NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le lundi 19 novembre 2001
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): La séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants est ouverte. Après délibération et examen de la procédure, on me dit qu'en fin de compte, il y a quorum. Nous sommes donc heureux d'accueillir aujourd'hui M. Denis Stairs, titulaire de la chaire McCulloch de sciences politiques à l'université Dalhousie.
Monsieur Stairs, je suis sûr que vous êtes au courant des travaux que nous avons entrepris depuis deux mois sur l'état de préparation des Forces canadiennes et du rapport provisoire que nous avons publié. Nous attendons avec beaucoup d'intérêt vos observations. Je crois que vous avez un exposé préliminaire à présenter.
Je voudrais en même temps informer le comité que nous avons des motions qu'il nous faudra examiner quand le parrain sera présent. Entre-temps, nous allons écouter M. Stairs.
La parole est à vous, monsieur Stairs.
M. Denis Stairs (professeur, Département de sciences politiques, Université Dalhousie): Merci beaucoup, monsieur le président. C'est bien sûr pour moi un plaisir et un honneur d'être invité à m'adresser au comité. Je vous en remercie.
Je voudrais commencer par exprimer ma grande admiration pour le récent rapport intérimaire du Comité. Je suis d'accord sur presque toutes les questions que vous y soulevez, à tel point que je ne suis pas sûr de pouvoir contribuer utilement à vos délibérations. J'appuie fortement votre recommandation demandant au gouvernement d'entreprendre un examen général de la politique étrangère et de défense et préconisant que le Parlement y joue un rôle de premier plan.
Pour revenir à la question dont vous êtes saisis et d'une façon très générale, je crois qu'il est extrêmement important, non seulement pour des motifs de sécurité, mais aussi pour des raisons diplomatiques intéressées, que le Canada maintienne une capacité militaire conventionnelle crédible. Cela est essentiel, à mon sens, pour gagner la confiance et, dans une certaine mesure, la considération des États-Unis en particulier, mais d'autres puissances aussi. C'est également essentiel pour préserver l'influence politique que nous avons pu acquérir aux Nations Unies et ailleurs, par suite de notre contribution depuis des dizaines d'années aux opérations internationales de maintien et d'imposition de la paix, contribution qui, cependant, est aujourd'hui beaucoup moins caractéristique du Canada qu'elle l'a déjà été. Par-dessus tout, c'est essentiel, je crois, comme défense contre l'aide américaine, contre cette insistance latente des Américains, à moins que nous ne fassions nous-mêmes des contributions utiles, surtout dans l'environnement nord-américain, à vouloir les faire pour nous, que cela nous plaise ou non.
Comme vous le savez sans doute, je ne suis pas un spécialiste des aspects techniques, c'est-à-dire des aspects relatifs à l'équipement, de la politique de défense. Sans perdre de vue ce point, permettez-moi néanmoins de vous présenter quelques arguments.
Du point de vue militaire conventionnel, il me semble que la plus grande priorité, et de loin, devrait consister à ressusciter l'armée, c'est-à-dire le Commandement de la force terrestre. Je suis de cet avis en dépit du fait que je viens de Halifax, une cité navale, que je crois que le problème des hélicoptères Sea King est devenu un scandale national et que, si j'avais été membre du Cabinet, je n'aurais pas pu dormir la nuit à la pensée que l'un de ces hélicoptères pourrait bientôt s'écraser, causant la mort de membres de son équipage.
De même, il est clair que nous avons sérieusement besoin, si nous avons le moindre désir d'agir avec indépendance et autonomie dans l'environnement international, de prendre la décision de commencer à remplacer notre petite flotte de bâtiments de soutien. Toutefois, sous d'autres aspects et en faisant abstraction des problèmes de recrutement, le Commandement maritime est en excellente forme, et sa récente mobilisation démontre, je crois, qu'il a une capacité de réaction dont nous pouvons être fiers.
• 1550
Dans le cas de nos forces aériennes, j'ai l'impression que notre
capacité de transport est désespérément insuffisante et que notre
capacité de ravitaillement en vol du CF-18 est inexistante. C'est
une lacune grave, à moins que nous ne soyons disposés à renoncer à
toute possibilité d'agir de façon autonome, même dans le contexte
d'une campagne basée sur une coalition. En ce qui concerne les CF-18, je
crois savoir qu'une importante modernisation de leurs moyens
de communication et d'autres dispositifs hautement perfectionnés
est également nécessaire pour qu'ils soient pleinement
interopérables avec les avions alliés dans les conditions actuelles
de combat. Je suis cependant le premier à admettre que je ne fais
ici que reprendre le point de vue de personnes autrement plus
qualifiées comme moi sur le plan technique. Quoi qu'il en soit, le
processus de modernisation semble avoir déjà commencé.
J'ai donc l'impression que c'est l'armée qui a le plus besoin d'une attention immédiate. En effet, c'est elle qui doit assumer l'essentiel du fardeau dû au fait que les dirigeants politiques et l'ensemble des Canadiens s'attendent à ce que le Canada soit toujours prêt à répondre à l'appel des Nations Unies, des États-Unis ou de l'OTAN à n'importe quel endroit où on a besoin de lui. Selon les experts, il est tout simplement impossible de maintenir les troupes que nous envisageons d'envoyer sur le théâtre en Afghanistan pendant plus de six mois. Toutes les indications que j'ai glanées dans la documentation et en puisant à d'autres sources semblent confirmer le caractère raisonnable de cette opinion. L'armée a besoin d'aide et, à moins que nous n'ayons l'intention de réduire très considérablement notre présence internationale, cette aide doit venir rapidement.
Monsieur le président, cela implique, je le comprends, de dépenser d'importantes sommes prélevées sur les deniers publics, mais c'est une dépense que nous remettons depuis des années. Ce n'est pas là une perspective très attrayante, surtout à un moment où l'économie ralentit et les recettes de l'État diminuent et où personne ne sait combien de temps cette situation durera.
La réaction du MDN à cet état de choses, à part la simple acceptation des inévitables défaillances du matériel et du personnel, a consisté à parler de plus en plus d'une solution technologique, à laquelle on a donné le nom de révolution des affaires militaires ou RAM, qu'il espère utiliser de façon à renforcer ce qu'il appelle l'interopérabilité avec les alliés. C'est certainement le message central du document Stratégie 2020, message qui a récemment été repris par le ministre, par le chef d'état-major de la Défense et par d'autres venus témoigner devant votre comité. L'hypothèse de base sur laquelle se fonde sa solution est, cependant, que les interventions militaires du Canada à l'étranger se feront toujours dans le cadre d'une coalition menée par les États-Unis et que nous pourrons donc profiter d'éléments essentiels des forces armées américaines, tout en nous spécialisant dans des domaines d'activité qui complètent les leurs et qui, bien entendu, répondent à leurs normes opérationnelles.
C'est là une réaction parfaitement rationnelle de la part d'un établissement militaire professionnel qui n'a pas les ressources nécessaires pour disposer de capacités propres hautement perfectionnées et qui craint la déqualification et les autres difficultés qui résulteraient d'un repli sur un simple rôle de force de police. À mon avis, le problème de la recherche d'une telle option, ou du moins d'une recherche trop poussée d'une telle option est qu'elle peut sérieusement réduire notre capacité d'action autonome et pourrait avec le temps nous restreindre à un ensemble d'arrangements opérationnels dominés par les Américains.
Je voudrais expliquer très clairement ce que j'entends par là. De toute évidence, rien ne s'oppose à ce que nous utilisions du matériel et des protocoles de communication permettant aux forces canadiennes de travailler efficacement et harmonieusement avec les forces américaines, lorsque cela est nécessaire. En fait, une telle coopération est essentielle et on peut dire la même chose d'autres formes de normalisation de l'équipement, et ainsi de suite. Les vraies difficultés commencent si nous cessons de maintenir certaines composantes opérationnelles au point où nous devons compter sur d'autres—ordinairement, mais pas toujours, les États-Unis—pour nous les fournir quand nous en avons besoin. À mon sens, cela serait embarrassant pour deux raisons.
Premièrement, il est concevable que cela puisse nous empêcher de répondre positivement, par exemple, à des demandes de déploiement des Nations Unies ou d'autres organisations, à moins que les Américains ne partagent notre point de vue sur ce qui constitue une réaction appropriée.
Deuxièmement, et cette raison pourrait être plus importante que la première, cette situation pourrait engendrer du côté des États-Unis des attentes telles qu'il deviendrait pour nous extrêmement difficile de refuser de participer à une opération américaine que nous jugerions malcommode ou malavisée. En effet, l'intégration avec l'établissement militaire américain pourrait rendre le prix de l'abstention tellement élevé qu'il nous serait impossible de l'envisager.
• 1555
Pour moi, l'exemple le plus évident de ce que j'appellerai la
dépendance relative à certaines composantes est probablement celle
qui se rapporte au transport et, en particulier, au transport
aérien et parfois au transport maritime. L'autre exemple est notre
incapacité d'assurer nous-mêmes le ravitaillement en vol de nos CF-18
lorsque nous devons les déployer outre-mer.
J'estime donc que nous sommes tributaires d'autres, surtout quand nous devons déployer nos forces terrestres à l'étranger. Nous avons en fait perdu notre autonomie quand il s'agit d'utiliser la force comme instrument de notre politique de sécurité et, d'une façon générale, comme moyen de soutien de notre diplomatie. On pourrait bien sûr affirmer qu'il était inévitable pour nous de renoncer à cette capacité pour des motifs financiers ou pour d'autres raisons, mais nous devrions alors comprendre que la conséquence pratique de ce que nous avons fait est une nette diminution de notre marge de manoeuvre.
Je voudrais présenter un dernier argument. Même s'il semble y avoir eu un regain d'intérêt pour l'enrôlement dans nos forces armées depuis les attaques du 11 septembre contre les États-Unis, il n'en demeure pas moins que la difficulté d'attirer de nouvelles recrues dans les carrières militaires reste énorme. Il y a de nombreuses raisons à cela, et cette difficulté ne peut s'expliquer que partiellement par les conditions de travail des militaires.
