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Bonjour tout le monde. Je remercie le comité de m'avoir invitée pour représenter Oxfam et m'entretenir avec vous aujourd'hui.
Comme vous le savez, Oxfam contribue depuis de nombreuses années à des opérations et des missions de maintien de la paix en situation de conflit, en plus de travailler aux côtés des forces militaires canadiennes en situation de conflit et de désastre. Le Sri Lanka après le tsunami, le Pakistan après le tremblement de terre en 2005, Haïti aujourd'hui; ce ne sont que quelques exemples des endroits sinistrés où nous avons travaillé. Nous sommes aussi présents dans les secteurs en conflit, par exemple dans les Balkans.
Je travaille actuellement comme gestionnaire des programmes humanitaires à Oxfam Canada. Je possède 20 années d'expérience dans le travail humanitaire. J'ai entrepris ma carrière dans mon pays d'origine, la Croatie, où j'ai pu être témoin du travail effectué par les forces militaires canadiennes en 1992-1993 jusqu'en 1995.
J'espère que ma présence ici aujourd'hui permettra de jeter un peu de lumière sur le sujet que vous étudiez, mais je crois qu'il est important de souligner que mon exposé et mes commentaires suivent le point de vue d'un organisme de développement humanitaire et tiennent compte des enjeux auxquels nous nous attaquons. Mon exposé, et probablement les réponses que je vais donner à vos questions, seront grandement influencés par mes expériences.
J'aimerais aborder essentiellement deux questions dans mes remarques préliminaires, soit la prestation de l'aide humanitaire par les forces militaires en général et par les forces militaires canadiennes, ainsi que la protection des civils en situation de conflit.
Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'Oxfam Canada, en tant qu'ONG à mission humanitaire, croit que les forces militaires, y compris les Forces canadiennes, devraient jouer un rôle limité dans la prestation de l'aide humanitaire à l'extérieur du Canada.
Nous croyons que les forces militaires canadiennes ne devraient contribuer à la prestation de l'aide humanitaire qu'en dernier recours, car c'est ce que dicte le droit humanitaire international. Et c'est ainsi en raison des grandes différences qui persistent entre les missions militaires, d'une mauvaise connaissance de la culture locale, du manque d'efficacité et de rentabilité (parce que les coûts rattachés à l'aide humanitaire sont loin d'être les mêmes d'une organisation militaire à l'autre), etc.
Je n'irai pas plus loin, mais si vous avez des questions à cet égard, je serai heureuse de vous en dire plus et de vous donner des exemples.
Je pense que les forces militaires canadiennes devraient utiliser stratégiquement leurs capacités uniques pour fournir de l'aide humanitaire. Ce que je veux dire par là, c'est que les Forces canadiennes ne devraient pas se restreindre à acheminer des colis aux personnes déplacées, car elles ont des capacités qu'aucune autre organisation civile n'a, comme soulever des poids lourds, réparer des infrastructures, gérer l'aspect logistique, et j'en passe. La prestation de l'aide par les forces militaires canadiennes devrait être assurée selon une orientation humanitaire claire et de façon coordonnée avec d'autres intervenants du secteur humanitaire, plutôt que de façon indépendante. Leur intervention devrait aussi être limitée dans le temps. Dès que les intervenants civils, principalement et de préférence le gouvernement local, sont en mesure de fournir eux-même l'aide humanitaire, les forces militaires canadiennes devraient se faire moins visibles. Le même principe devrait également s'appliquer aux organismes internationaux d'aide humanitaire, évidemment.
Comme je l'ai mentionné, je crois que le Canada devrait développer ses capacités logistiques, ses capacités de recherche et de sauvetage, et d'autres capacités du genre pour compléter celles des ONG canadiennes et des autres ministères canadiens, de manière à maximiser la contribution du Canada aux efforts humanitaires déployés partout dans le monde de la façon la plus rentable et efficace possible.
