:
Je vous remercie de votre invitation. Je suis heureuse de comparaître devant votre comité et de vous expliquer en détail le plan du gouvernement pour protéger les élections de 2019.
Je suis ravie d'être accompagnée de mes adjoints, qui aborderont les aspects techniques de ce plan, c'est-à-dire, pour répéter les présentations, M. Allen Sutherland, secrétaire adjoint du Cabinet, Appareil gouvernemental et Institutions démocratiques; M. Daniel Rogers, chef adjoint, SIGINT, au Centre de la sécurité des télécommunications; M. André Boucher, sous-ministre adjoint des Opérations au Centre canadien pour la cybersécurité; Mme Ayesha Malette, conseillère principale au Secrétariat des institutions démocratiques du Bureau du Conseil privé.
[Français]
Avant de commencer, je voudrais exprimer ma gratitude aux membres du Comité pour leur contribution, au cours de la dernière année, à l'étude sur la désinformation. Les témoins et les membres du Comité ont fourni de l'information et des points de vue qui se révéleront précieux à mesure que nous poursuivons nos efforts pour protéger les élections de 2019.
Les élections offrent aux Canadiens l'occasion de se faire entendre. Elles leur permettent d'exprimer leurs préoccupations et leurs opinions dans le cadre d'un des droits les plus fondamentaux qui soient: le droit de vote. Cependant, cette élection fera l'objet d'un examen minutieux sans précédent.
[Traduction]
Comme nous l'avons vu ces dernières années, les démocraties du monde entier sont entrées dans une ère nouvelle. Une ère de menaces accrues et de vigilance renforcée. L'année 2019 verra un certain nombre de pays se préparer à contrer toute une gamme de tentatives de perturbation: l'Inde, l'Australie, l'Ukraine, la Suisse, la Belgique, l'Union européenne et, bien sûr, le Canada. Les faits ont confirmé que les élections générales les plus récentes dans notre pays, en 2015, n'ont été entravées par aucune ingérence, malgré des tentatives assez frustes, visant à perturber, à désinformer et à diviser. Ces tentatives peu nombreuses, probablement non coordonnées n'ont eu aucune incidence visible sur l'électeur, que ce soit en ligne ou dans isoloir.
[Français]
La prochaine élection pourrait être bien différente. Nous avons constaté que les outils servant à renforcer la participation citoyenne étaient employés pour miner, perturber et déstabiliser la démocratie.
Nous nous attendons à ce que certains groupes dits « hacktivistes » utilisent leurs cybercapacités pour tenter d'influencer notre processus démocratique.
Nous pourrions également devoir faire face à des tentatives coordonnées d'ingérence de la part d'acteurs étatiques étrangers, comme cela s'est produit dans d'autres démocraties au cours des dernières années. Il peut s'agir de tentatives visant à influencer les candidats ou à abuser les médias sociaux pour diffuser de l'information fausse ou trompeuse.
[Traduction]
Ces dernières années, nous avons vu des acteurs étrangers chercher à compromettre les sociétés et les institutions démocratiques, les processus électoraux, la souveraineté et la sécurité. Nous devons nous préparer à la menace stratégique grave que posent leurs tactiques malveillantes, multiformes et en constante évolution. Voilà pourquoi, en 2017, j'ai demandé au Centre de la sécurité des télécommunications du Canada d'analyser les risques que les cybermenaces représentent actuellement ainsi que les risques de piratage des processus démocratiques du Canada et de rendre publique son évaluation. Le rapport intitulé Cybermenaces contre le processus démocratique du Canada est la première évaluation publique des menaces de ce genre à être publié dans le monde. Il explique de quelle façon certains aspects clés du processus démocratique, comme les élections, les partis politiques, les politiciens et les médias, sont vulnérables aux cybermenaces et aux tentatives d'influence.
[Français]
Cette évaluation, la surveillance continue des services canadiens du renseignement ainsi que les expériences de nos alliés et des pays aux vues similaires dans le monde entier ont éclairé et guidé nos démarches au cours de la dernière année. Elles ont mené à l'établissement d'un plan d'action fondé sur quatre piliers.
Nous reconnaissons que la protection des institutions démocratiques du Canada exige l'adoption d'une approche qui touche tous les échelons de la société. Par conséquent, en plus de renforcer et de protéger l'infrastructure, les systèmes et les pratiques du gouvernement, nous veillons étroitement à préparer les Canadiens et à collaborer avec les plateformes numériques qui ont un rôle important à jouer pour favoriser un débat et un dialogue démocratiques positifs.