Votre comité a recommandé de revoir l'effectif actuel tant de la force régulière que de la réserve. À mon avis, cet examen devrait comprendre non seulement l'étude de ce que devrait être l'effectif adéquat, mais aussi une évaluation soigneuse des mesures à prendre pour attirer et garder dans les carrières militaires des jeunes gens compétents, dévoués et ayant la vocation du service public.
Monsieur le président, c'étaient là les quelques points que je voulais établir pour commencer. J'ai remis au personnel du comité des observations un peu plus détaillées, mais je serais heureux de répondre maintenant à toute question que vous voudrez me poser. Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Stairs.
Pour commencer, je cède la parole à M. Bachand...
[Français]
pour sept minutes.
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Monsieur Stairs, merci de votre présentation. Je vois ici que vous êtes titulaire de la chaire McCulloch en science politique à l'Université Dalhousie. J'ai plusieurs questions pour vous. Comme je suis le seul député de l'opposition aujourd'hui, je pense que je vais avoir un peu plus de temps pour faire le tour des enjeux.
J'ai d'abord une première question sur l'Afghanistan. Depuis déjà un certain temps, on entend dire que les ressources militaires humaines sont énormément étirées. On parle de l'Afghanistan, mais je vais me rendre en Bosnie demain avec deux de mes collègues pour aller voir les troupes du Royal 22e Régiment qui assurent la rotation numéro 9.
Donc, on a déjà 2 000 soldats qui sont engagés en Bosnie. On a un groupe tactique naval qui est parti avec 2 000 autres soldats. Je suis surpris chaque fois que le ministre annonce l'envoi de nouvelles troupes. J'ai été surpris qu'il annonce l'envoi, en Afghanistan, de 1 000 soldats supplémentaires du PPCLI. Bien sûr, il ne fait pas de doute dans mon esprit que le besoin existe. La communauté internationale a besoin de compter sur des pays pour envoyer des troupes là-bas afin d'assurer une certaine relève et une certaine sécurité, et aussi pour approvisionner les populations civiles.
Est-ce que vous faites la même constatation que moi? Êtes-vous d'avis qu'actuellement, étant donné la situation des ressources humaines, il est étonnant qu'on envoie 1 000 soldats de plus en Afghanistan? On a du mal à comprendre que le ministre fasse cela et dise que si cela est nécessaire, on va en envoyer plus.
Il me semble qu'il est impossible d'envoyer plus que 5 000 personnes à la fois. On va probablement même devoir faire des rotations plus rapides à cause de cela.
Faites-vous la même lecture que moi de la situation des ressources humaines?
M. Denis Stairs: Oui, monsieur, je partage votre surprise. Je dois dire que j'ai été étonné par l'annonce, surtout parce que les chiffres sont tellement élevés. Je suis convaincu, comme, je pense, la plupart des gens qui examinent ces questions de près, que nous ne pourrons pas maintenir ces troupes pendant très longtemps, même dans des conditions relativement sûres. Pour être très franc, je doute fort que les conditions soient très sûres et j'espère que nous étudierons très soigneusement les circonstances sur le terrain avant de déployer nos troupes. Je crois qu'il s'agira d'un engagement à plus ou moins court terme. Si ce n'est pas le cas, nous aurons de graves problèmes partout.
Certains indices révèlent déjà que les rotations sont trop fréquentes. Il y a des signes de différentes formes de dépression, de troubles psychologiques, etc. qui découlent d'affectations trop fréquentes à l'étranger, parfois dans des conditions extrêmement dures. Très franchement, je crains que certaines de nos troupes soient exposées à des difficultés supérieures à ce qu'elles devraient être appelées à supporter. Après tout, nous ne sommes pas officiellement en guerre. La situation n'est pas la même que pendant la Première ou la Seconde Guerre mondiale. Pour nous, ce ne sont que des entreprises volontaires.
Je soupçonne—évidemment, je n'en suis pas sûr—que nous allons là autant pour épater la galerie que pour autre chose. Je ne veux pas dire par là que les troupes sont incapables de s'acquitter de leur tâche, mais je soupçonne que nous les envoyons parce que les États-Unis veulent avoir le plus grand nombre possible de joueurs et que nous avons décidé de répondre à leur appel.
[Français]
M. Claude Bachand: Merci, monsieur Stairs.
Je suis d'accord avec vous qu'on a encore étiré l'élastique lors du dernier envoi et que cet élastique risque de sauter un jour. En plus, le groupe qui est parti là-bas est un groupe d'infanterie légère. Il semble que, même si la mission est encore confuse, parce que, si j'ai bien lu, c'est à Tampa Bay qu'on va décider de la mission exacte des troupes canadiennes, le ministre voudrait privilégier la protection des routes ou des voies sur lesquelles on va apporter l'aide humanitaire aux civils qui en ont besoin. Je trouve qu'on s'en remet un peu à la chance. C'est sûr que les forces talibanes ont été énormément affaiblies depuis le début des bombardements et de la charge de l'Alliance du Nord, mais il me semble qu'on s'en remet à la chance en envoyant un groupe d'infanterie légère qui ne peut pas avoir recours à des blindés ou qui a très peu de matériel lourd pour faire face à une attaque éventuelle.
Êtes-vous d'accord avec moi que, peu importe la mission qui sera donnée au PPCLI à Tampa, il faudrait que le gouvernement, en dernier lieu, dise qu'il n'est pas question d'envoyer ces troupes affronter un important feu ennemi, à l'offensive? Il y a bien des experts qui disent actuellement qu'ils ne pourraient pas soutenir une offensive active contre eux.
Est-ce qu'on ne s'en remet pas un peu à la chance en envoyant le PPCLI, un régiment d'infanterie légère, dans un pays où le théâtre d'opérations est encore ouvert partout?
[Traduction]
M. Denis Stairs: Normalement, un premier groupe part en éclaireur. C'est à ce stade que nous en sommes actuellement. On peut espérer que si les membres de ce groupe arrivent à la conclusion que la situation n'est pas assez stable pour assurer un degré raisonnable de sécurité à nos troupes, la décision sera reconsidérée. En ce moment, je n'irai pas jusqu'à dire que nous nous en remettons à la chance, parce que le gouvernement semble agir avec une célérité délibérée, comme ils disent. Il est certain cependant que si une hostilité générale se manifeste, même parmi certaines bandes en Afghanistan, envers l'intervention de forces étrangères, nous ne serons pas en bonne position pour nous défendre dans cet environnement sans qu'il y ait sur place des troupes assez nombreuses venant d'autres pays. Je crois savoir que le PPCLI fait très bien ce qu'il entreprend et que ses membres sont extrêmement bien entraînés. Ils n'ont cependant pas eu beaucoup d'expérience du combat depuis un certain temps. L'Afghanistan pourrait être un théâtre d'opérations très violent et très dur.
Je partage donc votre inquiétude, mais j'ai l'impression que nous y penserons à deux fois avant de les déposer sur le terrain et, si nous le faisons, que nous agirons de concert avec d'autres. En un sens, le nombre est très élevé, beaucoup plus élevé que je ne m'y serais attendu. Par ailleurs, c'est un tout petit effectif par rapport aux forces armées et aux autres groupes afghans en présence.
Le président: Merci, monsieur Bachand.
Monsieur Price, vous avez sept minutes.
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur Stairs. C'est très aimable à vous d'être venu.
J'ai trouvé vos observations très intéressantes, bien qu'elles soient différentes de ce que nous avons l'habitude d'entendre. Vous parlez en fait d'une capacité militaire conventionnelle réelle nous permettant de tout faire pour tout le monde, alors que nous semblons avoir pris une autre orientation, comme vous l'avez dit vous-même. Quand je dis «nous», je ne parle pas seulement du Canada. On peut très clairement voir le même schéma partout chez nos partenaires de l'OTAN. Je prends toujours pour exemple les Néerlandais, qui vont se concentrer sur le ravitaillement en vol, tandis que les Allemands vont s'occuper des capacités de transport aérien. On peut constater que tous les autres pays de l'Europe font la même chose. Il est tout simplement plus abordable d'agir autrement, et je pense que nous nous trouvons en gros dans la même situation. Nous voulons avoir des forces capables d'aller au combat, mais pas nécessairement capables de remplir toutes les missions quelles qu'elles soient. Nous devons compter sur nos partenaires.
Vous avez abordé la question des coûts, mais très superficiellement. Si vous voulez renforcer les capacités militaires conventionnelles—je sais que vous avez mentionné davantage les forces terrestres que le marine ou l'aviation—comment croyez-vous que nous devrions payer la facture?
M. Denis Stairs: Il est certain que le prix pourrait être très élevé. Je comprends, bien sûr, qu'on peut être polyvalent à différents degrés. Si on demandait aux forces armées ce qu'elles aimeraient obtenir, en l'absence de toute contrainte politique, de toute obligation relative à la fonction publique et ainsi de suite, il est évident qu'il n'y aurait aucune limite, parce que les militaires voudraient naturellement se prémunir contre les menaces potentielles, et non contre les menaces probables. Je comprends bien que, d'une certaine façon, il n'existe pratiquement pas de limites.
À mon avis, lorsque nous opérons à l'étranger, seuls ou de concert avec d'autres, nous devrions avoir des unités autonomes que nous pourrions déployer de façon autonome, pour les raisons que j'ai mentionnées. Si nous ne sommes pas en mesure de le faire, nous admettons de fait que nous n'agirons jamais autrement que dans le contexte d'une coalition. Mais toutes les coalitions ne comprennent pas nécessairement les États-Unis et ne s'inscrivent pas nécessairement dans le cadre de l'OTAN. On peut imaginer des cas où nous serions appelés par les Nations Unies à intervenir ailleurs dans le monde, à un endroit où les Américains pourraient ne pas vouloir poser leurs avions. Ce serait un problème pour nous. Je crois donc que nous devrions garder ce genre de capacités.
