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Je tiens à remercier le président, le vice-président et les membres du Comité de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. J'ai suivi d'assez près les travaux du Comité en ce qui concerne Cambridge Analytica, surtout en rapport avec les enquêtes menées au Royaume-Uni et aux États-Unis. J'ai été impressionné par les efforts inébranlables déployés par le Comité pour établir les faits et dire la vérité en interrogeant les représentants de la société au coeur de l'enquête sur les élections transnationales et les crimes liés aux données survenus en 2016: AggregateIQ, un fournisseur exclusif de SCL Elections Limited, qui est le contrôleur enregistré des données de Cambridge Analytica au Royaume-Uni.
Permettez-moi de vous donner une brève chronologie de mes efforts personnels pour avoir droit à la divulgation complète d'un profil d'électeur généré par SCL Elections à partir du cycle des élections présidentielles de 2016, aux termes de la Data Protection Act de 1998 du Royaume-Uni, à la suite de requêtes devant les tribunaux et grâce aux mesures d'exécution du Commissariat à l'information du Royaume-Uni.
En janvier 2017, j'ai déposé une demande d'accès par sujet sur le site cambridgeanalytica.org afin d'obtenir mon dossier d'électeur, après avoir été avisé de la possibilité d'un tel accès. J'ai dû payer des frais de 10 £ à SCL Elections Limited, en plus de fournir des copies d'une pièce d'identité délivrée par le gouvernement et d'une facture de services publics pour valider mon lieu de résidence.
En mars 2017, j'ai reçu un message de datacompliance@sclgroup.cc, en guise de tentative de réponse pour être conforme à la Data Protection Act de 1998. Le tout comprenait une lettre signée par le chef d'exploitation de SCL Group, Julian Wheatland, et une feuille de calcul Excel contenant des données sur l'inscription électorale et un modèle idéologique composé de 10 sujets politiques classés selon les prévisions d'allégeance politique et de participation. Je m'attendais à recevoir beaucoup plus de données, puisque le PDG de Cambridge Analytica, Alexander Nix, s'était fréquemment vanté de recueillir jusqu'à 5 000 points de données pour chaque électeur américain.
En juillet 2017, j'ai déposé une plainte auprès du Commissariat à l'information en vertu de l'article 7 de la Data Protection Act du Royaume-Uni, parce que SCL Elections Limited avait refusé de répondre à la moindre question ou préoccupation concernant les données fournies.
En octobre 2017, j'ai lancé une campagne de financement collectif dans le but d'intenter une poursuite contre SCL Elections et les sociétés connexes devant la Haute Cour de Justice.
En février 2018, j'ai témoigné devant le comité spécial de la Chambre des communes du Royaume-Uni sur le numérique, la culture, les médias et le sport, dans le cadre de ses audiences tenues à Washington, D.C.
En mars 2018, j'ai déposé et signifié une requête à l'encontre de SCL Group et de Cambridge Analytica aux termes de l'article 7 de la Data Protection Act pour exiger la divulgation complète de mon profil d'électeur. Le document comprenait des déclarations de témoins experts qui expliquaient en quoi les données fournies ne pouvaient pas être jugées complètes.
En mai 2018, le Commissariat à l'information a envoyé un avis d'exécution à SCL Elections Limited, lui demandant de se conformer à son ordonnance visant la pleine divulgation de mon profil de données d'électeur, sous peine de sanctions pénales.
En juin 2018, j'ai témoigné devant la Commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures du Parlement européen, aux côtés de la commissaire à l'information et des sous-commissaires à l'information. Au même moment, pendant notre comparution à Bruxelles, le délai accordé à SCL Elections prenait fin sans que celle-ci ait donné suite à l'ordonnance d'exécution.
En décembre 2018, j'ai donné instruction à un avocat spécialisé dans le domaine de l'insolvabilité de contester la tentative faite par les administrateurs pour liquider la plupart des entreprises de SCL Group, et j'ai obtenu une ordonnance du tribunal me donnant droit à la divulgation de tous les documents produits par les administrateurs, ce qu'ils ont refusé de nous transmettre.
