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Bonjour, monsieur le président et membres du Comité.
Je vous remercie de m'offrir l'occasion de comparaître devant vous pour discuter du Budget principal des dépenses de 2019-2020.
Je suis accompagné de M. Brent Homan, sous-commissaire au Secteur de la conformité, de M. Gregory Smolynec, sous-commissaire au Secteur des politiques et de la promotion, et de M. Daniel Nadeau, sous-commissaire au Secteur de la gestion intégrée.
Au cours de la période de temps qui m'est allouée, je discuterai de certains de nos plans pour l'année à venir et de la manière dont nous comptons utiliser les nouveaux fonds annoncés dans le plus récent budget fédéral en reconnaissance des exigences croissantes imposées au Commissariat.
Nos ressources annuelles ont été d'environ 24 millions de dollars au cours des dernières années. Nous espérons avoir votre appui pour maintenir ce financement.
Nous prévoyons utiliser les ressources supplémentaires pour améliorer notre capacité à respecter les obligations qui nous incombent en ce qui a trait à la croissance exponentielle et à la complexité de l'économie numérique. Les enjeux liés à la protection de la vie privée se multiplient rapidement et la vie privée des Canadiens est souvent menacée. Il est donc difficile de suivre le rythme de ces changements et de protéger les Canadiens comme ils le méritent.
Nous avons besoin de financement pour assurer l'intégrité de nos programmes afin de renforcer notre capacité à protéger le droit des personnes à la vie privée et d'obtenir des résultats concrets pour les Canadiens.
Évidemment, nous accueillons favorablement l'annonce récente dans le budget fédéral de ressources supplémentaires pour le Commissariat. Il s'agit d'une étape positive qui nous permettrait de faire des pas importants vers la mise en oeuvre de notre vision proactive de la protection de la vie privée. J'emploie ici le conditionnel parce que, même si le budget fédéral prévoit des sommes pour le Commissariat, nous n'aurons accès à ces fonds qu'une fois que le Conseil du Trésor aura donné son approbation.
Une partie des fonds prévus dans le budget fédéral est temporaire et vise à nous aider à traiter un arriéré de plaintes. Bien que nous ayons pris des mesures telles qu'un recours accru à un processus de règlement rapide et la refonte de nos processus d'enquête, nous avons néanmoins du mal à répondre aux plaintes en temps opportun.
Nous avons actuellement un arriéré de plus de 300 plaintes déposées il y a plus d'un an. Les nouveaux fonds nous permettraient de réduire l'arriéré à environ 10 % de ce volume d'ici 2021. Nous serions également beaucoup mieux placés pour atteindre nos objectifs en matière de normes de service dans 75 % des cas.
En fin de compte, nous pensons que la meilleure solution dans le domaine des enquêtes consiste à moderniser la loi, en partie pour donner au Commissariat un plus grand pouvoir pour gérer sa charge de travail selon le risque. Nous avons besoin de pouvoir concentrer nos efforts sur les cas qui ont les répercussions les plus importantes sur les Canadiens.
Le nouveau financement vise également à traiter les déclarations des atteintes à la vie privée. Depuis l'entrée en vigueur, en novembre 2018, de l'obligation de déclarer les atteintes à la vie privée, le nombre de déclarations reçues par le Commissariat a plus que quintuplé par rapport à ce qu'il était lorsque la déclaration était volontaire. À l'heure actuelle, nous ne pouvons répondre que superficiellement à la grande majorité des déclarations d'atteinte à la vie privée dans le secteur privé.
De nouvelles ressources permettraient au Commissariat d'examiner de manière plus approfondie 40 % des déclarations d'atteintes à la vie privée dans le secteur privé et 15 % des déclarations dans le secteur public.
[Traduction]
Une troisième activité pour laquelle le budget fédéral prévoit des fonds supplémentaires consiste à informer la population et à offrir des orientations. Le nombre de questions liées à la vie privée à l'égard desquelles les parlementaires, les entreprises et les particuliers nous demandent des conseils ou des orientations se multiplie rapidement.
