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Merci, monsieur le président, messieurs.
J'ai écrit sur la paix pour la première fois il y a une cinquantaine d'années, lorsque j'étais cadet de quatrième année au Collège militaire royal. J'avais rédigé une très longue thèse à ce sujet. À cette époque, je croyais vraiment aux vertus de la paix mais, en une demi-douzaine d'années, j'étais devenu sceptique. Cinquante ans plus tard, je le suis toujours.
Pourquoi? Les raisons sont très claires: la paralysie politique et l'inefficacité administrative permanente des Nations Unies; l'absence flagrante de volonté politique, à New York, de résoudre les crises qui se sont traduites par des opérations de maintien de la paix qui n'en finissent plus; la croyance du public canadien que le maintien de la paix ne coûte rien, alors qu'en fait, il s'est traduit par la perte d'environ 120 militaires canadiens; la croyance du public canadien que le maintien de la paix n'exige qu'un béret bleu, une croyance qui a eu des répercussions importantes sur les Forces canadiennes depuis des décennies, alors que les gouvernements ont habilement tiré profit de cette croyance pour réduire le budget de la défense; et l'attitude du public, qui persiste et selon laquelle tout ce que les Forces canadiennes ont à faire consiste en un travail bénin de béret bleu, plutôt qu'en opérations robustes de tous genres.
Néanmoins, le Canada a fait du travail de maintien de la paix et les Forces canadiennes y ont excellé. Ce ne fut jamais une priorité pour le gouvernement et, quoi qu'en disent les Livres blancs ou ce que croient les Canadiens, l'ONU et les autres opérations de maintien de la paix n'ont jamais absorbé plus de 10 p. 100 du budget ou de l'effectif.
En outre, nous n'avons pas assuré ces opérations de maintien de la paix par altruisme, mais parce qu'elles servaient les intérêts de l'Occident, comme à Suez en 1956, au Congo en 1960 et à Chypre, en 1964. Nous l'avons fait parce que nous avions un corps expéditionnaire militaire axé sur des opérations dans le cadre de l'OTAN, avec de bonnes capacités logistiques et de communication et peu de petits états en avaient autant. Nous l'avons fait aussi parce que l'opinion publique aimait le maintien de la paix. Il ne divisait pas les Canadiens comme l'ont fait les guerres mondiales et la Corée, par exemple.
C'est un cliché de dire que le monde a changé depuis la fin de la guerre froide. Mais c'est un fait et les opérations de maintien de la paix ont changé aussi. Elles sont maintenant beaucoup plus robustes et difficiles. Le dossier de l'ONU au chapitre du maintien de la paix est, si possible, encore pire que celui des opérations de maintien de paix plus faciles. C'est pourquoi l'ONU a de plus en plus tendance à sous-traiter ces opérations à des organisations comme l'OTAN et l'Organisation de l'unité africaine. En général, ces organisations s'en tirent mieux: l'OTAN a plus ou moins réglé le problème dans l'ex-Yougoslavie et essaie d'en faire autant en Afghanistan. Les soldats des membres de l'OUA, beaucoup moins efficaces que ceux de l'OTAN, n'ont pas réussi au Darfour. Je ne perçois aucun signal que l'ONU pourra organiser des opérations plus robustes. Il est évident que les opérations en République démocratique du Congo n'offrent que peu de raisons pour être optimistes.
Mais mon pessimisme ne signifie pas que le Canada doive se désister de toutes les opérations de paix. Le test pour déterminer si l'on doit participer ou pas devrait être en deux volets: les intérêts nationaux du pays et les capacités des Forces canadiennes.
Nos intérêts nationaux sont clairs. Le Canada doit défendre son territoire, ses habitants et son unité. Il doit s'efforcer d'accroître le bien-être économique de ses citoyens, car il est une démocratie libérale. À ce titre, le Canada doit collaborer avec ses amis pour faire progresser la démocratie et la liberté. Ces intérêts nous imposent de nous concentrer d'abord sur notre propre territoire, sur l'Amérique du Nord et sur l'hémisphère occidental, ainsi que sur les régions du monde, comme le Moyen-Orient ou le sud-ouest asiatique, où les conflits ont plus de chance de s'élargir et de menacer le monde.
Au fait, la mission en Afghanistan n'est pas une mission de maintien de la paix. Mais je la crois justifiée parce que la région est volatile et parce que certains états voisins ont des armes nucléaires.