En janvier 2019, le Commissariat à l'information du Royaume-Uni a intenté une poursuite contre SCL Elections pour ne pas avoir donné suite à l'ordonnance d'exécution visant la divulgation de mes données. Même si la société avait manifesté son intention de plaider non coupables dans ses documents publics, les coadministrateurs ont fini par déposer, à la surprise de tous, un plaidoyer de culpabilité, en plus de payer les frais de justice et les amendes connexes. Lors du procès, on a rapporté que le Commissariat à l'information avait finalement reçu les mots de passe aux serveurs saisis auprès de Cambridge Analytica/SCL aux termes d'un mandat en matière criminelle, délivré en mars 2018. Selon les communications auxquelles j'ai eu accès en décembre 2018 en vertu de l'ordonnance du tribunal, le Commissariat à l'information avait cherché à obtenir ces mots de passe probablement dès mai 2018.
En mars 2019, la Haute Cour britannique entendra notre contestation de la proposition formulée par les coadministrateurs pour liquider les entreprises de SCL Group. Nous présenterons des éléments de preuve qui mettent en évidence des préoccupations selon lesquelles les administrateurs et les directeurs ont induit le tribunal en erreur sur des questions cruciales. De plus, la Haute Cour a été mise au courant d'une preuve découverte par Chris Vickery, un de vos autres témoins d'aujourd'hui, preuve qui démontre comment les anciens employés de Cambridge Analytica et de SCL ont créé de nouvelles sociétés, tout en ayant accès aux bases de données de CA/SCL qui sont hébergées dans le nuage.
Nous continuerons à réclamer une divulgation complète de mon dossier de données et nous n'abandonnerons pas tant que nous n'aurons pas obtenu pleine réparation. Le Commissariat à l'information du Royaume-Uni et le comité du numérique, de la culture, des médias et du sport ont tous deux déclaré à maintes reprises que, les données des électeurs américains ayant été traitées au Royaume-Uni par SCL, l'affaire est assujettie à la Data Protection Act et relève du Commissariat à l'information du Royaume-Uni.
La quête en vue de rapatrier mon dossier d'électeur depuis le Royaume-Uni nous en dit long sur les droits fondamentaux en matière de données, droits que les États-Unis et le Canada n'ont pas encore établis et protégés dans l'intérêt de leurs citoyens. Nous comprenons bien maintenant comment le droit en matière de données sous-tend la protection des données et constitue un élément essentiel pour le maintien de la démocratie au XXIe siècle.
Nous pouvons également mieux comprendre comment la protection des données et la politique de protection des renseignements personnels s'imbriquent dans les autres cadres juridiques, comme les traités internationaux, le droit de la faillite et de l'insolvabilité, la loi électorale, les règles sur le financement des campagnes et même les règles antitrust.
Je serai heureux de répondre aux questions des membres du Comité au sujet du périple que j'ai entrepris en réclamant mes données auprès de Cambridge Analytica et des conséquences possibles pour l'avenir de notre démocratie numérique.
Merci.
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Bonjour. C'est un plaisir de témoigner encore une fois devant le Comité. Je suis toujours ravi de discuter avec vous et je crois avoir beaucoup à apporter à la discussion.
J'ai analysé les enregistrements des précédentes réunions de ce sous-comité; il était question de données et de la protection de la vie privée en ce qui concerne la transition vers la numérisation en ligne des services gouvernementaux canadiens, de l'état actuel des choses et de ce qui est prévu, ainsi que les diverses préoccupations du Comité. Même si je suis disposé à répondre aux questions concernant AggregateIQ et Cambridge Analytica, il n'en sera pas question dans mon exposé. Je vais traiter de certains enjeux qui ont été soulevés lors des précédentes réunions que j'ai écoutées et analysées récemment.
Actuellement, nous avons l'impression que le Canada doit prendre une décision concernant la voie qu'il faut adopter ou que le pays souhaite adopter pour sa stratégie en matière de technologie. Nous avons la possibilité de nous lancer la tête première dans la mêlée avec tous les autres gros joueurs et d'essayer d'être à la fine pointe de la transition numérique des services gouvernementaux. Toutefois, j'ai l'impression que la position la plus naturelle d'après ce que j'ai entendu dans les précédentes discussions est de laisser les autres faire des erreurs et prendre la tête du peloton et d'ensuite intégrer les éléments qui fonctionnent dans vos systèmes et de ne pas inclure ce qui ne fonctionne pas. Cela semble être la position la plus avantageuse que j'ai entendue.
