NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 23 octobre 2001
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
Avant de nous attaquer à l'ordre du jour, je voudrais soulever la question de la compensation qui semble maintenant faire l'objet...
M. Peter Stoffer (Sackville—Musquodoboit Valley—Eastern Shore, NPD): J'ai un communiqué de presse ici.
Le président: Je vous invite donc, monsieur Stoffer, à nous parler des anciens combattants enfermés à Buchenwald.
M. Peter Stoffer: Un communiqué de presse a été publié aujourd'hui par le ministre des Anciens combattants, pour indiquer que les anciens combattants enfermés pendant la guerre à Buchenwald—c'est-à-dire les survivants, les aviateurs et leurs conjoints—vont toucher une indemnisation de 5 400 $ de la part du gouvernement allemand, par l'entremise du ministère des Anciens combattants, en reconnaissance des graves préjudices qui leur ont été causés pendant la guerre. Même si cette compensation a été un peu longue à venir, et ne correspond peut-être pas à ce que demandaient les anciens combattants, au moins elle répond partiellement à leurs doléances. Je voudrais donc transmettre mes félicitations, comme les autres membres du comité aussi, sans doute, à M. Duhamel pour les efforts qu'il déployait à cette fin.
Le président: Merci beaucoup pour cette mise à jour, monsieur Stoffer.
Mme Beaumier m'a demandé s'il nous serait possible d'examiner dès maintenant le rapport du Sous-comité du programme et de la procédure, car elle ne sera pas présente pour toute la réunion.
Le rapport du sous-comité est assez clair. À notre avis, il reflète bien la discussion tenue au sous-comité hier sur toute une série de questions. Quelqu'un voudrait-il donc proposer l'adoption du rapport?
[Français]
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): J'en fais la proposition.
[Traduction]
M. Peter Stoffer: J'appuie, monsieur le président.
(La motion est adoptée)
Le président: Merci beaucoup monsieur Bachand et monsieur Stoffer.
Puisque cette question est réglée, je voudrais maintenant souhaiter la bienvenue à M. Anthony Forster, qui a déjà comparu devant le comité. M. Forster est analyste indépendant du renseignement qui nous a fait part de ses réflexions et analyses sur la question à diverses reprises.
Monsieur Forster, au nom de tous les membres du comité, je vous souhaite la bienvenue. Nous avons hâte d'entendre votre exposé. Je vous cède donc tout de suite la parole.
M. Anthony Forster (analyste indépendant du renseignement): Je voudrais tout d'abord remercier les membres du comité pour leur invitation, et remercier tout particulièrement le président. J'espère pouvoir apporter une contribution utile à l'étude des questions dont vous êtes actuellement saisis.
Les événements du 11 septembre ont changé radicalement la façon dont les pays occidentaux perçoivent les questions touchant la défense et la sécurité nationales. Les adversaires éventuels emploient des tactiques présentant de nombreux défis aux planificateurs militaires. Ces adversaires ont également changé leurs propres méthodologiques et structures, rendant difficile la collecte de renseignements à leur égard. Ces difficultés ne sont toutefois pas sans offrir certaines possibilités pour le Canada. Pour connaître ces possibilités, nous devons répondre à quelques questions clés.
Le Canada est-il prêt pour le genre de combat que nécessite cette nouvelle menace? Quels changements pouvons-nous apporter à la structure de nos groupes de militaires et de création de produits de renseignement pour mieux combattre les menaces auxquelles nous sommes confrontés? Ce sont ces questions qui nous amènent à nous réunir aujourd'hui.
En prenant comme exemple le conflit actuel en Afghanistan, nous voyons les défis que le Canada, et les Forces canadiennes, peuvent s'attendre à devoir relever au cours de la prochaine décennie. Le terrain accidenté et les ennemis déterminés que nous rencontrons en Afghanistan posent d'énormes risques pour les opérations qu'on pourrait vouloir y mener et pour le personnel militaire. Ce pays est également assez représentatif du genre d'environnement, tant sur le plan du terrain que sur le plan politique, que devront analyser les planificateurs militaires, puisque c'est dans cet environnement-là que se dérouleront probablement leurs opérations.
Combattre en Afghanistan, c'est être aux prises avec des champs de mines et des incendies soudains et violents, et être en mesure de distinguer un ami d'un ennemi dans des conditions extrêmement difficiles. C'est aussi composer avec des routes parfois impraticables, des hivers rigoureux et un ennemi généralement habitué aux privations, en raison des conflits armés auxquels ils participent depuis de nombreuses années. Il s'agit d'une lutte armée nécessitant des opérations spéciales—une lutte mieux menée par des soldats bien entraînés et un contingent de service spécial. Une force blindée, préparée en vue de participer à une action d'envergure, ne réussira pas aussi bien dans ce genre de situation qu'une infanterie légère, si cette dernière est bien entraînée, bien équipée, bien dirigée et, le plus important, bien renseignée.
S'agissant de son état de préparation opérationnelle, le Canada devra ajuster et améliorer ses capacités. Les Forces canadiennes constituent actuellement une armée homogène ayant pour tâche de préparer au combat un groupe-brigade et ses éléments de soutien, conformément à ses obligations. Selon le mandat que leur a confié le gouvernement, elles doivent être prêtes à utiliser la gamme complète du matériel de guerre. Cela engloberait des opérations de faible et de haute intensité partout où les intérêts du Canada sont menacés. Le Canada a fait de bons choix quant à la façon de dépenser le budget accordé au MDN, mais il faut faire plus si nous voulons nous assurer que le personnel des Forces canadiennes ne se retrouvera pas dans des situations plus risquées que nécessaire et qu'il continuera de faire montre de la souplesse et de l'élan qui ont fait sa réputation. Une grande part de la responsabilité de l'état de préparation des militaires canadiens reviendra aux autorités civiles chargées des questions budgétaires.
• 1540
Qui devrait bénéficier de financement? Il semble logique que
les agents spéciaux et les agents du renseignement soient les
bénéficiaires immédiats des crédits additionnels. Il existe en
règle générale deux catégories de forces spéciales. Certaines
unités ont essentiellement comme tâche d'assurer la protection des
personnalités de marque, de libérer des otages et d'assumer
d'autres tâches relevant d'un contingent qui jouerait surtout le
rôle de force de réaction. D'autres ont comme mandat de mener des
missions de pénétration à longue distance en territoire ennemi,
pour faire de la reconnaissance, appréhender des agents ennemis ou
peut-être même monter des opérations de combat, si bien que leur
démarche est nécessairement plus proactive.
À l'heure actuelle, c'est la FOI2 qui détient la principale capacité en matière d'opérations spéciales. Il est extrêmement difficile, pour quelqu'un qui ne fait pas partie de l'infrastructure militaire canadienne, de se faire une idée du régime d'entraînement de la FOI2, et avec raison. Cela crée des difficultés pour les non-initiés intéressés à réellement évaluer la capacité du Canada. Je crois toutefois qu'il est possible de mettre en relief certains faits de base.
Dans un premier temps, il conviendrait de financer l'expansion de la FOI2 et de réviser son mandat pour qu'elle puisse participer à des missions lui permettant de mener davantage de missions de pénétration à longue distance. Augmenter l'effectif, en le faisant passer de 250 à 1 000 ou à 1 200 donnerait au gouvernement canadien un outil puissant pour combattre le terrorisme. Il est important de souligner que l'accroissement de l'effectif et l'élargissement du mandat d'une telle force doivent être assortis de changement de doctrine concernant l'utilisation des soldats, de même qu'une plus grande surveillance des agents spéciaux et de leurs activités. À mon avis, il va sans dire que tout changement qui serait mis en place devrait se faire le plus tôt possible, étant donné que l'affectation des fonds requis et l'entraînement des troupes prendront du temps.
Selon moi, le Canada ne devrait pas abandonner sa vision d'une armée polyvalente. Autant maintenant que par le passé existe le risque pour le Canada et ses forces armées d'être mêlés à un conflit de grande envergure reposant sur l'utilisation de chars d'assaut et d'autres systèmes d'armes lourds et difficiles à déployer.
Le Canada est à mon sens plus susceptible d'avoir à participer à de petits engagements dans des régions urbaines, et à lutter contre des tireurs à la carabine et des chauffeurs de camions Toyota équipés de mitrailleuses. Je recommande par conséquent l'élaboration d'un nouveau livre blanc qui tiendrait davantage compte de la forte probabilité que le Canada soit appelé à prendre part à des conflits de faible intensité ou à des guerres asymétriques.
Quelles autres mesures s'imposent? Tout d'abord, il faudrait s'assurer de donner suite dans les plus brefs délais aux recommandations qu'a faites le comité dans son rapport provisoire sur l'état de préparation opérationnelle. Je profite aussi de l'occasion pour féliciter les membres du comité pour la perspicacité et le consensus qui caractérisent le rapport provisoire.
Un autre secteur où des changements substantiels pourraient se révéler nécessaires est celui de la collecte et de l'analyse du renseignement. J'aimerais aborder deux points à cet égard, soit le renseignement militaire, et le renseignement stratégique.
