONU ne peut rien faire, le Canada peut-il faire quelque chose? Le Canada peut-il, de son propre chef, déployer une force? Je vous ferai remarquer qu'en 1996, le Canada avait lancé une opération au Zaïre pour tenter de sauver des millions de personnes. Cette affaire a échoué pour toutes sortes de raisons qu'il serait trop long d'expliquer. Le Canada n'a pas les moyens de faire ça.
Merci.
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Le premier principe — avec lequel, j'en suis certain, tous les membres du comité sont d'accord ici, tout comme les membres du gouvernement, les députés de la Chambre des communes, les sénateurs et la plupart des Canadiens — c'est que lors de tout déploiement, le plus important, c'est la sécurité des membres des Forces armées canadiennes.
Cela ne veut pas dire qu'ils iront quelque part pour se cacher et rester à l'intérieur du périmètre, en quelque sorte. Ils ne feront tout simplement pas cela.
Cependant, nous ne voulons plus jamais déployer des forces comme nous l'avons fait en ex-Yougoslavie, où les membres peuvent être exposés à des préjudices, à des dangers; on avise leurs supérieurs et on les laisse se débrouiller. C'est donc la première chose dont il faut tenir compte.
En ce qui concerne les règles de participation à des missions, si vous avez lu tous les livres blancs depuis 1947, et les déclarations qui ont été faites périodiquement au sujet de la défense, etc., vous aurez constaté que dans tous ces documents, avant que les Forces canadiennes puissent être déployées pour des opérations de maintien de la paix, il est nécessaire de répondre à une série de conditions. Nous n'avons jamais utilisé ces conditions. Nous ne les avons jamais suivies, ou peut-être un petit peu ici et là. Toutes ces décisions sont prises selon les circonstances.
Enfin, en ce qui concerne le commandement civil-militaire, etc... Ce sont là des mots chargés; le mot « commandement » l'est certainement. Les officiers supérieurs doivent certainement coopérer avec les autorités civiles. Donc, les autorités civiles qui dirigent les opérations canadiennes à l'étranger sont le premier ministre, le Cabinet et le gouvernement et, de façon plus générale, le Parlement du Canada.
Mais avant d'aller trop loin, vous devez comprendre — et je ne suppose pas que les gens ne comprennent pas, monsieur le président — que les arrangements en ce qui concerne le commandement au Canada sont dictés par la loi. Il y a la Loi sur la défense nationale, et des ordres et des déclarations qui s'adressent aux Forces canadiennes et qui doivent être transmis au CEMD. Donc, il vous faudrait modifier la loi et faire ces autres choses.
Ce que j'enseigne à l'école lorsque nous parlons d'administration publique et d'administration de la défense, c'est qu'il y a ce qu'on appelle « le délire administratif », lorsque l'administrateur part du principe que s'il met en place un bon processus, il aura de bons résultats. Nous passons donc tout notre temps à parler du processus, en espérant que nous trouverons une solution magique pour prendre des décisions et diriger les opérations pour obtenir de bons résultats.
Eh bien, ce n'est qu'une illusion. Il faut que les gens, notamment les politiciens, les fonctionnaires et les militaires, puissent s'adapter aux conditions dans lesquelles ils se trouvent lorsque nous déployons des gens à l'étranger.
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie tous les deux d'être ici, messieurs.
Monsieur Bland, je suis d'accord au sujet des leçons apprises. Nous espérons tirer des leçons dans tout ce que nous faisons, que ce soit dans les forces militaires ou ailleurs.
Si nous regardons où nous en sommes à l'heure actuelle en Afghanistan, nous avons l'impression que nous cherchons la sécurité et le développement. Ce sont les principales choses que nous tentons d'accomplir. Vous avez décrit avec beaucoup d'éloquence la nature du conflit lorsque vous avez parlé des opérations aux deux extrémités du spectre et de ce à quoi les choses ressemblent dans le théâtre des opérations. Vous avez dit que lorsqu'on arrive sur place, les choses ne sont pas nécessairement comme on le pense. La réalité est très souvent tout à fait différente.
À l'heure actuelle, nous savons que nos forces jouent un rôle de combat majeur dans le sud et si nous regardons ce spectre de violence, croyez-vous que ce que nous tentons d'accomplir — soit le développement et la sécurité — peut être accompli, en tenant compte de notre situation dans le théâtre des opérations, plutôt que ce que nous voulions accomplir lorsque nous avons entrepris cette mission et ce que nous parlons toujours d'accomplir? Croyez-vous qu'il se pourrait que nous ne puissions pas y arriver en raison du rôle que nous jouons sur le terrain et de la situation à laquelle nous faisons face à l'heure actuelle?
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À mon avis, la mission en Afghanistan, telle qu'elle a été énoncée ou autrement, consiste essentiellement à fournir, à développer, à maintenir et à assurer les conditions qui permettent une bonne gouvernance — peut-être pas la paix, l'ordre et la bonne gouvernance, mais tout au moins la bonne gouvernance — de façon à ce que les particuliers et les collectivités rurales et les différentes régions de l'Afghanistan puissent vaquer à leurs affaires avec un certain degré de sécurité. La mission ultime ici, l'objectif, consiste à produire une société où l'on retrouve une gouvernance adéquate et une reddition de comptes.
Cela ne peut être fait sans la sécurité, et nous en sommes conscients. Les talibans, ou ceux qui dirigent ces opérations en Afghanistan, sont des étudiants d'une guerre révolutionnaire et d'une guérilla, etc. La première leçon que les commandants ennemis tirent dans ces circonstances, c'est que l'on attaque les forces de sécurité, la police, les politiciens, celui qui livre le courrier, celui qui ramasse les ordures. On crée tellement de chaos administratif que les gens ont un sentiment de frustration, d'insécurité, ils ont peur et ils quittent la région pour la laisser aux insurgés. C'est le genre de mission à laquelle nous participons à l'heure actuelle. Nous ne cherchons pas, ou tout au moins nous ne chercherions pas, la paix en Afghanistan.
Il y a 1 500 ans, Saint-Augustin, que vous connaissez sans doute tous, a écrit dans un livre qu'on ne peut pas avoir la paix quand on le veut; il faut tout simplement faire ce que les méchants vous disent de faire. Il ne l'a pas dit aussi simplement, mais c'est le même principe. On ne peut pas avoir la paix quand on le veut.