Certains se demandaient aussi si nous devrions imposer la transition vers la numérisation des services aux Canadiens qui se sentent peut-être méfiants ou qui ne se sentent pas suffisamment à l'aise pour confier tous leurs renseignements personnels et leurs données médicales à un système « Big Brother », pour le dire ainsi. Si vous imposez le tout, lorsqu'il y aura, le cas échéant, une atteinte à la protection des données ou une vulnérabilité ou un problème qui est exploité, cela risque de saper durement la confiance de la population dans le système.
Je recommande que le Canada essaie de favoriser une adoption en misant sur le succès du système au lieu de l'imposer aux gens. Ce serait beaucoup mieux d'avoir un voisin qui dit à un autre qu'il a obtenu un rendez-vous avec son docteur, que c'était très facile et qu'il lui conseille de le faire en ligne lui aussi que d'avoir ces deux voisins, s'il y a une atteinte à la protection des données, se dire à quel point ils ont détesté se voir imposer cette situation.
J'ai entendu beaucoup de discussions au sujet des chaînes de blocs, et certains ont essayé de laisser entendre que les chaînes de blocs sont la solution. Je me méfie énormément de la technologie de la chaîne de blocs dans son état actuel et même pour la suite des choses. Les chaînes de blocs sont en gros l'endroit où tout le monde consigne tout. C'est un grand livre qui est distribué. Ce n'est pas nécessairement une clé ou une technologie secrète. Je crois que les nombreux échecs importants des diverses monnaies qui reposent sur les chaînes de blocs ont mis en lumière les problèmes inévitables qui peuvent survenir, et cette technologie n'est pas suffisamment éprouvée pour le traitement de données médicales et personnelles et en particulier en ce qui concerne les votes. C'est un cauchemar.
Un autre enjeu qui a été soulevé est l'anonymisation des données et l'importance d'avoir ces bassins de données qui peuvent être étudiées par les ministères et échangées entre eux et être facilement importées d'une banque de données à une autre et la beauté de tout cela. Il est vrai que nous pouvons tirer une foule de renseignements d'une telle étude de l'ensemble des données, mais ce n'est pas possible d'avoir des données anonymisées. C'est un peu inexact de parler de données anonymisées. Vous pouvez avoir des données dont certains éléments sont supprimés ou laisser tomber certains aspects pour essayer de rendre difficile l'identification des gens; toutefois, tout ce que vous pouvez réellement faire lorsque vous anonymisez des données, c'est de rendre le plus difficile possible pour les petits joueurs de repersonnaliser les données. Je peux vous garantir que les grands courtiers en données, les banques et les compagnies d'assurances peuvent repersonnaliser les données de la majorité des ensembles de données anonymisées en se fondant tout simplement sur les données déjà en leur disposition et de référence. C'est simplement la quantité de données qu'a une entité qui détermine le temps qu'il lui faudra pour repersonnaliser les données. Bref, vous devez faire preuve d'une grande prudence quant aux données anonymisées et éviter de penser que c'est infaillible.
Je ne souhaite pas seulement soulever des enjeux ou des problèmes. Je souhaite aussi proposer des idées et faire un remue-méninges concernant divers moyens d'échanger de manière sécuritaire des données entre les ministères. L'idée selon laquelle la protection de la vie privée et la sécurité sont inhérentes est très forte.
À mon avis, si vous créez tout de A à Z, les lois physiques et les éléments constitutifs fondamentaux de l'écosystème dans lequel se trouveront vos données, vous avez l'occasion de chercher la façon de le faire pour que ce soit sécuritaire.
Je m'assurerais que la banque de données A et la banque de données B ne parlent même pas la même langue, qu'elles ne peuvent pas communiquer entre elles et qu'elles ne peuvent pas regrouper leurs données, et j'aurais un intermédiaire qui recevrait les données et qui les traduirait pour les banques de données.
