NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 8 mai 2001
Le vice-président (M. Peter Goldring (Edmonton-Centre-Est, AC)): Général MacKenzie, bienvenue à la réunion du Comité permanent de la défense nationale et des affaires des anciens combattants. Nous avons hâte d'entendre votre exposé. Si nous sommes tous prêts, allez-y, s'il vous plaît, général.
Le major-général Lewis MacKenzie (à la retraite) (témoignage à titre personnel): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs.
C'est un honneur pour moi de témoigner devant vous aujourd'hui, en ce 56e anniversaire du Jour de la victoire en Europe, qui remonte à une époque où, à mon avis, les Forces canadiennes avaient une des plus grandes capacités opérationnelles au monde. Il est peut-être symbolique que nous nous rencontrions aujourd'hui.
Je vous félicite d'avoir entrepris l'étude d'un sujet délicat, celui de la capacité opérationnelle. J'espère avoir joué un rôle dans votre décision, mais je m'attribue peut-être trop de mérite. Le 23 février, j'ai eu droit à une grande couverture médiatique lorsque j'ai dit que l'armée canadienne n'était plus apte à combattre à un niveau efficace. Je vais essayer de vous expliquer ce que j'entends par «niveau efficace» dans quelques minutes.
Je dois cependant vous signaler que je n'étais pas le premier à le dire. Le général Boyle, l'avant-dernier chef d'état-major de la Défense, a fait la même déclaration il y a cinq ans—une fois. Je suppose que sa réunion avec le ministre de la Défense le lendemain l'a convaincu de ne pas réitérer.
Il a indiqué que l'armée canadienne n'était pas capable de se battre contre les meilleurs, aux côtés des meilleurs, dans un conflit de haute intensité. C'était vrai à l'époque et, malheureusement, je pense que c'est encore plus vrai aujourd'hui.
Je vais essentiellement limiter mes remarques à ce que je connais. Je connais mieux l'armée que les deux autres services, mais je suis certain que nous allons finir par en parler.
• 1530
J'ai un test très simple pour prouver que l'armée est
incapable de se battre au niveau de la brigade en montant. C'est
bien simple. Si j'étais commandant d'une force ennemie, je
préférerais de loin me battre contre l'armée canadienne aujourd'hui
que contre l'armée canadienne d'il y a dix ans—malgré l'équipement
fait de pièces et de morceaux et les quelques armes de haute
technologie auxquels ont eu droit les Forces canadiennes, surtout
la marine et l'armée de l'air, au cours des dix dernières années.
Je parle du niveau de la brigade. Je ne veux pas employer de jargon militaire. Je parle du niveau de l'équipe. Compte tenu du niveau qui conviendrait à notre réputation, notre capacité et nos ressources nationales, la brigade est extrêmement modeste. Nous parlons ici d'un groupe-brigade d'environ 5 000 soldats.
Je ne doute pas que les soldats eux-mêmes soient à la hauteur de la tâche, même si on a immolé les normes d'aptitude physique et de discipline sur l'autel des droits individuels et de la rectitude politique.
Lorsque le commandant en chef d'une armée ne peut pas dire à un de ses soldats qu'il est trop gros et qu'il doit se prendre en main, et doit s'excuser par écrit d'avoir souligné une telle faiblesse, alors il y a quelque chose qui cloche avec la discipline. C'est arrivé à un de mes amis, un colonel. Heureusement, nos soldats passent par-dessus tout cela. Ils s'accommodent de la situation et font très bien leur travail de soldat.
Soit dit en passant, je serais très heureux que nous consacrions autant de temps à l'instruction sur l'adresse au tir qu'à la formation psychosociale.
Autant que je sache et d'après les conversations que j'ai eues avec eux, ceux qui ont gravi la colline à Vimy, sont débarqués en Normandie et en Sicile et ont repoussé les communistes chinois dans la vallée de la Kapyong, n'avaient auparavant suivi aucun cours de sensibilisation. Lorsqu'ils sont arrivés sur les lieux, ils n'étaient pas terriblement sensibles, surtout pas à l'ennemi. Je pense qu'il faudrait probablement revoir nos priorités.
Pour en revenir au potentiel de combat efficace, je dirais qu'au cours du dernier siècle, nous nous sommes battus à tous les niveaux possibles, en sol canadien au niveau national, sur la scène internationale au niveau politique de même qu'au niveau diplomatique au sein de l'armée, pour le droit de commander nos propres forces dans le cadre des opérations.
Il y a des dizaines de milliers de croix portant une feuille d'érable et le nom d'un jeune Canadien éparpillées un peu partout dans le monde qui prouvent que nous étions là et qu'on nous a remarqués. Nous avons été remarqués non seulement par nos alliés, mais par nos ennemis. C'était à un niveau qui dépassait de loin celui de la brigade.
Cependant, je n'irai pas plus loin que la brigade, parce que c'est ce que votre Livre blanc de 1994 considère comme un préalable, comme une nécessité, pour l'armée canadienne.
Durant son récent témoignage ici, le chef d'état-major de la Défense, le général Baril, a indiqué que les Forces canadiennes ont une plus grande capacité opérationnelle aujourd'hui qu'il y a dix ans. Peut-être que c'est en moyenne. J'imagine que l'armée est incluse là-dedans. Si vous ne pouvez pas ne pas être d'accord avec vos amis, avec qui pouvez-vous ne pas être d'accord? Moe Baril est un de mes amis.
C'est peut-être en moyenne. Peut-être que la quantité importante d'armes de haute technologie que la marine et l'armée de l'air ont reçue au compte-gouttes a fait un peu monter leur score. Donc, même si la note de l'armée a baissé, la moyenne pour les forces est peut-être un peu plus élevée qu'elle l'était il y a dix ans. Je ne pense pas personnellement que ce soit le cas. Pour lui donner le bénéfice du doute, c'est peut-être ce qu'il voulait dire, quoique je ne le pense pas.
Je pense qu'il a utilisé un très mauvais exemple. Il a parlé de la guerre du Golfe. Il a mentionné le fait que nous y avons envoyé des avions avec des bombes à lancement balistique, de même que des navires—à qui les dirigeants politiques ont ordonné, soit dit en passant, de demeurer en dehors du combat. Ne vous approchez pas trop des combattants. Les navires devaient rester dans le sud du Golfe tandis qu'une patrouille aérienne de combat les survolait. Nous n'avons pas envoyé de contingent, de compagnie, pour protéger un hôpital.
Nous aurions pu le faire. Nous aurions pu envoyer un groupe-brigade compétent complètement équipé et complètement entraîné de plus de 5 000 soldats dans le Golfe pour se battre, si les directives politiques n'avaient pas été de ne pas le faire parce que nous avions peur des pertes—nous, le gouvernement; nous, le peuple.
Si la même guerre avait lieu aujourd'hui, nous ne pourrions pas envoyer de brigade. Il n'en existe pas. Il n'y a pas eu d'exercice au niveau de la brigade avec un commandant de brigade depuis plus de huit ans.
• 1535
Il y a de l'équipement, le tant vanté véhicule Coyote, une
belle machine, en Éthiopie actuellement; il a été performant au
Kosovo. Il y a été amené pour un niveau de commandement que nous
n'avons même plus—la division, qui est une combinaison de
brigades. Le LAV III est une bonne machine, mais nous n'en avons
pas en nombre suffisant pour soutenir le combat pendant plus d'une
journée dans n'importe quel conflit.
On ne peut pas simplement distribuer ça et là des armes de haute technologie et dire qu'on a augmenté la capacité opérationnelle. Pour pouvoir combattre, comme vous-mêmes l'avez dit dans votre ordre de renvoi, il faut avoir de l'équipement pour plus d'une journée. Il faut pouvoir durer.
L'armée est tellement petite aujourd'hui qu'elle doit monter des unités pour le déploiement. La pire chose à faire avant d'entamer une opération, c'est de se réorganiser. Nos soldats le font constamment. Des centaines d'autres soldats viennent s'ajouter à eux. La cohésion en souffre. On n'a pas confiance dans la chaîne de commandement. On n'a pas confiance dans l'unité familiale elle-même. Je pourrais demander en blaguant si quelqu'un veut un café empoisonné. C'est ce qui se passe quand on n'a pas confiance dans sa chaîne de commandement. Tout ce qu'on veut, c'est en finir, survivre et retrouver sa femme et ses enfants, ou peu importe. Mais on n'a pas la confiance qu'il faut pour entreprendre une tâche que la chaîne de commandement voudrait qu'on entreprenne.
Je crois pouvoir parler par expérience. Comment se fait-il que lorsque j'étais commandant d'une force de 31 pays à Sarajevo en 1992 on m'a envoyé un bataillon de Canadiens composé aux deux tiers de francophones, des soldats du Royal 22e, et d'un tiers d'anglophones, le Royal Canadian Regiment? C'était fantastique. D'après Boutros Boutros-Ghali, qui était secrétaire général à l'époque, c'était la ville la plus dangereuse au monde. Pourtant, il n'y a eu aucun cas de stress post-traumatique.
Tous les bataillons qui ont suivi ont enregistré un nombre effroyable de cas de stress post-traumatique. Pourquoi? Parce que mon bataillon venait d'Allemagne d'où il m'avait été envoyé par le commandant de brigade qui est ici aujourd'hui, le général Clive Addy. Ses membres avaient joué, avaient dormi, s'étaient entraînés, avaient travaillé ensemble en Allemagne pendant des années au sein d'une force de l'OTAN. C'était un bataillon uni où tous se faisaient confiance. Je n'avais même pas besoin de leur dire quoi faire. Je n'avais qu'à leur indiquer où aller, à les envoyer et à leur confier une mission. Ils l'accomplissaient, en revenaient et me le disaient quand ils avaient terminé. C'est ce que j'appelle un bataillon apte au combat. Il ne s'agit pas d'un groupe d'individus. C'est plus que cela. Il faut qu'il y ait une synergie entre l'équipement, les soldats et l'instruction.
Nous avons actuellement dans les forces canadiennes 3 000 cas de syndrome de stress post-traumatisme. C'est du moins ce que les experts nous disent, quoique dans certains cas les critères utilisés soient plutôt bas—s'il arrive qu'on fasse des cauchemars, on souffre de stress post-traumatique—je dirais que probablement tout notre contingent qui est allé en Corée et qui s'est battu durant la Deuxième Guerre mondiale a souffert de stress post-traumatique, si c'est là la définition utilisée. Certaines personnes s'en plaignent pour justifier un comportement bizarre. Supposons donc que 50 p. 100 des cas—1 500—soient légitimes. Ça se pourrait.
Nous avons un sérieux problème si nous envoyons des gens en mission de maintien de la paix... Je sais que ceux d'entre nous qui ont servi dans le cadre de telles opérations aiment se comparer aux anciens combattants de la Deuxième Guerre mondiale en disant que c'est aussi pire. On ne peut pas riposter. On ne peut pas retourner le feu et c'est donc plus dur. C'est de la foutaise. Il fallait aller tuer des gens qui essayaient de nous tuer. Je pense que c'est probablement plus sérieux que des tireurs isolés. Malheureusement, un certain nombre de vos soldats—19 peut-être en 11 ans—ou en 10 ans—ont été tués par les gens mêmes qu'ils sont censés aider. C'est stressant, cela ne fait aucun doute. Quand ils clouaient des bébés à des planches comme carte de visite en Yougoslavie, c'était assez dur. Mais ce n'était pas plus dur que ça l'était en Corée ou durant la Deuxième Guerre mondiale.
Donc, si nous avons 1 500 cas de stress à cause de cela, il y a quelque chose qui cloche vraiment avec notre organisation, et je pense que c'est la structure. Je pense que c'est le fait qu'il faille monter des unités pour les envoyer outre-mer—un groupe d'individus qui, une fois la mission terminée, retournent seuls chacun chez eux, en Saskatchewan, au Cap-Breton ou ailleurs. D'après moi, la meilleure thérapie pour un soldat qui souffre de stress post-traumatique, avant de consulter un professionnel, c'est un autre soldat. On ne peut pas compter sur un autre soldat quand on envoie des unités formées sur le tas, parce qu'elles sont démantelées lorsque la mission prend fin.
• 1540
Il ne suffit pas de pouvoir rassembler un nombre voulu de
soldats. Le CEMD—je ne sais pas s'il l'a fait intentionnellement
ou non; j'espère que non—vous a dit que l'avant-garde décrite dans
le Livre blanc de 1994 nécessitait 1 200 soldats en groupement
tactique et 1 000 soldats en groupe-bataillon, et qu'il pouvait les
réunir. Cela prendrait cinq des neuf bataillons existants de
l'armée canadienne d'aujourd'hui. Il a oublié de parler du groupe-
brigade beaucoup plus exigeant dont il est question dans le Livre
blanc.
Il n'y a plus assez de soldats et si on réussissait à les rassembler, on aurait une collection d'individus, pas une organisation entraînée en 90 jours. Donc, nous ne pourrions pas y arriver aujourd'hui alors qu'il aurait été possible de le faire il y a dix ans.
Laissez-moi vous dire en terminant que je crois sincèrement que c'est une des questions auxquelles les dirigeants politiques de ce pays sont actuellement confrontés, une question qui ne doit pas être tranchée aux urnes, qui ne doit pas être tranchée par les militaires et qui ne doit pas être tranchée non plus par les journaux.
Dans une démocratie, les militaires font ce qu'on leur dit. Si on disait à nos militaires et à notre armée en particulier de ramener les effectifs et la capacité à zéro, ils le feraient. Et les soldats seraient prêts à mourir pour défendre votre droit de prendre une telle décision, même si c'était une décision vraiment stupide.
C'est la façon dont les choses fonctionnent dans une démocratie, Dieu merci. C'est la raison pour laquelle nous nous sommes tous battus. Mais, en revanche, je crois que vous leur devez d'exercer votre leadership politique.
La structure unique des Forces canadiennes depuis l'intégration au début des années 70 décourage les dirigeants en uniforme de donner des conseils militaires sans penser aux répercussions politiques ou professionnelles. Je le sais par expérience. Le général Powell et moi avons discuté de la guerre du Golfe. Vous ne le savez peut-être pas, mais le général Powell avait recommandé que les États-Unis ne se mêlent pas de la guerre du Golfe. Il a insisté pendant deux jours auprès du président Bush père pour qu'il n'y aille pas: «Ne faites pas cela. Vous risquez de vous retrouver avec un autre Vietnam.» Le président Bush a décidé de s'en mêler, comme il en avait le droit, sur les conseils de ses conseillers en matière de sécurité, dont Dick Cheney. Le général Powell lui a alors répondu qu'il allait tout faire pour gagner la guerre pour lui.
