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ETHI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique


NUMÉRO 119 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 4 octobre 2018

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

     Bienvenue à tous au Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique. Il s’agit de la réunion numéro 119. Conformément au sous-alinéa 108(3)h)(vii) du Règlement, nous faisons une étude sur l’atteinte à la sécurité des renseignements personnels concernant Cambridge Analytica et Facebook.
    Les témoins sont Maurice Stucke, à titre personnel, et Bianca Wylie, de Tech Reset Canada.
    Nous commencerons par Mme Wylie, pour 10 minutes.
     Merci beaucoup de m’accueillir aujourd’hui.
    Je suis ici au nom de Tech Reset Canada. Nous sommes un organisme de défense des intérêts qui s’intéresse à l’économie de l’innovation, au bien public et aux répercussions de l’économie de l’innovation sur notre société. Je suis très heureuse de pouvoir vous parler aujourd’hui parce que cela signifie que l'on parle davantage des questions liées à la technologie.
    J’utilise souvent l'exemple de Facebook et de Cambridge Analytica dans mes interventions publiques et mes activités de sensibilisation communautaires pour mettre en lumière une vérité fondamentale en ce moment — l'emploi de la technologie a beaucoup de conséquences imprévues. À la lumière de cette réalité qui est la nôtre, je vous ferai simplement part de quelques observations concernant notre travail, ce que nous y avons trouvé et comment cela se rattache à cette question particulière et, de façon plus générale, à la gouvernance des données, à la technologie et à la société.
    Cela dit, j’ai passé quelques années à mener des consultations publiques. Je vis actuellement à Toronto et l’un des projets qui me tient à coeur est Sidewalk Toronto. Est-ce que tout le monde dans la salle connaît ce projet? C’est une filiale d'Alphabet, une société soeur de Google. Elle investit jusqu’à 50 millions de dollars pour créer un plan pour une ville intelligente sur le littoral de Toronto. Ce n’est qu’un plan. Il n’y a pas de transfert immobilier. Il a environ un an maintenant. Ce que cela nous a donné à Toronto, et à d’autres, je crois, c’est une image très nette du niveau d’éducation avec lequel le public canadien aborde ce débat sur la technologie et la société.
    Ce que j’aimerais dire à propos de tout cela, c’est que beaucoup d’entre nous n’ont aucune idée de ce qui se passe, ne savent pas en quoi consistent les données, où elles vont, qui les détient ou quel usage on peut en faire. On ne maîtrise pas bien toutes ces questions, qui sont fondamentales et essentielles à la prise de décisions à leur sujet.
     Cela fait presque un an que je vois une entreprise consulter le public tout en sachant que personne ne comprend vraiment ce dont on parle. En tant que personne qui a mené des consultations publiques et qui a à coeur la profession et la pratique — et je pense que c’est essentiel à la démocratie —, je suis extrêmement perturbée par l’évolution de ce projet et aussi par l’idée qu'il nous faudrait adopter rapidement une décision ou une politique. Si on le fait maintenant, je peux vous dire avec certitude que cela se fera sans tenir compte des gens qui vivent dans ce pays et de ce qu’ils veulent faire concernant les questions liées à Cambridge Analytica et aux entreprises de technologie en général et à leurs rapports avec les gens. Je tiens simplement à préciser qu’il s’agit d’une chose importante, qui commence à un niveau élevé.
    Il y a un autre thème qui me semble très important, qu’il s’agisse de Facebook, de Google ou de toute autre grande entreprise, c’est que l'on commence à estomper la frontière entre le marché et l’État dans ce pays. On commence à perdre de vue qui est responsable de quoi et les enjeux liés à l'utilisation des données par des intervenants non gouvernementaux.
    Au Canada, nous fonctionnons sur la base d’un contrat social. Les gens nous donnent des données — quand je dis « nous », c'est le gouvernement — et ils comprennent ce que le gouvernement fait de leurs données en général. On introduit maintenant des acteurs corporatifs dans des situations sociales, que ce soit en utilisant Facebook pour communiquer et s’organiser dans une communauté et faire beaucoup de choses, ou peut-être exister dans une ville. J’ose espérer que pour les gens dans cette salle cette confusion des genres devient de plus en plus évidente. Je pense que c’est quelque chose de très préoccupant, et il nous faut bien préciser et comprendre qui est responsable de tout ce...
    La technologie suscite aujourd'hui un tel engouement que chacun tend à oublier qu'il a un rôle précis, que l'on a des règles et des lois, et que ce sont ces choses qui nous aident à déterminer la physionomie de notre société. Je ne pense pas qu’on ait délibérément suscité l'engouement pour l’économie de l’innovation dans l'idée de lui confier ensuite la gouvernance des impacts sociaux. Je ne pense vraiment pas que cela ait été fait exprès, mais c'est pourtant bien ce qui est en train de se produire maintenant et il nous faut y être très attentifs, je pense.
    Dans un article rédigé en 1998, un universitaire du nom de Lawrence Lessig disait que « le code, c' est la loi ». Le code logiciel est parfois déterminant... Il n'est pas la « loi », mais il détermine les normes sociales et notre façon d'interagir. Je pense simplement que l'on ne comprenait peut-être pas ces choses au début. Je m'interdis de penser — et je ne veux pas que personne ici ne pense — que les technologues comprennent les répercussions de tout cela.
    Cela dit, j’ai quelques autres observations à faire.
    L’une d’entre elles est que la démocratie évolue lentement. Voilà qui est bien. Le domaine est ardu. J'exhorte tous ceux ici présents à réfléchir à tout ce qu'il nous faut faire en matière d’éducation avant même que la collectivité puisse prendre des décisions éclairées.
     Je sais que l’enthousiasme est grand et tout le monde dit que la technologie évolue à une allure incroyable. La technologie est notre créature. Elle ne tombe pas du ciel. Elle est le produit de l'activité humaine sans laquelle elle n'existerait pas. Il ne faut pas l'oublier.
    Pas plus qu'il ne faut oublier l’influence que l'achat ou l'utilisation de produits exercent sur nous. Nos politiques d'achat ont des répercussions sur toute la population.
    À mon avis, ce qui se passe à Toronto est problématique parce qu'on ne doit pas élaborer ses politiques avec le vendeur. Et dans le fond, c’est ce qu'on fait. On permet au futur fournisseur d’influencer la façon dont la politique s’appliquera au travail de ce fournisseur. Déjà, que l'on ait pu penser que c’était une bonne idée, ça me dépasse. Je ne pense pas qu'il faille continuer ça bien longtemps. Dans ces cas-là, il nous faut vraiment être conscients des liens qui existent entre ces deux questions.
    Autre aspect du même problème, on a pensé la technologie en tant qu’industrie. Je constate que, dans notre pays, on parle beaucoup de la volonté de réussir, d'innover, de faire les choses qui font de nous des chefs de file en technologie et du fait qu'il y a beaucoup de possibilités de prospérer et de créer de la richesse. C’est vrai. Mais il y a aussi un débat beaucoup plus large sur ce que signifie être en pointe en matière de gouvernance de la technologie et de gouvernance des données et le Canada a actuellement l’occasion de jouer un rôle de chef de file.
    Vous avez probablement entendu beaucoup de bonnes choses au sujet du règlement général sur la protection des données en Europe. Il n’est pas parfait, mais c’est un pas dans la bonne direction, vers des objectifs auxquels on devrait réfléchir. Je suis convaincu que si l'on s'y applique avec sérieux, si l'on examine les répercussions et si l'on mobilise mieux les gens, on peut être des chefs de file.
    C’est une occasion à saisir. Il y a beaucoup de peur et d’anxiété à propos de ce qu’il faut faire. Si l'on agit sans précipitation et de manière très réfléchie, je vois ici une excellente occasion pour le pays de faire preuve de leadership mondial dans le domaine de la gouvernance des données et de la technologie. Je ne veux pas qu'on la manque sous l'emprise du besoin de réagir à la peur, à l’anxiété ou à des problèmes assez compliqués. Je ne veux vraiment pas passer à côté de cela.
    Je veux aussi parler des possibilités en tant que technologue. Je pense qu’il nous faut y réfléchir davantage. Comment mettre en place des structures sociales et publiques qui utilisent toutes les merveilles que la technologie peut produire, davantage pour le bien public et davantage au sein du gouvernement? On doit revoir notre système d’enseignement et se demander pourquoi on ne développe pas la technologie que l'on utilise.
    Si vous allez dans nos collectivités, où les gens parlent de droits numériques et de justice numérique, ils se demandent pourquoi on ne crée pas des outils que l'on pourrait utiliser pour l’organisation communautaire ou pour le bien de la société — comme font les gens qui utilisent Facebook, entre autres, de bien des façons. Pourquoi ne réussit-on pas mieux à mettre au point des systèmes, à acquérir des compétences qui permettent de réaliser ces produits, de trouver des modèles différents et ne réfléchit-on pas davantage à la façon dont on peut en tirer parti au sein du gouvernement?
    Je tiens vraiment à le souligner. L’idée que le gouvernement ne peut pas suivre le rythme de la technologie ou qu’il y a un problème parce que les gens au gouvernement ne... Ce n’est pas ce que je crois. Je vous dis ce que j’entends souvent. On doit vraiment mettre un terme à cela et commencer à montrer que si l’on veut vraiment utiliser la technologie partout dans notre société, on peut être volontariste et faire des investissements pour y arriver. Il y a là beaucoup de possibilités pour le pays.
    Encore une fois, quand on réagit à la peur, on réagit vite, et bien souvent la réponse n'est pas la bonne. Je pense que c’est un très bon cas à suivre, tout comme celui de Sidewalk Toronto. Ici, les enjeux sont considérables. Il n’y a rien de mal. Tout le monde pensera que l'on fait des choses merveilleuses pour la technologie si on prend le temps de réfléchir à la bonne solution, c'est mon avis de technologue.
    L’industrie est aussi concernée. Cela n’aide pas l’industrie de ne pas lui fixer des garde-fous clairs, de ne pas réglementer strictement ses activités et de ne pas l'encourager à refléter les valeurs que nous, les technologues, pensons qu’il conviendrait de retenir en matière de partage des valeurs, d’ouverture et de prise en compte de choses qui peuvent appartenir au domaine public.
    On peut utiliser la technologie de bien des façons. Tout comme les mathématiques. On ne doit pas penser la technologie en terme d’affaires seulement. L'aspect social doit primer. Il y a des tas de choses vraiment passionnantes à faire dans ce domaine.
    J’essaie de terminer sur une note d’espoir parce que je crois vraiment qu’il y a de grandes possibilités. Je veux m’assurer que les processus suivis permettent une large participation à l’élaboration de la phase suivante et qu'on ne précipite pas les choses. Ce n’est pas nécessaire. Il est très urgent de ne pas agir rapidement. On doit décider très rapidement que l'on n'ira pas vite et que l'on réfléchira au processus à suivre à partir de maintenant.
    Merci.
(1110)
    Vous avez terminé en 10 secondes, alors c’est très bien.
    C’est maintenant au tour de M. Stucke, pour 10 minutes, s’il vous plaît.
    J’ai récemment corédigé deux ouvrages sur l’économie axée sur les données. Le premier, avec Allen P. Grunes, s'intitule Big Data and Competition Policy, et le deuxième, avec Ariel Ezrachi, Virtual Competition. Dans les deux livres, on se penche sur les avantages d’une économie axée sur les données. On examine également les risques qui en découlent, notamment la collusion algorithmique, les fusions suscitées par les données et la discrimination comportementale. Je ne parlerai pas de cela.
    J’aimerais vous parler aujourd'hui des risques d'une éventuelle monopolisation de nos données par quelques firmes puissantes. Je diviserai ma présentation en quatre parties. Premièrement, qu’est-ce qu’un trust de données? Deuxièmement, comment les responsables de la concurrence de l’Union européenne et des États-Unis les ont-ils perçus? Troisièmement, du point de vue de la lutte contre les trusts, est-ce que ces trusts de données présentent un risque de préjudice pour les consommateurs? Enfin, je présenterai quelques réflexions finales.
    Premièrement, qu’est-ce qu’un trust ou un monopole de données?