En ce qui concerne l'étendue, ce serait bien d'avoir le genre de perspective envisagée dans le Livre blanc de 1994, c'est-à-dire d'avoir la possibilité de déployer une brigade autonome à l'étranger. Mais ce serait peut-être trop demander. Ce que je voudrais vraiment, c'est une capacité adéquate de déploiement à l'étranger d'un effectif adéquat plus ou moins autonome, de façon à ne pas dépendre totalement d'autres forces pour des composantes essentielles.
Pour ce qui est du coût, n'oublions pas que nous sommes un pays du G-8 ou, du moins, que nous le prétendons. Il est possible que nous ne nous maintenions là qu'à peine, surtout parce que les autres pays ne veulent pas accepter l'embarras diplomatique de nous dire que nous n'avons pas notre place parmi les grands. Si nous voulons continuer à faire partie de ce groupe, nous devons payer notre dû.
Il y aurait une autre solution. Nous pourrions déclarer carrément, comme pays, que nous n'allons plus nous mêler de ce genre d'activité. Nous pourrions alors adopter l'option de police que préconisait le Conseil Canada 21 il y a quelques années, ou une variante quelconque de cette option. C'est une solution envisageable. Mais il faudrait alors cesser de claironner et réduire l'envergure de nos ambitions en matière de politique étrangère. Nous ne pourrions plus aller partout prétendre que le Canada est une puissance de premier plan ou même une puissance intermédiaire de premier rang. Il faudrait accepter des compromis. Le problème, c'est que je ne vois pas où est le compromis: les réactions, les objectifs, les ambitions restent les mêmes, tandis que les moyens de les réaliser sont constamment réduits. Incidemment, cela s'applique non seulement à la défense, mais aussi à l'aide au développement et à d'autres domaines.
M. David Price: Je reviens à ce que vous avez dit au sujet des forces terrestres. Selon vous, nous avons besoin de forces terrestres très puissantes. De toute évidence, ce qui s'est produit le 11 septembre rend les choses un peu plus claires en ce qui concerne les aspects que nous devons considérer. Nous ne nous sommes pas trop préoccupés de la sécurité de notre territoire dans le passé. Si nous devons le faire désormais, nous aurons à nous soucier davantage de la marine et de l'aviation, puisque la taille du pays donne plus de priorité à ces deux armes. Que pensez-vous de cela?
M. Denis Stairs: Je suis d'accord avec vous pour ce qui est de la marine. La seule raison pour laquelle je n'ai pas insisté sur les forces navales est qu'elles se portent relativement bien, par rapport aux deux autres armes, depuis une dizaine d'années. Elles ont eu leur tour dans les années 90, et elles en ont profité. Je crois quand même qu'il manque certaines composantes à leur dispositif, ce qui réduit leur efficacité d'ensemble dans une certaine mesure. Notre marine se porte néanmoins assez bien. Elle joue des rôles extrêmement importants à l'étranger, des rôles qui ne sont pas toujours strictement militaires, contribuant à la vente de la technologie canadienne, soutenant notre diplomatie, favorisant l'établissement de relations de confiance dans divers environnements grâce à des ententes de coopération navale et autres. Par conséquent, je ne cherchais pas du tout à minimiser l'importance de nos forces navales. Je reconnais l'étendue de nos côtes et de tout ce que nous avons à y défendre.
Mes collègues de Halifax vont probablement me faire des reproches s'ils apprennent que j'ai fait ce commentaire plus tôt. Toutefois, je me soucie de l'armée simplement parce qu'il me semble que ce sont les forces terrestres que nous exposons le plus souvent, que nous surchargeons et que nous fatiguons. Par comparaison, la marine n'est pas aussi exposée. C'est vraiment la principale raison.
M. David Price: Vous n'avez rien dit des forces de réserve. Pensez-vous qu'elles peuvent jouer un plus grand rôle pour renforcer notre armée?
M. Denis Stairs: La réserve aurait certainement un plus grand rôle à jouer si nous la prenons au sérieux. Dans le cas de la marine, j'ai l'impression que la réserve joue déjà un rôle important, puisqu'elle a des fonctions spéciales en matière de patrouilles côtières, dont elle semble très bien s'acquitter. Ainsi, des réservistes assument des fonctions de garde à Halifax, ce qui libère des membres de la force régulière, qui peuvent alors servir à bord de navires, etc. Je crois donc qu'on s'en sert très bien et qu'elle remplit très bien son rôle. J'ai la même impression dans le cas des forces aériennes, qui utilisent des réservistes pour des fonctions d'entretien au sol et des tâches de même nature.
Dans le cas de l'armée, nous avons, je crois, de nombreux antécédents établissant que la réserve est trop souvent réduite à la portion congrue. Nous n'arrêtons pas de dire que nous allons renforcer la réserve. Je sais qu'il y a toutes sortes de controverses au sujet de colonels de régiments locaux, en fait de quelques douzaines de personnes qui se vantent de ce qu'elles peuvent faire, mais, abstraction faite de tout cela, la réalité est que tout naturellement la force régulière a tendance à favoriser les siens sur le plan de l'équipement, de la formation et d'autres ressources.
Je suis d'accord avec vous au sujet des forces de réserve, mais pour être conséquents avec nous-mêmes, nous devons les prendre beaucoup plus au sérieux que nous ne le faisons sur le plan de l'équipement, etc. Nous avons peut-être besoin d'autres genres d'incitatifs, comme une garantie législative de l'emploi, pour que les gens trouvent la réserve plus attrayante et ne craignent pas de perdre leur travail s'ils sont rappelés pour du service actif.
Je ne m'oppose donc pas à l'utilisation de la réserve, mais cela implique un engagement sérieux en matière d'entraînement et d'équipement. On ne peut pas toujours chausser ces gens des bottes de l'année dernière tout simplement parce qu'ils sont dans la réserve.
Le président: Merci, monsieur Stairs.
Merci, monsieur Price.
M. Benoit, vous avez cinq minutes.
M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Je m'excuse de mon retard. Mon avion s'est envolé une heure et quart après l'heure de départ prévue et a réussi à rattraper un peu de temps, mais pas tout à fait assez. Quoi qu'il en soit, je suis heureux d'être arrivé.
Dans votre témoignage devant le Comité sénatorial des affaires étrangères, l'année dernière, vous avez dit ce qui suit:
-
[...] force est de reconnaître que nos contributions militaires aux
activités de l'OTAN [...] sont à ce point réduites que l'on peut
difficilement s'attendre à ce qu'elles renforcent significativement
notre diplomatie, en tout cas, pas d'une façon qui compte.
Vous avez dit quelques mots à ce sujet depuis mon arrivée. Pouvez-vous nous dire si certains de vos collègues d'autres pays de l'OTAN partagent votre avis à cet égard? Sur quoi vous basez-vous pour faire ce genre d'affirmation?
M. Denis Stairs: On entend deux genres d'histoires selon les interlocuteurs et selon le contexte. Si vous parlez à des militaires d'autres pays de l'OTAN, ils disent toujours, bien entendu, des choses polies et courtoises. Je crois d'ailleurs même qu'ils les pensent. Je n'essaie pas du tout de dévaloriser ce que nous avons fait en Bosnie ou ce que nous avons brièvement fait en Macédoine.
M. Leon Benoit: Nous avons envoyé de bons soldats.
M. Denis Stairs: Nous envoyons de bons soldats, qui font un travail professionnel. Je n'essaie pas du tout de les attaquer. Je m'interroge plutôt sur la question de savoir si notre contribution est suffisante pour nous donner du pouvoir diplomatique aux conseils de l'OTAN et dans nos discussions avec nos alliés. Je soupçonne que ce n'est pas le cas. Des indices de nature anecdotique révèlent qu'on nous écoute avec courtoisie, mais pas nécessairement parce que nos capacités nous confèrent la présence voulue. C'est cela qui m'inquiète. Je ne formulais pas un jugement sur le calibre de notre action.
M. Leon Benoit: Vous avez dit que nous devions commencer, comme puissance intermédiaire, à joindre l'acte à la parole en consolidant concrètement nos forces et en nous dotant d'une plus grande puissance militaire. Étiez-vous présent à la conférence de Fredericton, il y a trois semaines?
M. Denis Stairs: Non.
M. Leon Benoit: À cette conférence, un monsieur irlandais a demandé au panel comment nous avons le culot de dire que nous sommes une puissance intermédiaire, compte tenu de la situation déplorable dans laquelle se trouvent nos forces armées. J'ai trouvé ce commentaire vraiment intéressant. Malheureusement, les réponses des panélistes ne faisaient pas le poids. Ils ont dit que nous arriverons à nous débrouiller pendant quelque temps encore, mais qu'il nous faudra agir très rapidement pour ne pas perdre la réputation que nous avons encore parmi les nations. J'ai trouvé la question intéressante, et les réponses aussi. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt.
M. Denis Stairs: J'ai l'impression que nous nous appuyons sur une réputation que nous avons commencé à bâtir dans les années 50, qui s'est consolidée pendant les années 60 et le début des années 70, mais qui est en train de ternir aujourd'hui. Au départ, cette réputation était reliée à des déploiements de troupes en Europe. Je ne dis pas que nous ayons encore besoin de maintenir des forces permanentes en Europe. Les conditions de sécurité ne l'exigent pas, sans compter que les Européens ne sont pas dans l'état de faiblesse où ils se trouvaient dans les années 50. Par conséquent, je ne préconise pas nécessairement cela. Quoi qu'il en soit, notre réputation vient en grande partie des opérations de maintien de la paix. Cela s'est transformé en mythe national. Je soupçonne que c'est devenu un mythe parce qu'il était politiquement avantageux pour les dirigeants du pays de s'en vanter, quel que soit leur parti. C'est un genre de mythologie qui permet de consolider les nations, mais cela n'en est pas moins de la mythologie, pour une large part.