C'est ainsi que les choses sont censées fonctionner et c'est la raison pour laquelle les dirigeants en uniforme, lorsqu'ils viennent ici, devraient avoir le droit de vous donner leur honnête opinion personnelle. Nous sommes le seul pays du monde occidental qui ne le permet pas.
Lorsque j'ai été appelé à témoigner devant le Sénat américain en un certain nombre d'occasions et devant le Congrès américain en uniforme et en civil, le ministre de la Défense m'a dit: «Donnez-leur votre opinion personnelle, Lew. Assurez-vous que ce n'est pas la politique du gouvernement, que c'est votre opinion personnelle.» C'est ce que j'ai fait. Je suis rentré ici et j'ai été convoqué devant le comité sénatorial spécial et on m'a remis une déclaration: «C'est la politique du parti, Lew. C'est ce que vous avez le droit de dire.» J'ai pris une retraite anticipée parce que je ne m'en suis pas tenu à ce que je devais dire.
Ce n'est pas la bonne façon de s'y prendre. Vous, mesdames et messieurs, devez entendre la vérité, parce que ce n'est pas aux militaires de dire aux militaires ce qu'ils devraient faire. Vous devez l'indiquer clairement dans le Livre blanc, mais vous êtes aussi responsables du financement et, à l'heure actuelle, malheureusement, cela ne semble pas être le cas.
C'est ce que j'avais à dire. Je tiens à ajouter que je suis très fier de la performance des jeunes hommes et des jeunes femmes malgré les problèmes au haut de la pyramide. Mais si vous allez visiter des troupes qui prennent part au maintien de la paix, si vous visitez une compagnie et que vous apercevez quelques véhicules et que vous vous sentez vraiment impressionnés, dites-vous que ce n'est pas une armée au combat. Attendez d'aller les visiter, ou leurs croix ou étoiles de David, après un vrai combat—pas après deux heures, pas après deux jours, mais après une ou deux semaines d'une opération soutenue. Si nous ne sommes pas prêts ou si nous n'en sommes pas capables, alors nous ne serons pas en mesure de respecter nos obligations au sein de l'OTAN, d'assurer la défense de l'Amérique du Nord ni de participer aux opérations de maintien de la paix plus agressives où tous les gouvernements qui se sont succédé au cours des 20 dernières années ont eu le goût de nous envoyer.
Je vous remercie beaucoup de votre attention et je me ferai maintenant un plaisir de répondre à toutes vos questions.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général.
• 1545
Je tiens à vous préciser que vous aurez dix minutes chacun
pour commencer, puis sept autres minutes chacun. Nous allons
commencer la première série de questions par M. Benoit.
Vous avez dix minutes.
M. Leon Benoit (Lakeland, AC): Merci, monsieur le président.
Je vous remercie de vos commentaires, général.
Pour être plus certain—mais je pense que c'était assez clair dans votre exposé—diriez-vous que l'armée de terre est plus apte au combat aujourd'hui qu'elle l'était il y a dix ans?
Mgén Lewis MacKenzie: Non, monsieur.
M. Leon Benoit: Vous avez dit que si on prenait toutes les forces et qu'on faisait une espèce de moyenne, on pourrait peut-être en conclure que nos militaires en général sont plus aptes au combat qu'il y a dix ans. Pensez-vous que c'est le cas?
Mgén Lewis MacKenzie: J'essayais d'être aussi aimable que possible envers mon ancien collègue, le chef d'état-major de la Défense.
En fait, il y a un argument plus rigoureux là, mais je ne le crois pas, non, principalement pour deux raisons. Premièrement, il y a des navires accostés. Il y a des avions qui sont au sol. Je sais que ce n'est pas 50 p. 100, parce que cela inclut les Tutors qui ont été sous-traités. Néanmoins, nous avons retenu au sol un grand nombre d'avions et réduit leurs heures de vol. Il y a une masse critique quelque part et ce n'est peut-être pas nécessairement le cas non plus vu la capacité réduite de notre marine et de notre force aérienne. Ce serait la première raison.
Deuxièmement, même si nous nous sommes dotés de matériel vraiment intéressant, merci beaucoup, tout le monde aussi. Ce n'est pas comme si nous avions fait des progrès au cours des dix dernières années tandis que tous les autres auraient fait du sur- place, c'est-à-dire la plupart de nos adversaires éventuels—pas tous, parce que certains d'entre eux sont probablement pris dans la jungle au Congo actuellement en attendant que nous envoyions la prochaine mission de l'ONU. Néanmoins, les chiffres ne me permettraient probablement pas de dire que, dans l'ensemble, nous sommes plus aptes au combat.
Alors qu'il y a dix ans, nous aurions eu 90 000 soldats, nous en avons actuellement moins de 60 000—probablement 50 000 qui peuvent être déployé—ce qui fait qu'il est difficile de soutenir que nous sommes en meilleure posture.
M. Leon Benoit: Donc, le personnel et le fait d'en manquer sont des éléments importants du problème.
Mgén Lewis MacKenzie: Parce que cela a un effet d'entraînement sur la restructuration constante et l'appariement d'unités pour essayer de monter des missions. Ce n'est pas seulement une question de manque de personnel. Le problème est plus grave encore.
M. Leon Benoit: D'accord. Vous avez dit que le LAV III et le Coyote sont de beaux véhicules, mais qu'ils seraient abattus en moins deux jours si nous devions aller au combat. Est-ce que c'est parce que ces véhicules servent maintenant pour ce qu'on appelle des opérations de maintien de la paix au lieu de faire partie de l'équipement qui aiderait à faire en sorte que les forces du Canada soient plus prêtes et plus aptes au combat?
Mgén Lewis MacKenzie: En fait, le LAV, par exemple, est un véhicule bien meilleur que le matériel de guerre qu'il est censé remplacer dans certains cas. N'oubliez pas que j'étais la seule personne à Sarajevo née avant que les véhicules utilisés par mes troupes canadiennes soient construits. Je regardais les Jordaniens, les Argentins, les Tchèques et les Slovaques passer à toute vitesse dans des véhicules de quatre ou cinq ans. Mes gars roulaient pesamment dans des véhicules de la fin des années 50, du début des années 60, avec des sacs de sable sur le toit pour se protéger des balles des tireurs isolés s'ils se sortaient la tête.
En fait, c'est un véhicule apte au combat, mais pour saisir la chance que vous m'avez offerte, il s'agit uniquement d'une pièce d'équipement complémentaire, oui. Il y a un tas d'autres choses qui l'entourent dans la brigade.
En fait, vous avez posé la question suivante à quelqu'un qui a récemment comparu devant vous: S'il y a une chose que vous souhaiteriez avoir, qu'est-ce que ce serait? Je pensais que vous me poseriez la question et j'allais vous répondre: Je vous donnerais ma démission. Je démissionnerais comme chef d'état-major de la Défense parce que vous ne m'avez pas dit en quoi mon travaille consiste. Si vous vouliez que je fasse la chasse aux sous-marins, alors je vous demanderais de me donner des hélicoptères. Si vous vouliez que je patrouille les jungles du Congo, que je pourchasse les Interhamwe et que je participe, disons, à une opération dans les plaines de l'Est, alors je vous demanderais de réparer mes chars d'assaut.
M. Leon Benoit: Donc, ce que vous dites, c'est qu'avant de discuter de ce qui pourrait être utile comme équipement et de ce dont nous avons besoin comme personnel, vous voudriez avoir un mandat clair pour nos militaires? Est-ce...
Mgén Lewis MacKenzie: Il faut avoir un mandat clair...
M. Leon Benoit: Une vision claire.
Mgén Lewis MacKenzie: ...que vous énonceriez dans un Livre blanc et que vous appuieriez financièrement et à l'aide d'une politique étrangère judicieuse. Autrement dit, on ne peut pas avoir la politique dans le Livre blanc et concentrer toutes nos énergies et toutes nos dépenses en matière d'équipement, etc., dans d'autres secteurs qui sont la coqueluche du moment, ce qui malheureusement...
Et je sais que le système n'est pas parfait, mais il faudrait au moins avoir la responsabilité morale d'appuyer la politique énoncée par le gouvernement dans le Livre blanc.
M. Leon Benoit: Est-ce que les militaires du Canada peuvent le faire? Le gouvernement a-t-il fourni ce qu'il s'était engagé à fournir dans le Livre blanc de 1994?
Mgén Lewis MacKenzie: Selon moi, non, pas en tant que force de combat compétente. Nous parlons ici de capacité opérationnelle.
On va arriver à rassembler le nombre de soldats qu'il faut. Ils vont parader ici avant d'être envoyés à tel ou tel endroit, juste en face du Parlement ici—ce sera beau. Il y aura là 5 000 hommes et femmes. Ils seront beaux dans leur uniforme. Il y aura des véhicules qui descendront la rue Wellington. Ce sera beau. Mais ce n'est pas une force combattante. Ils n'auront pas eu la chance de s'entraîner et ils ne seront pas équipés comme ils devraient l'être.
M. Leon Benoit: À votre avis, l'engagement du Canada au niveau auquel il a été engagé dans ce qu'on appelle les opérations de maintien de la paix des Nations Unies et autres a-t-il été une bonne chose pour nos militaires? Les a-t-il mieux préparés au combat? Ou a-t-il été négatif?
Mgén Lewis MacKenzie: Je pense que, dans l'ensemble, malheureusement—vous parlez à quelqu'un qui s'est porté volontaire pour neuf de ces missions—cela a été négatif, lorsque la guerre froide a pris fin. Durant la guerre froide, nous avons maintenu notre organisation d'élite—j'adore le terme. Nous y maintenions une brigade et nous faisions la rotation à l'intérieur de cette brigade pour maintenir nos capacités collectives de combat au niveau du groupe-brigade. En même temps, nous pouvions nous permettre d'envoyer une unité à Chypre ou au Cambodge, peu importe.
Lorsque la guerre froide a pris fin, nous avons ramené ces troupes chez nous et c'est tout ce que nous avons fait depuis. Même si les effectifs ont diminué, l'appétit du gouvernement pour ces missions ne s'est pas apaisé, c'est pourquoi nous avons maintenant... Je pense qu'il y a neuf missions qui ne comptent que des contingents de moins de dix soldats.
M. Leon Benoit: Oui.
Mgén Lewis MacKenzie: Quelques-uns n'en comptent qu'un ou deux.
M. Leon Benoit: Il y en a un ou il n'y a personne.
Mgén Lewis MacKenzie: Oui. Cela n'améliore pas notre capacité opérationnelle.
Mais pour pouvoir nourrir, surtout en Bosnie, étant donné que la plupart de nos soldats ont quitté le Kosovo... Parce que nous continuons à nourrir la Bosnie, l'armée fait tout ce qu'elle peut pour trouver un ou deux mille soldats pour faire la rotation. Et, pendant qu'ils font cela, parce qu'ils sont si peu nombreux, ils ne peuvent pas s'entraîner pour les rôles de combat dont il était question dans le Livre blanc.
M. Leon Benoit: Vous l'avez peut-être déjà conseillé aux Américains, mais vous avez dit à une conférence à laquelle j'ai assisté à Toronto, il y a environ trois semaines—la conférence de l'ICES—je suis désolé...
Mgén Lewis MacKenzie: Oui, de l'ICES, l'Institut canadien des études stratégiques.
M. Leon Benoit: Oui.
Vous avez dit soit que vous aviez conseillé aux Américains, soit que vous leur diriez si on vous le demandait, de ne pas participer à ces opérations de maintien de la paix.
Mgén Lewis MacKenzie: J'ai donné ce conseil devant le Congrès, et à la Chambre des représentants et au Sénat, trois fois.
M. Leon Benoit: Et pourquoi?
Mgén Lewis MacKenzie: Deux fois pas année, je suis conférencier à un cours sur la conduite de la guerre à l'intention des amiraux et des généraux. C'est le conseil que je leur donne chaque année depuis huit ans. Il y a maintenant plus longtemps que Newt Gingrich que je suis conférencier à ce cours. Et un certain nombre de personnes, dont le général Powell, m'ont dit que je continuais à être invité de nouveaux parce que je leur disais de ne pas s'en mêler.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général et monsieur Benoit.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Je veux vous remercier de votre franchise. J'ai le goût de commencer par une question assez simple que je pose souvent aux gens.
L'autre jour, on a reçu un colonel et lorsqu'il a eu fini de lire son texte, que j'avais entendu mot pour mot à l'OTAN, je lui ai demandé si c'était lui qui l'avait écrit. Il m'a répondu oui, mais disons que je doute encore beaucoup qu'il l'ait écrit lui-même.
Est-ce qu'un général, un chef d'état-major comme le général Baril a la possibilité de dire devant un comité permanent exactement ce qu'il pense ou s'il est en service commandé? De votre côté, avez-vous toujours eu cette franchise en vous adressant au comité permanent?
• 1555
Vous avez déjà été dans l'armée et vous avez sûrement
comparu devant des comités permanents. Avez-vous
toujours eu cette attitude de franchise ou si,
finalement, il n'y a pas vraiment de distinction entre
ceux qui ont l'uniforme sur le dos et ceux qui, le
lendemain, quand ils ne l'ont plus, sont détachés,
désentravés et peuvent parler beaucoup plus librement?
Mgén Lewis MacKenzie: C'est une bonne question, monsieur.
[Traduction]
J'ai pensé pendant un moment que j'allais entrer dans le Livre Guinness des records, parce que je n'avais fait que 18 mois de bagne ici à Ottawa au quartier général de la Défense nationale, mais il y a des gens qui m'ont battu. Je n'ai pas fréquenté ces cercles très longtemps. Mais je peux vous assurer qu'avant de comparaître devant un comité comme le vôtre, on me rappelait la politique et on me rappelait aussi que je ne devrais pas m'en écarter. Je suis persuadé que rien n'a changé depuis.
En ce qui concerne le chef d'état-major de la Défense, loin de moi l'idée d'entrer dans les détails, parce que je ne peux pas me mettre à sa place, mais j'imagine que ses commentaires étaient le résultat de la discussion d'un groupe de personnes... Nous parlons ici du commandant en chef des Forces canadiennes, soit dit sans vouloir offenser le gouverneur général. Par conséquent, il est entouré de nombreux conseillers. Ils songeront aux répercussions politiques parce que nous avons un quartier général qui est maintenant intégré, où travaillent des civils et des militaires considérés comme des égaux, ce qui est quelque chose d'unique au monde. Donc, je peux comprendre qu'on exercera des pressions énormes sur lui pour qu'il dise la bonne chose.