Les gens d'Afghanistan — ou les quelques personnes à qui j'ai parlé lorsque j'étais dans le théâtre des opérations, pour la plupart des civils, des enseignants, des administrateurs et d'autres — ne veulent pas la paix; ils veulent la liberté et la stabilité de façon à ce qu'ils puissent diriger leur pays au jour le jour. Nous pouvons leur assurer certains aspects de la sécurité, je l'espère, pendant que nous sommes là-bas; ce que nous faisons lorsque nous n'y sommes pas, naturellement, est une autre question. Nous devrons laisser le soin à quelqu'un d'autre de le faire.
Monsieur le président, je pense que c'est la façon dont j'aborderais cette question, si ce n'est pas trop académique.
Nous parlions de ce sentiment quant à la façon dont nous... Si nous envoyons des gens faire un travail, ils ont besoin de ce que j'appellerais des outils adéquats pour le faire. C'est une leçon que nous avons tirée de notre expérience dans les Balkans, comme vous l'avez souligné. Si nous nous préparons au pire des cas, comme je crois que nous devrions le faire, nous ne devrions pas les envoyer avec des outils qui sont inadéquats. J'ai déjà été électricien à un moment donné, et il ne servait à rien que j'arrive au travail sans un compteur si je devais trouver un fil de 40 000 volts. Ce n'est pas une bonne idée de se mouiller le doigt avant de toucher un fil de 40 000 volts, comme certains l'ont sans doute déjà fait.
Nous envoyons des gens avec des outils, mais il doit y avoir un juste équilibre entre ce que nous sommes prêts à faire, en nous fondant sur les connaissances que nous avons en arrivant, et les réalités sur le terrain. Il faut un juste équilibre entre nos attentes et les attentes des gens qui se rendent sur place pour aider, faute d'un terme plus approprié. On nous demande de faire quelque chose, que ce soit de maintenir la paix ou de tenter d'établir la paix et comme vous l'avez dit précédemment, d'assurer une certaine stabilité et faire du développement, mais je n'ai pas entendu cela dans la dernière question.
S'il ne s'agit pas d'une escalade de la violence, que faisons-nous si nous nous préparons à la violence qui n'est pas là avec des outils qui sont appropriés? Que faisons-nous par la suite? Une fois que nous arrivons sur le terrain et que nous nous rendons compte que nous n'avons pas vraiment besoin de tous ces outils, si vous voulez, alors que devrions-nous faire, à votre avis?
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Et si j'étais commandant, je dresserais d'abord un état de la situation avant de décider de ce qu'il convient de faire des outils. Et ce qui est important à mon avis...
Encore là, monsieur le président, je suppose que les députés, en tout cas, ceux qui siègent au comité, savent que les Forces canadiennes consacrent beaucoup de temps et d'argent à former les officiers d'état-major militaires pour qu'ils puissent répondre à la question que vous venez de poser: Qu'allons-nous faire? Bon, nous partons pour le Congo. Où est le Congo? Ils se réunissent et ils...
Je reviens tout juste du Collège des Forces canadiennes à Toronto, où j'ai donné des conférences il y a deux jours. Ces officiers reçoivent de la formation tout au long de leur carrière, au fur et à mesure de leur ascension dans les rangs, pour savoir dresser un état de la situation. À quoi faisons-nous face? De quels outils avons-nous besoin? Quelles sont les circonstances? Fait-il chaud ou fait-il froid? S'agit-il de la Norvège ou du Congo? Ils dressent un plan opérationnel raisonnable, et puis le rajuste quand ils arrivent sur le terrain. C'est ce qu'on appelle la planification opérationnelle d'état-major militaire.
Je vous donne un exemple pour illustrer mon propos. J'ai travaillé comme conseiller auprès de la Commission d'enquête sur le déploiement en Somalie. Il y a un aspect qui m'a paru très intéressant dans les témoignages et dans le rapport, et c'est sans doute quelque chose que le comité voudrait examiner par rapport à la question que vous venez de poser. Il s'agit de la partie du rapport qui traite de la préparation opérationnelle. Une des premières constatations de la commission d'enquête sur le lancement de la mission en Somalie était qu'il n'y avait aucune défaillance dans la façon dont les militaires évaluent ce dont ils auront besoin en fait d'équipements ou de personnel pour la mission. Le processus qu'ils suivent ne présente aucun problème.
La deuxième constatation était que les décisions prises par les fonctionnaires et les officiers généraux et les autres quant à ce qu'il faudrait faire ou ne pas faire n'étaient jamais arbitraires. Rien n'était décidé sans raison.
Ce qu'il faut faire, et j'encouragerais le Canada à insister là-dessus, c'est s'assurer d'avoir des militaires bien formés et très compétents qui puissent répondre à ces questions avant qu'on se rende sur le terrain.
Enfin, monsieur le président, je tiens à vous dire que la seule chose que je trouve regrettable au sujet de l'enquête sur la Somalie, c'est qu'elle ait eue lieu après que les troupes sont rentrées au pays. Elle aurait dû se tenir avant qu'ils ne partent là-bas. La Chambre aurait dû convoquer des commandants, des représentants et d'autres personnes pour leur demander: « Savez-vous en quoi consiste la mission? Avez-vous tout ce qu'il vous faut? Savez-vous quelles sont vos règles d'engagement? » Quand on se sait surveiller — du moins c'est mon cas —, on s'assure de bien faire les choses.
Sauf le respect que je dois à tous ceux qui sont ici présents, nous ne devrions pas être en train d'examiner la question des détenus maintenant, des années après. Nous aurions dû nous pencher sur cette question avant de partir, pour être bien au fait de la situation.
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Je n'ai pas la présomption de dire au gouvernement ce qu'il devrait faire. Je suppose que les Canadiens s'attendraient à ce que le gouvernement consulte ses conseillers professionnels, ses conseillers responsables d'autres aspects de la politique étrangère, ses conseillers de la communauté internationale et peut-être aussi de bons vieux universitaires une fois de temps en temps, et qu'il se forme ensuite une opinion quant aux types de mission que nous avons la capacité d'entreprendre, quant à la façon de la mener, etc. Il devrait penser à nos forces futures. Nous parlons beaucoup des forces actuelles, mais il nous faut penser aux forces futures.
