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Monsieur le président, honorables membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. Je suis accompagné de Martine Richard, notre avocate générale principale, et de Lyne Robinson-Dalpé, qui est la directrice de nos très importants services de Conseils et conformité.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous présenter quelques réflexions que je qualifierais d'initiales car, comme vous le savez, je suis en poste depuis un mois à peine. Il importe donc de noter que je formule ces observations sur les modifications à apporter à la Loi sur les conflits d'intérêts un peu moins d'un mois après mon entrée en fonction, mais tout de même en ma qualité d'observateur intéressé des régimes d'éthique depuis quelques décennies déjà.
Depuis la reprise des travaux de la Chambre la semaine dernière, certaines questions relevant de mon mandat ont semblé retenir l'attention. Il est donc d'autant plus pertinent que nous discutions aujourd'hui de la Loi sur les conflits d'intérêts et des modifications qui pourraient y être apportées. Tout comme celle qui m'a précédé à titre de commissaire, je crois que la Loi n'est pas mauvaise en soi, mais qu'elle pourrait certainement être améliorée. À mon avis, il serait bon que nous procédions à un examen détaillé de cette loi, et je vais vous expliquer pourquoi.
Nous venons tout juste de mettre à jour l'énoncé de mission du Commissariat, suivant lequel l'organisme a pour raison d'être de fournir un encadrement et des conseils, de façon indépendante et avec rigueur et cohérence, aux députés ainsi qu'aux titulaires de charge publique fédéraux. Ils sont 2 500 à avoir été nommés à de tels postes. Notre rôle consiste donc à fournir des conseils, et j'insiste sur la rigueur et la cohérence, à mener des enquêtes et, au besoin, à recourir aux sanctions appropriées en vue d'assurer le respect intégral du Code et de la Loi. Bref, nous conseillons, nous enquêtons et nous imposons des sanctions lorsque la situation l'exige pour veiller à ce que la Loi soit respectée.
Mon objectif à titre de commissaire est ambitieux. Je veux mettre en place des conditions dans lesquelles tous les titulaires de charge publique pourront se conformer pleinement et en tout temps à la Loi. Les modifications dont je vous parlerai aujourd'hui vont dans le sens de cet objectif. Je crois que les changements possibles peuvent se diviser en deux catégories. Il y a d'abord ceux qui visent à clarifier les obligations des ministres, des secrétaires parlementaires, du personnel des ministres et des personnes nommées par le gouverneur en conseil, ce qui devrait procurer une plus grande prévisibilité dans l'administration de la Loi. Ce serait donc les changements de la première catégorie. Ceux de la seconde catégorie ont pour but d'assurer une application plus rigoureuse de la Loi.
Parmi les changements de la première catégorie, il faudrait bien évidemment songer à harmoniser la Loi sur les conflits d'intérêts et le Code régissant les conflits d'intérêts des députés. Les ministres et les secrétaires parlementaires sont assujettis à la fois à la Loi et au Code. On trouve toutefois dans ces deux régimes une terminologie et des définitions qui gagneraient à être harmonisées de manière à éviter que les différences ne portent à confusion. Il est à noter que je ne propose pas d'harmoniser les obligations. La Loi est plus exigeante et il importe qu'elle le soit, vu la sphère d'influence des ministres et des secrétaires parlementaires. Par exemple, la Loi prescrit des exigences d'après-mandat et de dessaisissement, ce que le Code ne fait pas, et ce, à juste titre. Il conviendrait toutefois d'harmoniser d'autres éléments. À titre d'exemple, contrairement à la Loi, le Code précise assez clairement en quoi consiste le fait de favoriser ses intérêts personnels. De plus, le Code prévoit un examen préliminaire afin de déterminer si une enquête s'impose, une étape dont la Loi ne fait pas mention. Il n'existe pas d'explication logique pour ces différences. Ce serait la première chose à faire.
La deuxième modification possible... Il y en aurait bien d'autres, mais j'ai retenu les plus importantes d'un point de vue stratégique. Il y a bien sûr la liste de 75 modifications déposée devant votre comité par la commissaire en 2013. Je ne veux pas discuter des modifications d'ordre technique. Je veux me concentrer sur les plus importantes. Outre l'harmonisation de la Loi et du Code, il faudrait aussi clarifier l'article 17 de la Loi de manière à viser expressément les biens contrôlés et détenus indirectement aussi bien que directement.
La Loi définit deux types de biens: les biens contrôlés et les biens exclus. Les biens exclus sont ceux réservés à l'usage personnel et ceux de nature non commerciale, comme le domicile du titulaire de charge publique, ses effets personnels et tout le reste. Pour de tels biens, il n'est pas nécessaire de prendre des mesures pour se conformer à la Loi, car ils n'exposent pas leur détenteur à un conflit d'intérêts.