[Traduction]
Les quatre piliers de notre plan sont d'améliorer la préparation des citoyens; de renforcer la préparation organisationnelle; de lutter contre l'ingérence étrangère; d'encourager l'intervention des plateformes de médias sociaux.
Je voudrais prendre quelques minutes pour souligner certaines des initiatives les plus importantes de notre plan.
Relativement au premier pilier, améliorer la préparation des citoyens, nous avons annoncé l'Initiative de citoyenneté numérique. Notre engagement comprend un investissement de 7 millions de dollars pour améliorer la résilience des Canadiens face à la désinformation en ligne. Nous tirerons parti de l'expertise des organisations de la société civile qui travaillent directement dans les collectivités sur cette question.
Nous augmentons la portée et l'orientation de la campagne nationale de sensibilisation du public « Pensez cybersécurité » afin de sensibiliser les Canadiens à la cybersécurité et aux mesures simples qu'ils peuvent prendre pour se protéger en ligne.
Nous avons établi le Protocole public en cas d'incident électoral majeur. Il s'agit d'une procédure simple, claire et impartiale pour informer les Canadiens si un incident grave venait à menacer l'intégrité des élections générales de 2019.
Le protocole est appliqué par un comité constitué de cinq hauts fonctionnaires dont les décisions, prises conjointement, reposent sur le consensus.
[Français]
Il est important de souligner que c'est la raison pour laquelle un groupe de cinq hauts fonctionnaires a été constitué. Ce ne sera pas une seule personne qui décidera de ce que les Canadiens devraient savoir.
Le protocole ne sera mis en œuvre que pour répondre aux incidents qui surviennent pendant la période électorale et qui ne relèvent pas des responsabilités d'Élections Canada.
Le seuil d'intervention du groupe chargé d'informer la population sera très élevé et se limitera à exposer des circonstances exceptionnelles qui pourraient entraver notre capacité de tenir des élections libres et justes. À ce titre, le seuil d'intervention doit dépasser la rhétorique négative habituelle qui est parfois associée aux campagnes politiques.
Je suis reconnaissante du fait que, lors des consultations menées auprès des partis politiques sur l'élaboration de ce protocole, la partisanerie a été mise de côté dans un souci de justice. L'intégration des commentaires de tous les partis a permis l'élaboration d'un processus équitable envers lequel les Canadiens peuvent avoir confiance.
[Traduction]
Grâce au deuxième pilier, renforcer la préparation organisationnelle, nos organismes nationaux de la sécurité et du renseignement préparent Élections Canada, au moyen de conseils et de directives, à toute ingérence possible dans l'administration des élections. Le Centre de la sécurité des télécommunications offre également aux partis politiques des conseils et des directives techniques en matière de cybersécurité.
Les organismes de sécurité offriront des séances d'information sur les menaces aux principaux dirigeants des partis politiques afin de mieux les sensibiliser et de les aider à renforcer leurs pratiques et comportements en matière de sécurité interne.
[Français]
Dans le cadre du troisième pilier, qui est de lutter contre l'ingérence étrangère, le gouvernement a mis sur pied le Groupe de travail sur les menaces en matière de sécurité et de renseignements visant les élections, ou MSRE, afin de mieux faire connaître les menaces étrangères et d'appuyer l'évaluation et l'intervention. Cette équipe réunit le Centre de la sécurité des télécommunications, ou CST, le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, la Gendarmerie royale du Canada, ou GRC, ainsi qu'Affaires mondiales Canada afin de bien comprendre les menaces qui pèsent sur le Canada et d'y réagir.
Permettez-moi de prendre quelques instants pour expliquer en quoi le Protocole public en cas d'incident électoral majeur et le Groupe de travail sur les MSRE sont des composantes distinctes mais connexes de notre approche.
Le Groupe de travail veille à ce que le travail des organismes chargés de la sécurité nationale du Canada se fasse de façon coordonnée et conforme aux mandats respectifs que la loi confère à chacun de ces organismes. Ces derniers ont leurs propres pratiques pour informer leurs structures organisationnelles internes, y compris leurs dirigeants, dans le cadre de leurs pratiques opérationnelles régulières. Le Protocole ne changera rien à cette situation.
[Traduction]
Le protocole ajoutera un mécanisme pour l'échange de l'information utile avec le comité de hauts fonctionnaires qui déterminera si l'incident dépasse le seuil d'intervention en gênant la tenue d'élections libres et justes au Canada.