J'ose espérer que, tout comme l'a fait votre comité, les responsables gouvernementaux feront le point sur la mission en Afghanistan — la façon dont elle a évolué et la façon dont nous avons réagi — et qu'ils en tireront des leçons pour qu'il y ait moins de difficultés la prochaine fois.
Je trouve encourageant — et Jocelyn est peut-être du même avis — de rencontrer tellement de jeunes fonctionnaires du gouvernement du Canada, de l'ACDI et d'autres secteurs à Kandahar et sur le terrain dans diverses autres régions du monde. Ce sont des spécialistes de la politique étrangère, des jeunes qui sautent à pieds joints dans le domaine des conflits et des opérations internationales. Ce sont eux qui, plus tard, diront aux officiers: « Je me souviens quand nous étions en Afghanistan ensemble; nous avons fait ceci et nous avons appris cela, alors faisons-le de nouveau. »
Voilà ce qu'il nous manquait dans l'après-guerre froide, parce qu'il n'y avait presque personne à part les militaires qui avaient eu un rôle à jouer dans ce genre d'opérations militaires.
Vous avez dit que la guerre est affaire de paix, et je dirais que tout ce que font les membres des Forces canadiennes chaque jour, c'est affaire de paix.
Vous avez également parlé de la façon de définir le « maintien de la paix » et le « rétablissement de la paix ». Or, divers termes sont proposés pour désigner ces réalités. On semble vouloir... Le mot « désespérément » est sans doute trop fort, mais toujours est-il qu'on semble vouloir absolument définir ces réalités. À mon avis, cette volonté absolue fait alors partie du délire administratif.
Vous avez parlé de l'importance de dresser un état de la situation et du rôle des forces armées à cet égard. Le délire administratif, et qui découle peut-être de la volonté de définir quelque chose de façon trop précise, conduit-il à une délimitation trop stricte de l'état de la situation? Avons-nous tendance à dire, « Bon, voilà, nous avons décidé, voilà ce qu'il en est », si bien que nous nous retrouvons dans un conflit en ex-Yougoslavie ou en Afghanistan sans que nous ayons bien compris ce qui se passe et que nous créions beaucoup de difficultés pour ceux qui sont sur le terrain et qui doivent subir les conséquences de ce délire administratif et réparer les pots cassés?
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Oui, et c'est ce que j'ai voulu faire comprendre, monsieur le président. Si nous nous trompons dans les discussions, les définitions et les dichotomies, nous créons une situation dangereuse pour les gens.
Si on définit quelque chose comme le maintien de la paix et que les citoyens, les représentants politiques et d'autres personnes — peut-être même les soldats — imaginent que cela conduira à un certain résultat, mais que la situation, une fois qu'on est sur le terrain, s'avérait différente, on est vraiment coincés. Si nous situons les opérations sur le spectre de gravité des combats et que nous appliquons ensuite les techniques, comme l'a expliqué Jocelyn, aux circonstances selon ce que nous avons appris des opérations de maintien de la paix dans divers endroits, il n'y a pas de problème. Cependant, si nous disons d'entrée de jeu, « C'est une opération qui ressemble à la guerre de Corée » ou « Nous avons affaire ici à une guerre révolutionnaire », ce genre de définition ne nous mène nulle part en fait et nous met dans une situation très dangereuse.
C'est ce qui s'est passé en Somalie. Quand le régiment aéroporté est parti en Somalie pour participer à ce qu'ils considéraient comme une mission de combat — et il ne faut pas oublier qu'ils n'avaient pas de mission au départ — et que d'autres pensaient qu'ils allaient participer à une mission de maintien de la paix, c'est là où tout a déraillé.
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Oui, il s'agit de la crise du FLQ. J'étais posté à Petawawa à l'époque au sein d'une unité opérationnelle. C'était le jour de l'Action de grâces. Ce matin-là, beaucoup d'entre nous étaient allés à la chasse aux canards. La vie de garnison était alors comme un long fleuve tranquille.
À la fin de l'après-midi, nous nous sommes retrouvés armés jusqu'aux dents à bord d'hélicoptères — des hélicoptères Huey tout neufs qui n'avaient guère servi dans des opérations — qui nous ont amenés à Ottawa le long de la rivière des Outaouais.
Nous avons atterri là où se trouve maintenant le Centre Rideau. C'était autrefois un terrain de stationnement. Nous sommes arrivés un hélicoptère après l'autre, soulevant tout un nuage de poussière dans le centre-ville. J'aime dire que c'était la première expérience du Canada dans des opérations de combat aérien, mais malheureusement, nous nous trouverions dans le centre-ville d'Ottawa, et non pas dans un pays étranger.
Nous nous sommes ensuite rendus au manège militaire de la place Cartier, où nous avons rencontré des hauts gradés de la Gendarmerie royale pendant que nous étions toujours en train de mettre les chargeurs dans nos armes. On nous a envoyés garder des maisons ici et là.
Un de nos sous-officiers a dit à un agent de la GRC: « Alors, que faisons-nous si nous voyons quelqu'un marcher sur la pelouse? » L'agent lui a répondu: « Tirez-le. Mais laissez-nous savoir avant. » Mon commandant a alors dit très sagement: « Attendez, personne ne va tirer sur qui que ce soit. »
Si je vous ai raconté cette petite histoire de guerre, c'est pour vous faire comprendre que, par une belle matinée ensoleillée, nous étions allés à la chasse aux canards, puis une fois de retour à la maison, nous humions la dinde de l'Action de grâces qui cuisait au four et que... Ce soir-là, nous nous sommes retrouvés à patrouiller dans les rues d'Ottawa et tout le monde avait peur.
À Kandahar, en Bosnie, en Allemagne sous la direction de l'OTAN — c'était là notre plus grande opération de maintien de la paix —, tout d'un coup la sirène se fait entendre et votre vie change du tout au tout.
Je le répète, nous ne devons pas nous imaginer que le Parlement ou le ministère de la Défense à Ottawa vont dire aux commandants sur le terrain comment ils vont réagir à la situation quand ils seront sur place. Ces gens-là sont formés. Ils ont un mandat. La Reine leur confie un mandat, et vous leur donnez la responsabilité de commander des opérations sur le terrain au nom du Canada. Vous supposez, comme moi, qu'ils agiront de façon judicieuse dans des circonstances difficiles, et vous leur demandez des comptes avant qu'ils partent et quand ils reviennent.