    Les monopoles de données contrôlent une plateforme clé à travers laquelle un volume important et une variété de données personnelles circulent. La vitesse d’acquisition et d’exploitation de ces données personnelles peut aider ces entreprises à obtenir un pouvoir important sur le marché. En Europe, ils sont connus sous le nom de GAFA: Google, Apple, Facebook et Amazon. Au fur et à mesure que la taille et le pouvoir de ces entreprises se sont accrus, elles sont entrées dans le collimateur des autorités antitrust, en particulier en Europe.
    Aux États-Unis, c’est relativement plus calme. Je vous donnerai quelques statistiques. Depuis 2000, le ministère de la Justice des États-Unis n’a engagé de poursuites pour monopole qu'une seule fois, en tout et pour tout. En revanche, entre 1970 et 1972, il en avait intenté 39 au civil et trois au pénal contre des monopoles et des oligopoles.
    La question suivante se pose. Y a-t-il une différence dans la perception du préjudice de part et d'autre de l’Atlantique entre les États-Unis et l’Union européenne en ce qui concerne ces trusts de données? Aux États-Unis, les plaignants doivent alléguer un préjudice réel ou potentiel à la concurrence. Habituellement, quand on pense au préjudice, on pense à un câblodistributeur: prix plus élevés, production réduite, qualité inférieure. À première vue, le risque que les monopoles de données causent ces préjudices traditionnels semble faible, sinon inexistant. De toute évidence, les services de Google et de Facebook sont gratuits. On salue Amazon pour ses bas prix. En raison de ces effets de réseau, la qualité des produits peut s’améliorer.
    Si les prix sont bas ou nuls et que la qualité est meilleure, quel est le problème? Certains, comme le regretté Robert Bork, spécialiste des lois antitrust, ont fait valoir qu’il n’y avait « aucun argument cohérent en faveur du monopole ».
    L’un des facteurs de cette divergence peut être le préjudice perçu. S’il y a un consensus sur les préjudices potentiels, alors le débat peut passer aux meilleures mesures stratégiques pour les contrer. J’ai recensé au moins huit méfaits potentiels de ces trusts de données.
    Le premier est la dégradation de la qualité. Les entreprises peuvent rivaliser sur de multiples plans, y compris le prix et la qualité, ainsi que la protection de la vie privée, de sorte qu’un trust de données peut abaisser la protection de la vie privée au-dessous du niveau de la concurrence et recueillir des données personnelles au-dessus de ce niveau. La collecte par le trust d’une trop grande quantité de données personnelles peut équivaloir à un prix excessif. Les monopoles de données peuvent également ne pas divulguer quelles données ils recueillent et l'emploi qu'ils en font, et la concurrence ne les pousse guère à changer leurs politiques opaques en matière de protection de la vie privée. Même si les données étaient mieux divulguées, que se passerait-il? En l’absence d’une option concurrentielle viable, le régime d’avis et de consentement est vide de sens lorsque le pouvoir de négociation est si inégal.
    Une deuxième préoccupation concerne la surveillance. Dans un marché monopolisé, les données sont concentrées dans quelques entreprises et les consommateurs ont peu d’options extérieures qui offrent une meilleure protection de la vie privée. Cela a plusieurs implications. Le premier est la capture par le gouvernement. Moins il y a d’entreprises qui contrôlent les données personnelles, plus grand est le risque qu’un gouvernement puisse saisir les entreprises, en utilisant ses nombreux leviers.
    Un risque est la surveillance secrète. Même si le gouvernement ne peut pas obtenir les données directement, il peut essayer de les obtenir indirectement. La tentation pour le gouvernement de contourner les mesures de protection de la vie privée pour accéder aux données personnelles est à la mesure du trésor de données dont dispose le trust. C’est ce qui est arrivé avec Cambridge Analytica. Il y a plusieurs conséquences à une atteinte à la sécurité ou à la violation des politiques relatives aux données des trusts de données. Un trust ou monopole de données est plus enclin à protéger ses données, mais les pirates informatiques sont aussi plus enclins à accéder à ces données, en raison de leur étendue. Les consommateurs peuvent être outrés, mais une entreprise dominante a moins de raisons de craindre que les consommateurs se tournent vers des concurrents.
(1115)
    Une troisième préoccupation concerne le transfert de richesse des consommateurs aux monopoles de données. On a généralement dans l'idée qu'un monopole vous prend de l’argent dans la poche. Même si le produit est gratuit, les trusts de données peuvent extraire une richesse considérable à plusieurs niveaux. D'abord en ne payant pas les données à leur juste valeur. Ensuite parce que les monopoles de données peuvent obtenir gratuitement du contenu créatif des utilisateurs, par exemple, à partir de vidéos sur YouTube ou de contributions sur Facebook. Troisièmement, parce qu'ils peuvent extraire de la richesse des fournisseurs en amont. Ils le font notamment en prélevant du contenu des photographes, des auteurs, des musiciens et des journaux et en les affichant sur leur propre site Web. Enfin, les monopoles de données peuvent se livrer à ce qu’on appelle la « discrimination comportementale ». Essentiellement, il s'agit de nous induire à acheter ce qu'autrement on ne voudrait pas acheter, au prix le plus élevé que l'on est prêt à payer. C’est une forme plus pernicieuse de discrimination par les prix.
    Une quatrième préoccupation est la perte de confiance. On peut y voir une perte sèche liée au souci de protection de la vie privée. Certains consommateurs renonceront tout simplement à la technologie pour des raisons de protection de la vie privée.
    Une cinquième préoccupation est que le monopole de données peut imposer des coûts importants à des tiers. Ici, dans notre travail, on parle de la relation entre ennemis ou frères ennemis que les monopoles de données ont avec les concepteurs d’applications. Ils ont besoin de ces développeurs d’applications pour attirer les utilisateurs sur leur plateforme, mais une fois qu’ils ont commencé à leur faire concurrence, ils peuvent les traiter en ennemis. Ils peuvent adopter diverses pratiques anticoncurrentielles, notamment en dégradant la fonctionnalité de l’application. Ce qui est particulièrement important pour vous, c’est que les monopoles de données peuvent imposer des coûts aux entreprises qui cherchent à protéger notre vie privée. Un exemple, que l'on analyse dans notre livre Virtual Competition, est la façon dont Google a viré l’application de confidentialité Disconnect de son magasin d’applications Android.
    Une sixième préoccupation concerne la diminution de l’innovation dans les marchés dominés par les monopoles de données. On souligne ici comment ils peuvent promouvoir l’innovation, mais aussi l’entraver. Un outil qu’ils possèdent et que les monopoles précédents n’avaient pas est ce qu'on appelle le « radar de prévisions immédiates ». Ils peuvent percevoir les tendances bien avant, disons, l’organisme d’application de la loi antitrust du gouvernement — les menaces concurrentielles naissantes — et ils peuvent étouffer ces menaces en les acquérant ou en s’adonnant à des tactiques anticoncurrentielles.
    Une septième préoccupation concerne les préoccupations sociales et morales des trusts de données. L’une des préoccupations historiques de l’antitrust concernait l’autonomie individuelle. Ici, un monopole de données peut nuire à l’autonomie individuelle de ceux qui veulent compétitionner sur leur plateforme. Une autre préoccupation est liée au fait que les trusts de données créent intentionnellement une dépendance à leurs produits. Ici, il y a une interaction intéressante entre le monopole et la concurrence. Normalement, un monopoliste n’a pas à craindre que les consommateurs aillent ailleurs. Ici, cependant, il est profitable pour les trusts de données d'amener les utilisateurs à passer plus de temps sur leur plateforme. Ils peuvent ainsi obtenir plus de données, les cibler avec de la publicité et augmenter leurs profits.
    La huitième préoccupation concerne les visées politiques des monopoles de données. Le pouvoir économique se traduit souvent par un pouvoir politique et ici, les trusts de données ont des outils que les monopoles précédents n’avaient pas, c’est-à-dire la capacité d’influencer le débat public et notre perception du bien et du mal. Comme le montre l’étude sur la contagion émotionnelle de Facebook, les monopoles de données peuvent avoir une incidence sur notre façon de penser et nos émotions, en particulier au moment où nous passons à l’assistance personnelle numérique et à une interaction beaucoup plus grande avec leurs produits. Vous avez plusieurs risques. L’un d’entre eux est la partialité. Les nouvelles que l'on reçoit seront davantage filtrées, créant des chambres d’écho et des bulles de filtres. Le deuxième risque est la censure. Le troisième, la manipulation.
    En conclusion, plusieurs thèmes parcourent mes documents.
(1120)
     Pour commencer, les monopoles de données peuvent causer plus de torts que les autres monopoles. Ils peuvent toucher non seulement nos portefeuilles. Ils peuvent avoir une incidence sur notre vie privée, notre autonomie, notre démocratie et notre bien-être.
    Deuxièmement, les marchés dominés par ces monopoles ne se corrigeront pas nécessairement d'eux-mêmes.
    Troisièmement, l’application de la loi antitrust peut jouer un rôle clé, mais dans ce cas-ci, la loi antitrust est une condition nécessaire, mais non suffisante pour stimuler la concurrence en matière de protection de la vie privée. Il faut vraiment assurer la coordination avec les responsables de la protection de la vie privée et des consommateurs.
    Merci.
    Merci.
    Le premier intervenant est M. Erskine-Smith, pour sept minutes.
    Monsieur Stucke, vous avez beaucoup parlé des préjudices potentiels. Facebook, Google, Amazon, Apple — tout cela existe depuis un certain temps, ou depuis ma naissance. Parlez-moi de torts réels.
    Commençons par la protection de la vie privée. On a l’impression que les consommateurs ne se soucient pas de leur vie privée, mais l'examen des données révèle que les consommateurs sont résignés en ce qui concerne la protection de leur vie privée. Ils veulent une plus grande protection de la vie privée — cela touche tous les groupes d’âge, pas nécessairement les seuls groupes plus âgés —, mais ils n’ont pas vraiment l’impression d’avoir de prise là-dessus.
    Pensez ensuite à Facebook et à Cambridge Analytica. Il y a eu tout ce mouvement de « Delete Facebook ». Néanmoins, lorsque Facebook a publié ses premiers résultats trimestriels après que le scandale a éclaté, cela n'a affecté ni le nombre d’utilisateurs ni les revenus. Dans un marché concurrentiel, on pourrait alors penser que les consommateurs obtiennent des produits et des services adaptés à leur vie privée, mais ce n’est pas le cas.
    Voyez aussi le cas de l’Union européenne et des achats sur Google. On voit là le pouvoir que la plateforme peut avoir dans la promotion d'un produit. Selon la Commission européenne, Google a reconnu que son produit était médiocre, mais il a usé de sa capacité à répartir le trafic de manière à promouvoir ses propres produits, c’est-à-dire en mettant son propre produit sur la première page des résultats de recherche et en reléguant les produits des concurrents sur la quatrième page ou plus, pour obtenir un impact significatif sur les concurrents.
    C’est un problème. On a examiné les rapports annuels des entreprises et l’un des risques qu’elles ont identifiés était leur dépendance à l’égard de ces super plateformes du fait que celles-ci, en entravant la fonctionnalité, par exemple, peuvent vraiment les affecter. On peut citer le cas de l’achat comparatif de Google.
    Je pourrais passer en revue les huit cas mentionnés dans mon ouvrage, publié par l’Université Georgetown, et fournir des données précises pour chacun d'eux.
(1125)
    Il ne me reste que quatre minutes, alors au lieu de cela, passons aux solutions.
    En février dernier, on a déposé à la Chambre un rapport recommandant des modifications à la LPRPDE. On a déposé un rapport provisoire en juin recommandant des changements supplémentaires pour une meilleure protection de la vie privée. Je ne sais pas si vous les avez lus.
    Où voyez-vous les réponses?
    Le fait est qu’il n’y a pas de réponse simple. À mon avis, on peut envisager des mesures ex post, après coup, comme l’application plus stricte des lois antitrust. Ce serait l'une des options.
    Qu'est-ce que cela signifie dans ce cas — que Facebook ne peut pas acquérir Instagram? De quoi parle-t-on ici?
    Ça pourrait vouloir dire ça. À l’heure actuelle, les responsables de la concurrence au Canada et aux États-Unis accordent beaucoup d’importance au facteur prix dans les fusions. Cette application plus stricte des lois antitrust permettrait une meilleure évaluation des effets non liés aux prix, y compris des fusions axées sur des données.
