NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 17 mai 2001
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
Dans le cadre de notre examen de l'état de préparation des Forces canadiennes, nous accueillons aujourd'hui le lieutenant-général Jeffery, chef d'état-major de l'Armée de terre. Le général est accompagné du colonel Stephen Appleton, directeur, Disponibilité opérationnelle de la Force terrestre et de l'adjudant-chef Marius Dumont, adjudant-chef du commandement de la Force terrestre.
Général, au nom des membres du comité, je vous souhaite chaleureusement la bienvenue. Nous sommes très impatients de vous entendre aujourd'hui. Vous avez la parole.
Lieutenant-général M.K. Jeffery (chef d'état-major de l'armée de terre, ministère de la Défense nationale): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs.
Je tiens à remercier le comité de me donner l'occasion d'aborder la question de la capacité et de la disponibilité opérationnelle de l'armée de terre. J'aimerais féliciter le comité d'avoir décidé de relever un défi aussi important, et même à mon avis colossal.
Ma tâche aujourd'hui est de vous faire part de ma perception de l'état de la capacité et la disponibilité opérationnelle de la force terrestre. Il est clair qu'il n'est pas possible de le faire en vous donnant tous les détails nécessaires dans le temps qui m'est accordé. Ce que j'essaierai de faire, cependant, c'est de vous donner une vue d'ensemble de la situation ainsi qu'une évaluation globale à partir desquelles nous pourrons examiner certains détails par le biais de vos questions et, au besoin, lors de prochaines séances.
[Français]
J'aborderai en premier lieu la question de la capacité: de quoi il s'agit, comment nous la mesurons et comment nous conservons sa pertinence. Je tenterai par la suite de vous entretenir de la disponibilité opérationnelle: le défi que représente son évaluation, les facteurs clés ayant une incidence sur elle, mon évaluation de la disponibilité opérationnelle actuelle et les mesures que nous prenons pour l'améliorer.
[Traduction]
Je dois préciser d'emblée que la question de la capacité et de la disponibilité militaire est très complexe et que même des officiers militaires professionnels ont de la difficulté à s'entendre parfaitement sur ce qu'elle signifie. Il y a une grande part de jugement professionnel qui entre en ligne de compte, et étant donné les diverses expériences vécues par les soldats, chacun a sa propre définition de la disponibilité opérationnelle et de la capacité.
Alors, si vous cherchez une opinion uniforme et cohérente chez tous les commentateurs, vous serez déçus. Toutefois, je m'efforcerai de rendre mes idées claires et de vous aider à comprendre cette question difficile. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je dois établir un peu le contexte et peut-être vous mettre au courant de certains de mes partis pris personnels.
Premièrement, bien que je sois ici à titre de commandant de l'armée de l'air, je fais partie d'une équipe au sein du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes. Cela n'est pas que belles paroles, car je crois fermement que nous ne pouvons plus voir les opérations militaires uniquement du point de vue des armées ou des fonctions. L'environnement opérationnel exige de plus en plus une étroite collaboration entre toutes les forces, et nous intégrons cette interopérabilité dans notre capacité.
De la même façon, en tant que pays, nous pouvons difficilement nous permettre de maintenir des capacités qui ne sont pas utilisables dans diverses situations. Alors, quel que soit l'environnement, les opérations futures doivent être considérées comme étant interarmées, c'est-à-dire menées conjointement par l'ensemble des composantes de la force. Par conséquent, lorsque je parlerai de l'armée de terre, je ne chercherai pas à exclure les autres armées, mais j'en parlerai comme d'une composante des Forces canadiennes.
Deuxièmement, je suis préoccupé—et franchement même quelque peu frustré—par les tentatives de certains de placer les évaluations de la capacité et de la disponibilité opérationnelle dans des boîtes noires ou blanches. Trop de gens veulent des réponses simples, à savoir: ou nous avons la capacité et la disponibilité, ou nous ne les avons pas. La réalité, dans ce monde complexe, c'est que la vérité est une mosaïque de teintes de gris lorsque l'on examine les nombreuses forces et faiblesses d'une organisation.
• 1535
Bien sûr, les détails de l'évaluation doivent finir par se
résumer en un constat: ou nous sommes prêts à faire le travail
qu'on nous demande de faire, ou nous ne le sommes pas. Mais cette
évaluation doit être fondée sur le jugement professionnel de ceux
qui ont la responsabilité d'engager les forces, en tenant dûment
compte du risque d'exposition à une menace particulière et du type
de conflit auquel nous pouvons être confrontés. J'essaierai par
tous les moyens de garder les choses aussi simples que possible,
mesdames et messieurs, mais ne vous attendez pas à ce que je vous
donne des réponses du genre «oui» ou «non».
Troisièmement, nous devons nous rappeler que la capacité et la disponibilité opérationnelle doivent avoir une orientation claire. En dépit de ce que certains peuvent souhaiter, il m'incombe de remplir la mission et d'exécuter les tâches fixées par le gouvernement qui m'ont été confiées par le chef d'état-major de la Défense. Bref, cela signifie une armée de terre capable de produire et de soutenir jusqu'à deux unités de la taille d'un groupe bataillon ou de produire une force d'intervention principale de la taille d'une brigade. Je ne suis pas tenu de soutenir une brigade pendant plus de six mois, à moins qu'un certain niveau de mobilisation soit autorisé.
Un groupe bataillon doit être en mesure de se déployer en dix jours; un deuxième doit être déployable avec 21 jours de préavis; et la brigade doit être déployable dans les 90 jours. Évidemment, l'armée de terre doit être en mesure d'aller plus loin, et notre force, en particulier la force de réserve, a pour objet de fournir cette profondeur. Cependant, notre capacité et notre disponibilité opérationnelle sont très souvent évaluées en fonction de la mission et des tâches qui nous sont confiées. Bien que de nombreuses personnes puissent souhaiter que le Canada dispose d'une capacité accrue, et je trouve moi-même que c'est un objectif à viser, cette augmentation souhaitable de la capacité ne dépend pas de moi et n'est pas l'objet de mon évaluation aujourd'hui.
[Français]
Enfin, nous devons nous méfier des comparaisons non définies. À quoi comparons-nous notre capacité et notre disponibilité opérationnelle? À l'Armée de terre à une certaine époque de son histoire, ou aux menaces potentielles auxquelles nous serons confrontés aujourd'hui ou dans cinq ou dix ans? En réalité, nous devrions tenir compte des deux: une comparaison historique pour déterminer si nous faisons des progrès; une comparaison actuelle pour vérifier que nous sommes en mesure de faire le travail aujourd'hui et demain.
[Traduction]
Je reviendrai sur ces quatre questions plus tard quand j'essaierai de vous donner mon évaluation.
Définir la capacité est un défi. Mes commentaires sur ce sujet s'inspireront des bases jetées par M. Kasurak, du Bureau du vérificateur général. Vous vous souviendrez qu'il a parlé des cinq piliers définis par l'armée américaine: l'infrastructure, la structure de la force, la modernisation, la soutenabilité et la disponibilité opérationnelle. Pour gagner du temps, je n'aborderai pas aujourd'hui la question de l'infrastructure, bien qu'elle constitue un pilier important. Mais je m'attarderai sur les quatre autres piliers.
La structure de la force est l'essence même du potentiel de combat. Ici, il importe d'examiner la doctrine qui est en vigueur—c'est-à-dire la conception organisationnelle et le fonctionnement de la force. Les principaux éléments constitutifs de l'organisation sont les personnes et l'équipement, et les évaluations doivent être faites sur la quantité et la qualité des deux.
Je crois que l'élément le plus important, c'est la cohésion: il s'agit ici d'évaluer la puissance de l'équipe de combat, comment ses membres collaborent et leur niveau d'efficacité et d'expérience collective. Il s'agit d'un objectif très difficile à atteindre et qui exige l'établissement de liens de confiance entre les soldats ainsi qu'entre les soldats et leurs chefs. En dernière analyse, il s'agit de l'élément critique qui assure la solidité et la robustesse d'une unité afin qu'elle puisse résister aux chocs du combat.
Pour vous donner mon évaluation de la structure de la force, je dirais que la nôtre est dépassée. Certes, elle répond aux besoins d'aujourd'hui, mais elle doit s'adapter à l'avenir. Notre équipement est généralement bon, nous avons de nouveaux équipements très perfectionnés qui entreront prochainement en service, ce qui augmentera notre capacité et, comme vous le savez sans doute, nous avons également de l'équipement vieillissant qui doit être soit mis à niveau, soit remplacé.
La qualité de notre personnel demeure excellente. En effet, je n'ai probablement jamais vu l'entraînement individuel et l'expérience de l'armée de terre à de tels niveaux, et c'est de cette force que nous dépendons actuellement. Toutefois, la quantité des personnes constitue un défi. Je dois vous préciser, monsieur le président, qu'il y a une légère différence entre les chiffres que vous avez et les chiffres plus exacts que je vais vous donner.
• 1540
Dans l'ensemble, l'effectif de la régulière est de
19 500 personnes. Actuellement, nous en sommes à 18 600,
c'est-à-dire qu'il nous en manque 900. L'effectif de la réserve est
actuellement un peu en dessous de la barre des 14 000 personnes.
Les effectifs en activité à n'importe quel moment sont toujours
moindres.
Enfin, notre niveau de cohésion est adéquat, car les unités existent depuis longtemps et ont acquis beaucoup d'expérience opérationnelle. Par contre, étant donné que les activités d'instruction collective sur la façon de faire la guerre sont de moins en moins nombreuses, à long terme la cohésion diminuera si l'on n'améliore pas la situation.
Le pilier de la soutenabilité, c'est l'aptitude à maintenir des forces suffisantes pour remplir nos engagements et pour garantir la viabilité de l'armée de terre à long terme. En théorie, une armée doit avoir suffisamment de robustesse et de souplesse pour garantir la soutenabilité. Moins elle a de profondeur, plus la flexibilité devient essentielle, autrement dit, le manque de profondeur peut être compensé quelque peu par une meilleure gestion des ressources. Cependant, toutes les organisations ont une masse critique sous laquelle elles ne peuvent pas tomber sans devenir irrémédiablement insoutenables.
Dans l'armée d'aujourd'hui, la soutenabilité est la question qui me préoccupe le plus. La structure actuelle de nos forces nécessite plus de ressources qu'il n'y a de crédits disponibles. En même temps, la demande est trop forte pour le niveau actuel de nos effectifs. L'une des conséquences de ce déséquilibre est l'accroissement du tempo opérationnel, qui constitue un fardeau pour nos militaires, car ils se voient attribuer des tâches de plus en plus nombreuses. Cette pénurie de ressources et de main-d'oeuvre doit être corrigée, et c'est ma principale préoccupation.
Le pilier de la modernisation découle de la nécessité de préserver la viabilité des forces armées dans un monde en pleine transformation. Notre VBL III, le véhicule de reconnaissance Coyote, le système de communications de combat et les vêtements opérationnels que nous avons actuellement sont tous de qualité mondiale. Mais se moderniser, cela ne veut pas dire simplement acheter de nouveaux équipements. Cela veut dire aussi examiner l'évolution du contexte stratégique, les besoins du Canada en matière de sécurité, les changements technologiques et le niveau d'éducation de notre personnel, et aussi élaborer de nouveaux concepts et de nouvelles capacités pour répondre aux besoins actuels.
La modernisation est continuellement en concurrence avec les autres piliers. Comme dans toute autre organisation, tout relâchement à court terme dans le domaine de la modernisation, que ce soit au niveau de l'effort intellectuel ou au niveau des ressources, entraîne des conséquences négatives à long terme.
En ce qui concerne le défi de la modernisation, je crois que nous sommes à l'aube d'un changement fondamental dans la nature des conflits et des opérations militaires. Je crois que personne n'a une idée claire ou une vision cohérente de ce que l'avenir nous réserve dans le domaine des opérations militaires, et que de nombreux scénarios doivent être envisagés.
Le lieutenant-général Dallaire vous a présenté sa vision de l'avenir. Une chose est certaine: les grosses armées comme celles que nous avons vues à l'oeuvre pendant la Seconde Guerre mondiale et sur le front européen de l'OTAN seront de moins en moins nécessaires. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura plus d'opérations de combat classiques, mais, le plus souvent, la force militaire sera appliquée avec précision pour atteindre un objectif bien défini sur une courte période—comme ce fut le cas durant la guerre du Golfe.
Dans ce contexte, le savoir devient de plus en plus important dans tous les aspects de l'art militaire, et les capacités telles que le renseignement, la surveillance, l'acquisition d'objectifs et la reconnaissance, qui sont fondées sur l'information et le savoir, prennent une importance accrue.
Dans ce nouvel environnement, la modernisation est une priorité pour les Forces canadiennes. En nous appuyant sur la Stratégie 2020, qui est le cadre stratégique du ministère, nous sommes en train d'élaborer un plan de modernisation qui nous permettra de faire face aux besoins de demain. Après une longue période de négligence, l'armée de terre consacre beaucoup plus d'efforts à sa restructuration.
Ce n'est pas une mince entreprise, et tout doit être repensé, depuis la doctrine et la structure jusqu'à la culture de l'armée de terre. Pour changer les choses, il faut des ressources, mais cette modernisation nous donne également l'occasion d'améliorer notre efficience en mettant en place une organisation de taille réduite, mais à mon avis dotée d'une capacité de combat supérieure.
Le dernier pilier de la capacité de l'armée est la disponibilité opérationnelle. Ici, il s'agit de veiller à ce que l'armée soit toujours en mesure de remplir la mission et les tâches qui lui ont été assignées. Souvenez-vous de ce que je vous ai dit tout à l'heure sur notre niveau de disponibilité opérationnelle. Pour maintenir un certain niveau de disponibilité opérationnelle, une unité ou une brigade doit, dans le délai prescrit, terminer son entraînement et faire ses derniers préparatifs en vue des opérations. Le maintien de ce niveau de disponibilité opérationnelle exige une planification minutieuse qui prend encore plus d'importance lorsque la demande qui s'exerce sur nos forces augmente. L'établissement de rapports sur la disponibilité opérationnelle est un élément important de cette planification, car il est essentiel que les commandants à tous les niveaux soient au courant de l'état de préparation de toutes les unités, afin de corriger immédiatement toute lacune.
• 1545
Aujourd'hui, la disponibilité opérationnelle globale de
l'armée de terre est suffisante pour lui permettre de remplir les
missions et les tâches qui lui ont été confiées. Quand je dis
qu'elle est suffisante, c'est par rapport aux engagements
opérationnels actuels, car maintenir la disponibilité
opérationnelle au niveau actuel n'est pas sans risque. Notre
disponibilité opérationnelle est-elle au même niveau que pendant la
guerre froide? Non, elle ne l'est pas. Mais tout d'abord, il faut
savoir que pendant cette période, nous faisions face à une menace
plus immédiate, et que nous avions des forces déployées en Europe
à quelques heures de leurs zones d'intervention potentielles.
Aujourd'hui, aucune zone spécifique ne nous est assignée, et comme
je l'ai dit tout à l'heure, la menace est diffuse.