Je me suis amusé ce matin à trouver notre classement dans la liste, établie par les Nations Unies, des pays qui ont contribué au maintien de la paix. D'après mes calculs, nous nous classons actuellement en 33e position parmi les pays qui participent aux opérations de maintien de la paix des Nations Unies. Ce chiffre est un peu faussé parce qu'il ne comprend pas l'opération entreprise en Bosnie sous les auspices de l'OTAN, et qu'il ne comprend pas dans non plus l'opération actuelle en Afghanistan. Mais, même en en tenant compte, il est assez étrange de se rendre compte que depuis des années, des pays comme le Nigéria, la Jordanie et même le Népal ont mis à la disposition des Nations Unies plus de troupes que nous ne l'avons fait.
M. Leon Benoit: Vous préconisez un renforcement très important de notre dispositif militaire. Le Canada consacre actuellement 1,2 p. 100 de son PIB à la défense. La moyenne de l'OTAN est de 2,1 p. 100. Il faudrait une augmentation très considérable du financement, ne serait-ce que pour s'approcher de la moyenne de l'OTAN. Pensez-vous que ce serait un objectif raisonnable ou déraisonnable pour le Canada d'atteindre cette moyenne de l'OTAN d'ici 10 à 15 ans?
M. Denis Stairs: Je crois que ce serait un objectif, une aspiration raisonnable. Je n'aime pas parler de ce qui arrivera dans 10 ans, parce qu'il est difficile de prévoir les conséquences économiques et que je ne prétendrai pas un seul instant que le gouvernement n'a pas d'autres priorités, le système de santé étant l'exemple le plus évident. Je ne veux pas proposer un programme qui aurait l'air irréalisable. Je crois cependant que la situation actuelle devient embarrassante et que nos diplomates s'en rendent probablement compte chaque fois qu'ils doivent agir à l'étranger dans un contexte de sécurité politique.
Le président: Monsieur Benoit, je crains de devoir vous interrompre ici, pour donner la parole à M. Bachand pendant cinq minutes.
[Français]
M. Claude Bachand: Monsieur Stairs, je trouve vos affirmations intéressantes. On perd un peu d'autonomie opérationnelle et de notre capacité face aux États-Unis. Vous incluez aussi toute la question de la diplomatie. Les ambassadeurs doivent ressentir, non pas une certaine rancune mais un certain désintéressement, parce que le Canada n'est pas à la hauteur. Iriez-vous jusqu'à dire, compte tenu de la faiblesse de l'armée canadienne à l'échelle mondiale, que c'est une perte de souveraineté pour le Canada?
M. Denis Stairs: Si nous poussons l'argument de l'interopérabilité avec les alliés si loin que nous n'occupons plus qu'un créneau dans le contexte d'une structure militaire alliée, je ne sais pas si je parlerais de souveraineté, mais nous aurons certainement perdu de notre liberté de manoeuvre ou de notre autonomie, si vous voulez. Je crois bien que la souveraineté du Canada commence à s'affaiblir sur beaucoup de fronts, y compris celui-ci. De nombreux pays sont dans la même situation, mais elle est plus accentuée dans notre cas à cause de notre proximité des États-Unis et de notre dépendance croissante des Américains sur le plan économique, etc.
Pour vous répondre très brièvement, oui, nous perdons de notre autonomie. Ce n'est pas seulement à cause de notre manque de capacités militaires, mais je pense que ce facteur y contribue, sans compter qu'il a d'importantes incidences sur la façon dont sommes perçus en Europe. Si vous parlez à des diplomates, du moins en privé, ils vous diraient peut-être qu'ils trouvent de plus en plus difficile de persuader les Européens que l'Amérique du Nord se compose de deux pays. Ils pensent simplement aux États-Unis et supposent tout simplement que nous faisons partie du même ensemble. Il est très difficile de les convaincre de tenir compte d'un intérêt canadien distinct ou d'un argument canadien indépendant. À mon avis, cela est dû en partie à l'affaiblissement de nos capacités en matière de politique étrangère.
[Français]
M. Claude Bachand: Est-ce que la seule façon de s'en sortir pour le Canada est de mettre plus d'argent du côté des ressources de l'armée? C'est sûr qu'actuellement, on essaye de ménager la chèvre et le chou. On essaye de se faire du capital politique avec ce qu'on fait, alors qu'on investit très peu.
Ce qui m'a le plus surpris à la dernière réunion de l'OTAN a été de voir que sur les 19 signataires du pacte, le Canada était en 18e position. On est presque à la queue. Le Luxembourg ferme la marche avec 0,8 p. 100. Selon vous, est-ce que cela doit passer uniquement par l'injection de fonds?
Je vais enchaîner avec mon autre question. Est-ce qu'on n'est pas rendu à un carrefour de l'histoire au Canada, où on devra décider si on doit investir de l'argent pour un aspect particulier de l'armée canadienne? Vous semblez dire que l'armée a toujours été délaissée. Est-ce qu'on n'est pas en train de dire que toutes les sommes d'argent qui seront investies devront servir à accentuer notre spécialité en matière de missions de paix, qu'on a donc besoin d'une armée bien entraînée et qu'on va se mettre sous le parapluie américain pour ce qui est de l'aviation et de la marine? Selon vous, est-ce qu'on est rendu à cette étape, si on n'injecte pas plus d'argent du côté de l'armée?
[Traduction]
M. Denis Stairs: Je crois certainement que nous devrions injecter plus d'argent. Je ne vois pas du tout comment résoudre le problème autrement, sauf en réduisant nos aspirations. Nous pouvons toujours le faire, mais je ne pense pas que nous puissions jouer sur les deux tableaux. Je crois que nous avons atteint le point critique.
Quant à la question de savoir si nous pouvons emprunter l'autre voie, celle du créneau de police dans laquelle nous jouerions le rôle de gardiens de la paix inoffensifs, c'est un peu difficile. Comme vous le savez très bien, aujourd'hui, ces opérations ne se limitent pas toutes au maintien de la paix. Il y a aussi un élément d'imposition de la paix. Il s'agit parfois d'opérations très dangereuses pour les personnes en cause. Nous pourrions le faire, mais je ne sais pas s'il nous restera des forces armées lorsque nous aurons fini. Les Canadiens sont très bons dans ce rôle pour diverses raisons. Je suis cependant partisan de l'argument militaire selon lequel le meilleur gardien de la paix est un militaire bien entraîné et, en fait, un bon soldat. Et, à mesure que les opérations sont plus nombreuses à avoir une composante d'imposition de la paix, cela me semble essentiel.
Nous pouvons décider d'emprunter l'autre voie et d'accepter en quelque sorte l'argument de l'ingénierie sociale, selon lequel nous serions essentiellement des travailleurs sociaux en uniforme. Toutefois, une fois que nous aurons pris cette décision, nous dirons au monde que nous ne sommes plus une puissance à considérer. C'est une chose que remarqueront les autres pays avec lesquels nous avons traditionnellement collaboré. Cela n'a peut-être pas d'importance. Nous pouvons prendre la décision. Mais je ne pense pas que nous puissions prétendre à des ambitions plus vastes, d'une part, et refuser d'y consacrer les ressources nécessaires, de l'autre.
Le président: Merci, monsieur Stairs. Merci, monsieur Bachand.
Monsieur Wood, cinq minutes.
M. Bob Wood (Nipissing, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Stairs, je suis en train de regarder certaines des petites notes que vous nous avez remises, et il y en a une qui dit que d'importants fonds publics seront nécessaires pour permettre à l'armée de se moderniser. Combien, à votre avis? Vous avez dû y penser.
M. Denis Stairs: Je n'ai pas fait de calcul, mais les estimations que j'ai entendues, et qui me semblent raisonnables, prévoient une augmentation du budget de fonctionnement de l'ordre de 1 milliard de dollars par an. En outre, il nous faut affecter une somme substantielle aux programmes d'immobilisations.
Il ne faut pas parler de désastre, comme le font certaines personnes. C'est une vieille rengaine, et je suis sûr que vous l'avez déjà entendue, mais, dans le cas du recomplètement naval, par exemple, je n'ai jamais compris pourquoi on ne financerait pas la construction d'un chantier naval pour qu'il sorte un navire tous les deux ans, chaque année ou au rythme qui semblera approprié, afin de permettre aux gens de conserver leurs compétences. Si vous vous préoccupez du développement de l'économie locale, construisez-le alors dans une région dont vous voulez stimuler l'économie. C'est, paraît-il, un problème politique, mais on pourrait le construire au Québec ou à Saint John, au Nouveau-Brunswick, ou à tout autre endroit. Vous sortez un nouveau navire tous les ans. Il n'est pas nécessaire qu'il soit destiné à la Marine. Il pourrait aller à la Garde côtière, ce pourrait être un brise-glace, n'importe quoi. Cela me semble être une façon beaucoup plus rationnelle de s'attaquer au problème de l'acquisition de navires sans créer ces énormes trous que nous obtenons de temps à autre lorsqu'on laisse toute une flotte ou un modèle d'avions se détériorer et qu'il nous faut ensuite faire un gros effort financier. Je crois qu'il serait beaucoup plus facile si l'on pouvait construire ainsi des installations pour répondre à nos besoins en matériel.
M. Bob Wood: Au sujet de notre état de préparation, où en est d'après vous le Canada, sur une échelle de 1 à 10?
M. Denis Stairs: La préparation à quoi?
M. Bob Wood: La préparation à participer à différentes opérations dans les pays où nous allons.
M. Denis Stairs: Pour les opérations de moindre envergure, on n'est pas mal. Si je devais donner une note, je dirais 6 ou 7, quelque chose comme ça. Pour les opérations de grande envergure, on n'est pas prêts du tout. Je crois qu'il nous faudrait des mois avant d'être bien prêts à participer à une importante opération à l'étranger.
M. Bob Wood: Vous avez également dit qu'il fallait s'attaquer à la crise du recrutement. Je pense que la plupart d'entre nous, dans le panel, croyons qu'on a commencé à s'y attaquer lorsque... Des représentants des Ressources humaines étaient là il y a deux ou trois semaines et ils nous ont dit qu'on avait recruté 6 000 personnes, dont 4 000 réservistes. Croyez-vous qu'il soit bon d'offrir des primes pour attirer des gens dans les forces armées? Je sais que c'est ce qui commence à se faire pour le secteur de la haute technologie. Qu'en pensez-vous?