Je n'ai pas été aimable dans le passé. Cela ne s'applique pas nécessairement au CEMD. Je pense que le fait que nous sommes uniques dans le monde occidental—qu'un grand nombre de nos dirigeants finissent par occuper des postes bureaucratiques au sein du gouvernement, que ce soit comme sous-ministres ou sous-ministres adjoints ou ambassadeurs—les dissuade de dire leur façon de penser. Cela ne veut pas dire que tout ce qu'ils disent n'est pas vrai, mais je pense qu'il est important pour les officiers supérieurs d'exprimer leur opinion. Dans mon cas, il n'y a jamais eu de restriction, certainement depuis ma retraite. Je m'ennuie des convocations du ministre le lendemain. C'était excitant.
[Français]
M. Claude Bachand: Je comprends aussi votre approche de cohésion pour de larges groupes. Cette cohésion à l'entraînement, dans le soutien mutuel des troupes va faire en sorte que l'unité, la division ou la brigade sera plus forte, résistera mieux et sera plus performante.
Actuellement, pensez-vous qu'à l'intérieur des forces, dont le nombre de membres est passé, en quelques années, de 80 000 à 57 000, il y aurait un moyen de préparer certaines brigades de 5 000 ou 6 000 personnes en essayant de redistribuer les 57 000 membres autrement pour faire en sorte qu'on ait des brigades de 5 000 ou 6 000 personnes qui seraient continuellement ensemble afin de développer cette solidarité et cette cohésion qui, je trouve, a beaucoup de bon sens?
Pensez-vous qu'à l'intérieur des 57 000 membres des Forces armées, on peut rebrasser les cartes différemment pour faire en sorte qu'on va retrouver des brigades de 5 000 ou 6 000 membres qui vont s'entraîner et qui vont s'en aller ensemble, comme un tout, ou pensez-vous qu'il va falloir plus d'argent et plus de recrutement pour faire ça?
[Traduction]
Mgén Lewis MacKenzie: Pour répondre à votre question, monsieur, vous le pourriez sans doute, mais vous auriez probablement besoin de moins de brigades. Pour les unités que nous avons, la taille qui a été dictée s'expliquait en grande partie par le fait que nous ne voulions pas nous défaire d'autres unités. Nous avons coupé les unités par-ci par-là depuis l'unification, dont la mienne—une des premières unités dont j'ai fait partie, celle des Fusiliers de la Reine. Donc, il fallait essayer de maintenir une organisation pour la bataille composée d'autant d'unités que nous pouvions protéger.
Donc, l'effectif des unités a été grandement réduit—à 601 pour l'infanterie. Et quand vous avez une infanterie de 601 soldats, vous en avez à peu près 500, avec un peu de chance—que vous pouvez déployer—avec un peu de chance. Il faut compter avec les congés de maladie, les blessés, les cours, etc. Donc, s'il fallait aujourd'hui... Laissez-moi revenir un peu en arrière. Lorsqu'on nous demande de nous déployer outre-mer, personne ne demande jamais un bataillon de 601 personnes ou un régiment. Il faut augmenter les effectifs. S'il fallait le faire aujourd'hui—et il serait possible de créer ces unités—il faudrait probablement prendre les trois brigades que nous avons actuellement, une à Valcartier, une à Petawawa et une autre à Edmonton—en éliminer une, combiner les deux autres et réduire le nombre des unités pour avoir des unités de taille adéquate qui pourraient s'entraîner ensemble. Il faudrait aussi avoir l'argent qu'il faut pour les entraîner à Wainwright, à Gagetown ou ailleurs, ce qui n'est pas peu dire. Il faudrait qu'elles se rencontrent. Nous avions l'habitude de nous rencontrer une fois durant l'hiver et une fois durant l'été pour d'importants exercices de plus d'un mois. Nous ne le faisons plus.
M. Claude Bachand: Est-ce qu'il me reste du temps?
Le vice-président (M. Peter Goldring): Pour une très brève question, oui.
[Français]
M. Claude Bachand: Au sujet de l'éthique du guerrier, vous avez souvent mentionné que lorsque des gens allaient dans des missions de paix, cela ne semblait pas affecter leur éthique de guerrier. Il y a des personnes qui pensent le contraire. Je me demandais s'il était envisageable qu'on puisse, par exemple, spécialiser une partie de l'armée dans des missions de paix, parce que ce n'est pas tout à fait la même approche: au lieu de tirer sur des gens, on est parfois obligé de faire des compromis et de négocier. Il y a des approches spéciales pour les missions de paix et il y a une approche spéciale quand on veut mettre de l'avant des troupes de combat. Selon vous, peut-on développer une certaine partie de l'armée pour des tâches spécifiques de missions de paix, et développer d'autres parties de l'armée pour maintenir l'esprit guerrier et pour en faire des troupes de combat? Est-ce que c'est envisageable? Est-ce que quelqu'un a déjà pensé à cela?
[Traduction]
Mgén Lewis MacKenzie: Non, monsieur. Je dois dire que je ne crois pas que ce soit possible. En fait, on me pose plus souvent cette question aux États-Unis qu'au Canada. J'avais l'habitude de parler de l'éthique du guerrier. Les soldats feront ce qu'on leur dit. S'ils sont bien entraînés et bien disciplinés, ils feront ce qu'on leur dit. Il n'y a plus de force de maintien de la paix aujourd'hui ailleurs qu'en Érithrée-Éthiopie. On parle normalement de semi-combat dans ces régions. Mais je dois dire que trop de maintien de la paix a une incidence sur l'éthique du guerrier dans l'esprit du public.
Le premier ministre nous a souvent qualifiés de scouts, ce qui n'est pas juste, malheureusement, ni pour les scouts ni pour les militaires. Je sais ce qu'il veut dire—nous sommes toujours là, prêts à intervenir—mais l'éthique du guerrier a été érodée dans l'esprit des Canadiens parce que nous n'arrêtons pas de leur dire que nous sommes une nation de gardiens de la paix. Ce n'est pas vrai. C'est un à-côté.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, général.
Monsieur Wood, du côté gouvernemental.
M. Bob Wood (Nipissing, Lib.): Merci, monsieur le président.
Général, vous avez critiqué sévèrement la capacité du Canada à participer efficacement aux activités de maintien de la paix. Vous avez déjà dit, je pense, que nous devions nous montrer dignes de notre histoire et de notre héritage. Est-ce que le Canada doit montrer la voie dans le domaine du maintien de la paix ou s'il est temps que d'autres pays commencent à faire leur part? Autrement dit, est-ce que c'est toujours aux mêmes de fournir l'argent et les troupes?
Mgén Lewis MacKenzie: Eh bien, j'espère que vous me citez correctement parce que la réputation et l'héritage dont nous devons nous montrer dignes se rattachent à mon avis à notre effort de guerre; je dis souvent que nous ne sommes pas une nation de gardiens de la paix. Nous avons tué plus que notre juste part d'ennemis pour de nobles causes au cours des cent dernières années, et tout porte à croire que nous l'avons très bien fait. Par habitant, nous sommes en haut de la liste avec les Australiens.
En 1991, nous avions moins de 1 p. 100 de la population mondiale, mais nous fournissions 10 p. 100 des casques bleus partout dans le monde. Nous en avions 400 ou 500 au Cambodge, 600 à Chypre et 2 400 en Yougoslavie, en plus des 1 400 que nous avons envoyés en Somalie en 1992. Nous renvoyons maintenant la balle à l'ONU, même si nous maintenons notre participation. Nous avons toujours le même nombre de drapeaux, le même nombre de missions, mais il faut voir quelle est la taille des contingents: il y en a deux à Sarajevo, un au Guatemala et sept à la frontière Iran-Irak. Ils sont minuscules. Notre plus fort contingent de casques bleus, à part ceux que nous sommes sur le point de rapatrier de l'Érythrée et de l'Éthiopie, se trouve sur les hauteurs du Golan; il comptait 159 personnes le mois dernier, je pense.
Et puis, il y a la Bosnie. Je dois dire, pour répondre à votre question, que nous avons fait notre part en Bosnie, avec 21 morts, 100 blessés graves et des milliards de dollars. Les Européens peuvent certainement prendre le relais. Pour ce qui est du commentaire du ministre au sujet du fait que nous devrions intervenir rapidement, mais pour des missions courtes—ce qu'on appelle «tôt arrivé, tôt parti»—, il me semble que dix ans, c'est probablement suffisant. Peut-être que c'est confortable. Peut-être que nous sommes bien installés là-bas, sur le plan logistique. Mais je pense que nous devrions nous tenir en réserve pour d'autres missions dans d'autres points chauds du globe, si c'est là que la population canadienne—c'est-à-dire vous, mesdames et messieurs—décide de nous envoyer.
• 1605
Nous sommes aujourd'hui dans la bonne moyenne, une nation
parmi la centaine d'autres qui fournissent des troupes. À mon avis,
nous gagnons notre réputation à la dure, avec notre sang et nos
tripes...nous ne combattons pas comme nous le pourrions pour le
moment, et il y a d'autres personnes qui s'en rendent compte.
Donc, pour ce qui est d'envoyer des troupes aptes au combat dans des points chauds—ce qu'on appelle par euphémisme le maintien de la paix—, je dirais que nous ne sommes pas en mesure de le faire actuellement. Mais nous devrions l'être, pour pouvoir aussi nous acquitter des rôles que le gouvernement a prévus pour nous dans son livre blanc de 1994.
M. Bob Wood: Vous avez parlé il y a quelques minutes de l'entraînement au combat, ce que nous ne faisons plus...
Mgén Lewis MacKenzie: Au niveau de la brigade.
M. Bob Wood: Est-ce que cela date du moment où nous avons quitté l'Europe, à cause du fait que tous nos partenaires de l'OTAN étaient très proches et qu'il était facile de regrouper tout le monde?
Mgén Lewis MacKenzie: Non, parce que, voyez-vous, nous l'avons fait ici. Connaissez-vous d'autres endroits où on peut trouver des secteurs d'entraînement ces temps-ci? Nous avons l'avantage de disposer de vastes secteurs d'entraînement à Gagetown, à Suffield et à Wainwright, de même qu'à Shilo pour l'artillerie; donc, c'est arrivé en même temps que notre retrait de l'Europe. Au même moment, nous avons intensifié rapidement nos responsabilités de maintien de la paix, comme je viens de le mentionner. C'est ce qui a causé cet état de chose, mais les unités qui étaient ici ne constituaient pas une véritable formation militaire parce qu'elles avaient fourni tellement d'éléments à diverses opérations de l'ONU. Nous avions des troupes qui venaient de rentrer au pays, d'autres qui se trouvaient à l'étranger, et d'autres encore qui se préparer à aller les relever.
Bien franchement, je me suis rendu compte il y a environ quatre ans seulement, quand j'ai amené le premier contingent canadien à Sarajevo, qu'il n'avait jamais été question de le remplacer. Tout le monde pensait que ce ne serait qu'une mission de six mois, mais elle s'est étirée sur huit ans.
M. Bob Wood: Il y a une dizaine d'années, vous étiez un de champions d'un mouvement visant à ouvrir les métiers de combat aux femmes. Vous avez dit récemment, au sujet de l'effectif de nos forces armées: «C'est déjà assez difficile de trouver des hommes pour servir dans l'armée ces temps-ci, à cause de toutes les autres options, et nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre et de prier pour qu'il y ait une autre récession économique.»
Premièrement, êtes-vous satisfait du nombre actuel de femmes dans les métiers de combat? Deuxièmement, voulez-vous dire que nous devrions abandonner tout espoir de recruter des hommes? Il me semble que vous avez déjà dit que vous deviez trouver environ 7 000 recrues par année pour arrêter l'hémorragie et reconstituer l'effectif.
Mgén Lewis MacKenzie: C'est le chiffre qu'a avancé le ministère. Et ce que j'ai répondu, c'est que si nous réussissons à trouver autant de gens—bonne chance!—, nous devrons transformer ce qui reste de notre armée en organisation d'entraînement. Nous n'aurons plus personne en Bosnie, croyez-moi. Tout le monde devra s'occuper de former ces recrues.
Perrin Beatty m'a téléphoné et m'a dit: «Colonel MacKenzie, j'ai une bonne et une mauvaise nouvelles. La bonne nouvelle, c'est que je vous nomme général. La mauvaise, c'est que j'ai un travail intéressant à vous confier: amener des femmes dans les métiers de combat au sein des Forces canadiennes.» J'étais sceptique. C'est peut-être pour ça que j'ai eu le poste.
Mais je me suis converti, pas seulement parce que je suis un bureaucrate et que j'étais chargé de convertir les autres, mais aussi parce que j'ai eu le plaisir de travailler avec un grand nombre de femmes à Sarajevo, pas des Canadiennes, mais des femmes d'autres pays.
À condition que tous les hommes et toutes les femmes répondent aux critères opérationnels, je ne m'intéresse pas à leurs organes génitaux. Franchement, je m'en fiche. En fait, il y a une synergie qui fait que les hommes ne veulent pas mal paraître devant les femmes, et vice-versa. Il y a une synergie quand on est au combat, parce que la bravoure, c'est d'agir. Nous avons tous peur, mais nous voulons toujours nous montrer plus braves devant quelqu'un du sexe opposé. Bien franchement, j'ai été un peu déçu de constater que les gens n'avaient vraiment pas la tête au sexe s'ils pensaient qu'ils allaient mourir. Ils voulaient s'occuper de leurs armes, de leur fourniment, et de tout le reste. Donc, c'était la bonne nouvelle.
Le problème, c'est que vous venez de me demander si j'étais satisfait des chiffres. Je me fiche des chiffres. Si quelqu'un—homme ou femme—est capable de faire le travail et répond aux critères opérationnels, il a le droit de se joindre à nous. Je ne veux pas de cibles. Je ne veux pas de quotas. Il y a des critères, que nous devons être en mesure de justifier. Si un obus pèse 122 livres, eh bien, c'est simple: il faut être capable d'en soulever une dizaine en une minute. C'est tout. Il y a des hommes qui ne peuvent pas le faire. Et il y a des femmes qui ne peuvent pas non plus.
Ceux qui le peuvent et qui veulent se joindre à nous ont le droit de combattre. Je ne crois plus que le retour d'une femme dans une housse mortuaire fera plus d'effet sur papa ou maman, ou sur le grand public, que celui d'un homme. C'est vraiment raciste même de le laisser entendre.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, général.
Nous allons passer à Mme Wayne.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Général Lewis, j'ai quelques réserves au sujet de la présence des femmes dans les sous-marins. Vous ne serez peut-être pas d'accord avec moi sur ce point, mais je crois néanmoins...
Mgén Lewis MacKenzie: Je vous dirai seulement, Elsie, que si nous nous trouvions ensemble dans une tranchée simple, nous serions beaucoup plus proches que dans un sous-marin. Et j'anticiperais cette expérience avec plaisir.
Des voix: Ah, ah!