Toutefois, notre niveau réduit de disponibilité opérationnelle est acceptable car la menace est plus faible. Deuxièmement, aujourd'hui, nous devons être prêts à intervenir au niveau mondial en Europe, en Afrique ou en Asie, dans tous les climats et sur tous les terrains, et dans le cadre d'une coalition. Cela accroît la complexité de l'entraînement individuel et collectif et de l'entraînement axé sur une mission spécifique. Troisièmement, le ratio forces/tâches est plus faible, ce qui veut dire que nous avons moins d'effectifs pour répondre à la demande. De plus, il est irréaliste de croire que nous pourrons faire un usage aussi intensif de nos forces et maintenir le même niveau de disponibilité opérationnelle avec les forces que nous conservons au Canada.
[Français]
Le niveau de disponibilité opérationnelle peut et doit être amélioré, et nous avons pris deux initiatives en ce sens. La première de ces initiatives est le développement d'un système d'établissement de rapports sur la disponibilité opérationnelle qui nous donnera, sur une base régulière, une évaluation claire et précise de l'état de préparation de toutes les unités de l'Armée de terre. Bien que son développement soit déjà avancé, il faudra un certain temps pour que ce système fasse pleinement sentir ses effets.
[Traduction]
La deuxième de ces initiatives est l'établissement d'un système de gestion de la disponibilité opérationnelle. Permettez-moi de prendre une minute pour vous expliquer en quoi consiste ce système. Dans le passé, avec suffisamment de temps, de main-d'oeuvre et de ressources, l'armée était capable de maintenir une plus grande proportion de ses unités à un haut niveau de préparation. Cela lui donnait une plus grande capacité d'intervention, tout en lui laissant la profondeur requise pour partager les tâches et le fardeau opérationnel de façon équitable entre les diverses unités de l'armée.
Par suite des changements qui ont été introduits au cours des dix dernières années, cette profondeur a été réduite considérablement, et bien que nous soyons devenus plus efficients, notre niveau de disponibilité opérationnelle ne répond toujours pas à nos besoins. Par conséquent, nous allons mettre en oeuvre un système de gestion de la disponibilité opérationnelle qui nous permettra de maintenir nos engagements et notre disponibilité opérationnelle aux niveaux requis, en soumettant toutes les unités à un cycle en trois étapes: entraînement intensif toutes armes, haut niveau de disponibilité opérationnelle et enfin niveau réduit de disponibilité opérationnelle et reconstitution.
Monsieur le président, avec vos notes, vous trouverez un diagramme en couleur. J'attire votre attention sur ce diagramme pour vous expliquer ce qu'il représente. S'il est important de parler de la question de la disponibilité opérationnelle, peut-être pourrais-je vous l'expliquer à partir de ce diagramme. Ce que vous avez au centre de ce diagramme en jaune, c'est la force de campagne, l'essentiel des forces de combat de l'armée. Cela représente environ 70 p. 100 des effectifs du commandement de la force terrestre. À droite, dans les trois cases rouge, bleue et verte, vous voyez les principaux engagements que nous devons être en mesure d'assumer. À gauche, en vert, vous avez la base de maintien en puissance de l'armée, qui représente environ 30 p. 100 des ressources, et en mauve les Forces canadiennes, qui ont un rôle plus vaste de soutien des opérations.
Mon défi, et celui de l'armée, consiste à faire en sorte que la force de la case en jaune nous alimente continuellement en forces dont nous avons besoin. C'est l'objectif, et le triangle rouge intitulé «régulière» est censée vous représenter les trois aspects d'un cycle de formation. Nous conservons donc constamment un tiers de l'armée sur un des trois côtés: un tiers opérationnellement prêt, ou déployé; un tiers en formation pour la mission suivante; et un tiers en phase de reconstitution pour nous permettre d'assurer à nos soldats une qualité de vie raisonnable.
Je m'en tiendrai à cela pour l'instant, et vous voudrez peut-être revenir là-dessus.
• 1550
Vous avez donc là un aperçu des cinq piliers qui définissent
la capacité. Dans ce contexte, comment évaluer la capacité globale
et la disponibilité opérationnelle de l'armée de terre? Sommes-nous
plus capables, en termes absolus, que nous ne l'étions il y a dix
ans? La réponse est oui. Malgré ses faiblesses, l'armée
d'aujourd'hui, avec ses équipements améliorés, son personnel de
qualité, et sa cohésion due à son expérience opérationnelle, est
supérieure à celle d'hier.
Nous devons cependant être prudents lorsque nous présumons pouvoir conserver de tels niveaux de capacité. La soutenabilité de l'armée de terre constitue un enjeu de taille et nous devons rééquilibrer notre armée. Je me préoccupe également de la cohésion. De façon plus précise, je constate que le maintien d'une capacité collective de mener la guerre, grâce surtout à une instruction collective adéquate, est déficient et que nous vivons de nos efforts antérieurs.
Aujourd'hui, je ne peux me permettre d'entraîner chaque année que quatre de mes douze groupements tactiques au niveau que requièrent les opérations courantes, et je n'ai pas été en mesure d'entraîner une brigade à la disponibilité opérationnelle depuis 1992. J'ai donc placé l'intensification de l'instruction collective en tête de ma liste de priorités. Je ne prétends pas, en disant cela, de voir ou même pouvoir entraîner, chaque année, tous les éléments de l'armée de terre à leur plus haut niveau. Une telle démarche est dispendieuse et, compte tenu des menaces actuelles, inutiles. Ce genre d'instruction doit cependant se tenir à une fréquence suffisamment raisonnable pour assurer le maintien, au fil du temps, des compétences essentielles en matière de conduite de la guerre et pour procurer à l'armée la compétence fondamentale dont elle a besoin en matière de leadership pour diriger des forces d'envergure dans le cadre de missions complexes.
Nous prévoyons également utiliser un simulateur des effets d'armes afin d'améliorer l'instruction collective et, dans le cadre de cette initiative, mettre en place un centre canadien d'entraînement aux manoeuvres semblable au centre national d'entraînement de l'armée américaine. Non seulement ces mesures nous permettront-elles d'apporter des améliorations à l'entraînement, mais elles permettront aussi de mesurer objectivement la capacité opérationnelle. Nous ne devons cependant pas seulement évaluer la capacité et la disponibilité opérationnelle en termes absolus. Nous devons aussi répondre à la question suivante: notre capacité est-elle plus grande en termes relatifs, c'est-à-dire face aux situations auxquelles nous risquons d'être confrontés aujourd'hui? Cette question nous amène à nous demander si nous sommes à la hauteur, compte tenu du caractère changeant des conflits ainsi que des menaces et des ennemis que nous devons affronter. C'est une question à laquelle il est beaucoup plus difficile de répondre.
Comme je l'ai déjà mentionné, cela dépend en partie du genre d'opérations auxquelles nous devons faire face. Certains ne considèrent le critère de la capacité que dans le contexte d'une force conventionnelle écrasante, comme celle que nous avons vue en Europe. Si l'on part du principe qu'il faut avoir une telle force dotée d'équipements modernes, il ne fait aucun doute que nous ne faisons pas le poids, essentiellement parce que nous n'avons aucun char de combat principal moderne, que notre artillerie est insuffisante et que nous n'avons pas d'hélicoptère armé. Je dois cependant dire que, d'après mon expérience, nous n'avons jamais disposé d'un tel niveau de capacité, et nous ne sommes confrontés ni dans le présent, ni dans l'avenir prévisible, à une menace de ce genre.
Toutefois, nous devons être prudents en faisant de telles évaluations relatives. D'une part, la probabilité que nous ayons à participer à une telle guerre diminue, et d'autre part, de moins en moins d'armées disposent d'une capacité conventionnelle à un niveau aussi élevé. Cela ne signifie pas que des opérations de combat ne soient pas probables ou que nous ne devions pas être prêts. Notre armée de terre, à titre de force d'envergure moyenne, peut combattre et pourra le faire encore mieux dans le futur grâce à des améliorations ordonnées. Toutefois, comme il s'agit d'une force de moyenne envergure, elle ne pourra opérer, dans certains conflits, qu'avec des alliés disposant d'une plus grande capacité.
[Français]
Nous devons, d'autre part, tenir compte du caractère des conflits et évaluer à quel type d'opération nous sommes confrontés. Je partage jusqu'à un certain point le point de vue du général Dallaire, à savoir que le caractère des opérations au XXIe siècle entraînera beaucoup moins de combats conventionnels et que nous devons faire en sorte que notre capacité corresponde aux nombreuses autres contraintes.
[Traduction]
Le général Krulak, de l'USMC, parle de la guerre sur trois pâtés de maisons. Il affirme que les demandes de forces militaires exigeront de ces dernières qu'elles soient en mesure de mener simultanément des opérations de combat, des opérations de paix et des opérations humanitaires, dans un rayon de trois pâtés de maisons. C'est un défi de taille, mais c'est aussi une image qui illustre bien le monde et le genre de conflit vers lequel nous évoluons.
À mon avis, nous devons avoir une armée de terre capable de combattre. Je crois que le contexte qui prévaut est de plus en plus cette guerre des trois pâtés de maisons. Cela n'élimine pas la possibilité d'un important conflit conventionnel auquel nous devons être en mesure de participer. Néanmoins, les probabilités sont moindres et, bien que ce soit discutable, nous pouvons accepter un risque plus élevé pour les forces que nous conservons. Nous sommes mieux préparés à ce nouveau genre de conflit que la plupart des autres militaires.
• 1555
En conclusion, j'aimerais mentionner que les Forces
canadiennes ont été confrontées à d'énormes défis au cours de la
dernière décennie: diminution des ressources et de la
main-d'oeuvre, augmentation du rythme opérationnel, modification
fondamentale du caractère des opérations et importante
transformation aux plans de l'organisation et de la culture. Malgré
tout cela, l'armée de terre a réussi à traverser cette période et
peut, à certains égards, mieux faire face aux enjeux du
XXIe siècle. Toutefois, cette expérience et cette espérance
persistante de vivre au-delà de nos moyens ont fragilisé notre
institution.
Notre situation est-elle meilleure qu'elle ne l'était à la fin de la guerre froide? Je le crois. Jamais je n'ai vu, depuis mon entrée dans le service armé, une telle force de leadership, une telle expérience opérationnelle, une institution aussi compétence au plan intellectuel et aussi déterminée quant à ses objectifs. J'ai de nombreuses raisons de croire que cette capacité professionnelle fondamentale nous donne la faculté d'orienter les Forces canadiennes et l'armée vers une toute nouvelle génération d'efficacité militaire. Notre défi consiste à savoir tirer profit de ces possibilités.
Cela ne signifie pas que tout va bien. Il est essentiel de rétablir l'équilibre au sein de l'armée et d'y assurer la soutenabilité en matière de ressources, de main-d'oeuvre et de rapidité d'exécution. Je travaille fort pour y arriver parce que tel est mon devoir: donner aux Canadiens la meilleure armée de terre possible pour chaque dollar affecté à la défense.
Monsieur le président, j'ai terminé mon exposé et je me ferai un plaisir d'essayer de répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, général Jeffery.
Les membres du comité qui veulent poser des questions sont nombreux, et nous commençons par M. Goldring.
M. Peter Goldring (Edmonton-Centre-Est, AC): Merci, monsieur le président.
Général, merci pour votre exposé.
La première question que je vous poserai concerne le retour de l'équipement et l'acheminement des éléments principaux de l'équipement vers certains de ces théâtres. Récemment encore, le MDN sous-traitait avec environ 22 entreprises qui figuraient sur une liste de fournisseurs approuvés, une liste de transporteurs qui pouvaient soumissionner pour l'expédition et le rapatriement d'équipement et de matériel.
Récemment, le ministère a décidé de faire affaire avec une seule compagnie, la compagnie Lewis and Clark Shipping Limited, de Toronto. Ce qui m'inquiète, c'est le problème de transport que nous avons eu au début de l'été avec le Katie, et toutes les difficultés que cela a entraînées. N'est-ce pas un domaine très préoccupant? Ce changement radical de vos procédures normales d'appel d'offres dans un aspect aussi important du déploiement vous inquiète-t-il?
Lgén M.K. Jeffery: Je commencerai par vous répondre que compte tenu de l'évolution de notre environnement stratégique—et je vous ai dit que nos forces devaient être en mesure de répondre à toute une gamme de risques à travers le monde—les moyens de transport stratégiques, tant sur le plan aérien que maritime, constituent une dimension importante de la capacité des forces terrestres. En un mot, nous devons être en mesure d'aller là où nous devons aller rapidement et en toute confiance. C'est pourquoi les Forces canadiennes envisagent d'améliorer dans une certaine mesure leur capacité de transport aérien et maritime stratégique.
Mais le maintien d'une telle capacité est extrêmement coûteux. Tous les pays, et pas seulement le Canada, sont obligés de s'appuyer sur le marché commercial pour assurer les expéditions et le transport aérien. En tant que commandant de l'armée de terre, je me préoccupe de veiller à ce que nous ayons cette capacité. J'estime personnellement que nous avons suffisamment de capacités de transport stratégique aérien et maritime sur le marché commercial pour répondre à l'essentiel de nos besoins, à l'exception peut-être de besoins extrêmement urgents à très court terme.
La question de la sous-traitance ne relève pas de ma compétence. C'est plutôt le ministère d'une manière plus générale, et peut-être plus encore le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, qui s'occupe de ces questions de sous-traitance.
M. Peter Goldring: Est-ce que ce n'est tout de même pas très inquiétant sur le plan stratégique, cette question de déploiement et de rapatriement de l'équipement? J'imagine qu'il ne s'agit pas d'un simple problème de transport. Vous devez vouloir que certaines choses se déroulent dans un certain délai et d'une certaine façon avec un certain degré de cohérence et de fiabilité. J'imagine que pour les militaires, il est très important d'avoir l'assurance qu'on a un mode de transport bien établi et fiable.
Lgén M.K. Jeffery: «Assurance», c'est un terme intéressant. L'assurance coûte extrêmement cher et je ne suis pas sûr que nous ayons les moyens de tout «assurer» en permanence. C'est une question de gestion du risque. En nous appuyant essentiellement sur les moyens de transport stratégique maritime et aérien à travers le monde, je pense que nous utilisons nos ressources financières de façon optimale, et je crois que dans l'ensemble, le risque est acceptable.
M. Peter Goldring: Vous ne craignez pas qu'une nouvelle affaire du genre Katie vous force à envisager plus directement de vous doter de cette capacité stratégique au sein des Forces armées canadiennes elles-mêmes plutôt que de continuer à compter sur des entrepreneurs et des soumissionnaires extérieurs?
Lgén M.K. Jeffery: Premièrement, je pense que l'affaire du Katie a été tout à fait unique. Je ne dis pas que le cas ne se représentera jamais, mais les circonstances qui ont entraîné ce problème étaient vraiment exceptionnelles.
Je le répète, nous savons qu'il est important de donner une priorité majeure à un certain élément de transport stratégique, mais le facteur clé ici, c'est ce que nous avons les moyens de nous payer. Nous sommes obligés de faire appel à d'autres sources pour assurer l'essentiel de notre capacité stratégique.
M. Peter Goldring: Avez-vous les détails de cette capacité de transport stratégique majeure que vous souhaiteriez avoir? Avez-vous une liste de voeux sur tout ce que l'armée aimerait bien avoir en matière d'équipement et de capacité raisonnable de transport stratégique?