La diffusion de renseignements militaires exacts en temps opportun est vraiment essentielle au succès d'une unité déployée outre-mer. Dans le dernier guide de Planification de la Défense, il est très peu question de la Direction du renseignement J2, soit la section de la Défense nationale chargée de la collecte de renseignements ne visant pas les transmissions. Et là où il est question de renseignement, il s'agit essentiellement du financement d'améliorations techniques.
Bien que la technologie puisse grandement faciliter la collecte et la diffusion de renseignements, il ne faut pas oublier le renseignement humain, soit le HUMINT. Une trop grande dépendance à l'égard du renseignement sur les transmissions, soit le SIGINT, peut avoir une incidence négative sur l'évaluation du renseignement en général. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il y a lieu de bloquer le financement ou les projets relevant actuellement du CST. Au contraire, une augmentation proportionnée du financement des activités du CST pourrait être appropriée afin de s'assurer que les capacités et les renseignements du CST reposent sur un bon réseau au Canada, plutôt que d'avoir à dépendre de nos relations avec les États-Unis ou des capacités d'autres pays occidentaux.
Cela m'amène à vous entretenir de la question du renseignement stratégique. Comme le renseignement militaire, certains produits canadiens du renseignement proviennent de données fournies par des sources autres que canadiennes. Par le passé, cela était amplement suffisant. Toutefois, pour le Canada, compte tenu de son infrastructure de plus en plus câblée, de ses liens économiques internationaux et de ses responsabilités internationales, il est peut-être temps de mettre sur pied un ministère canadien qui soit chargé du renseignement et de la sécurité nationale.
Actuellement, comme vous le savez tous, le gouvernement canadien ne dispose d'aucun organisme de collecte du renseignement. Les données brutes sont recueillies par différents groupes de collecte, dont le SCRS, le CST, le MAECI et la direction du renseignement J2 du MDN. Bien que le Bureau du Conseil privé s'acquitte admirablement bien de sa tâche de fournir des évaluations sommaires au gouvernement, il n'exerce aucun contrôle sur le plan des budgets, des politiques ou de la surveillance, sur ces divers groupes—d'où la possibilité d'incohérence, en raison des nombreux produits de renseignement provenant d'organismes ayant leurs propres mandats et priorités. Cela risque également de créer une situation peu favorable relativement à une caractéristique du renseignement le plus efficace, c'est-à-dire l'échange de renseignements.
Or l'échange des renseignements est une nécessité absolue. En ce qui a trait à la sécurité nationale, afin de contrôler l'entrée au Canada de présumés terroristes à destination d'un pays tiers, le SCRS et Immigration Canada doivent disposer d'un système d'échange de données assorti d'une technologie facilitant les échanges de renseignements, au lieu d'être à l'origine d'un retard de saisie des données.
• 1545
Pour décider de ses orientations politiques, le gouvernement
doit avoir accès à des analyses provenant de sources militaires et
économiques, et de sources de données portant sur la sécurité
nationale. Il est donc essentiel que le Canada ait un ministère qui
soit chargé du contrôle de la collecte de données, de leur
évaluation, de leur synthèse et de leur diffusion. Mais cela
comporte certaines embûches.
La première question sur laquelle il faudra se pencher est celle de savoir comment créer un organisme efficace de collecte et d'évaluation du renseignement tout en protégeant les libertés civiles des Canadiens et des visiteurs au Canada; et deuxièmement, en s'assurant que l'organisme ou le ministère en question facilite effectivement l'échange de renseignements et la création de produits sans devenir une autre bureaucratie faisant obstacle à la communication en temps opportun de données qui revêtent une grande importance pour le gouvernement.
La seconde question sur laquelle il faudra se pencher concerne l'axe central de notre activité dans ce domaine. Les protocoles actuels de communication de renseignements que le Canada a conclus avec ses partenaires font en sorte que le Canada obtient une quantité considérable de données de bonne qualité, mais l'activité américaine en matière de renseignement porte surtout sur la collecte de renseignements sur les transmissions. Le Canada, jouant un rôle moins controversé sur la scène internationale, a l'occasion unique de se doter d'une capacité de collecte de renseignements humains très crédibles et susceptibles de l'amener à jouer un plus grand rôle auprès de ses partenaires tout en obtenant des données essentielles qui pourraient ne pas être disponibles par les moyens habituels.
Pour régler ces questions, une solution pourrait consister à créer deux organes d'évaluation distincts, le premier avec son propre personnel, et le deuxième recourant à des spécialistes externes, pour étudier la façon la plus efficace de créer un tel groupe ou ministère. Je ne crois pas qu'une étude de faisabilité soit nécessaire, étant donné que le Canada a en main tous les éléments dont il a besoin. Toutefois, le fait d'obtenir l'avis de deux groupes différents garantirait l'examen global des questions à la fois par les initiés et les spécialistes externes, dont le point de vue, il faut le souhaiter, serait plus objectif.
Le Canada fait face à des adversaires capables de constituer et de démonter rapidement des réseaux fonctionnant contre ses intérêts, des adversaires capables de se déplacer rapidement, en grande partie sans l'encombrement des formalités d'une administration démocratique. L'effort canadien sur le plan militaire doit tenir compte du fait que la nature de la menace militaire a changé; de même, l'effort canadien sur le plan de la collecte du renseignement doit tenir compte à la fois des nouveaux modes de fonctionnement des cibles de nos activités de collecte et du rôle plus important que le Canada continuera à jouer sur la scène internationale.
Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Forster.
Pour lancer le premier tour de questions de sept minutes, je donne la parole à Mme Gallant, de l'Alliance canadienne.
Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Puisque l'objet de notre réunion cet après-midi est de discuter de l'état de préparation des Forces canadiennes, j'aimerais soulever la question de notre état d'alerte, puisqu'il y va de la sécurité et du bien-être de tous les Canadiens. La Société Radio-Canada a voulu à plusieurs reprises donner l'impression à la population canadienne que nos CF-18 patrouillent sans arrêt, pour nous protéger contre d'éventuels attentats terroristes. Il a également été mentionné que nos réacteurs nucléaires pourraient constituer des cibles potentielles d'attaques terroristes.
Je vous invite donc à examiner la carte qu'on est en train de distribuer—ce document a également été préparé en français pour nos amis du Bloc. Je m'intéresse surtout au Laboratoire canadien de recherche nucléaire de Chalk River, et vous comprendrez pourquoi dans quelques instants. Le cercle bleu désigne la zone d'exclusion aérienne au-dessus de Chalk River. Bien que cette zone existe depuis fort longtemps, notre espace aérien est violé impunément tout le temps. Puisqu'il s'agit du seul centre de recherche nucléaire au Canada et du lieu de fabrication de 70 p. 100 des isotopes de la production mondiale d'isotopes utilisés à des fins médicales, si une de nos centrales nucléaires devenait la cible d'un attentat terroriste, nous aurions besoin de ce laboratoire pour pouvoir traiter les victimes potentielles et pour savoir comment réduire l'effet des retombées nucléaires sur l'environnement.
Selon M. David Harris, ex-directeur de la Planification stratégique au SCRS, il existe de «multiples preuves de l'intérêt actif que portent les groupes terroristes aux capacités nucléaires». On m'a dit qu'il faut à un CF-18 qui est déjà en vol, environ six minutes pour parcourir la distance entre la BFC Trenton et Chalk River. Dans des situations où la cote d'alerte est faible, cependant, il est possible que le pilote ne soit même pas dans la base. En cas de cote d'alerte élevée, même si le pilote est dans la base, il faut compter au moins 15 minutes avant que ce dernier soit prêt à décoller.
Les installations de Chalk River devraient inquiéter le gouvernement plus que n'importe quel autre site. D'abord, elles se trouvent en amont de la source d'eau potable de la capitale nationale et de bon nombre d'autres petites localités situées dans les comptés de Renfrew et de Pontiac. Deuxièmement—et c'est cet élément-là qui est le plus critique—contrairement aux autres centrales nucléaires commerciales, le réacteur de recherche de Chalk River a été construit sans enceinte de confinement.
• 1550
La centrale de Chalk River se trouvait à l'origine à côté de
l'ancienne BFC de Petawawa—qui n'a plus que le statut d'unité de
soutien du secteur—pour des raisons de sécurité. Étant donné que
la centrale de Chalk River se trouve sur la trajectoire des vols
transatlantiques entre Toronto et l'Europe, qu'un changement subi
de trajectoire pourrait ne pas être détecté suffisamment rapidement
par un contrôleur aérien pour permettre de donner un minimum
d'avertissement, et que d'autres pays ont reconnu que la seule
façon de protéger efficacement une centrale nucléaire contre une
attaque aérienne consiste à la munir de batteries antiaériennes,
quand serions-nous en droit de nous attendre à ce que l'ensemble
des centrales nucléaires canadiennes soient dotées de défense
antiaérienne?
M. Anthony Forster: Écoutez, puisque je n'ai pas accès aux données du SCRS sur la nature de cette menace, nous devrons supposer que son évaluation de cette menace est réaliste. Par le passé, le SCRS a toujours eu une assez bonne capacité d'évaluation de ce genre de chose.