C'est seulement une idée que j'ai eue. L'avantage de cette option est que vous pouvez décider que le traducteur n'est pas accessible 24 heures par jour, 7 jours par semaine. Lorsque tout le monde dort le samedi soir, vous n'avez pas à craindre qu'un individu malintentionné s'introduise dans une banque de données et ait ainsi accès à toutes les autres. C'est une question de segmentation, de morcellement et de fragmentation. Même si cela rend plus complexe la programmation, je crois que vous obtiendrez un meilleur résultat si vous prévoyez dès le départ de tels éléments, que vous faites bien les choses et que vous vous assurez que tous les intervenants adoptent le bon état d'esprit.
Enfin, je tiens à dire que, s'il y a bien une chose qui doit être faite à l'ancienne, c'est de voter. Le vote numérique est sujet à une vaste gamme de problèmes et à la corruption. S'il y a bien une chose que nous devons faire sur papier et à la main, c'est de voter. Je suis très déçu de la manière dont les États-Unis abordent la question du vote, et je souhaite que votre pays s'y prenne beaucoup mieux.
Merci.
Merci de nous donner l'occasion de prendre la parole devant votre comité aujourd'hui. J'ai suivi de près les travaux du Comité, y compris la superbe représentation par le président et les vice-présidents en novembre dernier à l'occasion du Grand Comité international sur la désinformation et les fausses nouvelles. Je suis honoré d'être là, et je vous remercie de votre intérêt général pour la protection de la vie privée des consommateurs.
Je suis chef de la direction de DCN. Notre mission est de répondre aux besoins uniques et divers du contenu numérique de qualité. Cela comprend de petits et grands éditeurs haut de gamme, tant des nouveaux venus que des entreprises qui existent depuis des siècles. J'aimerais préciser que, parmi nos membres, nous ne comptons aucun réseau social, aucun moteur de recherche et aucun fournisseur de technologies publicitaires. Bien que 80 % des revenus numériques de nos membres proviennent de la publicité, nous collaborons avec eux pour qu'ils prennent de l'expansion et se diversifient.
DCN agit à titre de partenaire stratégique pour ses membres; nous fournissons des conseils et nous formulons des recommandations, le regard tourné vers l'avenir.
Comme vous le savez, les consommateurs peuvent trouver du contenu en ligne à divers endroits. En raison de cette dynamique, les éditeurs haut de gamme doivent impérativement maintenir la confiance des consommateurs. Notre entreprise se concentre sur le repérage des enjeux qui minent la confiance sur le marché, et je suis ravi de le faire aujourd'hui. Par conséquent, le renforcement de la protection de la vie privée des consommateurs et la croissance des intérêts de nos membres sont un enjeu critique et stratégique pour nous.
Depuis une décennie, nous avons connu une grande augmentation dans le domaine de l'automatisation de la distribution et de la monétisation du contenu, en particulier avec la publicité. Nous sommes passés à un monde où l'achat, la mise aux enchères, le commerce et la vente de publicités se produisent avec une intervention humaine minimale. Nous ne nous attendons pas à ce que cette tendance se renverse, et ce n'est pas ce que nous cherchons à accomplir, mais je vais essayer de vous présenter aujourd'hui certains grands défis qui ont des effets sur l'industrie, la population et la démocratie.
Le premier domaine dont j'aimerais parler est la montée de ce que votre rapport de décembre qualifie à juste titre de « monopoles de données ». Malheureusement, l'écosystème qui s'est développé impose très peu de contraintes légitimes en ce qui a trait à la collecte et à l'utilisation des données des consommateurs. Par conséquent, on accorde une plus grande valeur aux données personnelles qu'au contexte, aux attentes des consommateurs, au droit d'auteur ou même aux faits.
Aujourd'hui, des tiers inconnus collectent fréquemment les données des consommateurs à l'insu des consommateurs et sans qu'ils puissent exercer un quelconque contrôle. Les données servent ensuite à cibler des utilisateurs sur le Web, sans tenir compte du contexte et au coût le plus bas possible.
Selon nous, c'est le péché originel du Web, soit de permettre une surveillance continue des consommateurs dans de multiples contextes. Cette dynamique offre une motivation aux personnes malveillantes et parfois aux criminels, et c'est particulièrement vrai sur des plateformes non gérées comme les médias sociaux où l'objectif est d'aller chercher un clic de la part d'un consommateur ou d'un robot.