Au cours des cinq dernières années, le nombre de demandes de conseils au Parlement a augmenté considérablement, et on s'attend à ce que cette tendance se poursuive. Comparativement à il y a cinq ans, le nombre d'appels venant des divers comités parlementaires a augmenté de 41 %, et en 2017-2018 seulement, c'est à 34 reprises que le Commissariat a comparu devant le Parlement ou lui a présenté un mémoire. La protection de la vie privée devient manifestement une question très importante pour les parlementaires.
Au cours de l'année à venir, nous continuerons de répondre aux demandes des parlementaires concernant les répercussions des projets de loi et des études sur la vie privée, et nous chercherons à contribuer à l'adoption de lois améliorant la protection de la vie privée
De nouvelles ressources contribueraient également à accroître notre capacité à informer les Canadiens des questions de protection de la vie privée liées aux nouvelles technologies, de leurs droits et de la manière de les exercer. De plus, nous serions en meilleure posture pour guider les organisations sur la manière de respecter leurs obligations en matière de protection de la vie privée.
Avec la capacité actuelle, nous ne pouvons produire que trois nouveaux documents d'orientation par année. À la suite des consultations sur le consentement que nous avons menées il y a quelques années, nous avons élaboré un plan ambitieux visant la publication de conseils sur un large éventail de questions importantes — des conseils demandés par des intervenants. Les orientations qui seront élaborées au cours des prochaines années comprennent des questions importantes telles que la biométrie, l'Internet des objets, les médias sociaux et l'anonymisation, entre autres.
De plus, les conseils et les orientations existants doivent également être mis à jour afin que le site Web du Commissariat demeure une source fiable et exhaustive tant pour les entreprises que pour les personnes. Notre site Web contient plus de 150 documents d'orientation, dont environ 40 % datent de plus de cinq ans.
Un autre domaine important dans lequel le Commissariat fournit des conseils comprend nos services consultatifs à la fois pour l'industrie et le gouvernement. Les nouveaux fonds contribueraient à améliorer notre capacité de collaborer de façon proactive avec les partenaires de l'industrie afin de mieux comprendre, dès l'étape de la conception, les conséquences de leurs services sur la protection de la vie privée, de les conseiller à cet égard et de contribuer à en atténuer les conséquences.
Enfin, j'ajouterais que la publication de nouvelles orientations doit s'accompagner d'efforts de communication et de sensibilisation soutenus et efficaces pour avoir une incidence importante sur la sensibilisation aux droits et aux obligations et leur compréhension. Nous aimerions donc accroître notre capacité à mener davantage d'activités d'éducation et de sensibilisation du public afin d'avoir une plus grande incidence sur la sensibilisation au droit à la vie privée et aux obligations et leur compréhension.
Bien sûr, comme vous m'avez entendu le dire avant, nos lois fédérales sur la protection de la vie privée nécessitent des réformes très urgentes. Comme l'illustre très clairement notre récente enquête sur Facebook, nous avons atteint un moment décisif où le droit à la vie privée et les valeurs démocratiques sont menacés.
J'ai hâte de discuter de ces questions avec vous dans environ une heure.
En conclusion, suivre le rythme de l'évolution rapide de la technologie constituera un défi permanent pour le Commissariat. Nous continuerons d'utiliser de manière optimale les ressources qui nous sont confiées pour remplir notre mandat de mieux protéger le droit à la vie privée des Canadiens. Les fonds supplémentaires annoncés récemment constituent une mesure provisoire importante et une étape positive dans la réalisation de nos objectifs, alors que nous attendons une modernisation législative qui fait cruellement défaut.
Merci, monsieur le président. Mes collègues et moi sommes impatients de répondre à vos questions.
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J'ai adopté une approche progressive.
La première étape consiste à modifier la loi afin que nous ayons les bons outils juridiques pour la faire respecter par les entreprises. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais j'espère certainement que c'est ce que nous verrons d'ici quelques années. Lorsque nous serons rendus là, il faudra alors discuter des ressources nécessaires pour faire fonctionner le système.
Grâce aux sommes prévues pour nous dans le budget fédéral, je pense qu'il y a.... J'en ai demandé plus, mais nous avons reçu un montant non négligeable pour nous rapprocher de cette nouvelle loi, qui sera adoptée, je l'espère, d'ici quelques années. Je suis plutôt optimiste.