M. Denis Stairs: Cela m'a un peu déprimé de constater une telle chose, mais il est clair qu'il fallait réagir dans certains de ces domaines de haute technologie. La concurrence du secteur privé rend la situation difficile. Mais cette initiative n'est pas valable pour le long terme. Elle peut servir à attirer les gens mais je ne suis pas sûr qu'elle puisse aider à les garder. Ils vont dépenser l'argent et, très rapidement, ils vont se mettre à la recherche d'un emploi plus rémunérateur.
C'est un problème très compliqué, et je sympathise beaucoup avec les recruteurs. Il s'agit en partie d'une question de concurrence avec le secteur privé en ce qui concerne particulièrement la rémunération. Il faut aussi se demander si les gens pensent que les forces armées offrent une vie intéressante, voire fantastique. Je crois que l'une des raisons pour lesquelles on a constaté une certaine accélération depuis le 11 septembre, c'est que tout à coup cette vie semble intéressante, stimulante et brillante et qu'elle excite ceux qui cherchent un peu d'aventure. Je ne pense pas que ça va durer longtemps. Je crois qu'il s'agit d'un phénomène qui va se dissiper très rapidement.
Il faut donc creuser davantage. Et là, on va tomber, entre autres, sur les conditions de travail, mais aussi sur la façon dont les forces armées sont perçues par la société et sur le respect qu'elles suscitent. À bien y penser, il y a très longtemps que l'on ne trouve presque continuellement dans les journaux que des articles critiquant les forces armées. Si donc, avant le 11 septembre, j'étais un jeune de 18 ans qui envisageait d'entrer dans les forces armées, j'aurais assez rapidement abandonné cette idée parce qu'elles ne donnaient pas l'impression d'offrir un travail excitant. Je ne crois pas que nous les ayons beaucoup appuyées dans ce contexte, et je pense qu'il nous faut nous pencher très sérieusement sur ce problème.
M. Bob Wood: Depuis le 11 septembre, les États-Unis ont, bien sûr, essayé d'améliorer leurs relations avec le Pakistan et certains des pays voisins. Croyez-vous qu'ils ont essayé de créer un nouvel ordre mondial par rapport au système international qui avait été établi au cours des années 90, je pense, ou est-ce que la coalition contre le terrorisme n'est que temporaire?
M. Denis Stairs: Je pense qu'elle pourrait être très temporaire. Sur ce genre de question, je suis un réaliste à tout crin. Les États-Unis sont une superpuissance. Ils ont été attaqués sur leur propre territoire. Ils n'en ont pas l'habitude. La dernière fois que cela s'est produit, si l'on veut, c'était à Pearl Harbour, mais même Pearl Harbour, c'était loin, dans le Pacifique. Les Américains n'ont pas connu d'accrochages sur leur propre territoire depuis la Guerre civile, et ça s'est passé entre eux. Cette attaque a donc été pour eux un grand choc. Je crois que leur réaction est très viscérale. Il n'y a, dans un certain sens, rien de stratégique dans leur réaction. Leur réponse, ils y ont beaucoup réfléchi, mais elle est essentiellement viscérale. Personne n'attaque ainsi les États-Unis. Vous êtes avec eux ou contre eux. C'est noir ou c'est blanc.
Donc, lorsque vous demandez s'ils sont en train de créer une sorte de nouvel ordre mondial, je vous répondrai que, dans un certain sens, il y en a un. Ils sont la superpuissance, ils ont un pouvoir hégémonique et ils n'admettront pas que quiconque agisse ainsi avec eux. Je pense que le reste du monde devra se faire une raison. Cela ne veut pas dire qu'ils n'ont pas besoin de l'aide des autres ou qu'ils ne la solliciteront pas. Ils ont certainement eu besoin de beaucoup d'aide, sur le plan politique, au Moyen Orient et en Asie centrale, lorsqu'ils se sont retrouvés dans ce pétrin, mais je pense qu'il existe un certain nombre de questions qu'ils devront résoudre seuls, sans être gênés par des mécanismes institutionnels multilatéraux. Je pense que cela entre dans la nature même des grandes puissances.
M. Bob Wood: Merci.
Le vice-président (M. David Price): Merci, monsieur Wood.
Madame Gallant, vous avez cinq minutes.
Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Pouvez-vous nous parler de la durée des engagements que nous avons pris en ce qui concerne la participation de nos forces armées en Afghanistan? Pendant combien de temps notre force navale pourra-t-elle rester? En outre, si nos troupes terrestres vont également en Afghanistan, combien de temps pourra-t-on les y maintenir?
M. Denis Stairs: La plupart des experts parlent d'un maximum d'environ six mois, et je n'ai aucune raison de ne pas être d'accord. Je vous précise que je ne suis pas dans les forces armées et que je vous donne là surtout un avis de gestionnaire, si l'on peut dire. Des gens que je respecte ont dit à ce sujet qu'un séjour de six mois environ serait le maximum, et même là, il devra s'agir d'un environnement relativement calme et non d'une zone de combat. Voilà. Après ça, on ne sait pas très bien qui nous enverrions à leur place, si nous avions à le faire.
Il y a une chose qu'il serait bon de dire à ce propos. Des discussions se sont tenues—entre autres, à ce comité, je crois—pour savoir si, dans la situation que je viens d'évoquer, le Canada devrait envoyer rapidement des troupes pour qu'on puisse de la même façon les retirer rapidement. C'est une solution très intéressante, en ce sens qu'on ne serait pas nécessairement enlisés là-bas pendant une longue période et que, d'une certaine manière, on pourrait faire des économies. Le problème, bien sûr, c'est que pour être les premiers sur place, il faut, selon le contexte, des moyens de transport par air et par mer qui sont très coûteux. Une telle démarche signifie en outre que l'on va arriver au moment où la situation est généralement la plus instable et où l'environnement est certainement encore assez agité, comme cela semble être le cas en Afghanistan. Donc, ce n'est pas, dans ce sens, une option bon marché. Si vous y pensez bien, on arrive là-bas les premiers, on reste six mois et on passe le relais à d'autres qui sont moins bien équipés. C'est bien, mais ce n'est pas une option bon marché.
Mme Cheryl Gallant: Pour une réponse rapide, premiers arrivés, premiers partis, nous aurions besoin d'hélicoptères d'attaque blindés et nous ne les avons pas encore. Pensez-vous que l'on puisse intervenir à court terme sans hélicoptères d'attaque?
M. Denis Stairs: Cela dépend entièrement des circonstances. Il y a des cas où vous n'auriez pas besoin d'hélicoptères d'attaque; vous pourriez vous en tirer avec moins que ça. C'est une question d'environnement. Tout ce que je suis en train de dire, c'est que si l'on veut agir vite, en déployant rapidement nos troupes, avec des moyens nous permettant de faire régner l'ordre, de façon à ce que des troupes moins bien équipées puissent prendre notre place plus tard, on doit disposer d'un matériel adéquat.
Mme Cheryl Gallant: On n'était donc pas prêts à intervenir en Afghanistan? On n'est pas équipés pour ça?
M. Denis Stairs: On en a déjà parlé tout à l'heure. C'est précisément pour ça que l'intervention en Afghanistan me rend un peu nerveux. Nous sommes en train d'envoyer un millier de soldats d'infanterie légèrement armés dans un environnement très dur et où ne se manifeste aucun signe de stabilité. Nous ne savons pas pour qui nous allons travailler et nous ne savons pas exactement ce que nous allons faire. S'il s'agit de protéger un entrepôt rempli de blé, bon, ça ira probablement, mais cela dépend énormément de l'attitude de nos hôtes face à la présence d'étrangers parmi eux. Vous pouvez imaginer, en particulier, que des événements politiques pourraient se produire. Les Américains pourraient commencer à se montrer fermes à propos de l'organisation de leurs affaires politiques. Si une forte résistance leur était opposée, les choses pourraient se gâter, parce que les Canadiens sont liés aux Américains, nous avons appuyé leur intervention, etc. Donc, j'espère et je suppose que nous allons faire très attention avant de déployer ces troupes terrestres en Afghanistan.
Mme Cheryl Gallant: Le gouvernement envisage de faire passer les effectifs de la FOI 2 de 200 à 1000. Que pensez-vous de cette initiative? N'aurait-il pas été préférable d'envoyer une équipe d'intervention rapide?
M. Denis Stairs: Bien sûr, il ne parle pas beaucoup de ce dont cette force est vraiment capable, mais on a l'impression d'avoir affaire à un groupe d'intervention spéciale (SWAT) en uniforme militaire, armé essentiellement pour faire face à des problèmes internes quelconques. Je ne crois pas qu'elle ait été conçue pour remplacer d'une certaine façon le Régiment aéroporté par exemple.
Si vous me demandez maintenant si nous devons remplacer le Régiment aéroporté, accroître cette force, lui donner les moyens d'intervenir à l'étranger, et tout ce genre de choses, je vous dirai que l'on peut certainement l'envisager, parce nous ajouterions une corde à notre arc. Par contre, ce serait toujours une unité relativement petite, à qui l'on ne confierait que des opérations de faible envergure, déplaisantes peut-être, mais de faible envergure. Ce ne serait pas le genre d'opérations que l'on voudrait entreprendre sans appui, sans être suivis par d'autres troupes, comme les Marines des États-Unis. Vous pouvez toujours prétendre que nous devrions être les Marines du maintien de la paix ou quelque chose comme ça.