Autre exemple, plus près de nous, on ne peut laisser Haïti sombrer dans un chaos plus extrême. Nous avons des intérêts nationaux en jeu là-bas. Parallèlement à nos intérêts nationaux, nous avons des motifs humanitaires dont il faut tenir compte, en Afghanistan et en Haïti.
Mais nous ne pouvons rien faire sans une capacité militaire. Au début des années 1990, par exemple, les Forces canadiennes étaient rouillées, leurs forces minées par une surutilisation et par un manque d'investissements dans l'équipement. Les réductions budgétaires après 1995 ont empiré la situation et il a fallu des efforts herculéens et onéreux pour rétablir leur capacité.
Nous avons maintenant une petite armée, une aviation et une marine très compétentes, mais le mot clé, pour les trois est petit. Les FC ont été tendues presque au point de rupture par les efforts nécessaires pour entretenir un effectif de 2 800 personnes en Afghanistan. Il y a 20 ans, les Canadiens, optimistes, parlaient de déployer une brigade de trois bataillons outre-mer. Aujourd'hui, nous avons peine à soutenir l'engagement d'une force de la moitié de cette taille.
C'est insuffisant pour un pays de la taille du Canada et, si nous voulons jouer un rôle dans les opérations de paix, ou des opérations de coalition d'un autre type pour la défense du Canada et de l'Amérique du Nord, nos efforts de reconstruction des Forces armées sont loin d'être finis. La situation est meilleure qu'elle ne l'était en 2005, mais jusqu'à ce que nous ayons passé des marchés pour acquérir davantage de vaisseaux, d'aéronefs et de véhicules blindés, le processus de reconstruction n'est pas terminé.
Ce qui me semble clair c'est l'importance de bien examiner les intérêts et les capacités nationaux dans chaque déploiement que nous voulons faire. Toutes les opérations des Nations Unies ne sont pas bonnes. Toute opération non parrainée par les Nations Unies est mauvaise. Certains auteurs et des institutions soutiennent que seule l'ONU est bonne et que tout ce que touchent les États-Unis est forcément mauvais. C'est tout simplement faux. Le test adéquat qui permet de déterminer si le Canada doit participer ou non est une évaluation de nos intérêts nationaux et des capacités des Forces canadiennes. Nos intérêts seront-ils servis, dans l'ensemble, si nous participons? Le Canada peut-il s'acquitter de cette tâche? Voilà les questions clés à se poser.
Je crois qu'au Congo et au Darfour, la réponse était et demeure non, sans égard aux besoins humanitaires. Les troupes blanches dépendent d'une longue chaîne logistique qui nécessite une formation et un équipement particuliers et ce que nous avons n'est pas utile là-bas. Il vaut mieux contribuer de l'argent liquide ou offrir de l'aide que déployer les FC dans la mauvaise mission.
Cependant, nous devrions être prêts à offrir une aide militaire aux opérations de paix s'il existe une forte volonté politique à l'ONU ou chez nos alliés. Si les fonds sont consentis. Si les pays hôtes consentent à accepter les soldats étrangers sur leur territoire et démontrent leur volonté de résoudre la crise. S'il y a une stratégie de retraite claire ou si une date de retrait est annoncée à l'avance par l'ONU ou par le Parlement du Canada. Si les Forces canadiennes peuvent faire le travail et si la mission sert les intérêts du Canada. Et on doit considérer comme acquis que les troupes seront toujours déployées avec le matériel adéquat et au bon endroit, avec l'entraînement approprié et en nombre suffisant pour atteindre les objectifs de l'opération.
Ce n'est que si ces principes sont en place que le gouvernement du Canada doit envoyer à l'étranger ses jeunes hommes et femmes. En d'autres termes, cessons de nous appuyer sur des clichés et des mythes. Soyons honnêtes et modestes. Nous ne sommes pas une superpuissance morale. Nous ne sommes pas mandatés par Dieu pour maintenir la paix. Nous ne sommes pas neutres. Nous ne devrions jamais plus prendre d'engagement virtuellement automatique envers les Nations Unies ou toute autre opération de la paix, comme nous l'avons fait de 1956 à 1967. Nous devrions plutôt avoir une évaluation plus dure et réaliste de notre situation et de nos intérêts. De plus, le Parlement devrait avoir à approuver tout déploiement. Le soutien du public est essentiel et la Chambre des communes doit prendre part à ces décisions.