J'espère ne pas vous avoir trop fait la morale, monsieur le président.
J'aimerais revenir sur vos propos, monsieur Bland, puisque vous avez parlé de notre expérience avec les acteurs non étatiques en Afghanistan et en Bosnie. Au cours des prochaines décennies, nombre des opérations de paix — peu importe comment vous souhaitez les appeler — pourraient ne pas reposer sur deux États consentant à ce que les Nations Unies interviennent en observateurs seulement. Il y aura de plus en plus d'acteurs non étatiques.
J'ai donc deux questions pour vous deux. Tout d'abord, à long terme, si cela est vrai, il faudra changer notre vision des opérations de paix, du maintien ou du rétablissement de la paix, et tenir compte de notre récente expérience en Afghanistan.
Ensuite, vous avez abordé la question des conventions de Genève. Vous en avez parlé, mais avez-vous songé à la façon de les modifier?
Qu'en dites-vous?
Merci.
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Monsieur le président, je vais tenter une réponse au sujet des acteurs non étatiques.
D'abord, d'un point de vue historique, les acteurs non étatiques ne sont pas apparus en Bosnie ou en Somalie. Lors de la guerre au Congo, de 1960 à 1964, il y avait un gouvernement légal, mais il y avait aussi des rebelles dans différentes provinces du Congo qui ont déclaré l'indépendance ou qui ont tenté d'attaquer le gouvernement belge. Ils ont aussi attaqué les Casques bleus qui sont restés au Congo pendant quatre ans. Ce n'est donc pas nécessairement un phénomène qui est nouveau, mais c'est un phénomène qui se produit de plus en plus souvent dans les conflits.
Est-ce que ce phénomène continuera de se produire autant dans le futur? Je crois qu'il faut être prudent, ici. Il y a un certain nombre de conflits de longue date qui refont surface. Que ce soit ceux entre l'Éthiopie et l'Érythrée, ceux entre l'Inde et le Pakistan ou ceux entre le Maroc et l'Algérie à propos du Sahara occidental, ce sont des conflits du passé pour lesquels on a effectué des opérations de maintien de la paix. On les connaît bien, ces territoires où il y a des acteurs non étatiques et où on a mis sur pied des opérations de paix.
Est-ce qu'il y a une possibilité, comme je vous le disais tout à l'heure, que ce phénomène se produise de plus en plus souvent? Je crois qu'il est encore trop tôt pour répondre. Dans les années 1990 et au début des années 2000, on a effectivement eu un nombre important de ces acteurs non étatiques. Toutefois, les recherches à ce sujet sont encore récentes. Le phénomène des groupes terroristes est un élément déstabilisant qui n'existait pas il y a cinq ou huit ans. Al-Qaïda et les groupes en Somalie n'étaient pas présents comme ils le sont aujourd'hui.
Je crois que c'est la réponse que je peux vous donner au sujet des acteurs non étatiques.
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Monsieur le président, en ce qui concerne les conventions, ce serait un très bon sujet d'étude. Ce n'est toutefois pas vraiment de mon ressort, et je n'ai pas suffisamment de temps, mais cela pourrait se faire. C'est très intéressant. Vous voudrez peut-être en discuter avec le juge-avocat général, mais sachez qu'il faut tirer des enseignements de notre expérience.
En ce qui concerne les acteurs non étatiques — c'est une façon de décrire ces situations —, il ne faut pas oublier que, de plus en plus, il existe des territoires qui ne relèvent plus de l'autorité souveraine du pays, ou qui sont gouvernés par des groupes transnationaux, des narcotrafiquants, des cartels de la drogue, etc.
Pas besoin d'aller bien loin, puisque c'est le cas de nombreux territoires un peu partout au Mexique. En outre, certains estiment que la Jamaïque deviendra un état criminel sous peu. Ces problèmes sont aussi prépondérants en Haïti, et un peu partout dans les Caraïbes.
Je ne veux pas être trop alarmiste, mais j'ai écrit un livre là-dessus récemment: il existe des territoires non gouvernés au Canada — l'île Cornwall, les réserves autochtones, de grands pans des Prairies, et d'autres lieux. Cela pose de graves problèmes pour le Canada. En me documentant pour rédiger mon livre, j'ai appris de policiers de la GRC qu'il existe 700 gangs au pays, et que les gangs autochtones — sans vouloir blâmer les Autochtones — se déplacent un peu partout au pays. Nous allons nous-mêmes bientôt devoir faire face à ces problèmes également. Ce n'est peut-être pas aussi grave ici qu'ailleurs, mais nous devons tirer des leçons de notre expérience à l'étranger et les appliquer ici.
Donc, en théorie, oui, nous devrions nous attendre à l'avenir à une plus grande participation des acteurs non étatiques, à ce qu'il y ait plus de territoires non gouvernés qu'on se battra pour contrôler, à ce que des belligérants d'autres États interviennent et, enfin, à ce que ces opérations soient compliquées, c'est le moins qu'on puisse dire.
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Merci, monsieur le président.
J'ai toujours dit qu'une mission implique un double théâtre d'opérations. Il y a des choses qui se passent sur le terrain, mais il y a aussi l'opinion publique qui est probablement aussi importante, sinon davantage. Tout le monde le sait, et les Américains le savent depuis la guerre du Vietnam. Beaucoup disent que cette guerre n'a pas été perdue au Vietnam, mais bien sur le théâtre d'opérations américain, alors que le public disait être fatigué de cette guerre.
J'aimerais savoir si vous croyez que le public canadien est suffisamment informé. Lorsque des militaires sont déployés, on croit, au Canada et surtout au Québec, que c'est pour que les Casques bleus rétablissent la paix dans un milieu enchanteur, que ce sont des gens extraordinaires qui séparent les camps. Je trouve que le public n'est pas suffisamment préparé aux missions de ce type, comme celle de l'Afghanistan.