Pour protéger ce genre d'installations, on pourrait envisager non seulement d'y installer des missiles antiaériens mais de changer certaines trajectoires de vol, qui devraient, je suppose, être autorisées par les responsables de Transports Canada.
Étant donné qu'il s'agit du seul laboratoire de cette nature, et vu son emplacement géographique, j'ai tendance à penser, comme vous, qu'on devrait y installer dès maintenant des engins de défense antiaérienne. Le temps de vol du CF-18—c'est six minutes—correspond à un temps de réponse raisonnable. Mais vous ne tenez pas compte de la distance d'engagement du CF-18. Le système de lancement de missiles du CF-18 permet de lancer un missile lorsque l'avion vole à Mach 2, et c'est sûr que le missile sera à même de parcourir la distance plus rapidement. Mais en fin de compte, si le Canada veut avoir la capacité de neutraliser un avion sur une trajectoire d'approche, les autorités devraient sans doute installer le matériel nécessaire sans tarder.
Mme Cheryl Gallant: Merci.
Est-ce qu'il me reste du temps, monsieur le président?
Le président: Il vous reste encore environ trois minutes et demie.
Mme Cheryl Gallant: Très bien.
Ma prochaine question fait suite aux commentaires du ministre de la Défense nationale devant ce comité en réponse au souhait que j'ai exprimé que le Régiment aéroporté du Canada soit ressuscité. Il a parlé du fait qu'on a maintenant recours aux hélicoptères pour transporter les troupes, une opération dite aéromobile, pour reprendre son terme. Il a même mentionné que les États-Unis ont de plus en plus recours aux hélicoptères, comme s'il laissait entendre qu'un recours accru aux hélicoptères signifiait nécessairement que les régiments aéroportés n'ont plus de raison d'être.
L'affirmation du ministre que les unités aéroportées ou de parachutistes sont désuètes dans le contexte actuel ne cadre pas avec la réalité. Pour les fins du compte rendu, je tiens à indiquer qu'il y a deux ou trois nuits, 200 parachutistes américains du U.S. Army Ranger Battalion ont été largués dans le sud de l'Afghanistan et ont pu mener à bien leur mission. Le soldat qui est mort pendant cette mission a perdu la vie lors de l'écrasement de son hélicoptère.
Les Forces canadiennes ont besoin d'une unité aéroportée spéciale. Ma question est donc celle-ci: Êtes-vous d'accord avec moi pour reconnaître que les Forces canadiennes ont effectivement besoin d'un détachement de service spécial. Si nous prenions nos dispositions dès maintenant, quels délais faudrait-il prévoir avant qu'une telle unité puisse être mise sur pied et rattachée à la BFC/USS Petawawa?
M. Anthony Forster: Quand vous regardez la vidéo du largage des parachutistes des Army Rangers sur cette base aérienne en Afghanistan, il faut se rappeler à mon avis que cet objectif a sans doute été choisi à dessein—c'est du moins mon hypothèse—puisqu'on s'attendait à un minimum de résistance sur le terrain. Pourquoi? Leurs indices de sources de renseignement et de sources ouvertes laissaient supposer qu'une équipe de la force Delta était également présente dans ce secteur et visait un autre objectif. Autrement dit, le fait d'organiser une opération très visible de largage de parachutistes dans la base aérienne aurait certainement attirer l'attention des forces des Talibans dans le secteur, ce qui aurait permis à la force Delta d'agir en toute impunité.
Cela dit, je suis fermement convaincu que le Canada a besoin de forces armées dotées d'une unité aéromobile. Il s'agirait, dans un premier temps, d'élargir les capacités et le mandat de la FOI2 ce qui répondrait aux préoccupations de certains, qui craignent que cette dernière ne puisse continuer à mener ses activités dans les conditions actuelles. Le fait de faire passer l'effectif à 1 000 ou à 1 200 permettrait à la FOI2 de continuer à assurer la protection des PDM et à agir en tant qu'équipe d'intervention d'urgence, tout en ayant la capacité d'envoyer une force relativement importante sur le terrain, s'il le fallait.
Et qu'en est-il des hélicoptères? Oui, les hélicoptères sont nécessaires, mais il faut aussi maintenir une capacité de déploiement de parachutistes. Il faut les deux pour être en mesure de mener à bien ces opérations. De plus, il faut prévoir les services de soutien qui permettra à l'unité aéromobile de bien jouer son rôle. Il s'agit, entre autre, de tir d'appui pour détruire des objectifs, d'hélicoptères armés et de toutes sortes d'autres engins intéressants.
Donc, je dirais qu'il faut absolument acquérir cette capacité, et dans le contexte actuel, le délai est d'une importance capitale. Doter les Forces canadiennes d'une vraie capacité de pénétration à longue distance demande des années d'entraînement et des années de renforcement de l'infrastructure, pour être en mesure de déployer cette force dans les plus brefs délais. Il faudrait commencer immédiatement.
Mme Cheryl Gallant: À ce moment-là, ne vaudrait-il pas mieux, pour gagner du temps, reconstituer le Régiment aéroporté du Canada, plutôt que de faire porter l'effectif de la FOI2 à 1 000?
M. Anthony Forster: Je ne sais pas dans quelle mesure ce serait plus rapide. Nous avons tout de même une capacité interne de déploiement de parachutistes au Canada que nous pourrions mobiliser. À mon avis, la première étape consiste à sonder les professionnels pour leur demander ce qu'ils en pensent. N'ayant pas d'expérience directe de la chose, personnellement, je demanderais d'abord l'avis des parachutistes professionnels, dans le contexte d'une discussion avec eux pour essayer de savoir quelle serait la capacité à acquérir en premier—j'ai l'impression qu'ils vous diraient, et ce serait logique, qu'il faut tout d'abord mettre sur pied un régiment de parachutistes; à partir de là, il serait possible d'établir une ligne de conduite en bonne et due forme.
Mme Cheryl Gallant: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: J'ai une première question sur le JTF2. Je ne sais pas si vous en connaissez autant que moi sur ce corps un peu secret. Vous dites que ce serait peut-être intéressant de passer de 250 à 1 000 et d'en assurer le financement. J'aimerais que vous vous mettiez dans la peau des députés qui, lorsqu'ils posent des questions sur ce sujet, se font dire que c'est secret et qu'on ne peut pas leur en parler parce que ça risque de mettre en péril les opérations.
Je trouve que nous, les députés, sommes dans la fâcheuse position de donner presque un chèque en blanc au gouvernement. Si je disais au gouvernement qu'il faut financer davantage le JTF2 et faire en sorte qu'on passe de 250 à 1 000, il me semble qu'il voudrait savoir si l'argent des contribuables serait ainsi bien investi.
Êtes-vous capable de vous mettre dans la peau d'un député pendant quelques minutes pour voir comment vous réagiriez à sa place face à cette dynamique-là? C'est ma première question.
Deuxièmement, je suis intéressé par votre approche quant à la création d'un ministère de la collecte des renseignements. Je pense qu'on comprend qu'il y a plusieurs collectes de renseignements au gouvernement fédéral. Les renseignements proviennent de plusieurs ministères et la mise en commun de tout ça est compliquée. Pour moi, ça a l'air compliqué. L'information que le SCRS contrôle et celle que la GRC contrôle devraient normalement être retransmises au ministre responsable, qui est le solliciteur général. Par contre, l'immigration relève d'un autre ministère. Ces gens-là ont aussi des renseignements. L'Agence des douanes et du revenu du Canada a aussi des renseignements qu'elle transmet au ministre responsable du revenu et des douanes. Il y a aussi le CST, le Centre de la sécurité des télécommunications qui, lui, transmet ça au ministre de la Défense. J'aimerais que vous tentiez d'élaborer là-dessus.
Verriez-vous l'ensemble de ces services relever dorénavant d'un seul ministère, et comment pourrait-on financer ce ministère? Est-ce qu'on pourrait retrancher des sommes d'argent des différents ministères responsables pour les donner au même ministère? Je pense que vous avez mis le doigt sur un bobo. Je pense que du côté des renseignements, il y a beaucoup trop de sources et elles sont toutes orientées vers une destination précise, qui est leur ministère. Or, j'ai parfois l'impression qu'on ne sait pas ce qui se passe entre les ministères.
Donc, j'aimerais que, dans un deuxième temps, vous élaboriez sur la question d'un ministère de la collecte des renseignements.
[Traduction]
M. Anthony Forster: D'abord, pour ce qui est du secret entourant les opérations de la FOI2, je dois dire que cela me rappelle le British Special Air Service, dont le régime d'entraînement est assez bien connu, et dont les membres sont les agents spéciaux les plus efficaces du monde à l'heure actuelle. Leur régime d'entraînement est assez bien connu du public, et ils peuvent mener des opérations dans presque toutes les régions du monde et remplir à peu près tous les rôles qu'on pourrait envisager de leur confier. Les récentes actions du SAS en Sierra Leone dans le cadre d'une opération de sauvetage de soldats britanniques est un excellent exemple de ce que peut faire une unité de service spécial bien entraînée. Les opérations de cette unité ne sont pas visées par la politique de secret qui semble s'appliquer à la FOI2 au Canada. À mon avis, les propos de Virgile à cet égard sont particulièrement appropriés, puisqu'il a dit que le secret engendre le vice. En l'occurrence, il s'agit peut-être de cela justement.