Lgén M.K. Jeffery: Tout d'abord, monsieur, ce n'est pas une liste de voeux, mais un exposé clair d'exigences qui nous semble prudent si nous voulons respecter les objectifs stratégiques énoncés dans Stratégie 2020. Je n'ai pas ces informations ici, mais je suis sûr que le ministère pourra les communiquer au comité, ou que d'autres témoins qui me succéderont seront certainement mieux à même de vous en donner le détail.
Vous comprendrez que, pour ce qui est du transport stratégique, je suis le client, et que ce sont mes collègues de la marine et de l'armée de l'air qui assurent ce transport stratégique.
M. Peter Goldring: Mais vous nous avez dit que vous travaillez en équipe.
Lgén M.K. Jeffery: Certainement, mais c'est leur domaine de compétence, et je pense qu'ils sont mieux placés que moi pour répondre à ces questions.
M. Peter Goldring: À cet égard, vous avez parlé des capacités de déploiement au niveau de la brigade, que vous ne pouvez soutenir que pendant un certain temps, et du groupe bataillon. J'imagine que ce déploiement, et là encore tout l'aspect transport stratégique, doivent faire l'objet dans une certaine mesure d'une instruction. Pouvez-vous me dire si vous assurez cette instruction au niveau de la brigade ou à quel niveau vous organisez cette instruction et ces manoeuvres?
Lgén M.K. Jeffery: Notre cycle normal consiste à assurer une instruction continue nécessaire pour nous permettre de disposer des groupements tactiques dont nous avons principalement besoin dans nos efforts lors d'opérations internationales. Il y a donc une instruction progressive, qui part de l'instruction individuelle et passe par tous les niveaux de l'instruction collective—section, peloton, compagnie, bataillon, et ensuite on organise le groupe tactique tout entier, en consolidant les équipes et la cohésion à chaque étape successive.
On passe plus de temps aux échelons inférieurs car il faut que les fondations soient solides, et ensuite on peut prendre un peu plus de risques et un peu moins de temps quand on arrive au stade supérieur. C'est assez normal.
Pour ce qui est de l'évolution de la disponibilité opérationnelle dont je vous parlais à propos de ce diagramme, nous essayons d'être plus disciplinés de façon à avoir une démarche équilibrée sur l'ensemble de l'armée.
Le seul niveau auquel nous n'avons pas pu le faire de façon systématique, c'est celui de la brigade. Nous avons procédé à une certaine instruction, en dépit de ce que j'ai dit précédemment, au cours des huit ou dix dernières années dans le contexte de la brigade. Quelques brigades en ont bénéficié. En gros, c'est une instruction au niveau du groupement tactique plus poussée.
Il faut organiser un entraînement à ce niveau supérieur au moins une fois de temps en temps, et ce qui m'inquiète, c'est que nous ne le faisons pas suffisamment. Est-ce que cela nous expose à des risques excessifs à court terme? Je ne le crois pas, en partie compte tenu de la menace actuelle, comme je l'ai déjà dit, et en partie aussi parce qu'en combinant notre expérience opérationnelle et les connaissances et les capacités de la majorité de nos supérieurs, nous pouvons en fait nous organiser.
Mais progressivement, quand on va commencer à avoir de moins en moins de supérieurs qui auront ces connaissances et cette expérience, les risques vont s'intensifier. C'est cela qui m'inquiète surtout, et c'est pour cela que je crois que nous devons commencer à rétablir, au moins de temps en temps, cette dimension d'instruction au niveau de la brigade.
Le président: Merci, monsieur Goldring.
Monsieur Bachand.
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Merci, monsieur le président.
Merci pour votre présentation. Je vais vous adresser une question que je pose souvent aux gens en uniforme lorsqu'ils viennent nous faire une présentation. Premièrement, est-ce vous qui avez écrit la présentation que vous nous avez faite aujourd'hui ou s'il y a, autour de vous, un groupe de travail qui discute et une personne qui rédige ensuite le discours?
[Traduction]
Lgén M.K. Jeffery: Tout d'abord, monsieur, je vous répondrai en anglais car franchement ce serait trop pénible pour vous de m'entendre parler français.
J'ai rédigé personnellement chacun des mots que j'ai prononcés. Il est rare, extrêmement rare que je prenne la parole en public sans avoir moi-même rédigé le texte que je présente.
[Français]
M. Claude Bachand: D'accord. Est-ce que, par courtoisie, votre discours est transmis au ministre de la Défense nationale avant que vous ne fassiez votre présentation?
[Traduction]
Le président: Monsieur Bachand, je ne suis pas sûr que ce genre de question soit recevable. Nous sommes ici pour parler de la disponibilité opérationnelle, et non de machinations d'autorités qui voudraient être informées à l'avance du contenu de la déclaration du général.
M. Claude Bachand: D'accord.
Le président: Je suis entre les mains du comité, mais il me semble vraiment que vous êtes hors sujet.
[Français]
M. Claude Bachand: Très bien, monsieur le président, mais je vais vous expliquer pourquoi je pose cette question.
Je vois une nette différence entre ce que le général disait aux mois de février et mars, et la présentation qu'il nous fait aujourd'hui. Au mois de mars, j'ai été le premier à adresser une question au ministre de la Défense nationale, parce que le général venait de déclarer qu'il ferait des coupures dans les effectifs militaires parce qu'il n'avait pas des budgets suffisants. En plus, j'ai ici la déclaration qu'il a faite devant le Congrès des associations de la défense. Écoutez bien ce que le général disait:
[Traduction]
-
Étant donné la pénurie constante de ressources et le tempo soutenu
des opérations, la soutenabilité de l'armée demeure problématique.
En bref, je considère qu'il y a trop de tâches et pas assez de
ressources pour maintenir cette armée à long terme tel qu'elle est
actuellement structurée. Autrement dit, la tension se fait sentir
dans plusieurs secteurs. Tout d'abord, nous exigeons beaucoup de
nos effectifs et en plus du tempo opérationnel, nous avons un tempo
personnel extrêmement élevé, notamment chez nos dirigeants.
L'instruction collective n'est pas suffisante pour maintenir nos
compétences collectives en matière de conduite de la guerre, et
nous constatons une importante dégradation de ces compétences dans
certains domaines. Enfin, je m'inquiète de toute l'agitation à
laquelle on assiste depuis une dizaine d'années au sujet de la
santé morale de l'armée. On constate un sentiment d'indécision dû
aux changements constants et aussi un sentiment de méfiance non
négligeable à l'égard des hautes autorités de l'armée.
[Français]
Monsieur le président, c'est bien dommage, mais la présentation du général d'aujourd'hui va complètement à l'encontre de ce qu'il a dit il y a quelques mois. Je commence à comprendre. Quand les gens sont en uniforme, il semble y avoir des changements selon les personnes à qui ils s'adressent, et j'ai de la difficulté à l'accepter. Il y a des gens qui sont venus nous dire ici qu'une espèce de secret entoure l'armée quand vient le temps de parler avec des parlementaires. Je le sens depuis quelque temps.
Il me semble que mes questions sont dans l'ordre. Pourquoi le général a-t-il changé d'attitude depuis le mois de mars? Pourquoi, deux mois plus tard, nous donne-t-il des définitions et nous dit-il que l'armée est prête parce que le contexte a changé? Il semble qu'on soit prêt. Il y a des années-lumière de différence entre ses présentations d'il y a deux mois et sa présentation d'aujourd'hui.
Peut-être le général pourrait-il maintenant réagir à ma sortie.
[Traduction]
Le président: Le président n'interviendra pas, mais je suis sûr que le général tient à répondre.
Lgén M.K. Jeffery: La première chose que je vous répondrai, c'est que c'est moi qui ai écrit ces deux textes et qui les ai prononcés. Vous les trouvez peut-être contradictoires, mais pas moi.
Je précise que dans chaque cas, le contexte d'un discours est différent. Ce jour-là, je parlais à un public composé essentiellement de militaires ou de militaires à la retraite au sujet d'un vaste éventail de questions, en leur en présentant un aperçu d'ensemble. Aujourd'hui, on m'a demandé de venir parler au comité des questions de capacité et de disponibilité opérationnelle.
• 1610
J'ai fait de mon mieux, dans le peu de temps dont je
disposais, pour établir des fondations claires et cohérentes. Il
n'y a pas de contradiction entre ces deux textes. En fait, je suis
tout à fait prêt à m'expliquer sur chacune des paroles que j'ai
prononcées lors de ce précédent discours, car tout est vrai.
Le président: Vous avez d'autres questions, monsieur Bachand?
M. Claude Bachand: Non.
M. Peter Goldring: J'invoque le règlement, monsieur le président. Pourrait-on faire déposer ce premier discours pour que nous puissions tous comprendre de quoi on parle?
Le président: Les membres du comité ont probablement reçu un exemplaire de cette déclaration, mais je ne vois pas d'objection à la faire distribuer à nouveau.
M. Peter Goldring: Merci.
Le président: Bien, monsieur Stoffer, c'est à vous.
M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD): Merci, monsieur le président.
Merci, messieurs pour votre exposé.
J'ai remarqué que vous avez dit—dès qu'il est question de perspectives d'emploi, je saute dessus—que vous alliez mettre en place un centre d'entraînement national, un centre canadien d'entraînement aux manoeuvres. Est-ce que c'est déjà fait, ou est-ce que vous en êtes seulement aux premiers balbutiements?
Lgén M.K. Jeffery: Pour l'instant, c'est un simple plan. Nous travaillons depuis un certain temps déjà sur un vaste projet d'immobilisation qui a été approuvé au niveau du ministère. Nous en sommes à un stade intermédiaire en attendant d'obtenir l'approbation finale avant de passer aux appels d'offres, etc. Le simulateur des effets d'armes constituera la base technique d'un centre de formation qui nous permettra de faire ce que nous appelons un entraînement «de force contre force», avec un dispositif d'évaluation de très haute technologie qui nous permettra de déterminer très clairement et très objectivement les capacités de nos forces.
M. Peter Stoffer: Puisque vous vous souciez manifestement beaucoup de la qualité de vie des hommes et des femmes de l'armée, puis-je vous suggérer d'installer ce centre dans la superbe région de Musquodoboit Valley, dans ma circonscription? Vos effectifs y auraient une qualité de vie excellente, j'en suis certain.
Il n'a pas échappé à mon attention il y a quelque temps que le maire de Toronto avait demandé au ministre de la Défense d'envoyer l'armée déneiger les routes. Je suis sûr que si le temps s'était réchauffé et qu'il y avait eu une inondation, il aurait fallu faire venir la marine. Mais ce qui m'intéresse ici, c'est que l'armée ne doit pas seulement avoir une capacité opérationnelle pour le combat, mais qu'elle doit aussi pouvoir intervenir dans toutes sortes de circonstances à l'intérieur du pays.
Ma question est donc la suivante: pensez-vous que l'armée soit capable d'avoir non seulement ce dont vous parlez, cette capacité opérationnelle pour le combat, mais aussi la capacité d'intervenir face aux graves problèmes intérieurs que nous pouvons connaître?
Lgén M.K. Jeffery: Je commencerai par vous répondre que ni la taille, ni la structure de notre force armée ne sont déterminées en fonction d'interventions intérieures. Leur objectif principal—à juste titre, si vous voulez mon avis—ce sont les missions, les tâches et la capacité de défense de l'armée. Dans ces conditions, la question est de savoir comment on peut exploiter au mieux les capacités des Forces canadiennes face à une crise ou une urgence intérieure.
Au cours des dernières années, nous avons mené plusieurs opérations intérieures importantes: il y a eu la tempête de glace, les inondations dans le Saguenay et au Manitoba, et l'entreprise majeure de préparation à l'entrée dans le nouveau millénaire avec le risque du bogue de l'an 2000. Le principal apport des Forces canadiennes et de l'armée dans ces conditions, c'est à mon avis la capacité de répondre rapidement dans des domaines précis et d'assurer à un niveau global le commandement, le contrôle et la coordination de toutes sortes de capacités différentes.
C'est une capacité inhérente à l'organisation militaire ou à une armée. Je pense que jamais on ne voudra avoir une armée ou une force militaire qui ne fera que cela.
M. Peter Stoffer: Oui, je le comprends.
Lgén M.K. Jeffery: Suis-je convaincu que nous pouvons répondre à la plupart de ces exigences? Oui. Mais il y a évidemment la question de l'échelle à laquelle se passe l'intervention et aussi, la question non négligeable de la géographie et de la répartition de l'armée et des Forces canadiennes à travers le Canada.
M. Peter Stoffer: Dans un article paru récemment dans un magazine, on vous demandait... Vous disiez que vous aviez du mal à équilibrer vos comptes financiers et que vous cherchiez à faire des coupures radicales dans les effectifs. À la fin de l'article on vous cite. Vous auriez dit que vous alliez être obligé de «monnayer des effectifs pour payer des factures».
Premièrement, cette citation est-elle authentique? Deuxièmement, si elle l'est, qu'est-ce que cela signifie exactement?
Lgén M.K. Jeffery: Dans mon introduction, j'ai dit que nous n'avions pas les ressources suffisantes pour répondre à toutes les demandes. En bref, je vis au-dessus de mes moyens. Si vous vivez au-dessus de vos moyens, votre banquier ne va pas tarder à venir frapper à votre porte. Le mien n'est pas loin.
• 1615
Face à ce problème, je dois donc envisager diverses démarches
en vue de modifier l'armée—et vous en avez eu un aperçu avec la
capacité opérationnelle et une certaine restructuration dont je
vous ai parlé—pour lui permettre de vivre selon ses moyens. Je
peux prendre certaines de ces initiatives de mon propre chef, et
dans ce cas j'effectue ces changements. D'autres interventions vont
sans doute être déterminées au niveau du gouvernement. Mais pour
l'instant, je dois m'organiser pour ne pas vivre au-dessus de mes
moyens.
M. Peter Stoffer: Encore une question?
Le président: Il vous reste environ deux minutes.
M. Peter Stoffer: Merci, monsieur le président.
Dans un précédent discours, vous avez dit que l'armée ne suivait pas le rythme de l'évolution technologique. Pouvez-vous nous dire ce que vous faites, ou ce que votre état-major fait pour préparer la personne qui vous succédera ou d'autres ultérieurement à défendre le dossier de l'évolution technologique dans le contexte d'un budget qui se rétrécit à l'horizon 2020?
Lgén M.K. Jeffery: Là encore, comme je le disais dans mes remarques, l'avenir est toujours en concurrence avec le présent. Nous voulons tous pouvoir mettre de l'argent de côté, nous voulons tous pouvoir investir et nous avons tous besoin de vivre. Nous avons tous exactement les mêmes défis.
Étant donné les pressions qui se sont exercées au cours de la dernière décennie, et l'ampleur des changements que nous avons connus dans l'armée, on n'a pas beaucoup réfléchi jusqu'à il y a deux ou trois ans à cet avenir. Depuis, nous avons accompli énormément de choses.