En tant qu'organisme humanitaire, Oxfam croit que tous les civils, hommes et femmes, frappés par une crise humanitaire, qu'il s'agisse d'un conflit ou d'un désastre naturel, devraient recevoir de l'aide, mais aussi de la protection. Ce sont les deux axes de l'humanitarisme mondial: l'aide et la protection sans égard au statut social, aux croyances politiques et aux allégeances, tant que ce sont des civils.
Toutefois, la protection des civils est un sujet qui échappe aux missions diplomatiques, à la communauté internationale en général, aux missions de maintien de la paix des Nations Unies, aux organismes humanitaires, bref, à tout le monde. L'histoire nous renvoie une image peu reluisante de ce qui a été fait pour protéger les civils.
À ce jour, alors qu'on arrive à fournir une aide de qualité dans des délais raisonnables, la protection pose toujours un problème de taille. Il suffit de penser à la République démocratique du Congo, aux camps du Darfour, à Haïti, etc.
Jusqu'à la fin des années 1990, le mandat des opérations traditionnelles de maintien de la paix ne prévoyait même pas la protection des civils. Ce n'est qu'en 1999 que la plupart d'entre elles ont intégré la protection des civils à leur mandat. Mais même lorsque c'est le cas, toutes sortes de restrictions limitent ce qu'elles peuvent faire.
Les missions traditionnelles de maintien de la paix mandatées par les Nations Unies relèvent encore beaucoup de l'improvisation, et sont essentiellement des outils de gestion des conflits. On s'en sert quand on a épuisé nos options et que cela semble pouvoir fonctionner. Mais on ne fournit pas suffisamment de ressources, d'outils ni de capacités à ceux qui participent aux opérations de maintien de la paix pour pouvoir protéger les civils dans le cadre de ces opérations.
Le Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a fait des efforts pour améliorer la situation en offrant notamment de meilleurs outils, plus de clarté et des ressources suffisantes. Bien que les choses se soient améliorées, il y a encore beaucoup de chemin à faire. Au bout du compte, les opérations de maintien de la paix des Nations Unies représentent encore un mécanisme international légitime et unique qui aide à protéger tous les civils dans un monde polarisé. Bien que ces opérations ne soient pas parfaites, Oxfam croit qu'elles demeurent notre meilleure option.
Après 2011, nous croyons que les forces militaires canadiennes devraient envisager de prendre part aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies qui sont axées sur la protection de civils. J'aimerais à cet égard insister sur les mots « opérations de maintien de la paix des Nations Unies ».
Les opérations de maintien de la paix peuvent encore s'avérer un outil crucial, un parmi tant d'autres, au même titre que les mesures diplomatiques, les moyens de pression, les sanctions et les programmes d'aide, pour s'assurer que les civils sont protégés en situation de conflit. Pour que de telles opérations soient efficaces, les soldats canadiens doivent être déployés au bon endroit au bon moment, avec les missions et les outils appropriés, et ils doivent travailler en étroite collaboration avec les groupes humanitaires et les communautés locales, mettant tous leurs propres compétences à contribution.
Les opérations de maintien de la paix des Nations Unies doivent être repensées et nécessitent de nouveaux investissements, et les Nations Unies ont déjà entamé ce processus. Je ne sais pas si vous avez entendu parler du projet « Nouvel horizon » que le Département des opérations de maintien de la paix a entrepris. Le gouvernement du Canada devrait prendre part à ce processus pour veiller à ce que le système se soit amélioré d'ici la fin de 2011.
Vu ses antécédents en matière de maintien de la paix et sa réputation internationale d'intervenant impartial et crédible dans le contexte de conflits de toutes sortes, le Canada peut influer sur le processus que suivent actuellement les Nations Unies pour tenter de revoir la façon dont elles assurent leurs opérations de maintien de la paix et pour les rendre plus efficaces, efficientes et stratégiques. Ainsi, les forces militaires canadiennes risqueraient moins de participer à des missions qui sont vouées à l'échec.