    Une solution serait une application plus éclairée des lois antitrust. C’est ex post. On aurait alors ex ante, des exigences semblables au RGPD qui pourraient aider à renforcer la protection de la vie privée. Pour les utilisateurs, le transfert des données s'en trouverait facilité. Une autre solution consisterait à donner plus de précision sur les détenteurs des données et sur les droits de propriété de chacun sur ses données personnelles.
    Je l’examinerais tant du point de vue ex post que du point de vue ex ante.
     Pour le temps qui reste, madame Wylie, vous avez exposé en termes généraux les grands problèmes. Si l'on devait examiner de plus près les solutions soumises au Comité... En février, on a recommandé la transférabilité des données. On a recommandé la protection de la vie privée par défaut. On a recommandé des normes un peu moins strictes que celles du RGPD dans certains cas parce qu'on n’a pas recommandé une version aussi robuste du droit à l’oubli et on a suggéré une étude plus approfondie, mais qui allaient certainement bien au-delà de ce que l'on a actuellement.
    Y a-t-il quelque chose qui nous échappe et, dans l’affirmative, quoi?
    La problématique dépasse celle de la protection de la vie privée. Il faut monter d’un cran et s’engager dans la propriété et le contrôle parce qu'on parle de questions de pouvoir. La protection de la vie privée reste sans aucun doute un problème.
    Je vais vous donner l’exemple du projet Sidewalk Toronto qui me préoccupe et qui pourrait indiquer une solution. Une piste... et je suis tout à fait d’accord. Je pense que l'on cherche un faisceau de solutions, pas une seule. Les urbanistes cherchent plus de données. Ils disent qu’ils ont besoin de meilleures données, de plus de données et qu’ils doivent les utiliser pour informer la prestation des services publics. On ne devrait pas perdre le contrôle des éléments qui entrent dans la création de notre politique, qu’il s’agisse des véhicules ou des moyens d’obtenir des données, de la propriété ou de l’accès aux données. Ce n’est qu’un petit exemple qui s’applique à chaque composante de chaque politique du pays. Honnêtement, on ne peut pas perdre l’accès aux données dont on a besoin pour élaborer des politiques et c’est ce qui nous pend au nez. Perdre le contrôle des données, c’est ma terreur.
(1130)
    J’ai lu des articles sur le café où l'on sert gratuitement le café aux étudiants. Pour les étudiants qui partagent leur information sur ce qu’ils étudient, je pense l’année où ils sont, le café est gratuit tant qu’ils sont à l’université. C’est un échange. Ils cèdent une information qui n’est pas particulièrement importante pour eux, mais une fois regroupées, ces informations sont très utiles pour l’entreprise. C’est une bourse. Comment y échapper?
    Pour dire les choses plus crûment, Google me donne un service gratuit et je lui donne des données et maintenant on veut dire que les données doivent être utilisées pour le bien public, mais je les ai cédées à Google et j’ai obtenu en échange une valeur.
    Il est encore tôt pour y penser, mais on parle de propriété, de contrôle des données. On doit commencer à réfléchir à l’utilisation. On a besoin de savoir avec précision ce que les gens font des données et de commencer à négocier à un niveau plus granulaire ce qu’on peut faire avec les données des gens, parce qu’à l’heure actuelle, on peut en faire ce qu'on veut. L’autre partie au contrat, celle qui boit le café gratis, n’a qu'une très vague idée de l'emploi que l'on fait de ses données une fois le café bu, or c'est vers ça qu'il faut orienter la réflexion, en expliquant plus clairement comment on les applique à des individus spécifiques et quelle est la nature véritable de l'échange. Il ne s’agit pas de tout ouvrir, au risque de perdre tout moyen de savoir comment les données sont utilisées.
    Mon temps de parole est écoulé. Mais j’espère avoir de nouveau la parole.
    Merci, Nate.
    C’est maintenant au tour de M. Kent, pour sept minutes.
     Merci, monsieur le président.
    Merci à vous deux pour vos exposés très utiles et très instructifs.
    Pour commencer, madame Wylie, en ce qui concerne votre préoccupation au sujet de Sidewalk Labs et du partenariat de revitalisation du littoral de Toronto, la vérificatrice générale de l’Ontario a lancé une étude sur l’optimisation des ressources pour déterminer exactement quels sont les détails dont elle n’a pas connaissance. Elle a des questions concernant certains des enjeux que vous avez soulevés, mais elle se demande surtout si en confiant l’aménagement d’une vaste partie du secteur le plus prisé du centre-ville de Toronto à la société soeur de Google pour 50 millions de dollars, on n’a pas fait une mauvaise affaire.
    J’aimerais commencer par l’un des aspects du nouvel accord commercial entre les États-Unis, le Mexique et le Canada annoncé cette semaine qui a peu retenu l'attention. On attend toujours des détails sur des points précis concernant les données numériques du gouvernement canadien. Il y a des problèmes de traduction à régler. Dans ce que le bureau du délégué commercial des États-Unis considère comme les points saillants du chapitre sur le commerce numérique, il y a un point qui me préoccupe beaucoup, à savoir:
Le nouveau chapitre sur le commerce numérique...
Limite la responsabilité civile des plateformes Internet pour le contenu tiers que ces plateformes hébergent ou traitent, en dehors du domaine d’application du régime de la propriété intellectuelle, améliorant ainsi la viabilité économique de ces moteurs de croissance qui dépendent de l’interaction utilisateur et du contenu utilisateur.
     Cela semble renforcer, comme vous le dites, professeur, sur la ruée des monopoles de données vers les opérations génératrices de flux de revenus, sans trop se soucier de la protection de la vie privée. De l'avis de certains commentateurs techniques ici au Canada, ce chapitre sur le commerce numérique rendra beaucoup plus difficile pour des gouvernements comme le nôtre d’établir de nouvelles normes plus ou moins proches du règlement de protection du RGPD, et permettrait essentiellement à Facebook de faire cavalier seul, à l'abri d'éventuelles enquêtes sur les pratiques douteuses ou illégales de Cambridge Analytica.
    Professeur, pourriez-vous répondre en premier?
(1135)
     Je ne connais pas cette disposition et je ne peux donc pas en parler directement. De façon plus générale, on conçoit que ces entreprises pourront d'autant plus facilement user d'incitatifs pour contourner la réglementation qu'elles n'ont pratiquement aucune sanction à craindre. Pour revenir à ce qu’a dit Bianca tout à l’heure, il a été question d’un échange équitable. Elle a tout à fait raison. Les utilisateurs peuvent obtenir gratuitement une tasse de café, mais ils ne savent pas nécessairement, premièrement, quelle est la valeur de leurs données; deuxièmement, qui d’autre peut y avoir accès; et troisièmement, comment on peut s'en servir pour établir leur profil. Cela pourrait avoir des répercussions importantes, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur la gouvernance, sur les entreprises en démarrage et ainsi de suite.
    Toute limitation de la responsabilité de ces monopoles de données devrait faire l’objet d’un examen minutieux afin de s’assurer que les incitations qu'ils offrent correspondent aux intérêts des citoyens.
    Cela s’appliquerait-il aussi à leur responsabilité à l'égard de ceux qui utilisent leurs plateformes? Autrement dit, cela s’appliquerait aux tierces parties, comme dans le cas de Cambridge Analytica, AggregateIQ, Facebook, et cette interaction où il semble y avoir des allégations de déni plausible entre tous les intervenants dans ce scandale parce que les données sont arrivées et reparties et elles ont été manipulées, traitées et appliquées.
    Exactement. Ici, vous avez des consommateurs dont les données étaient utilisées et qui ne pouvaient soupçonner l'existence de Cambridge Analytica, je crois. Je pense que c’est révélateur, parce que si des entreprises viennent vous voir et vous promettent une plus grande transparence et ainsi de suite, mais qu’elles n'obligent pas les autres qui ont accès à ces données à rendre des comptes, alors c’est un véritable problème.
     Madame Wylie, qu’en pensez-vous?
    Pour poursuivre sur la lancée de Maurice, le thème principal est l’asymétrie du pouvoir. Sachant que l'on est aux prises avec cette grande asymétrie du pouvoir, la technologie ne fait que renforcer la tendance. Sur les bases existantes, la technologie ne fera qu’accélérer tous ces impacts négatifs. Je suis du même avis. Je ne connais pas les détails, mais si ce projet de loi vise à maintenir le statu quo, ce n’est pas une bonne chose.
    Encore une fois, le délégué commercial des États-Unis considère qu’il s’agit d’une réussite sans précédent dans le domaine du commerce numérique et qu’elle permet la circulation transfrontalière des données, ce qui, dans certains cas, pourrait concerner les Canadiens et la protection de leur vie privée.
     J’aimerais vous poser une autre question sur un sujet important, professeur, mais je la garderai pour mon prochain tour quand j’aurai un peu plus de temps.
    Je vais céder la parole. Merci.
    Merci, monsieur Kent.
    C’est maintenant au tour de M. Angus, pour sept minutes.
    Merci. La discussion a été fascinante. Encore une fois, je dois avouer que je suis un ancien idéaliste du numérique. Je pensais que les gens de Google étaient les personnes les plus merveilleuses de la planète. Ils me traitaient comme un roi parce qu’ils étaient de jeunes loups et qu'on avait besoin d’une économie axée sur l’innovation. C’était en 2007. Depuis 2015, on a l’impression que notre monde s’est complètement désintégré, que rien ne reste de ce que l'on pensait savoir, politiquement, face à la puissance de ces géants de la technologie. Ce scandale de Cambridge Analytica nous a ouvert les yeux sur la nécessité de mettre davantage l’accent là-dessus.
    Je pense que l’idée de cette ville intelligente est un exemple fascinant, parce qu'on parle d’espaces publics et du droit des citoyens de circuler dans un espace public et aussi d’avoir une vie privée. Soudain, c’est vraiment une idée géniale de confier, sans examen, cela à une entreprise privée détentrice d'un pouvoir international énorme et sans précédent.
    Eric Schmidt, de Google, a dit que l’entente du gouvernement le mettait aux anges, parce qu’elle exauçait finalement leur voeu que quelqu’un leur donne une ville et les mette aux commandes. Ensuite, il a dit que la réalisation, le projet, pourrait nécessiter d’importantes exemptions au regard des lois et des règlements existants.
    Madame Wylie, premièrement, est-ce que Google a gagné cette confiance? Deuxièmement, pourquoi devrions-nous l'exempter de l’application des lois et des règlements existants?
(1140)
    Absolument pas, et on ne devrait pas l'exempter.
    C’est aussi simple que cela.
    Oui.
    D’accord.
    L’une des questions en suspens concernant cet accord est la propriété de la PI et des données. Encore une fois, on a dit au Canada que l'on voulait être une économie innovatrice et que les données sont le nouveau pétrole, mais cet accord ne comporte aucune garantie quant à la propriété des données. Est-ce quelque chose qu’il faut examiner avant d’entrer dans les détails de cette entente avec Google?
    Oui, bien sûr.
    J’ajouterais que ce ne sont pas des données que je détiens ici. Je comprends que l'on aime parler de données parce que cela nous aide à comprendre ce dont on parle, mais on doit bien se rendre compte du chemin parcouru par ces entreprises dans l'emploi des technologies qu’elles mettent au point. Quand on commence à entendre des entreprises dire qu’elles aussi vont ouvrir toutes les données, alors il ne faut pas s'en faire, on commence à penser que ce n’est pas seulement les données. C’est peut-être l’usage qu'on en fait. Peut-être que les données sont mélangées à d’autres choses.
    C’est pourquoi il faut vraiment commencer à y réfléchir. Ces données sont un élément essentiel de nos connaissances sur nous-mêmes et de l'élaboration de nos politiques. On ne peut pas perdre l’accès aux données. Je sais que cela devient dystopique, mais si l'on cesse de comprendre si ce que quelqu’un vous dit est un modèle ou un fait, c’est très dangereux, et c’est ce à quoi cette idée de mélange peut mener. On doit garder le contrôle des données, des produits, de la PI et de tout ce que l'on va utiliser.
    Je terminerai en expliquant en quoi cela relève de la thématique de la ville intelligente. Il s’agit de la gouvernance d’un quartier. Qui fait partie d’une ville. On ne fait pas de gouvernance d’entreprise au Canada par accident ou parce qu'on voulait innover.
     Professeur, j’aimerais vous amener à prendre part au débat sur ce que l'on planifie au centre-ville de Toronto.