Lorsque les dirigeants des organismes de sécurité nationale estiment qu'un incident ou des incidents pourraient menacer l'intégrité des prochaines élections fédérales du Canada, ils se concerteront avec le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement pour informer en conséquence le comité de hauts fonctionnaires, pendant une séance ordinaire ou spéciale d'information, selon les besoins.
Nous avons activé le mécanisme d'intervention rapide du G7, annoncé lors du sommet des dirigeants du G7 de Charlevoix, afin de renforcer la coordination entre nos alliés du G7 et d'assurer une collaboration et une coordination internationales au moment de faire face aux menaces à la démocratie venant de l'étranger.
Le quatrième pilier concerne les plateformes de médias sociaux.
Je n'ai pas besoin d'annoncer à votre comité que le visage des médias de masse est passé de l'ère de Gutenberg à celle de Zuckerberg en une génération. On ne saurait trop insister sur les répercussions qu'a eues cette transformation sur la société.
Il incombe aux médias sociaux et aux plateformes en ligne, qui sont les nouveaux arbitres de l'information, de gérer leurs utilisateurs. Nous savons aussi qu'on les a manipulés pour diffuser de la désinformation, créer la confusion et exploiter les tensions sociales. Les plateformes ont reconnu le risque que présente la fausse information et la désinformation. J'ai rencontré leurs représentants afin de m'assurer que ces entreprises interviendront pour favoriser la transparence et l'authenticité de leurs plateformes.
Les entreprises de médias sociaux ont réagi aux incidents de 2016 en améliorant leurs plateformes. Pour commencer, notre gouvernement s'attend à ce que ces améliorations soient mises à la disposition des utilisateurs au Canada, comme elles l'ont été aux États-Unis et en Europe.
[Français]
Ce plan global est également soutenu par de récents efforts législatifs. Le projet de loi , qui a reçu la sanction royale le 13 décembre 2018, prévoit des mesures importantes pour contrer l'ingérence étrangère et les menaces posées par les nouvelles technologies.
[Traduction]
Des dispositions de ce projet de loi interdisent notamment aux entités étrangères toute dépense visant à influer sur l'électorat, alors qu'auparavant, elles pouvaient dépenser jusqu'à 500 $ de façon non réglementée; aux vendeurs d'espaces publicitaires d'accepter sciemment des publicités électorales provenant d'entités étrangères;
[Français]
ajouter une interdiction en lien avec l'« utilisation non autorisée d'un ordinateur » dans le but d'empêcher, d'interrompre ou de gêner l'emploi légitime de données informatiques en période électorale; et obliger les plateformes en ligne à divulguer l'identité des annonceurs en mettant à jour un registre accessible au public des annonces politiques publiées sur la plateforme pendant la période préélectorale et électorale.
[Traduction]
À remarquer que le Canada dispose d'un organisme solide et très respecté d'administration des élections: Élections Canada. Conjugué aux efforts législatifs, politiques et programmatiques que je viens de décrire, je crois que le Canada est dans la meilleure position possible pour contrer les ingérences dans nos processus démocratiques.
Bien qu'il soit impossible de prédire avec précision quels types de menaces, s'il y en a, nous verrons à l'approche des élections générales au Canada, je tiens à vous assurer que le Canada s'est doté d'un plan solide. Nous continuons de tester et d'évaluer notre état de préparation et nous continuerons de prendre toutes les mesures qui s'imposent pour assurer la tenue d'élections sûres, libres et justes en 2019.
[Français]
Je vous remercie,
[Traduction]
et je suis maintenant prête à répondre à vos questions.
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Je veux également dire que j'ai vraiment aimé votre discours hier à l'événement relatif à l'IA. C'était très informel. Je crois que vous devriez davantage opter pour ce format, même quand vous comparaissez devant des comités. Vous le faites si bien. Je voulais vous complimenter à ce sujet.
Vous avez beaucoup parlé des vulnérabilités. C'était un thème majeur pour vous. Bien entendu, au sein de l'opposition, nous prenons très au sérieux notre responsabilité de demander des comptes au gouvernement concernant la protection des élections. Je dirais qu'à presque chaque étape, nous avons l'impression que le gouvernement échoue et ne va pas assez loin dans les mesures qu'il devrait prendre pour protéger les élections.
Je donnerais des exemples tirés du projet de loi .
Le registre des plateformes sociales, qui représente les renseignements les plus essentiels à mon point de vue, n'est peut-être pas allé assez loin concernant la protection des Canadiens et la diffusion de renseignements, ainsi que la gestion des données.