Nous croyons qu'en participant à des missions axées sur la protection des civils, les forces militaires canadiennes pourront se concentrer sur leurs compétences particulières sans avoir à faire concurrence avec les organismes humanitaires pour distribuer de l'eau et de la nourriture. Elles pourront plutôt compléter ce que peuvent faire les organismes d'aide pour protéger les civils (même si leurs capacités sont plutôt limitées) et mettre à profit leurs forces à cet égard.
J'aimerais terminer en précisant que c'est en septembre 1993 que j'ai été mise en contact pour la première fois avec les forces militaires canadiennes; c'était à Medak Pocket, en Croatie. Je ne sais pas combien d'entre vous connaissez cette opération. J'étais là-bas en tant qu'interprète pour l'Union européenne. Malgré la terrible mission que leur avaient confiée les Nations Unies, et en dépit du manque de ressources, de l'absence d'outils appropriés et d'un mécanisme décisionnel inadéquat, les Canadiens ont réussi à agir comme il se devait et à protéger les civils.
Ce sont le genre de choses qui peuvent faire, selon moi, un monde de différence.
Merci.
Je crois avoir le mauvais canal. J'ai le canal français; je suis aussi désolée de n'avoir pu m'adresser à vous en français. J'invoque le fait que je suis une immigrante et une néo-Canadienne pour me faire pardonner. J'y travaille, croyez-moi.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais d'abord présenter mes excuses à M. Wilfert. La semaine passée, il a lu un texte en français, mais je n'ai pas tout compris. J'ai dit à la blague que j'aimerais avoir la traduction. Je tiens à dire à M. Wilfert que je salue ses efforts à l'égard du français. J'espère qu'il va continuer, même si c'est parfois un peu boiteux, ce que je peux comprendre. Je lui avais promis que je m'exécuterais aujourd'hui. C'est fait.
Bienvenue, madame Vukojevic. J'espère que vous allez bien. Le terme « opération de paix » est celui sur lequel tout le monde s'est entendu. Il y a plusieurs types d'opérations de paix: il y a le maintien de la paix, qu'on appelle en anglais peace keeping, et la consolidation de la paix, qui se traduit par peace building. Ce sont deux principes assez différents, je pense. Dans le cas de l'Afghanistan, il s'agit beaucoup plus de consolidation de la paix. On y établit la paix beaucoup plus qu'on ne la maintient. En effet, le maintien de la paix implique qu'il y a une entente entre les divers camps, qu'on est là uniquement pour s'assurer que tout se passe bien à la suite d'un entente de cessez-le-feu. Nos soldats se rendent en Afghanistan pour construire la paix parce qu'il n'y en a pas. C'est différent. J'aimerais connaître votre opinion à ce sujet.
Selon vous, comment les groupes comme Oxfam interagissent-ils avec les Forces canadiennes? Les militaires nous disent souvent que les groupes comme le vôtre, les ONG, ne pourraient jamais offrir des services adéquats sans leur protection. Selon une autre école de pensée, fournir de l'aide humanitaire ne serait pas vraiment le rôle des militaires. J'aimerais savoir comment vous concevez le rôle d'Oxfam ou d'autres ONG dans un milieu hostile comme l'Afghanistan, où l'on établit la paix davantage qu'on ne la maintient.
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Merci de me poser la question. C'est une question très pertinente, que j'espérais éviter.
Les situations comme celle de l'Afghanistan sont réellement difficiles pour nous, autant qu'elles le sont pour les Forces canadiennes, je présume. Je crois que les militaires ne sont pas nécessairement les mieux placés et qu'ils n'ont peut-être pas non plus toutes les compétences et les capacités nécessaires pour mener à bien par eux-mêmes des opérations de consolidation de la paix. Bien qu'ils aient un rôle à jouer dans les efforts de consolidation de la paix, je pense qu'on parle de capacités distinctes: celles pour le maintien de la paix, et celles pour la consolidation de la paix. Il est évident pour moi que la présence des forces militaires est requise dans le cadre des efforts de consolidation de la paix, puisque l'Afghanistan s'avère un des plus durs environnements qui soient. Je pourrais vous donner d'autres exemples de situations où les opérations et les missions de paix ont été très efficaces grâce à une combinaison des efforts des organismes humanitaires, des gouvernements nationaux, des sociétés civiles nationales, des efforts de développement, de même que du soutien institutionnel au gouvernement, en vue de bâtir la paix conjointement.