Mme Elsie Wayne: Quoi qu'il en soit, mon cher, je...
Mgén Lewis MacKenzie: Entre gens des Maritimes...
Mme Elsie Wayne: La situation de nos militaires nous préoccupe beaucoup, vraiment. Avant d'entendre ce que vous nous avez dit aujourd'hui, Lew, je ne savais pas qu'on vous dictait votre conduite d'en haut quand vous étiez là. Nous sommes très inquiets à cause de toutes les compressions qui ont été effectuées, des 3 ou 4 milliards ou plus qui ont été retranchés du budget des forces armées. Vous savez comme moi que nous allons devoir remplacer les Sea King. Mais pour moi, il faut cesser de mêler la politique aux affaires militaires, un point c'est tout. Quand ils viennent ici, les gens comme les généraux, les brigadiers et les colonels ne devraient pas se faire distribuer des notes qui leur dictent ce qu'ils doivent dire. Ils devraient pouvoir nous dire exactement ce que nous avons besoin d'entendre. C'est la seule façon d'arriver à quelque chose. C'est la seule façon de prendre les bonnes décisions pour les hommes et les femmes qui portent l'uniforme.
Ma question est donc la suivante: comment pouvons-nous retourner la situation, Lew? Comment pouvons-nous cesser de faire de la maudite politique sur le dos des hommes et des femmes qui portent l'uniforme des Forces canadiennes?
Mgén Lewis MacKenzie: M. Trudeau—que Dieu ait son âme—s'est montré très astucieux en créant la structure dont il a doté les forces armées. J'ai eu l'honneur de m'occuper de M. Trudeau à quelques reprises en Allemagne, lorsque j'étais adjoint administratif du commandant. Il disait à qui voulait l'entendre qu'il n'aimait pas les militaires—il ne s'en cachait pas; je ne salis donc pas sa mémoire. Quand les forces ont été unifiées, tous les généraux et les amiraux se préoccupaient de grades, d'insignes et de choses du genre; mais ce n'était qu'un écran de fumée. L'important, c'était l'intégration des quartiers généraux, et la nouvelle égalité entre civils et militaires. Les généraux changent à peu près tous les deux ans, alors que les bureaucrates civils—des gens compétents, n'allez pas croire que je dis le contraire—restent généralement plus longtemps. C'est donc eux qui sont dépositaires de la mémoire collective.
Nous avons créé—ce qui est unique au monde—un ministère intégré de la Défense nationale. Vérifiez la loi. Il est censé y avoir un quartier général des Forces armées canadiennes. Mais il n'y en a pas. Il a été avalé par le ministère de la Défense nationale. Il n'y a pas de service d'affaires publiques pour les Forces armées canadiennes. La priorité, naturellement, c'est le ministère et le ministre. C'est la structure qui est ainsi faite. Donc, quand le ministre Young a demandé à Desmond Morton, Jack Granatstein et David Bercuson d'écrire un papier sur ce qui n'allait pas dans les forces, leur première recommandation a été de séparer les militaires et les bureaucrates civils.
Je serais prêt à mourir pour le principe du contrôle civil sur les militaires. Mais maintenant, tout est ensemble. Si nous nous trouvions en ce moment même à la réunion quotidienne de l'exécutif, au quartier général de la Défense nationale, il y aurait au bout de la table deux personnes, deux égaux, le sous-ministre et le chef d'état-major de la Défense. Par conséquent, ce qui arrive devant vous est, à mon avis, beaucoup plus travaillé politiquement qu'aux États-Unis, où le chef de l'état-major interarmes... Vous me poseriez des questions si j'étais à sa place et je vous répondrais en vous donnant le meilleur avis professionnel possible, pas en vous disant: «Eh bien, je me demande ce que ça voudrait dire pour le ministre.»
Donc, pour changer les choses, il faut que quelqu'un prenne la décision d'accepter ces recommandations et de séparer le quartier général militaire—le quartier général des Forces armées canadiennes—et le ministère de la Défense nationale. Il faudra bien alors que quelqu'un prenne des décisions. Les dossiers ne passeront plus tout simplement de corbeille d'arrivée en corbeille d'arrivée. Ils devront atterrir quelque part.
Comme je le disais, c'était brillant, monsieur Trudeau. Si vous vouliez émasculer l'armée, pas la faire combattre moins bien, mais la priver d'une partie de son influence sur sa propre destinée en faisant en sorte qu'elle ne puisse pas vous dire toute la vérité, c'était ce qu'il fallait faire.
Mme Elsie Wayne: Je dois dire que je trouve la situation très préoccupante, quel que soit le parti au pouvoir. Quand il est question de l'armée, vous connaissez mon opinion. Quand des gens comme vous—je vois ici des présentations qui nous ont été faites dans le passé—viennent nous voir et nous disent exactement ce qui se passe, nous devons nous organiser pour transmettre votre message au gouvernement et lui faire comprendre que les choses doivent changer.
Nous avons reçu une lettre de la Direction nationale de la Légion royale canadienne, qui nous dit que des gens envoyés à l'étranger pour divertir nos troupes sont revenus en disant: «Nos hommes et nos femmes n'avaient pas d'uniformes, ils n'avaient pas d'outils pour faire leur travail, ils n'avaient rien du tout.» Ils étaient vraiment embarrassés. En effet, c'est embarrassant pour tout le Canada.
Mgén Lewis MacKenzie: Je dois vous répondre en disant que nous sommes ici pour vous aider. Quand je me suis ouvert la bouche et que j'ai fait ce commentaire il y a quelques semaines, le ministre m'a qualifié de combattant de la guerre froide. Eh bien, il peut laisser tomber la guerre froide et me traiter de combattant—c'est pour ça que j'étais payé. Il semble y avoir une certaine réticence à accepter ce qui est à mon avis une opinion plutôt nuancée et que bien des gens partagent avec moi. Vous devrez l'analyser, mais pour moi, la réponse est simple. Je n'ai pas à tenir compte des implications politiques, mais Doug Bland a déjà dit que la politique entourant la défense était devenue plus importante que la politique de défense elle-même. C'est une honte.
Mme Elsie Wayne: Oui, en effet. Je le dis parce que, quand je pense au remplacement des Sea King... J'ai rencontré des gens de Cormorant, qui sont venus dans ma circonscription et m'ont invitée à dîner parce qu'ils voulaient me parler. J'ai commandé un bol de soupe en leur disant qu'ils ne pouvaient pas m'acheter avec un dîner, et c'est tout. Et ils sont ici maintenant, la plupart d'entre eux. S'ils avaient le contrat, une bonne partie du travail se ferait au Nouveau-Brunswick. Mais ce que je dis, c'est qu'il ne faut plus faire de politique avec ces questions-là. Je n'ai pas l'intention de faire de petite politique, même si ce serait bon pour le Nouveau-Brunswick. Ce que je dis, c'est qu'il faut un processus d'appels d'offres. Il faut donner aux hommes et aux femmes les outils nécessaires pour faire leur travail. Que ce soit le Cormorant ou le EH-101, il faut leur donner ce dont ils ont besoin, pas nécessairement ce qui coûte le moins cher, mais ce qui est le mieux pour eux. C'est comme ça que je suis et c'est comme ça que je vais rester, Lew.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, madame Wayne. Nous allons maintenant entamer la deuxième ronde de questions.
Monsieur Benoit, vous avez cinq minutes.
M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président.
Je voudrais en revenir à une question que vous avez mentionnée en passant, à savoir la notion du «tôt arrivé, tôt parti», que le ministre et d'autres ont évoquée ces derniers mois. Qu'en pensez-vous sur le plan stratégique? Pour commencer, quels sont les risques d'une telle stratégie, à votre avis? C'est ma première question.
Mgén Lewis MacKenzie: Je dois vous répondre avec une certaine circonspection. J'ai fait un documentaire sur l'ONU il y a quelques années. Il a connu un certain succès, il a même remporté un prix au festival du film de New York. Dans ce documentaire, je parlais non pas d'interventions rapides et de missions courtes, mais du fait que ces missions sont parfois comme suspendues dans le temps. J'ai fait ce commentaire alors que je me trouvais sur la ligne verte, à Chypre, où j'ai rencontré les petits-enfants de gens qui avaient servi avec moi en 1965; ils étaient à leur tour sur cette ligne, avec l'écusson de l'ONU sur l'épaule de leur uniforme autrichien. J'ai eu la chance d'en rencontrer. Donc, il serait bon de sortir plus rapidement.
Il y a une ou deux choses qui me dérangent dans la déclaration du ministre. J'aurais bien aimé qu'elle soit dictée par des principes stratégiques ou des considérations d'intérêt national, plutôt que par des questions de ressources. Ce qui me dérange un peu, c'est qu'elle soit dictée par le fait que nous ne pouvons pas faire grand-chose d'autre en réalité. Mais pour donner au ministre le bénéfice du doute, je vous dirai que je n'ai rien contre l'idée. Ce qui m'inquiète, monsieur, c'est que c'est toujours plus dangereux au début. Nous nous préparons toujours pour le meilleur scénario possible. L'ONU est réputée pour cela. Ce que je veux dire, c'est que si vous envoyez des troupes en espérant que tout ira bien, et que tout va bien, c'est parfait. C'est ce que nous avons fait à Hong Kong, sans vouloir voir les choses en noir. Mais le fait est que, si nous décidons d'intervenir tôt, nous ferons mieux de pouvoir envoyer des troupes aptes au combat, ce qui n'est pas le cas d'un ramassis de personnes qui ne sont ensemble que depuis trois mois. Il faut une capacité opérationnelle encore plus grande que ce que nous avons maintenant.
M. Leon Benoit: Avons-nous actuellement la capacité logistique nécessaire pour faire ce genre de chose efficacement? Prenons par exemple la mission en Éthiopie et en Érythrée. Il y a là-bas un contingent d'environ 550 Canadiens, à quelque 10 000 kilomètres de chez nous. S'ils se retrouvent en difficulté, est-ce que nous pouvons leur envoyer du renfort, premièrement, est-ce que nous pouvons les appuyer convenablement ou les faire sortir de là?
Mgén Lewis MacKenzie: Non, mais il y aurait sûrement beaucoup d'autres pays prêts à nous aider. Ce que j'ai dit aux Américains, c'est de ne pas intervenir à l'avant-garde, de garder leurs forces pour les poids lourds, de maintenir leur potentiel de combat pour les Russes, les Chinois, les Nord-Coréens, quand nous aurons besoin d'eux—«nous» étant le monde. Mais leur logistique est la meilleure au monde, ils sont les meilleurs dans ce domaine-là, ils sont les mieux équipés, et je serais très déçu si, dans l'éventualité où une mission se détériorerait, nous ne trouvions pas d'autres pays pour nous aider, comme ils l'ont fait officieusement à Sarajevo. Quand j'étais à Sarajevo avec mes troupes, je n'ai pas pu recevoir d'aide, mais les gens d'un certain pays au sud du nôtre m'ont laissé entendre que je ne devais pas m'inquiéter outre mesure et qu'ils seraient là si les choses se gâtaient vraiment.
M. Leon Benoit: Et vous seriez satisfait de cette formule? Si nous participons effectivement à des missions de ce genre, en intervenant rapidement, mais en nous retirant rapidement aussi, vous vous sentiriez à l'aise de devoir compter sur d'autres pays pour nous sortir du pétrin le cas échéant?
Mgén Lewis MacKenzie: Absolument pas. Si vous me demandez si je suis satisfait de cette idée, c'est non. Mais je suis réaliste. Si vous pouviez me donner l'assurance, en tant que commandant national, qu'il y aurait des ressources nationales pour me tirer d'embarras au besoin, pour réagir et m'apporter des renforts bien entraînés du point de vue logistique, je serais nettement plus à l'aise.
M. Leon Benoit: Pensez-vous—ce n'est évidemment qu'une opinion, puisque vous ne pouvez pas savoir exactement ce qui se passe dans la tête du ministre ou du gouvernement—pensez-vous, donc, que cette proposition pourrait avoir été lancée comme excuse pour réduire encore davantage l'effectif de nos forces armées?
Mgén Lewis MacKenzie: Je ne peux pas croire qu'il y ait des gens qui connaissent les questions militaires et qui ne se rendent pas compte que nous n'avons plus la masse critique, particulièrement dans l'armée, pour apporter une contribution utile à la communauté internationale. Quand je parle de notre armée à mes amis américains et que je leur dis que nous pouvons déployer 15 000 personnes, ils attendent la suite. Ils pensent que c'est une blague. Ils attendent, et quand je leur dis que «nous avons vraiment environ 15 000 personnes à déployer», ils sont sidérés. Ils n'en reviennent pas.
Donc, si nous réduisons encore l'effectif... Si le général Jeffery vous parle d'alléger la structure, quand il sera ici, c'est une chose, mais la réduction de son effectif, c'en est une autre. Ce n'est pas possible.
M. Leon Benoit: Merci.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, monsieur Benoit.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: L'autre jour, lorsque nous avons commencé nos travaux sur l'état de préparation, nous avons identifié un certain nombre de secteurs ou de critères afin d'évaluer l'état de préparation d'une unité, d'une brigade ou des Forces armées canadiennes. Il y avait, par exemple, le matériel ou le nombre de soldats.
J'aimerais que vous nous donniez votre appréciation générale quant aux critères qui devraient nous guider et nous aider à déterminer si, oui ou non, les unités des Forces armées canadiennes sont préparées à aller au combat. Il y a beaucoup de facteurs. Je sais que nous avons une tradition quelque peu britannique, mais il y aussi d'autres façons de faire pour évaluer l'état de préparation, par exemple celles employées par d'autres pays, dont les États-Unis.
J'aimerais également obtenir votre évaluation quant à l'état de préparation des Forces armées canadiennes. Si votre réponse est négative, c'est-à-dire que nous ne sommes pas préparés, quelles modifications allez-vous apporter pour amener cet état de préparation à un niveau acceptable, tant du côté du matériel que du côté des ressources humaines?
Mgén Lewis MacKenzie: Voilà encore une bonne question, monsieur.
[Traduction]
L'état de préparation n'est pas quelque chose de quantifiable. Il ne s'agit pas de savoir combien on a de soldats, de chars ou quoi que ce soit d'autre, mais de voir comment ils effectuent leurs tâches. Ce qui signifie qu'il faut les entraîner à un niveau correspondant aux exigences des dirigeants politiques. Dans ce cas-ci, nous avons un groupe-brigade qui fait partie de la force principale pouvant être déployée en situation de combat. Il faut donc un quartier général d'un niveau au-dessus pour pouvoir évaluer cet entraînement.