Quant aux biens contrôlés, les décisions politiques du gouvernement pourraient avoir sur eux une incidence directe ou indirecte. La Loi exige le dessaisissement des biens contrôlés, soit par leur vente à un tiers avec qui le titulaire n'a aucun lien de dépendance, soit par leur dépôt dans une fiducie sans droit de regard. Je suis d'accord avec la recommandation de l'ancienne commissaire qui souhaitait que l'on modifie la Loi de manière à ce qu'elle indique clairement s'il est permis de détenir des biens contrôlés par l'intermédiaire d'une société privée. C'est donc la deuxième modification que je propose.
[Français]
En troisième lieu, le Comité devrait envisager de supprimer l'exception touchant les cadeaux provenant d'un ami, qu'on retrouve au paragraphe 11(2) de la Loi.
La culture, l'âge et les circonstances sont autant de facteurs qui influencent notre propre définition de ce qu'est un ami. Il serait impossible de définir le terme « ami » pour les besoins de la Loi d'une manière qui tienne compte de toutes les circonstances possibles, et que cette définition reste toujours d'actualité. Cela évolue avec le temps et en fonction des générations.
D'ailleurs, si on éliminait la définition du mot « ami », il resterait quand même le critère de l'acceptabilité, et c'est ce qui compte dans la Loi. Selon le paragraphe 11(1) de la Loi, lorsqu'on est en présence d'un cadeau « qui pourrait raisonnablement donner à penser qu’il a été donné pour influencer le titulaire dans l’exercice de ses fonctions officielles », il est inacceptable. Le fait que le cadeau provienne ou non d'un ami n'a aucune importance. Selon la Loi, vous ne pouvez pas accepter un cadeau si vous pouvez raisonnablement penser qu'il vous est offert pour vous influencer. L'inverse est également vrai: si vous acceptez de la part d'un ami un cadeau qui ne donne aucunement à penser qu'il vous a été offert pour vous influencer, vous n'enfreignez pas la Loi.
Les cadeaux qui proviennent d'un ami ou d'un parent ne font pas l'objet d'une exception dans le Code régissant les conflits d'intérêts des députés. Je pense que, dans ce cas également, si cette exception prévue dans la Loi était supprimée, le code s'appliquant aux députés et la Loi diraient la même chose.
Encore une fois dans le but de clarifier et de rendre plus facile l'observation continue de la Loi par les députés, les ministres et les secrétaires parlementaires, il faudrait resserrer les règles relatives à la sollicitation de fonds par les ministres et les secrétaires parlementaires.
À l'heure actuelle, la Loi ne comporte qu'une seule disposition portant directement sur la participation à des activités de financement, soit l'article 16, et cet article n'établit aucune distinction entre la sollicitation de fonds à des fins politiques et la sollicitation de fonds pour des causes de bienfaisance.
Il est évident que le risque de conflits d'intérêts est plus considérable pour les ministres et les secrétaires parlementaires, en raison de l'influence qu'ils exercent au sein des ministères ou, dans le cas des ministres, au sein du Cabinet. La Loi devrait prévoir des règles plus strictes en ce qui concerne la sollicitation de fonds.
Voilà qui termine la première catégorie de modifications, soit celles visant à clarifier les obligations. J’ai fait quatre suggestions. Il y en a d’autres, mais celles-là sont les plus importantes, à mon avis.
J'aborde maintenant la deuxième catégorie de modifications.
Tout d'abord, il faudrait établir des sanctions, car il n'en existe pas à l'heure actuelle.
[Traduction]
J'ajouterais que l'on devrait imposer des sanctions, ou que le Parlement devrait tout au moins envisager la possibilité de le faire, pour les violations importantes de la Loi.
Le rôle du commissaire consiste d'abord et avant tout à fournir des conseils clairs et accessibles à des fins de prévention. Robert C. Clark, ancien commissaire à l'éthique de l'Alberta, qui a travaillé dans le secteur pendant des décennies, décrivait son rôle ainsi: 90 % prêtre et 10 % policier. Je crois qu'il a raison et que c'est tout à fait justifié. Il ne faut pas négliger cependant l'effet dissuasif que peuvent avoir les sanctions. Elles aident à y voir plus clair. Grâce à elles, les Canadiens peuvent avoir l'assurance qu'une violation de la Loi entraîne des conséquences plus graves que de simplement être pointé du doigt. Des sanctions pourraient contribuer à rétablir la relation de confiance avec la population canadienne.
Le Commissariat a examiné les recherches menées dans le domaine et conclu qu'il n'existe pas d'études sur l'efficacité des sanctions dans les régimes de prévention des conflits d'intérêts. Nous n'avons rien trouvé de tel. Cela dit, de telles sanctions existent bel et bien dans plusieurs régimes, au Canada et ailleurs dans le monde. Ainsi, la majorité des commissaires à l'éthique des provinces ont déjà le pouvoir de recommander que leur assemblée législative impose une sanction. C'est donc ma première recommandation parmi les mesures visant l'application de la Loi.