Avons-nous les outils et les ressources qu'il nous faut? Non, et des choix doivent être faits. Vous avez raison de le souligner — et la situation est la même pour les autres organismes de réglementation —, car compte tenu des innombrables changements technologiques et de l'économie numérique, nous avons beaucoup de problèmes et d'entreprises à surveiller et à examiner, et nous devons faire des choix. Nous ne pouvons pas régler tous les problèmes — même les graves —, mais les ressources qui nous sont accordées dans le budget changeront certainement beaucoup les choses. Nous devons discuter de la forme que devrait prendre la nouvelle loi, et nous pourrons ensuite parler des ressources nécessaires.
À titre comparatif, je dirais que les nouveaux fonds permettront à notre organisme d'avoir la taille de grandes autorités de protection des données européennes, tout en demeurant beaucoup plus petit que le commissariat à l'information du Royaume-Uni. Des discussions seront nécessaires pour déterminer la taille qui convient.
Vous avez ma déclaration au sujet de Facebook. Je vais m'en servir librement.
[Français]
Pour ce qui est des conclusions de notre enquête, nous avons constaté que Facebook enfreint le droit à la protection des renseignements personnels à différents titres, dont celui des règles quant au consentement.
Nous avons étudié deux types d'usagers de Facebook. Le premier était formé de ceux qui installaient des applications tierces. En ce qui les concerne, Facebook se fiait aux politiques relatives à la vie privée des développeurs d'applications pour ce qui est de faire en sorte que la vie privée des utilisateurs soit respectée. Cependant, quand nous avons gratté un peu pour vérifier si ces politiques avaient de la substance, nous avons constaté que Facebook ne vérifiait pas, en fait, si les politiques des développeurs d'applications protégeaient correctement la vie privée. C'est un des exemples de non-responsabilité que nous avons constatés à propos de Facebook.
Facebook a des obligations directes imposées dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE. Lorsque cette compagnie divulgue des renseignements à une application tierce, il est inacceptable que Facebook se fie aux politiques de vie privée de l'autre compagnie pour respecter ses propres obligations, qui sont indépendantes. Il y a donc violation de la vie privée dans ce cas.
L'autre type d'usagers comprend les amis des usagers de Facebook qui installaient des applications tierces. Lorsque les gens s'enregistraient sur Facebook, ils donnaient leur consentement, selon Facebook, à la divulgation de leurs propres renseignements lorsque leurs amis installaient des applications tierces. L'enregistrement pouvait avoir lieu des années avant le fait que leurs amis installent des applications tierces. L'ami de l'usager était donc censé, selon Facebook, donner un consentement à quelque chose d'inconnu qui aurait lieu des années plus tard et à des fins inconnues. C'est le contraire d'un consentement éclairé. Une de nos conclusions était donc que le consentement éclairé n'était pas obtenu.
Au bout du compte, notre conclusion principale est que Facebook a manqué à l'un des principes de la LPRPDE, selon lequel les compagnies qui recueillent et utilisent des renseignements personnels sont responsables de la gestion des renseignements personnels. Selon nous, c'est la faute principale de Facebook que d'avoir fait dévier ses responsabilités vers, soit les usagers, soit les développeurs d'applications tierces avec qui Facebook faisait affaire.
Facebook a même contesté nos conclusions. Entre autres, de façon fondamentale, elle a contesté notre conclusion selon laquelle, lorsqu'un usager fait appel à une application tierce, il y a une divulgation de la part de Facebook vers l'application tierce. Selon Facebook, l'acheminement de renseignements de la compagnie Facebook aux applications tierces n'était pas une divulgation de sa part. Il se serait plutôt agi de rendre disponibles des renseignements à la demande de leurs usagers.
Encore une fois, on voit que Facebook se décharge de ses responsabilités. Elle dit que c'est aux autres de faire attention, alors que, selon nous, Facebook a une responsabilité juridique de veiller à ce que, lorsqu'il y a une divulgation de renseignements, la divulgation se fasse avec un consentement éclairé.