Autrement dit, dans le cas d'un groupe-brigade, il doit y avoir un représentant du commandant de division, du niveau au-dessus, pour entraîner ce groupe dans une situation de combat simulé, ce que nous faisions régulièrement jusqu'au début des années 90. Cela voulait dire que nous imposions des tâches pour ce que nous appelons toutes les phases de combat, qu'il s'agisse d'offensive, de défense, de retrait ou de quoi que ce soit d'autre, et que nous évaluions ensuite la capacité de la formation à exécuter ces tâches.
On peut le faire avec un ennemi en chair et en os, ou le simuler comme le font les Américains. Ils ont soumis 16 variations différentes à l'ordinateur avant de donner l'assaut au moment de la guerre du Golfe. En fait, les résultats de l'assaut qu'ils avaient choisi se situaient à moins de 2 p. 100 de ce que l'ordinateur avait prévu. Donc, ce n'est pas comme dans le temps, quand l'ordinateur disait «oui, monsieur», mais ne pouvait pas fournir beaucoup d'information utile. Il y a maintenant des moyens très perfectionnés de faire ce genre de chose et de prévoir le résultat.
• 1625
Il faut un centre d'entraînement national. Les Américains en
ont un près de Las Vegas. Et ils en ont un autre pour leurs forces
légères. J'espère que nous serons invités un jour à y aller. Le
problème, c'est que si nous étions autorisés à y entrer, tous les
autres pays de l'hémisphère occidental voudraient faire la même
chose. J'en ai discuté officieusement avec les Américains à titre
de général à la retraite.
Nous avons vraiment besoin d'un centre d'entraînement national. Les Britanniques en ont un au Canada, à Suffield. L'entraînement se fait au niveau du groupement tactique. Il est excellent. Ce centre existe depuis 15 ou 20 ans. Mais nous n'en avons pas. Nous y envoyions de petits groupes de temps en temps, par exemple une compagnie de 100 soldats ou parfois un petit bataillon. Mais nous n'avons pas de centre à nous. Si nous mettions vraiment l'accent sur le potentiel de combat, nous insisterions pour avoir quelque chose de ce genre. Mais, parce que nous avons mis notre armée en pièces pour d'autres missions, vous savez très bien de quoi je parle, il ne nous reste plus de temps ni d'argent. Ça coûte cher.
[Français]
M. Claude Bachand: D'accord, mais vous me parlez d'un centre d'entraînement national, alors que je vous demande si on peut atteindre un niveau de préparation acceptable pour les Forces armées canadiennes avec le nombre de soldats qu'on a actuellement et le matériel qu'on a actuellement. Le matériel est important aussi, vous en conviendrez. On ne peut pas envoyer des soldats sans tanks, sans soutien aérien. D'ailleurs, on entend souvent parler de rapports qui dénoncent l'état inquiétant du matériel militaire canadien. Peut-on avoir vos commentaires là-dessus aussi?
[Traduction]
Mgén Lewis MacKenzie: Nous n'avons certainement jamais envoyé de contingent. Je doute qu'il y ait un seul pays au monde qui ait déjà envoyé un contingent à la guerre en se disait que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Nos unités blindées ont plutôt bien réussi, pendant la Seconde Guerre mondiale, à combattre des chars qui étaient au moins deux fois meilleurs que les leurs, par exemple.
Mais pour répondre à votre question, étant donné l'état actuel de l'armée, elle ne pourrait atteindre ce potentiel de combat qu'avec un nombre d'unités réduit, et elle pourrait faire appel au même nombre de personnes pour augmenter la taille de ces unités. Comme l'a dit le vérificateur général, nous devrions investir environ 4 milliards de dollars en équipement, simplement pour empêcher le matériel de rouiller, pour arrêter l'hémorragie et pour commencer à reconstruire.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général.
C'est maintenant au tour de M. Wilfert, s'il vous plaît.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président.
Ma question devait porter principalement sur les questions de maintien de la paix et de rétablissement de la paix, deux notions qui ne sont pas toujours claires dans l'esprit du grand public.
Mais je voudrais d'abord faire un commentaire, monsieur le président. Notre comité est ici pour parler de l'état de préparation des Forces armées canadiennes. Nous essayons d'obtenir l'avis du plus grand nombre de personnes possible au sujet non seulement de l'état de préparation actuel, mais des moyens à prendre pour l'améliorer. Il me semble que, si nous voulons envoyer des gens en uniforme quelque part, nous devons leur fournir les bons outils, qu'il s'agisse d'équipement, d'appuis politiques ou de soutien populaire.
Je suis perplexe, général, quand je vous entends dire que les membres actifs des forces armées, surtout ceux des échelons supérieurs, ne livrent pas toujours la marchandise—si vous me passez l'expression—quand ils comparaissent devant nous. Ce que j'aimerais savoir, c'est pourquoi ils feraient ça alors que la sécurité des forces placées sous leur commandement devrait être leur priorité absolue. Loin de moi l'idée de nier qu'il faut des améliorations sur certains points. À votre avis, qu'est-ce qui pourrait pousser ces gens-là à venir ici et à nous dire autre chose que la vérité? Il y a d'autres témoins qui sont venus nous voir et qui ont mis cartes sur table. Vous avez parlé de séparation des secteurs, et je pense que c'est intéressant, compte tenu du fait que le Canada est probablement le seul pays où les quartiers généraux sont couplés. Pourquoi est-ce que quelqu'un qui est en position d'envoyer des soldats à l'étranger et de leur faire risquer leur vie ne nous dirait-il pas toute la vérité?
Mgén Lewis MacKenzie: Même si je suis à la retraite depuis huit ans, je reste très attaché à la profession. Il m'est difficile de répondre à votre question parce que je ne peux que spéculer. Je suis fermement convaincu que la structure de l'organisation et le fonctionnement quotidien dans le milieu politique, avec un petit «p», au ministère de la Défense nationale ont des répercussions sur les décisions prises par des gens qui sont là depuis trop longtemps.
Vous savez quoi? Quand les gens, les officiers supérieurs, sont très bons pour faire de la politique ici à Ottawa, vous savez comment on les récompense? On les garde en poste. Le général Boyle est passé du grade de général à une étoile à celui de chef d'état-major de la Défense, avec ses quatre étoiles, sans même être retourné sur le terrain. Vous auriez beau marcher sur l'eau, vous n'aurez quand même pas le respect des troupes si vous passez d'une à quatre étoiles sans retourner sur le terrain et sans y avoir fait votre chemin de croix en passant par les différentes stations de commandement. Ce n'est pas du tout un jugement personnel sur le général Boyle. C'est simplement qu'il a fréquenté le ministre et les gens de ce milieu-là et qu'il est devenu tout à coup général à quatre étoiles alors qu'il n'avait qu'une étoile quand il est arrivé là.
C'est la structure. Votre carrière va en souffrir si vous venez ici et que vous dites certaines choses alors que le ministre affirme que tout va bien. Avec tout le respect que je dois à Mme Wayne, j'ai toujours dit que les conservateurs avaient démoli l'armée autant que les libéraux; c'est simplement qu'ils l'ont fait plus élégamment. À ce moment-là, les choses de ce genre ne faisaient pas aussi mal.
Le fait est que le ministre ne veut pas voir son chef d'état-major de la Défense venir ici et dire que son armée ne peut pas se battre. J'aime à croire que je pourrais le dire, mais je ne resterais pas chef très longtemps.
M. Bryon Wilfert: Mais s'il est vrai que l'armée ne peut pas se battre et qu'on en a la preuve un jour parce que des soldats envoyés à l'étranger se retrouvent dans une situation difficile, j'imagine que la responsabilité retomberait sur les épaules du ministre.
Mgén Lewis MacKenzie: Non, monsieur.
M. Bryon Wilfert: Mais il est certain qu'en définitive, étant donné la structure en place, c'est le ministre qui va devoir essuyer les critiques.
Mgén Lewis MacKenzie: Normalement, oui, mais ce que nous faisons faire à nos soldats à l'étranger—et ce qu'ils semblent faire très bien quand on va leur rendre visite—, ce ne sont pas des combats intenses au niveau du groupe-brigade. C'est ça, le problème. Ce que je dis, c'est que nous devons être prêts pour le pire scénario possible. Nos troupes peuvent faire certaines activités au niveau du bataillon, avec un effectif pouvant atteindre 1 000 personnes. Mais Jim Calvin, qui commandait le bataillon de Patricia qui a combattu dans la poche de Medak avant d'être déployé, et qui avait travaillé pour moi quand il était jeune capitaine, a dit qu'il ne pouvait même pas déplacer un bataillon par voie de terre quand il a quitté le Canada parce qu'il n'avait tout simplement pas eu la chance de fonctionner au niveau du bataillon. Deux mois plus tard, avec des troupes de plusieurs autres pays, nos soldats ont dû effectuer une opération relativement spécifique dans la poche de Medak—sur une courte période, Dieu merci.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général.
Madame Wayne, s'il vous plaît.
Mme Elsie Wayne: Général, si le ministre vous appelait aujourd'hui et vous disait «Lew, j'ai besoin de votre aide», quelles seraient les priorités...
Mgén Lewis MacKenzie: Ce serait surprenant.
Mme Elsie Wayne: Quelles seraient vos priorités? Quelles seraient les trois ou cinq premières choses que nous pourrions faire aujourd'hui et qui seraient efficaces pour améliorer l'état de notre armée? Quelles seraient vos priorités? Donnez-nous une liste.
Mgén Lewis MacKenzie: En ce qui concerne l'effectif des forces armées, il faudrait probablement 67 000 personnes de plus. Tout le monde va dire: «Mon Dieu, nous ne pouvons même pas recruter assez de gens pour maintenir notre effectif actuel!» Désolé, mais ce n'est pas mon problème; vous n'avez qu'à le faire. En passant, n'essayez pas de les motiver en leur promettant un porte-documents et un métier pour la vie civile. Essayez plutôt de faire appel à leur patriotisme et de leur faire valoir qu'ils pourront aider à réduire les souffrances des populations du monde. C'est sur cet aspect-là qu'il faut insister.
Mme Elsie Wayne: En effet.
Mgén Lewis MacKenzie: Voilà pour l'effectif. Pour l'armée, il faut un centre d'entraînement où devraient aller, à tout le moins, les éléments des brigades, les régiments blindés, les régiments d'artillerie et les bataillons d'infanterie, et où ils devraient s'entraîner au combat.
Pour l'aviation, il faut reconnaître que le carburant coûte beaucoup plus cher de nos jours et que, si nous voulons voler et remporter des compétitions d'as pilotes, nous allons devoir intensifier notre activité aérienne. Voilà pour les avions rapides. Et s'il vous plaît, donnez-nous des avions de transport stratégique pour qu'il ne soit pas nécessaire de prendre des Hercule, qui sont des appareils de transport tactique pour les théâtres d'opérations.
J'ai vu aujourd'hui à la dernière page de la première section du Citizen d'Ottawa qu'il y avait une nouvelle version de l'Antonov, le plus gros avion au monde. Je dirais que nous pourrions probablement faire entrer notre armée au complet dans deux de ces appareils. Nous avons besoin d'avions de transport stratégique pour pouvoir déplacer des gens.
• 1635
Pour ce qui est de la marine, elle fait déjà du bon travail,
mais de grâce, nous devons avoir assez de marins pour naviguer sur
nos navires, ce qui nous éviterait de devoir les garder à quai à
Halifax et Victoria, parce qu'ils ne sont pas très menaçants à ces
endroits-là.
Mme Elsie Wayne: Et construisons-les tous au Canada.
Mgén Lewis MacKenzie: À Saint John.
Mme Elsie Wayne: Parfaitement. Merci. Je suis bien d'accord.
Mgén Lewis MacKenzie: N'allez pas mettre ça au haut de votre liste.
Mme Elsie Wayne: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, madame Wayne.
Nous allons maintenant passer à la troisième ronde, en commençant par M. Benoit.
M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président.
J'aimerais que nous parlions encore un peu de la notion d'interventions rapides, mais pour des missions courtes. Je vous ai demandé si vous pensiez que le ministre avait fait cette proposition pour masquer le fait que nous n'avons pas un effectif suffisant, ou peut-être pour le réduire encore plus. Vous nous avez répondu en gros—corrigez-moi si je me trompe—qu'il est évident que nous avons déjà réduit l'effectif à un point tel que nos forces armées ne sont plus viables. Je paraphrase.
Mais qu'est-ce que vous vouliez dire exactement par cette réponse? Qu'il est acceptable de reconnaître que nous n'avons pas une armée viable pour effectuer...ce que prévoyait le livre blanc de 1994, et que nous devrions donc adopter l'autre option? Vouliez-vous dire que ce serait une solution légitime pour les forces armées et qu'il faut donc l'examiner? Ou si vous vouliez dire autre chose?
Mgén Lewis MacKenzie: Oui, j'ai dit, monsieur, que j'avais des doutes. Je ne peux certainement pas lire dans la tête du ministre, mais j'ai bien l'impression que cette idée du «tôt arrivé, tôt parti» est dictée par la diminution de nos ressources, et par conséquent de notre capacité à soutenir un déploiement de ce genre à l'étranger.
Il y a une certaine arrogance nationale—même si je n'aime pas du tout ce terme—dans cette affaire, une attitude dans le genre: «Nous sommes les meilleurs, alors nous allons intervenir de bonne heure et nous retirer ensuite.» Je ne sais pas vraiment pendant combien de temps nous pourrons garder cette attitude. Dès que la première mission vraiment dangereuse se présentera et que nous risquerons de perdre beaucoup de monde, je ne suis pas certain que nous serons prêts à y aller. Et l'ONU va dire: «Vous aviez dit que vous alliez intervenir rapidement et mettre les choses en place pour nous.» Je ne suis pas certain que c'est ce qui se passera si nous n'avons pas le potentiel de combat nécessaire.
Donc, pour ce qui est de savoir si c'est le précurseur d'autres compressions, je n'ai aucun moyen de deviner si c'est l'objectif du ministre. J'espère seulement que non.
M. Leon Benoit: Il y a un autre objectif, parallèlement à celui d'avoir une force capable de faire ce que le Canada veut faire, d'après le livre blanc de 1994, parallèlement à celui d'avoir une armée capable de combattre et prête à le faire. L'ancien ambassadeur Gotlieb, qui a pris la parole au cours de la conférence dont j'ai déjà parlé, a évoqué—tout comme un autre conférencier dont j'oublie le nom—l'importance de rebâtir les Forces armées canadiennes pour leur redonner une présence suffisante dans les relations canado-américaines. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.