Quel est le résultat? Une concentration massive des entités qui profitent de la publicité numérique, nommément Google et Facebook. Il y a trois ans, DCN a réalisé la première analyse, et nous avons qualifié ce groupe de « duopole ». Les chiffres sont sidérants. Avec un marché de la publicité numérique en Amérique du Nord et dans l'Union européenne qui se chiffre à plus de 150 milliards de dollars, de 85 à 90 % de la croissance graduelle et plus de 70 % des dépenses totales en publicité vont à ces deux entreprises.
Nous avons ensuite cherché à en savoir plus et nous avons établi un lien, comme vous l'avez fait dans votre rapport, entre la concentration de leurs revenus et leurs pratiques relatives aux données. Ces deux entreprises réussissent à recueillir des données comme personne d'autre n'est capable de le faire. Les données sont la source de leur pouvoir. Google a des systèmes de balises de suivi qui permettent de recueillir des données sur les utilisateurs d'environ 75 % d'un million de sites Web parmi les plus fréquentés. Grâce aux renseignements fournis au Comité DCMS au Royaume-Uni, nous avons aussi appris que Facebook a des balises de suivi sur plus de huit millions de sites Web. Cela signifie que les deux entreprises sont en mesure de voir une très grande partie de votre historique de navigation et de position.
Même si vos travaux se concentrent principalement sur Facebook, nous vous encourageons fortement à vous pencher aussi sur le rôle de Google sur le marché des publicités numériques. DCN a récemment contribué à la diffusion d'une recherche réalisée par Doug Schmidt de l'Université Vanderbilt qui portait sur la collecte de données à grande échelle de Google.
Google a profité de sa dominance inégalée comme navigateur, système d'opération et moteur de recherche pour devenir l'entité qui profite le plus de la prestation de services de technologies publicitaires. Google est sans égal à toutes les étapes de la chaîne d'approvisionnement des publicités: l'achat, la vente, le commerce et la mesure de publicités. Si cela concernait tout autre marché, ce serait illégal. Dans le milieu financier, c'est l'équivalent d'être le courtier en valeurs mobilières, le preneur ferme, la bourse et les actions en soi.
Par conséquent, nous croyons que les recommandations 12 et 13 de votre rapport sont importantes parce que vous cherchez à comprendre la relation claire entre la concurrence et la politique sur les données. L'essor de ces monopoles de données a entraîné un décalage entre les créateurs de contenu et ceux qui en profitent. Cette situation a permis un cycle vicieux dans lequel les règles concernant l'industrie et la vie privée des consommateurs visent à protéger les intérêts des membres de l'industrie au lieu de préserver la confiance des consommateurs.
Nous vous encourageons aussi à examiner de plus près les arguments du professeur de droit, Maurice Stucke, et d'Anthony Durocher de votre Bureau de la concurrence dont la recommandation est de délaisser l'analyse axée sur le prix étant donné que les entreprises offrent des produits gratuits pour exploiter les données des consommateurs. Compte tenu des conclusions du Commissariat à l'information du Royaume-Uni concernant les pratiques de Facebook en matière de protection de la vie privée de 2007 à 2014, que vous avez qualifiées dans votre propre rapport de « sévères », j'attire votre attention sur un rapport de recherche qu'a publié la semaine dernière Dina Srinivasan. Ce rapport s'intitule The Antitrust Case Against Facebook, et Mme Srinivasan y décrit la pratique de leurre publicitaire qu'utilisait Facebook à ses débuts. Au départ, Facebook utilisait la protection de la vie privée comme principal élément pour se démarquer dans le milieu très concurrentiel des réseaux sociaux gratuits où la concurrence reposait sur la qualité des produits, et la qualité de la protection de la vie privée a diminué au fil du temps.
Enfin, le scandale impliquant Facebook et Cambridge Analytica expose la dynamique dysfonctionnelle actuelle. Sous prétexte de mener des recherches, GSR a recueilli des données sur des dizaines de millions d'utilisateurs de Facebook. Comme nous le savons maintenant, Facebook n'a pratiquement rien fait pour s'assurer que GSR ne diffuse pas ces données. Les données de Facebook ont finalement été vendues à Cambridge Analytica pour diffuser des publicités et des messages ciblés à saveur politique, notamment durant les élections américaines de 2016.