    Mes grands-pères étaient mineurs et ils n’avaient pas beaucoup d’instruction, mais ils s'étaient juré de ne jamais vivre dans une maison d’entreprise. De ne jamais faire leurs emplettes dans la boutique de l'entreprise. Les communautés minières se sont battues farouchement pour être indépendantes de l’entreprise et pourtant on nous dit que ce sera extraordinaire de construire une ville gérée par l’entreprise et qu'on aura tout à y gagner.
     Parmi les choses qu'offre Google ou Alphabet, il y aura des moyens de transport novateurs comme Uber, Lyft et les voitures autonomes, ainsi que des détecteurs intelligents activés par le nuage. Alphabet s’intéresse déjà aux voitures autonomes par l’entremise de sa filiale Waymo. Alphabet a déjà des intérêts financiers dans Uber et Lyft grâce à deux fonds de capital de risque. Elle a des capteurs de construction comme Nest. Elle a sa propre plateforme en nuage.
    N'est-on pas, en fait, en train de dire à Google, à Alphabet: « Venez. Préparez tous vos produits qui vous rapporteront gros, quant à nos citoyens, ils les aimeront ou ils feront avec. Si c'est là qu'ils vont vivre, est-ce qu'ils vont vivre dans la ville de l'entreprise Google »? Qu’est-ce que cela signifie du point de vue social et économique et faut-il introduire une vigoureuse disposition antitrust quand on a affaire à ce genre de projets?
    Google, entre autres, soutient notamment que les données ne sont pas préjudiciables à autrui. En fait, ce qualificatif désigne le fait que d’autres personnes peuvent utiliser des données sans que cela dévalue vraiment les données elles-mêmes. Google soutient que c’est la raison pour laquelle il n’a pas de pouvoir de marché.
    Je pense que ce n’est plus sa position, mais il est vrai que plusieurs entités peuvent utiliser des données et en tirer une valeur. Dès lors, l’une des préoccupations, c’est que si une entité stocke ces données, elles ne sont pas partagées avec d’autres qui peuvent en tirer des avantages. C’est une préoccupation.
    L’autre préoccupation est la suivante. Revenons à cette sorte de dynamique des ennamis. Lors de l'écriture de notre livre, intitulé Virtual Competition, je me souviens que les préoccupations d’Uber concernaient les commissions de taxi locales. Il se demandait comment il pouvait s'implanter dans les diverses villes, mais nous lui avons fait remarquer que l’une des questions primordiales était que, pour survivre, il devait utiliser une plateforme de téléphone intelligent. Il y en a deux: Apple et Android. Ce dont Uber a besoin pour exister, son approvisionnement en oxygène, est essentiellement contrôlé sur cette plateforme. Vous pouvez alors voir que si la plateforme commence à intégrer, disons, la technologie de la cartographie et aussi la technologie liée au véhicule autonome, il peut y avoir conflit. Dans ce genre de conflit, la puissante plateforme fera valoir son intérêt et pas nécessairement les intérêts de ceux avec qui elle est en concurrence sur la plateforme.
    Cela pourrait être une autre préoccupation. Si vous avez cette plateforme et toutes ces données, cette plateforme peut promouvoir une innovation, mais une innovation qui, par exemple, complète sa gamme actuelle de produits et autres. Quelles sont alors les... [Difficultés techniques]... entreprises qui font concurrence à la plateforme? Comment vont-elles pouvoir survivre? On se demande alors comment la plateforme peut l’adapter de façon à promouvoir ses intérêts et à nuire aux intérêts, disons, des technologies qui pourraient menacer son modèle d’affaires.
    Lorsque j’ai parlé de Disconnect plus tôt, il y avait une application de protection de la vie privée qui allait nous aider à réduire le suivi. Google l’a expulsé de sa boutique d’applications. Lorsque nous avons présenté notre étude, une personne dans l’auditoire a eu un très bon commentaire qui revenait à dire qu'en voulant favoriser la protection de la vie privée, l'emploi de Disconnect équivaut à inviter un incendiaire chez soi. C’est la perception, soit que tout ce qui peut menacer ce monopole de données peut être écarté. Cela pourrait avoir un effet dissuasif important sur l’innovation, et c’est donc un risque dont il faut tenir compte.
(1145)
    Merci, monsieur Angus.
    La parole est maintenant à Mme Vandenbeld, pour sept minutes.
    Merci beaucoup à vous deux d’être venus.
    Ma première question s’adresse à Mme Wylie.
    Vous avez dit dans votre exposé que nous ne devrions pas nous presser, que nous devons examiner la question, que nous ne pouvons pas nous contenter de réagir. Bon, une grande partie de ce que nous avons entendu nous laisse croire que les choses bougent très rapidement. En tant que gouvernement, nous accusons déjà beaucoup de retard dans notre réponse. Pouvez-vous nous dire, tout d’abord, ce que vous entendez par ne pas se presser? De plus, est-ce que le fait de ne pas agir rapidement présente un danger?
    Je m'inspire du fait que j’ai le projet Sidewalk Toronto dans mon quartier. Pouvez-vous imaginer qu’après un an de ce genre de préoccupations de clarté — personne ne comprend en quoi consiste ce projet —, il continuerait?
     Ce qui serait sensé, ce serait d'y mettre fin et de lancer un nouvel appel d'offres. Rien ne presse. Il faut voir ces endroits où on dit qu'il est clair que c'est très compliqué, que ça progresse rapidement sans qu'on obtienne l’information nécessaire pour prendre des décisions à ce sujet en tant que citoyens. C’est un exemple des commentaires entendus.
    À d’autres endroits, je pense que c’est assez clair. Peut-être y voir une hémorragie grave, mais laisser beaucoup de place à ce qu’il faut faire d’autre.
    Merci beaucoup, je sais qu’il y a le RGPD, par exemple, et je sais qu’il y a un sentiment d’urgence pour que le Canada fasse quelque chose de semblable.
    Si je vous comprends bien, c’est sur les choses que nous savons déjà et là où il y a des précédents et peut-être des exemples à l’échelle internationale que nous devrions agir rapidement. Mais pour ce qui est des domaines où même les technologues ne comprennent pas, comme vous l’avez dit, je crois, c'est là où nous devons vraiment prendre notre temps et comprendre avant de légiférer.
    Tout à fait, et dire que vous avez ces choses... Disons que vous avez le RGPD. Il y a peut-être six mois, tout le monde ne me disait que de bonnes choses au sujet du RGPD. Au cours des six derniers mois, j’ai discuté des aspects qui pourraient poser des défis et de ceux que nous pourrions améliorer.
     Il faut déterminer ce qui fonctionne bien, puis voir où nous pourrions faire mieux.
    Pouvez-vous développer?
    Certainement. Pour ce qui est d’être clair, je pense que l’une des conséquences de cette nécessité d’agir, c’est que tout le monde laisse tout trop ambigu. Quand on laisse les choses ambiguës, ce n’est pas bon pour... Si je suis une entreprise et qu’il n’est pas clair pour moi ce qui est légal ou quelle direction prendre, j'accrois au fond l'inquiétude chez autrui qui craint alors que je ne sais pas comment interpréter quelque chose.
    Cela vous permettra peut-être de légiférer rapidement, mais vous vous délesterez alors du poids de votre indécision et conférerez la charge aux gens qui vont en ressentir les répercussions. On parle de tout le monde. Il faut penser à tous ceux qui devront composer avec cela. Je pense que c’est un aspect important: être clair.
    De plus, c’est la même chose que dans ma réponse initiale au sujet des contrats personnels avec les entreprises. Encore une fois, nous avons besoin de plus de clarté. Nous devons apporter ce genre d’améliorations là où les gens le ressentent, là où ils ont confiance que la situation s’améliore. Nous devons aussi examiner ces choses en même temps.
     Je pense que ce sont deux possibilités très claires.
(1150)
    Selon vous, quelles sont les choses que nous constatons maintenant avec l'entrée en vigueur du RGPD et qui, comme vous l’avez dit, devraient inciter à la prudence?
    C’est simplement le manque de clarté.
    D’accord. L’ambiguïté dont vous parlez est liée à cela.
    Oui.
    J’aimerais poser la même question à notre autre témoin.
     Que pensez-vous du RGPD et de l’urgence d’agir?
     Une chose importante, c’est que la protection de la vie privée n’est qu’un élément. Il y a aussi le pouvoir du marché. Même si vous avez le RGPD, vous n’allez pas nécessairement écarter tous les risques liés à ces monopoles de données. Voilà pour le premier point.
    Deuxièmement, pour revenir à ce que disait Bianca, il y a un doute, par exemple, quant à la nécessité d’obtenir des données pour que le fournisseur accepte de nous offrir le service. Il serait utile de clarifier cela.
    Troisièmement, le RGPD contient certaines mesures qui semblent prometteuses, telle la transférabilité des données, et qui peuvent répondre à certaines préoccupations liées à la concurrence, mais il faut tenir compte du fait que la transférabilité des données n’est pas nécessairement utile lorsque la vitesse de propagation des données est en jeu. Voici un bon exemple: les applications de cartographie. Vous pouvez transporter vos données pour Google Maps, par exemple, mais cela ne sera pas utile pour une application de navigation qui doit savoir où vous êtes en ce moment même. Le fait de pouvoir reporter des données d’il y a six mois ne va pas permettre à cette nouvelle application de navigation de concurrencer Waze, qui appartient à Google, et Google Maps.
    Merci.
    Pour ce qui est de la compétence, ma question s’adresse à vous, monsieur Stucke. Un grand nombre de ces grandes entreprises — ce que vous appelez des monopoles de données — ont leur siège social aux États-Unis. Pour ce qui est de notre aptitude à légiférer, dans quelle mesure le Canada peut-il légiférer de son propre chef face à ces plateformes dont la propriété n'est pas nécessairement canadienne?
     Je crois que le Canada pourrait intenter des poursuites contre un cartel américain causant des préjudices aux citoyens canadiens. Selon cette logique, s’il y a des préjudices anticoncurrentiels subis par les citoyens de votre pays, vous pourriez vous adresser aux tribunaux, tout comme les États-Unis, je crois, l’ont fait avec les cartels de l’uranium et les ont poursuivis.
    Il y a des questions de courtoisie et des choses de ce genre dont il faut tenir compte, mais, non, regardez les Australiens et leur commission de la concurrence et de la consommation: ils examinent ces plateformes numériques et l’impact qu’elles ont sur les nouvelles. Ils vont publier une étude très importante. Du côté des Allemands, le Bundeskartellamt se penche sur Facebook. La Commission européenne s’intéresse à Amazon et à la façon dont cette entreprise utilise les données pour se mettre de l'avant.
    Nous vivons dans une économie mondiale, et si des entreprises d’un pays font du tort à des citoyens d’un autre pays, alors tout comme les États-Unis peuvent poursuivre ces cartels, un autre pays peut aussi intenter des poursuites pour comportement anticoncurrentiel dans notre pays.
    Merci.
    Ma prochaine question s’adresse à Mme Wylie.
    Nous évaluons les risques. Vous avez mentionné dans votre observation qu’il y a aussi beaucoup de débouchés. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet?
    Certainement.
    Ce sera lié et utilisé pour aller de l’avant.
    Une chose qu’il ne faut pas oublier dans le contexte canadien, c'est que le fait que nous ayons la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques nous aide à distinguer l’utilisation des données au sein du gouvernement et leur utilisation dans la vie privée. Je ne veux pas que nous commencions à perdre de vue cette différence. Un consommateur, c’est une chose; un résidant, c’en est une autre. Nous devons maintenir cette distinction, peut-être, lorsque nous imaginons le futur.
    C’est là où je vais dire que l’occasion se présente également. Il y a des débouchés. Encore une fois, je reviens toujours au contexte des villes intelligentes. Nous ne pouvons pas perdre le contrôle de ce qui constitue l'intrant d'une politique. Dire dans le contrat d’approvisionnement que dans le cas des données liées à ces choses, la propriété devra revenir à une ville ou au pays... S’il s’agit d’intrants, ce sont des choses dont vous pouvez confier la mise à jour à un fournisseur de services plutôt que d’essayer de gérer tout cela dans le cadre de la protection de la vie privée. Je ne saurais vous dire à quel point je suis d’accord. Il y a tellement de choses qui débordent du cadre de la protection de la vie privée.
    Pour ce qui est du contrôle des intrants et d'une meilleure utilisation ultérieure des données au sein de notre gouvernement, il y a beaucoup de possibilités, de vastes possibilités, et cela signifie que nous devons veiller à ce qu’elles ne soient pas privatisées.
(1155)
    Merci.
    Il s’agit essentiellement de notre étude sur la gouvernance numérique.
    Oui.
    Madame Vandenbeld, votre temps est écoulé.
    La parole est maintenant à M. Gourde, pour cinq minutes.