Si le gouvernement décide d'élargie la FOI2, il va falloir qu'il surveille de plus près son budget. Il en va de même pour ses opérations. Ça, c'est tout à fait essentiel, et il faudra absolument en tenir compte dans toute démarche.
• 1600
S'agissant de la création d'un ministère de collecte du
renseignement—vous savez, le renseignement, c'est quelque chose
d'assez particulier. Les données ne peuvent être considérées comme
du renseignement, par exemple, les données comme l'indique leur nom
sont des données—rien de plus. Elles ne font l'objet d'aucune
évaluation. Dans le domaine du renseignement, l'évaluation découle
de l'analyse de données tirées d'une gamme de sources différentes
qui sont transformées ensuite en produits de renseignement qui
puissent être transmis aux autorités appropriées pour les aider à
prendre des décisions éclairées. En l'absence d'une capacité
centralisée et spécialisée permanente de traitement et d'analyse du
renseignement au gouvernement canadien, toutes sortes de groupes
différents continueront à faire la collecte de renseignements pour
leurs propres besoins, et aussi regrettable soit-elle, c'est une
réaction bien humaine de vouloir protéger votre propre groupe ou
votre propre client, si vous voulez. Le climat qui en résulte
milite contre l'échange de données.
Un bon exemple de cet état de choses serait Immigration Canada et son accès aux bases de données de la GRC ou du SCRS. En vue de préparer mon exposé de cet après-midi, j'ai demandé à des représentants d'Immigration Canada à plusieurs reprises de me décrire les protocoles de communication de renseignements que leur ministère a signés avec le SCRS. La seule réponse que j'ai pu avoir, c'est que les renseignements sont échangés à tous les niveaux. J'ai demandé s'il existe un comité ayant un droit de regard sur le processus de communication des renseignements, et on m'a simplement répondu que les renseignements sont échangés à tous les niveaux. Cela dénote une certaine réticence à fournir des détails, et je me demande si l'absence d'ententes officielles dans ce domaine n'est pas à l'origine de cette réticence.
Je devrais peut-être dire, tout d'abord, que la façon dont le Canada organise ses services de collecte du renseignement et ses capacités dans ce domaine découle directement de ce qu'est le Canada. La Canada est une démocratie laïque où les droits de la personne et les libertés individuelles sont prisés par-dessus toute autre chose. C'est pour cela que le gouvernement est devenu ce qu'il est. Malheureusement, il convient à présent d'opérer certains changements pour faciliter davantage la protection de la population canadienne.
Ainsi il conviendrait peut-être, dans un premier temps, de chercher à améliorer l'échange de données entre tous les groupes chargés de faire la collecte et l'analyse du renseignement. Je crois savoir que certains projets pilotes sont actuellement en cours en vue de renforcer la capacité de communication réciproque entre tous les différents services et je recommanderais que cette initiative soit financée et élargie le plus rapidement possible. Il m'est plus facile d'appeler quelqu'un à Immigration Canada et d'appeler ensuite un autre au SCRS que ça ne l'est pour un agent d'Immigration Canada de communiquer avec le SCRS, et ce à cause de l'absence de voies de communication protégées. Il faut par conséquent solutionner ce problème dans les plus brefs délais.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Forster.
Merci, monsieur Bachand.
Monsieur Wilfert, vous avez sept minutes.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président.
Par votre entremise, monsieur le président, je voudrais tout d'abord demander au témoin, concernant la question du renseignement, s'il a eu l'occasion d'examiner le projet de loi C-36 et de se faire une idée des conséquences de ce dernier pour la Loi sur la défense nationale?
M. Anthony Forster: J'ai commencé à l'examiner. C'est un document assez volumineux, mais je suis en train de l'étudier.
M. Bryon Wilfert: À mon avis, cette mesure répond à certaines préoccupations que vous avez exprimées tout à l'heure concernant les mesures qui sont prises par le gouvernement en matière de renseignement et concernant la sécurité en général. Je vous recommande de l'examiner, parce que comme nous avons maintenant cette mesure, il me semble bien important de...
L'une des possibilités que nous devons envisager est la création d'un service distinct de renseignement étranger. J'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez et si, à votre avis, un tel service devrait être tout à fait autonome ou relever du SCRS ou du MDN.
Concernant la nature de la guerre, vous avez dit tout à l'heure—ça, c'est mon avis, mais je ne voudrais pas présenter de façon inexacte les propos du témoin, monsieur le président—que d'une part, nous continuerons d'avoir besoin de chars d'assaut et d'autres armes lourdes, mais que d'autre part, les petits engagements «nécessitant quelques tireurs à la carabine et camionnettes Toyota» deviennent de plus en plus fréquents. Ma question est donc celle-ci: Le Canada peut-il se permettre de tout faire?
Faut-il réexaminer le Livre blanc de 1994, comme vous le disiez tout à l'heure? Ce livre blanc a été élaboré quelques années après la fin de la guerre froide. Est-il raisonnable de penser que nous devrions envisager de confier un rôle plus spécialisé à nos forces armées, plutôt que d'essayer de tout faire, comme l'a fait l'Australie, par exemple?
M. Anthony Forster: Il y a deux ans, quand j'ai comparu la dernière fois devant le comité, j'ai dit que le Canada avait un choix à faire, et c'était à peu près le choix que vous venez de décrire: ou vous essayez de maintenir une force homogène capable d'être déployée dans le théâtre d'opérations et de mener des opérations de combat contre un autre État nation dans le cadre d'un conflit de grande intensité, ou alors vous vous réorganisez pour créer une force d'infanterie légère capable d'être déployée rapidement dans la zone de conflit et de remplir plusieurs rôles différents.
Sur le plan budgétaire, le Canada peut-il tout faire? Eh bien, disons que pour l'instant, cela ne semble pas être le cas. Est-ce que j'estime que nous devrions être en mesure de tout faire? Oui, absolument. Mais quant à savoir si notre capacité budgétaire est suffisante, ça c'est une toute autre question.
L'élément plus important, me semble-t-il, concerne le fait de savoir si le gouvernement du Canada désire, dans l'environnement actuel, financer les changements substantiels qui s'imposeront que l'on opte pour l'un ou l'autre de ces deux scénarios. Si nous voulons disposer d'une capacité de guerre totale—c'est-à-dire de mener des opérations de faible intensité de maintien de la paix ou encore de maintien de l'ordre ou de mener un combat total contre un autre pays—il faudra s'attaquer sérieusement au projet de renforcement des capacités des Forces canadiennes. Si le Canada opte pour une force d'infanterie légère capable de rentrer et de sortir rapidement d'une zone d'opérations, encore une fois, il faudra des fonds de démarrage assez importants. Ce genre de décision devra donc nécessairement être prise par les décideurs du plus haut niveau.
J'estime, personnellement, que le Canada devrait essayer d'être préparé pour toute la gamme des conflits possibles. Mais si vous devez tenir compte de considérations budgétaires, je recommanderais, comme deuxième solution, d'opter pour une force d'infanterie légère bien entraînée et dotée de capacités de haut niveau.
En ce qui concerne la collecte du renseignement, vous m'avez demandé s'il convient de créer un ministère distinct ou si ce genre de service devrait relever d'un des autres organes de collecte du renseignement. À mon avis, il devrait s'agir d'un service distinct. Je pense que si vous essayiez de faire relever ce service d'une autre entité de collecte du renseignement au sein du gouvernement canadien, vous l'entacheriez aussitôt de suspicion en y affectant des personnes qui ont peut-être encore tendance à vouloir protéger les intérêts de leur ministère d'attache. Il faut absolument éviter ce genre de chose.
L'analyse et la synthèse du renseignement, c'est-à-dire la création de produits de renseignement, doivent absolument être exemptes de l'esprit de clan et de réaction émotive. Préparer des évaluations de menace potentielle doit toujours être un exercice purement intellectuel. Cela suppose la création d'un ministère distinct.
M. Bryon Wilfert: Dans le même ordre d'idées, monsieur le président, encore une fois par votre entremise, je voudrais demander à M. Forster s'il peut me dire quels éléments devrait caractériser un service distinct de renseignement étranger? Quelles capacités précises lui faudrait-il, encore une fois sans avoir à tout faire pour tout le monde? De quelles capacités précises devrait-il être doté dans l'intérêt national?
M. Anthony Forster: À mon avis, les relations entre le gouvernement canadien et ses partenaires, et notamment les États-Unis, sont très efficaces pour ce qui est du renseignement sur les transmissions. D'ailleurs, l'efficacité du gouvernement américain au niveau de la collecte du renseignement sur les transmissions, est bien connue. Ce dernier est d'ailleurs tellement efficace qu'il n'arrive même plus à analyser ses propres données sur les transmissions en ce moment.
