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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vais d'abord me présenter. Je me nomme Michael Spratt. Je suis avocat criminaliste, directeur de la Criminal Lawyers' Association, la CLA. Je vous présente, à ma droite, Constance Baran-Gerez, également criminaliste, membre de la Criminal Lawyers' Association et spécialiste du droit criminel agréée par le Barreau du Haut Canada.
Comme je l'ai dit, nous représentons la Criminal Lawyers' Association, organisme à but non lucratif qui compte plus de 1 000 membres en Ontario et partout au Canada. Notre mandat est d'instruire nos membres, de les représenter et de les mettre en avant, sur les questions touchant le droit criminel et constitutionnel. Des comités parlementaires tels que le vôtre recherchent régulièrement l'avis de l'association sur des projets de loi. Nous sommes heureux d'être ici aujourd'hui pour cela.
La CLA appuie les lois qui font mieux reconnaître les valeurs de la Charte des droits et libertés ainsi que l'équité de la procédure. Le point de vue que nous présenterons sur le projet de loi est celui de criminalistes. Je n'ai pas été dans l'armée et je ne fais pas beaucoup de travail pour les militaires. Je m'attends à ce que le comité entende des confrères ou des consoeurs ayant cette expérience.
Disons, pour relativiser nos observations, que les cours criminelles peuvent prendre en compte des considérations différentes de celles des tribunaux militaires, mais, d'emblée, je peux dire que je suis heureux de vous annoncer que, en général, la CLA est très heureuse du langage utilisé dans le projet de loi ainsi que des nouvelles dispositions qu'on y trouve. Ils semblent renforcer l'équité de la procédure et adopter de nombreuses recommandations du rapport Lamer. Je vais laisser à Constance le soin de dire au comité tout le bien qu'il accomplit, après quoi, pour terminer, je me réserverai la tâche très plaisante de vous signaler quelques éléments d'après nous perfectibles du projet de loi.
Sans plus attendre, je cède la parole à Constance qui consacrera la plus grande partie de son temps à vous parler des qualités que nous avons trouvées au projet de loi.
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Au nom de la Criminal Lawyers' Association, M. Spratt et moi-même sommes heureux de vous conseiller vivement d'appuyer les amendements apportés à la loi par le projet de loi. Un certain nombre d'entre eux favorisent une réaction expéditive et juste aux infractions d'ordre militaire, tout en respectant la Charte canadienne des droits et libertés. J'aimerais attirer l'attention du comité sur certains d'entre eux.
L'article 41, particulièrement, qui concerne l'indépendance des juges militaires, constitue une amélioration, en assurant leur inamovibilité jusqu'à la retraite ou à leur révocation motivée.
Les articles 35 et 36, qui limitent à six mois la période pendant laquelle on peut porter une accusation pouvant donner lieu à un procès sommaire, ce qui est une amélioration par rapport à la loi en vigueur, qui ne prévoit rien de tel. Cet amendement, que nous appuyons, correspond au paragraphe 786(2) du Code criminel.
La CLA appuie les articles 27 et 28, qui, pour la première fois, limitent le pouvoir d'arrestation pour les infractions réputées non graves. Nous appuyons également l'article 32 du projet de loi, qui précise de manière importante les conditions justifiant la détention avant le procès.
La CLA appuie l'interdiction faite aux policiers militaires de faire partie du comité d'une cour martiale générale, dans l'article 48, parce qu'il ne suffit pas que justice soit faite, il faut encore qu'elle semble avoir été faite.
On a introduit, pour la résolution des faits contestés, pertinents pour la détermination d'un jugement équitable, un mécanisme semblable à celui qu'appliquent les cours criminelles, depuis l'arrêt R. c. Gardiner [1982] de la Cour suprême du Canada, selon lequel les faits aggravants doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable.
Pour la première fois, la Loi sur la défense nationale comporte un énoncé des objectifs et des principes de la détermination de la peine. D'après la CLA, l'article 62 et les articles subséquents ne visent pas seulement à favoriser l'efficacité opérationnelle des Forces canadiennes, mais, en outre, ils promeuvent les valeurs exprimées dans les articles 718, 718.01 et 718.2 du Code criminel.
Enfin, les amendements auxquels la CLA peut accorder son appui sont notamment ceux des articles 24, 64 et 65, qui prévoient des peines supplémentaires grâce auxquelles le choix des sanctions sera plus souple, notamment l'absolution inconditionnelle, la peine discontinue, la suspension du prononcé de la sentence de détention préventive et l'ordonnance de dédommagement.