Pensez-vous qu'il est important de mettre beaucoup d'efforts à dévoiler les faits, à tenir le public au courant? D'abord, peut-être faudrait-il mettre les Canadiens sur la bonne piste et leur dire qu'on ne va pas là simplement pour s'interposer entre deux camps qui ont convenu ensemble de mettre fin aux hostilités et pour les séparer.
Nous, les députés, faisons-nous en sorte d'informer le public correctement et de guider vers le succès les deux théâtres d'opérations, dont je parlais au début de mon intervention?
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Si vous permettez, monsieur le président, j'aimerais répondre à cette question, puisque c'est en quelque sorte l'objet de l'étude que j'ai déposée en janvier et en février.
Une partie de l'étude porte justement sur la façon dont les gouvernements, les journalistes et même les experts informent la population. J'ai démontré une frilosité, une réticence de la part des politiciens, libéraux ou conservateurs, à utiliser les mots qu'il faut utiliser lorsqu'il y a un conflit. Par exemple, certaines firmes de relations publiques ou de sondage ont suggéré aux membres du gouvernement d'utiliser des mots soft pour décrire l'Afghanistan, et de dire que c'était une mission de paix, qu'on allait aider les femmes et les enfants, qu'on allait reconstruire le pays. Tous les arguments utilisés étaient extrêmement positifs et soft. Or, je crois que Doug l'a bien spécifié dans sa présentation, dans la réalité, il faut appeler une guerre une guerre. Lorsque nous sommes en Afghanistan, nous aidons en effet les femmes et les enfants, nous les protégeons et leur permettons d'aller à l'école, mais nous bombardons, nous tuons des Talibans et des membres d'Al-Qaïda. Et l'Afghanistan, ce n'est pas le Sahara occidental. Ce n'est pas une petite opération de maintien de la paix perdue quelque part dans le monde.
Les mots qu'on utilise sont importants, et lorsqu'ils ne sont pas appropriés, monsieur le président, cela mène à une confusion dans l'opinion publique et à un rejet de la mission. La mission en Afghanistan est extrêmement impopulaire au Québec, et cela, pour toutes sortes de raisons. Par ailleurs, elle est également impopulaire ailleurs au Canada parce qu'on entretient une certaine confusion auprès des Canadiens relativement à ce que nous faisons. Lorsque les Forces canadiennes, la Défense nationale, ont mené un sondage auprès d'environ 1 500 Canadiens il y a deux ans, on leur a demandé ce qu'on faisait en Afghanistan. La majorité des Canadiens ont dit qu'on assurait le maintien de la paix avec les Casques bleus. Or ce n'est pas la réalité. Pourquoi les Canadiens ont-il cette perception? C'est parce que les politiciens, les journalistes, les experts ne font sans doute pas leur travail d'information, et ce n'est pas un phénomène canadien. J'ai démontré ce phénomène en France, aux États-Unis et en Allemagne où on tourne toujours autour du pot sans jamais utiliser les mots appropriés pour désigner les choses.
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Je crois que dans le domaine de l'intervention militaire, le plus grand succès a peut-être été lorsque Rome a détruit Carthage. Ça, c'est un succès, puisque l'objectif est atteint, on a rasé Carthage et on a gagné la guerre. Un autre exemple de succès est quand les États-Unis ont obtenu la reddition inconditionnelle de l'Allemagne et du Japon, avec la signature sur un porte-avion ou dans une salle de conférence de cette reddition. C'est un succès qu'on peut mesurer concrètement.
Dans le cas des opérations de paix, l'évaluation d'un succès est plus complexe. Cela dépend d'un ensemble de paramètres. Ainsi, lorsqu'on prend un mandat des Nations Unies, on y trouve un certain nombre d'objectifs. On vise d'abord à établir un processus politique menant à des élections et à l'établissement d'un gouvernement démocratique. Parfois, les élections ne se déroulent pas tout à fait comme nous, au Canada, aimerions qu'elles se déroulent. Néanmoins, comme c'est la première fois en 50 ans qu'un peuple vote, s'il a voté assez massivement, s'il n'y a pas eu trop de fraude, le résultat n'est pas si mal. Nous considérerions peut-être que c'est un échec, mais pour cette société c'est un premier pas vers quelque chose d'intéressant.
Ensuite, on établit un gouvernement. Il y a aussi d'autres éléments dans un mandat des Nations Unies, comme le désarmement des milices, la réintégration des enfants-soldats, la réforme des secteurs de sécurité, la reconstruction des infrastructures. On sait qu'on ne pourra pas connaître des succès à 100 p. 100 pour chacun de ces éléments très particuliers d'un mandat des Nations Unies. Toutefois, si la force des Nations Unies se retire, elle peut se dire que, malgré tout, bien qu'elle n'ait pas atteint 100 p. 100 de ses objectifs, elle a donné des outils à cette société pour lui permettre d'avancer un peu plus dans sa réintégration dans la société internationale. Le succès n'est pas total, dans certains domaines ce sera peut-être 50, 60 ou 80 p. 100, mais la force peut partir la tête haute, car elle a fait quelque chose.
C'est la réponse que je peux vous offrir. Si vous la comparez à l'exemple que je vous ai donné, il est certain que ce n'est pas l'idéal.
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Non pas que j'essaie d'éluder la question, mais je peux vous fournir une liste de livres blancs qui les énumèrent. En fait, on leur accorde peu d'attention.
D'un autre côté, je pense que nous devons tout d'abord nous demander si notre participation à une mission dans une région particulière du monde servirait l'intérêt national du Canada, lequel consiste principalement à maintenir en son sein une démocratie libérale unie et sûre.
Ensuite, il faut se demander si on a les capacités nécessaires pour assumer une telle mission. Il ne suffit pas de compter la marchandise, les chars d'assaut, les navires et les aéronefs à notre disposition, mais plutôt de déterminer si nous avons les capacités nécessaires étant donné les circonstances auxquelles nous devrons faire face une fois là-bas. C'est alors qu'il faut allier planification militaire et conseils professionnels pour expliquer aux décideurs si nos capacités sont suffisantes ou non pour faire face à la situation.
Comme on l'a déjà dit, il faut comprendre la perception qu'a la population civile de la mission. Jocelyn a tout à fait raison: il faut transmettre un message clair à la population. Il faut lui expliquer que la mission ne ressemblera pas à celle de Chypre, où l'on montait la garde — bien qu'à l'époque il s'agissait d'une mission importante —, mais plutôt à celle en Afghanistan.