[Français]

     Merci, monsieur le président.
    Je remercie les témoins d'être présents ce matin.
    Dans le nouveau contexte numérique que nous connaissons depuis deux ou trois ans, il semble y avoir des zones grises. Je pense que la population a l'impression de ne voir que la pointe de l'iceberg.
     Madame Wylie, vous avez parlé de l'importance de comprendre ce qui se passe. Malheureusement, je ne suis pas sûr que la population soit consciente de tout se qui se passe. Qu'en pensez-vous?

[Traduction]

    Je suis tout à fait d’accord avec vous.

[Français]

    D'accord.
    Monsieur Stucke, qu'en pensez-vous?

[Traduction]

     Il est vrai que nous ne savons pas grand-chose.
    En fait, je vais vous en parler. Facebook a réalisé une étude qui a porté sur la contagion émotionnelle. Il a modifié son algorithme de manière à donner des nouvelles positives à certains utilisateurs et des nouvelles négatives à d’autres. Il voulait voir quel impact cela aurait sur le comportement des individus. Ceux qui ont reçu des nouvelles positives ont eu une attitude plus positive dans leurs messages, et ceux qui ont reçu des nouvelles négatives ont eu des réactions plus négatives.
    C’est seulement parce que cette étude a été publiée qu’elle a suscité un tel tollé. Vous vous rendez compte alors du pouvoir dont jouissent ces entreprises pour influer sur le discours public.
    Ce manque de transparence ne fera qu’accroître à mesure que nous passerons du monde de la téléphonie au monde de l’assistant numérique, où peut-être un ou deux de ces monopoles de données pourraient très bien tout contrôler, en comptant Google avec Home, et Amazon avec Alexa.
    Vous allez avoir, par ordre de grandeur, une plus grande quantité de données et une plus grande interaction avec l’assistant numérique à la maison, dans la voiture, au téléphone et ailleurs. Une très faible transparence régnera quant à la façon dont l’assistant numérique recommandera les produits et services qu’il offre — ce qu’il présente, ce qu’il dit, ce qu’il fait et ainsi de suite.
     Nous sommes vraiment en terrain inconnu.

[Français]

     Madame Wylie, monsieur Stucke, à votre avis, à qui revient la responsabilité de dénoncer cette situation et de sensibiliser la population à la nouvelle réalité que sont les renseignements personnels qui voyagent et qui servent à profiler notre comportement, économique ou autre?
    Madame Wylie, quelle est votre opinion à ce sujet?

[Traduction]

    Je pense que beaucoup sont à blâmer pour là où nous en sommes. En tant que citoyen, j’ai peut-être légitimé la façon dont le gouvernement a agi au cours des 10 dernières années en me faisant peu entendre. En tant que technologue, j’ai glané des indices, mais je voulais aussi croire, à l'époque, que le gouvernement commençait à prendre des mesures pour mieux contrôler la situation.
    Cela ne s’est pas produit. Pour moi, c’est aussi là que ce changement... Il y a obligation, au nom du gouvernement, de protéger les gens qui vivent dans notre pays. Nous disons que la confiance envers le gouvernement est parfois faible. Ce qui se passe actuellement ébranle complètement la légitimité du gouvernement. Agir comme si ce n’était pas une grosse affaire — nous allons simplement apporter de petites modifications ici et là —, alors que nous n’avons pas de grands changements fondamentaux en cours, ainsi que de grandes questions au sujet du pouvoir asymétrique qui touche les gens qui vivent ici, des tas, c’est très problématique.
     À ce stade, c’est au gouvernement que cela incombe. Je ne veux pas que les gens aient à devenir de superalphabètes numériques pendant leur temps libre. C’est la raison pour laquelle nous avons des lois et des politiques, afin que les gens n’aient pas à être trop mobilisés. C’est là où nous en sommes maintenant. Les gens doivent s’engager à fond parce qu’ils se rendent compte à quel point ils sont vulnérables. Ils ne sont pas protégés à ce stade. Cela me pose problème, et c’est vraiment au gouvernement de s'en occuper.
    Si vous êtes une entreprise et que vous avez le droit de le faire, bien sûr que vous allez le faire.
(1200)

[Français]

    Monsieur Stucke, quel est votre avis?

[Traduction]