Vous pouvez toujours le prétendre, mais ce ne sera pas bon marché, pas si vous voulez le faire de façon responsable. Je pense que c'est tout à fait évident, mais même si ces soldats sont des volontaires, si ce sont des professionnels, s'ils n'ont pas à être dans les forces armées, nous leur demandons de venir côtoyer le danger dans un exercice auquel nous n'avons pas à participer. Ce n'est même pas comme la Corée, et certainement pas comme la Première ou la Deuxième Guerre mondiale. En fait, il me semble plutôt que, puisque nous en faisons les instruments pragmatiques de notre politique étrangère, nous devons encore plus nous assurer qu'ils sont bien équipés et bien appuyés et qu'ils évoluent dans un environnement raisonnablement sûr.
Le vice-président (M. David Price): Merci, madame Gallant.
Monsieur Peric.
M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Stairs, vous avez dit que le gouvernement devrait dépenser dorénavant 1 milliard de dollars. C'est exactement le chiffre que nous avons recommandé. Je suppose que vous avez pris ce chiffre dans notre rapport et que vous avez lu aussi notre rapport. J'en suis heureux.
Je déduis de votre exposé que vous n'êtes pas très content de notre performance. Vous nous comparez à nos voisins du Sud. Comme vous le savez, ils sont 300 millions et nous, 31 millions seulement. Je suis allé à Sarajevo, où j'ai rendu visite à la Gendarmerie royale et aux forces armées. Et je peux vous dire que j'ai entendu des commentaires élogieux sur les Canadiens chargés de maintenir la paix, non seulement de la part de nos soldats et de nos officiers de police, mais d'autres personnes comme les Allemands et les Européens.
Ma question est la suivante: «Pensez-vous que 1 milliard de dollars suffira, et pendant combien de temps? À quoi affecterons-nous ce milliard de dollars annuel au Canada? Comparerez-vous le Canada à d'autres pays de l'OTAN, aux pays européens? Les États-Unis mis à part, bien sûr, serions-nous toujours en retard par rapport aux pays de l'OTAN?»
M. Denis Stairs: Il faut que je revoie les chiffres et que je fasse une analyse comparative. Je ne sais pas jusqu'où on remontera dans la liste de l'OTAN. Comme chacun le sait, nous sommes près de la fin. Pour vous dire si ce milliard de dollars nous situerait au milieu, il faut que je consulte les chiffres à nouveau. En deux mots donc, je ne peux vous répondre maintenant, mais il me sera facile de le faire plus tard.
À propos, je veux insister sur le fait que je comprends bien les commentaires faits à propos des soldats de la paix canadiens. Ce que je dis, ce qui me préoccupe au sujet des forces armées n'a rien à voir avec le professionnalisme des troupes, certainement pas celles à qui j'ai rendu visite. Je vais peut-être un peu loin, mais je dirais qu'elles forment un secteur de la fonction publique canadienne qui se dévoue encore énormément pour le service public. On trouve chez les militaires un sens du devoir qui est rafraîchissant et qui n'existe pas partout. Je leur voue donc la plus grande admiration, même si je pense qu'ils sont sous-équipés et que, dans certains cas, leur entraînement laisse de plus en plus à désirer.
Est-ce que le milliard de dollars suffira, et pendant combien de temps? Je parle maintenant d'augmenter le budget de base. C'est très difficile à dire, parce que cela dépend de l'évolution de la situation dans l'environnement mondial. Je suppose que cette somme constituera un objectif raisonnable pour les cinq prochaines années.
M. Janko Peric: Pensiez-vous déjà avant le 11 septembre que nous devions dépenser plus d'argent ou est-ce que ça vous est venu après?
M. Denis Stairs: Cela n'a rien à voir avec le 11 septembre. Je peux vous montrer pour vous le prouver certains des articles que j'ai écrits avant cette date.
En fait, la seule petite critique que j'émettrai à l'égard de votre rapport provisoire, c'est qu'il insiste trop sur le fait que les événements du 11 septembre ont changé l'environnement. Nous pensions pouvoir tirer des dividendes de nos efforts de paix et, tout à coup, arrive le 11 septembre et le monde entier est transformé. C'est là la façon de voir des Nord-Américains mais pas, je pense, des Européens. C'est ainsi que les Nord-Américains voient les choses, mais je ne suis pas sûr que ce soit fondé. Il pourrait maintenant s'écouler une autre période de 40 ans sans qu'une importante attaque de ce genre ne soit lancée à nouveau contre un objectif nord-américain. Et si cela devait se produire, elle pourrait très bien être le fait d'Américains fous du Montana, par exemple, et non pas d'un groupe parastatal étranger.
Je ne pense donc pas qu'il s'agisse d'un changement si fondamental. Ce que nous avons appris, c'est qu'il existe sur terre de mauvais sujets et qu'ils se livrent à des actes de violence. Nous devons nous préparer le mieux possible à faire face à ce type de situation. Nous avons l'obligation, non seulement vis-à-vis des Canadiens mais aussi de nos alliés, de prendre des mesures raisonnables pour faire face à des circonstances semblables et aussi à d'autres genres d'attaques militaires. Je ne pense tout simplement pas que la sécurité dans le monde atteindra un degré tel que l'on pourra se passer de forces de défense raisonnables. On peut discuter de ce qui est «raisonnable» pour nous mais tout doit partir de là. Je ne pense pas que le monde soit un endroit sans danger, ni qu'il le devienne avant très longtemps.
Puisque vous m'avez lancé sur ce sujet, je pourrais ajouter quelque chose si vous me le permettez. On peut également, bien sûr, essayer d'expliquer ce genre d'attaque en en recherchant les causes. J'ai abordé cette question dans le mémoire un peu plus long que j'ai donné au personnel. Elle ne me pose en principe aucun problème. Je présume que l'on veut tous, un jour ou l'autre, se pencher sur les aléas de la condition humaine, qui conduisent à la violence. C'est juste que je ne pense pas qu'il s'agisse d'une très bonne stratégie pour assurer notre sécurité et celle de nos amis et alliés. Les raisons en sont, je pense, très claires.
Même si l'on présume que ce genre d'aléas, par exemple des sociétés qui ne sont pas démocratiques, des populations qui sont pauvres, peuvent conduire à une guerre—c'est un grand point d'interrogation—nous disposons de moyens extrêmement limités pour prendre les mesures sociales susceptibles de nous permettre de renverser la situation. En admettant que nous sachions comment nous y prendre, nous n'aurions presque certainement pas recours aux ressources nécessaires pour atteindre cet objectif. C'est là la réalité, je pense.
Ce n'est pas ainsi, à mon avis, qu'il faut aborder la question de la sécurité, même si l'on peut avancer de solides raisons pour justifier cette approche. C'est un problème sur lequel les générations futures devront se pencher.
Le président: D'accord. Merci, monsieur Peric.
C'est à M. Bachand pour une troisième fois. Ce n'est pas possible.
M. Claude Bachand: C'est bon. Merci, monsieur le président.
Monsieur Stairs, personne n'a encore parlé du début de votre intervention, alors que vous avez parlé des hélicoptères Sea King. Je vous avoue qu'à cet égard, vous rejoignez un peu la position de l'opposition. Nous trouvons que l'hélicoptère est devenu carrément non sécuritaire. D'ailleurs, on me dit que pour chaque heure de vol, on doit faire 30 heures de maintenance. Nos amis libéraux, nos amis du gouvernement considèrent qu'il n'y a aucun problème.
J'aimerais avoir votre opinion sur toute la question du Sea King et particulièrement sur la lettre d'intention du gouvernement, qui a divisé le contrat en deux: une partie pour la plate-forme et une partie pour le système intégré. Cela pourrait retarder l'entrée en action des hélicoptères. Partagez-vous l'avis des gens de l'opposition, qui disent que cette lettre d'intention va retarder l'arrivée d'un hélicoptère dont on a beaucoup besoin actuellement?
[Traduction]
M. Denis Stairs: Je dirai tout d'abord que je n'avais pas l'intention d'appuyer un parti ou un autre, mais de refléter ce qui, d'après moi, est la réalité. Il est certain que les agents d'entretien qui travaillent sur les Sea King affirment avec vigueur que ces appareils offrent toutes garanties de sécurité lorsqu'ils les laissent partir, qu'ils ne leur permettraient pas de voler s'ils n'avaient pas fait toutes les réparations qu'ils jugeaient nécessaires, et je suis sûr que c'est vrai. Je ne peux imaginer qu'ils laisseraient voler un hélicoptère qu'ils sauraient être dangereux.
D'un autre côté, ces hélicoptères sont soumis à d'énormes efforts pendant de très longues périodes et, quand on dit ça, on fait très confiance à la capacité du mécanicien à prédire ce qui va flancher la prochaine fois. Je ne sais si l'un d'entre vous a vu un de ces appareils être descendu avec un treuil sur le pont d'un navire, mais je suis sûr que vous savez ce qui se passe. Ils placent un crochet, sur le pont, et ils emballent ensuite le moteur de façon à faire descendre l'hélicoptère en le tirant littéralement avec un treuil dont la force de traction s'oppose à celle du moteur. L'appareil tremble énormément. Si cette manoeuvre se poursuit pendant longtemps, je ne peux croire que l'on va être capable de prédire tous les endroits où vont apparaître sur le métal des traces de fatigue. Cela me rend donc très nerveux.
Cependant, quand j'ai dit, un peu en plaisantant, que cette situation tenait les ministres éveillés toute la nuit, cela n'a aucune importance dans un certain sens. Si l'un de ces appareils s'écrasait à la suite d'un incident mécanique, on les crucifierait de toute façon. Je faisais allusion à leur vulnérabilité sur le plan politique, mais je ne prenais position ni pour un parti ni pour un autre.
Pour ce qui est de la division du contrat, la réponse est toujours la même, il me semble. Si vous voulez un bon équipement rapidement et pas cher, vous l'achetez dans le commerce et essentiellement déjà monté. Par contre, si vous voulez qu'il y ait des retombées, les choses se compliquent, parce qu'il vous faut alors des emplois pour l'industrie canadienne, des bénéfices pour les actionnaires etc., et c'est clairement ce qui se passe ici. Si l'on se place dans une optique purement militaire, je dirais que c'est stupide. Mais si l'on se situe dans une perspective gouvernementale, où il faut justifier dans une certaine mesure vos acquisitions vis-à-vis de la population et aussi des entreprises, et où elles doivent profiter aux Canadiens aussi bien qu'aux étrangers, alors cela se comprend, politiquement parlant. C'est une décision à caractère politique. Mais il me semble que premièrement, c'est trop cher, deuxièmement, c'est beaucoup plus long et, troisièmement, il faudra plus de temps pour avoir la bête.