Mgén Lewis MacKenzie: Je serais tout à fait d'accord parce qu'à l'heure actuelle, les Américains pensent que nous en faisons plus qu'en réalité. Ils se rendent compte rapidement qu'en fait, nous ne sommes plus à la hauteur de notre réputation. Nous nous sommes vantés de notre contribution au cours des cinq dernières années, au moment même où elle diminuait globalement. Donc, nous allons être démasqués, et nous le sommes déjà. Même l'ONU, à ce qu'on m'a dit, quand elle regarde notre liste...je pense que nous sommes à peu près au 30e rang, ou quelque chose du genre, pour ce qui est de notre contribution.
Les pays qui apportent la plus grosse contribution ne sont probablement pas là pour les bonnes raisons. Le Bangladesh, le Pakistan et le Nigeria ne sont pas exactement des exemples parfaits de défenseurs des droits internationaux. En plus, le Nigeria est là parce qu'il touche 1 000 $ par mois par soldat.
Il est d'autant plus important que des pays comme le nôtre soient parfaitement capables d'accepter les missions qui vont dans le sens de nos intérêts nationaux. Je n'ai pas besoin de vous préciser que nos intérêts nationaux sont, pour l'essentiel, la paix et la sécurité internationales.
Donc, je m'inquiète aussi de voir que nous sommes rapidement en train de devenir—j'exagère un peu—la risée des Américains, quand ils se rendent compte du nombre de soldats que nous fournissons en réalité.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général.
Passons à M. Regan.
M. Geoff Regan (Halifax-Ouest, Lib.): Merci, monsieur le président.
• 1640
Général, vous avez parlé du quartier général intégré. Divers
témoins ont soulevé des questions en ce qui a trait au trop grand
nombre de généraux et officiers supérieurs ou de civils. Tout
d'abord, j'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet.
Pensez-vous que ce soit le cas?
Deuxièmement, vous proposez la dissociation des quartiers généraux civils et militaires. Quels seraient d'après vous les liens de travail appropriés entre ces deux groupes?
Mgén Lewis MacKenzie: Pour commencer, tout cela est dû à la structure que nous a imposée le gouvernement du Canada. Revenons à l'intégration. La formule de l'intégration voulait que dans le cas de tous les importants services du ministère de la Défense nationale, un soit dirigé par un militaire assisté d'un adjoint civil et un autre par un civil assisté d'un adjoint militaire. Après avoir travaillé de concert pendant six mois environ en 1972 ou 1973, les civils et les militaires ont commencé à comparer leurs salaires et ont découvert alors qu'un bureaucrate civil était beaucoup mieux payé que par exemple un colonel ou un brigadier.
Comment a-t-on réglé le problème des salaires? On a tout simplement élevé le responsable militaire à un grade supérieur. Le travail effectué par un colonel était donc désormais confié à un major-général. Par conséquent, la montée en grade découle directement de la structure du ministère de la Défense nationale, ici, dans la capitale du pays. Cela n'a rien changé sur le terrain. Les brigades sont toujours dirigées par des brigadiers. Les bataillons et régiments sont commandés par des colonels. Quant aux divisions, nous en avions une sur le papier pendant un moment, et ses éléments étaient commandés par des généraux à deux étoiles. C'est la structure bureaucratique qui a changé à Ottawa.
C'est principalement ici qu'a eu lieu la réduction du nombre de généraux, réduction importante, puisqu'ils sont passés de plus de 100 à une soixantaine. Notre pays cherche toujours à jouer dans la cour des grands et nous ne nous débrouillons pas si mal dans certains secteurs. Certains des nôtres occupent des postes importants tels que ceux de commandants adjoints au NORAD. Nous avons aussi une poignée de généraux nommés à l'OTAN. La plupart des généraux occupent ici, au ministère de la Défense nationale, des postes équivalents à ceux des bureaucrates civils.
Je devrais m'en réjouir, car sinon je ne serais probablement pas devenu général. Il y en avait beaucoup à l'époque. Je ne pensais pas que je serais promu à ce rang, mais je suppose que la demande était assez grande.
En cas de séparation des civils et des militaires, de sorte que ces derniers relèveraient du chef d'état-major de la Défense qui relèverait lui-même du personnel du bureau du ministre de la Défense nationale, comme je l'envisage personnellement, le sous-ministre demeurerait quand même responsable du personnel civil travaillant dans le secteur militaire. Cela continuerait de relever de sa responsabilité, mais le chef serait responsable de l'armée.
En cas d'enquête comme celle qui a eu lieu sur les incidents de Somalie, les questions ne seraient pas adressées à un comité. Beaucoup de généraux et de hauts fonctionnaires convoqués devant cette commission ont affirmé que leur responsabilité n'était pas engagée, car cela ne relevait pas de leurs fonctions. Ils ont eu tout à fait raison, puisqu'il est très difficile de dire où s'arrête la responsabilité quand on traite avec un comité.
C'est vrai qu'il y a beaucoup de généraux, la moitié moins qu'il y a dix ans, mais c'est la structure bureaucratique du ministère de la Défense nationale qui l'exige.
M. Geoff Regan: Mais alors, comment les deux groupes fonctionneraient-ils s'ils étaient dissociés? Quel est le type d'interaction requis et approprié entre les deux groupes?
Mgén Lewis MacKenzie: C'est la même chose en Angleterre, en Allemagne, en Italie et en France. Les deux groupes visent un but commun mais assument des responsabilités différentes. Les militaires répondraient aux directives du personnel civil que leur ferait probablement parvenir le ministre par l'intermédiaire de la bureaucratie civile qui intégrerait dans ses rangs une petite représentation militaire chargée d'expliquer les termes et les consignes de sécurité, etc.
M. Geoff Regan: Ne court-on pas le risque que la direction civile ne comprenne pas suffisamment les réalités militaires?
Mgén Lewis MacKenzie: Il incombe aux militaires de communiquer avec les civils pour leur expliquer. Nous répondons même aux mauvaises directives civiles. C'est le principe.
M. Geoff Regan: Je comprends.
Mgén Lewis MacKenzie: En tant que militaire, je ne dois pas discuter. Je peux démissionner... Mais je n'attaque pas le Parlement, comme cela se fait dans d'autres pays. En tant que chef militaire, je dois vous informer. Si vous m'ordonnez de faire quelque chose de vraiment idiot alors au moins... Le général Powell avait dit à Bush de ne pas faire la guerre du Golfe. Quand Bush a insisté, le général s'est mis au garde à vous et a accepté de faire son travail de militaire à la lettre.
M. Geoff Regan: La question est...
Le vice-président (M. Peter Goldring): Votre temps est écoulé. Nous allons maintenant passer à M. Bachand.
M. Claude Bachand: Merci, monsieur le président.
En tant que politiciens, nous écoutons les militaires nous dire qu'il n'y a pas suffisamment de militaires dans l'armée, que l'équipement est désuet, etc. Mais nous, les parlementaires, les législateurs et les membres de l'exécutif—le Conseil des ministres—avons la responsabilité de l'assiette fiscale de tout le pays. À cet égard, il y a quelque chose qui, pour nous, est primordial: l'opinion publique. Je pense que comprenez cela.
Nous, les politiciens, on aime être des «millionnaires» du nombre de votes déposés dans les boîtes de scrutin lors des élections. On appelle ça du capital politique et ça ne se compte pas en dollars nécessairement. C'est de cette façon que l'opinion publique nous perçoit. C'est ça, l'opinion publique.
Jusqu'à maintenant, mon impression m'amène à dire que l'opinion publique perçoit mal les investissements d'argent du côté de la Défense nationale. Je ne parle pas des gens ici présents, parce que nous sommes quand même des initiés. Nous sommes mieux en mesure d'évaluer l'ensemble des témoignages qui sont faits et de reconnaître, peut-être, qu'il faudrait faire un plus grand effort.
Tout ça est bien beau lorsqu'on est ici, au Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants. Mais lorsque je sors d'ici et que je m'en vais dans mon comté ou dans un comté voisin, ou ailleurs, et que je dis aux gens qu'il faudrait donner plus d'argent à l'armée canadienne, ils ne sont pas trop emballés par l'idée.
Je trouve que le gouvernement canadien pourrait faire un peu plus d'efforts pour hausser la crédibilité de l'armée canadienne, par exemple par des campagnes de publicité. Cela pourrait lui faciliter la tâche par la suite et lui permettrait d'investir un peu plus du côté de la Défense nationale. Je me demande parfois si le gouvernement ne fait pas exprès pour que la situation demeure comme ça: de cette façon, il n'a pas à investir d'argent supplémentaire du côté de la Défense nationale.
À mon avis, les missions de sauvetage qui ont été entreprises au Canada, notamment dans mon comté, lors du grand verglas, sont également très importantes pour hausser la crédibilité de l'armée. Mais on ne va quand même pas pour attendre les catastrophes pour hausser cette crédibilité. Peut-on avoir votre opinion à cet égard?
Comment pourrait-on changer l'opinion publique à l'égard de l'armée? Comment pourrait-on hausser la crédibilité de l'armée? Par des campagnes de publicité, par exemple? Vous sembliez parler de patriotisme plus tôt. N'est-ce pas là une veine que vous pourriez suggérer au gouvernement pour qu'il puisse convaincre l'opinion publique de ce qu'on doit faire une effort budgétaire plus grand pour l'armée?
[Traduction]
Mgén Lewis MacKenzie: De toute ma vie, je n'ai jamais connu une opinion publique aussi favorable. Je ne crois pas nécessairement aux sondages, mais ils indiquent tous un extraordinaire appui au sein de la population. Cependant, plusieurs politiciens m'ont dit que si l'on posait la question à la population, elle préférerait que l'État consacre de l'argent à la santé plutôt qu'à l'armée. Je suis bien d'accord, mais nous n'avons pas le choix. Un pays comme le nôtre a une responsabilité. Si nous voulons nous imposer comme nation, nous devons consacrer une contribution modeste—minimale—à notre objectif déclaré de paix et de sécurité internationales si nous voulons améliorer les échanges économiques, etc.
C'est là qu'intervient le leadership politique. C'est là, mesdames et messieurs, qu'il vous incombe de prendre un risque politique. Ce n'est pas parce que vous avez un intérêt direct, par exemple pour obtenir la construction d'un navire dans votre circonscription, mais tout simplement parce que c'est une obligation pour la nation. D'ailleurs, la plupart des circonscriptions n'ont aucune activité militaire de nos jours.
Il y a beaucoup de bonnes nouvelles. Tous les mois, des militaires m'envoient quatre ou cinq enveloppes exposant des cas particuliers en me demandant: «Général, puisque vous avez de bons rapports avec les médias, peut-être que vous pourriez leur demander de publier ces nouvelles.» Et cela ferait d'excellents reportages.
M. Claude Bachand: Vous devriez les envoyer à l'opposition.
Des voix: Ah! Ah!
Mgén Lewis MacKenzie: Oui, mais il faut préciser qu'il n'y a pas d'affaires publiques dans les Forces canadiennes. C'est le domaine du ministère de la Défense qui doit tenir compte de l'impact sur le ministre. Il serait donc possible d'améliorer les relations publiques. Certains civils me disent qu'ils adorent les publicités télévisées pour la réserve—des chars d'assaut franchissant des fossés en soulevant des grandes gerbes d'eau. De leur côté, les réservistes me disent: «Nous n'avons jamais vu cet équipement. Cela fait trois ans que nous nous sommes engagés et nous n'avons jamais fait ce genre d'exercice.» Mais le public aime ça, à cause du panache et cela ne me déplaît pas non plus.
• 1650
Nous avons beaucoup d'exemples remarquables, en particulier
outre-mer. Mais n'oubliez pas que pendant que nos forces sont
déployées à l'étranger, les militaires qui restent au pays
travaillent deux à trois fois plus fort pour remplacer leurs
collègues absents. Chez nous aussi, il se passe des choses
intéressantes.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, général. Nous allons maintenant passer à M. Wilfert.
M. Bryon Wilfert: Merci, monsieur le président, et merci au général MacKenzie...
Je suis ici depuis deux semaines à écouter parler de l'armée canadienne et plus ça va, moins je comprends. Au lieu d'obtenir des réponses, je finis par ne plus savoir où est la réalité et où est la fiction.
Je parle à des généraux qui se contredisent, affirmant que la majorité des réservistes participent à ce genre d'exercices sur ce type d'équipement. D'autres disent le contraire. D'autres me disent que l'on cherche de plus en plus à éliminer les distinctions entre les soldats de la réserve et ceux des forces régulières.
Nous allons, par votre entremise, monsieur le président, faire des recommandations sur ce que nous souhaitons voir se réaliser... Et une des propositions que nous avons entendues aujourd'hui et qui me paraît sans doute assez radicale mais qu'il faudrait examiner—est la dissociation et ses conséquences ainsi que ses avantages. Il est évident que vous avez sans doute une perspective très intéressante sur la question et j'espère pouvoir l'approfondir avec vous.
Comment nous assurer que nous donnons à nos forces armées tout ce dont elles ont besoin, tous les outils nécessaires—et je ne pense pas seulement à l'équipement—pour qu'elles bénéficient d'un appui politique? En tant que Parlement, nous devons définir le rôle des forces armées et les objectifs que nous voulons les voir poursuivre une fois que nous aurons défini leur rôle. Quels sont les résultats que nous voulons?
Monsieur le président, Elsie et moi nous nous connaissons depuis très, très longtemps, depuis l'époque où j'avais encore des cheveux et où les siens étaient plus noirs. Elsie dit que nous voulons éliminer la connotation politique. Je pense qu'il n'y a personne autour de la table qui ne souhaite pas éliminer l'aspect politique, sauf que la politique est toujours présente, parce que nous faisons toujours des déclarations politiques.
À votre avis, est-il possible de faire abstraction de la politique, de s'asseoir autour d'une table et d'affirmer ce en quoi nous croyons, au risque de déplaire à certains—après avoir établi les rôles—défini nos objectifs et indiqué quels seront les résultats que l'on pourra envisager si l'on investi tel ou tel montant d'argent dans leurs réalisations? Si vous ne pouvez définir les résultats que vous obtiendrez en fonction des sommes investies, il vous sera impossible d'obtenir l'appui politique ou public dont vous avez besoin.
Mgén Lewis MacKenzie: En lisant les délibérations sur Internet, j'ai pris connaissance de l'expérience australienne dont on a parlé un peu plus tôt. Il est très important que le MAECI intervienne du côté des affaires étrangères, puisque nos activités sont si liées désormais que les objectifs de politique étrangère de notre pays... Les exigences intérieures sont assez simples à articuler—pas simples à exécuter, simples à articuler—que ce soit la protection de l'espace aérien, l'aide aux autorités civiles, ou autres.