Voilà les effets du projet de loi que la CLA peut appuyer. Me Spratt vous parlera maintenant de certains sujets d'inquiétude.
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Le principal sujet d'inquiétude de la CLA, à l'égard du projet de loi et, en particulier, de la Loi sur la défense nationale, c'est qu'il néglige le problème des procès sommaires dans l'armée.
À dire vrai, si le régime des procès sommaires se transportait dans les cours criminelles... Je suis tout à fait conscient qu'il s'agit ici d'un régime très différent et d'une application très différente de ces règles, mais, pour le criminaliste, les procès sommaires ne sont pas à la hauteur des normes de la Charte des droits et libertés.
Le commandant qui préside un procès sommaire n'est pas un avocat qualifié.
L'admission de l'ouï-dire comme preuve admissible nous préoccupe.
Il faut toujours avoir présent à l'esprit le fait que les peines imposées après un procès sommaire peuvent être mineures, mais elles peuvent comprendre jusqu'à 30 jours de détention et la privation de liberté.
Les normes de divulgation appliquées dans le régime actuel des procès sommaires ne sont pas à la hauteur de celles qu'a exposées Stinchcombe ni de celles qu'appliquent les cours criminelles, ce qui nous amène à nous interroger sur la réponse et la défense complètes.
En outre, le droit à un avocat ne satisfait pas aux normes en vigueur de la Charte.
Il peut être avantageux d'insister sur la célérité dans les procès sommaires dans l'armée — et je suis convaincu que le comité entendra des témoignages de militaires sur sa désirabilité —, mais il faut reconnaître que c'est l'équité de la procédure qui en fait les frais.
Il faut avouer que la réduction à six mois de la période pendant laquelle on peut porter des accusations est un pas dans la bonne direction, en ce qui concerne les procès sommaires, et le projet de loi pourrait comporter d'autres améliorations.
En général, le droit d'appel et les problèmes de conservation des dossiers — transcriptions et preuve convenable — n'assurent pas l'équité de la procédure.
L'article 54 du projet de loi, qui porte sur le procès en l'absence de l'accusé, fait également problème, du point de vue du criminaliste, et nos cours criminelles ne satisferaient pas aux normes établies par la Charte. Cela est particulièrement vrai lorsqu'il y a détention avant le procès ou possibilité de privation de la liberté.
Hier soir, en ruminant ce problème, je me suis dit que pour une infraction au code de la route passible d'amende, l'accusé a le droit d'être présent. Le procès peut se dérouler sans lui, mais, bien sûr, une amende de 65 $, c'est bien différent de la privation de la liberté. Devant des conséquences de cette ampleur, on devrait mieux tenir les dossiers, et, d'après la charte, l'accusé devrait avoir le droit d'être présent durant le procès.
Voilà pour les motifs graves d'inquiétude. Certains peuvent déborder le cadre du projet de loi, mais ils sont néanmoins importants.
Globalement, on constate que le projet de loi applique la majorité des recommandations du rapport Lamer, ce qui est très bien et constitue un pas dans la bonne direction. Selon nous, l'enjambée devrait être un peu plus longue.
Merci.
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Merci, monsieur le président, et merci beaucoup, également, à nos deux témoins pour être venus nous livrer leurs observations.
Maître Spratt, vos propos ont été très intéressants. Vous avez parlé de choses que vous aimez et, à la fin, vous avez exprimé des motifs de préoccupation plutôt convaincants et, d'après moi, instructifs. Vous avez terminé sur un certain nombre de questions qui donnent à réfléchir.
La modernisation, après tant d'années, des dispositions de la Loi sur la défense nationale concernant la justice a notamment pour objectif, et je pense que tous en conviendront, de la mettre davantage au diapason des décisions modernes prises dans le sillage de la Charte, de la jurisprudence de la Cour suprême et des travaux du feu juge en chef Lamer. Nous pensons tous que c'est l'objectif. Quant à vous, vous avez cerné un certain nombre de points sur lesquels nous ne sommes peut-être pas allés jusqu'au bout de ce que nous devions faire.
Cela présente un danger, parce que je ne veux pas parler à la place de ceux qui font fonctionner la justice militaire. Je pense qu'ils font un très bon travail, compte tenu des moyens qu'on leur donne et du contexte opérationnel souvent difficile où ils se trouvent, par exemple en Afghanistan.