L'armée à Kingston—le système de doctrine et d'entraînement de la force terrestre constitue le noyau de la réflexion intellectuelle sur le développement de l'armée, dans le cadre duquel on examine des choses comme l'évolution du contexte de la sécurité, l'évolution de la technologie. Nous consacrons d'énormes efforts intellectuels à la réflexion sur le type d'armée et le genre de monde que nous aurons à l'avenir. Il est clair que la technologie comptera pour beaucoup. En fait, il faudrait beaucoup plus de temps que cette séance de comité pour vous expliquer les efforts énormes que l'on consacre à cette question.
Le problème, c'est que ce n'est pas une simple question d'équipement, mais que c'est aussi une question de connaissance, de développement et d'éducation des individus. Il faut changer énormément de choses pour préparer une organisation aussi complexe qu'une armée au monde futur. Nous sommes bien avancés dans les préparatifs, mais la réalisation de ces changements dépendra de toutes sortes de facteurs.
Le président: Merci, monsieur Stoffer.
Monsieur Wilfert, vous avez sept minutes.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Monsieur le président, j'aimerais tout d'abord féliciter le général par votre intermédiaire pour ses remarques.
Pour révéler d'emblée mes partis pris, ce que j'aime bien faire, je dirai que j'ai un parti pris très favorable à l'armée. Mon père était soldat d'infanterie dans les Argyle and Sutherland Highlanders durant la Deuxième Guerre mondiale. Il m'a toujours dit que c'étaient les troupes les plus âpres au combat, et de toute évidence c'est à eux qu'on faisait appel pour les plus sales besognes.
Cela dit, je comprends vos remarques, notamment quand vous parlez de capacités.
J'aimerais parler de deux domaines. Il y a d'une part vos capacités budgétaires et d'autre part les remarques que vous avez faites à propos d'une force de moyenne envergure. Je vais commencer par ce dernier point.
Nos forces sont de plus en plus souvent appelées à servir à l'étranger dans des opérations qui sont censées être des opérations de maintien de la paix, mais que je considère plutôt comme des opérations de rétablissement de la paix. Je pourrais vous citer de nombreux exemples, qu'il s'agisse de la Somalie, de l'Érythrée ou de l'Éthiopie. Il reste que nous dépendons aussi des autres forces auprès desquelles nous servons.
Dans votre exposé d'aujourd'hui, vous dites que l'armée ne pourra opérer «qu'avec des alliés disposant d'une plus grande capacité». Je ne voudrais pas critiquer ces autres forces auxquelles nous pourrions effectivement être associés, mais il est clair qu'on nous demande souvent d'agir de concert avec d'autres armées qui n'ont pas nécessairement la même capacité que nous, et qui peuvent même avoir une capacité inférieure, ce qui n'est pas ce que vous envisagez dans votre exposé. Nous parlons maintenant de ce principe du «vite arrivé, vite reparti».
J'aimerais d'abord avoir votre opinion sur ces remarques que je viens de faire à propos des interventions auxquelles nous sommes amenés à participer et aussi, même si vous avez déjà parlé de l'amélioration de l'équipement, etc., des forces, sur notre état de dépendance en tant que force de moyenne envergure face aux autres forces avec lesquelles nous devons aussi travailler.
Lgén M.K. Jeffery: Comme je vous l'ai déjà dit, la nature même de la guerre terrestre se modifie. Un peu partout dans le monde, on se demande ce qu'il faut maintenir. Je vais vous donner une anecdote à titre d'exemple.
• 1620
Il y a un certain nombre d'années, un général allemand quatre
étoiles était en séjour ici au Canada, et un officier supérieur
retraité lui avait posé une question pleine de sous-entendus sur le
remplacement du char de combat principal moderne de l'Allemagne.
Comme vous le savez, les chars allemands étaient parmi les
meilleurs au monde. Le général allemand se tourna vers lui et lui
dit: «En toute franchise, nous savons que nous avons besoin de
cette capacité, mais nous ne savons pas si nous pourrons l'obtenir
d'un char».
Ce qu'il voulait dire, c'est que ce n'est pas seulement le contexte de la sécurité qui évolue, mais toute la technologie qui nous permet de participer à un conflit. Quand on pense aux endroits où nous devons aller, on s'aperçoit que les chars les plus gros et les meilleurs au monde sont de moins en moins utilisables, parce qu'on ne peut pas les amener n'importe où. Soixante-dix tonnes, c'est très difficile à déplacer sur tous les plans. Le problème, c'est que si l'on a quelque chose de moindre, la capacité de survie est aussi bien inférieure.
Nous sommes donc confrontés à cette dichotomie. Nous avons besoin de quelque chose de gros, mais nous ne pouvons pas le déplacer. Si nous optons pour un engin moyen ou petit, il ne survivra pas.
Nous sommes dans une période de transition où nous passons de forces armées lourdes à ce que beaucoup d'entre nous considèrent comme des forces moyennes et même légères, mais qui grâce à une vision entièrement nouvelle du problème auront une capacité supérieure. La difficulté, c'est que nous sommes aussi dans une période de risque élevé, et que c'est dans ce contexte que nous effectuons cette transition.
À titre d'exemple, l'armée américaine met sur pied ce qu'elle appelle la force intérimaire, et elle va mettre en service six ou sept équipes de combat de brigades intérimaires, des brigades de moyenne envergure, si vous voulez. Ce qui est intéressant d'ailleurs, c'est que ces brigades de moyenne envergure s'appuient sur ce VBL III que nous mettons justement en service chez nous aussi. Cette force intermédiaire est la passerelle entre la force lourde actuelle de l'armée américaine, les combattants haut de gamme, et ce qu'ils considèrent comme la force sophistiquée absolue de l'avenir. C'est une notion mal définie, mais ce sera une force plus légère et qui ressemblera plus à cette force intérimaire qu'à l'armée lourde antérieure.
Ce qui est singulier, c'est que nous en sommes au même point. Que ce soit le résultat d'une bonne gestion ou un heureux hasard, nous allons nous retrouver, dans quatre ans environ, sur le même plan que les Américains avec leur force intérimaire de pointe, puisque nous aurons trois brigades qui auront essentiellement le même niveau d'équipement, d'entraînement fondamental et de capacité.
Par conséquent, ceux qui disent que nous nous trompons feraient peut-être bien de regarder un peu plus vers l'avenir.
Pour ce qui est de la question de savoir de qui nous serions dépendants, je parlais des interventions à un niveau élevé. Je disais que si nous devions intervenir à un palier élevé, nous serions obligés de le faire avec quelqu'un d'autre, et c'est d'ailleurs ce que nous avons toujours fait. Si quelqu'un s'imagine qu'à l'époque où nous étions en Europe, sur le front d'Europe centrale, nous étions tout seuls à tenir la ligne de front, il rêve en couleurs. Nous avions avec nous la force et le poids de nos collègues et de nos alliés, et nous en aurons toujours besoin à l'avenir.
Mais grâce à cette nouvelle capacité, cette capacité de moyenne envergure, et grâce aussi à une armée bien entraînée et de mieux en mieux entraînée,... je crois que nous sommes aussi prêts, pour toutes sortes de raisons, à la guerre des trois pâtés de maisons dont parle le général Krulak, ce type de guerre très complexe qui fera intervenir toutes sortes de forces. Il y aura des forces très sophistiquées et bien entraînées, il y aura les forces mécanisées intermédiaires, et il y aura des forces de base très rustiques qui fonctionneront toutes en synergie. Dans n'importe quelle intervention militaire contemporaine, vous aurez ce genre de mélange de forces.
Telle est la nature des opérations militaires telle que nous la voyons. Il est intéressant de constater que les dirigeants militaires de l'OTAN réfléchissent de plus en plus à une structuration de l'OTAN et des alliances analogues qui leur permettrait de tirer profit de ce que toutes ces forces différentes ont de meilleur à apporter.
Nous ne sommes donc pas tout seuls. Je crois que la réalité, c'est que nous serons toujours accompagnés d'alliés plus puissants et d'alliés moins puissants pour ce genre d'opérations. Le défi, c'est de faire en sorte que tout cela fonctionne bien lorsque nous interviendrons.
M. Bryon Wilfert: Monsieur le président, si vous me permettez d'aborder cette question sous un autre angle, je dirais que cela nous ramène à la question de la cohésion des forces. D'autres témoins nous ont dit qu'on réunissait des unités différentes qui n'avaient pas nécessairement passé beaucoup de temps ensemble. On regroupe des militaires pour une courte période de temps et on les envoie dans des théâtres où il y a évidemment des conflits. Cette situation, plus le fait qu'ils opèrent avec d'autres militaires auxquels ils ne sont pas nécessairement habitués, risque de provoquer d'importantes difficultés. Quand ils reviennent, on les disperse à nouveau. Il n'y a donc pas une mécanique de combat continue.
Pourriez-vous me donner votre avis à ce sujet?
Le président: Très vite, général.
Lgén M.K. Jeffery: Je répondrai tout d'abord que ce que l'on appelle «organisation des tâches» est une méthodologie militaire qui a fait ses preuves depuis longtemps. Elle remonte à la Deuxième Guerre mondiale. En gros, cela veut dire qu'on prend les diverses composantes—les compagnies, les escadrons, etc.—d'une organisation et qu'on les regroupe en fonction d'un besoin bien précis. C'est donc quelque chose qui se fait dans une certaine mesure. C'est une question de degré et de contexte.
Si nous avons eu de la difficulté et des échecs au cours des dix dernières années, c'est parce que dans certains cas nous avons décomposé et réorganisé dans un délai trop court ces éléments de base. Cela n'arrive plus, et quand on le fait, on le fait qu'après une préparation soigneuse. Si nous avons mis en place la gestion de la disponibilité opérationnelle, c'est jugement pour que ce genre de situation ne se reproduise plus jamais. L'idée, c'est de nous permettre de conserver intégralement une unité, dans un monde idéal, pendant au moins trois ans. C'est dans cette direction que nous progressons. Nous mettons en application les principes de cette doctrine, même si nous n'en tirerons tous les profits que lorsque tout sera parfaitement ordonné.
Alors, y a-t-il un risque? Oui. Avons-nous des faiblesses? Oui. Mais nous avons remédié à la plupart d'entre elles, nous les éliminerons toutes avec cet exercice.
Le président: Merci, général.
Monsieur Benoit, cinq minutes.
M. Leon Benoit (Lakeland, AC): Bon après-midi, général, et messieurs.
Dans votre exposé, général, vous dites:
-
«Je suis préoccupé, et franchement même quelque peu frustré, par
les tentatives de certains de placer les évaluations de la capacité
et de la disponibilité opérationnelle dans des boîtes noires ou
blanches. Trop de gens veulent des réponses simples, à savoir: ou
nous avons la capacité et la disponibilité, ou nous ne les avons
pas. La réalité, dans ce monde complexe, c'est que la vérité est
une mosaïque de teintes de gris [...]»
Autrement dit, ce que vous nous dites, si je ne me trompe, c'est que vous ne pouvez pas répondre catégoriquement à cette question sur la capacité et la disponibilité opérationnelle. Mais pourtant, est-ce que ce n'est pas votre responsabilité, quand le gouvernement vous dit ce qu'il attend de l'armée, de lui répondre soit: oui, nous pouvons livrer la marchandise, soit: non, nous ne pouvons pas, et non de vous retrancher derrière des nuances de gris?
Lgén M.K. Jeffery: Si, monsieur, et c'est ce que j'ai fait. La réponse que je vous ai donnée ainsi qu'au comité, c'est oui aux deux questions. Avons-nous la capacité? Oui. Avons-nous la disponibilité opérationnelle? Oui. Mais à ceux qui disent à partir de là que je suis malhonnête et que je dissimule la vérité, ce qui est implicite dans beaucoup de commentaires sur cette question, je réponds qu'il y a tout un éventail de facteurs qui interviennent dans l'évaluation de la capacité. Il y a des avantages et des inconvénients et de nombreuses nuances de gris—et c'est la même chose pour la disponibilité opérationnelle. En fin de compte, ce que je vous présente, c'est mon meilleur jugement professionnel sur ces deux questions, compte tenu des tâches que m'a fixées le gouvernement et des niveaux de disponibilité opérationnelle que je suis censé maintenir. Est-ce que cela veut dire que tout va bien? Certainement pas. C'est précisément ce que j'essaie de vous expliquer.
M. Leon Benoit: Je tiens à vous affirmer que je ne mettais absolument pas en cause votre honnêteté, général, mais je voulais vous demander...
Le président: Pourrais-je demander aux interlocuteurs de passer par le président pour leurs échanges?
M. Leon Benoit: Je voudrais vous poser la question suivante, général. L'armée canadienne d'aujourd'hui peut-elle se battre et être soutenue au niveau de la brigade, comme le stipule le livre blanc de 1994? C'est la tâche que le gouvernement a fixée à l'armée. J'estime qu'on ne peut pas se contenter d'une réponse grise, et je vous pose donc la question directement. Pouvez-vous soutenir l'armée au niveau de la brigade, comme le stipule le livre blanc de 1994?
Lgén M.K. Jeffery: Tout d'abord, monsieur le président, je précise que ce Livre blanc n'exige pas qu'on puisse soutenir une brigade pendant plus de six mois. Il stipule qu'on doit pouvoir engager une brigade pendant une durée allant jusqu'à six mois, et il ne s'agit donc pas de la soutenir. Donc cette exigence n'est pas là.
Mais l'armée canadienne peut-elle se battre? Oui. Peut-elle le faire sans risque? Non. Mais là encore, il n'y a jamais eu de conflit sans risque. En fin de compte, quand il s'agit de savoir si nous allons aller quelque part, comment et quand nous allons le faire, c'est à moi et au CEMD de faire l'évaluation du risque et de dire au gouvernement si du point de vue militaire nous sommes en mesure de faire le travail et quels sont les risques.
M. Leon Benoit: Mais pouvez-vous répondre aux exigences du livre blanc? Sinon, ne devriez-vous pas le dire? Est-ce que le gouvernement ne devrait pas redéfinir votre tâche ou ce qu'il attend de vous?
Lgén M.K. Jeffery: Monsieur le président, je pense avoir déjà dit que je suis en mesure de répondre aux exigences du Livre blanc.
Le Livre blanc me demande de déployer et de soutenir deux groupes bataillons et de pouvoir déployer une brigade dans des délais précis. J'ai déjà dit que l'armée canadienne était actuellement en mesure de le faire. J'ai aussi souligné un certain nombre de secteurs de risque.
M. Leon Benoit: Dans votre exposé, vous dites, et je vais essayer de retrouver ce passage—que la structure des forces est dépassée: «Elle répond aux besoins d'aujourd'hui, mais elle doit s'adapter à l'avenir». Pensez-vous que le gouvernement doit redéfinir ce qu'il attend de l'armée pour l'avenir avant que vous puissiez commencer à vous adapter pour cet avenir?
Lgén M.K. Jeffery: Je pense que cette responsabilité relève en grande partie des hautes instances militaires.
Mes commentaires à cet égard, monsieur le président, étaient axés sur la nature même de l'organisation du combat. La doctrine—la structure même de la force telle qu'elle existe actuellement—est-elle adaptée au type de travail que nous devons faire? Elle est adéquate aujourd'hui, mais il faut la moderniser, il faut la changer. Il ne s'agit pas simplement de l'équipement mais de toute la nature de l'organisation de l'équipe de combat. C'est de cela que je parlais dans mes remarques. C'est pour cela que les militaires sont payés.