Je reviens toujours au même point. Forts de nos expériences, nous devons — et j'espère que les politiciens canadiens prendront l'initiative — expliquer aux Canadiens qu'il s'agit de missions opérationnelles militaires, ce qui veut dire que nous ne pouvons pas la qualifier de « mission de maintien de la paix ».
C'est un peu flou, j'en conviens, mais je répète que je ne tiens pas à établir une liste de ce que nous devrions faire et des endroits où nous devrions intervenir, parce qu'une telle liste n'est tout simplement pas pratique dans le vrai monde.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos invités, et à les remercier de passer une partie de la journée avec nous.
Lorsque je regarde autour de moi et que je vois ce qui se passe avec l'ONU, l'OTAN et la conduite de la guerre un peu partout dans le monde, c'est à se demander qui dirige et vers quoi on s'en va.
Lorsque le Canada était en guerre, il y a de nombreuses années, on se battait contre un seul pays. Au cours de la Première Grande guerre, c'était l'Allemagne. On savait reconnaître l'ennemi, et c'était réciproque. La Deuxième Guerre mondiale était une reprise de la première, mais avec des technologies plus poussées. Encore une fois, on savait ce qui se passait.
Comme M. Bland l'a dit, on peut partir à la chasse au dindon sauvage, au canard ou à l'oie, peu importe ce qu'on veut mettre dans notre pot-au-feu, mais ne pas rentrer l'après-midi parce qu'on est parti à la guerre.
J'aimerais, messieurs, que vous nous disiez où l'on s'en va et qui dirige, selon vous.
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Je peux vous offrir une réponse partielle.
Je pense que le système international a élaboré divers instruments pour que nous puissions intervenir au besoin et que nous soyons dotés des bons outils.
Vous vous en souviendrez, au début des années 1990, l'Irak a envahi le Koweït. Nous avons consulté le Conseil de sécurité, qui voulait agir, mais l'ONU n'avait pas les moyens de déployer immédiatement une importante force armée dans le Golfe. Par conséquent, pour l'une des premières fois, le Conseil de sécurité a demandé la création d'une coalition, dirigée par les États-Unis et formée de 45 autres pays, et c'est ainsi que nous avons décidé d'expulser Sadam Hussein du Koweït.
Quelques années plus tard, au cours de la crise du Kosovo, nous n'étions pas prêts à répéter l'expérience de l'ONU en Bosnie. Nous avons donc demandé à l'ONU de passer à l'action, mais nous savions que plusieurs pays membres du Conseil de sécurité s'opposeraient à une intervention au Kosovo. L'OTAN est alors apparue comme une organisation considérée légitime par ses membres et par de nombreux autres pays, alors l'OTAN a lancé une attaque contre la Serbie pour libérer le Kosovo.
Vous avez vu ce qui s'est produit au cours de la guerre de 2003. Le Conseil de sécurité était divisé. Je pense que la majorité de la communauté internationale s'opposait à la guerre en Irak, mais les États-Unis ont décidé d'aller de l'avant et d'entrer en Irak.
Divers outils s'offrent à nous pour maintenir la paix et la sécurité. Y a-t-il un leader? Certains ici diraient que ce sont les États-Unis, parce qu'ils sont la superpuissance, que beaucoup se rallient à eux, et qu'on leur demande d'agir. Toutefois, les États-Unis ne sont pas aussi puissants qu'on le pense. La guerre en Irak a clairement fait comprendre aux États-Unis et à la communauté internationale qu'ils ne peuvent pas tout faire.
Doug voudra peut-être ajouter quelque chose.
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C'est une question profonde qui, à certains égards, est inquiétante, ou tout au moins la réponse l'est.
Ce n'est pas simplement « notre côté », si on peut s'exprimer ainsi, qui tire des leçons de ce genre d'opérations militaires, mais l'autre côté, ou les nombreux autres côtés, aussi. Il se peut fort bien que ces autres parties constatent que nous ne sommes pas à la hauteur de telles interventions; que nous n'allons pas insister à moins que le problème se situe près de chez nous. Actuellement, pour les Américains, ce qui se passe au Mexique se passe très près de leur territoire.
L'autre question qui inquiète certains intervenants, c'est que la structure de la guerre froide qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale visait à assurer la sécurité des démocraties libérales, mais cette structure est en train de s'écrouler. De nos jours, je pense notamment à ce qui s'est passé en Grèce ce matin et cette semaine et à ce qui s'y passera dans les prochaines semaines, et au fait que l'Union européenne était une très bonne idée, et j'utilise sciemment le passé. Une partie de cette bonne idée était de n'avoir qu'une économie — l'euro —, que tous les pays partageraient. Bien, aujourd'hui, ils ne sont pas tout aussi convaincus.
Quelle est l'expérience vécue par les Européens en Afghanistan? Sommes-nous tous là pour l'OTAN? Je n'en suis pas convaincu.
Pourquoi les Américains envoient-ils autant de soldats en Afghanistan? Parce que les autres pays n'enverront pas autant de soldats.
Il est possible que sous peu, ceux qui s'opposent aux démocraties libérales voient en nous des gens faibles et divisés, et tout cela serait renforcé par ce que nos alliés et nous faisons, ce qui démontre que nous sommes faibles et divisés.
J'aimerais revenir à...
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Monsieur le président, je crois que nous avons quand même des outils pour répondre à ces acteurs non étatiques.
D'abord, contrairement à ce qu'on peut croire, la lutte contre le terrorisme fonctionne. Ce n'est pas parce qu'il y a une alerte à New York ou qu'un passager embarque dans un avion — un sur trois milliards de passagers par année — que nous échouons dans la lutte contre le terrorisme. Je crois que nous avançons dans cette lutte contre le terrorisme, que nous avons des succès. Je crois que les messages qui sont envoyés aux terroristes et aux États qui les appuient montrent que nous sommes passés à l'offensive et que nous n'allons pas nous laisser intimider.
Nous sommes, en même temps, des sociétés ouvertes. En conséquence, l'ouverture est nécessairement une fragilité pour nous. C'est toutefois ce qui fait la grandeur de nos société libérales: notre ouverture et notre démocratie. Voilà pour ce qui est du terrorisme.