J'estime par conséquent que là où le Canada pourrait prendre un engagement intéressant pour ses partenaires serait du côté du renseignement humain, car le gouvernement canadien, comme je le disais tout à l'heure, suscite moins de controverse lorsqu'il exerce son influence sur la scène internationale. Ainsi il pourrait créer une capacité qui compléterait bien les capacités de collecte de ses partenaires de même que les renseignements de sources ouvertes.
Je ne puis trop insister sur l'importance que revêtent les renseignements de sources ouvertes, de même que la collecte et l'analyse de tels renseignements pour l'ensemble du processus. Le fait est que 90 p. 100 des renseignements viennent de sources ouvertes—c'est-à-dire de journaux étrangers, de communiqués de presse, de documents commerciaux, etc. Voilà donc les deux éléments sur lesquels je voudrais me concentrer si je devais créer une unité de collecte du renseignement.
M. Bryon Wilfert: Si vous me permettez de poser encore une petite question, monsieur le président...
Le président: Il vous reste une minute, monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert: Je ne veux pas abuser de la gentillesse du président, mais encore une fois...
Le président: On abuse sans arrêt de la gentillesse du président.
M. Bryon Wilfert: Parfois à juste titre, même si les députés de ce côté-ci ne font jamais ce genre de chose—ni M. Stoffer non plus.
S'agissant de la création d'un service distinct de renseignement étranger, pourriez-vous nous dire quel devrait être le délai d'exécution? De plus, quels sont les obstacles à la création d'un service distinct, à part l'absence éventuelle de volonté politique?
M. Anthony Forster: L'esprit de clocher, justement. À mon avis, bon nombre des agents chargés du renseignement au Canada voudront protéger leurs actifs et surtout leur ministère. Il faudra donc éliminer cette attitude à tout prix.
• 1610
Par le passé, le Canada a semblé réticent à créer un service
de collecte de renseignement étranger. Personne ne veut donner
l'impression de mettre son nez dans les affaires des autres, pas
plus qu'on ne veut donner l'impression, au nom de la sécurité, de
ne pas respecter la souveraineté d'un autre pays. Mais c'est
absolument nécessaire, voilà tout. Il faut disposer d'une capacité
proactive dans ce domaine pour obtenir un bon produit, un vrai
produit centré sur le renseignement. Pour ce qui est donc du délai
d'exécution, j'imagine qu'il faudra prévoir au moins deux ans avant
qu'un ministère distinct soit vraiment mis sur pied et fonctionnel.
M. Bryon Wilfert: Donc, il ne faut pas perdre de temps.
M. Anthony Forster: Non, absolument pas.
Le président: Merci, monsieur Wilfert.
Merci, monsieur Forster.
Monsieur Stoffer, vous avez sept minutes.
M. Peter Stoffer: Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Forster, pour votre exposé.
J'aimerais vous poser une question personnelle: avez-vous déjà été membre de forces armées?
M. Anthony Forster: Non.
M. Peter Stoffer: Est-ce que vous aimeriez l'être à un moment donné?
M. Anthony Forster: Oui, mais...
Le président: Monsieur Stoffer, ce sont des questions très personnelles.
M. Peter Stoffer: Oui, je sais, mais le témoin me paraît bien sympathique.
Le président: Le témoin se présente devant nous cet après-midi pour nous faire bénéficier de son expertise professionnelle. Je laisse le soin au témoin de décider s'il veut ou non répondre à ces questions. C'est son choix, mais à mon avis, il n'est pas obligé de le faire.
Une voix: Ne lui permettez pas de vous poser les questions directement. Forcez-le à passer par le président. Le président peut l'empêcher de le faire.
M. Peter Stoffer: C'est à lui de décider.
M. Anthony Forster: Je n'ai jamais eu peur de répondre aux questions, et donc je vous dirais que oui, j'ai toujours été tenté de faire partie d'une opération de collecte de renseignements ou, encore mieux, d'analyse du renseignement. En fait, j'ai fini sur Wall Street, où j'ai passé 10 ans à travailler comme recruteur de cadres et à réunir des données sur les opérations bancaires canadiennes, américaines et européennes.
M. Peter Stoffer: Excellent.
Vous avez dit que le Canada devrait se doter d'un ministère ou organisme distinct de collecte de renseignements. Pourriez-vous nous citer des exemples d'autres pays de la taille du Canada qui en ont? Par exemple, l'Australie en a-t-il un? Le Brésil? La Nouvelle-Zélande? L'Allemagne? Est-ce que tous ces pays ont le genre de service autonome dont vous parlez?
M. Anthony Forster: La plupart, oui. En fait, certains ont de multiples organismes qui se chargent de différents aspects du processus de collecte de renseignements étrangers.
L'élément difficile dans tout cela n'est pas tellement le processus de collecte, car le Canada a déjà bien en main certaines activités qui font partie du processus dans son ensemble, comme je le disais tout à l'heure. Le MAECI peut recueillir assembler des renseignements étrangers sur les conditions économiques dans d'autres pays. Le SCRS a une bonne capacité pour ce qui est de fournir des renseignements nationaux liés à la sécurité à un organisme supérieur qui puisse ensuite les transformer en produit utile. Ce qu'il faut—et c'est là que ça devient difficile—c'est créer un organisme qui puisse prendre tous ces renseignements qui viennent de sources disparates et en faire des produits qui sont utiles pour les décideurs.
M. Peter Stoffer: Et à votre avis, seul un organisme autonome aurait les compétences requises pour jouer ce rôle.
M. Anthony Forster: Je ne prétends pas que ce soit la seule solution, simplement que ce soit la meilleure.
M. Peter Stoffer: Très bien.
Vous avez dit tout à l'heure que vous avez moins de mal à obtenir de l'information ou à prendre contact avec un ministère particulier que le SCRS s'il voulait obtenir quelque chose d'un autre organisme. Mais si vous créez un organisme autonome qui jouera son rôle aux côtés d'autres ministères ou organismes, comme le SCRS, la GRC ou le ministère du Solliciteur général, et que vous voulez obtenir de l'information de ces autres organismes, ne pensez-vous pas que ces contacts-là risquent de créer une autre couche de bureaucratie qui viendrait se greffer à cette toile qui se tisse sans arrêt?
M. Anthony Forster: C'est ça le danger, évidemment, et il faudra donc faire des efforts considérables pour éviter que cela se produise.
La diffusion en temps opportun de produit tiré des renseignements est absolument essentielle si vous devez prendre des décisions qui influent sur la sécurité nationale. Les technologies peuvent certainement nous aider à nous acquitter de cette tâche, mais cela nous ramène malheureusement à la question des crédits. Combien d'argent le gouvernement canadien est-il prêt à investir dans une opération de collecte de renseignements étrangers et dans la création d'un ministère de synthèse du renseignement qui facilitera la diffusion rapide et sécuritaire de données?
M. Peter Stoffer: Comme nous le savons tous, le budget actuel des Forces canadiennes est actuellement fixé à 11,2 milliards de dollars. Si je ne m'abuse, vous avez dit qu'il faut à votre avis prévoir plus de ressources pour que le Canada soit plus à même de faire un peu de tout pour tout le monde.
M. Anthony Forster: Oui, ce serait ma préférence.
M. Peter Stoffer: Le Congrès des associations de la Défense (CAD) a fait savoir qu'il souhaite qu'on investisse 1 milliard de dollars de plus par année dans les Forces canadiennes au cours des cinq prochaines années. Que recommandez-vous comme crédits additionnels à affecter au MDN pour lui permettre de donner suite à vos recommandations, par exemple?
M. Anthony Forster: La recommandation du CAD est bonne. En fait, je suis tout à fait d'accord avec ce qu'il recommande. Je suis fermement convaincu que les technologies peuvent constituer un facteur de facilitation et de multiplication des capacités d'un corps de bataille. Pour moi, il est clair que le tandem technologie-entraînement efficace permet de créer un corps de bataille qui, tout en étant de petite taille, est capable de lancer des attaques très violentes contre l'adversaire.
M. Peter Stoffer: À l'heure actuelle, l'effectif se situe entre 53 000 et 58 000 militaires. Cela varie en fonction du jour de la semaine et de son interlocuteur. Dans le Livre blanc, il est question d'un effectif de 60 000 personnes, effectif qui devrait être en place en 1999. À votre avis, quel devrait être l'effectif militaire du MDN, si le gouvernement était disposé à donner suite à vos recommandations?
M. Anthony Forster: D'abord, j'aimerais que l'effectif des Forces canadiennes soit au moins d'un niveau approprié pour leur permettre de s'acquitter des responsabilités qui sont définies dans le Livre blanc. Dans un premier temps, je souhaiterais que l'effectif soit au moins de 65 000 à 70 000 militaires, mais il ne faut pas oublier que si vous souhaitez élargir les capacités des Forces canadiennes, vous ne parlez pas uniquement de l'aspect combat, c'est-à-dire des gens qui vont combattre l'ennemi à l'aide de fusils. Cela suppose également l'accroissement proportionnel des capacités en matière logistique et de collecte de renseignements, ce qui vous amène sans doute à un effectif de 75 000 ou 80 000 militaires.