     Au cours des 10 dernières années, nous avons vécu l'expérience naturelle de nous appuyer sur les forces du marché. On croyait que si nous nous en remettions au libre marché, les forces en jeu distribueraient les données et les renseignements personnels de manière à mettre de l'avant nos besoins. Le problème — même avec les fondamentalistes du marché —, c'est que nous ne nous sommes pas rendu compte de ces obstacles à l’entrée et des effets de réseau, qui sont spécifiques à ce marché guidé par les données.
    Il faut savoir que les forces du marché ne sont pas nécessairement la solution. Nous ne devrions pas compter là-dessus. Nous pouvons avoir des entreprises très puissantes qui peuvent dominer une industrie pendant des années et qui pourraient nuire à l’innovation également.
    Dans ce contexte, le gouvernement a un rôle à jouer. Quel rôle le gouvernement devrait-il jouer? Jusqu’à maintenant, le gouvernement a plus ou moins adopté le point de vue de « l’avis et le consentement », c’est-à-dire que l’entreprise n’a qu’à fournir une déclaration de confidentialité et le tour est joué.
    J’ai assisté à un symposium la fin de semaine dernière. Joseph Turow, de l’Université de Pennsylvanie, réalise une étude tous les deux ou trois ans. Ce que les auteurs ont constaté, c’est que le simple fait de dire à quelqu’un que l’entreprise a une déclaration de confidentialité fait croire que l’entreprise protège les renseignements personnels, même si cette déclaration pourrait dire le contraire. Miser trop sur le fait que le consommateur lira et naviguera... C’est trop.
    Je dirais plutôt qu’il faut envisager de bons mécanismes de protection des données dès la conception ou par défaut pour faciliter la tâche aux consommateurs et leur éviter d’avoir à lire ces avis de confidentialité. Même lorsqu’ils lisent les avis de confidentialité, beaucoup disent qu’il n’est pas possible de négocier. Quelle serait une solution de rechange? Dans le cas présent, ce pourrait être une minimisation des données, soit que l'entreprise ne peut pas recueillir des données qui ne lui sont pas nécessaires pour fournir ce produit, et la personne peut dire non. L'utilisateur a un droit universel de retrait. Il sera expressément tenu d’adhérer dans des circonstances particulières, et cela lui sera bien expliqué.
    C’est une petite chose que je vous invite à explorer.
    Nous devrions passer à M. Picard, pour cinq minutes.
    Vous avez parlé d’établir la valeur des données qui m'appartiennent en propre ou que possède quiconque fournit des données personnelles. Disons que je suis une entreprise qui investit des milliards de dollars dans les logiciels. L'offre que je fais, c’est que vous me donnez votre nom, votre numéro et votre adresse et, en échange, je vous donne un accès immédiat à des résultats de recherches qui ont coûté des milliards de dollars que vous pouvez transcrire autant que vous voulez sur un tableau noir, et c’est tout. Dans vos rêves les plus fous, vous ne pourriez jamais avoir accès à cette technologie ou l'utiliser si personne ne vous la donnait. C’est une bonne affaire, pour quelques noms et chiffres, comparativement au prix de l’investissement que j’ai fait pour mettre au point le logiciel.
    Comment évaluez-vous les données?
    À l’heure actuelle, il n’y a vraiment aucun moyen de... Il arrive que l'on fixe une valeur aux données et que les données soient achetées et vendues. Dans ce cas, on peut demander quelle est la valeur marchande de ces données et comment elles sont utilisées, mais souvent, il n’y a pas de valeur marchande pour ces données. C’est difficile, parce qu’on ne sait pas exactement qui utilise ces données et à quelles fins, et comment ces données pourraient être utilisées plus tard, une fois fusionnées avec d’autres ensembles de données. Je ne connais pas vraiment la valeur de mes données et je ne sais pas si je vais faire une bonne affaire, comme dans l’exemple précédent de la tasse de café. Je ne sais pas si c’est un échange équitable.
    L’autre chose, c’est que dans un marché concurrentiel, j’aurais des options et je pourrais voir combien ils me paieraient pour mes données. Premièrement, comment évaluer unilatéralement la valeur des données? Deuxièmement, y a-t-il une concurrence suffisante et vigoureuse qui me permettra d'obtenir un véritable prix du marché pour mes données?
(1205)
    Vous attendriez-vous à ce que je demande des redevances à Facebook chaque fois que la société partage mes données avec quelqu’un d’autre?
    Quel serait le prix de compensation du marché dans ce cas? Si vous posez la question à Facebook, il faut d’abord vous fournir les données, mais aussi le contenu que vous affichez sur Facebook. Vous travaillez manifestement gratuitement. Vous êtes un travailleur libre qui offre du contenu sur une plateforme qui sert à attirer d’autres personnes. Si vous disiez qu'il faut indemniser la personne pour les données et pour le contenu, de combien parlerait-on? Le chiffre pourrait être très arbitraire, car votre marché n'est pas robuste pour le moment. Vous avez une plateforme sociale dominante.
    Si je décide d'utiliser mes données personnelles pour partager avec les gens, avec le monde entier, ce que j’ai mangé pour le petit déjeuner, c’est mon affaire. Les gens savent mon nom parce que je suis sur Facebook. Ils connaissent mon visage parce que mon visage est sur Facebook, je ne suis pas de ceux qui y mettent le visage de leur chien. De toute façon, ils savent qui je suis, ce que je mange, ce que je porte et où je vais, parce que je veux partager cette information avec le monde.
    Pour pouvoir le faire, j’utilise un logiciel que je n’ai pas les moyens de développer moi-même. Je ne pourrais jamais utiliser un tel outil. On me le donne presque gratuitement. En fait, il n’y a pas de passe-droit dans ce monde. En échange, comme pour toute valeur marchande, parce que la valeur marchande n’est pas un signe de dollar, mais ce que vous obtenez en contrepartie de ce que vous offrez, j’ai des logiciels étayés qui totalisent des milliards de dollars pour rendre ma vie plus amusante et plus excitante. C’est juste, n’est-ce pas?
    Est-ce équitable pour le consommateur dont les données sont recueillies et suivies?
    L'autorité de la concurrence allemande, le Bundeskartellamt, étudie cette question. Il fait de la recherche sur Facebook, pas tellement sur les données que Facebook recueille lorsque vous êtes sur Facebook, mais sur tout autre site Web où il y a un bouton « J’aime » sur Facebook. Les consommateurs allemands ne savaient pas que leurs données étaient recueillies. Chaque fois qu'ils consultaient le site Web, disons, du New York Times et du Wall Street Journal, Facebook recueillait des données sur eux.
    L’autre point, c’est que oui, il y a des avantages — et j’ai témoigné devant la Commission européenne à ce sujet — à accéder aux données, mais maintenant, vous pouvez contrôler les modalités. Le monopole de données peut ensuite déterminer avec qui il partagera les données et dans quelles conditions et ensuite avec qui il ne les partagera pas. Prenons l’exemple d’AT&T et des Laboratoires Bell, dans les années 1970, qui offraient beaucoup de produits innovateurs. On se fie à cette entreprise et aux produits innovateurs qu'elle souhaite promouvoir et ne pas promouvoir.
    J'ai des questions pour encore 30 minutes. Combien de temps me reste-t-il?
    Vous avez dépassé votre temps de 20 secondes, mais nous aurons un peu plus de temps à la fin.
    D'accord. Merci.
    D'habitude, je suis assez laxiste avec le temps. J'aime aller au bout des thèmes et donc, nous voulons entendre ce que les interlocuteurs ont à dire au lieu de les interrompre.
    Monsieur Kent, vous avez cinq minutes.
    Merci encore, monsieur le président.
    Permettez-moi de commencer par dire que je pense que les entreprises de mégadonnées ont généré une foule d'avantages très importants au cours des dernières décennies. L’intelligence artificielle est extrêmement bénéfique dans certains domaines, par exemple, dans celui de la programmation algorithmique.
    Cependant, nous avons été surpris d’apprendre au Comité, en avril dernier, lorsqu’un cadre supérieur canadien de Facebook et le chef adjoint de la protection de la vie privée de Facebook de la côte Ouest des États-Unis ont comparu et nous ont dit que même si eux et d’autres ont rencontré à plusieurs reprises des ministres de premier plan du gouvernement canadien et des hauts fonctionnaires chargés de la prise de décisions, il n’y avait pas un seul lobbyiste enregistré de Facebook sur le site du Commissariat au lobbying du Canada.
    Il convient de souligner qu'environ un mois plus tard, Facebook a enregistré un lobbyiste officiel et nous ne savons pas si ces cadres sont encore officieux. Ils ont expliqué avoir aidé, pendant leurs rencontres, les représentants du gouvernement à comprendre les capacités et les processus de Facebook, je suppose, sous l'angle du gouvernement.
    Monsieur Stucke, vous avez écrit un article intitulé « Should We Be Concerned About Data-opolies? » C’est un article très détaillé. Vous avez écrit ce qui suit.
Les entreprises ont besoin de choses du gouvernement et souvent, les gouvernements veulent l'accès aux données. Quand le nombre d'entreprises est limité, la probabilité que les compagnies coopèrent en secret avec le gouvernement pour lui donner accès aux données augmente. En outre, une entreprise dominante fera probablement des pressions auprès du gouvernement à bien d'autres égards.
    Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet des compromis possibles de la réglementation gouvernementale en ce qui concerne l’examen du scandale Cambridge Analytica-AggregateIQ-Facebook?
(1210)
    Bien sûr. Depuis toujours, dans le domaine de l'antitrust, on craint qu'après avoir acquis un pouvoir économique important, on puisse le transformer en pouvoir politique puis élaborer des politiques qui favorisent l'entreprise dominante.
    Hier, en classe, nous avons parlé de l’affaire DuPont, qui est une affaire d'antitrust. DuPont a très bien réussi à imposer des tarifs sur la cellophane pour protéger sa part dominante du marché. Nul doute que vous pourriez probablement vous aussi citer des exemples. On craignait que l’on puisse alors commencer à préparer des politiques pour aider à préserver la dominance.
    Ce qui est inhabituel avec ces monopoles de données, c'est quand il est question de surveillance. Je me suis rendu récemment à Hong Kong pour participer à une discussion semblable et l’une des préoccupations concernait la façon dont le gouvernement obtient des données de ces monopoles privés pour l'aider à établir une cote de crédit des consommateurs — comme une sorte de cote générale de citoyen — en vue de mieux les surveiller et les suivre et ainsi de suite. En gros, les gouvernements coopèrent avec ces monopoles de données. Les entreprises fournissent des données au gouvernement, puis le gouvernement leur accorde des faveurs. Voilà le genre de relation qu'ils entretiennent. C’est une préoccupation historique qui prend une nouvelle tournure.
    Y a-t-il des commentaires?
    Je suis allée parler aux gens dans les collectivités... et peut-être faut-il le dire parce que je dirige des réunions communautaires et que je leur parle de données et de technologie. Certains des membres du gouvernement semblent penser que c'est chouette de faire des choses avec des chefs de file en technologie, que cela donne l’impression que le pays est progressiste et c’est formidable pour...
    Quel que soit cet enthousiasme, il semble ridiculement simple, mais c’est pourquoi je trouve cela embarrassant. Ce n'est pas chouette de fréquenter des entreprises quand on connaît les répercussions qu'elles génèrent et que la façon dont cela se répercute dans la vie des Canadiens a une incidence sur notre souveraineté, notre démocratie et notre vie privée.
    Les gens sur le terrain ne s’amusent pas et c’est un message que j’aimerais livrer en leur nom. Ce n’est pas drôle. Ce n’est ni amusant ni chouette. Cela s'inscrit dans le mode de fonctionnement de la Silicon Valley. Cela donne l’impression que les choses sont cool, amicales et faciles à utiliser, mais magiques. Ne demandez pas comment cela fonctionne vraiment parce que vous n’êtes pas technologue. Vous voyez comment tout cela se passe. Cela effraie les gens parce qu’ils ne se sentent pas capables de remettre en question ce qui se passe. Vous craignez de donner l'impression d'être réactionnaire et d'avoir l'air stupide ou vous pensez que votre question pourrait ne pas avoir de sens. Ce sont toutes des choses qui nous viennent à l'esprit quand on pose cette question.
(1215)
    Merci, monsieur Kent.
    La parole est maintenant à M. Baylis.
    Merci, monsieur le président.
    Supposons que vous ayez le droit de rédiger les lois maintenant. Notre cible est mobile, de toute évidence. Comme Charlie l’a souligné, ce qui nous paraissait formidable il y a 10 ans ne l’est plus autant aujourd’hui. Avec les règles que nous avons mises en place à cette époque pour permettre à Internet et aux données de se développer et de croître, nous commençons maintenant à nous demander ce que nous avons fait ici. J’imagine que dans 10 ans, nous ferons peut-être la même chose.
    Si vous pouviez nous brosser un tableau d’ensemble, d’un point de vue philosophique et réel, quelles seraient les trois choses que vous feriez à l’heure actuelle si vous étiez à la place du gouvernement et que vous seriez confronté à ce choix? Il s’agit de notre vie privée et de l’utilisation et du contrôle de ces données.
    Je vais commencer par vous, madame Wylie.
    Merci.
    C’est difficile pour moi parce que je pense que nous ne connaissons pas les réponses. Je vais donc m'attarder un peu sur certains aspects.
    L’un de ces aspects est que nous devons discuter avec les gens de ce pays de certaines des choses dont nous parlons en matière de protection de la vie privée parce que je pense que les données offrent aussi beaucoup de possibilités et qu'il faut parler de compromis.
    La première chose que vous diriez, c'est que... Je dois admettre que j’étais de ceux-là. Au début de l’étude, j’ai commencé à dire « Oh, mon Dieu ». Puis, au fur et à mesure que nous avancions, j'ai réalisé que cela aussi se faisait.
    Vous dites que nous devrions sensibiliser la population à ce qui se passe actuellement en ce qui concerne les données et la protection de la vie privée.
    Oui.
    Vous avanceriez que la population est en retard.
    Oui et je m'inclus, même si j'essaie de me rattraper. Il y a eu des campagnes sur la sécurité publique nucléaire. Nous avons parlé des incendies. Nous avons parlé des risques pour la santé publique et pour le pays. Je pense qu’il est temps de s'y remettre. C'est un aspect.
    Deuxièmement, je prépare un petit diagramme ici. Je pense que les lois doivent se faire lentement. Je pense que nous devons comprendre... Je ne sais pas si vous en avez entendu parler. C’est ce qu’on appelle la théorie des points pathétiques. Selon le modèle de Lawrence Lessig, il y a quatre forces qui façonnent nos vies. Nous sommes au centre de tout cela, les normes, les marchés, l’architecture et le droit. Il est extrêmement important de se rappeler que, compte tenu de la situation actuelle, pour faire mieux, il faudra travailler sur ces quatre fronts et comprendre que c'est une question de confluence et non une question linéaire.