Je pense que l'évolution de la nature des conflits — les conflits internationaux ayant progressivement céder la voie aux conflits internes où s'affrontent deux groupes qui ont tous deux des droits légitimes dans un même pays — nous a compliqué la tâche en fait de développement, comme elle l'a compliquée pour les Forces canadiennes qui essaient de consolider la paix dans ces circonstances.
En résumé, selon moi, les efforts ne devraient pas seulement provenir des forces militaires, et je crois que le rôle que devraient jouer les militaires dans le cadre des efforts de consolidation de la paix, c'est celui d'assurer un environnement sécuritaire, de façon à ce que d'autres intervenants puissent faire le travail pour lequel ils ont précisément été formés. Lorsque les Forces armées canadiennes affirment que sans elles les ONG ne pourraient pas offrir de l'aide, les ONG répliquent généralement en disant que si les forces militaires étaient en mesure de sécuriser l'environnement, elles n'auraient aucun mal à fournir de l'aide. C'est l'argument de l'oeuf et la poule qu'on entend fréquemment sur le terrain.
J'espère avoir répondu à votre question.
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Je vais commencer par Haïti, mais j'aimerais également parler du Sri Lanka, par exemple, et du Pakistan, car ce sont les trois exemples que je connais.
Le tremblement de terre en Haïti est exactement le gendre de situation où la participation des militaires étrangers peut se justifier. Nous n'y voyons aucun inconvénient. L'ampleur du désastre était telle qu'il était évident que le gouvernement du pays, les Nations Unies et toutes les ONG déjà présentes au pays n'avaient pas les ressources nécessaires pour réagir rapidement et immédiatement aux besoins. Ce qui pose problème dans la participation des militaires étrangers, en particulier l'armée des États-Unis, c'est la nature de leur engagement. Je vais vous en parler plus en détail, puis faire une comparaison avec le Sri Lanka et le Pakistan.
Au lieu de servir aux militaires, les seuls ayant la capacité de remettre l'aéroport en état de marche, l'aéroport a été congestionné le premier jour par l'armée américaine, et cela a duré des semaines. Oxfam avait trois avions qui devaient atterrir. Les atterrissages étaient échelonnés sur quelques jours. Ils devaient atterrir à Port-au-Prince le samedi après le tremblement de terre, mais ils ont été redirigés vers Saint-Domingue. Je sais que nous n'avons pas été les seuls dans cette situation. MSF a subi le même sort, et d'autres également.
Le personnel des organismes humanitaires n'a pas pu, essentiellement, utiliser l'aéroport et n'a pas pu faire son travail pendant environ deux semaines, alors que l'armée américaine, qui est dotée d'une capacité phénoménale, aurait pu utiliser ces mêmes personnes et ces mêmes ressources pour remettre l'aéroport en état de marche. Ils ont finalement agrandi l'aéroport, ce que le gouvernement d'Haïti n'avait pas la capacité de faire — les ressources des Nations Unies sur le terrain étaient décimées — et les ONG non plus.
La capacité de transport permet d'amener le personnel au pays, de la même façon que les navires ont été utilisés après le tsunami en Indonésie, de même que les hélicoptères. Au Pakistan, c'est l'armée pakistanaise qui s'occupait principalement de cette question, et d'autres gouvernements ont fourni des hélicoptères et des capacités de transport.