Si le Canada souhaite jouer un rôle dans des opérations de maintien de la paix à venir, dont certaines impliqueront de combattre, le gouvernement doit alors consentir les fonds nécessaires pour en garantir la réussite. Donc, oui aux opérations de paix. Mais seulement si nous pouvons le faire et si c'est la bonne chose pour nous.
La tâche du gouvernement du Canada consiste à dûment évaluer les facteurs concernés et à fournir ce qu'il faut pour que l'opération soit réussie.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Granatstein, c'est un plaisir de vous revoir. Je dois dire que vous ne nous décevez jamais. J'ai beaucoup apprécié ce que vous venez de dire.
Nous sommes aujourd'hui dans une situation où, d'une part, le Canada peut être invité à intervenir quelque part à cause de l'OTAN, de l'UE ou simplement des puissances occidentales mais, d'autre part, il y a notre appui au droit international, aux droits humains, à l'humanitaire, et aux valeurs traditionnelles canadiennes exprimées par notre politique étrangère. Vous avez dit dans vos remarques que c'est peut-être un peu comme le modèle australien, ce qui laissait entendre que nous devrions peut-être rester plus près de chez nous dans notre hémisphère.
Pourriez-vous préciser? Je conviens certainement avec vous que nous devons... Nous avons actuellement nos forces armées sur un tempo élevé et nous ne voulons pas perdre ça. En même temps, cependant, l'intérêt national est dicté par ce que nous croyons être nos meilleurs intérêts dans l'hémisphère.
J'ai été intéressé par ce que vous avez dit sur Haïti. Pourriez-vous préciser pourquoi vous pensez que c'est important?
Qu'en est-il de cette question de l'OTAN par opposition à certaines des choses plus traditionnelles dont nous parlons — les droits humains internationaux? Qu'est-ce qui fait que nous tombons d'un côté ou de l'autre sur des questions comme celle-là?
Tout d'abord, vous parlez de tempo. Je ne pense pas que nous puissions maintenir le tempo actuel. Pas dans l'infanterie, en tout cas. Elle va avoir besoin d'une période de repos pour que nos soldats arrêtent de faire cinq déploiements en Afghanistan, ce qui aura été le cas au moment où nous partirons. Nous ne pouvons pas continuer ça. Le tempo devra ralentir, quoi qu'il arrive.
J'ai évidemment une préférence pour les opérations de l'OTAN plutôt que de l'ONU, simplement parce que ce sera mieux dirigé. Ce sera plus efficient. Ce sera probablement politiquement plus en accord avec nous que les Nations Unies l'ont été. Dans l'ensemble, les opérations de l'ONU ont été désastreuses et, considérant les réalités politiques à New York, il y a peu de chances que ça s'améliore. Si l'on a le choix entre deux opérations, je prendrais l'OTAN plutôt que l'ONU pour des raisons concrètes de commandement, de contrôle et de politique.
La préférence est qu'on songe d'abord à notre hémisphère. Nous faisons partie de l'hémisphère occidental. Nous faisons partie de l'Amérique du Nord. La politique de défense actuelle s'appelle la stratégie de défense Le Canada d'abord. Je ne pense pas que ce nom soit mal choisi. Cela devrait être notre politique. Qu'est-ce qui nous touche, qu'est-ce qui est directement dans notre intérêt?
De manière générale, ce qui est proche est dans notre intérêt, plus que ce qui se trouve à l'autre bout du monde. J'ai ajouté une réserve dans mes remarques en disant que certaines parties du monde sont très dangereuses et qu'il est clairement dans notre intérêt national d'empêcher la guerre d'exploser. En général, cependant, c'est en Amérique du Nord, dans les Caraïbes, dans notre hémisphère, que devraient se situer nos intérêts.
Un pays comme Haïti, qui est en plein chaos, et qui était en plein chaos avant le tremblement de terre, constitue une menace pour nous à cause de la marée d'immigrants illégaux qu'il pourrait produire, à cause du chaos qu'il pourrait engendrer, à cause de la maladie et de la pagaille généralisée qu'il pourrait répandre partout. Il n'est pas dans notre intérêt de permettre ça. Il n'est pas dans notre intérêt que cela continue. Si nous pouvons l'aider, nous devrions clairement le faire.
Cela exige-t-il nécessairement des militaires? Peut-être pas. Peut-être qu'il faudrait plus une ACDI plus focalisée et mieux financée allant là-bas pour y faire un travail de fond. C'est au gouvernement qu'il appartient de décider mais je pense que ce pays — cette crise — doit sérieusement nous préoccuper.