Quant à savoir ce que cette force est censée accomplir et à la décision d'avoir ou non certains éléments—d'acheter ou non un certain type de matériel—c'est une toute autre question. Mais je pense que c'est principalement une responsabilité militaire.
Le président: Merci, monsieur Benoit.
Monsieur Bachand.
M. Claude Bachand: C'est le second tour? C'est mon tour?
Le président: Second tour. Cinq minutes.
M. Claude Bachand: Bon. Il court-circuite les Libéraux. Je n'ai pas d'objection.
Le président: Monsieur Bachand, pour l'instant tout le monde a eu sa part équitable du temps.
[Français]
M. Claude Bachand: Monsieur le général, je veux revenir sur deux points, dont un que mon collègue vient de soulever: greater sustainability. Je ne sais pas comment le traduire en français. J'imagine que je pourrai demander aux traducteurs tantôt. Je veux aussi parler de l'implementation of managed readiness. Ce sont les deux choses dont je veux discuter avec vous.
Voici ce que que vous disiez concernant la greater sustainability dans votre présentation devant la conférence:
[Traduction]
-
Nous devons trouver un équilibre entre les demandes présentées à
l'armée et les ressources disponibles et, compte tenu de la
souplesse limitée de l'armée, cela implique presque obligatoirement
une modification de la structure et probablement une réduction des
effectifs de la force régulière.
[Français]
Je veux savoir si c'est toujours d'actualité. Est-ce toujours vrai, selon vous?
[Traduction]
Lgén M.K. Jeffery: Comme je l'ai déjà dit dans une précédente réponse, monsieur le président, c'est exactement sur cela que je me concentre. Comment puis-je soutenir l'armée? Je vis au-dessus de mes moyens. Les frais de personnel représentent plus de 50 p. 100 du coût de l'organisation. La solution à ce problème, à mon avis, puisque nous avons un budget donné, c'est de diminuer les effectifs.
Je pense qu'il faut néanmoins se demander si cela va obligatoirement entraîner une perte de capacité. Tout le problème est là, parce que les gens disent automatiquement que si on a moins d'effectifs, la capacité diminue. On en est arrivé à penser que la capacité était fonction du nombre de bottes et de pièces d'équipement.
J'aimerais vous donner un exemple d'évolution de notre capacité militaire. C'est un exemple que j'ai déjà utilisé, notamment au Congrès des associations de la défense.
Nous avons dans l'armée ce que nous appelons des unités de reconnaissance, des pelotons de reconnaissance. Il y a une dizaine d'années, le bataillon d'infanterie avec peloton de reconnaissance disposait de 11 véhicules. Ces véhicules étaient des Lynx, des blindés de combat à chenilles. Ils étaient équipés chacun d'une mitrailleuse de calibre 50. Leur capacité de surveillance se ramenait en tout et pour tout aux jumelles que portait le chef d'équipage. C'était un véhicule de reconnaissance.
Ce véhicule de reconnaissance, ce peloton de reconnaissance... À partir de n'importe quel véhicule, on pouvait probablement voir à un ou deux kilomètres de distance si le terrain était correct. Ce peloton pouvait probablement couvrir un front de 10 à 15 kilomètres au mieux.
• 1635
Nous avons remplacé ce peloton, ces 11 véhicules, par un
Coyote. Un Coyote peut voir à 15 kilomètres. Vu son rayon d'action,
il peut couvrir un front de 30 kilomètres. La distance que peuvent
couvrir 11 véhicules de ce genre dépend évidemment du terrain, mais
c'est tout de même considérable.
Nous avons remplacé ce peloton par quoi? Il y avait le même nombre de bottes, le même nombre de pièces en jeu, mais un niveau de capacité très différent. Ce que je veux vous expliquer, c'est que je n'avais plus besoin de 11 véhicules. Je peux probablement me contenter de dix ou huit ou sept seulement avec bien moins de personnel, tout en ayant un accroissement phénoménal de ma capacité. Mais tant que j'aurai en face de moi des gens qui ne voient la capacité qu'en termes de nombre de soldats à ma disposition et de pièces d'équipement, j'aurai un problème.
Par conséquent, ce n'est pas parce que nous avons une plus petite taille que notre capacité est moindre. Ce rééquilibrage de notre structure ne consiste pas simplement à réduire les nombres, mais à le faire de façon intelligente, de façon à exploiter la technologie et d'autres éléments pour mieux faire les choses et maximiser l'ampleur de notre force. Si l'on se repenche sur notre histoire ancienne, toute la région couverte par le corps canadien durant la Première Guerre mondiale pourrait être couverte, et largement, par un simple bataillon ou un groupement tactique. Réfléchissez-y.
[Français]
M. Claude Bachand: Monsieur le président, je comprends la réponse. Je vais y aller rapidement sur l'implementation of managed readiness. Dans votre programme, vous dites:
[Traduction]
-
Avec les changements qui se sont produits depuis dix ans, cette
profondeur a été considérablement réduite. La disponibilité
opérationnelle de l'armée ne répond toujours pas à nos besoins.
[Français]
Devant la conférence, vous disiez:
[Traduction]
-
Plus le tempo des opérations s'est accru, plus cela a été difficile
à soutenir. Le résultat, c'est que nous ne pouvons pas obtenir de
normes collectives satisfaisantes en matière de conduite de la
guerre ni de niveau acceptable de contrainte pour nos effectifs qui
doivent passer d'une tâche à haute priorité à une autre. Certes,
avec l'expérience, nous gérons mieux la charge, mais l'armée est
toujours déséquilibrée.
[Français]
Il me semble que dans votre présentation du mois de février devant la conférence, vous alliez beaucoup plus loin qu'aujourd'hui. Vous parliez même d'échec dans les standards de combat. Est-ce que vous maintenez vos déclarations du mois de février?
[Traduction]
Lgén M.K. Jeffery: Encore une fois, monsieur le président, j'ai fait ces deux déclarations et je ne les considère pas contradictoires. Il s'agit d'expliquer une question complexe. Je vous invite à vous reporter, monsieur le président, au diagramme sur la gestion de la disponibilité opérationnelle. Je vais m'appuyer sur ce diagramme pour essayer de vous expliquer cette situation complexe.
Si vous regardez la case en jaune intitulée «Force de campagne», vous avez là une force d'environ 12 500 personnes. À l'heure actuelle, monsieur le président, nous avons 1 934 personnes de la force armée qui sont en activité dans des opérations quelque part dans le monde. Si vous songez qu'on assure le roulement de toutes ces personnes deux fois par an, une fois tous les six mois, vous comprendrez qu'une partie importante de cette armée est en permanence engagée quelque part dans une opération.
Le défi pour nous, c'est de nous assurer, étant donné que nous voulons prendre soin de nos soldats, que ceux-ci sont correctement préparés, et que nous gérons bien cette situation tout en répondant aux besoins du gouvernement. Vu l'agitation sur divers fronts, nous avons eu du mal à le faire. Nous avons imposé une charge démesurée à nos soldats. Je crois que nous devons et que nous allons cesser cela. Il faut rééquilibrer l'armée. Notre objectif ici est de gérer beaucoup mieux les ressources que nous avons.
• 1640
J'aimerais faire une comparaison pour vous expliquer
clairement la transition, l'évolution que nous connaissons
actuellement. Durant la guerre froide, nous avions une armée
beaucoup plus importante et sa principale responsabilité était
d'être prête. La guerre à l'époque était une guerre massive de
l'ère industrielle. Aujourd'hui, nous avons une armée beaucoup plus
petite, dans un monde beaucoup plus dynamique sur lesquels pèsent
beaucoup plus d'exigences. C'est un peu comme si l'on comparait les
aptitudes d'un superpétrolier à celle d'un hors-bord rapide. Il y
a eu des armées—dont la nôtre dans une certaine mesure—qui
étaient lentes, et qui avaient une capacité supérieure jusqu'à un
certain point et dans certains contextes, parce que c'étaient des
masses inébranlables et qu'on faisait les choses de façon massive.
Mais on ne pouvait pas les déplacer rapidement. Actuellement, nous
essayons de transformer ce vaisseau massif en un hors bord beaucoup
plus manoeuvrant, beaucoup plus apte à répondre à toute une
diversité de défis. Et compte tenu des fonds dont je dispose et du
type d'opérations auxquelles nous sommes confrontés, j'ai là une
bien meilleure capacité. Mais il y a un problème. Une grosse vague
ne peut pas submerger le superpétrolier, mais elle peut submerger
le hors-bord. Et il est clair pour tout le monde que cette absence
de profondeur entraîne un élément de risque.
Je dois cependant vous préciser que toutes les armées du monde occidental subissent exactement la même évolution. Je pourrais vous parler abondamment de toutes ces armées, de la façon dont elles se transforment en réduisant leurs effectifs, mais aussi en changeant radicalement leur façon de faire les choses. Elles se transforment en hors-bord, et nous devons le faire aussi. Est-ce que cela comporte des risques? Bien sûr, mais à mon avis ils sont acceptables.
Le président: Merci, général.
Je suis heureux de voir de retour au comité l'ancien président Pat O'Brien. Pat, c'est un plaisir de vous voir de nouveau parmi nous. Vous avez la parole.
M. Pat O'Brien (London—Fanshawe, Lib.): Merci, monsieur le président. Je suis enchanté d'être de retour car je suis toujours très intéressé par les Forces canadiennes et le travail considérable qu'elles accomplissent, ainsi que par les travaux de ce comité.
Général, je vous remercie de votre exposé. J'aurais bien aimé que notre collègue Mme Wayne soit là pour l'entendre, car je crois qu'il est important. Mais enfin, nous ne pouvons pas toujours avoir tout le monde.
J'ai eu l'occasion de discuter avec des militaires à la retraite et de les entendre formuler des critiques très constructives—c'est un simple commentaire et je ne m'attends pas à ce que vous le releviez. Mais j'ai été un peu déçu d'entendre des généraux à la retraite et d'autres personnes faire des remarques qui correspondent bien à ce que vous nous avez décrit et qui, j'imagine, expliquent en partie votre frustration. Peut-être pourriez-vous donner cette excellente explication de la capacité, sa définition et sa complexité, à ces gens qui prétendent soudain avoir toutes les réponses. Je trouve qu'il est lamentable d'entendre des gens qui ont servi dans nos forces, parfois avec distinction et tous avec beaucoup d'honneur, faire des affirmations aussi simplistes alors qu'ils devraient savoir que les choses ne sont pas si simples. Je voulais simplement faire cette précision, monsieur le président.
Je ne vois pas les incohérences que M. Bachand voudrait voir. En fait, durant le premier tour, j'ai cru qu'il vous citait aujourd'hui. La première moitié avait l'air d'être une citation directe de ce que vous aviez dit.
Quoi qu'il en soit, je vais en venir à mes questions, monsieur le président. J'ai été fasciné par l'image des trois pâtés de maisons du général Krulak que vous avez reprise dans votre exposé, général, et j'aimerais creuser un peu cela avec vous. Il parle d'opérations de combat, d'opérations de paix et d'opérations humanitaires. Est-ce que cela représente l'ordre des priorités américaines à votre avis? Si vous deviez placer ces trois catégories par ordre de priorité pour les Forces canadiennes, dans quel ordre les placeriez-vous? Le Canada peut-il vraiment viser à accomplir ces trois types de missions simultanément? Je me demande si les Américains eux-mêmes peuvent le faire, sans parler du Canada. Vu le budget que le gouvernement actuel est prêt à consacrer à la défense, peut-on même envisager d'essayer d'accomplir ces trois types d'opérations simultanément?
Ma dernière question porte sur ce rayon de trois pâtés de maisons. J'ai peut-être raté quelque chose, mais je ne saisis pas bien la nuance ici. Est-ce qu'il veut parler du rétrécissement des opérations dans le monde, ou que veut-il dire exactement? J'aime bien l'image, mais pourquoi cette notion de trois pâtés de maisons? Que voulez-vous dire exactement?
Je vous remercie.
Lgén M.K. Jeffery: Monsieur le président, je ne peux pas laisser passer cette remarque, car c'est quelque chose qui me touche profondément.
Quand j'ai parlé de réponses en noir ou en blanc, je ne voulais critiquer personne. Il s'agit ici d'un débat important, si désagréable qu'il puisse être pour bien des personnes. Je pense que beaucoup de ceux qui participent à ce débat, sinon tous, s'interrogent sur leur engagement auprès du pays et sur l'importance sur la défense de notre pays. Je crois sincèrement que tous font de leur mieux pour essayer de maintenir une bonne capacité militaire.
Je crois que ce que vous entendez exprimer en divers endroits, c'est peut-être une frustration à cause de l'absence de débat dans certains quartiers; les gens saisissent l'occasion de se faire entendre. Le problème, c'est que nous avons tous des points de vue différents, professionnels ou amateurs, ceux qui sont dans l'armée et ceux qui l'on quittée. Nous sommes tous les produits de notre expérience, et je ne suis pas étonné que les points de vue divergent. Ce qui me dérange, ce sont les gens qui essaient de simplifier excessivement une question extrêmement complexe, ce qui ne sert à rien.
Une voix: Touché.
Lgén M.K. Jeffery: Si je peux maintenant passer à la guerre des trois pâtés de maisons, c'est, comme je le disais dans mes remarques, une métaphore utile qui reflète la nature changeante des opérations, la nature extrêmement complexe de la guerre terrestre à l'avenir. Nous n'avons plus, et nous aurons de moins en moins le luxe d'avoir une belle ligne de front bien définie. Il n'y a plus de ligne de front dans la guerre contemporaine. Nous n'avons plus besoin non plus de déplacer les non-combattants, de ramener les femmes et les enfants en arrière des lignes, comme on le faisait autrefois. En fait, les combattants sont bien souvent des femmes, et il y en aura de plus en plus à l'avenir.
Le président: Et des enfants.
Lgén M.K. Jeffery: Malheureusement oui, dans certaines régions du monde.
Quand des forces interviennent dans un conflit, c'est forcément pour mettre fin à ce conflit. Elles sont confrontées aux combattants de un, de deux ou de plusieurs côtés. Ce n'est pas simplement deux ennemis qui s'affrontent, souvent il y a de nombreuses forces en présence. Il y a des gens qui ont besoin d'aide. Une force peut très bien être amenée à combattre certaines factions, dans certains cas des forces militaires traditionnelles et dans d'autres des forces de guérilla. Cette même force peut aussi être amenée à essayer de diviser et de séparer des forces ennemies et à essayer de les amener à faire la paix, de négocier avec elles, de les faire accepter un compromis, et cette même force encore va devoir s'occuper d'opérations humanitaires auprès de la population en maintenant la sécurité et en approvisionnement les gens en eau et en nourriture. Telle est la nature du monde actuel, et la nature des opérations militaires.
Je pense que plus personne ne peut se permettre le luxe de choisir ce qu'il va faire. Nous sommes confrontés à une réalité complexe.