En ce qui concerne la participation canadienne, je ne suis pas encore allée en Haïti — je pars mardi —, alors tout ce que je sais, c'est ce que mes collègues sur le terrain m'ont rapporté. Mais compte tenu de l'ampleur de la catastrophe et de mon expérience dans d'autres pays, je crois que l'épuration de l'eau était nécessaire à juste titre. Oxfam s'occupe beaucoup de l'approvisionnement en eau dans les situations d'urgence. À titre d'exemple, la coordination de l'EICC après le tremblement de terre au Pakistan a été excellente. Comme les organisations civiles, le gouvernement et les ONG n'avaient pas la capacité requise pour fournir de l'eau à toute la population sur-le-champ, l'EICC distribuait de l'eau dans une ville, tandis que Oxfam réparait les canalisations d'eau et s'occupait de l'approvisionnement en eau d'urgence dans une autre. Comme l'EICC a dû quitter le pays après 40 jours, la transition s'est faite en douceur. Tout a très bien été coordonné.
Je dirais que le recours aux opérations de sauvetage comme la capacité de transport... Aucun pays, ni aucune organisation civile, ne possède suffisamment de ressources en matière de recherche et sauvetage pour agir assez rapidement après une catastrophe comme celle d'Haïti. C'est dans ce genre de situation, à mon avis, où l'utilisation stratégique des capacités militaires est justifiée et peut être élargie.
J'ai également entendu dire que lorsque l'EICC est arrivée à Jacmel ou à Léogâne, la nouvelle circulait qu'il y avait une pénurie de personnel médical. Il n'y avait qu'une petite clinique de MSF, et comme la nouvelle faisait le tour du monde, la semaine suivante, il y avait cinq cliniques de santé dans une petite ville. Les militaires et les gouvernements des pays donateurs se sont beaucoup comportés comme les ONG ont la réputation de le faire: ils ont tous tenté d'attirer l'attention des médias. Ils se sont rués au pays et MSF s'en est occupé. Il n'était pas nécessaire d'avoir cinq hôpitaux.
Ce que je veux dire, c'est que c'est parfois nécessaire, et il faut que ce soit fait de manière stratégique, pas sous la pression des médias. Il faut que ce soit fait en fonction des besoins et qu'on mette à profit la capacité des forces militaires.
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En Afghanistan, et je dirais en Irak. Ce sont des environnements très politisés.
Il n'existe pas assez de preuves, en fait, des retombées de ces opérations. Je viens de parler à Peter Walker, de l'Université Tufts, et ils ont effectué une recherche dernièrement sur des dépenses de 1,2 milliard de dollars pour des exercices de commandant, des opérations humanitaires de commandant — je ne suis pas certaine du nom — en Afghanistan, et on n'a pas la moindre idée de leur efficacité, des résultats atteints.
Pour une organisation humanitaire, les opérations humanitaires n'ont qu'un seul but: offrir une protection et une aide de base aux civils. Il ne doit pas y avoir d'autre programme. Dans le cas des activités de développement de notre organisation, la situation est très différente, car nous avons un programme dans ce cas. Le travail humanitaire doit viser uniquement à sauver des vies et à atténuer les conséquences de la pauvreté. Je ne crois pas que l'armée canadienne, ou tout autre armée dans le monde, qui se bat actuellement en Afghanistan peut faire du travail humanitaire en respectant les principes humanitaires.
Si l'armée canadienne construit des écoles pour une autre raison, elle doit appeler les choses par leur vrai nom. Je ne sais pas s'il faut parler de consolidation de la paix ou de développement, si vous voyez ce que je veux dire, mais, à mon avis, créer la confusion au sujet de ce qui est, et n'est pas, de l'aide humanitaire n'est utile à personne dans cet environnement.
Il y a plusieurs raisons, bien sûr. Je pense que l'une des raisons tient au fait que la protection des civils a souvent été confiée aux organisations humanitaires et civiles des Nations Unies, qui, très souvent, n'ont pas les outils nécessaires pour le faire. Les Balkans en sont un bon exemple. À l'origine, les seules organisations qui avaient le mandat particulier de protéger les civils étaient le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés — qui avait la protection comme mandat —, et le Comité international de la Croix-Rouge. C'est tout.