Au début de votre exposé, vous avez reconnu que la justice militaire se distinguait de la justice criminelle typique d'un procès civil. Cela ne veut pas dire que l'on devrait moins respecter les droits de l'accusé, et vous ne l'avez sûrement pas entendu de cette façon, mais comment trouver l'équilibre entre ce qu'il faut faire pour, d'une part, maintenir la cohésion et la discipline d'une unité, sur un théâtre d'opérations à l'étranger, par exemple, dans un contexte qui exige un processus sommaire expéditif pour les infractions les moins graves, et, d'autre part, le droit à une réponse et défense complètes ainsi que le droit à un avocat, c'est-à-dire les principes les plus élémentaires de la justice criminelle dans un contexte civil?
D'après vous, est-il possible de relever le projet de loi à un niveau auquel nous pourrions aspirer sans priver l'armée de la souplesse dont elle a nettement besoin? Vous avez vraiment mis le doigt sur des points inquiétants. Le ministre et ses collaborateurs seraient certainement réceptifs à des amendements pondérés qui préservent l'intégrité du projet de loi. Avez-vous des conseils à nous donner à cet égard? D'après moi, il n'est pas réaliste d'accorder à l'accusé jugé sommairement toute la protection accordée au présumé auteur d'un acte criminel, dans un contexte civil. En même temps, cela ne veut pas dire qu'il faut mettre en péril l'équité de la procédure et les droits de justice réels, encore moins les droits accordés par la Charte, quand l'accusé est passible d'une lourde peine.
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Voici les deux conseils que je donne au comité.
Le premier, c'est de reconnaître que l'application de la Loi sur la défense nationale peut avoir un champ d'application très vaste. Elle peut s'appliquer dans divers théâtres d'opérations, mais, également, sur le sol canadien, en période d'instruction militaire. Il pourrait y avoir lieu de distinguer ces deux contextes. Par exemple, dans un théâtre d'opérations, on est davantage justifié de trouver une issue expéditive aux plaintes de nature sommaire, tandis que quand on se paie le luxe de se trouver sur notre sol, dans ses meubles, on pourrait imposer des normes différentes. Nous devrions certainement en tenir compte sous le régime de l'article 1 de la Charte, quand nous cherchons à déterminer si elle est violée et si cet article permet en fait d'invoquer ces normes. C'est peut-être une distinction que l'on pourrait faire.
Si des normes plus laxistes rendent la procédure inique, une bonne façon de se prémunir contre leur effet consisterait, d'après moi, à renforcer le droit d'appel et à monter un bon dossier pour s'assurer, en cas d'injustice ou de viol des normes de la Charte, de pouvoir corriger cette erreur en temps propice.
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Oui, c'est la première fois que je comparais devant le comité.
Les membres de la CLA possèdent diverses spécialités. Certains de nos membres exercent dans ce domaine, et nous avons consulté à l'extérieur. C'est pourquoi j'ai pris soin, au début de notre exposé, de préciser que nous ne nous prétendions pas spécialistes du domaine. Nous sommes ici pour vous donner le point de vue d'avocats qui s'occupent de questions relatives à la Charte, au quotidien, en matière criminelle et nous voulions vous offrir les moyens de le transplanter dans le contexte qui nous occupe.
Sans aucun doute, vous entendrez parler de spécialistes qui connaissent mieux le sujet que nous. Ils pourraient présenter des arguments convaincants sur le fonctionnement de l'article 1 de la Charte et comment il pourrait autoriser la mise en oeuvre opérationnelle du projet de loi, mais, d'après nous, d'après notre association, la Charte est un document très important, et les valeurs qu'elle véhicule devraient vraiment imprégner toutes nos lois.
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Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie les témoins de leur présence aujourd'hui.
Je suis heureux que quelqu'un jette un regard neuf sur ce projet de loi, et le fait que vous n'êtes pas des avocats militaires va peut-être aider — du moins, pour moi. L'une de mes préoccupations, c'est de m'assurer que nos militaires ne sont pas traités moins équitablement que les civils en vertu d'un système de justice, car ils ne resteront pas dans les forces armées éternellement. Même le secrétaire parlementaire du ministre de la Défense, qui est ici avec nous, a été militaire durant un certain temps. Il ne l'est plus, et bien des gens quittent la vie militaire après seulement quelques années. D'autres y restent durant toute leur carrière.