• 1615
Quand j'ai comparu devant le comité il y a deux ans, j'ai dit
à l'époque qu'il était essentiel de supprimer l'effort de réduction
de l'effectif des Forces canadiennes, et je dirais que c'est tout
aussi essentiel aujourd'hui. Pour ce qui est d'un chiffre idéal,
j'hésite à vous faire une recommandation qu'on pourrait ensuite me
demander de justifier, mais à mon avis, il faudrait prévoir dans un
premier temps un effectif minimum de 75 000 à 80 000.
M. Peter Stoffer: Très bien, voilà donc ma dernière question.
Ma collègue de l'Alliance canadienne vous a fait part tout à l'heure de ses préoccupations à l'égard de Chalk River. Si vous me permettez, monsieur le président, de mettre pendant quelques minutes ma casquette de porte-parole sur les questions environnementales, je saisis l'occasion pour indiquer que nous souhaitons que les installations et centrales nucléaires soient démantelées au Canada, pour que nous cessions d'avoir recours à l'énergie électro-nucléaire. Telle est la position de notre parti de même que ma conviction personnelle, mais je n'ai vraiment pas l'impression que ma collègue de Renfrew—Nipissing—Pembroke sera du même avis. Le fait est que des centaines de millions de deniers publics ont été investis dans la centrale nucléaire de Point Lepreau, au Nouveau-Brunswick, alors qu'on ne sait plus quoi en faire. Voilà pourquoi nous recommandons le démantèlement de ce genre d'installations et l'utilisation d'autres sources d'énergie.
Mais il n'y a pas que les centrales nucléaires qui soient à risque. De nombreuses autres installations au Canada le sont également. Même si nous avions l'effectif militaire de 65 000 ou de 70 000 personnes que vous recommandez, ou même plus, est-il possible que le Canada puisse lui-même protéger toutes ces installations? Par exemple, nous avons des aménagements hydroélectriques, des installations de combustible, le projet énergétique extra-côtier de l'île de Sable, et d'autres installations du même genre. Est-il possible que nous puissions faire cela tout seuls, ou faudra-t-il collaborer avec nos alliés, tels que les États-Unis et la Grande-Bretagne pour assurer cette protection?
M. Anthony Forster: La réponse à votre question est non. Même si vous bénéficiez de ce genre de collaboration, il ne sera pas possible de tout protéger tout le temps. Malheureusement, l'infrastructure est certainement un objectif mais les humains le sont tout autant. Une opération consistant à faire exploser un camion bourré d'engrais et d'explosifs devant le Château Laurier constitue une menace tout aussi importante que celle qui consiste à faire sauter une centrale hydroélectrique. Donc, pour répondre à votre question, malheureusement, il ne nous sera pas possible de faire tout cela seuls.
Ce qu'on peut faire, par contre, c'est essayer de réduire les possibilités d'attaque de l'adversaire. Et la meilleure façon d'y parvenir, c'est d'avoir une branche proactive et dynamique de collecte et de diffusion des renseignements.
M. Peter Stoffer: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Stoffer.
Madame Wayne, vous avez sept minutes.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC/RD): Merci beaucoup.
Monsieur le président, ma question concerne les groupes qui sont actifs au Canada, de même que les terroristes à l'étranger qui pourraient gravement endommager notre infrastructure critique au Canada au moyen de cyberattaques. Étant donné les ressources limitées qui sont disponibles actuellement, vaut-il mieux chercher à améliorer les systèmes qui permettent de protéger les systèmes informatiques contre les cyberattaques, ou à renforcer notre capacité de collecte et d'analyse du renseignement?
M. Anthony Forster: À mon avis, on ne peut pas faire l'un sans l'autre.
Mme Elsie Wayne: Les deux vont de pair.
M. Anthony Forster: Oui, absolument. Les fonds affectés au CST au titre de la technologie—je pense qu'il s'agissait de 47 millions de dollars—constituent un très bon début, mais il ne faut pas simplement faire des investissements à tort et à travers en espérant que le problème se règle lui-même. Il faut définir une démarche d'ensemble, et chaque ministère doit participer à l'effort pour le faire aboutir. Donc, on ne peut pas avoir l'un sans l'autre.
Mme Elsie Wayne: Comme j'habite une ville près de la frontière américaine où se trouvent non seulement une centrale nucléaire mais la plus importante raffinerie de pétrole privée dans tout le Canada, je deviens très inquiète en voyant le genre de choses qui circulent sur Internet. Le SCRS nous a appris qu'il y a environ 350 terroristes au Canada. Ces personnes surveillent de près l'information qui circule sur Internet. Pour moi, il ne fait aucun doute que ces derniers ont joué un rôle dans les événements du 11 septembre à New York et à Washington, et ils sont ici au Canada.
Toutes sortes d'informations peuvent aider les terroristes à planifier leurs attentats. Je me demande par conséquent si nous allons assister à une réduction importante de la quantité d'informations militaires, gouvernementales et autres qui circulent sur Internet. Ou pensez-vous plutôt que les craintes de certains concernant l'information sur Internet qui peut éventuellement aider les terroristes ne sont pas fondées?
M. Anthony Forster: Non, pour moi, ces craintes sont tout à fait fondées.
Mme Elsie Wayne: Oui, je suis tout à fait de votre avis.
M. Anthony Forster: Ma grande priorité, en tant qu'analyste du renseignement, ce sont les renseignements de sources ouvertes. Je les rassemble de deux façons différentes: soit au moyen d'une interview personnelle, soit en allant sur Internet pour rassembler des données. J'ai remarqué que plusieurs sites Web liés au MDN et à l'infrastructure ont déjà été supprimés. À mon avis, il convient de féliciter les autorités d'avoir pris cette mesure.
• 1620
En fin de compte, l'utilisation des technologies par les
organismes terroristes est une épée à double tranchant. Plus ils
s'en servent, plus ils risquent d'être repérés par les États-Unis
et leurs alliés grâce à leur capacité de collecte de renseignements
sur les transmissions. Voilà pourquoi ils peuvent se contenter de
moyens rudimentaires et de moyens technologiques plus avancés.
Vous parlez d'organismes comme al-Qaïda, par exemple, qui fournit une doctrine, une orientation stratégique et un soutien logistique limité depuis le sommet de la pyramide, mais qui permet à ses agents de s'organiser plus ou moins comme ils veulent. Cela a pour effet de limiter les données qui sont transmises de par et d'autre sur Internet, sur les lignes téléphoniques, etc.
Mme Elsie Wayne: Ce sera ma dernière question, monsieur le président.
Le président: Madame Wayne, il vous reste encore cinq minutes.
Mme Elsie Wayne: Ah, bon. Très bien. Tant mieux, puisque M. Forster aura peut-être besoin de cinq minutes pour répondre à la question que je vais lui poser maintenant.
Étant donné ce qui est arrivé le 11 septembre, nous savons tous maintenant que nous avions été un peu trop laxistes sur le plan de la sécurité. Ce n'était pas une grande priorité pour nous, pas plus que la collecte du renseignement. Il en va sans doute de même pour les États-Unis, même s'ils étaient pas mal plus avancés que nous. Mais que peut-on faire maintenant? Nous avons le problème des attentats au virus de l'anthrax. Tous les jours, il y a du nouveau, monsieur le président, et ça nous inquiète.
Pourquoi nous n'avons rien fait avant? Pourquoi tout d'un coup on se rend compte qu'il faut prendre toutes sortes de mesures? Nous sommes tous préoccupés par la situation actuelle—les députés ministériels et les députés de l'opposition—des deux côtés de la Chambre, autrement dit. L'Armée est préoccupée. Le SCRS est préoccupé. Tout le monde est préoccupé. Où étions-nous, monsieur Forster?
M. Anthony Forster: C'est la question que je me pose tous les jours depuis que j'ai vu l'effondrement des deux tours.
Mme Elsie Wayne: Exactement.
M. Anthony Forster: J'ai passé beaucoup de temps à New York, puisque je travaillais sur Wall Street. Mon bureau se trouvait à un pâté de maisons de ces bâtiments-là.
Mme Elsie Wayne: Ah, oui?
M. Anthony Forster: Oui.
Malheureusement...non, je ne devrais pas dire «malheureusement». Au fond, notre vulnérabilité est quelque chose d'admirable. Le Canada n'est pas un État policier; nous ne cherchons pas à réprimer la dissidence. Nous sommes un État qui surveille en permanence toutes les formes de communications. Pour moi, notre vulnérabilité est digne de louanges, et nous devrions en fait en être fiers. Mais pour citer le général romain Quintus Sertorius: «Mutatis mutandis». Cela veut dire: «Il faut faire les changements qui s'imposent». Donc, au lieu de continuer à me poser cette question, je me demande plutôt ce qu'on peut faire maintenant. Voilà l'approche qu'il faut adopter face à cette problématique.
Vous aurez remarqué que les États-Unis n'ont pas automatiquement limogé le directeur de la CIA, George Tenet. Pourquoi? Parce que c'est un homme compétent. S'il y a eu un manquement, c'est un manquement qui est dû au fait que les États-Unis, et notamment la communauté de collecte du renseignement, sont peu enclins à courir des risques. Ils ne veulent pas qu'on les attrape à conclure des marchés avec des agents d'infiltration non officiels et douteux qui auraient peut-être un mauvais bilan en matière de respect des droits de la personne. Voilà donc quelque chose qu'il faudra peut-être réexaminer.