    Je comprends votre premier point, à savoir que nous allons informer le public. C’est ce que nous avons fait. Le public va ensuite pleurnicher et nous demander de faire quelque chose. Que voudriez-vous que nous fassions maintenant que le public est au courant? Que devrions-nous faire?
    Je n’essaie pas d’éluder la question. À mon avis, ce que je pense ici n'est pas vraiment important. Il faut que je comprenne ce que nous pensons tous de cela quand nous nous parlons. Si j'entends des histoires de la part d'autres personnes, il se peut que mon opinion actuelle commence à changer. Je pense que c'est tout en haut...
    Avez-vous un point de vue philosophique à propos, par exemple, les gens qui disent que si on veut recueillir les données les concernant, il faut leur demander leur permission ou qu'elles n'ont pas d'objection à ce que les données les concernant soient recueillies en autant qu'elles ne sont pas utilisées? Avez-vous une certaine ligne de pensée quand il est question d'acquisition et d'utilisation de données?
    Oui. Je pense qu’il est important de clarifier ce qui est échangé. Je pense aussi que limiter et cela nous ramène au premier point... Il s’agit davantage de l'idée de les utiliser une fois plutôt que de simplement les avoir et ce qu'on en fait peut continuer d’évoluer. La clarté de la langue dans une situation de service, pour que les gens ne soient pas... Teresa Scassa est juriste. Elle explique qu'il n'est pas question de consentement en ce moment, mais bien de renonciation. Je pense que c’est tout à fait exact et qu'il y aurait lieu de mettre l’accent là-dessus.
    Vous diriez qu’il faut informer le public et une fois que c'est fait, de laisser aller... Je pourrais dire que ça ne me dérange pas que vous sachiez tous ces détails à mon sujet parce que ça me facilite la vie ou alors que je ne veux pas que vous connaissiez tout sur moi parce que j'estime que c'est intrusif. Dans l'optique philosophique, disons, il faut informer le public et ensuite peut-être établir une échelle mobile de ce qui peut et ne peut pas être fait. Nous pourrions appliquer ce concept notamment aux modalités d'utilisation.
    Absolument et aussi à des volets comme les normes. Envisager des mécanismes autres que la loi. Je ne pense pas que nous puissions tout faire dans le cadre de la loi, surtout pas en ce qui concerne la protection de la vie privée. Il y a trop d’autres choses qui interviennent.
    Je pense aussi que, simplement parce que vous posez des questions précises, je sais que dans le cas de la ville que j’examine, les données qui sont essentielles à la prestation et à la planification des services publics devraient être transférées pour que nous en prenions note et que nous comprenions comment cela fonctionne.
    Merci.
    Monsieur.
    C’est intéressant parce que nous avons écrit quelques ouvrages et que nous étions prêts à défendre notre thèse. Je me souviens d’un dirigeant d’une agence de la concurrence qui nous a demandé ce que nous allions faire. Cela nous a pris au pied du mur parce que nous ne faisions que cerner le problème sans nécessairement avoir une solution.
    En gros, ce que j'encouragerais serait en trois volets. Premièrement, demandez-vous ce que fait votre autorité de la concurrence pour régler le problème du pouvoir sur le marché. Marshall Steinbaum et moi-même avons écrit un article qui vient d’être publié par le Roosevelt Institute sur la revitalisation de l’antitrust.
    Dans quelle mesure les autorités canadiennes de la concurrence sont-elles prêtes pour l’économie numérique? Je pense qu’il est important pour vous de... Faudrait-il modifier les normes pour faciliter la lutte contre ces restrictions anticoncurrentielles?
    Deuxièmement, quelles sont les conditions préalables nécessaires à une concurrence efficace en matière de protection de la vie privée? Certains des thèmes dont vous avez entendu parler aujourd’hui portent déjà sur des dispositions semblables à celles du RGPD concernant la portabilité des données, les questions de propriété des données. Ce que je recommanderais alors, c’est vraiment de rassembler des universitaires pour discuter de certaines des choses nécessaires que nous pourrions intégrer afin de ne pas avoir à réglementer et de permettre aux forces du marché d’assurer une protection optimale de la vie privée dès la conception.
    Le troisième point, que nous n’avons pas vraiment abordé, serait la protection du consommateur. Ce serait à la fois avant et après. Qu’est-ce que nous pouvons faire en vue de simplifier les choses pour les consommateurs afin qu’ils n’aient pas à céder leurs données et qu’ils aient la possibilité de choisir et de se sentir à l’aise d’utiliser ces données?
    Les risques que j’espère avoir cernés montrent que la question a vraiment plusieurs volets. À l'heure actuelle, vous avez des préoccupations au sujet du journalisme auxquelles l'ACCC s'intéresse. Vous vous inquiétez des dépendances des jeunes et des effets qu’elles ont sur leur bien-être.
    Ces monopoles de données auront d'autres répercussions importantes. Je n'en ai cerné que trois.
(1220)
    Merci.
    Monsieur Angus, vous avez trois minutes.
    Nous allons passer à une autre série de questions après celle-ci, puis nous aurons quelques travaux du Comité à effectuer à la toute fin. Nous devons discuter de certaines choses à huis clos.
    Allez-y, monsieur Angus. Vous avez trois minutes.
    Merci, monsieur le président.
    Ai-je dit récemment que vous êtes un excellent président? Vous allez m’accorder quelques minutes de plus si je continue de tergiverser. Je vous remercie de votre excellent travail.
    Vous êtes sur le point d’en obtenir sept de plus.
    Des voix: Oh, oh!
    Monsieur, je trouve très intéressant que vous ayez soulevé la question du Bureau de la concurrence au Canada. Notre Bureau de la concurrence est un excellent modèle pour les années 1980 et 1990. Il s'occupe de la réglementation des prix et son cadre est très étroit. Ce n’est pas le genre de chose dans laquelle il intervient. Nous avons un commissaire à la protection de la vie privée qui s’occupe maintenant de toutes sortes de questions, mais certaines d’entre elles mènent à l’antitrust et il n’a pas le pouvoir d'intervenir.
    Nous devons examiner ces... Nos modèles nationaux sont fondés sur des problèmes du XXe siècle, et nous entrons très rapidement dans le monde du XXIe siècle.
    J’aimerais parler de la nécessité de l’antitrust. Nous pouvons comprendre nos propres données. Je pourrais les publier sur Facebook et un vieil ami de l’école secondaire pourrait me retrouver. Quelqu’un pourrait me vendre quelque chose. Où mes données pourraient-elles faire défaut? Quelqu’un pourrait me frauder. Nous n’avons pas la capacité de comprendre les données de masse et la puissance de Google ou d’Amazon.
    La Banque du Canada, qui n’est pas une organisation radicale, a dénoncé le danger que l’économie de l’innovation au Canada ne souffre à cause du pouvoir de ces monopoles de données. The Economist parle de la création de ces zones de destruction de l’innovation qui peuvent prévoir l'avenir des nouvelles entreprises et les acculer à la faillite. Nous ne constatons pas le genre de concurrence à laquelle nous nous attendions sur le marché de l’économie numérique.
    En ce qui concerne l’antitrust, dans quelle mesure est-il important d’avoir des mécanismes antitrust en place pour protéger non seulement les droits des citoyens, mais aussi — je suis un socialiste et je parle du marché — pour nous assurer que notre marché de la concurrence va bien?
    Je ne dirais pas que l’antitrust est... Je suis un produit de l'antitrust. J’ai travaillé au ministère de la Justice pendant des années avant d’enseigner. Je peux voir le pouvoir que l’antitrust peut avoir. Ce n’est pas la panacée. C’est nécessaire, mais ce n’est pas suffisant.
     Comme vous le dites, il faut revérifier les outils. Nous en parlons dans notre livre intitulé Big Data and Competition Policy et le Bureau canadien de la concurrence a publié récemment un rapport sur les mégadonnées.
    J’ai vu le travail de la Commission européenne et ce que font les autorités françaises et allemandes de la concurrence, l’AMC du Royaume-Uni et de l’Australie. Les États-Unis commencent maintenant à tenir des audiences à ce sujet également. Il s’agit d’un élément clé que tout organisme de réglementation de la concurrence doit renforcer pour mieux comprendre les risques dans cette économie. Il y a de multiples risques dont nous n’avons même pas parlé aujourd’hui.
(1225)
    Merci.
     Madame Wylie, vous avez parlé plus tôt de réalités dystopiques. Nous vivons à présent dans une réalité dystopique. Nous avons vu Google abandonner sa devise « ne soyez pas malveillants », travailler sur des moteurs de recherche censurés en Chine... Nous avons vu de grandes firmes de données massives tisser des liens avec les opérations militaires. Nous avons également assisté au déclin de régimes démocratiques en Europe, en Europe de l'Est, à la faveur de modèles beaucoup plus autoritaires.
    Ce qui m'inquiète dans le fait qu'une entreprise comme Google Alphabet ait une mainmise aussi importante sur l'espace public est que la possibilité existe — on le voit partout dans le monde — que ce pouvoir soit utilisé à mauvais escient.
    Quelle importance cela a-t-il, selon vous, dans n'importe lequel des modèles de ville intelligente, qu'il y ait des citoyens qui participent, qui siègent aux conseils et qu'ils aient le droit de s'assurer que l'espace public demeure protégé comme étant public?
    C’est extrêmement important.
    Je pense que le problème à l’heure actuelle, c’est que la technologie fonctionne souvent pour l’utilisateur final, pour moi. J’ai une application. J’utilise un produit.
    Quand des entreprises commencent à lancer des projets comme Sidewalk Toronto, où chaque gamme de produits correspond pratiquement à un secteur d'activité gouvernemental... bon, ça fonctionnera peut-être un peu mieux que le site Web d'une municipalité. Qui sait? Dans ce genre de cas, ça devient très dangereux, car cela permet de camoufler ce qui se passe, de le cacher derrière la technologie et de semer la confusion. S'agit-il d'une société ou d'un gouvernement?
    Je pense que c’est vraiment dangereux. Au-delà de la participation et de la représentation, il faut aussi s’assurer d'offrir une formation essentielle sur qui fait quoi. Que voulons-nous garder secret pour ce qui est de savoir qui fait quoi?
    Ce flou est réel et ce flou existe à cause des données. L’éducation est très importante.
     Merci, monsieur Angus.
    Nous allons passer à un autre tour.
     Je veux simplement vous demander des explications, madame Wylie. Vous avez dit que vous n’alliez pas répondre à la question de M. Baylis, parce que vous pensiez que vous n’étiez pas qualifiée pour le faire, mais je pense que pour les gens qui voient l’incendie, il est important que vous l'éteigniez ou que vous communiquiez aux gens, qui peuvent l'éteindre, la façon de le faire. Je vous demande de vous expliquer. Ne croyez pas que vous ne pouvez pas nous conseiller sur la façon de protéger nos données ou d'utiliser nos données, etc. Vous êtes ici pour une raison, alors n’hésitez pas à nous donner votre opinion. Nous pensons que vous êtes qualifiée pour témoigner ici.
    C’est maintenant au tour de M. Erskine-Smith, pour sept minutes.
    Merci beaucoup.
    J’hésite à modifier la LPRPDE. Nous avons mené une étude approfondie sur la protection de la vie privée. Nous avons fait des recommandations et une grande part de ce que vous avez dit tous les deux serait résolue à divers degrés si ces recommandations étaient adoptées.
    Pour ce qui est de la concurrence, il s’agit pour nous d’un nouveau territoire à bien des égards, alors j’aimerais en parler plus en détail.
    Vous, monsieur Stucke, avez parlé de huit préjudices potentiels en matière de monopoles. Un certain nombre d’entre eux étaient liés à la protection de la vie privée et à la collecte excessive de données, à la surveillance et aux répercussions des atteintes à la sécurité. Mettons entre parenthèses tout ce qui a trait à la protection des données et à la protection de la vie privée, parce que nous en avons déjà longuement parlé.
    Parlons plutôt d'innovation, des autres préjudices potentiels et des outils nécessaires pour y remédier.
    Mettons de côté un autre point qui me semble assez évident. Si une entreprise utilise des données pour favoriser son propre produit, il y a déjà des règles qui l’en empêchent, alors éliminons cela aussi. Le CRTC nous a dit que lorsque certaines sociétés, certains FSI, favorisent leur propre plateforme vidéo par rapport à d’autres, une plateforme de diffusion en continu par rapport à d’autres, c’est contraire à la loi, alors mettons cela entre parenthèses.
    En ce qui concerne les autres préjudices possibles liés à des monopoles, selon vous, quels sont les outils nécessaires pour y faire face?
(1230)
    Je vais commencer par les fusions axées sur les données. Disons que Facebook devait acquérir IAC, qui est la plus grande plateforme de rencontre. Il y a Match.com et d’autres du genre. En vertu de l’autorité de la concurrence, vous examineriez cela. Il ne s'agit pas nécessairement d'une fusion horizontale, car ils ne sont pas en concurrence directe. Il ne s'agit pas d'une fusion verticale, car il ne s'agit pas d'un fournisseur, d'un fabricant ou d'une chaîne de distribution, et ce n’est pas vraiment une fusion de sociétés en conglomérat, même si vous dites que Facebook pourrait être perçu comme un acteur potentiel. Dans ce contexte, les lois antitrust ne s'appliqueraient pas, mais la question est maintenant de savoir si l’acquisition de ces données aidera Facebook à atteindre ou à maintenir sa domination dans d’autres marchés. C’est là une des questions.
    Comment évaluez-vous ces fusions basées sur des données, et comment déterminez-vous si Google est même dominant ou a un pouvoir monopolistique, alors que vous vous fiez en grande partie à l'augmentation faible, mais significative et non transitoire des prix? Les outils dont vous disposez pour évaluer la domination sont très axés sur les prix...
    C’est juste, mais trouvons une solution de rechange, alors, et tenons également compte du fait que les effets de réseau profitent non seulement à l’entreprise, mais également au consommateur à divers points de vue. J’utilise Google Maps, et Google Maps est un meilleur produit, parce que plus d’utilisateurs l’utilisent. Si c’était seulement moi et Peter Kent qui l’utilisions, elle ne me serait d'aucune utilité.
     Je pense que nous avons raté cette conversation à bien des égards. Cette tasse de café, je comprends. Elle est plus précieuse à mes yeux que le fait que quelqu’un sache maintenant ce que j’étudie. Le fait que quelqu’un sache ce que j’étudie n'a aucune valeur pour moi sur une base individuelle, mais en regroupant des données, cela devient très utile pour l’entreprise. L’entreprise est en mesure de créer de la valeur en combinant toutes nos données collectives. Je pense qu'à certains égards, cela constitue un bon échange et qu'à d'autres égards, dans différents contextes, cela pourrait être un mauvais échange.