La question du casier judiciaire m'intéresse beaucoup. J'y vois un lien possible avec le procès sommaire. Je ne sais pas si vous connaissez le principe selon lequel la justice militaire est différente parce qu'elle exige de la discipline et de la rapidité, ainsi que de maintenir le moral et la cohésion d'une force de combat. Je pense qu'il faut tenir compte de certains éléments d'un « procès équitable » garanti par notre charte. Même s'il y a un compte rendu, le commandant sera toujours le commandant, et on ne peut faire en sorte que tout le monde soit diplômé en droit.
On a laissé entendre qu'en ce qui concerne le casier judiciaire, on peut accepter qu'un système soit moins équitable en matière de procédure si les conséquences pour un militaire ne sont pas autant importantes. Les forces armées peuvent le juger pour possession de marijuana ou pour des infractions et cela pourrait lui occasionner des problèmes dans la vie civile. De nos jours, avec le CIPC et les frontières — et Dieu sait ce que d'autres pays peuvent penser des condamnations — le casier judiciaire est toujours là.
Soit dit en passant, sachez que 90 p. 100 de toutes les infractions militaires sont jugées en vertu de la même procédure que vous avez critiquée. Pensez-vous qu'il serait souhaitable qu'un procès sommaire ne puisse mener à une condamnation au sens de la Loi sur le casier judiciaire? L'article 75 fait référence aux peines mineures, et elles sont définies, et la réglementation pourrait changer. Je ne sais même pas ce qu'elle prévoit actuellement. Est-il justifié d'interdire entièrement une infraction qui mène à un casier judiciaire si les forces armées procèdent ainsi dans le but de maintenir la discipline et l'ordre, mais si cela nuit à la personne accusée dans l'avenir?
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Merci, monsieur le président.
Tout à l'heure, monsieur Spratt, je vous ai parlé de la rémunération des juges. Je ne veux pas reprendre la discussions sur ce sujet, mais je veux simplement vous faire remarquer qu'il s'agit de l'article 165.38. Si c'est possible, pourriez-vous nous faire parvenir votre opinion écrite à ce sujet?
Aujourd'hui, je veux plutôt vous parler de la possibilité pour un juge de déposer un grief. J'aimerais m'entretenir avec vous au sujet du fameux concept du devoir de réserve. Il me semble curieux qu'un juge puisse déposer un grief directement auprès du chef d'état-major. Cela semble être une entorse au devoir de réserve. Il s'agit de l'article 29.101.
Par exemple, que pensez-vous d'un juge qui, pour se plaindre, remplirait un formulaire de grief et le déposerait auprès du chef d'état-major? Il me semble qu'il y a, dans ce cas, une entorse au devoir de réserve?
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Merci, monsieur le président.
Effectivement, je suis accompagnée de Mme Mary McFadyen, avocate générale. D'abord, je veux remercier le comité de m'avoir invité cet après-midi à témoigner sur une injustice apparente dans le processus de règlement des griefs. Il s'agit d'une injustice qui a été constatée et critiquée par l'ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, le très honorable Antonio Lamer.
[Traduction]
Après une enquête sur le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes, en mai 2010, j'ai publié un rapport, intitulé « Le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes: Redresser la situation pour ceux et celles qui servent ». Ce rapport met en évidence les lacunes du processus de règlement des griefs qui portent davantage préjudice aux membres des Forces canadiennes qui ont déjà été lésés.
À la suite de notre enquête, nous avons constaté que le système de règlement des griefs — qui est censé être un mécanisme rapide et informel permettant aux soldats, aux marins et aux aviateurs de remettre en question les actions des Forces canadiennes et de régler les dossiers sans avoir recours aux tribunaux ou à d'autres processus — est insuffisant et injuste. Plus particulièrement, nous avons déterminé que le chef d'état-major de la Défense, qui est l'autorité de dernière instance dans le cadre du processus de règlement des griefs, n'a pas le pouvoir d'indemniser le militaire pour la résolution complète d'une injustice.
[Français]
Je vais le redire. Plus particulièrement, nous avons déterminé que le chef d'état-major de la Défense nationale, qui est l'autorité de dernière instance dans le cadre du processus de règlement des griefs, n'a pas le pouvoir d'indemniser les militaires pour la résolution complète d'une injustice.