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Merci beaucoup d'avoir pris le temps de venir partager vos connaissances avec nous.
J'ai quelques questions sur l'Afghanistan. À votre avis, quelles leçons pouvons-nous tirer de notre mission là-bas? Vous en avez parlé en passant, en disant qu'il est dans notre intérêt national de pacifier l'Afghanistan. Dans votre esprit, est-ce synonyme de victoire militaire? Sinon, comment pouvons-nous faire ça?
En ce qui concerne l'OTAN jouant le rôle de sous-traitant de l'ONU, il s'agit de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Aujourd'hui, c'est en Afghanistan et, théoriquement, ça pourrait être dans d'autres parties du monde. Est-ce un rôle envisageable pour une organisation créée pour contrer la menace soviétique?
En ce qui concerne la participation de l'OTAN en Afghanistan, l'une de mes critiques a toujours été qu'il n'est pas juste qu'une poignée de pays seulement assume la majeure partie du fardeau et subisse de lourdes pertes alors que les autres ont d'autres missions. J'aimerais savoir ce que vous en pensez. Quand on fait partie d'une alliance, chaque membre ne devrait-il pas assumer une partie du travail à faire?
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Idéalement, elles sont toutes obligatoires. Toutefois, je suis réaliste, la situation est parfois tellement urgente qu'on ne peut pas tout avoir sous la main avant de s'engager, mais je pense que certaines choses sont absolument cruciales.
Il faut qu'il y ait la volonté politique des Nations Unies. Sans cela, nous serions fous d'engager des troupes dans une opération de l'ONU, quelle qu'elle soit.
Il faut qu'il y ait de l'argent. Nous pourrions probablement nous débrouiller en cas de difficulté mais il serait préférable que l'argent soit engagé dès le départ.
Il est essentiel, à moins de vouloir envahir un territoire hostile, d'avoir un gouvernement local prêt à nous recevoir. On parle depuis quelques semaines d'aller au Congo. Or, le président du Congo demande que les troupes de l'ONU s'en aillent. Aurions-nous voulu nous retrouver dans une situation comme celle-là? À mon avis, ce serait de la folie pure d'envisager ça.
Il faut qu'il y ait une stratégie de sortie. Je ne pense pas que nous devrions jamais nous engager à nouveau dans une opération comme celle de Chypre, où nous sommes arrivés en 1964 et n'en sommes partis qu'en 1993. L'opération de Chypre continue aujourd'hui. Il n'y a aucune volonté politique de résoudre la situation, ou il n'y en avait pas. Je sais que Joe Clark avait essayé de devenir Lord Clark de Nicosie mais ça n'a pas marché. On n'a trouvé aucune solution à ce genre de situation. Très franchement, il me semble que ça ne fait aucun bien aux Nations Unies, ni même aux Chypriotes, d'avoir une opération interminable et de les laisser prétendre qu'ils essayent de trouver un règlement quand ce n'est pas le cas.
La clé est de savoir si notre armée est capable de faire le travail. Sinon, il y a certaines choses que nous n'avons peut-être pas la capacité de faire et nous ne devrions alors absolument pas nous engager.
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Je ne sais pas. Je pense que notre contribution la plus efficace ne serait pas militaire. Ce serait probablement des instructeurs, de l'argent, de l'aide.
Il est tout à fait possible, si la piraterie continue comme maintenant à partir d'organisations — ou de « désorganisations », plutôt — basées en Somalie, que des voix s'élèvent pour y mettre fin une fois pour toutes. Cela pourrait peut-être déboucher sur une opération de l'OTAN, auquel cas il se pourrait fort bien que nous y participions.
Considérant l'expérience acquise en Somalie, c'est-à-dire les expériences onusiennes et américaines dans ce pays, c'est un dossier qu'il faudrait vraiment prendre avec des pincettes. Il est d'autant plus compliqué qu'il y a maintenant une très vaste diaspora somalienne au Canada, qui me semble divisée en nombreux courants. Donc, tout ce que nous pourrions faire provoquerait à la fois de l'appui et de l'opposition de divers groupes de Somaliens du Canada. C'est une situation bien compliquée.