Parmi les questions que nous allons présenter à la Cour fédérale, on retrouve cette question fondamentale: le fait que Facebook fasse appel à des applications tierces et qu'elle achemine des renseignements vers ces applications tierces constitue-t-il une divulgation au sens de la Loi? Facebook dit que non. Selon nous, il est assez clair que la réponse à cette question est oui.
Une autre chose sur laquelle j'insisterais, c'est la différence qui existe entre les déclarations de Facebook selon lesquelles la compagnie désire adopter une position qui est favorable à la protection de la vie privée, d'une part, et son désir avoué, d'autre part, de travailler avec les gouvernements et les agences de réglementation pour mieux protéger la vie privée de ses usagers. Tout cela est bon, mais dans les faits, nous avons vu exactement le contraire. Facebook disait vouloir travailler pour favoriser le respect de la vie privée des usagers avec les agences de réglementation, et ainsi de suite. Cependant, nous avions des conclusions à lui présenter et des recommandations afin que la compagnie se conforme à la Loi fédérale. En fin de compte, le résultat des discussions tenues avec Facebook, qui ont duré quelques semaines, a été le rejet de nos conclusions juridiques et le rejet des recommandations que nous voulions lui proposer.
Cela est tout à fait le contraire de la position que Facebook met en avant, soit qu'elle veut travailler pour assurer la protection de la vie privée avec les agences de réglementation.
[Traduction]
Très brièvement, nous estimons que Facebook a enfreint les dispositions de la LPRPDE visant le consentement. Nous croyons que la principale infraction est liée au manque de responsabilisation. Selon le premier principe de la LPRPDE, les sociétés sont responsables de la façon dont elles traitent les renseignements personnels des personnes desquelles elles obtiennent de l'information. Ils ne se sont pas conformés à cette obligation fondamentale. Au bout du compte, ils ont refusé nos conclusions — les points un et deux — et nos recommandations. Je crois qu'il est inacceptable que la loi soit telle que nous nous retrouvions dans cette situation.
Une société ne devrait pas être en mesure de dire à un organisme de réglementation, après que cet organisme se soit penché très sérieusement sur ses pratiques: « Merci beaucoup, mais nous ne sommes pas d'accord. Nous n'estimons pas diffuser de l'information à des applications tierces. Nous pensons qu'ils rendent cette information disponible à la demande de nos utilisateurs et par conséquent, nous, de Facebook, croyons que vous appliquez incorrectement la LPRPDE. »
Il est tout à fait inacceptable que je me retrouve dans cette position, en tant que dirigeant d'un organisme de réglementation, et que mes décisions ne soient pas contraignantes pour cette société. C'est ce que je veux vous faire valoir. Je sais que vous vous êtes montrés d'accord avec notre bureau dans le passé quand nous avons dit qu'il nous fallait des pouvoirs d'application de la loi plus solides afin de veiller à ce que les sociétés se conforment à la loi. Je dois aujourd'hui souligner à quel point il est inacceptable que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada se trouve dans cette situation en ce moment et que nous devions aller en cour pour obtenir contre cette société une ordonnance de se conformer à la loi.
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Je dirais qu'il y a au moins deux choses importantes. L'une est de s'assurer que l'organisme de réglementation possède les pouvoirs nécessaires, ce qui engloberait les ordonnances exécutoires, les sanctions et les pouvoirs d'inspection proactive, comme j'en ai précédemment discuté avec ce comité, et je peux en dire plus à ce sujet si nous avons plus de temps.
Mais je veux passer à une autre partie de la solution, qui est d'après moi de veiller à ce que nous ayons une loi axée sur les droits. Les cas de Facebook et de Cambridge Analytica ont démontré le lien entre la protection de la vie privée et l'exercice d'autres droits fondamentaux, dans le cas qui nous intéresse, la démocratie. Cependant, il y a également un lien entre la protection de la vie privée et d'autres droits fondamentaux: l'égalité dans le contexte de l'emploi, par exemple; la liberté d'aller sur Internet pour se développer, en tant que personne, et faire des recherches sur des questions d'intérêt sans crainte d'être surveillé par des sociétés. Dans le cas de Cambridge Analytica, on a pu faire un lien très clair, mais ce n'est qu'un exemple du lien évident entre la protection de la vie privée et l'exercice des droits fondamentaux.