Le président: Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: Donc, l'armée dit qu'on pourrait attendre jusqu'en 2005 et le fait qu'on ait divisé le contrat pourrait retarder cela jusqu'en 2007. Si vous estimez que le Sea King est actuellement dans un très piètre état et qu'on devrait presque arrêter ses vols, ce n'est pas du tout envisageable d'attendre encore quatre ou six ans avant de procéder à son remplacement. On ne peut pas envisager ça du tout, selon vous, n'est-ce pas?
[Traduction]
M. Denis Stairs: En deux deux mots, je vous répondrai qu'ils vont essayer en attendant de continuer à les faire voler. C'est ce qui va se passer. Je ne pense pas qu'ils vont tous être cloués au sol, à moins qu'on ne découvre un défaut majeur dans la cellule, par exemple. Je pense donc qu'ils vont continuer à les faire voler. Si vous me demandez s'il y aura, d'après moi, de nouveaux hélicoptères sur les navires de guerre canadiens d'ici 2005, je vous dirai que ce ne sera probablement pas le cas.
Le président: D'accord.
Merci, monsieur Bachand.
Monsieur O'Reilly.
M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci, monsieur Stairs, d'être venu témoigner devant le comité pour nous faire part de vos opinions, que je partage dans certains cas et pas dans d'autres. Mais n'oubliez pas que je suis le secrétaire parlementaire et que je sais sans doute un peu plus de choses que je ne le devrais.
Je suis d'accord avec vous pour le budget. Je veux que tous les membres du comité fassent pression sur Paul Martin pour qu'il affecte au moins un milliard de dollars au budget A. Nous sommes tous du même avis à ce sujet.
Je dois faire quelques brèves remarques sur les Sea King. J'ai volé dans un de ces appareils et je n'ai pas trouvé l'expérience effrayante, parce qu'ils venaient juste d'être modernisés, une opération dont le coût a été de 50 millions de dollars. Ils ont été équipés de moteurs General Electric plus puissants et les cellules sont régulièrement inspectées. Les pilotes me disent qu'ils sont sans danger et je les crois sur parole car ils n'ont aucune raison de raconter des histoires. Donc, pour ce qui est de l'avenir immédiat, je pense que l'opposition peut taper sur les Sea King, si elle n'a rien d'autre à faire. C'est bon pour elle, et nous ne voulons surtout pas trop l'en dissuader parce que nous voulons, c'est sûr, de nouveaux hélicoptères. Mais chaque fois que je vois le président des États-Unis atterrir sur la pelouse de la Maison Blanche, c'est dans un Sea King qu'il le fait. Vous pouvez réaliser un tas de choses étonnantes avec un Sea King. On les fabrique encore, et certains puissants de ce monde les utilisent toujours pour leurs déplacements. Je ne peux m'empêcher de réagir quand j'entends quelqu'un taper sur les Sea King.
Cependant, je veux parler du discours prononcé par le ministre à la Chambre aujourd'hui après la période des questions. Il a annoncé l'envoi immédiat d'une force d'intervention terrestre de 1 000 soldats, composée de membres du 3e Bataillon du Princess Patricia's Light Infantry et de deux compagnies issues d'un bataillon de Winnipeg. Nous avons donc deux groupes de l'Ouest qui sont prêts à aller en Afghanistan sur préavis de 48 heures.
Comme en Bosnie à l'heure actuelle, nous renouvelons généralement nos troupes tous les six mois. C'est essentiellement ce que nous faisons, un roulement de six mois, pour faire en sorte que nous ayons toujours des troupes fraîches. Celles qui y sont maintenant viennent de Québec et celles d'avant venaient de Petawawa. On pratique donc toujours ce roulement de six mois, avec une période de repos au tiers, à la moitié et vers la fin du séjour. Certains pensent parfois qu'elles restent là-bas trop longtemps, mais je ne suis pas nécessairement de cet avis.
En Afghanistan, il s'agit d'une force de stabilisation chargée d'assurer la sécurité aux points d'entrée et dans les corridors utilisés pour l'acheminement de l'aide humanitaire. Nous ne parlons pas d'un bataillon complet qui va à la guerre. Les soldats qui vont partir m'ont dit qu'ils étaient prêts et qu'ils pouvaient faire tout ce qu'on leur demandera pour rétablir la sécurité dans le pays. Là encore, je les crois sur parole.
Il m'arrive d'être déprimé quand j'entends toutes sortes de propos pessimistes venant de différentes sources. Je ne dis pas que les vôtres le sont. Certains de vos arguments sont très bons, mais vous avez été plus négatif que positif, ce qui est bien finalement au moment du budget. J'aimerais que vous nous fassiez quelques commentaires à ce sujet.
M. Denis Stairs: En ce qui concerne tout d'abord l'hélicoptère du président, je ne sais pas quand il est sorti de l'usine ou quel est son âge, et je ne sais pas à quoi il était affecté auparavant. Mais je comprends que les mécaniciens disent ça, et les officiers aussi. Et je suis sûr que les pilotes ne les feraient pas voler s'ils pensaient mettre leur vie en danger à chaque occasion.
M. John O'Reilly: Ils n'auraient pas le droit de les faire voler s'ils présentaient un certain danger.
M. Denis Stairs: Oui, je comprends. D'autre part, j'ai parlé à des gens qui ont quitté l'armée, des pilotes expérimentés qui connaissent très bien ces appareils, et ils m'ont dit être très inquiets. Ainsi, si vous voulez bien me pardonner, je dirai que je ne suis pas surpris que ce soit là les propos que vous allez entendre. Chaque fois que je parle à des militaires, je suis étonné de voir à quel point ils sont loyaux. Ils sont vraiment désireux de servir, et même quand on leur demande l'impossible, ils essaient de l'obtenir. Leur position ne me rassure pas pour autant, mais je comprends ce que vous voulez dire, et j'ai entendu moi-même le même type de commentaire de la part de gens en uniforme.
• 1655
En ce qui concerne le roulement, d'accord, sauf qu'on semble
supposer que l'on va trouver en Afghanistan un environnement sans
danger, un environnement qui sera raisonnablement stable. On
suppose que les corridors ne vont pas être attaqués. On suppose
que, quel que soit le béret qu'ils porteront, nos soldats ne vont
pas faire face à l'hostilité des chefs de guerre, des bandits, etc.
Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. C'est pour ça que j'ai dit
tout à l'heure que j'étais persuadé que l'on allait commencer par
effectuer une enquête très approfondie avant de déployer nos
soldats sur le terrain.
Je suis sûr que les jeunes du PPCLI se disent prêts et veulent partir. C'est pour ça qu'ils sont dans l'armée. Ils veulent servir leur pays. Mais je crains que la violence ne règne encore là-bas, dans cette région très éloignée où ils ne bénéficieront pas de beaucoup d'appui. Donc, à moins que tout ne laisse croire que d'autres fourniront cet appui si nous ne pouvons le faire nous-mêmes, je resterai un peu sur les nerfs. Toutes ces opérations n'ont rien de rassurant, mais je pense qu'en Afghanistan, la situation est un peu plus tendue qu'ailleurs. Elle peut changer radicalement en très peu de temps, et c'est ce qui me rend un peu nerveux.
Le vice-président (M. David Price): Merci, monsieur O'Reilly.
J'ai maintenant sur ma liste Mme Gallant, mais elle n'est pas de retour. Je cède donc la parole à M. Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Alliance canadienne): J'ai lu entièrement le résumé de vos commentaires et j'ai bien aimé que vous nous les ayez présentés en une page. C'est souvent la meilleure façon de procéder dans un tel cas, et je crois que vous avez bien fait ça.
Vous parlez, au point 2, du remplacement des Sea King et de la capacité de ravitaillement en vol. Je voudrais me concentrer sur les Sea King. Je vais vous poser un certain nombre de questions et je vous laisserai ensuite y répondre.
Premièrement, pensez-vous que l'EH101 soit le meilleur appareil pour remplacer le Sea King?
Deuxièmement, le gouvernement s'engage à l'heure actuelle dans la voie, que j'estime très problématique, de la division du contrat. De cette façon, ce sera lui, avec les contribuables, qui paiera les pots cassés si les deux parties ne s'entendent pas et que les choses ne marchent pas comme elles le devraient. Pouvez-vous nous donner votre avis sur la division du contrat et nous dire quels problèmes vous entrevoyez pour le contribuable?
Il est également question, au point 4, d'une importante affectation de fonds publics. J'aimerais savoir si, d'après vous, elle devra être supérieure de 2 milliards ou de plus de 2 milliards de dollars à ce qui est actuellement attribué aux forces armées?
Vous mentionnez en outre, au point 5, l'interopérabilité. Pendant la guerre du Golfe, nous avons emprunté aux Australiens, si j'ai bien compris, des systèmes de guidage à balayage frontal infrarouge pour certains de nos CF-18. J'ai comme l'impression que nous ne disposons toujours pas de ces systèmes. Pensez-vous que nous devrions les avoir pour l'interopérabilité, plutôt que de les emprunter aux Australiens?
M. Denis Stairs: Je suppose que tout ici est une question d'argent et de compromis, mais il est clair que vous serez plus efficace si vous en disposez. Je crois savoir qu'on allait en équiper certains appareils, mais je peux me tromper.