Le critère, pour nous, doit être de savoir ce qui correspond le mieux à notre intérêt national et si nos forces peuvent jouer un rôle utile. Je ne pense pas que nous voulions nous retrouver dans une situation où l'idéalisme et l'altruisme seraient nécessairement le moteur de notre action. La question doit être de savoir si ça répond à nos intérêts. Est-ce quelque chose que nos soldats pourraient faire?
Tenons donc un peu plus compte de nos intérêts en abordant ces problèmes.
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Je pense que son service de maintien de la paix est meilleur qu'il l'était. Le général Lewis Mackenzie avait l'habitude de dire que le téléphone sonnait dans le vide si vous appeliez New York en fin de semaine. Si vous appeliez après six heures du soir, il n'y avait plus personne. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les choses se sont améliorées. Il y a plus de gens, une meilleure organisation et plus d'efficience. C'est peut-être maintenant du niveau d'une armée du tiers-monde, par rapport au niveau d'une armée du cinquième monde il y a 20 ans. C'est un progrès, mais il faudra en faire encore beaucoup plus.
Le problème fondamental de l'ONU est politique: le veto. Un Conseil de sécurité qui est encore divisé, nonobstant la fin de la Guerre froide. Ses membres continuent d'avoir leurs intérêts nationaux, lesquels ne risquent pas de disparaître.
Nous le constatons, par exemple, sur une question telle que les sanctions contre l'Iran, qui pourraient déboucher sur une opération à terme. Existe-t-il un accord pour imposer des sanctions? Pas vraiment. Est-il concevable qu'on parvienne réellement à un accord? Peu probable.
Je ne sais pas comment on pourrait surmonter cela. C'est l'inaptitude de l'ONU à faire preuve de cohérence qui débouche sur des coalitions des bonnes volontés, qui débouche sur des éventualités telles que la guerre de l'Irak en 2003 où les États-Unis se sont sentis obligés, face à la paralysie de l'ONU, d'agir en fonction de leur définition de leur intérêt national.
Ce n'est pas ce qu'il y a de plus souhaitable mais il faut au moins comprendre pourquoi cela arrive. C'est parce que l'ONU n'est tout simplement pas capable d'agir. Voilà le problème. Quant à la solution, je ne la connais pas.
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Un peu plus tôt, vous sembliez dire que le Canadian Defence & Foreign Affairs Institute, qui a tenu beaucoup de réunions, voulait participer... Parliez-vous du cadre stratégique de l'OTAN qui est en cours actuellement? Oui.
J'aimerais parler de ce cadre stratégique. On sait que l'OTAN risque de plus en plus de faire de la sous-traitance pour le compte de l'ONU. Comme vous le savez, il y a de grosses discussions. Je suis depuis maintenant 10 ans à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Deux choses, en particulier, ressortent beaucoup. Il s'agit, tout d'abord, du financement commun.
Est-ce ce dont vous voulez parler? En Afghanistan, la preuve est faite que les points cardinaux sont extrêmement importants. Je suis allé à Faizabad avec les forces allemandes et je me suis promené toute la journée dans une belle jeep Mercedes. À 20 heures, on m'a dit qu'il fallait rentrer au camp pour des raisons de sécurité, car il y avait des menaces. En fait, il n'y avait pas vraiment de menaces dans le Nord.
Par contre, quand je suis allé dans le Sud, on ne rentrait pas à 20 heures parce qu'on ne se promenait pas dans de petites jeeps Mercedes. Il fallait se promener dans des LAV III, parce que ça cognait beaucoup. Il y a donc une mauvaise répartition sur le plan du financement et des pertes de vie. Le Canada paie un prix plus élevé que les pays qui évoluent dans le Nord.
Beaucoup de gens commencent donc à parler d'une rotation obligatoire afin que ce ne soit pas toujours les mêmes qui aient à payer par le sang de leurs soldats. Je crois que l'OTAN a de grosses responsabilités devant elle, de gros débats, et ce n'est pas facile non plus. Peut-être que les problèmes qu'on voit à l'OTAN se répercutent de façon encore plus importante à l'ONU. Dès qu'il y a beaucoup de nations, certaines tentent d'échapper à leurs responsabilités et d'autres sont obligées de les assumer.
Êtes-vous en faveur du financement commun? Êtes-vous favorable à ce qu'en Afghanistan, qui est un exemple typique, il y ait une rotation obligatoire des forces pour qu'on n'ait pas toujours les mêmes dans le Sud et dans le Nord?