Permettez-moi de vous rappeler que si les forces de police de Montréal et Toronto se mettaient en grève en même temps, il faudrait décider quelle ville nous confierions aux forces américaines, car le personnel de l'armée ne suffirait pas à assurer le maintien de l'ordre dans les deux villes en même temps. Je suis chef honoraire de la police de Toronto. Il y a, à Toronto, 2 000 agents de police de plus qu'il y a de fantassins dans l'armée canadienne, du simple soldat au général; mais, ceci est une publicité.
Oui, le Canada a besoin de l'équivalent d'un comité national de sécurité pour prendre en compte les questions de sûreté intérieure et extérieure. Nombreux sont les intervenants qui ont évoqué cette nécessité beaucoup mieux que moi. Ce groupe déterminerait essentiellement les missions pour lesquelles il faudrait demander aux militaires de se préparer selon les divers états de préparation nécessaires.
Il n'existe pas, de par le monde, de pays où ce processus se fasse sans heurt, mais il est si décousu au Canada qu'il faudrait l'unifier pour qu'il relève des affaires étrangères, de la politique intérieure et de la sûreté. Ainsi, on pourrait déterminer dans quelle mesure le livre blanc est exact.
Lorsque j'avais déclaré que nous ne serions pas capables de mener à bien les missions prévues dans le livre blanc de 1994, le ministre de la Défense nationale m'avait qualifié de nostalgique de la guerre froide; or, je ne faisais que donner mon point de vue sur son propre document.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, monsieur Wilfert et merci général.
M. Bryon Wilfert: Merci, monsieur le président.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: Tout d'abord, général Lewis, je suis certaine que vous avez lu l'article paru récemment dans le journal concernant la nécessité d'améliorer les logements des familles de militaires à la base de Gagetown. J'ai visité des bases en Nouvelle-Écosse et en Colombie-Britannique. J'ai vu des militaires aller s'approvisionner à la banque d'alimentation. J'ai vu où ils vivaient—nous ne pourrions pas vivre dans les logements qu'on leur donne! Il faut trouver de l'argent quelque part et l'investir chez les militaires, dans le budget, et cela n'a rien à voir avec la politique. Nous voulons améliorer leur qualité de vie.
Vous vous souvenez de la situation en Nouvelle-Écosse—pour l'amour du ciel, Geoffrey, souvenez ce qu'il a fallu faire là-bas. Il a fallu installer un centre de consultation familiale sur la base à cause des difficultés conjugales que vivaient les membres des forces de maintien de la paix restés trop longtemps en mission, loin de leur famille. Ils ont construit un magnifique centre de consultation, le plus beau que j'aie jamais vu, mais il a fallu pour cela récolter de l'argent dans la collectivité, parce que le gouvernement ne voulait pas lâcher un sou. C'est vraiment un très beau centre, mais c'était pour la famille...
Mgén Lewis MacKenzie: J'aimerais parler de cela Elsie, car je pense que c'est très important. Ce genre de choses ne devrait pas être financé à même le budget de la défense. Ce serait une erreur, car il n'a pas un très grand impact sur les capacités opérationnelles. Ce genre de choses relève de la responsabilité du pays...
Mme Elsie Wayne: Vous avez tout à fait raison.
Mgén Lewis MacKenzie: ...vis-à-vis des hommes et des femmes en uniforme. Quand on réclame des choses comme cela, les militaires se font dire d'utiliser—devinez quoi—leur propre budget. Cela entraîne une réduction encore plus grande de leurs capacités opérationnelles, puisqu'ils doivent soustraire cet argent aux crédits destinés normalement à la formation, aux opérations ou à l'équipement, tout ça pour réparer des sous-sols inondés.
Mme Elsie Wayne: Mais il faut que ces choses-là soient dites et qu'il y ait suffisamment d'argent pour les deux.
Mgén Lewis MacKenzie: Absolument. Tout à fait d'accord.
Mme Elsie Wayne: Très brièvement, j'aimerais rapporter ce que nous a dit la semaine dernière le chef d'état-major de la Défense au sujet du message qu'il sert fréquemment aux Américains: «Souvenez-vous de vos alliés; ne nous dépassez pas trop sur le plan de la technologie.» C'est la solution qu'il entrevoit pour nous permettre de demeurer compatibles avec les États-Unis.
Est-ce une approche réaliste ou faut-il comprendre que le commandement central a conclu que le gouvernement n'investirait pas dans la recherche?
Mgén Lewis MacKenzie: Tout d'abord, je sais que les Américains ne vont absolument pas tenir compte de nous. Les Américains sont des gens très bien, mais ils ont leurs responsabilités en tant que superpuissance mondiale. S'il ne doit y avoir qu'une seule superpuissance dans le monde, je remercie le ciel que ce soit les Américains plutôt que certains autres pays. Néanmoins, la remarque en dit long sur la difficulté qu'éprouve le CEMD à ne pas se laisser dépasser par la révolution technologique très onéreuse qui a cours actuellement.
Mais le type de travail que prévoit pour nous le livre blanc ne fait pas toujours intervenir la technologie. Les soldats, les pilotes, les sous-mariniers sont toujours importants—ces gens sont importants pour faire fonctionner le matériel; il est indispensable de disposer au moins d'une masse critique considérée comme une contribution importante. Je veux tout simplement dire qu'il faut appliquer des priorités et une de ces priorités concerne la main-d'oeuvre, puisque nous manquons de bras. Les Américains vont continuer de se perfectionner le plus possible et le plus rapidement possible, parce que cela contrarie leurs ennemis et heureusement pas leurs alliés.
Mme Elsie Wayne: Mais si vous n'étiez pas dans l'armée à l'heure actuelle est-ce que vous auriez envie de vous engager après avoir lu des articles sur les conditions de vie des militaires qui sont contraints de fréquenter les banques alimentaires? Comment espérons-nous attirer des nouvelles recrues de cette manière?
Mgén Lewis MacKenzie: Vous avez raison, mais j'envisage le recrutement de manière tout à fait différente. Je pense qu'on peut toujours faire appel au patriotisme et au nationalisme des gens.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, madame Wayne.
Nous allons maintenant passer à M. Eyking.
M. Mark Eyking (Sydney—Victoria, Lib.): Êtes-vous des Maritimes?
Mgén Lewis MacKenzie: Absolument. Je suis gêné d'avouer que je me suis engagé dans l'armée pour ne pas rester là-bas, mais...
M. Mark Eyking: De quelle région venez-vous?
Mgén Lewis MacKenzie: D'un tout petit endroit à l'extérieur de Truro, en Nouvelle-Écosse, appelé Princeport, où il n'y avait rien d'autre que des fermes d'anciens combattants. Par la suite, mon père s'est engagé à nouveau pour la guerre de Corée. Ensuite, le village a disparu.
M. Mark Eyking: Je suis moi-même du Cap-Breton qui n'est pas trop loin...
Mgén Lewis MacKenzie: J'ai fait mes études à Saint Francis Xavier, je suis un ancien élève des jésuites.
M. Mark Eyking: Le phénomène que traverse notre pays n'est pas nouveau. Lorsqu'une nation ne met pas sa plus grande priorité dans la défense, c'est généralement parce qu'elle n'a pas d'ennemis ou parce qu'elle bénéficie de la protection de quelqu'un d'autre. C'est un phénomène que l'on observe depuis des milliers d'années.
Ne devons-nous pas, en tant que membres de l'OTAN et des Nations Unies, maintenir un certain niveau ou exercer un certain rôle? Ces organisations ne décident-elles pas par exemple que l'Italie doit faire ceci, que le Canada doit faire cela? Est-ce que ce n'est pas comme cela que les choses fonctionnent actuellement? Est-ce qu'elles ne nous demandent pas de faire plus ou est-ce que nous ne faisons pas tout à fait notre part?
Mgén Lewis MacKenzie: Dans les vénérables bureaux de l'OTAN, nous avons des responsabilités importantes puisque, selon la charte de l'OTAN, une attaque contre un des membres est considérée comme une attaque contre tous et que tous les membres doivent participer à la défense. Il faut savoir que l'OTAN regroupe maintenant les Tchèques, les Slovaques, les Polonais et les Hongrois qui courent sans doute plus le risque d'être attaqués que certains de nos autres alliés.
Par conséquent, il y a une obligation pour nous. Si, par exemple, la Yougoslavie sous les bombardements avait décidé d'attaquer la Hongrie, le Canada se serait trouvé dans une situation délicate puisqu'il aurait dû se porter à la défense de la Hongrie.
Aussi, vous avez tout à fait raison. Il y a un minimum essentiel et, compte tenu du fait que le pourcentage du produit intérieur brut que le Canada consacre à la défense est au minimum de ce que prévoit l'OTAN on nous incite depuis de nombreuses années à augmenter notre participation.
Nous nous en sommes tirés jusqu'à présent parce que nous avons fait d'importantes contributions à l'ONU ou aux opérations de maintien de la paix. Pourquoi devrions-nous partir en mission en Europe? Je suis fier que nous l'ayons fait, mais d'un point de vue géographique, les Européens devraient pouvoir se charger de telles situations. De fait, ils avaient commencé à le faire pour la Yougoslavie, mais le Canada est intervenu et a fait un excellent travail.
Par conséquent, les gens étaient prêts à tenir compte de notre contribution globale aux opérations internationales de paix et de sécurité. Cette contribution a nettement diminué. Nous n'avons qu'environ 400 personnes déployées de par le monde, avec une importante contribution pour l'OTAN en Bosnie actuellement, très peu pour l'ONU, moins le contingent en Érythrée quand il sera revenu.
Je n'ai rien d'autre à ajouter. Je voulais tout simplement préciser que nous nous faisons rattraper. Vous organisez ces audiences au moment où notre présence sur la scène internationale s'amenuise de plus en plus et si elle continue à diminuer, il nous sera impossible de boucler ces opérations.
M. Mark Eyking: Il nous faudrait peut-être une petite guerre à Toronto ou Montréal pour montrer aux gens ce que c'est que d'affronter un ennemi ou de se trouver sans défense.
Mgén Lewis MacKenzie: Dans une ville comme Toronto, environ 52 p. 100 de la population—je crois que l'évaluation est assez juste—est constituée de personnes qui ont quitté leur pays pour échapper à une dictature militaire ou une guerre. Ces gens-là savent très bien de quoi l'on parle et si nous ne pouvons mobiliser cette opinion publique, nous devrions tout simplement démissionner.
Quand je vais dans les universités et les écoles secondaires pour parler des pays d'Amérique centrale, de l'Éthiopie et des pays satellites et de la Yougoslavie—ces gens-là sont dans l'auditoire. Ce sont des réfugiés, des immigrants reçus, des citoyens canadiens. Ils comprennent et nos enfants commencent eux aussi à comprendre.
Qu'on le veuille ou non, nous avons un rôle à jouer sur la scène internationale. Nous passons pour le pays le plus multiethnique du monde, un pays qui a une grande compassion pour les autres peuples qui, involontairement, se trouvent dans des situations fort déplorables. Je pense que nous avons, vis-à-vis de l'étranger, des obligations équivalentes aux bienfaits dont nous bénéficions ici et, pour le moment, je pense que ces bienfaits sont sans doute plus grands que la contribution que nous apportons. Et cela n'enlève rien aux personnes que nous envoyons en mission à l'étranger—certaines d'entre elles multipliant d'ailleurs les missions, année après année.
Lorsque j'ai quitté l'armée, je portais sur mon uniforme quatre rangées de décorations, grâce aux nombreuses missions de maintien de la paix de l'ONU que j'avais faites, pour éviter d'avoir à travailler. De nos jours, j'accroche des médailles sur la poitrine de sergents qui commencent leur quatrième rangée de décorations à 30 ans.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci mon général. Passons maintenant à M. Benoit.
M. Leon Benoit: Merci, monsieur le président.
Je vais commencer par un petit commentaire. Dans sa question, M. Bachand a parlé du manque de soutien pour l'armée dans sa circonscription. J'ai pensé immédiatement que cela n'était pas étonnant quand on considère que les premiers ministres ne soutiennent pratiquement pas l'armée depuis de nombreuses années. Il n'est pas simplement question du premier ministre actuel. Je pense que tout cela a commencé avec le premier ministre Trudeau.
À quoi peut-on s'attendre lorsque les députés ne manifestent pas assez de soutien pour les militaires? Regardez les politiciens américains qui prennent le temps de dire qu'ils sont fiers de leurs militaires. J'aimerais tout simplement vous demander quelle serait selon vous l'incidence sur le taux d'attrition et sur le recrutement si le premier ministre se montrait fier de nos militaires et vantait l'utilité de l'armée?
• 1705
Que se passerait-il si le gouvernement reconnaissait la
nécessité de l'armée et manifestait son engagement? Pas le genre
d'engagement que reflète la diminution de 40 p. 100 du budget au
cours des dix dernières années, en chiffres absolus. Mais quelle
serait l'incidence si les députés prenaient les choses en main dans
leur circonscription afin de dire que les militaires sont utiles et
qu'il faut en être fier? J'aimerais savoir dans quelle mesure cela
contribuerait à diminuer la chute des effectifs et encourager le
recrutement.
Mgén Lewis MacKenzie: C'est difficile à évaluer, mais je pense que l'incidence serait énorme. Par ailleurs, ce serait très positif pour le moral.
D'ailleurs, on dit que le moral est mauvais dans les Forces canadiennes. Les sergents-majors ne sont pas de cet avis et moi, je leur fais toujours confiance. Ils me disent: «Vous savez, mon général, nous n'avons pas de problème de moral.» Il y a un problème lorsque les gens sont maussades et renfrognés, quand ils rechignent au travail. Nous avons un problème de comportement. À l'étranger, le moral des troupes est excellent. Les militaires font ce qu'on leur demande. Mais ils sont dégoûtés quand ils constatent le peu de reconnaissance que leur vaut le travail qu'ils ont accompli.
Je vais vous donner un exemple qui est devenu depuis une cause célèbre, il y a trois ans, je crois, lorsque j'ai remplacé Anne Petrie pendant une semaine comme animateur de son émission. Un des sujets que j'avais choisis était la création d'un cimetière militaire national. C'est la première fois que le sujet était abordé, tout au moins dans le grand public.
Je l'ai fait parce que je voulais que vous soyez au courant, vous les élus, chaque fois qu'un soldat était tué.
Aux États-Unis, le président accueille le corps d'un soldat à la base Andrews de l'armée de l'air. Il rencontre la famille. Et selon les voeux de celle-ci, il y a des funérailles nationales.
Au Canada, nous ramenons nos soldats chez eux, en grande dignité, pour les enterrer à Musquodoboit, en Nouvelle-Écosse, ou ailleurs. Tout cela se fait avec dignité, mais loin du public, au cours d'une cérémonie tout à fait privée. Nous faisons très bien les choses, je ne dis pas le contraire, mais ça s'arrête là.