Donc, lorsqu'une demande d'indemnité découlant d'un grief est présentée, c'est plutôt l'avocat du ministère de la Justice et non le chef d'état-major de la Défense nationale qui détermine si une indemnité doit être versée aux membres des Forces canadiennes.
[Traduction]
À notre avis, monsieur le président, le fait de confier au chef d'état-major de la Défense la direction et la gestion des Forces canadiennes alors qu'il n'a pas le pouvoir de verser une indemnité de 50 $ dépasse l'entendement.
Nous estimons qu'il est aussi déraisonnable qu'un avocat ministériel, dont le rôle est de fournir des conseils, ait un plus grand pouvoir décisionel en matière d'indemnité que le chef d'état-major de la Défense. À la suite de notre enquête, nous avons aussi conclu que les avocats ministériels refusent souvent les demandes d'indemnité.
De plus, lorsque les réclamations sont rejetées, on informe les membres des Forces canadiennes qu'ils doivent intenter une action en justice contre le gouvernement du Canada pour obtenir une indemnité. Toutefois, à l'insu de la plupart d'entre eux, ces actions en justice se retrouvent rarement devant les tribunaux, parce qu'une cour antérieure a établi qu'il n'y a aucun contrat de travail ayant force de loi entre la Couronne et les membres des Forces canadiennes.
Ainsi, pour l'heure, un membre des Forces canadiennes n'a pas vraiment de dernier recours pour obtenir une indemnité, même si les Forces canadiennes reconnaissent qu'il a été traité de façon inappropriée ou injuste.
[Français]
À la suite de l'enquête, j'ai conclu qu'il était nécessaire que le chef d'état-major de la Défense puisse accorder une indemnité pour la simple raison que dans certaines circonstances, c'est la seule façon d'obtenir justice.
[Traduction]
Comme je l'ai mentionné plus tôt, notre bureau n'est pas le premier à constater ce problème, ni le premier à formuler des recommandations dans le but de le résoudre. En effet, après un examen indépendant externe en 2003, l'ancien juge en chef Lamer a recommandé que le chef d'état-major de la Défense ait le pouvoir de régler des réclamations dans le cadre des griefs.
[Français]
Dans son rapport, l'ancien juge en chef a indiqué ce qui suit:
Les soldats ne sont pas des citoyens de seconde classe. Ils ont le droit d'être traités avec respect en ce qui concerne le règlement des griefs, selon une procédure équitable.
Il s'agit d'un principe fondamental qu'il ne faut pas perdre de vue dans tout processus bureaucratique, même militaire.
Finalement, un processus de règlement des griefs approprié doit non seulement déterminer si la personne a été traitée de façon juste, mais il doit aussi pouvoir corriger le traitement injuste ou inapproprié.
[Traduction]
Nous devons donner à la chaîne de commandement les outils et les pouvoirs nécessaires afin qu'elle puisse prendre soin de ses gens, et les membres des Forces canadiennes doivent avoir confiance que leur chaîne de commandement prendra soin d'eux. Il est donc question de leadership et de moral. En effet, comment un chef militaire peut-il dire à ses militaires: « Je conviens que vous avez été traité injustement, mais je ne peux rien faire pour vous et je vous demanderais de continuer à croire que je me soucie de votre situation. »
Le ministre de la Défense nationale nous a informés que son personnel étudie toujours nos recommandations. Toutefois, étant donné que huit ans se sont écoulés sans obtenir de résolution à cette injustice — et sur le plan de saines politiques publiques —, j'estime qu'il est temps d'apporter les modifications législatives nécessaires en vue d'accorder au chef d'état-major de la Défense le pouvoir de verser des indemnités pour la résolution complète d'une injustice. Il est également temps de s'assurer que le système de règlement des griefs peut réellement servir les hommes et les femmes des Forces canadiennes comme il se doit.
L'ancien juge en chef Lamer avait raison: nos militaires ne sont pas des citoyens de seconde classe. Ils ont le droit d'être traités de façon juste. Je suis heureux que votre comité se penche sur la résolution de cet enjeu.
Nous sommes prêts à fournir à votre comité toute l'aide possible.
[Français]
Je suis heureux que votre comité se penche sur cette résolution et nous sommes prêts à vous aider.
Avant de terminer, j'aimerais tout de même ajouter que je trouve un peu dommage que nous ayons à débattre une question qui n'a pour but que d'obtenir justice et équité pour les membres des Forces canadiennes.