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Je suis d'accord. Je pense que c'est ce qu'il faut faire. Il faut mettre de l'argent sur la table, il faut mettre des soldats sur la ligne de feu, il faut accepter le risque que certains perdent la vie, il faut accepter la possibilité que certains pays ne pourront pas toujours assumer le fardeau.
Comme je l'ai dit, le Canada n'a pas toujours été un membre modèle de l'OTAN. Nous avons fait notre travail en Afghanistan et ça nous a coûté cher. Nous l'avons bien fait, cependant. Nous en méritons le crédit, mais les plaintes que nous formulons au sujet d'autres pays sonnent un peu creux considérant nos antécédents au sein de l'alliance. Cette fois, je pense que nous avons bien fait et que nous pouvons légitimement pointer du doigt certains de nos amis de l'alliance, mais la première leçon à tirer de tout cela, c'est qu'il faut réparer l'alliance.
Le nouveau concept stratégique, me semble-t-il, doit aborder cette question de front en disant que le partage du fardeau doit être réel. Nous ne pouvons pas attendre des Américains qu'ils fassent tout; nous ne pouvons pas attendre des Canadiens qu'ils assument tout le fardeau pendant aussi longtemps que nous l'avons fait à Kandahar. Au minimum, il est scandaleux que ces soldats allemands ne sortent pas après huit heures du soir. Vous pourriez avoir en Afghanistan des forces de réaction rapide capables d'aller rapidement en hélicoptère là où il y a une crise. Selon moi, c'est la réponse minimum qu'on devrait pouvoir organiser lorsqu'il y a différentes provinces avec différentes nations qui s'en occupent.
Soyons clairs: l'opération de l'OTAN en Afghanistan n'a pas été un succès particulièrement éclatant sur le plan de la coordination des différentes méthodes d'entraînement, des différentes méthodes opérationnelles. Certaines des lacunes de l'alliance sont ressorties assez clairement, et l'une des solutions évidentes, à mes yeux, serait de créer une entité d'opérations civiles au sein de l'OTAN, un secrétariat ou une direction, afin de ne pas commettre la prochaine fois le même genre d'erreurs qu'en Afghanistan.
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Nous avons une armée comprenant à peu près 65 000 soldats réguliers et 30 000 réservistes. Je pense qu'il nous faudrait au minimum 10 000 soldats réguliers de plus, et une force de réserve de 50 000 membres environ. Autrement dit, il nous faudrait en tout 120 000 personnes, tout compris, pour faire les choses que nous voulons faire.
Le fait que notre infanterie manque tellement de personnel qu'elle est obligée de subtiliser des compagnies à un bataillon pour remplir les rangs du bataillon qu'elle déploie est une indication des difficultés que nous connaissons.
Évidemment, cela exige de l'argent, du temps, de l'entraînement. Je ne crois pas qu'il y ait nécessairement une pénurie de recrues à l'heure actuelle, mais il y a par contre une pénurie au niveau de l'entraînement — pour former des instructeurs, essentiellement — à cause du stress des déploiements. Ce serait d'ailleurs un avantage de la période de répit que j'estime nécessaire. Elle permettrait au système d'entraînement de faire du rattrapage.
En ce qui concerne les capacités, je pense que nous avons besoin d'une force polyvalente, étant donné l'endroit où nous nous trouvons sur la planète, l'image que nous avons de nous-mêmes, et nos responsabilités dans le monde.
Le secteur qui connaît le plus de difficultés, selon moi, est la marine. Il y a eu hier, je crois, une lettre du chef d'état-major de la Force maritime disant que la marine allait mettre hors service des navires de la défense côtière et certaines frégates, et réduire les capacités de certaines de nos AOR déjà obsolètes. C'est très sérieux.
Nous avons attendu beaucoup trop longtemps la formulation d'une politique de la construction navale, dont dépendent diverses acquisitions, et nous sommes donc maintenant en crise étant donné le temps qu'il faut pour acquérir des navires. J'estime que la marine est cruciale pour nous. Pour une force de 8 000 personnes environ, elle a rendu des services exceptionnels dans le monde entier. Elle ne pourra cependant pas continuer à le faire pendant très longtemps et, si nous ne nous mettons pas rapidement à acquérir de nouveaux navires de combat et de nouveaux navires d'avitaillement, nous allons avoir de très sérieuses difficultés.
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Nous n'avons pas besoin que les Forces canadiennes s'occupent du réchauffement climatique. Nous n'avons pas besoin que les Forces canadiennes s'occupent de la plupart des menaces dans l'Arctique. De certaines, oui. Nous n'avons pas besoin que les Forces canadiennes s'occupent de la menace de la Chine, après tout.