En ce qui concerne d'autres domaines, par exemple, nous avons discuté au cours de ces débats des problèmes que certains pays africains ont à contrôler leur espace territorial. Je pense en particulier à la bande sahélienne, de la Mauritanie à la Somalie. Les Américains y sont très présents, mais d'autres pays aussi, comme la France et la Grande-Bretagne, y conduisent des exercices, etc.
Nous ne sommes pas obligés d'occuper le territoire pour tenter de neutraliser ou de déstabiliser ces groupes, car ils seront toujours présents. J'aimerais parfois qu'on cesse de faire croire que nos ennemis mesurent huit pieds et que nous ne mesurons que cinq pieds: que ce sont des géants alors que nous sommes des nains. Les pays occidentaux sont bien équipés pour faire face à ces menaces. Cela dit, il n'y aura jamais de sécurité à 100 p. 100, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Coulon, nous avons parlé un peu plus tôt et M. Bland a répondu à la question visant à savoir comment offrir le bon matériel à nos troupes et comment s'assurer qu'ils auront, comme j'aime bien le dire, les « bons outils ».
Même si c'est le cas, et nous supposons qu'ils ont les bons outils parce que nous les avons fournis à nos troupes... Nous avons passé en revue ce qu'avait énuméré M. Bland, la liste des raisons pour lesquelles nous sommes là-bas et les choses du genre. Mais une fois que nous arrivons sur le terrain, nous voyons que la situation n'est pas vraiment telle que nous le pensions; en fait, elle est bien différente. Comme M. Bland l'a dit, vous arrêtez de planifier: vous pouvez simplement laisser les choses de côté.
Comment faire la part des choses entre cette situation et les gens qui sont sur le terrain pour aider, qui reçoivent le matériel destiné à remplir des missions que nous n'effectuons pas? Comment répondre aux besoins de cette population qui pense que nous voulons renforcer notre présence alors qu'en réalité nous cherchons à la réduire? Comment s'assurer d'éviter une escalade inutile du conflit qui est simplement due au fait que nous nous sommes préparés plus qu'il ne fallait suite aux renseignement que nous avions obtenus?
Vous savez, nous en avons fait un peu trop et je ne blâme personne. Nous pensions que c'est ce que nous devions faire.
Ainsi comment faire la part des choses entre les besoins de ceux qui sont sur le terrain et ce que nous avons fait lorsque nous sommes arrivés sur les lieux?
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Je pense, monsieur le député, que vous mettez le doigt sur une des questions les plus fondamentales du maintien de la paix.
L'intervention en maintien de la paix, l'intervention en opération de paix, est d'abord et avant tout pour maintenir la paix, pour apporter la paix et non pour faire la guerre. Ainsi, il faut que la posture des militaires, la posture de l'opération, soit pacifique. Ça ne veut pas dire qu'on n'apporte pas avec nous certaines armes pour se faire entendre ou même pour se défendre lorsque des incidents arrivent — comme à Chypre en 1974.
Regardons les opérations de paix comme étant distinctes des opérations de guerre à l'irakienne, par exemple, où vous devez apporter tout votre matériel pour faire face à l'ennemi et à la situation sur le terrain. C'est pour cette raison qu'il sera toujours difficile pour les organisations internationales de bien évaluer les options qui s'offrent à elles en ce qui a trait au déploiement militaire sur le terrain.
Maintenant, il ne faut pas croire qu'on arrive dans une opération de paix les yeux fermés. Il y a des missions préparatoires qui viennent inspecter le territoire, qui viennent mesurer la dangerosité des actions des parties sur le terrain. Ensuite, elles conseillent aux Nations Unies ou à d'autres organisations quels vont être les paramètres du déploiement militaire sur le terrain. Habituellement — et je parle des 120 opérations de paix depuis une vingtaine d'années — les opérations de paix arrivent avec le bon matériel pour la mission qu'ils se sont vu confiée.
Ce n'est qu'à des périodes exceptionnelles qu'il y a des dérapages. En effet, personne n'avait vu que les Turcs allaient envahir Chypre en 1974, parce qu'il y avait eu un coup d'État à Athènes qui venait de renverser un régime qui, lui-même, avait renversé un régime à Chypre. Vous voyez que c'était une situation exceptionnelle, et les parachutistes turcs sont arrivés en quelques jours. Il a fallu réagir. On n'est pas continuellement dans ces contextes dans les opérations de paix.
Dans certains endroits, il peut en effet y avoir des surprises, mais dans la majorité des opérations de paix, les choses se déroulent sensiblement comme on l'avait imaginé.
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C'est vrai que dans toute situation d'intervention militaire, il y a ces aspects de développement, d'aide à la population qui font partie du travail journalistique de tous les jours. Souvent on ne les voit pas: pourquoi? Car ce qui nous impressionne le plus, vous comme moi, c'est ce qui va mal. Si un soldat se fait tuer, ce sera nécessairement la nouvelle. Cette nouvelle ne sera pas qu'on vient de construire la 168
e école dans le district de Kandahar.
C'est très difficile d'attirer l'attention de l'opinion publique. Et vous-même, lorsque vous lisez sur la médecine, sur la construction des routes, sur toutes les choses qui se déroulent dans la société actuelle, voulez-vous avoir les bonnes nouvelles, à savoir que les trains arrivent à l'heure à la gare d'Ottawa? Non, vous ne voulez pas savoir pourquoi les trains arrivent à l'heure; vous voulez savoir pourquoi les trains arrivent en retard. Nécessairement, le travail journalistique, le travail de relation publique, soulève les problèmes dans les opérations.
Cela dit, je vous dirais quand même que le rôle des politiciens dans le leadership est extrêmement important. C'est pour ça que les politiciens doivent être à l'avant-garde: toujours expliquer à l'opinion publique ce que nous faisons au jour le jour, en Afghanistan ou ailleurs, avec les mots — , même les mots qui font mal. Je sais que c'est difficile de le faire parce que l'opinion publique, ça se renverse rapidement: vous voyez les sondages, les élections partielles, etc.
Je pense qu'il faut avoir beaucoup d'honnêteté dans ces situations-là, parce qu'après tout, il s'agit de vies humaines qui sont en jeu.
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Je vais revenir à ce que Jocelyn vient de dire.