Je crois que je n'ai jamais parlé au général Krulak. J'ai seulement lu certains de ses écrits. Mais je crois que ce qu'il essaie de dire avec cette guerre des trois pâtés de maisons, c'est qu'il n'y a pas de séparation entre les divers types d'opération. Tous les éléments sont tellement proches les uns des autres qu'on est obligé d'essayer de mener toutes ces opérations en même temps. Honnêtement, nous n'y sommes pas encore parvenus. Nous comprenons le défi, mais pour l'instant c'est vraiment cela, un défi, et il nous faudra du temps pour trouver la solution.
Le président: Merci, général.
Monsieur Stoffer.
M. Peter Stoffer: Merci encore, monsieur le président.
Moi qui ne suis qu'un simple observateur, et qui ai un profond respect pour les hommes et les femmes de notre armée et pour nos anciens combattants, j'ai l'impression qu'il y a là une foule de gens qui ont une expérience militaire considérable et qui pourtant critiquent l'état de nos forces armées actuelles. Et même vous, monsieur, vous avez dit que vous ne pouviez pas suivre le rythme de l'évolution technologique et que vous alliez peut-être monnayer le départ de soldats, qu'il y avait un manque à gagner de 200 millions de dollars cette année par rapport à l'an dernier, que le recrutement était très difficile, que le stress post-traumatique était en augmentation et que le moral déclinait.
Je vais donc vous poser une question très simple: Si j'étais un jeune homme ou une jeune femme de 18 ans au Canada, qu'est-ce qui pourrait m'inciter à entrer dans l'armée? Allez-y, c'est l'occasion de nous convaincre.
Lgén M.K. Jeffery: Premièrement, je dois dire que les organisations militaires, et les armées en particulier, ont toujours été confrontées à des défis. C'est quelquefois facile de l'oublier quand on est confronté à ses propres défis. Je ne considère donc pas que la situation actuelle soit catastrophique. J'estime que c'est le genre de situation qui accompagne les bouleversements profonds. L'armée, comme toute la société, est confrontée à des bouleversements profonds.
• 1650
C'est peut-être parce que je porte cet uniforme depuis
longtemps, mais j'ai la conviction profonde que cette profession
est encore l'une des plus honorables au monde. Comme la plupart des
personnes en uniforme, je suis profondément attaché à la paix, et
comme on le dit, ce ne sont pas les soldats qui veulent faire la
guerre. En fait, ils savent très bien ce que c'est, la guerre, et
ce n'est pas cela leur motivation. Mais il faut bien que quelqu'un
protège la société face à des gens qui ne sont pas aussi pacifiques
que nous. La plupart des Canadiens n'ont pas eu l'occasion d'aller
voir sur place à quel point la situation peut être épouvantable
dans d'autres régions du monde et de comprendre à quel point nous
sommes privilégiés.
Je crois que c'est une occasion remarquable pour les jeunes gens et les jeunes femmes, les jeunes Canadiens et Canadiennes, non seulement de servir leur pays, mais bien d'apporter une aide dans de nombreuses régions troublées du monde.
Nous sommes passés par une période difficile parce que nous avons eu des échecs institutionnels dans l'armée et que nous avons révélé nos faiblesses, mais je pense que cela nous a rendus meilleurs et je crois qu'à l'avenir cette institution sera un endroit où il fera bon servir.
Comme je le dis à mes soldats, la véritable question est la suivante: Si quelqu'un vient vous demander si son fils ou sa famille devrait entrer dans l'armée et que vous ne lui répondez pas oui, sans hésitation, alors c'est que nous avons un problème dans cette institution. C'est une des attitudes que j'ai entre autres pour faire en sorte que l'efficacité de cette organisation s'améliore, car je tiens à ce que tous mes soldats croient du fond du coeur à cet engagement auprès de l'armée. Avec ce genre de détermination, nous aurons des candidats en masse.
M. Peter Stoffer: Si je pose cette question, c'est parce que, comme la plupart d'entre vous le savez, mes parents et mon frère aîné ont été libérés par l'armée canadienne en Hollande. Mon père nous rappelait toujours la fierté et le courage du jeune homme qu'il avait rencontré, ce soldat à qui il avait posé la question: «Pourquoi êtes-vous venu ici?», et qui avait répondu: «Nous avions un travail à faire».
Cela me dérange, en regardant 56 ans en arrière, de constater que l'état de notre armée n'est plus ce qu'il était à l'époque. Vous l'avez dit de façon parfaitement éloquente. Elle a subi de profondes transformations, de profondes révisions des programmes, etc.
Je tiens à vous remercier de vos commentaires, car il y a beaucoup de jeunes gens dans notre région, en particulier dans le Canada Atlantique, qui regardent le corps militaire avec un certain recul. Il y a un bon entraînement, de bonnes professions, une bonne camaraderie, mais actuellement, ce qu'on lit dans la presse, ce qu'on voit aux informations et ce que l'on entend dire n'est pas très encourageant.
Nous savons qu'il y a de gros problèmes de recrutement, et ma dernière question est donc la suivante: pouvons-nous, sous ce gouvernement, ou n'importe quel autre gouvernement d'ailleurs, restaurer la fierté dans notre institution militaire afin que de jeunes hommes et de jeunes femmes soient prêts à s'engager en sachant bien que s'ils ont un jour des problèmes comme le syndrome du stress post-traumatique, on s'occupera bien d'eux et de leurs familles?
Lgén M.K. Jeffery: Vos remarques portaient sur l'état de l'institution militaire, mais je vais vous parler plus précisément de l'état de l'armée.
Il y a énormément de fierté dans cette institution. Les soldats sont très fiers de ce qu'ils font. Ils sont un peu frustrés, comme tout le monde peut le comprendre, à cause de tout ce qui s'est passé depuis dix ans, parce qu'on dénigre l'institution, à cause des commentaires que l'on fait et aussi parce que les dirigeants n'ont pas su leur expliquer vers quoi nous nous orientons et en quoi consistent tous ces changements.
En bref, quelle est la vision de l'organisation, comment allons-nous atteindre cet objectif et quel est le rôle que chacun joue dans toute cette évolution?
S'ils ont ce leadership, cette vision, cet objectif, les soldats feront tout ce que vous voudrez leur demander et continueront d'être fiers.
En dépit de ce que j'ai dit sur les défis auxquels nous sommes confrontés, je ne crois pas que l'armée soit en mauvais état. Elle est stressée, j'ai certaines inquiétudes, et je vous ai parlé des défis auxquels nous sommes confrontés. Mais sur le plan de la qualité de l'engagement des jeunes hommes et des jeunes femmes qui portent l'uniforme, sur le plan du moral, des normes éthiques, sur le plan de l'engagement à accomplir ce travail pour la nation, jamais la situation n'a été meilleure. En fait, je crois que la qualité des soldats que je vois, et en particulier la qualité du commandement, est supérieure à tout ce que j'ai pu voir en près de 37 ans de service.
Le président: Merci, général.
Madame Longfield.
Mme Judi Longfield (Whitby—Ajax, Lib.): Merci, général. Vous êtes une véritable bouffée d'oxygène. Je tiens à vous féliciter pour votre patience et votre professionnalisme aujourd'hui. Je suis sûre que vous préféreriez être ailleurs. Je vous remercie de cet exposé très instructif.
Pour faire une petite remarque personnelle, je dirais que j'ai voyagé avec le comité d'une base à l'autre au Canada, et aussi en Bosnie et au Kosovo. M. Stoffer, je puis vous assurer que je n'ai pas rencontré un seul membre de nos forces armées qui n'était pas immensément fier de ce qu'il faisait. Ce qui les frustrait, c'était ce que les Canadiens pensaient d'eux, pas ce qu'ils ressentaient eux-mêmes sur leur situation. Si quelqu'un n'est pas à la hauteur, c'est peut-être le gouvernement ou la population générale du Canada qui ne leur manifeste pas la reconnaissance qu'ils méritent. En tout cas, c'est mon point de vue personnel.
Quand j'ai voyagé avec le comité et discuté des questions de qualité de vie, l'une des choses que l'on nous a dites était que l'on avait beaucoup de mal à retenir les professionnels, les ingénieurs ou autres. Étant donné que nous entrons dans une phase d'opérations reposant de plus en plus sur une technologie de pointe, comment allons-nous pouvoir soutenir nos déploiements si ne réussissons pas à conserver aussi nos ingénieurs, tout notre personnel parfaitement entraîné? C'est une des questions que je me pose.
Vous avez parlé de fossé de la technologie. Combien de temps nous faudrait-il pour combler ce fossé? Aurons-nous du mal à combler ce retard parce que nous ne vous permettons pas de réaliser les immobilisations nécessaires?
Je vais d'abord vous poser cette question, et j'en aurai une dernière ensuite.
Lgén M.K. Jeffery: Tout d'abord, monsieur le président, les paramètres liés au personnel sont assez complexes. Mon collègue, le général Couture, qui est sous-ministre adjoint pour les ressources humaines militaires, doit comparaître bientôt devant ce comité, je crois. Il vaudrait mieux entrer dans le détail de ces questions avec lui.
Je reconnais d'entrée de jeu qu'il y a toujours eu certains types de personnes, certains types de compétences difficiles à maintenir au sein de l'établissement militaire. Les ingénieurs font partie de cette catégorie, et il y a aussi divers techniciens spécialisés dans nos équipements. La situation est parfois assez tendue dans ces domaines.
C'est dû en partie au fait que ces mêmes compétences sont aussi très demandées dans la société civile. Je ne crois pas que les gens soient motivés uniquement par l'argent, mais il y a une limite qu'ils ne veulent pas dépasser. Le problème n'est pas facile à régler. Une bonne partie des politiques concernant le personnel font actuellement l'objet d'une révision. On est en train d'en réviser beaucoup dans l'espoir de retenir autant d'éléments compétents que possible.
Deuxièmement, nous devons recruter des personnes mieux qualifiées, mieux éduquées et mieux formées dès le départ pour accélérer les choses. Du point de vue de l'armée, je commence à envisager les répercussions à long terme de certaines de ces pénuries. Je ne crois pas que le problème va disparaître par enchantement. En fait, il risque plutôt de s'aggraver. Par conséquent, y a-t-il d'autres façons de l'aborder? Je vais vous donner un simple exemple pour vous expliquer ce que je veux dire.
Je viens de l'artillerie et j'ai une formation d'artilleur. Quand je suis entré dans l'armée il y a de nombreuses années, dans notre unité d'artillerie, tous les chauffeurs avaient appris à assurer l'essentiel de l'entretien de leur véhicule. En fait, il y avait très peu de mécaniciens professionnels dans cette unité. Mais quand les véhicules ont commencé à devenir plus compliqués et quand toute l'organisation a évolué, nous avons cessé de fonctionner comme cela. Nous avons recruté de plus en plus de mécaniciens. J'ai l'impression que nous allons peut-être devoir revenir en arrière en quelque sorte et redonner beaucoup plus de responsabilités aux chauffeurs pour ne plus être obligés d'avoir autant de mécaniciens.
C'est un simple exemple pour vous donner une idée de la situation. On change la façon de faire les choses. On apprend aux soldats de combat à faire plus de ces choses par eux-mêmes au lieu de compter sur des techniciens qui coûtent cher et sont difficiles à retenir. C'est ce genre de démarche, cette sorte de chose que j'envisage. Il ne s'agit pas simplement de retenir des gens, il faut en fait envisager une façon complètement nouvelle d'agir.
• 1700
Si l'on songe à l'explosion et à la croissance colossale du
secteur technologique, on s'aperçoit qu'il est peut-être impossible
de combler le fossé technologique. Prenons n'importe quel exemple.
Les ordinateurs sont sans doute le meilleur. On ne peut pas combler
le fossé. La question est de savoir ce que l'on fait dans ces
conditions. Ce que l'on fait, c'est qu'on sélectionne des progrès
technologiques clés, des éléments critiques pour la force
militaire, et que l'on détermine dans quoi on va investir et quand.
Je vais vous donner une autre anecdote à titre d'exemple. Mon prédécesseur, le général Leach, quand il était commandant de l'armée, a pris une décision difficile mais justifiée lorsqu'il s'est agi de remplacer un char existant et nos véhicules de tir d'appui direct. Une proportion importante de notre budget d'investissement avait déjà été réservée pour cet achat. Il a recommandé au CEMD de ne pas acheter ces véhicules. La raison de cette recommandation était que l'accroissement de capacité que nous obtiendrions, quels que soient les véhicules achetés, ne vaudrait pas l'investissement réalisé. Bref, il n'y avait pas vraiment de valeur ajoutée.
C'est le genre de décision que nous devons prendre. Autrement dit, si nous devons investir dans de l'équipement nouveau ou de nouvelles capacités, il faut que cet investissement se traduise par un bond considérable de notre capacité. Nous n'allons pas continuer indéfiniment à essayer de combler l'écart. Nous allons accepter les écarts en essayant de comprendre comment nous pouvons atténuer les risques entraînés par ces écarts et en nous dotant d'une capacité clé à un moment clé de l'avenir.
Nous ne sommes pas les seuls dans cette situation. Je crois que toutes les entreprises essaient de faire la même chose. C'est plutôt comme cela que nous devons voir les choses. Combler l'écart, cela va à mon avis être un de nos grands défis.
Le président: Merci, général.
Monsieur Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, AC): Merci, monsieur le président.
J'aimerais poser une question à notre invité. Il a l'air d'adorer le véhicule blindé léger. Est-ce qu'il restera une place pour un char de combat principal dans le genre de force qu'il envisage pour l'avenir?
Lgén M.K. Jeffery: Excusez-moi, je n'ai pas entendu la fin de la question.
M. Rob Anders: D'après votre déclaration, vous avez l'air de penser que le véhicule blindé léger est un excellent véhicule. À l'avenir, pensez-vous que le char de combat principal aura encore sa place? Autrement dit, quand les Leopard se détérioreront dans une dizaine d'années, avez-vous l'intention de les remplacer? Sont-ils dépassés? Voulez-vous encore les conserver?
Lgén M.K. Jeffery: Je pense que je devrais commencer par répéter mon anecdote sur le général quatre étoiles allemand. Nous savons que nous avons besoin de cette capacité, mais simplement nous ne sommes pas certains de pouvoir l'obtenir d'un char. Autrement dit, la technologie évolue tellement vite qu'un char de combat principal de 70 tonnes n'est plus guère utile que dans certains types bien précis de conflits. À certains égards, c'est même un handicap.
Pour nous, c'est un défi. Nous allons passer à des plates-formes plus légères, pas seulement nous, mais toutes les autres armées aussi. Dans quel délai? À quoi ressembleront ces nouveaux véhicules? Quelles seront leurs capacités? Tout cela va évoluer dans le temps. Mais la tendance à avoir des engins de plus en plus lourds va devoir s'inverser, et c'est déjà le cas.
Je vais vous donner une vision, un aperçu de ce que pourrait être dans 20 ans le véhicule de combat blindé dont nous pourrions avoir besoin pour accomplir les fonctions d'un char. Ce sera probablement un véhicule à roues et non pas à chenilles. Il ne sera probablement pas plus lourd que le VBL III actuel ou ce genre de véhicule de combat blindé. Vous allez me dire: Pourra-t-il survire? Que pourra-t-il faire?