Ce dont nous avons besoin, c'est de forces bien équipées, bien entraînées et mobiles, capables de faire leur part avec nos amis pour faire face aux diverses menaces lorsqu'elles surgissent — des menaces contre nous étant donné que, soyons réalistes, ce seront obligatoirement les États-Unis qui feront le gros du travail si notre territoire est directement menacé puisque toute menace à ce niveau est quasiment d'office une menace contre les États-Unis. Les Américains ne vont pas s'emparer de notre territoire par la force. Ils essaieront peut-être d'exercer une influence sur nous, mais je vous dirais que c'est si nous avons la capacité de nous occuper activement de notre territoire que nous pourrons le mieux nous défendre contre cela.
Nous comptons sur l'appui des Américains en cas de crise, et c'est très bien, mais nous devons être prêts à contribuer dans d'autres régions du monde — dans des opérations de l'ONU ou des opérations de coalition —, ce qui exige un certain type de capacités.
Je le répète, notre priorité absolue doit être la défense de notre territoire. Ensuite, ce doit être la défense de l'Amérique du Nord et de l'hémisphère.
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J'ai été très impressionné lorsque le premier ministre actuel est arrivé au pouvoir, début 2006, et est allé en Afghanistan, ce qui était réellement son tout premier voyage à l'étranger, pour exposer avec force la raison pour laquelle le Canada était là-bas, et pourquoi il était dans notre intérêt national d'y être. C'était le discours que j'attendais depuis très longtemps d'un chef politique canadien.
Hélas, la question est devenue ensuite une source de division au Canada, à mesure que la guerre avançait, et on a pu constater l'absence de plus en plus marquée de ce genre de discours du premier ministre et de ses ministres. L'appui du public s'est étiolé. Nos politiciens n'ont pas assez expliqué pourquoi nous sommes là-bas.
J'ai toujours cru que, si le premier ministre avait prononcé à nouveau ce discours de 2006 en 2007, et en 2008, et en 2009, et en 2010, l'appui du public pour notre engagement en Afghanistan n'aurait pas faibli.
Ce qu'il faut, c'est du leadership. Nous avons besoin que nos politiciens disent la vérité aux Canadiens sur les raisons pour lesquelles nous faisons ce que nous faisons. La vérité est parfois difficile à dire. Parfois, il suffirait probablement de dire que nous devons faire notre part des sales boulots, mais il faudrait l'expliquer aux Canadiens. Je pense qu'il y a un vrai fonds d'idéalisme dans la population canadienne qui veut croire que nous oeuvrons pour le bien dans le monde mais, parfois, faire le bien est difficile et il faut que les dirigeants politiques donnent les vraies explications.
Je pense que c'est absolument critique — et je peux comprendre toutes les difficultés que cela implique en situation de gouvernement minoritaire —, mais il est absolument critique que nous ayons des leaders disant la vérité au peuple. C'est l'une des fonctions du poste, me semble-t-il.
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Merci, monsieur le président.
Mes questions porteront sur l'intérêt national.
Nous nous sommes concentrés ces derniers temps sur le Moyen-Orient. Certes, il y a la menace émergente en Iran et un état de guerre asymétrique, en grande mesure, mais on a observé relativement récemment certaines tendances expansionnistes de la Russie. Par exemple, des obus ont plu pendant plusieurs jours sur les foyers des Géorgiens en Ossétie du Sud, et la Géorgie a répliqué. Il semble qu'on ait profité des Jeux olympiques pour détourner l'attention. Les observateurs internationaux étaient aux Jeux olympiques. En fin de compte, la Russie contrôle aujourd'hui 20 p. 100 de plus du territoire sud-ossétien, et 30 000 Géorgiens sont exilés de leur région.
Pensez-vous qu'il y a des visées expansionnistes dans ce coin-là? Allons-nous devoir encore nous préparer à des missions plus conventionnelles, comme auparavant? Du point de vue de notre intérêt national, serait-il dans notre intérêt national de jouer un rôle de sécurité en effectuant des patrouilles dans des zones tampons, par exemple, dans ces ex-pays d'Europe de l'Est, notamment ceux qui sont des candidats potentiels à l'OTAN et qui ont contribué à la mission de l'OTAN en Afghanistan?