[Traduction]
À juste titre. Personne ne remet en question les recommandations du juge Lamer.
Je suis tout à fait d'accord avec le ministre de la Défense nationale qui, dans sa réponse écrite, m'a dit:
Au sujet de ce problème: comme vous l'avez mentionné, ce n'est pas la première fois que cette recommandation est formulée et le temps est venu de conclure ces discussions.
Monsieur le président, j'estime que ce temps est arrivé.
:
Merci, monsieur le président.
Je veux souhaiter la bienvenue au général Daigle, qui est d'ailleurs un éminent citoyen de Saint-Jean-sur-Richelieu. C'est toujours un plaisir de rencontrer ici nos concitoyens.
Monsieur Daigle, vous apportez un point de vue très intéressant et je voudrais poursuivre sur l'exemple que vous nous avez donné du réserviste qui a été suspendu sans solde de ses fonctions et qui a remonté toute la chaîne de commandement pour arriver jusqu'au chef d'état-major qui lui a dit ceci: « Vous avez raison, on n'aurait pas dû vous suspendre de vos fonctions, alors je corrige cela ». Il a probablement effacer les remarques à ce sujet à son dossier, mais en ce qui concerne le fait de lui rembourser tout l'argent qu'il avait perdu, il ne pouvait rien faire.
Cependant, je veux aborder l'autre étape parce que vous n'y avez pas fait allusion. C'est de celle-ci dont je veux vous entendre parler. On constate que le chef d'état-major a, à ce moment-là, référé le dossier au directeur des réclamations et du contentieux des affaires civiles. Pourriez-vous m'expliquer quelle est la fonction de ce directeur?
:
Le directeur du contentieux et litiges est un avocat qui répond au sous-ministre du ministère de la Justice. Il est à l'extérieur de la chaîne de commandement et assure un soutien au ministère de la Défense nationale. Donc, il ne fait pas partie du processus de griefs.
Étant donné que le chef d'état-major de la Défense nationale n'a pas l'autorité à cet égard, le dossier est remis à cet avocat. Tout ce que cet avocat peut dire à l'individu, c'est que si vous croyez qu'il y a eu une injustice, vous pouvez faire une réclamation contre la Couronne. Il peut avoir été convenu devant les tribunaux que
[Traduction]
Il n'y a pas de contrat exécutoire avec la Couronne.
[Français]
Même si vous soumettez votre réclamation,
[Traduction]
La Couronne n'a aucune responsabilité à cet égard, et le plaignant n'obtiendra donc pas satisfaction.
[Français]
À ce moment-là, l'individu a comme dernier recours d'aller devant la Cour fédérale, mais cette dernière a également statué qu'étant donné que cela se trouve à l'intérieur d'un système de griefs des Forces canadiennes, il n'y a rien à faire.
Donc, un soldat des Forces canadiennes qui présente un grief dans un système qui est instauré pour amener un mécanisme pour résoudre des problèmes internes, donc à l'extérieur du système légal et des cours, constate que s'il y a une résolution qui mérite une compensation financière, c'est comme s'il faisait face à trois systèmes. Non seulement on voulait s'assurer que ce système soit plus efficace, mais si le CDS ne peut pas résoudre son problème, il doit s'adresser à un avocat du ministère de la Justice au sein de la Défense nationale qui, lui, s'il n'y a pas de liability against the Crown, ne va pas soumettre sa réclamation. Il lui recommande d'aller en cour qui va rejeter sa demande parce qu'il n'a pas de contrat.
On recommande donc au soldat de prendre des procédures sachant d'avance que cela ne résoudra pas son problème.
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Donc, il est bloqué partout.
J'aimerais qu'on s'entretienne pour quelques minutes sur les tribunaux civils. En fait, on mentionne ici que les tribunaux civils ont déclaré qu'il n'y avait aucun contrat de travail entre Sa Majesté et les membres des Forces canadiennes. On dit qu'une personne qui s'enrôle dans les forces armées le fait au gré de la Couronne et que les relations entre Sa Majesté et ses militaires ne peuvent pas mener à des réparations auprès des tribunaux civils.
Je comprends qu'on ne leur donne pas accès au tribunaux civils, mais même s'ils y avaient recours, le tribunal rejetterait probablement la demande très rapidement en disant qu'ils ne peuvent poursuivre la Reine.