Avec le pouvoir que détient Facebook sur notre écosystème d'information, nos vies et notre démocratie, il est essentiel de savoir si cette société est digne de confiance. Bon nombre de ses pratiques avant la publication des rapports sur le scandale impliquant Cambridge Analytica justifient clairement une forte méfiance à son endroit. Même si nous avons eu droit à une série d'excuses bien documentées et interminables, il est important de noter qu'il y a eu très peu de changements au sein de la direction et de la gouvernance de l'entreprise. Dans cet esprit, une enquête plus approfondie est vraiment nécessaire, et les refus répétés de l'entreprise de laisser son chef de la direction témoigner devant le Comité DCMS ou votre grand comité ne font que renforcer cette nécessité. Nous avons entendu que le responsable est le chef de la direction, Mark Zuckerberg, mais il évite les questions les plus difficiles de reddition de comptes. Il y a encore beaucoup d'éléments à apprendre au sujet de ce qui s'est passé et de l'ampleur de ce que Facebook savait au sujet du scandale avant qu'il éclate au grand jour. La chronologie me laisse perplexe.
Le témoignage de M. Zuckerberg devant le Comité sénatorial américain de la justice nous a permis d'apprendre qu'il avait été décidé de ne pas informer les utilisateurs de Facebook que leurs données avaient été vendues à Cambridge Analytica après la publication de l'article du Guardian en décembre 2015. Le journaliste du Guardian affirme avoir communiqué avec GSR dès la fin de 2014, soit près d'un an avant l'article. Le cofondateur de GSR, Aleksandr Kogan, a confirmé au sénateur John Thune que son partenaire et lui avaient rencontré des représentants de Facebook à plusieurs reprises en 2015. Ce que j'ai encore plus de mal à croire, c'est que Facebook a embauché Joseph Chancellor, le prétendu partenaire à part égal de Kogan chez GSR, le 9 novembre 2015, soit un mois avant l'article du Guardian. Des questions ont été posées à maintes reprises à Facebook pour comprendre le moment exact où M. Zuckerberg a été mis au courant au sujet de Cambridge Analytica. Or, Facebook donne seulement une pseudo-réponse et affirme que M. Zuckerberg a appris en mars 2018 que les données n'avaient pas été supprimées. Personnellement, je trouve cette réponse obtuse et offensante.
Étant donné que la FTC a conclu un jugement convenu avec Facebook concernant le signalement de toute utilisation fautive de données, c'est extrêmement pertinent de savoir quand le chef de la direction a été mis au courant au sujet de Cambridge Analytica. Nous savons maintenant que Facebook a consacré beaucoup plus de temps et de ressources en 2016 en vue d'aider Cambridge Analytica à acheter et à diffuser des campagnes publicitaires que ce que la société a investi pour réparer ce qu'elle appelle son « abus de confiance ». Même si le chef de la direction de Facebook a affirmé devant le Congrès américain en avril 2018 que l'entreprise s'est immédiatement mise au travail pour s'assurer de la suppression des données après avoir été mise au courant de la situation en 2015, Facebook a déjà présenté au Comité DCMS des renseignements selon lesquels Cambridge Analytica n'a fourni une attestation légale à cet effet que tard en 2017 lorsque son chef de la direction a envoyé un bout de papier relativement inutile.
Enfin, Facebook a annoncé en septembre 2018 que M. Chancellor n'était plus employé de Facebook, et ce, sans fournir d'explications et après une enquête de près de six mois, qui a seulement débuté après que l'émission 60 Minutes a permis d'attirer davantage l'attention sur son rôle.