Pour ce qui est des fonds publics, nous en avons parlé un peu plus tôt, sans une énorme confiance, car c'est aux gestionnaires de la Défense, me semble-t-il, de s'occuper de cette question. Mon sentiment, d'après ce que j'ai pu glaner ici et dans certains rapports, est qu'une somme annuelle d'environ un milliard de dollars pour les cinq prochaines années constituerait un point de départ raisonnable. Si l'on demandait plus, cela pourrait ne pas être possible, à cause de la récession économique et des autres projets qui doivent être financés à même le trésor public. Il me semble donc que un milliard de dollars, ce n'est pas mal pour un début. Et ça, c'est pour les frais courants annuels de fonctionnement, à l'exclusion de l'achat d'immobilisations.
En ce qui concerne les Sea King, nous en avons parlé un peu tout à l'heure. On me dit que les cellules commencent à bien vieillir. Elles ont subi des efforts pendant une très longue période, et même si les mécaniciens pensent qu'elles sont fiables au moment du décollage—ils ne laisseraient pas partir les hélicoptères autrement—ils ne sont pas en mesure de prédire ce qui pourrait se passer à partir de là. Je crois donc que la situation est troublante.
• 1700
Pour la question du remplacement et de la division du contrat,
nous en avons là encore dit quelques mots un peu plus tôt. Je pense
que c'est vraiment très simple. Il s'agit de trouver un compromis
entre, d'une part, la façon la moins chère et la plus efficace de
faire les choses, et, d'autre part, le développement économique et
toutes autres considérations politiques. La façon la moins chère et
la plus efficace de procéder est d'acheter sans se poser de
questions dans le commerce, chez un fournisseur. De cette manière,
la décision est rapide, la livraison aussi, et l'on obtient un
produit parfaitement fonctionnel. Dans l'autre cas, bien sûr, vous
devrez entreprendre des négociations très compliquées avec
plusieurs fournisseurs qui devront intégrer leurs activités, et
cela peut prendre énormément de temps. Par contre, cette solution
pourrait offrir des avantages économiques. À mon avis, la plupart
des militaires diraient: «Ne le faites pas de cette façon. Pour
nous, il serait préférable d'acheter dans le commerce. Mais face
aux réalités de la politique et de l'économie, peut-être devrons-nous nous
résigner à ce que ça se fasse de cette façon.» Il s'agit
d'une décision politique, et je n'ai rien d'autre à dire, si ce
n'est que cette solution n'est pas efficace d'un point de vue
militaire.
Les EH101, c'est un sujet très brûlant. À peu près tous ceux qui m'en ont parlé avec calme m'ont dit que la meilleure décision avait en fait été prise vers la fin du mandat du gouvernement précédent, et il est malheureux que, de la façon dont s'est déroulée la campagne électorale, le nouveau gouvernement se soit senti obligé de faire ça. Je ne prends pas parti ici, mais je pense qu'il aurait été préférable de conserver le contrat d'achat original, et c'est aussi ce que disent tout bas la plupart des militaires.
M. Rob Anders: Merci.
Le président: La dernière question sera pour M. Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: Merci, monsieur le président.
Monsieur Stairs, j'ai ici un document que vous avez fait pour la revue Options politiques. Ce document est intitulé: «Canada in the 1990s: Speak Loudly and Carry a Bent Twig». Vous dites dans ce document:
-
Le succès de ces opérations suscita de
nouveaux appels à l'aide, chaque fois couronnés
d'interventions réussies. Ce rôle de «gardien de la
paix» trouva la faveur des Canadiens eux-mêmes, qui
finirent par y voir le meilleur moyen d'exprimer
leurs idéaux et leurs valeurs—et même, ces derniers
temps, de les imposer à d'autres pays. Les gardiens de
la paix se sont peu à peu transformés en pacificateurs
et en créateurs de sociétés. Cette évolution soulève
cependant de sérieuses questions sur le plan de la
crédibilité comme sur le plan philosophique.
Je sais que vous n'avez que cinq minutes pour répondre et que lorsqu'on parle de questions philosophiques, ça peut être long, mais pourriez-vous essayer de résumer votre pensée? Pourquoi ces missions de paix entraînent-elles une certaine perte de crédibilité et de légitimité sur le plan philosophique?
[Traduction]
M. Denis Stairs: De plus en plus, au cours de la dernière décennie—je n'essaie pas seulement ici de ne pas prendre parti, mais c'était vrai vers la fin du mandat du gouvernement conservateur, tout comme c'est vrai depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral—on a vu se manifester, à mon avis, une sorte de changement dans les aspirations du Canada dans ce domaine. En particulier, nous disons maintenant de plus en plus que d'autres pays vivraient mieux s'ils vivaient plus ou moins comme nous, c'est-à-dire s'ils avaient un système de gouvernement représentatif, démocratique et parlementaire, s'ils avaient un système économique fondé sur la libre entreprise, s'ils respectaient tous les droits de la personne que nous jugeons bon de respecter, etc., et une grande partie des choses que nous avons faites s'en est trouvée affectée. Cela a affecté notre politique d'aide au développement, ou du moins la rhétorique qui l'entoure, et cette politique s'accompagne maintenant de nombreuses conditions. Je pense de plus en plus que, dans le cadre de notre intervention, nous avançons, en matière de sociologie appliquée et de sécurité des personnes, un argument du type: «Nous savons vraiment ce que vous devriez faire pour apporter des changements au sein de votre société afin que la situation s'améliore.»
Cela me pose deux ou trois problèmes. Le premier, c'est que je ne pense pas que nous sachions comment nous y prendre en matière de sociologie appliquée. Je crois que nous sommes extrêmement optimistes pour ce qui est de nos capacités dans ce domaine. Deuxièmement, je ne pense pas, si nous prenons cette mission à coeur, que nous soyons prêts, et de loin, à y consacrer les ressources nécessaires. Et, troisièmement, nous ne sommes pas prêts à agir pendant assez longtemps pour obtenir un résultat quelconque. Dans la plupart des cas, il faudra attendre deux ou trois générations pour que ce genre de changements culturels profonds se matérialise. Je pense donc que l'on parle à la légère d'objectifs qui sont tout à fait honorables si on les prend au pied de la lettre.
• 1705
Là où je vois une différence, c'est dans le fait
qu'autrefois—et là je vous révèle mon âge—on affirmait que, dans
le cadre de l'aide au développement, les Canadiens ne disaient
jamais aux autres comment ils devaient mener leur vie. Si vous avez
un problème et que vous pensez que l'on peut vous aider, faites-le-nous
savoir, et nous verrons ce que nous pourrons faire. Ce n'était
pas à nous de leur dire comment leur société devait se développer,
etc. Une des conséquences de cette politique a été que les
Canadiens étaient distingués, par exemple, des Américains, dont on
disait qu'ils cherchaient constamment à propager la façon de vivre
américaine. Et on pensait effectivement, avec une certaine
suffisance, que nous étions un peu meilleurs qu'eux, parce que nous
savions qu'il existe sur terre de nombreux chemins qui mènent au
paradis ou aussi près du paradis que nous le permet notre condition
d'hommes. Maintenant, je pense que nous ressemblons davantage à ce
qu'étaient les Américains en pleine guerre froide. C'est nous qui
propageons l'idée que nous savons comment vivre. Nous sommes
poussés dans cette direction par des ONG et des groupes d'intérêts
canadiens qui veulent que l'on propage leurs valeurs à l'étranger,
ce que nous n'avions pas l'habitude de faire, parce que ce n'était
pas là notre objectif.
Je pense donc qu'il y a eu un énorme changement et que certains pays trouvent irritant qu'on aille leur dire: «Écoutez, vous devez modifier votre façon de faire les choses.» Et d'autres pourraient penser qu'on essaie d'intervenir au rabais. Voilà, je vous ai probablement donné une réponse plus longue que vous ne le vouliez.
Le vice-président (M. David Price): Merci beaucoup.
J'ai juste un commentaire à faire et un petit éclaircissement à demander avant de clore la séance. Vous avez mentionné que le Canada se situait autour de la 33e place pour ce qui est des engagements en matière de maintien de la paix. Je voudrais avoir un éclaircissement, parce que c'est consigné dans le compte rendu. On a l'impression que nous ne faisons pas ce qu'il faut. En réalité, cela dépend du pays. Prenons l'Ukraine, par exemple. Elle a l'engagement le plus important de tous les pays du monde, mais ses raisons sont très différentes des nôtres. Elle a un immense complexe industriel à alimenter et, à bien y penser, elle doit aussi équiper son armée. De nombreux autres pays se trouvent dans la même situation, et c'est pourquoi leur engagement en matière de maintien de la paix est beaucoup plus important que le nôtre.
Je voulais simplement que cela soit dit clairement dans le compte rendu, parce que c'est important. On n'est absolument pas en bas de la liste.
M. Denis Stairs: Je ne pense pas que j'aurai apporté une telle correction à ce que j'ai dit. Ce que vous affirmez, c'est que de nombreux autres pays envoient des effectifs plus importants parce cela leur rapporte, entre autres, des devises étrangères, et c'est absolument vrai. J'ai bien précisé ce matin que je me référais à la liste des Nations Unies. Je pense que, au mois de novembre, nous avions 317 soldats qui étaient engagés dans des opérations des Nations Unies, ce qui nous classe aux environ de la 33e place sur cette liste. Mais, bien sûr, cela ne comprend pas les opérations qui se déroulent sous d'autres auspices, dont en particulier, celle de Bosnie et celle d'Afghanistan. Si l'on intégrait ces opérations, je pense que l'on grimperait aux alentours de la neuvième ou dixième place, quelque chose comme ça.
Le vice-président (M. David Price): Mais, comme je l'ai dit, il est clair que nos raisons sont toujours beaucoup plus humanitaires, beaucoup plus axées entièrement sur le maintien de la paix que celles d'un grand nombre d'autres pays.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Stairs, d'être venu. Notre discussion a été, je crois, très intéressante. Nous avons échangé des informations, et je pense que nous vous avons fait profiter de nos opinions sur différents sujets.
M. Denis Stairs: Oui, en effet.
Le vice-président (M. David Price): Merci beaucoup, donc, et nous espérons vous revoir bientôt.
M. Denis Stairs: Merci.
Le vice-président (M. David Price): La séance est levée.