Les États-Unis ont toujours accordé une très grande importance aux renseignements sur les transmissions. Par conséquent, ils en avaient tellement qu'ils n'étaient plus en mesure de repérer les indices importants. Vous m'avez demandé tout à l'heure où nous étions pendant que tout cela se préparait. Eh bien, nous faisions de la surveillance et nous avons effectivement repéré des choses qui nous semblaient inquiétantes, mais le volume des données qu'on recevait était tellement important et les menaces différentes que semblaient déceler ces derniers étaient si nombreuses que nous n'avons pas repéré les éléments essentiels. Il est possible de régler ce problème, mais cela demandera du temps.
Mme Elsie Wayne: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, madame Wayne.
Madame Gallant.
Mme Cheryl Gallant: Merci, monsieur le président.
Je voudrais tout d'abord remercier M. Forster d'avoir confirmé qu'il faudra plusieurs années pour faire passer l'effectif de la FOI2 à 1 200, comparativement à plusieurs mois pour ressusciter le Régiment aéroporté du Canada.
Monsieur Forster, vous avez dit que le SAS, soit le Service spécial de Grande-Bretagne, ne fait pas l'objet d'une politique de secret aussi rigoureuse que la FOI2. Ce que je crains, c'est que nous appliquions cette politique du secret à la FOI2—de façon encore plus rigoureuse qu'avant—pour dissimuler des lacunes de nos forces armées et notre manque de capacité. J'aimerais savoir si vous êtes d'accord pour reconnaître que si l'on ne considère pas en Grande-Bretagne que les opérations du SAS doivent être secrètes, contrairement à celles de la FOI2, c'est parce que le SAS a un mandat différent et même des activités différentes, par rapport à la FOI2?
M. Anthony Forster: En réalité, le mandat du SAS exigerait à mon avis que ses opérations soient plus secrètes, plutôt que l'inverse. Le mandat du SAS lui permet de mener des opérations outre-mer selon le rôle que le gouvernement britannique veut bien lui confier, que ce soit la collecte du renseignement, de sauvetage en cas de prise d'otages ou d'autres fonctions que devrait pouvoir remplir une force spéciale.
• 1625
Je ne peux pas commenter les raisons qui auraient pu motiver
ceux qui favorisent le secret à adopter une telle politique à
l'égard de la FOI2. Par contre, j'estime que le programme
d'entraînement ou le mandat d'un groupe d'opérations spécial
devrait être connu du public. Il devrait même faire l'objet d'un
débat et être un sujet d'examen pour des comités comme celui-ci,
notamment en ce qui concerne ces opérations, car sinon il y a
toujours le risque d'opérations non autorisées et indésirables, et
c'est justement ce qu'on veut éviter. Mais je ne peux certainement
pas commenter le raisonnement de ceux qui prétendent que tout ce
qui concerne la FOI2 doit rester secret.
Mme Cheryl Gallant: À votre avis, le SAS et la FOI2 sont-ils à peu près équivalents?
M. Anthony Forster: Il faut voir les forces spéciales de la façon suivante. Il existe en réalité deux types de forces spéciales—là je vais évoquer l'analogie du coureur de fond. Les membres du SAS sont des coureurs de fond. Ils peuvent partir dans le désert en moto, munis d'une poignée de riz seulement, et y rester pendant plusieurs semaines. Il s'agit d'une force proactive à qui l'on donne une grande marge de manoeuvre pour ce qui est de ces opérations. Par contre, la FOI2 semble être—et je dis bien «semble être»—une force davantage réactive qui a pour mandat de monter des opérations de sauvetage lors de prise d'otages au Canada, de protéger les PDM, etc. C'est le jour et la nuit. On ne peut vraiment pas comparer les activités de ces deux groupes. Mais si vous me demandez si nous devrions avoir accès à une unité qui aurait davantage les capacités du SAS, la réponse est oui; absolument.
Mme Cheryl Gallant: Est-ce qu'il me reste du temps?
Le président: Il vous reste deux minutes et demie.
Mme Cheryl Gallant: Je voudrais changer un petit peu de sujet pour vous parler de l'autre dossier favori du gouvernement. Le Canada n'a pas le genre d'hélicoptères d'attaque et de transport lourd qu'on associe normalement à une force légère de déploiement rapide. À votre avis, les Forces canadiennes devraient-elles donner la priorité à l'acquisition d'hélicoptères de ce genre?
M. Anthony Forster: Voilà ce que j'ai dit il y a deux ans, et je vais le répéter maintenant: oui, absolument. À mon avis, l'acquisition d'hélicoptères d'attaque aurait un effet multiplicateur de la force très important. Je voudrais que la capacité d'appui aérien rapproché de l'Armée de l'air soit renforcée, soit en élargissant la capacité des CF-18 d'atteindre des objectifs terrestres, soit en achetant aux États-Unis des cellules mises à la réforme. L'A-10 Warthog est un véhicule d'appui aérien rapproché très performant. Comme ces véhicules sont assez vieux, les États-Unis envisagent de les éliminer progressivement, et il serait donc assez facile d'en acquérir.
Mme Cheryl Gallant: Et pour parler de votre dossier favori, existe-t-il un autre pays membre du G-8 qui n'ait pas de service de renseignement national?
M. Anthony Forster: Pas que je sache.
Mme Cheryl Gallant: Et que risquons-nous de perdre si nous ne nous dotons pas de cette capacité?
M. Anthony Forster: Je préfère ne pas voir la chose en termes de gain ou de perte. À mon avis, le Canada peut élargir ses capacités s'il met sur pied un organe autonome et distinct de renseignement étranger; j'insiste sur le fait que la capacité décisionnelle du gouvernement s'en trouvera grandement améliorée, notamment en temps de crise. Mais ce qui me semble encore plus important, c'est la capacité de faire des analyses stratégiques non seulement à court terme, mais à long terme. Une bonne partie de ce que je lis dans les rapports du CSARS laisse supposer que la capacité canadienne de collecte de renseignements est un peu comme celle de la FOI2, c'est-à-dire davantage réactive et axée sur le court terme. Donc, il est souhaitable que le gouvernement canadien mette beaucoup plus l'accent sur les évaluations du renseignement à long terme.
Le président: Merci, madame Gallant.
Monsieur Price.
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Forster, je ne sais pas par quoi je devrais commencer. J'ai toutes sortes de questions à vous poser, mais je voudrais d'abord revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure, c'est-à-dire l'idée que nos forces armées soient capables de tout faire ou soient limitées à un certain type d'opérations. Je pense qu'il y a une troisième possibilité. Bon nombre de nos partenaires de l'OTAN—et c'est ce mot «partenaires» qui est le mot clé—font collaborer de plus en plus les armées de leurs pays respectifs. Par exemple, l'armée de tel pays va assumer tel rôle, et de façon générale, ces pays font des échanges. Je citerais l'exemple des Hollandais qui vont se charger des opérations de ravitaillement en vol pour les Allemands, alors que les Allemands vont se charger des ponts aériens. De plus, les pays maritimes dotés de navires lance-missiles font bénéficier les autres de cette capacité et établissement essentiellement un périmètre autour de l'Europe. Il y a de nombreux autres exemples que je pourrais vous citer. Tout le monde commence à se spécialiser. Cela ne veut pas dire qu'ils vont tout faire dans ce domaine, mais ils vont travailler en partenariat avec un autre pays pour accomplir un certain travail. À votre avis, s'agirait-il d'une possibilité intéressante pour le Canada?
M. Anthony Forster: Oui, tout à fait. Tout est possible, en fin de compte.
Je disais tout à l'heure que ma préférence serait que le Canada se dote d'un effectif militaire suffisamment important et performant pour faire tout ce que doit pouvoir faire une force de combat dont le mandat reflète la volonté nationale et la volonté du gouvernement de la soutenir et de la déployer en temps de crise. Faute de cela, une force d'infanterie légère spécialisée ayant une puissance de feu ponctuel importante et pouvant être déployée rapidement serait la meilleure solution.
L'interopérabilité est évidemment une préoccupation importante. L'interopérabilité avec nos alliés est tout à fait essentielle.
M. David Price: Mais dans votre deuxième scénario, vous parlez d'une force qui mènerait des opérations éclairs en quelque sorte. D'après ce que nous avons vu jusqu'ici, ce n'est pas vraiment possible. Ça ne va pas se réaliser. Et le Canada doit aussi penser à sa réputation. Ce n'est pas tellement notre style. Quand nous décidons d'intervenir, nous préférons rester sur place pour nous assurer que tout le nettoyage nécessaire sera fait. Donc, à mon avis, ce scénario n'est pas réaliste. Mais je vais passer à autre chose.
Parlons du problème de la collecte de renseignement, qui correspond tout à fait à votre spécialisation. S'agissant de transactions bancaires sur Wall Street, je suis convaincu que vous avez dû rassembler pas mal de renseignements dans ce domaine. Vous n'avez pas défini la différence entre les deux, mais vous avez dit que les données et le renseignement sont deux choses bien différentes. Peut-être pourriez-vous m'expliquer ce concept.