Il faudrait aussi conférer au commissaire le pouvoir d'émettre des ordonnances de confidentialité. Comme vous le savez, la Loi sur les conflits d'intérêts vise à raffermir la confiance du public à l'égard de notre système de gouvernement et de nos institutions parlementaires. Il y a lieu de croire que la diffusion publique de demandes d'examen avant même que le commissaire n'ait eu l'occasion de les étudier et d'en faire rapport produit l'effet contraire en ce sens qu'elle peut contribuer à une perte de confiance. Aux yeux de nombreux Canadiens, alléguer qu'un titulaire de charge publique a enfreint la Loi équivaut à conclure à une infraction. Dans une optique de justice fondamentale, et afin de protéger l'intégrité de l'examen, la Loi impose des obligations de confidentialité au Commissariat. Je recommande donc que le commissaire se voie conférer le pouvoir d'imposer une ordonnance de confidentialité aux témoins et que la Loi soit modifiée de manière à obliger ceux qui déposent une plainte à ne rien divulguer jusqu'à ce que le commissaire ait présenté son rapport. C'est une autre modification — éventuellement controversée — visant à faciliter l'application de la Loi.
Toujours dans la même catégorie, je crois par ailleurs qu'il faudrait conférer au commissaire le pouvoir de formuler des recommandations, car rien dans la Loi en vigueur n'indique qu'il peut le faire.
Il va de soi que les rapports d'examen contribuent toujours à une meilleure connaissance des circonstances pouvant mener à la non-conformité. Ils servent également à rappeler aux titulaires de charge publique leurs obligations aux termes de la Loi. Quand j'étais commissaire à l'intégrité de la fonction publique, j'avais le pouvoir de formuler des recommandations, et je l'ai fait à plusieurs reprises. J'estime qu'un pouvoir semblable... dont on ne doit pas nécessairement se servir à chaque occasion, mais dont on devrait pouvoir disposer dans un but précis lorsque les circonstances l'exigent... Si l'on me conférait un tel pouvoir, je pourrais recommander des changements en vue de consolider le régime et de déterminer les mesures correctives qui s'imposent dans chaque cas.
[Français]
Ma dernière suggestion est la suivante: rendre obligatoires les séances de formation pour les titulaires de charge publique.
Je suis convaincu que, dans bien des cas, les titulaires de charge publique qui ont enfreint la Loi la connaissaient mal. C'est une Loi compliquée et complexe. Vous avez évidemment autre chose à faire dans la vie que de relire la Loi et le Code chaque matin pour vous assurer que vous ne les violez pas. Une formation obligatoire contribuerait sans doute à réduire le risque d'une violation involontaire.
Aujourd'hui, ce n'est pas très exigeant de donner une formation, puisque nous avons les moyens techniques et modernes qui nous permettent, en une heure ou deux, d'offrir un bon survol de la Loi et du Code. Les députés pourraient suivre cette formation initialement, après leur élection ou leur nomination à un poste, et pourraient la suivre de nouveau périodiquement, peut-être chaque année ou tous les deux ans.
Cela me fera plaisir de discuter avec les membres du Comité de ces possibilités ou de répondre à toute autre question qu'ils voudront me poser ce matin.
Merci beaucoup de m'avoir invité.
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Merci, monsieur le président.
J'aimerais vous poser des questions sur le financement politique.
La Loi, telle qu'elle est écrite, ne permet à personne de financer sa propre campagne. N'importe quel candidat est obligé de solliciter des fonds pour financer sa campagne électorale. Tous les secrétaires parlementaires et tous les ministres sont, à la base, des députés, et ils seront éventuellement à nouveau candidats.
J'ai une difficulté à vous soumettre. Il existe une forte probabilité qu'au moins une entreprise ou un individu dans la circonscription d'un candidat suscite une perception de conflit d'intérêts en donnant de l'argent à ce dernier, surtout s'il est secrétaire parlementaire ou ministre, car il y a toujours cette fameuse notion du retour d'ascenseur. Dans de telles circonstances, le candidat a-t-il un choix ou est-il dans un cul-de-sac?
Je ne suis pas certain que l'on puisse parler de retour d'ascenseur si la somme en jeu est de 1 500 $, puisque l'impact n'est pas assez grand sur le montant total de la campagne. Cependant, le tribunal populaire fait fi du montant de la campagne: il regarde l'acte isolé et le juge.
En tant que commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, quelle est votre position sur cette obligation qu'ont tous les candidats d'évaluer le montant moyen de leur campagne et, de par la loi, de solliciter des fonds? Dans le cas de certains candidats qui pourraient financer eux-mêmes leur campagne, c'est un peu ridicule, mais la loi les oblige à solliciter ces fonds. Par conséquent, le candidat demande à la population de payer sa campagne, une situation qui lui est imposée. Cette approche restrictive joue contre ceux qui ont des responsabilités publiques plus importantes.