Je crois que cela démontre qu'en plus de donner des pouvoirs à l'organisme de réglementation, la nouvelle loi doit être établie comme étant peut-être basée sur les principes, comme la LPRPDE, mais également sur les droits, et elle doit reconnaître que la protection de la vie privée est liée à l'exercice d'autres droits fondamentaux. Nous courons tous des risques si la vie privée n'est pas protégée. En plus de la menace à notre vie privée, il y aurait une menace à d'autres droits.
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Merci, monsieur le président.
Ma question est plutôt d'ordre général et porte sur le consentement, celui des Canadiens dans ce cas-ci, qui est demandé dans des applications. Sur Facebook, une page apparaît et il est dit que, si on veut continuer, on doit lire ce qui y est écrit et appuyer sur le bouton « J'accepte » au bas de la page pour indiquer qu'on donne son consentement.
La semaine passée, un témoin nous a dit qu'on devrait réglementer cela et informer davantage les Canadiens au sujet des formulaires de consentement qui sont rédigés par Facebook ou des applications tierces. En donnant notre consentement, nous acceptons des applications qui n'existent même pas encore.
Bien souvent, les Canadiens ne lisent carrément pas les conditions. Ils sont tellement pressés d'accéder à l'application qu'ils acceptent automatiquement. Facebook se défend en alléguant que les Canadiens ont accepté et qu'elle est donc protégée.
Y a-t-il une façon de mieux informer les Canadiens? Quand ils appuient sur le bouton « J'accepte » dans une application, c'est bien un genre de contrat qu'ils concluent. Ce genre d'acceptation que demande Facebook pour se protéger de poursuites éventuelles est-il valable?
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Dans le cadre d'une enquête, nous avons examiné les politiques actuelles de Facebook. Nous avons conclu que ce consentement n'était pas valable justement parce que les usagers consentaient à quelque chose qui se produirait plusieurs années plus tard. Évidemment, ils ne peuvent pas savoir ce qui se produira des années plus tard. Même s'il y a un beau texte juridique de 50 pages ou plus, s'il n'informe pas les Canadiens de la façon dont leurs renseignements personnels seront utilisés, ce n'est pas un consentement valable.
Comme vous le savez, en janvier de cette année, nous avons publié des lignes directrices pour amener les compagnies à avoir des politiques plus claires sur la vie privée. C'est une partie de la solution, mais ce n'est pas toute la solution. C'est l'une des raisons pour lesquelles je plaide pour l'adoption d'une loi sur la protection de la vie privée allant au-delà de ces principes importants comme le consentement. Le consentement est important, mais il ne règle pas tout. Il faut une loi qui définisse la vie privée au bon niveau de généralité.
Protéger sa vie privée ne se limite pas à donner son consentement ou pas. Le consentement est un moyen. Le droit à la vie privée, c'est de pouvoir communiquer avec nos amis sur les médias sociaux sans craindre qu'une compagnie surveille continuellement nos activités. Cambridge Analytica utilisait ces renseignements pour essayer d'influer sur nos opinions politiques et notre vote. Il faut situer le droit à la vie privée au bon niveau de généralité, et cela va au-delà du mécanisme du consentement.
J'ai devant moi un projet de loi qui avait été déposé lors d'une législature antérieure. Il définissait le droit à la vie privée, entre autres, comme étant le droit d'être libre de toute surveillance.
Une nouvelle loi sur la protection des renseignements personnels, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, devrait commencer par cela. Qu'est-ce que le droit à la vie privée? Est-ce lié au fait de donner un consentement? Non, cela ne se limite pas à cela. Le droit à la vie privée est le droit au respect de son intimité physique. C'est le droit d'être libre de toute surveillance, le droit d'être à l'abri du contrôle et de l'interception de ses communications privées par l'État ou par les compagnies. C'est à ce niveau qu'il faut définir le droit. Ensuite, des procédures ou des mécanismes comme le consentement viennent appuyer le respect de la vie privée, mais la protection de la vie privée ne se limite pas au consentement.
On y parle de fausses nouvelles et de Cambridge Analytica dans les deux parties du documentaire.