Même les ONG qui parlent de protection ont des capacités très limitées. Nous essayons de tout faire pour que nos activités ne mettent pas la vie des habitants en danger, mais nous n'y arrivons pas toujours. Nous pouvons faire en sorte que notre présence ait un effet dissuasif, notamment à l'égard des activités criminelles et des attaques dans les camps, etc., lorsque nous sommes sur place. Lorsque les ONG internationales sont sur place, ces choses sont moins susceptibles de se produire. Et nous pouvons dénoncer les auteurs. Mais c'est à peu près tout ce que nous sommes en mesure de faire.
La Cour pénale internationale est un atout, à mon avis, car les gens sont conscients que s'ils attaquent les civils, s'ils commettent des crimes de guerre, etc., ils risquent d'être poursuivis. C'est un atout, mais son pouvoir doit être renforcé, car malgré ses bons côtés, il n'existe pas de mécanisme pour trouver ces gens et s'assurer qu'ils seront traduits devant la justice. Il manque encore des éléments.
La souveraineté est également un très gros problème, car tout repose sur l'État, et l'État a la responsabilité de protéger ses civils. Mais dans de plus en plus de conflits internes, l'État est en cause. L'État permet les violations des droits de la personne et les crimes de guerre, quand ce n'est pas l'État lui-même qui commet les crimes. Et bien entendu, comme il s'agit d'un conflit interne, les acteurs non étatiques ne sont pas assujettis aux normes internationales, au droit humanitaire international, et ne peuvent se voir imposer des sanctions par le Conseil de sécurité des Nations Unies, ou même par la communauté internationale très souvent.
La mission des Nations Unies en Croatie en 1991 était appelée force de protection des Nations Unies. Elle n'avait pas de mandat de protection. Elle n'avait pas le pouvoir d'intervenir. En 1995, lorsque les forces croates ont pénétré dans la région sous contrôle serbe, je pense que c'est un général canadien qui a permis aux civils de se réfugier dans les camps des Nations Unies, allant ainsi à l'encontre des règles des Nations Unies et des directives de New York.
Les gens qui avaient donc sans doute le pouvoir de protéger les civils n'en avaient pas le mandat, et n'ont toujours pas les outils et les ressources, etc. pour le faire. C'est pourquoi nous pensons, vous pensez que les militaires, comme les soldats canadiens, qui ont le respect... Dans les Balkans, on pouvait toujours faire davantage confiance à un soldat canadien qu'à un policier local. Il n'y a aucun doute là-dessus. On a l'impression que c'est un gaspillage d'expérience et de compétences de leur faire distribuer des boîtes de nourriture, et que cela mine leur crédibilité.
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Merci, monsieur le président. Je partagerai mon temps avec M. Payne.
Permettez-moi de vous souhaiter, moi aussi, la bienvenue, madame. Il est bien que vous ayez partagé une partie de votre journée avec nous.
Je vais d'abord faire quelques observations. J'aime bien votre terminologie lorsque vous parlez de bâtir la paix plutôt que de maintenir la paix, parce qu'il me semble que la guerre fait rage dans différents endroits où nos gens sont envoyés. Il n'y a pas de paix. C'est une zone de conflit. Nous essayons de bâtir la paix, mais nous ne maintenons pas la paix, parce qu'avant notre arrivée, il n'y avait pas de paix.
Je pense que la conduite de la guerre a un peu changé, et nous le voyons en Afghanistan. Comme vous le dites, les gens sont là. Vous pensez qu'ils sont de votre côté. Je suis certain que nos troupes pensaient la même chose, mais un de nos soldats a reçu un coup de hache à la tête pendant une discussion sur la façon de répondre à certains besoins de ces gens. Alors, c'est un peu risqué là-bas. Lorsqu'il n'y a pas d'uniforme, vous ne pouvez pas dire si les gens sont des militaires ou non.
Comment voyez-vous la distribution de quoi que ce soit que vous distribuez si vous ne faites pas intervenir les militaires, si vous n'avez pas l'assurance que si quelqu'un reçoit ce dont il a besoin, quelqu'un d'autre ne viendra pas le lui arracher des mains sous prétexte qu'il est plus gros, ou plus dur, ou qu'il a deux fusils plutôt qu'un seul? Comment voyez-vous que cela puisse se faire?