Je gagne en partie ma vie en donnant des conférences et je rencontre beaucoup de monde de cette manière. Je demande souvent aux gens présents dans l'auditoire de lever la main pour indiquer quand ils pensent que j'aurai fini d'énumérer le nombre de soldats canadiens qui ont été tués dans l'ancienne Yougoslavie. La plupart des gens arrêtent de lever la main quand j'ai compté jusqu'à trois ou quatre. Quand j'arrive à 22 ou 23, ils pensent que c'est une plaisanterie. C'est faux. Nous ne savons tout simplement pas combien de morts il y a eu.
Il semble que le gouvernement pense que le public canadien serait choqué d'apprendre le nombre véritable de morts. Choqué? Je pense que les Canadiens en seraient fiers. C'est pourquoi, la situation serait peut-être différente si nous avions un cimetière militaire national ici et si le commandant en chef, le gouverneur général, assistait à toutes les funérailles. Cela permettrait aux gens de comprendre et répondrait je crois à vos préoccupations.
Si je pouvais le faire d'un coup de baguette magique, je crois que les hommes et les femmes des Forces canadiennes en seraient très heureux.
M. Leon Benoit: L'Institut canadien des études stratégiques a publié il y a quelques mois un document dans lequel il se livre je pense à une petite extrapolation. Selon l'Institut, si les effectifs continuent à diminuer au rythme de l'année écoulée, il restera environ 42 000 militaires dans les Forces canadiennes d'ici la fin de l'année prochaine. Cela semble un peu exagéré, mais pensez-vous que ce soit possible?
Mgén Lewis MacKenzie: Tout dépend de la prospérité de l'économie. Lorsque j'étais commandant à Calgary à la fin des années 70, pendant le boom pétrolier, je perdais 35 soldats par mois dans mon bataillon de 700 hommes, tout simplement parce qu'ils gagnaient plus à travailler chez Woolco ou qu'ils se faisaient dix fois plus d'argent en travaillant dans les exploitations pétrolières du nord de l'Alberta. Tout dépend donc beaucoup de l'économie.
Les critères de libération sont relativement généreux pour un militaire qui se demande s'il devrait poursuivre sa carrière ou quitter les forces armées. Il peut être tenté d'attendre qu'on lui propose de prendre une retraite anticipée. Tout dépend des conditions économiques.
M. Leon Benoit: Pensez-vous que les effectifs soient déjà tombés à 52 000 ?
Mgén Lewis MacKenzie: Oui. Les effectifs déployables...et non pas prêts au combat, mais... Quand je dis aptes, je pense à du personnel en santé, qui peut se déplacer sans canne ni fauteuil roulant.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup, monsieur Benoit.
Monsieur Wood.
M. Bob Wood: Monsieur le président, je vais me contenter d'une question rapide et s'il me reste du temps, mon collègue M. Regan fera le reste.
Mon général, lorsque Mme Wayne a évoqué l'avance technologique des Américains, j'ai pensé à un article que j'ai lu dans le Citizen hier, dans lequel David Rudd qui est, comme vous le savez, un analyste de l'Institut canadien des études stratégiques, affirme que les militaires canadiens devront trouver une façon de séparer leurs activités NORAD de leurs activités antimissile avec les États-Unis si le Canada prend fermement position contre le système américain de défense antimissile.
Est-ce que le Canada peut séparer ses activités NORAD de ses activités liées aux missiles?
Mgén Lewis MacKenzie: Oui, mais il lui faudra convaincre les Américains, puisque le NORAD est une organisation bilatérale.
• 1710
Quant à moi, j'ai un point de vue légèrement différent sur la
défense nationale antimissile. Je ne pense pas que les Américains
aient l'intention de déployer un tel système. Ils n'ont jamais eu
l'intention de se lancer dans la guerre des étoiles, mais il est
certain que le projet a eu des incidences stratégiques
géopolitiques. C'est lui entre autres choses qui a mis fin à la
guerre froide.
Le processus de défense nationale antimissile va durer une dizaine d'années. Par conséquent, les Américains en sont aux premières étapes de la négociation. C'est comme lorsqu'on achète un tapis dans un souk: on fait une offre et on attend la contre-offre. Beaucoup d'autres choses importantes vont arriver et je ne pense pas que nous traversions actuellement une crise.
Si le Canada veut se dissocier des États-Unis, il devra négocier un accord bilatéral. En revanche, je pense que ce serait une erreur sur le plan diplomatique de partir en claquant la porte.
M. Bob Wood: Allez-y, Geoff.
M. Geoff Regan: Mon général, quel serait d'après vous, le matériel qu'il faudrait remplacer en priorité dans l'armée? Quel est le matériel que vous commanderiez si vous étiez ministre et si cette responsabilité vous incombait?
Mgén Lewis MacKenzie: Vous souvenez-vous que j'avais menacé démissionner si vous me posiez cette question? Mais je suppose qu'en tant que civil je ne peux pas démissionner.
Mais, pour parler sérieusement, il faut d'abord que je sache quelles sont mes priorités telles que définies dans le livre blanc. Si on me demande de faire la chasse aux sous-marins, j'ai besoin d'hélicoptères. Sans hélicoptères, les navires ne servent à rien.
M. Geoff Regan: Mais vous nous avez dit qu'une base devrait disposer d'une brigade prête à intervenir.
Mgén Lewis MacKenzie: Et être en mesure de la remplacer, c'est exact.
M. Geoff Regan: Et pour cela, quel serait l'équipement nécessaire? Qu'est-ce qui manque actuellement?
Mgén Lewis MacKenzie: Ce qui nous manque le plus, c'est le personnel. Nous avons besoin d'un meilleur parc automobile, de l'équipement personnel, des gilets pare-éclats—c'est un mauvais exemple, ils sont terriblement vieux et seront remplacés par du nouveau matériel. Pour les armes légères, les armes personnelles, ça va bien, mais le parc automobile commence à être fatigué, surtout les véhicules roulants qui déplacent le matériel logistique et les munitions pour l'artillerie. Il nous faudrait un plus grand nombre de VBL, les véhicules blindés légers qui commencent à nous être livrés, mais encore faut-il pouvoir former le personnel à leur utilisation.
Ces véhicules font toujours de l'effet dans les défilés, mais il faut beaucoup d'argent pour former le personnel à leur utilisation. Toutes les autres armées ont recours à la simulation informatique pour réduire les coûts de la formation et pour que le personnel soit plus rapidement capable de partir en mission et d'utiliser efficacement les armes et l'équipement.
Dès 1985, j'ai commencé à parler de simulation, lorsque j'étais chef d'état-major adjoint de la défense chargé de la formation. Aujourd'hui, 16 ou 17 ans plus tard, je siège au comité de consultation d'une société qui doit offrir des services de simulation qui ne seront prêts que dans quatre ou cinq ans. C'est ahurissant.
Tout cela est possible. Mais le vérificateur général et le Congrès des associations de la Défense ont évalué de manière assez détaillée les fonds qu'il faudrait investir pour stopper l'hémorragie et entamer le processus de reconstruction. Les chiffres sont assez impressionnants et atteignent jusqu'à deux milliards par an. Le problème, c'est que le gouvernement a réduit le budget de la défense depuis 1993 pour rembourser le déficit et qu'il est difficile de stopper l'hémorragie et de commencer à reconstituer les effectifs sans une importante injection de fonds.
Si le gouvernement refuse de le faire, l'état-major militaire n'aura probablement pas d'autre choix que de réduire ses effectifs. Il faut compter dix ans, de la planche à dessin jusqu'à la livraison, pour obtenir de l'équipement. La marine, l'armée de l'air et l'armée de terre ont énormément sabré dans les dépenses d'opération et d'entretien. Le Canada ne peut plus prétendre former des as de l'aviation puisque nous ne faisons plus assez d'entraînement en vol. La seule chose qu'il nous reste, c'est le personnel. Au moment du recrutement, il y a une hausse des dépenses, mais par la suite, on économise beaucoup d'argent. Par conséquent, l'armée est contrainte de réduire son personnel.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup mon général.
Monsieur Bachand.
M. Claude Bachand: Je n'ai pas d'autres questions.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: Je veux simplement remercier le général Lew d'être venu. Je pense qu'il a fait de l'excellent travail et qu'il a bien transmis son message. Bien entendu, nous allons poursuivre tous deux notre débat sur l'accession des femmes à des postes à bord des sous-marins.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Monsieur Benoit, avez-vous une question rapide?
M. Leon Benoit: Oui, monsieur le président, mais je sais que vous voulez, vous aussi, poser une question alors je vais être bref.
Major-général MacKenzie à quoi attribuez-vous la diminution actuelle des effectifs? Quelles sont, d'après vous, les causes fondamentales de ce taux d'attrition?
Mgén Lewis MacKenzie: À mon avis, c'est la répétition des déploiements outre-mer, car ce genre de missions ne touche pas uniquement le personnel militaire, mais également le personnel qui reste au pays et qui doit faire le travail de ceux qui sont partis.
Au tout début, lorsque la GRC commença à déployer une grande quantité de personnel outre-mer, elle avait mis sur pied une équipe qui comblait les postes vacants des membres qui étaient partis en mission pour l'ONU. C'était la solution idéale. Les militaires scandinaves le font et les Forces aériennes canadiennes aussi. Mais l'armée ne le fait pas et les militaires qui restent au Canada doivent prendre en charge le travail supplémentaire.
• 1715
Le caractère répétitif des missions de l'ONU est sans aucun
doute une cause. L'estime de soi en est une autre. Beaucoup de
militaires m'appellent pour me demander s'ils devraient rester ou
quitter l'armée. Ils sont déçus par le manque de soutien qu'ils
reçoivent. Le moral n'est pas si mauvais, je le répète. Les
militaires font le travail qu'on leur demande de faire. Mais ils
sont déçus de constater que les médias mettent l'accent sur les
problèmes et moi, je ne peux pas contrôler les médias. Il y a le
cas du Régiment aéroporté en Somalie. Quand on y pense, c'est un
cas de torture et de meurtre méprisable mais unique en 100 années
d'histoire militaire.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, les effectifs moyens des Forces canadiennes ont été de 96 000 personnes. C'est la population de Sudbury. Si Sudbury avait été le théâtre d'un acte méprisable, on n'en aurait pas conclu que c'était une tendance. Et pourtant, on a dit dans le cas de l'incident de la Somalie que c'était une tendance imputable à un groupe de racistes blancs semant la terreur dans la Corne de l'Afrique.
Je suis retourné trois fois à Belet Huen et chaque fois, on me presse de toute part et on m'implore: «Ramenez-nous le régiment, ramenez-nous les soldats—ils ont construit nos écoles, ils ont purifié l'eau, ils ont construit des ponts.» La population canadienne n'a jamais eu connaissance de ces détails. En fait, le travail de la commission chargée d'analyser l'incident en Somalie a été interrompu juste à ce moment-là. Pourtant, de bonnes choses ont été faites en Somalie.
M. Leon Benoit: J'entends régulièrement des soldats se plaindre de la disparition du Régiment aéroporté, car il leur manque un idéal à atteindre. En effet, pour un militaire, le Régiment aéroporté était comme un but à atteindre. Maintenant, il n'existe plus.
Mgén Lewis MacKenzie: Quand j'avais 25 ans et que j'étais le lieutenant MacKenzie, j'avais écrit un mémoire là-dessus—je proposais que, plus que toute autre nation au monde, le Canada devrait se doter d'une armée d'élites. Oublions le Régiment aéroporté, c'est toute l'armée canadienne qui devrait être une force d'élites. Nous aurions seulement 17 000 ou 18 000 militaires. Ce serait partout du personnel élite, dans les chars d'assaut, l'artillerie, l'infanterie. Chacune des brigades pourrait être une brigade de commando. Les commandants étrangers se disputeraient pour nous avoir comme alliés.
Mme Elsie Wayne: Pourquoi ne reprenez-vous pas vos fonctions de chef?
Mgén Lewis MacKenzie: C'est bon pour les jeunes.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci, monsieur Benoit et merci à vous mon général d'être venu témoigner. Il est utile d'avoir une bonne discussion sur ce sujet qui est depuis quelque temps déjà une source de préoccupation.
J'aimerais vous demander s'il existe une façon de mesurer l'efficacité militaire? Il y a d'autres pays, d'autres nations qui déploient des troupes comme nous le faisons. Existe-t-il un modèle que le comité pourrait appliquer au Canada? J'ai l'impression que, dans le cas de l'armée, on ne mesure pas l'efficacité en fonction d'un critère fixe. Pouvez-vous nous donner votre point de vue à ce sujet ou nous recommander une façon de procéder?
Mgén Lewis MacKenzie: Oui, c'est un sujet complexe—mais je ne devrais pas dire controversé. N'importe qui peut vous donner des idées et vous suggérez différentes façons de quantifier l'efficacité: vérifier la forme physique, compter les armes, vérifier leur état ou comparer les résultats des concours de tir. Mais en fin de compte, vous devez vous adresser aux échelons les plus élevés de l'organisation, au groupe-brigade, pour effectuer l'évaluation. Ils font l'évaluation sur le terrain, avec des munitions chargées. C'est ce que font les Américains.
Il y a cinq ou six ans, l'armée irlandaise a retenu mes services pour procéder à sa réorganisation. Les effectifs sont de 15 000 ou 16 000 personnes. L'armée irlandaise a créé, sur mes recommandations, un centre national de formation—à l'échelon du bataillon uniquement. Pourquoi? Tout simplement parce que leur engagement opérationnel le plus difficile consiste à envoyer deux fois par an un bataillon au Liban. Il y a un roulement avec les Nations Unies tous les six mois et l'armée irlandaise n'intervient jamais à d'autres échelons.
Par conséquent, comment savoir si les militaires font bien leur travail? Il faut leur demander de faire leur travail dans les conditions contrôlées d'un centre de formation. Si l'unité n'obtient pas les résultats requis, il faut renvoyer le commandant et organiser le bataillon pour qu'il soit plus efficace.
On peut aussi faire une évaluation quantitative. Les Américains ont déclaré que deux de leurs divisions étaient non opérationnelles parce qu'une trop grande proportion de leur personnel était en mission au Kosovo. Washington a pris la chose très au sérieux lorsque le commandant de division a annoncé qu'il n'était pas opérationnel et que sa division ne pouvait pas se déployer.
Je crois que la vaste majorité de nos unités devraient en faire de même si on leur posait la question. Ce serait le cas certainement pour toutes les brigades.
Le vice-président (M. Peter Goldring): Merci beaucoup mon général.
Voilà qui met fin à notre réunion.
Mgén Lewis MacKenzie: Merci beaucoup.
Le vice-président (M. Peter Goldring): La séance est levée.