Quand on dit qu'il n'y a pas de contrat de travail, il me semble que quand un soldat s'inscrit dans les Forces armées, il signe un contrat pour quelques années. Donc, il y a un contrat de travail. Y a-t-il un vide juridique qui ne permet pas de poursuivre jusqu'au bout ses réclamations?
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Merci, monsieur le président, et merci à vous deux d'être ici.
Tout d'abord, j'aimerais vous remercier pour votre sens du devoir, du temps où vous étiez dans les forces et par la suite également.
Notre discussion déborde largement du projet de loi , mais il n'en est pas moins important de parler de ces questions. Un des problèmes tient à ce que nous mélangeons la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur la défense nationale, je crois.
Dans votre rapport Le processus de règlement des griefs des Forces canadiennes: Redresser la situation pour ceux et celles qui servent, vous recommandez que le chef d'état-major de la Défense ait le pouvoir de régler les plaintes de nature financière, etc. C'est ce que recommandait le juge en chef Lamer. Le principe a été accepté par les gouvernements des deux partis et cela fait longtemps. Il semble donc que les mesures proposées sont plus difficiles à réaliser qu'il n'y paraît.
Dans votre rapport spécial, vous indiquez que la Loi sur la gestion des finances publiques accorde au Conseil du Trésor la responsabilité de la gestion financière du gouvernement fédéral et que le Conseil du Trésor délègue certains pouvoirs aux ministres et aux sous-ministres. Ainsi, le sous-ministre de la Défense nationale est le principal administrateur des comptes pour ce ministère. Il est l'autorité financière.
Croyez-vous que le Conseil du Trésor devrait intervenir pour déléguer des pouvoirs à d'autres personnes qu'au ministre ou au sous-ministre? Savez-vous si la Loi sur la gestion des finances publiques devrait être modifiée pour permettre cela?
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Là où je veux en venir, c'est qu'en 2003, M. Lamer était encore le juge en chef de la Cour suprême. Il a dit que ce n'était pas acceptable et qu'il fallait que le MDN et les FC s'en chargent.
Ce que je dis, c'est que la délégation des pouvoirs financiers existe et que le sous-ministre s'en sert. Le SM délègue des pouvoirs financiers à un capitaine, un avocat, qui peut consacrer 10 000 $ à un fermier en Afghanistan, mais pas au chef d'état-major de la Défense, qui dirige l'ensemble des Forces canadiennes, pour qu'il puisse donner 100 $ à quelqu'un qui a perdu quelque chose en service.
J'appuie le ministre de la Défense nationale. Monsieur le président, je suis véritablement content d'avoir été invité à témoigner malgré le très court préavis, mais quand j'ai voulu voir ce qu'il en était de la question dernièrement, j'ai constaté que le ministre de la Défense nationale était venu dire au comité que le projet de loi comportait des dispositions dont le but était de rendre le processus de règlement des griefs plus efficace et, ainsi, plus transparent et équitable. Ce que je dis, c'est que si vous ne donnez pas ce pouvoir au chef d'état-major de la Défense, le processus ne sera pas plus transparent, équitable et efficace.
Personne ne dit le contraire... Le juge Lamer a recommandé de trouver un moyen de le faire, mais deux gouvernements ont essayé de le faire, ce qui me fait dire que ce n'est peut-être pas si facile. Personne ne fait preuve de mauvaise foi ou de mauvaise volonté. Je ne le crois pas.
Vous avez été major-général. Nous n'avons jamais travaillé ensemble, de toute évidence, mais je suis sûr que vous avez fait preuve de bonne volonté à l'égard des soldats, de leur bien-être et tout ça, comme toute personne qui a le commandement. Cependant, dans une lettre que vous avez adressée au comité, vous disiez estimer qu'il faudrait utiliser le projet de loi pour résoudre le problème relatif au processus de règlement des griefs et, ainsi, réparer une grave injustice. C'est de cela que nous parlions justement. Puis, dans une lettre que vous avez adressée au ministre de la Défense nationale, vous avez dit qu'il pourrait ne pas être nécessaire de modifier la loi et qu'il serait peut-être possible de trouver une solution simple.
Je ne signale pas cela comme étant une grosse contradiction, mais je crois qu'il y a une divergence, dans votre esprit, sur la nécessité d'adopter des mesures législatives. Pouvons-nous corriger la situation au moyen de mesures législatives? Quel mécanisme suggérez-vous pour que le CEMD puisse verser des fonds?