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Ce sont de bonnes questions auxquelles il n'y a pas de réponses faciles.
Lorsque les Russes ont célébré le 60e anniversaire de la fin de la guerre, on a vu pour la première fois, à ma connaissance, des soldats britanniques, américains, français et autres défiler sur la Place rouge. D'aucuns espèrent que la Russie va prendre un tournant positif et ne pas retomber dans ses jeux de pouvoir.
Nous devons faire tout notre possible pour l'encourager dans cette voie. L'idée d'envoyer des soldats de l'OTAN, ou des soldats canadiens dans le cadre d'une mission de l'OTAN, patrouiller le long des frontières de la Russie avec ses ex-États reviendrait à agiter un drapeau rouge devant ses dirigeants, si je peux me permettre cette expression. Ce serait naturellement pour eux un outrage. Évidemment, nous ne souhaitons pas que la Russie entre en guerre contre la Géorgie. Nous ne voulons pas qu'elle avale les sud-ossétiens. La Géorgie devrait pouvoir être indépendante si c'est ce que souhaite son peuple. Il serait peut-être utile que les Américains ne mettent pas autant leur nez dans les affaires de la Géorgie, mais c'est une situation délicate.
La Russie était une superpuissance. Elle croit à bien des égards qu'elle l'est encore. Elle souhaite avant tout ne pas être humiliée, et il me semble que nous devons bien nous garder de faire ça. Cela veut dire, à mon avis, que nous devons faire preuve d'une grande prudence au sujet de l'intégration dans l'OTAN de certaines des régions clés pour la Russie, comme l'Ukraine. Certes, bon nombre de facteurs militent en faveur de l'intégration de l'Ukraine dans l'OTAN, à l'exception du fait que c'est une partie vaste et cruciale de l'ex-empire soviétique, ce qui complique les choses.
L'idéal, je suppose — et nous y arriverons peut-être —, serait que la Russie devienne membre de l'OTAN. Nous aurions alors une alliance européenne de l'Atlantique Nord englobant tout le continent. Cela résoudrait le problème et ce n'est pas une idée aussi fantaisiste qu'on peut le penser. Je crois que c'est le but que nous devrions viser. Cela résoudrait la plupart des conflits dans cette partie du monde.
Pour ce qui est des capacités, devrions-nous nous préparer à des déploiements plus conventionnels? À mon sens, oui. Je ne crois pas une seconde que nous ne verrons plus dans les 20 prochaines années des conflits de nature à exiger le déploiement à l'étranger d'une force expéditionnaire canadienne. Je pense que c'est tout à fait envisageable. Je ne sais pas où mais je pense que c'est tout à fait possible.
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Non, ce n'est pas ce que je dis.
Vous avez employé l'image intéressante des Talibans prenant l'avion pour venir ici. Ce ne sont pas les Talibans qui ont fait ça, c'est al-Qaïda. Al-Qaïda a organisé ses attentats sous la protection des Talibans. Autrement dit, ce qui se passe dans des régions obscures du monde, à l'autre bout de la planète, peut nous toucher directement. Le renforcement de notre frontière avec les États-Unis résulte directement d'actions commencées en Afghanistan. Cela me semble indiquer assez clairement que nos intérêts nationaux peuvent être touchés par ce qui se passe à l'étranger.
Certes, je sais que certaines personnes voient tout cela du point de vue du pétrole, mais nous sommes justement l'un des pays qui n'ont pas à s'inquiéter de cela parce que nous avons suffisamment de ressources ici pour subvenir à nos besoins dans un avenir prévisible. Ça ne plaît peut-être pas à tous les écolos, mais nous avons des ressources énergétiques, ce qui n'est pas le cas d'autres pays.
Fondamentalement, notre intérêt national est relié à la paix, la sécurité, la liberté et la démocratie. Voilà les choses que nous souhaitons voir se répandre le plus largement possible dans le monde. Si cela exige à l'occasion l'envoi de nos soldats dans d'autres parties du monde, eh bien, c'est le prix à payer quand on vit dans un environnement mondialisé.
L'intérêt national est celui que je viens d'exposer. Ce sont des choses fondamentales et essentielles dont chaque pays doit tenir compte. Il y va de la sécurité de la population et du territoire. Or, al-Qaïda a menacé notre sécurité et notre territoire. Il y va de la prospérité des Canadiens. Le renforcement de la frontière est un résultat direct de ça. Cela a eu une incidence profonde sur nous.