Premièrement, les dirigeants politiques du pays doivent décider que d'aller là-bas serait dans l'intérêt du Canada. Ensuite, ils et leurs conseillers décideraient des ressources nécessaires pour la mission et les mettraient à disposition. Puis ils s'adresseraient directement aux Canadiens pour les convaincre que cette mission sert l'intérêt du Canada. Cela pourrait être difficile ou pas. Nous ne le faisons pas parce que nous sommes des scouts, comme l'a dit un premier ministre en parlant des soldats en Bosnie: des scouts armés. Nous sommes là-bas parce que c'est dans l'intérêt du Canada. Cela pourrait être difficile, ou facile, mais nous allons y aller.
Après quoi, alors que la mission passe par différentes étapes, conditions et situations, les politiciens, et non pas les militaires, devraient dire que nous contrôlons la situation, que c'est ce que nous faisons, que nous appuyons ce travail et que nous n'allons pas reculer maintenant.
Je pense qu'il revient à la Chambre des communes, et au Sénat dans une certaine mesure, de décider de la mission du Canada et de l'examiner très attentivement avant d'envoyer des soldats dans ces missions.
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Le système international s'est donné en 1945 une organisation internationale, l'ONU, pour gérer les questions de paix et de sécurité selon des critères définis par la Charte des Nations Unies. En général, la charte penche plutôt pour un règlement pacifique des conflits, mais l'article 51, par exemple, donne la possibilité à un État de se défendre. Le Conseil de sécurité peut utiliser des moyens coercitifs envers un pays. On l'a vu dans le cas de l'Irak en 1990-1991. L'infrastructure légale dans notre système international, c'est l'ONU.
Or, comme vous le savez, l'ONU — et en particulier le Conseil de sécurité — est un organe politique. Les décisions qui sont prises par le Conseil de sécurité ne sont donc pas toujours fondées sur la loi ou sur la légalité. Il arrive par conséquent que des opérations soient légales, parce qu'elles ont été votées par le Conseil de sécurité, mais qu'elles soient considérées illégales par certains parce qu'elles ne concordent pas avec le droit international. Je crois qu'un juriste pourrait vous expliquer cela mieux que moi.
Pour ce qui est de l'OTAN au Kosovo, la Commission internationale de juristes mise sur pied par la Suède a dit que la guerre était illégale, mais qu'elle était légitime du fait qu'elle avait récolté l'approbation d'une grande partie de l'opinion publique internationale. La légitimité est un concept bien plus politique; elle n'a pas de fondement juridique.
Quant aux interventions de l'Union européenne ou de l'Union africaine dans certains conflits, ces organisations obtiennent habituellement le feu vert du Conseil de sécurité des Nations Unies. Il y a donc une couverture. Par ailleurs, la responsabilité de protéger est un phénomène dont il est extrêmement compliqué de discuter. En effet, il y a des critères très précis à respecter avant de déclencher le mécanisme d'intervention pour appliquer la responsabilité de protéger. Sinon, on le déclencherait à tout moment.
En ce qui a trait à la coalition de volontaires, vous parlez de celle qui a prévalu en Irak en 2003. Du point de vue des Nations Unies, elle était illégale, mais en octobre 2003, une résolution a fait en sorte qu'on a accueilli la force multinationale en Irak et a donné à cette dernière une certaine couverture légale.
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Cela aurait probablement pour conséquence de limiter la capacité du gouvernement à se joindre à des missions futures auxquelles nous ne nous attendions pas. Le gouvernement aurait les mains liées.
Si vous suggérez que nous nous préparions seulement pour des missions de maintien de la paix — si quelqu'un peut définir ce que cela signifie — et si le maintien de la paix signifie les armes légères, sans avions de chasse et le reste, alors vous feriez le contraire de ce que Paul Martin Sr disait du Canada à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, soit que nous voulions jouer un rôle sur la scène internationale et que nous en étions fort capable.
Depuis, de nombreuses personnes ont dit que le Canada devrait jouer un rôle sur la scène mondiale, et que nous n'allions que japper; nous ne pouvons pas mordre.
Plus sérieusement, lorsque les gens disent que nous devrions nous occuper du maintien de la paix, est-ce que cela sera la politique pour tous les gouvernements à venir? Cela serait le cas, d'une certaine façon, si le premier gouvernement — peut-être celui de Pierre Trudeau — désarmait les forces armées. Le gouvernement suivant ne pourrait rien faire, parce qu'il n'aurait pas les ressources nécessaires.
Les Canadiens devraient décider le pourcentage de leur richesse à consacrer aux affaires étrangères, au développement des capacités pour défendre le Canada d'abord, en collaboration avec les États-Unis, dans le cadre de l'Amérique du Nord, et ensuite maintenir ce niveau. C'est ce que je conseillerais, mais je n'occupe pas votre poste.
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Encore une fois, j'estime qu'un examen stratégique devrait comprendre deux volets. D'abord, nous avons besoin d'une évaluation du monde dans lequel nous vivons, de ce à quoi ressemblera le Canada et de ce que sera sa place dans le monde. Mes collègues de science politique le font lorsqu'ils me disent que la terre est ronde et qu'elle est minée par toutes sortes de problèmes.
Parallèlement, nous devons rédiger des énoncés clairs sur l'économie de la défense nationale dans des livres blancs et dans des énoncés sur la défense. Nous rédigeons souvent, ou du moins quelqu'un le fait, d'ambitieux énoncés de l'intention du Canada dans le monde que nous appelons les livres blancs sur la défense ou sur la politique étrangère. Personne ne fait d'estimé de coût avant la publication de ces documents, donc ils deviennent inutiles, en fait.
Combien le Canada doit-il dépenser pour la défense nationale? Qu'est-ce qui est suffisant? Deux pour cent du PIB. Ça ne change pas. Si le PIB croît, nos capacités grandissent, peut-être, si les prix n'augmentent pas. Et ça, c'est sans compter l'inflation.
Par le passé, le Canada a dépensé 2 p. 100 de son PIB dans les politiques en matière de défense, sans compter les engagements à l'égard de l'OTAN, de NORAD et de l'ONU. Le Canada est comme un enfant dans un magasin qui se dit: « J'ai 10 ¢. Qu'est-ce que je peux m'acheter avec ça? »