Mon collègue a mentionné l'aspect de l'ingérence étrangère. C'est une chose que j'ai déjà dite plusieurs fois. Nous, de l'opposition, avons présenté plus de 200 amendements. Un grand nombre de ces amendements ont été rejetés. Comme je l'ai dit précédemment, je pense très fermement que ce que nous avons pour l'ingérence étrangère, avec le projet de loi , c'est une tape sur les doigts. C'est comme dire: « Ce n'est pas beau. Vous ne devriez pas faire cela. » Il aurait plutôt fallu inclure dans la loi des mécanismes précis, comme des comptes bancaires distincts, ce qui rendrait impossible l'ingérence étrangère sur le plan financier.
Concernant plus particulièrement ce que mon collègue, l'honorable Peter Kent, a mentionné, il y a le financement en dehors des périodes électorales et préélectorales, soit la période ouverte en fait. Comme nous en sommes venus à le constater, cela affecte d'autres aspects de notre démocratie, dont l'immigration et l'approbation des oléoducs, dossier que j'ai particulièrement à coeur en tant qu'Albertaine.
Ce n'est que le début. Je ne vais certainement pas entrer dans les détails de nos points de vue concernant les vulnérabilités créées par le vote des non-résidents, les cartes d'électeur et les modifications apportées aux dispositions visant le recours à un répondant dans le projet de loi . Vous avez dit que c'était très important pour vous-même et pour le gouvernement. Cependant, on ne prend pas les mesures qui seraient absolument nécessaires afin de faire vraiment tout ce qui est possible pour protéger ces processus électoraux. Cela a été abordé hier. Mon collègue, M. Saini, a mentionné cela brièvement dans ses questions tout à l'heure. Cela a été mentionné par un ancien membre du gouvernement libéral et du cabinet libéral, une personne que je respecte beaucoup et qui est un ancien collègue des Affaires étrangères, Allan Rock. Il était question, encore une fois, de la gestion des plateformes de médias sociaux.
Bien entendu, nous recherchons toujours un équilibre dans la société. Comme je l'ai indiqué dans mon témoignage devant le comité PROC, la semaine dernière, nous devons faire confiance à ces sociétés, dont l'objectif est de maximiser la valeur des actions, pour qu'elles assument la responsabilité de s'autoréglementer. Cela suscite naturellement des questions, entre autres concernant la liberté d'expression et ainsi de suite. Il mentionnait une préoccupation au sujet de laquelle il faudrait peut-être faire plus que de l'encouragement. Je suis aussi préoccupée par votre réponse ou par ce qui semble être votre réponse. Je vais vous donner la chance d'en parler. Vous semblez vouloir confier au comité PROC la réalisation d'une étude qui couvrirait vos arrières: si vous décidez d'opter pour des mesures législatives, vous pourrez dire que le comité a réalisé une étude et que c'est ce qu'il vous a dit.
Je vous demande si vous êtes prête, en ce qui concerne les plateformes de médias sociaux, à prendre des décisions difficiles et à adopter des mesures rigoureuses, et ce, maintenant et non dans six mois.
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Merci, monsieur le président.
L'un des aspects dont on n'a pas encore discuté, c'est l'après-attaque. Je m'explique.
Disons que, un jour, nous sommes envahis par une quantité industrielle de messages haineux, que nous réagissons de façon efficace et que, le lendemain, nous défaisons ces messages haineux en apportant une correction ou en affichant une publicité positive, peu importe la stratégie. Il reste que le dommage est fait. Nous sommes dans un environnement de liberté d'expression où certaines choses sont un peu moins tangibles. Bref, le dommage est social, d'une certaine façon.
Il existe un problème en ce qui concerne les attaques de systèmes par des pirates informatiques, au cours desquelles il est possible de s'attaquer aux algorithmes, aux codes et aux systèmes de gestion. Même si l'attaque a eu lieu et que, selon le meilleur scénario possible, vous l'avez détectée et vous y avez réagi au cours de la journée même, il reste que les données du système sont dès lors compromises. La nature compromise des données est-elle réparable?
Dans le cas contraire, si on constate que, à la suite d'une attaque des données ou des algorithmes, notre système est compromis, cela enlève toute légitimité à l'élection en cours. Cela entraînerait une perte de légitimité du processus électoral, dans la situation actuelle de celui de l'élection prochaine, au mois d'octobre.
La nature compromise des données et des systèmes à la suite d'une attaque est-elle maintenue, ou est-on capable de garantir que, après la prise de mesures pour corriger le tir, on peut à nouveau faire confiance aux données ou aux systèmes? Autrement, il serait impossible de reconnaître l'élection de façon légale et légitime.