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Il n'y a pas de réponses parfaites. En tant qu'ONG, nous avons souvent été accusés d'être responsables du fait que des parties de l'aide humanitaire se retrouvent entre les mauvaises mains ou que l'aide ne parvient pas aux gens à qui elle est destinée. Nous faisons parfois des choix très difficiles.
Même en laissant de côté des endroits actuels comme l'Afghanistan, je peux vous donner l'exemple d'une catastrophe naturelle à Aceh, ou des situations où nous acheminons des fournitures et des aliments par hélicoptère dans un endroit et que le groupe armé sur place qui reçoit l'hélicoptère insiste pour qu'on lui remette ces fournitures. Nous remettons ces fournitures à ces gens qui disent qu'ils vont se charger de les distribuer. D'abord, nous ne pouvons pas vraiment les croire. De toute manière, nous ne devrions pas fournir de l'aide aux militaires, mais le seul choix que nous avons alors, c'est de repartir. Alors, ce que nous faisons dans ces situations, c'est que nous essayons de négocier avec ces gens. Parfois cela fonctionne, parfois, non. Parfois nous devons ramasser nos effets et repartir. Mais parfois, nous parvenons à faire en sorte qu'ils nous permettent de faire la distribution sur place. Ce n'est toujours pas une garantie que certains d'entre eux, qui se présentent comme des civils, n'utiliseront pas la nourriture par après. Une méthode que nous utilisons, c'est de trouver la femme qui dirige la famille, alors, une épouse et mère, pour distribuer la nourriture et les autres formes d'aide. Habituellement, cela fonctionne.
Oxfam a de la chance, du fait que nous ne nous occupons que rarement d'aide alimentaire; nous nous occupons habituellement d'eau et d'hygiène. Il n'y a pas autant de concurrence au sein des groupes armés pour l'eau et hygiène qu'il y en a pour les aliments. Cependant, il y a des tentatives pour utiliser nos actifs: nos entrepôts sont pillés et ainsi de suite. Il s'agit de jongler constamment avec ces choses. Nous avons dû accroître notre investissement en matière de sécurité. Par exemple, comme je l'ai dit dans le cas de la Somalie, dès que quelque chose arrive à l'une ou l'autre des agences, nous suspendons nos activités. Personne n'entre. Rien ne se passe pendant quelques jours. C'est malheureux, parce que cela signifie que des civils souffrent, mais c'est la seule façon de nous assurer, du moins dans la mesure du possible, que l'aide n'est pas utilisée à mauvais escient.
J'espère que cela répond à votre question.
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Dans le cas d'Haïti, c'est facile: la coordination d'abord et avant tout. Si nous nous organisons très bien, nous saurons tout et nous ne deviendrons pas la proie de faux villages de tentes, par exemple. De façon générale, la coordination est un grand problème à Haïti, en partie parce que les organismes sont trop nombreux, et aussi en raison des faiblesses de l'ONU et du gouvernement d'Haïti. Or, selon moi, une bonne coordination permet d'éviter ce genre de choses. Ainsi, même s'ils érigent un village de tentes, ils ne recevront pas d'aide si nous — les organismes humanitaires, l'administration locale, les militaires, les journalistes, bref, tous ceux qui sont sur le terrain — sommes bien organisés. Il y a suffisamment de gens à Haïti pour que nous soyons au courant et que nous ne nous laissions pas tromper.
Il s'agit peut-être d'un exemple de corruption, mais à mon avis, la corruption en Haïti n'est pas systémique. Des gens pauvres tentent de profiter d'une abondance de matériel. Il faut empêcher ce genre de comportement, mais je ne pense pas qu'il pose autant problème que la corruption systémique. Celle-ci existe en Haïti, mais le village de tentes n'en est probablement pas un bon exemple.