De toute évidence, les questions qui sont posées aux ex-cadres de Facebook nous font comprendre qu'un syndrome de naïveté extrême était répandu dans l'ensemble de la direction, de sorte qu'il n'y avait aucune prise de conscience des conséquences, de l'incidence juridique relativement à l'utilisation de l'information qu'ils recevaient des gens.
Parallèlement à cela, l'une des manières importantes qui ont permis à Facebook de se protéger découlait de la fameuse règle américaine Safe Harbor Rule. En effet, compte tenu de cette règle, on ne peut pas reprocher à l'entreprise le type de gestes dont il est question dans la mesure où la nature de l'entreprise fait en sorte qu'elle ne peut pas se faire prendre au sens de la loi.
Est-ce que la structure ou la nature de l'activité de Facebook permet à cette dernière de profiter d'une espèce de vide juridique et, par conséquent, de ne pas se faire prendre?
Sinon, cette hypothèse n'est-elle pas applicable parce que la compagnie est définie comme telle, qu'elle a des activités qui sont aussi définies et qu'elle prétend rendre un service x?
Cela l'exclurait-il de toute poursuite?
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Pour faire suite à cette question, je me demande combien d'actions de Facebook sont peut-être attribuables à une faiblesse perçue dans notre position. Ce que je trouve très troublant dans tout cela — et je tiens ces renseignements d'un autre comité auquel je siège —, c'est que le gouvernement retire des publicités des stations de radio et des journaux locaux et place une grande partie de ses annonces publicitaires sur Facebook. Je me demande si les dirigeants au siège social trouvent ça drôle, sachant qu'ils sont en litige avec vous au sujet de la LPRPDE, mais que, parallèlement, le gouvernement leur verse de l'argent des contribuables.
J'examine ensuite vos résultats ministériels et la façon dont nous, en tant que gouvernement, prenons la protection des renseignements passablement moins au sérieux. Je regarde un reportage du National Post. Lorsqu'un journaliste du National Post a posé une question à propos de SPAC et du MDN, dans l'heure et demie qui a suivi, le président d'Irving a téléphoné et menacé d'intenter des poursuites parce que SPAC et le MDN avaient fourni des renseignements personnels pour la troisième fois. Le gouvernement a remis des renseignements personnels à une société.
Je regarde vos résultats ministériels et le pourcentage des organismes gouvernementaux qui ont les renseignements et les outils pour protéger le droit à la protection des renseignements personnels. Notre cible est que seulement 60 % des organismes gouvernementaux doivent respecter nos règles. Je me demande si les gens de Facebook se disent que si le gouvernement ne prend même pas au sérieux la protection des renseignements personnels, alors pourquoi devraient-ils le faire? Oh, et en passant, ils prendront l'argent des contribuables.
Bien franchement, je suis outré devant toute cette stupidité. Le gouvernement est au milieu d'une bataille juridique avec ces gens, mais il leur remet des chèques et, parallèlement...
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Ce n'est pas demain la veille non plus qu'il y aura un traité international, selon moi.
Si différents pays adoptent des lois semblables ou interexploitables, la multiplication de ces mesures législatives et réglementaires pourrait mener à un résultat. Ce qui est encourageant, comme vous le savez, c'est que l'Europe a déjà adopté un règlement qui fournit une bonne protection en matière de vie privée. Il est entré en vigueur il y a maintenant un an.
Je suis encouragé par le fait qu'il se tient maintenant des discussions sérieuses au Congrès américain pour adopter une loi sur la protection de la vie privée. Quand nos partenaires commerciaux d'Europe, du Sud et de plusieurs pays d'Asie vont dans le même sens, il y a lieu d'être plus optimiste, mais cela prend beaucoup de temps.
Au bout du compte, l'adoption de lois plus sévères dans différents pays, dont certains sont des partenaires commerciaux du Canada, devrait améliorer les choses.
Dans la Loi actuelle, le premier principe est nommé « accountability » en anglais et « responsabilité » en français. Selon ce que je comprends, le terme « accountability », dans un sens comptable, signifie une reddition de comptes, c'est-à-dire que la partie qui est responsable doit faire rapport à ses commettants de la façon dont elle a exercé ses responsabilités.