Ce qui est tout aussi troublant dans toute cette histoire, outre les promesses verbales de Facebook, c'est que nous ne savons pas clairement ce qui pourrait empêcher cette situation de se reproduire. Pour la suite des choses, nous demandons aux décideurs et à l'industrie d'offrir une plus grande transparence et plus de choix aux consommateurs en ce qui a trait à la collecte de données dans le cas de pratiques auxquelles les consommateurs ne sont pas en droit de s'attendre. Les consommateurs s'attendent à ce que les propriétaires du site Web ou de l'application recueillent des renseignements à leur sujet pour s'assurer du fonctionnement du site Web ou de l'application. La collecte de données dans un contexte précis tend à correspondre aux attentes des consommateurs en la matière, parce qu'il y a un lien direct entre ces activités et l'expérience des consommateurs et que les données des consommateurs sont recueillies et utilisées de manière transparente dans ce même contexte. Toutefois, comme nous l'avons vu dans le cas de Facebook et de Cambridge Analytica, les données recueillies dans un contexte et utilisées dans un autre ont tendance à aller à l'encontre des attentes des consommateurs.
Par ailleurs, il est important de souligner que les consommateurs ne profitent normalement pas directement de l'utilisation secondaire de données. Nous vous recommandons de vous demander si nous devrions même permettre l'utilisation secondaire de données par des fournisseurs de services qui peuvent recueillir des données sur une vaste gamme de sites Web, d'applications et d'appareils, et ce, sans obtenir le consentement éclairé et explicite des consommateurs. En imposant des normes plus rigoureuses en la matière, nous pourrions régler bon nombre des enjeux qui ont déjà été mentionnés.
Enfin, il est important de faire la lumière sur ces pratiques et de trouver la meilleure manière de les encadrer à l'avenir. Je vous remercie de vos travaux en vue de mieux comprendre le monde numérique. Vos travaux en vue de dévoiler ce qui s'est passé et d'en tirer des leçons contribueront à créer un marché sain et à rétablir la confiance des consommateurs.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais commencer par vous, monsieur Vickery. Il ne fait aucun doute que l'établissement du gouvernement numérique au Canada sera très différent de celui en Estonie, étant donné que nous avons des provinces, des territoires, des administrations municipales, des gouvernements régionaux et le gouvernement fédéral et que les champs de compétences sont clairement définis.
Même pour ce qui est des premières formes d'un gouvernement numérique limité... Disons que le gouvernement canadien examine seulement ses champs de compétences qui touchent l'ensemble de la population du pays. Il va sans dire que nous aurions raison de nous attendre à ce qu'il y ait une sorte de ruée vers l'or pour les entreprises qui souhaitent s'occuper de la création ou de l'administration ou devenir des partenaires, pour le dire ainsi, en vue de mener cette transition numérique d'envergure.
L'Association des banquiers canadiens ou, du moins, son président, a laissé entendre que les banques sont les gestionnaires de données personnelles les plus dignes de confiance. Elles ont des méthodes d'authentification à deux facteurs et elles sont plus responsables que, par exemple, les Equifax de ce monde, les autres entreprises qui collectent des données, les courtiers en données et certainement plus responsables que des sociétés comme Alphabet, Google, Facebook, etc.
Quelles lignes directrices suggériez-vous au gouvernement s'il souhaitait mettre en place un gouvernement numérique? À quels types d'entreprises lui recommanderiez-vous de confier à l'interne la création et la maintenance pour se porter garantes de la sécurité?
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Monsieur le président, après ma série de questions, vous pourrez décider si ma présence est à la hauteur, mais je vous remercie de toute manière.
Merci à nos témoins d'être ici.
Il y a beaucoup de choses que j'aimerais approfondir, mais notre temps est limité, alors je vais essayer d'être clair et bref, et de me contenter de suivre le cours des événements qui ont marqué, disons, l'ingérence ou la tentative de corruption — ou la corruption réussie — relativement aux élections américaines et au vote sur le Brexit.
Monsieur Kint, dans votre intervention, vous avez parlé de responsabilité. Est-ce que la chaîne commence par l'accès, illégal ou non, aux bases de données que les partis détiennent sur les citoyens? Les partis recueillent une énorme quantité de renseignements sur les électeurs, sur les intentions de vote et sur les lieux de vote, et sans doute aussi sur le revenu et les préférences des électeurs. Or, une fois qu'ils ont été piratés — à cause de lacunes sur le plan de la sécurité —, ces renseignements ont pu être utilisés à mauvais escient par les médias sociaux. Dans votre dernière intervention, vous avez évoqué la responsabilité de Facebook.