Premièrement, il pourra accueillir tout un éventail de systèmes d'armes. L'explosion de la technologie de la puissance de feu nous permet d'accomplir de plus en plus de choses avec des armes plus légères. On n'aura plus besoin d'équiper le véhicule d'une arme principale de 120 millimètres. Il y aura d'autres moyens d'atteindre l'objectif.
Nous n'aurons plus de blindage d'un mètre d'épaisseur à l'avant du véhicule, qui pourra être transpercé de toute façon. Nous aurons de types de protection différents. Les véhicules seront de plus en plus furtifs. Il y a un vieil adage dans l'armée: si tu peux être vu, tu peux être touché; si tu peux être touché, tu peux être tué. La solution, c'est de ne pas se faire voir.
• 1705
Par conséquent, la technologie furtive que l'on voit déjà dans
les avions et que l'on commence à voir dans les navires va aussi se
retrouver dans les véhicules blindés de combat. On utilisera des
technologies grâce auxquelles on essaiera de rendre ces véhicules
invisibles dans l'ensemble du spectre visuel et autre, et si on y
parvient, on les rendra invisibles et comme on ne les verra pas, on
ne pourra les toucher, et donc ils ne se feront pas tuer.
Deuxièmement, les systèmes actifs d'autodéfense que l'on trouve déjà sur certaines plates-formes comme les navires se retrouveront de la même façon sur des véhicules blindés de combat. Autrement dit, si quelqu'un tire sur véhicule au moyen d'un lance-missiles ou d'un canon, il y aura à bord de ce véhicule des capteurs et des contre-mesures grâce auxquels le missile ennemi ne l'atteindra jamais.
C'est une vision d'un véhicule de combat: il doit avoir le même genre de capacité, de puissance de tir, de protection et de brutalité qu'un char.
Le président: Allez-y, monsieur Anders.
M. Rob Anders: Dans le dernier livre blanc, on chiffre à environ 78 000 personnes l'effectif nécessaire pour assurer la soutenabilité de l'ensemble des forces armées, c'est-à-dire des trois corps. Maintenant, nous en sommes à environ 56 000, et ce chiffre baisse, je crois. Votre budget doit aussi diminuer l'année prochaine et après encore. Et ce n'est que le budget prévu. Vous avez donc subi 14 baisses de budget en sept ans. Êtes-vous donc en train de justifier aujourd'hui...? Quelle est votre position? Estimez-vous que le statu quo à 56 000 serait satisfaisant ou que le chiffre devrait être inférieur ou supérieur? Pensez-vous qu'on peut garantir la soutenabilité des forces avec 56 000 soldats?
Lgén M.K. Jeffery: Premièrement, monsieur le président, je ne sais pas d'où sort ce chiffre de 56 000. L'objectif des Forces canadiennes est de 60 000 personnes. Il est clair que nous n'en sommes pas là pour ce qui est de l'effectif entraîné et efficace, mais le nombre sur lequel nous travaillons est toujours 60 000.
Deuxièmement, je précise qu'il s'agit là d'un nombre pour les Forces canadiennes et que je parle ici de l'armée de terre. Je parle donc de 19 500 postes permanents, même s'ils ne sont pas tous comblés actuellement.
Comme j'ai essayé de vous l'expliquer, avec 19 500 personnes, je ne peux pas assurer la soutenabilité étant donné la demande actuelle de main-d'oeuvre. Cela ne signifie pas que je ne peux pas répondre aux engagements que me dicte le livre blanc, mais simplement que les exigences se sont accrues et ont dépassé les engagements stipulés dans le livre blanc. C'est pour cela qu'il y a un problème de soutenabilité. Je peux accomplir ces tâches avec cet effectif tant qu'on ne nous demande pas d'aller au-delà de ce seuil.
C'est évidemment la modernisation qui déterminera si nous pouvons conserver notre capacité à l'avenir en formant nos effectifs à la technologie et toutes ces dynamiques dans les limites des ressources et du nombre de personnes dont nous disposons. Je n'ai pas la réponse à cette question aujourd'hui. C'est manifestement un défi que je dois relever.
M. Rob Anders: J'ai une dernière question.
Le président: Monsieur Anders, votre temps est expiré, et je suis sûr que nous pourrons vous redonner la parole plus tard vu le nombre de personnes qui veulent poser des questions de ce côté-ci. Je vous demande donc un peu de patience. Nous allons passer à M. Wilfert et nous reviendrons de votre côté.
Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert: Général, tout d'abord je vais vous dire que je vais relire vos remarques dans l'avion ce soir. Je vais en venir dans un instant à ma question, mais j'ai l'impression que...
M. John O'Reilly: Nous sommes ouverts le vendredi, vous savez.
M. Bryon Wilfert: Je sais, mais il faut que je parte dans ma circonscription. Cela ne vous dérange pas?
La question, ce sont les messages. Je reçois de nombreux appels de personnes qui ont un peu la même attitude que feu mon père à propos de son expérience durant la Deuxième Guerre mondiale ou la Guerre de Corée. Ils me disent: Pourquoi n'avez-vous pas fait telle ou telle chose? Les effectifs de l'armée sont trop faibles. Nous n'avons pas tel ou tel équipement. Vous avez fait des remarques très intéressantes, et je suis bien d'accord pour recevoir le message que vous nous avez adressé, mais je n'ai pas l'impression que ce message soit entendu là-bas dans les couloirs de cet édifice ou dans le grand public.
À mon avis, pour que l'opinion soit plus favorable aux forces armées, il faut mobiliser un solide appui du grand public; il faut que vous ayez l'opinion publique avec vous. Vous avez fait aujourd'hui des commentaires qui me semblent très percutants et qui devraient être largement entendus, mais je n'ai pas l'impression qu'ils apparaissent dans les belles publications sur papier glacé du MDN. En tout cas, je ne les ai pas vus. Mais c'est une simple remarque. Vous n'êtes pas obligé d'y répondre, je voulais simplement soulever cette question du message à transmettre.
• 1710
Vous nous avez déclaré que nous progressions vers une conduite
de la guerre reposant sur les connaissances et que, comme la
technologie évolue très rapidement, nous devons attirer les
éléments les plus brillants et les plus qualifiés. Je suis bien
d'accord. Je ne veux pas entrer dans le débat sur la qualité de
vie, mais je pense qu'il y a beaucoup à faire, et que nous le
ferons je l'espère, pour attirer et conserver les éléments les plus
brillants et les plus compétents, car nous devons nous assurer, une
fois que ces gens-là portent l'uniforme, qu'ils ont non seulement
notre appui sur le terrain, mais qu'ils ont aussi cet appui chez
eux pour leurs conjoints, leurs familles, etc.
Le problème, c'est qu'en fait vous voyez diminuer le budget dont vous disposez... Vous nous avez dit dans votre exposé que nous pourrions nous battre avec une force de moyenne envergure et que nous pourrons faire encore mieux dans le futur grâce à des améliorations ordonnées. J'en conclus que dans ce contexte de réduction des budgets de l'armée de terre, nous pouvons encore réaliser ces améliorations ordonnées tant sur le plan des immobilisations que sur le plan des autres ressources nécessaires, humaines ou autres, et faire le travail correctement.
Lgén M.K. Jeffery: Je ne peux pas répondre catégoriquement à cette question. Je sais où nous en sommes actuellement dans la mise en place de nouveaux équipements, mais nous sommes précisément au stade de la mise en place de toute cette technologie et cette capacité de commandement et de contrôle qui va être le noyau fondamental de cette nouvelle armée fondée sur les connaissances et le rôle central du commandement.
Nos flottes de véhicules blindés de combat, à une exception près, vont être composées de véhicules haut de gamme entièrement nouveaux. Nous avons des faiblesses dans certains secteurs, mais nous avons des plans pour les rectifier. Nous sommes assez convaincus, compte tenu du budget d'investissement que nous prévoyons, et dans le contexte de la Stratégie 2020 du ministère, de pouvoir améliorer notre capital pour y parvenir. Nous consacrons énormément d'investissements intellectuels à cette entreprise, et nous faisons beaucoup appel aux simulations. Cela ne coûte pas cher, mais cela nous permet d'acheter judicieusement, d'investir judicieusement, et de régler beaucoup de problèmes avant d'engager les dépenses. Là encore, nous essayons de rentabiliser au maximum chaque dollar qui nous est confié.
Je suis convaincu que nous pouvons y parvenir. Mais si nous ne pouvons pas assurer la soutenabilité de l'organisation aujourd'hui et trouver un équilibre et maintenir cet équilibre à l'avenir, j'imagine que tous ces beaux projets sont à côté de la plaque. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas y arriver, mais il faudrait que je repense toute la question, car cet équilibre au départ est indispensable. Nous devons être en mesure de faire se faufiler ce hors-bord à travers tous ces problèmes et de nous moderniser. Il s'agit là d'exigences considérables, et je ne dis pas qu'elles sont irréalisables, mais on ne peut pas les réaliser si l'on est constamment au-delà de sa capacité.
Le président: Merci, général.
M. Bryon Wilfert: Monsieur le président, j'allais dire que le monde est petit. M. Stoffer est parti, mais je sais que quand mon père a débarqué en Normandie, il est passé par la Hollande, et j'y suis moi-même allé plusieurs fois. Qui sait, il peut-être passé dans cette ville où se trouvaient ses parents.
Le président: On ne sait jamais, monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert: On ne sait jamais.
Le président: Peter Goldring.
M. Peter Goldring: Merci, monsieur le président.
Général, quand je vous ai parlé du marché public des transports pour le rapatriement de l'équipement militaire, vous m'avez répondu que cela relevait de la responsabilité de TPSGC. Pourriez-vous m'expliquer cela? C'est TPSGC qui s'occupe des appels d'offres, qui s'occupe de tout cela? Ils envoient la facture à l'armée, ou est-ce que c'est Travaux publics qui s'occupe de tout? Pouvez-vous m'expliquer comment cela fonctionne? C'est TPSGC?
Lgén M.K. Jeffery: Je ne suis pas vraiment la bonne personne à qui poser cette question. Je ne peux pas vous affirmer catégoriquement que c'est bien cela. Personnellement, il me semble bien que c'est Travaux publics et Services gouvernementaux Canada qui s'occupe des contrats pour ce genre de choses, pas le MDN. Évidemment, l'initiative part du MDN, mais peut-être que je me trompe.
Ce que je veux dire simplement, c'est que ce genre de contrat d'appui que conclut le ministère de la Défense nationale dans le cadre du gouvernement du Canada n'est manifestement pas du ressort du commandant de l'armée de terre. Je ne suis certainement pas un expert en la matière et je ne suis pas qualifié pour répondre à ce genre de questions.
M. Peter Goldring: Je me disais simplement que, si ce genre de contrat ne relève pas du ministère de la Défense nationale, mais au contraire du ministère des Travaux publics, et si les coûts ne dépendent pas de l'armée de terre, cela peut vous inciter à transporter les équipements de cette façon, puisque vous n'êtes pas obligés de payer les frais de transport.
En revanche, j'ai peur que cela ne vous dissuade de vouloir vraiment conserver votre propre matériel de transport lourd. Pourquoi vous en charger alors que le transport peut être facturé à un autre ministère? Est-ce que cela vous semble logique?
Lgén M.K. Jeffery: Monsieur le président, je crois que c'est effectivement TPSGC qui s'occupe de tous ces contrats, mais que c'est à peu près toujours le ministère qui a demandé les services qui les paye.
M. Peter Goldring: Très bien.
Je vous ai posé une question sur l'entraînement et les exercices au niveau de la brigade, et vous m'avez répondu que ce serait quelque chose d'utile à faire. Pourriez-vous me dire à quand remonte la dernière fois où vous avez eu un exercice complet au niveau de la brigade? Dans les cinq ou dix dernières années? Évidemment, vous n'en avez pas tous les mois ou tous les deux mois, pour des raisons d'ordre pratique, mais à quels intervalles avez-vous ce genre de manoeuvres? Ne serait-il pas utile d'en avoir plus souvent, comme vous nous l'avez dit?
Lgén M.K. Jeffery: Comme je l'ai dit dans mes remarques d'ouverture, la dernière fois que nous avons fait un exercice d'entraînement à l'échelle de la brigade remonte à 1992. Depuis, nous avons eu des exercices d'entraînement assez réguliers dans un contexte de brigade, où un ou plusieurs groupements tactiques faisaient des manoeuvres ensemble. Je crois que la dernière fois, c'était dans l'Ouest il y a deux ans, en 1999.
Pour ce qui est de la fréquence, c'est une question beaucoup plus délicate. Du point de vue de la capacité et de la disponibilité opérationnelle, j'aimerais bien pouvoir organiser cet entraînement tous les ans, et l'armée aussi. Mais c'est manifestement impossible aussi bien en raison de nos ressources qu'en raison de notre tempo: cela demanderait beaucoup trop à nos soldats.
Je pense que le minimum, ce serait un entraînement tous les trois à cinq ans. Mais c'est un de nos problèmes actuels, et nous allons devoir faire des essais pour voir comment cela peut fonctionner.
L'un des éléments clés ici sera l'entrée en service de notre Centre canadien d'entraînement aux manoeuvres, qui nous donnera une capacité d'évaluation objective. Il ne s'agira plus de savoir si à mon avis un groupe tactique est prêt à être déployé; ce sera une évaluation objective de la capacité opérationnelle.
Si, au terme de cette évaluation, nous constatons que notre régime d'entraînement ne donne pas les résultats voulus, nous saurons que nous devons en faire plus. Nous serons incités à améliorer la situation. Mais pour l'instant, nous n'avons pas cette évaluation objective, nous nous fions seulement à notre meilleur jugement professionnel.
M. Peter Goldring: Est-ce que ce modèle s'inspire de ce que font d'autres pays de taille militaire comparable, comme la Nouvelle-Zélande ou l'Australie? Est-ce qu'ils ont le même genre de raisonnement lorsqu'ils s'interrogent sur les exercices au niveau de la brigade? Que font les autres pays? Est-ce que c'est comme cela qu'ils préparent normalement leurs forces, ou sommes-nous en retard sur ces autres pays pour ce qui est de l'entraînement au niveau de la brigade? Ont-ils un dispositif d'information sur l'état de préparation analogue à celui que vous essayez de mettre en place? Le nôtre va-t-il être calqué sur le leur?
Lgén M.K. Jeffery: Je ne sais pas ce que font toutes les armées. À ma connaissance, nous sommes certainement l'un des premiers à nous doter d'un dispositif de mesure du développement et de la performance aussi poussé. Le modèle que nous utilisons, notre niveau de développement, est très avancé.
Le problème, c'est qu'une fois qu'on a mis en place tout le cadre conceptuel, toute la technologie, etc., il faut encore alimenter tout cela. Cela prend du temps. On ne peut pas simplement aller puiser de l'information dans le passé, on ne peut pas retourner en arrière, il faut commencer aujourd'hui. Nous sommes donc en train de constituer cette base de données, mais il nous faudra un certain temps pour savoir à quoi nous avons affaire.
Pour autant que je sache, nous sommes vraiment l'un des pays les plus avancés, l'une des armées les plus avancées à cet égard.
Pour ce qui est de l'entraînement au niveau de la brigade, comme je l'ai déjà dit en réponse à une autre question, le problème se pose exactement de la même façon pour toutes les armées du monde. Je ne sais pas si c'est une consolation, mais en tout cas nous ne sommes pas seuls.