Dans la LPRPDE actuelle, le terme « accountability » est donc rendu en français par « responsabilité ». La responsabilité s'arrête avant la reddition de comptes. C'est déjà beaucoup, mais cela s'arrête avant. La responsabilité consiste à adopter des procédures pour mettre en œuvre les autres principes de la Loi, notamment le consentement, la transparence, l'accès, et ainsi de suite.
La compagnie ou l'organisation se décharge de son obligation d'être responsable en adoptant des procédures, mais elle n'a pas d'obligation de rendre des comptes, que ce soit aux usagers ou à l'agence de réglementation, pour démontrer que ses procédures mettent en œuvre les principes de la LPRPDE.
Une des conséquences liées à Facebook — et il y a d'autres manifestations de cela —, c'est qu'on ne peut plus s'y fier. Le principe de la responsabilité est important. Il est important que les compagnies soient responsables et que tout le fardeau de la protection de la vie privée ne repose pas sur les épaules des usagers. Il serait irréaliste de le penser. Il est important que les compagnies aient une responsabilité.
Le cas de Facebook, entre autres compagnies, démontre clairement que ce n'est pas parce que la Loi impose une responsabilité que cette obligation sera respectée, d'où la nécessité d'exiger une reddition de comptes. Il faut obliger les compagnies à démontrer qu'elles ont effectivement adopté des procédures pour mettre en œuvre les principes de la Loi, tout en donnant des pouvoirs d'inspection proactive.
Un des modèles serait que les compagnies fassent rapport à l'agence de réglementation des procédures qu'elles ont adoptées, un peu comme c'est le cas des rapports sur les atteintes à la vie privée, qui sont une obligation juridique depuis novembre.
Imaginons une loi où les compagnies doivent faire rapport à l'agence de réglementation des procédures qu'elles ont mises en place pour vraiment respecter les principes de la LPRPDE. L'agence de réglementation, ayant des ressources limitées, étudierait les rapports et constaterait qu'ici et là il semble y avoir des problèmes. Elle ferait des inspections quant à ces compagnies, trouverait peut-être des cas de violation et les sanctionnerait.
Si la responsabilité allait dans le sens d'une vraie reddition de comptes,
[Traduction]
... une vraie reddition de comptes en termes comptables...
[Français]
cela finirait par avoir une conséquence sur l'ensemble de l'industrie, parce que les compagnies ne voudraient pas courir le risque de faire l'objet d'une inspection et de sanctions.
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Merci, monsieur le président.
Je veux faire suite à vos observations sur la reddition de comptes, car j'essaie de réfléchir à une situation semblable où la reddition de comptes d'une entreprise était insuffisante. Facebook a une plateforme qui connaît beaucoup de succès. Elle est utilisée partout dans le monde. Elle génère des revenus sans précédent. Elle n'a pas de concurrence et, au cours de la dernière année, le comité parlementaire du Royaume-Uni l'a qualifiée de gangster de la sphère numérique et le commissaire à la protection de la vie privée en Nouvelle-Zélande a dit de l'entreprise qu'elle était dénuée de tout sens moral. Les Nations unies ont dénoncé Facebook pour complicité dans le génocide au Myanmar.
À mon avis, une pratique d'entreprise normale serait d'entreprendre une tournée de courtoisie, de commencer à corriger les problèmes et de rassurer les gens. Or, M. Zuckerberg a fait fi de sa comparution au Grand comité international, et maintenant, votre rapport sera rendu public sous peu.
Facebook a dit: « Merci, mais nous ne voulons pas dépenser de l'argent pour nous conformer aux règles, alors nous allons simplement prétendre que vous n'avez pas compétence sur la loi. » Vous avez qualifié sa politique de coquille vide. J'essaie de comprendre ce qui cloche vraiment avec Facebook.
Est-ce la culture de l'entreprise, et je ne vous demande pas de vous aventurer sur le sujet, ou est-ce que son modèle d'affaires de base, comme celui pour le capitalisme de surveillance, est fondé sur le non-respect des droits à la vie privée des citoyens, et que l'entreprise ne changera pas un modèle d'affaires qui a donné d'excellents résultats, même si elle viole les lois du Canada et de nombreux autres pays?