Pour cette entreprise, il s'agit d'un événement qui met sa survie en péril. La confiance est importante pour toute entreprise, en particulier pour les médias sociaux. Quelle a été la réaction depuis que ce scénario a été prouvé, c'est-à-dire le piratage du Comité national démocrate et des républicains, les mensonges ciblés qui ont ensuite été diffusés lors de cette élection et le fait que Facebook n'ait pas de compte à rendre à ses utilisateurs concernant la sécurité de leurs données?
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Merci, monsieur le président.
Avec ces mastodontes — Facebook et Google — deux choses se sont produites. Vous en avez mentionné une, monsieur Kint, et c'est le profit. Ces sociétés font des profits phénoménaux, mais elles engrangent ces recettes en se servant d'oeuvres dont elles n'ont pas les droits. Elles vont chercher un clip qu'elles savent que je vais aimer et elles me le montrent. Elles mettront une annonce à côté et garderont l'argent; le musicien n'aura rien. Elles pourraient aussi utiliser une superbe photo qu'aurait prise un photographe, photo qui, autrefois, aurait pu être vendue à des journaux ou à d'autres. Elles la prendront et la numériseront, et quelqu'un la cherchera. Ces entreprises s'en emparent et elles en tirent un profit.
Elles font cela aux journalistes, aux écrivains, aux musiciens, aux artistes de toutes les sortes... Je ne cherche pas le contenu qu'aurait produit Google. Je ne suis pas intéressé. Facebook ne produit aucun contenu.
Je veux d'abord et avant tout parler de l'argent, du but lucratif. Ces sociétés ont été protégées par ce que l'on appelle la « sphère de sécurité », ce qui signifie qu'elles peuvent dire: « Hé, vous vouliez voir ça? Je viens de vous le montrer. Je n'ai rien à me reprocher ici. » Or, ici au Canada, bon nombre de nos médias souffrent énormément. Ils ont aussi perdu tous leurs revenus publicitaires. Cela ne veut pas dire que les gens ne lisent pas leurs articles. Ils les lisent, mais ils les lisent au moyen d'un agrégat Google ou de quelque chose du genre et, encore une fois, c'est Google qui récolte les profits.
Avez-vous une idée de ce que le Canada peut faire pour régler ce problème? Et si ce n'est pas possible pour le Canada d'agir seul, devrions-nous collaborer avec nos alliés afin de faire cesser cette pratique consistant à profiter du travail de tous ces gens? C'est cette dynamique qui a créé ce pouvoir phénoménal.
J'aimerais revenir sur les services numériques, et je poserai mes questions en français.
[Français]
Lorsque j'achète une marchandise dans un magasin, je ne suis pas obligé de donner mon adresse courriel ou une autre information, même si cela confond énormément la personne à la caisse, qui se demande quoi faire sur sa machine. Je suis capable d'acheter quelque chose sans donner de l'information personnelle. Je ne devrais pas avoir à donner de l'information pour acheter de l'équipement sportif.
En revanche, sauf erreur, lorsque je fais affaire avec le gouvernement, je suis obligé de donner de l'information personnelle. On me donnera un numéro d'assurance sociale si je peux donner au moins mon nom et quelques références. C'est la même chose pour mon permis de conduire. À défaut de fournir des références, je ne peux pas obtenir de permis de conduire ni de numéro d'assurance sociale. Par conséquent, je ne peux pas trouver un travail légitime parce que l'employeur a besoin de mon numéro d'assurance sociale. Je suis obligé de donner de l'information personnelle au gouvernement.
Dans un désir d'offrir un service optimal et plus performant, le gouvernement ne peut faire autrement que de se tourner vers le numérique et le Web. Il doit concevoir des techniques, des moyens et des outils pour offrir un service plus performant. Je suis de l'école de pensée qu'il n'existe aucun système qui soit à 100 % sécuritaire, ne serait-ce qu'en raison du facteur humain ou de la possibilité d'un coup monté de l'intérieur, qui sont les pires menaces qu'on ne peut pas contrôler. Le gouvernement est donc condamné à concevoir un service qui sera vulnérable.
Jusqu'où peut-il aller? Jusqu'où doit-il aller? Doit-il considérer malgré tout qu'il est dans l'obligation d'offrir des services numériques?