• 1720
Pour ce qui est des divers niveaux d'entraînement, je sais que
l'armée américaine a régulièrement des exercices au niveau de la
brigade, mais qu'elle n'a pas eu d'exercice au niveau de la
division depuis longtemps et qu'elle n'a pas l'intention de le
faire parce que cela coûte trop cher. Ils se contentent de
simulations. Par conséquent, le poste de commandement et les
commandants ont l'entraînement, mais pas l'ensemble des troupes.
Mon homologue de l'armée américaine m'a dit qu'ils essayaient de faire passer autant de brigades que possible au Centre national d'entraînement de l'armée américaine durant le mandat d'un commandant de brigade. Donc, normalement, une brigade passe théoriquement à ce centre d'entraînement une fois durant le mandat de deux ans à deux ans et demi d'un commandant de brigade. Mais c'est impossible dans la réalité; ils ne peuvent pas matériellement faire venir toutes les brigades dans ce délai. Je ne peux pas vous donner le pourcentage exact, mais il y a un pourcentage de cette armée qui n'a pas d'entraînement durant cette période.
Le président: Merci.
Monsieur O'Reilly.
M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci, monsieur le président. Je voulais m'assurer que M. Anders avait tout le temps nécessaire, et je ne voulais pas lui couper la parole. Je pense que le secrétaire parlementaire ne doit pas prendre le temps du comité, même si j'en fais partie.
Le président: Nous sommes tous égaux ici, monsieur O'Reilly.
Si je peux me permettre une petite interruption, j'aimerais profiter de cette occasion pour dire à M. Anders que nous sommes ici dans la salle appelée «Chambre de guerre». Et je vous rappellerai ces paroles impérissables de Peter Sellers dans le film Dr. Strangelove: «Messieurs, vous ne pouvez pas vous battre ici—c'est la salle de la guerre!»
M. John O'Reilly: Je pense que j'ai modifié le niveau du débat en comité avec les commentaires que j'ai fait à la Chambre des communes. Ces commentaires visaient essentiellement trois généraux à la retraite qui sont venus ici et nous ont dit en gros que le Canada n'était pas prêt pour la guerre, et qu'en fait nous n'étions pas prêts pour grand-chose.
Or, le général Baril nous a dit que nous étions prêts, et j'ai donc fait remarquer que les généraux qui sont encore en service ne parlaient peut-être pas aussi ouvertement que ceux qui sont à la retraite. Mme Wayne et d'autres personnes ont aussi obtenu d'autres commentaires.
Quand le général Dallaire est venu ici, pour nous parler du syndrome du stress post-traumatique... Et pour faire une petite digression, je dirais que c'était vraiment très courageux de sa part. J'ai trouvé qu'il se comportait comme un véritable héros canadien, en ayant le courage de dire qu'il n'était pas répréhensible de demander de l'aide. J'ai bien apprécié sa comparution. Mais c'est à partir de cette visite du général Dallaire que le niveau de questions a changé, comme on le voit avec les questions que pose maintenant notre ami du Bloc. Maintenant, on demande à toutes les personnes en uniforme qui viennent comparaître si elles ont été muselées ou si quelqu'un s'est mêlé de leur souffler à l'avance les réponses aux questions qui leur sont posées.
J'aimerais donc vous redemander si vos commentaires sont vos commentaires personnels ou si vous avez été influencé par d'autres personnes.
Vous savez, j'admire aussi les généraux retraités pour leur courage. Tout ce que nous essayons de faire, c'est de renforcer l'armée, essayer de faire augmenter son budget et lui permettre d'être prête à accomplir les missions auxquelles elle se prépare. Je crois que c'est ce que nous recherchons tous, que ce soit le gouvernement, l'opposition, les critiques ou les secrétaires parlementaires.
Parfois, nos questions ont tendance à déraper un peu, mais je tiens à faire officiellement une mise au point sur mes remarques. En ce qui concerne les deux points de vue auxquels nous sommes confrontés, ce que je voulais dire, c'est qu'une fois que les officiers supérieurs prennent leur retraite, il semble changer radicalement d'opinion. Ou est-ce que cela veut dire que nous avons encore des généraux qui en sont encore à la Seconde Guerre mondiale?
Le président: Général, vous avez un commentaire sur ce commentaire?
Lgén M.K. Jeffery: Monsieur le président, je pense que j'ai déjà répondu à cette question précédemment, quand j'ai bien expliqué que je ne voulais pas être mal interprété. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit. C'est manifestement une question délicate et difficile.
• 1725
Comme toutes les personnes qui portent l'uniforme, j'ai ici
une fonction bien précise. Mais ce qui me motive plus que tout,
c'est le fait que je suis responsable des soldats de cette armée,
des jeunes hommes et femmes qui doivent aller combattre. Et si,
après avoir porté l'uniforme pendant aussi longtemps, quelqu'un
soutient que je ne prends pas cette responsabilité au sérieux, j'ai
le regret de vous dire qu'il a mal jaugé le personnage. Il n'est
pas question que je vous dise autre chose que la vérité, car c'est
la vie de mes soldats qui pourrait en dépendre.
M. John O'Reilly: Je suis allé récemment à Petawawa pour le départ du contingent qui partait en Bosnie, et j'ai constaté qu'il y régnait un sentiment de fierté et de camaraderie remarquable, avec des pères et des fils qui servaient ensemble dans la même unité. Je ne vois donc pas tous ces aspects négatifs chez les gens qui portent l'uniforme, seulement dans la presse. Je constate au contraire une grande fierté, une grande camaraderie, une grande cohésion. Je suis donc heureux de pouvoir dire que c'est seulement dans la presse que l'on a toute cette vision négative, pas chez les militaires eux-mêmes. Je vous en félicite.
Le président: Merci, monsieur O'Reilly.
Monsieur Anders.
M. Rob Anders: Merci, monsieur le président.
Étant donné les coupures effectuées dans le budget opérationnel, combien d'exercices de tir réels l'armée régulière et la réserve peuvent-elles faire au cours d'une année?
Lgén M.K. Jeffery: Je ne pense pas pouvoir répondre à une question aussi détaillée, monsieur le président, mais nous pouvons certainement vous communiquer cette information. Le problème, c'est entre autres la variété des niveaux d'entraînement.
M. Rob Anders: Est-ce que ce serait moins de dix?
Lgén M.K. Jeffery: Non, non. C'est une question de contexte. Il y a de l'entraînement au niveau de la section, du peloton, de la compagnie, du bataillon ou du groupement tactique, avec dans chaque cas un certain pourcentage d'exercices de tir réel, et dans certains cas plus d'une fois par an. Il y a trois brigades et 12 groupements tactiques au Canada, et il me serait donc difficile de vous donner ce nombre exact à l'improviste.
Le président: Général, peut-être pourriez-vous demander à vos collaborateurs de transmettre une réponse écrite à cette question à notre greffier.
M. Rob Anders: Voici ma dernière question: à combien de balles équivaut le prix de l'opération de changement de sexe d'un soldat?
Le président: Monsieur Anders, cette question sort largement du domaine de ce comité.
M. Rob Anders: Un changement de sexe coûte 2 000 $. À 78c. la balle, cela ferait quoi, 2 500 balles?
Le président: Monsieur Anders, cette question n'est pas recevable. Si vous voulez poser une autre question au général, vous pouvez, sinon nous allons passer à quelqu'un d'autre. Vous avez le choix.
M. Rob Anders: Monsieur Pratt, je sais que cela ne vous plaît pas, mais je pense que l'armée doit parfois prendre des décisions sur la façon dont elle dépense son argent et je sais bien que ce sont les dirigeants politiques qui lui disent quoi faire. Mais je pense que parfois le souci de rectitude politique à ce comité influe sur la teneur des propos des personnes qui comparaissent ici. Je crois qu'il y a une énorme différence entre ce qu'ils nous disent effectivement et ce qu'ils nous diraient probablement s'ils avaient la liberté totale de le faire.
Le président: Monsieur Anders, allez-vous poser une autre question? C'est tout. Bon.
Monsieur Goldring, vous avez d'autres questions?
M. Peter Goldring: Merci, monsieur le président.
Général, en matière d'entraînement au tir, on a tendance à s'en tenir au tir électronique. Je suis allé dans une base à Edmonton où il y avait un stand de tir électronique, mais il y manque quelque chose. Je pense que le tir réel est très important. Ce n'est pas simplement la question du recul, c'est le fait d'être sur place dans le stand de tir par tous les temps, été comme hiver, sous la pluie ou sous la neige. Le fait d'être dans des conditions météorologiques réelles influe sur l'entraînement au tir des soldats.
• 1730
Je pense qu'il est très important de savoir non seulement
combien de munitions on tire, mais aussi quelle est la partie de
l'entraînement qui se fait à l'extérieur, dans de vrais champs de
tir. Quel est le pourcentage de cet entraînement en conditions
extérieures?
Lgén M.K. Jeffery: Là encore, monsieur le président, si le comité souhaite avoir une réponse précise, je ne suis pas en mesure de la donner ici. Encore une fois, déterminer le pourcentage d'exercices qui se pratiquent en plein air, les conditions lesquelles ils se déroulent, etc., c'est quelque chose de très subjectif. Je ne vois pas très bien à quoi veut en venir le député, mais nous pouvons vous communiquer cette information.
Je pourrais peut-être vous parler de l'évolution de l'entraînement et des raisons pour lesquelles il évolue. Dans le passé, en gros, les soldats allaient s'entraîner dans un stand de tir et ils tiraient avec leur arme, une carabine, une mitrailleuse ou autre, sur des cibles ou des points prédéterminés, puis ils rentraient à la caserne. Nous sommes passés de cet entraînement rudimentaire à des formes d'entraînement très complexes où les soldats utilisent des armes au niveau moyen et supérieur dans tout un éventail d'environnements de tir. Cet entraînement progressif est extrêmement important pour assurer la cohésion de l'équipe de combat.
Nous avons de nombreux défis. Il y a évidemment le problème des ressources, mais il y en a d'autres. Entre autres, plus les effets de ces armes sont importants, et moins il y a d'endroits où on peut les utiliser. À cela s'ajoute un souci légitime de préservation de l'environnement. Il y a toutes sortes de questions environnementales qui se posent lorsqu'on utilise ces armes. Par conséquent, les ressources, le risque et l'environnement sont divers éléments qui entrent en ligne de compte dans ce genre d'activités. Il y a aussi, comme je vous l'ai déjà dit, les questions de temps et de transposition de l'entraînement.
La simulation ouvre des possibilités remarquables. Même au stade actuel, où les dispositifs de simulation sont encore très rudimentaires par rapport à ce qu'ils offriront plus tard, ils représentent un progrès considérable. Dans certains cas, l'entraînement sur simulateur peut se transposer dans le maniement des systèmes d'armes réels à 100 p. 100 ou presque. Je vais vous donner un exemple.
Le système de défense aérienne antichar comporte un simulateur intégré, de sorte que la personne qui tire ne voit absolument pas la différence entre un tir réel et un tir simulé. Pour cette personne, c'est exactement la même chose. C'est l'objectif, car si l'on peut en arriver là, on peut consacrer tout le temps que l'on veut à l'entraînement, n'importe où, dans des conditions beaucoup plus économiques et sans tous les problèmes connexes. Devons-nous néanmoins continuer à exposer les soldats au froid, à la boue et à la pluie? Bien sûr que oui. Nous essaierons de toujours de le faire, nous en avons bien l'intention, c'est un aspect critique de la formation. Mais faut-il que tout l'entraînement au tir se fasse dans ces conditions? Non. Et pour toutes sortes de raisons, ce sera de moins en moins le cas.
Le président: Très vite.
M. Peter Goldring: Je veux bien admettre que plus les simulateurs s'améliorent, plus on peut faire évoluer l'entraînement. Mais j'ai été un peu déçu par le stand de tir, même si c'était quelque chose de très intéressant. J'ai moi-même tout un passé de chasseur, de pêcheur et de militaire, et à l'époque, dans les années 60, nous avions des carabines de calibre .303, mais j'ai été un peu déçu au niveau des sensations tactiles par ce qui se passait dans le stand de tir. Pour moi, ce n'était pas vraiment de la simulation. Même le recul provoqué par le CO2 n'était pas le recul authentique de l'arme à feu. Peut-être qu'il me manquait aussi l'odeur de la cordite.
Ce que je voulais vraiment savoir, c'était le pourcentage de tirs qui s'effectuent dans les champs de tir en plein air. Si vous pouviez nous communiquer cette information ainsi que le nombre de cartouches tirées, cela nous serait très utile.
Lgén M.K. Jeffery: Monsieur le président, j'ajouterais que nous sommes en période de transition, et que cette transition est aussi une transition culturelle pour l'armée. Une grande partie de mes soldats, probablement la plupart d'entre eux, préféreraient de loin passer leur temps dans le champ de tir à faire ce genre de choses, et pour certains d'entre eux les simulateurs sont un aspect nécessaire mais pas particulièrement réjouissant de l'entraînement. Pour faire avancer la dynamique et amener les soldats à exploiter au maximum cette possibilité, il faut réussir à les convaincre d'adopter le simulateur. Non seulement cela leur permet d'améliorer leur entraînement, mais on constate que quand on accomplit un entraînement de cette façon, on règle un certain nombre des problèmes que vous mentionnez car le soldat est le mieux placé de tous pour améliorer le système, et une fois que j'aurai réussi à les convaincre tous de s'en servir, il s'améliorera énormément. La technologie va aussi nous aider à progresser.
M. Peter Goldring: Merci.
Le président: Merci beaucoup, général. J'aimerais maintenant vous remercier pour toutes vos remarques aujourd'hui, qui nous ont été très utiles pour notre étude. Je remercie aussi vos collègues qui sont venus nous rencontrer. Vous nous avez certainement fait toucher du doigt la complexité du problème.
J'aurais maintenant quelques annonces à faire à mes collègues du comité. Le mardi 29 mai, le comité entendra Mme Margaret Purdy, sous-ministre adjointe de la Défense. Elle a accepté de venir nous rencontrer mais elle ne pourra pas être ici avant 16 heures le 29 mai. Si vous pensez que c'est nécessaire, vous pourrez prolonger la séance jusqu'à 18 heures. Je ne présiderai pas cette séance. Je pense que c'est M. Goldring qui la présidera. Je vais partir en Afrique de l'Ouest, et il faudra donc que le comité règle cela.
En ce qui concerne le voyage qui était prévu à Washington, Norfolk et New York, toujours dans le cadre de notre étude de l'état de préparation des Forces canadiennes, ce voyage a été reporté à l'automne étant donné la date à laquelle a peu près tout le monde pense que le Parlement va s'ajourner. Il semble aussi probable que notre voyage en Bosnie, qui était initialement prévu du 31 juillet au 9 août, ne va pas se concrétiser pour l'instant. Il va donc falloir reporter tout cela à l'automne. Nous verrons ce qu'il en sera et nous tiendrons les membres du comité informés de l'évolution de la situation.
Si aucun membre du comité ne souhaite poser d'autres questions, nous allons lever la séance.
Merci encore une fois d'être venus nous rencontrer.
La séance est levée.