    Comment habiliter le Bureau de la concurrence à s’attaquer à ce problème?
    Simplement en ce qui a trait aux effets de réseau, il y a du bon, mais il y a aussi du mauvais.
    Bien sûr.
    Cela pourrait aider les entreprises puissantes à devenir encore plus puissantes jusqu’à ce qu’elles soient bien implantées sur le marché. Vous avez plusieurs...
    Bien sûr, et dans d’autres cas, on peut offrir un meilleur produit.
    Oui, mais il y a aussi de multiples effets de réseau. Je signale que DuckDuckGo a une bien meilleure politique en matière de protection de la vie privée, mais qu’elle n’a pas un moteur de recherche aussi efficace et qu’elle pourrait être désavantagée par ces effets sur le réseau. C’est une arme à double tranchant.
    Comment habiliter l’autorité de la concurrence? Je pense que cela se fait de multiples façons. L’une d’entre elles consiste à abandonner les outils axés sur les prix lorsqu’il s’agit de marchés qui sont manifestement gratuits. Deuxièmement, il faut examiner l’importance des données...
     Nous nous éloignons des outils axés sur les prix pour nous concentrer sur quoi?
    Dans ce cas, il faudrait utiliser une autre valeur, comme une diminution faible mais significative et non transitoire de la protection de la vie privée, et envisager une coordination avec le responsable de la protection de la vie privée et le responsable de la concurrence.
    Très bien.
    Le CEPD travaille en ce sens.
    L’autre chose serait de considérer les données comme un mécanisme important, même lorsqu’elles ne sont pas achetées et vendues. Prenons l’acquisition de Shazam par Apple. La Commission européenne, pour la première fois, je crois, s’est penchée sur cette fusion en se posant la question: est-ce que les données pourraient en elles-mêmes aider Amazon à maintenir ou à accroître son emprise sur le marché? Voilà le genre de question. Auparavant, on ne se les posait pas.
    L’autre chose serait d’examiner les abus que ces multinationales des données pourraient commettre, et comment elles pourraient, de multiples façons, priver de données des entreprises qui, auparavant, auraient pu y avoir accès, ou les désavantager d'une quelconque façon. Maintenant, vous dites que nous avons les outils pour le faire. C’est très bien, mais je vous demanderais si leur efficacité est à la hauteur de nos attentes. Regardez les mesures d'exécution de la loi qui sont prises ailleurs. Trouve-t-on leur équivalent au Canada? Si c’est le cas, comment se fait-il que nos outils n'arrivent pas à dissuader ce comportement?
(1235)
    Voici ma dernière question. Vous avez mentionné l’Allemagne et l’Union européenne. Est-ce que ce sont les deux territoires que vous nous proposez et que vous considérez comme des modèles que le Canada et les États-Unis devraient suivre en matière de mesures antitrust?
    Je ne dis pas qu'ils constituent un modèle, mais ils commencent à poser les bonnes questions.
    N’y a-t-il pas un modèle que vous pourriez citer?
    Non. Nous entrons dans une ère nouvelle et les outils dont nous disposons ne sont pas nécessairement bien adaptés... Il n’y a pas de modèle bien établi. On commence à peine à trouver ce qui devrait être fait pour contrer ce genre de comportement. On pourrait ne pas nécessairement s'appuyer sur une norme axée sur les effets, mais avoir une approche plus simple quant à ce qu’une entreprise dominante peut ou ne peut pas faire et imposer des limites plus strictes quant à sa capacité d’adopter certains comportements.
    Je n’ai plus de temps, alors tout ce que je peux dire c’est que j’apprécie vraiment vos réponses. Si vous avez des exemples précis d’outils que le Bureau de la concurrence devrait posséder, veuillez nous en faire part par écrit, nous vous en serions très reconnaissants.
    D’accord. Merci.
    Merci, monsieur Erskine-Smith.
    C’est maintenant au tour de M. Kent, pour sept minutes.
    Merci, monsieur le président.
    J’ai une dernière question et elle porte sur la difficile question de savoir qui possède mes données, qui possède les données des citoyens, qui possède mon historique de navigation.
    Par souci de divulgation complète, j’ai deux comptes Facebook en tant que politicien. Je publie du contenu.
    M. Charlie Angus: Je les consulte tout le temps.
    L'hon. Peter Kent: Merci, monsieur Angus, de consulter le site Web.
    J’encourage la création de liens avec ceux qui visitent le site Web. J’encourage la rétroaction. En tant que politicien, je recueille des données sur ce site Web afin de les utiliser de façon responsable. J’utilise Google jusqu’à 50 fois par jour. Comme M. Erskine-Smith l’a dit, DuckDuckGo et Mozilla Firefox sont bons, mais Google convient beaucoup mieux à mes besoins.
    J’ai été frappé — et je suppose que vous l’avez été aussi, et j’aimerais savoir ce que vous en pensez — lorsque M. Zuckerberg de Facebook a comparu devant le comité du Congrès et qu’il n’a pas voulu répondre à la question de savoir qui possède l’historique de navigation de ceux qui utilisent ses plateformes. Je me pose la question. Étant donné que le scandale Cambridge Analytica-Facebook-AggregateIQ est fondé sur le fait que des données recueillies de façon inappropriée — y compris les vulnérabilités ou les aspects très personnels de l’historique de navigation des utilisateurs, entre autres choses — ont été recueillies pour les fins de ce phénomène que nous avons fini par appeler le « microciblage psychographique » et des tentatives d’influencer les processus électoraux.
    Je me demande si je pourrais avoir vos derniers commentaires, monsieur le professeur, puis madame Wylie, sur qui possède mes données.
    Aux États-Unis, c’est le grand inconnu. La question a été soulevée dans une affaire devant la Cour suprême, où il était question du suivi géolocalisé d’une personne. Au cours des plaidoiries devant la Cour suprême des États-Unis, il a été précisément question de savoir à qui appartenaient les données de géolocalisation. Ce n’est pas clair. Dans quelle mesure possédez-vous tous les droits de propriété ou seulement certains des droits de propriété? Quel serait alors l’ensemble des droits de propriété que possède le consommateur, que possède l’entreprise et ainsi de suite?
    On ne le sait pas. Cela n’a pas encore été résolu légalement.
     Madame Wylie.
    Monsieur Zimmer, je tiens à vous remercier d’avoir vérifié les faits pour ce qui est de ma capacité à répondre, mais si je dis que je ne sais pas, c’est à cause de ce que je sais. Je le dis en ma qualité de professionnelle, car les gens qui me disent qu’ils savent quoi faire en ce moment sont ceux que je fuis le plus rapidement, en toute honnêteté.
    Je veux que tout le monde m’entende dire cela. J’ai beaucoup travaillé là-dessus et il y a beaucoup d’inconnus. C’est pourquoi je ne veux pas dire que j’ai des réponses. Je sais que c’est frustrant que nous ne soyons pas certains, mais c’est parce que nous devons nous pencher davantage sur cette question. Je dirais simplement que le problème vient en partie du fait que, lorsque je parle à des économistes, ils parlent une langue, et lorsque je parle à des avocats, ils parlent une autre langue. Nous devons travailler davantage ensemble sur tous ces enjeux afin de passer à l’étape suivante.
    Pour ce qui est de savoir qui possède mes données, j’ai eu des conversations intéressantes à ce sujet. Une chose utile que j’ai entendue, c’est que les données constituent la représentation d'un fait. Personne ne possède les faits. Parfois, il s’agit de la qualité de la saisie d’un fait, et vous pouvez peut-être dire que vous n’avez pas bien saisi ce que j’ai dit. C’est difficile. Je citerai Teresa Scassa, qui a récemment rédigé un article sur la propriété des données, qui explique pourquoi cette question est difficile.
    C’est dans la nature des données de ne pas être uniques ni d'avoir une existence limitée. Elles sont fondamentalement problématiques. Je pense que nous sommes toujours à essayer de comprendre tout cela, de même que les différents liens entre ce que nous considérons comme nos données et ceux qui les utilisent.
(1240)
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Kent.
    La parole est maintenant à M. Angus.
    Merci.
    Cela a été vraiment fascinant. Madame Wylie, c’est un plaisir de vous voir apporter une perspective citoyenne à cette discussion.
    L’un des aspects positifs du rôle de politicien canadien au Parlement au cours des 14 dernières années, c’est que nous avons eu des exemples très intéressants de participation citoyenne en matière d'enjeux numériques. La lutte pour la neutralité a été menée en grande partie par les consommateurs et les citoyens, et je pense qu’elle a aidé à définir la politique dans ce pays. L’engagement des citoyens à l’égard du droit d’auteur a incité deux gouvernements à résister à la forte pression des entreprises américaines sur le DMCA, à en prendre note et à la neutraliser. Nous avons reçu avis sur avis et nous avons vu les Européens et les Américains brandir le poing, mais nous avons maintenu une position distinctement canadienne dans le domaine numérique.
    Ce qui me surprend au sujet des scandales Cambridge Analytica-Facebook, c’est que nous n’avons pas vu beaucoup de participation citoyenne de la base, mais vous avez participé à des discussions communautaires et vous êtes allée sur le terrain. D’après ce que vous avez entendu, croyez-vous que les citoyens s’intéressent de plus en plus à cette question, qu’ils veulent avoir voix au chapitre et se faire entendre?
    Absolument. L’émotion prédominante est la peur. Nous devons intervenir et faire en sorte que ce ne soit pas le seul élément de la discussion. La peur peut servir de prélude à la nostalgie, ce qui ne fera que nous faire reculer alors que nous devons aller de l’avant. Nous devons parler de ce qui ne fonctionne pas et de ce qui effraie les gens, de l'occasion que cela représente et de la meilleure façon d’en tirer parti.
    En ce qui concerne le concept de ville intelligente de Google, l’une des préoccupations que nous observons est qu'il s'agit de monopoles de données massives. Lorsque nous avons développé les villes du XXe siècle, nous n’avions pas de sociétés privées qui installaient des réseaux électriques pâté de maisons par pâté de maisons. Nous nous sommes tournés vers les services publics. Si Google réussit vraiment bien, allons-nous voir Amazon faire des installations un quartier plus loin, ou une autre entreprise?
    Il n’y a pas vraiment d’autres options qui s’offrent à une entreprise suffisamment grande pour faire cela. Comment pouvons-nous entreprendre de construire des villes intelligentes, des centres urbains avec ce que le numérique peut offrir de mieux, mais dans un espace public? Devons-nous recentrer toute cette conversation?
    Je pense que oui. Je pense que le projet Sidewalk Toronto a déraillé parce que la DPR n’a pas créé de conditions. La DPR n’a pas dit que les données et l’infrastructure numériques seraient publiques. Lorsque l'approvisionnement fait partie des enjeux, on peut fixer des modalités. Il n’est pas nécessaire de remplir des formulaires. Si nous voulons façonner certaines de ces choses, nous pouvons le faire dans le cadre de certaines lois existantes. Définit-on clairement les activités et la responsabilité de l’État, de même que l'endroit et la façon dont le marché peut intervenir? Le marché a certainement un rôle à jouer, mais le gouvernement doit mettre ces exigences par écrit.
     Professeur, le Canada possède la population de la Californie dans le deuxième plus vaste pays du monde. La majeure partie de notre population vit à deux pas de la frontière américaine. Nous ne sommes pas comme les Européens qui, vu l'importance de leurs populations nationales respectives, peuvent établir des normes distinctes et autosuffisantes. Nous avons une relation d'interdépendance avec les États-Unis sur le plan commercial, sur tout. Nous sommes cousins en quelque sorte, alors c’est habituellement une assez bonne relation.
    Pour ce qui est d'établir une économie de l'innovation, nous avons beaucoup parlé ici de la souveraineté des données et de son importance, et pourtant, nous sommes de plus en plus liés politiquement aux monopoles de données.
    En ce qui concerne le pouvoir d’utiliser les données pour stimuler une économie de l’innovation, dans quelle mesure est-il important de limiter cette relation avec les monopoles de données?
(1245)
    C’est une excellente question. Nous avons surtout parlé de données et de données personnelles, mais c'est autre chose que de permettre la libre circulation de données non personnelles qui peuvent contribuer à l’innovation — comme pour le fonctionnement d’une voiture, les données qui proviennent de votre voiture et qui pourraient ensuite être transmises au fabricant et ainsi de suite.
    Un élément important est que certaines industries ont besoin de données pour innover, alors elles doivent avoir accès à ces données. Mais il faut aussi avoir la capacité de soutenir la concurrence si l’on veut exister sur une super plateforme comme Amazon, Facebook, Apple, Google ou n’importe quelle autre super plateforme.
    Le troisième élément est... et cela fait suite à un point soulevé par Bianca. J’ai assisté à une conférence où la discussion portait sur le fait que le marché n’offrira pas toujours des services. Aux États-Unis, lorsque nous avons commencé, nous estimions que c’était un droit fondamental pour chaque citoyen que de recevoir du courrier. Si l'on s'en remettait aux forces du marché, certaines régions éloignées ne recevraient pas nécessairement de courrier. Nous n’avons jamais dit que ce serait le rôle du marché. Non, c’est un service que le gouvernement a fourni. Je pense que cela s'est perdu au cours des 30 ou 35 dernières années, cette idée que le gouvernement doit jouer un rôle clé dans la prestation de certains services essentiels, comme le courrier et d’autres services qu'un marché, même concurrentiel, ne pourrait pas offrir.
    Je pense que c’est un rôle important si l'on veut profiter des avantages d’une économie axée sur les données de sorte que cette économie soit inclusive, protège notre démocratie et puisse aussi protéger notre vie privée et améliorer notre bien-être.
    Merci.
    Merci à tous les membres du Comité, mais merci tout particulièrement à vous, Maurice et Bianca, d’être venus ici aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de vos efforts dans ce dossier et nous avons hâte de vous parler de nouveau.
    Veuillez faire parvenir à notre bureau tout mémoire que vous pourriez avoir à l’intention du Comité après coup, toute idée à laquelle vous n’auriez peut-être pas pensé lorsque vous avez comparu ici. Nous serions heureux de les avoir dans le cadre de notre étude.
    Nous allons suspendre la séance pendant une minute, le temps de libérer la salle. Nous allons passer rapidement aux travaux du Comité pour parler de certaines choses.
    La séance se poursuit à huis clos.]
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