Le cas de la Bosnie est plus compliqué et plus difficile à gérer, car il s'agissait bien de corruption et il y avait probablement une certaine intention — un but militaire ou un objectif quelconque —; les différentes factions constituaient peut-être des stocks qu'elles auraient pu vendre si la guerre avait repris ou quelque chose. Certaines personnes là-bas croient toujours en cette possibilité.
Pour éviter cette situation, nous distribuons les biens directement, nous établissons de bonnes listes et nous commençons avec des évaluations adéquates. Nous ne distribuons pas les choses à la hâte. Nous enregistrons les gens, comme l'ONU le faisait en Bosnie, et plutôt que de vider le camion dans une collectivité ou à un centre, nous remettons directement les biens aux personnes.
La Bosnie est un des endroits où une grande partie de l'aide est venue, non par le biais des Nations Unies et des grandes ONG, mais plutôt des efforts et de la bonne volonté des gens de partout en Europe. Une famille allemande pouvait donc remplir un camion de biens, le conduire jusque-là et le remettre simplement aux autorités locales, ce qui est impossible à contrôler. Cet exemple montre encore une fois l'importance de la coordination.
Je pense que de telles choses se produisent bien moins souvent maintenant grâce aux efforts de coordination, car la communauté humanitaire a beaucoup travaillé en ce sens. Cela arrive encore, mais beaucoup moins lorsqu'on est bien organisé.
Je ne crois pas que nous ayons vraiment à nous inquiéter lorsqu'une personne reçoit 10 kilos d'un bien et en vend cinq pour se procurer une quantité équivalente d'autre chose. Si c'est fait à petite échelle, ce n'est pas un sujet de préoccupation: c'est un mécanisme d'adaptation, c'est la façon dont les gens affrontent la crise. Or, ce qui pose vraiment problème, c'est quand de grands entrepôts commencent à s'emplir.
Les ONG associées à l'ONU ont lancé nombre d'initiatives axées sur la qualité et la reddition de comptes. Elles reposent sur une bonne gestion des données, sur le partage des bases de données, sur la comparaison des noms, sur la délivrance de pièces d'identité, etc., et elles visent à éviter ce genre de situation, ainsi qu'à individualiser l'aide.
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Merci, monsieur le président.
Je m’intéresse au Canada après 2011, donc je ne veux pas vraiment parler de l’Afghanistan en ce moment.
Vous nous avez parlé de l’efficacité du Canada en Croatie, malgré le caractère inadéquat de son mandat. Vous nous avez dit que l’armée canadienne avait acquis une très bonne réputation dans le cadre de cette situation de conflit; elle était plus respectée que la police locale. Le Canada s’est donc forgé une certaine réputation à l’échelle internationale.
Ce qui m’intrigue, c’est le fait que le Canada n’a pas vraiment participé aux missions de l’ONU au cours des dernières années. Selon certains calculs, il y a eu maintenant 15 ou 18 opérations militaires, qui comptaient, d’après ce que j'ai constaté, quelque 84 000 soldats. Le Canada contribue 5 500 de ces derniers et cinq millions de dollars par année. Autrement dit, nous ne participons pas vraiment aux missions de l’ONU.
Compte tenu du fait que la résolution 1265, qui porte sur l’obligation de protéger les civils, a été adoptée par le Conseil de sécurité en 1999, et du projet Nouvel horizon, d’abord, savez-vous si le Canada participe à cette initiative visant à rebâtir les missions de maintien de la paix et à renforcer le mandat de protection des civils, point qui, selon vous, fait maintenant partie de tous leurs mandats? Ensuite, le Canada devrait-il considérer la possibilité de contribuer davantage à cette initiative après 2011 ou devrait-il continuer à participer aux projets des États-Unis ou de l’OTAN qui n’ont rien à voir avec l’ONU — autrement dit, continuer à faire ce qu’il fait actuellement? Finalement, l’ONU a-t-elle suffisamment modifié sa façon d’aborder le maintien de la paix, ou pourrait-elle le faire, pour s’adjoindre les Canadiens et pour que l’efficacité et la réputation du Canada aient une certaine valeur?