Le problème principal, en ce qui me concerne, est directement rattaché à collecte de renseignements. Pour recueillir des données, il n'y a pas de problème, mais comme vous le disiez tout à l'heure, les opérations de collecte et de synthèse atteignent un certain niveau mais ne débouchent pas sur quelque chose de concret. Très souvent, on se retrouve face à une masse d'information où il manque plusieurs éléments essentiels. La plupart des éléments sont analysés, ce qui se trouve en haut de la pile a tendance à être examiné, mais les autres éléments sont parfois négligés et restent donc fragmentaires.
Vous avez dit vous-même qu'il nous faut un système d'échange officiel—non seulement à l'échelle nationale mais à l'échelle internationale. Nous devons assurer un bon échange d'information au Canada mais aussi communiquer l'information que nous détenons à nos amis américains, par exemple. Je sais qu'il est important que nous gardions certaines informations pour nous. Peut-être que les autorités canadiennes hésitent à communiquer de l'information, comme vous le disiez, parce qu'elles veulent être celles qui élucident l'affaire. C'est malheureux, mais c'est monnaie courante. Comment donc éliminer cette attitude?
M. Anthony Forster: J'hésite à vous dire cela, mais une mesure importante à prendre consisterait à donner plus de pouvoirs au CSARS. Ses évaluations des capacités du SCRS sont assez raisonnables, mais malheureusement, le Comité ne peut pas forcer ce dernier à donner suite à ses recommandations.
Les activités de collecte de renseignements doivent être décidées aux échelons supérieurs. Il doit s'agir d'une démarche coopérative entre le service de collecte et de synthèse du renseignement et le gouvernement au pouvoir. Le renseignement doit vraiment être prisé par le gouvernement canadien si l'on souhaite faciliter l'établissement d'un service de collecte de renseignements étrangers et intensifier les activités actuelles d'échange de renseignements.
Vous m'avez demandé la différence entre les données et le renseignement, et la réponse est directement liée à votre deuxième question. Pour moi, le renseignement ressemble un peu à un gâteau. Les données sont de simples ingrédients, comme la farine, les oeufs, le lait. Faire la synthèse de ces données pour en arriver à un produit qui soit utile à court terme ou à long terme, c'est le travail des analystes—le genre de travail que ferait potentiellement un organe de collecte de renseignements étrangers.
Ce qui est important, c'est de créer un climat dans lequel les gens acceptent volontiers qu'on leur prenne leurs actifs. En même temps, vos capacités doivent être suffisamment larges pour vous permettre de capter toutes les sources de données différentes et d'en arriver à un bon produit.
J'espère que ma réponse était suffisamment claire.
M. David Price: Mais qu'en est-il du renseignement et des différences par rapport à cela?
Me donnez-vous une seconde de plus pour que j'obtienne ce petit éclaircissement?
Le président: Oui, très rapidement, monsieur Price—et votre réponse, monsieur Forster, devra être tout aussi rapide.
M. David Price: Vous dites donc qu'à partir des données recueillies vous créez ce qu'on peut appeler le renseignement?
M. Anthony Forster: C'est exact.
M. David Price: Très bien. Merci.
Le président: Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: Monsieur Forster, l'Armée canadienne obtient une bonne partie de ses renseignements aux États-Unis et de l'OTAN. Le Canada risque-t-il de trop dépendre de ces sources de renseignements, alors que bon nombre des opérations de maintien de la paix auxquelles participent les soldats canadiens se déroulent en dehors de la zone euro-atlantique?
M. Anthony Forster: Oui, absolument.
L'échange de renseignements suppose forcément une réciprocité. De par son importance, les États-Unis sont à l'origine de beaucoup plus de renseignements que le Canada pourra jamais espérer générer. Pour cette raison, les services de renseignement occidentaux situés en dehors du Canada auront tendance à filtrer ce qu'ils envoient au Canada. Ils se demanderont à quelles fins nous allons l'utiliser et si les données qu'ils nous communiquent seront vraiment protégées. C'est comme ça que ça marche. Donc, j'espère que vous ne m'en voudrez pas si je vous dis que cela est vrai jusqu'à un certain point.
Mme Elsie Wayne: Je crois savoir que vous étiez chargé de veille concurrentielle dans le secteur bancaire. J'aimerais donc savoir si notre armée a recours à des techniques aussi sophistiquées que les banques en ce qui concerne le suivi de renseignement concurrentiel?
M. Anthony Forster: Les banques ont recours aux services de dizaines d'analystes qui sont bien rémunérés et dont les opinions sont très respectées. Malheureusement, on ne peut pas en dire autant du personnel des Forces canadiennes. D'après les documents que j'ai lus concernant la capacité d'analyse de l'Armée canadienne, il a actuellement une pénurie d'analystes. En tout cas au SCRS, les possibilités d'avancement professionnel des analystes semblent susciter certaines questions, et il faut donc s'attaquer à ce problème également.
Je voudrais me reporter à mes notes pendant deux secondes, car je crois savoir qu'une étude du renseignement militaire est actuellement en cours. Le chef des Services d'examen procède actuellement à l'évaluation de la capacité de collecte de renseignements des Forces canadiennes, notamment en raison d'un document de planification élaboré par le ministère de la Défense nationale qui fait état de «produits du renseignement peu faibles et non corroborés, et d'une pénurie importante d'attachés militaires pour recueillir des renseignements».
Voilà un problème qu'il faut absolument solutionner.
Mme Elsie Wayne: Immédiatement.
M. Anthony Forster: Oui, immédiatement.
Mme Elsie Wayne: Oui, c'est une situation très grave qui...
M. Anthony Forster: Je vous recommande vivement d'obtenir une copie du rapport du chef du Service d'examen dès qu'il sortira.
Mme Elsie Wayne: Très bien. Merci.
Merci beaucoup, monsieur le président.
Le président: Monsieur O'Reilly, vous avez la parole.
M. John O'Reilly (Haliburton—Victoria—Brock, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci encore une fois de votre présence, monsieur Forster. Si je ne m'abuse, nous nous sommes réunis en avril 1999, et la personne qui vous accompagnait vendait des hélicoptères ou quelque chose comme ça. À deux, vous deviez souhaiter avoir deux fois plus d'impact.
De temps en temps, j'écoute les questions posées par les membres de l'opposition et les déclarations faites par des gens comme vous, et tout ce que je peux vous dire en fin de compte, c'est qu'il faut à présent changer complètement notre vision des choses. Le 11 septembre a tout changé—notre façon de réfléchir, notre façon de planifier, notre façon d'agir; aussi je vous recommande de lire le projet de loi C-36, et notamment les dispositions qui concernent la Loi sur la défense nationale. Cette mesure législative apporte au ministère de la Défense nationale de nouvelles capacités qui seront à mon avis bien utiles.
Le projet de loi est encore devant le comité, et il est possible qu'on y apporte certains changements. D'autres mesures seront peut-être prises également, mais il reste que le gouvernement reconnaît la nécessité de renforcer et de codifier le rôle du Centre de la sécurité des télécommunications au sein du MDN. Ainsi certaines modifications sont apportées à la Loi sur la défense nationale à cette fin. Comme ce projet de loi est encore à l'étude, nous devrons attendre de voir s'il sera modifié et si les modifications que l'on propose d'apporter à la Loi sur la défense nationale... Ayant lu le texte du projet de loi, j'ai l'impression qu'il permettra au gouvernement de régler plus facilement les problèmes de sécurité—qui sont graves, à mon avis—que vous avez mentionnés.
C'est l'arrivée des terroristes et l'effondrement des deux tours qui ont tout changé. Jusqu'à ce moment-là, les activités du ministère de la Défense avaient été appropriées, vu nos besoins. Évidemment, tous ne seront peut-être pas de cet avis, car du moment qu'il est question de renseignement, les initiés préfèrent que les non-initiés en sachent le moins possible, pour des raisons évidentes.
Je suis à la fois un peu d'accord et un peu en désaccord avec ce que vous dites au sujet de la création d'un organisme autonome. À mon avis, cette activité doit relever d'un ministère ayant la capacité d'agir, à savoir le ministère de la Défense nationale. Mais je ne suis peut-être pas tout à fait objectif, étant donné que j'ai passé beaucoup de temps à examiner la question.
• 1640
Les gens parlent beaucoup du fait que le budget a été réduit.
Mais le fait est que notre budget de défense ne sera jamais
l'équivalent du budget américain. Le budget américain est passé de
291,2 milliards à 343 milliards de dollars. Il s'agit d'une
augmentation de 52 milliards de dollars. Notre budget est de 11,9
milliards de dollars, mais selon les interlocuteurs et
l'affectation des fonds, il pourrait être de seulement 11,4
milliards de dollars. Il reste qu'aucun autre ministère ou
organisme à Ottawa ne dispose d'un budget aussi important que cela.
C'est aussi le ministère de la Défense nationale qui compte le plus grand nombre de fonctionnaires. Par rapport à la capacité totale, nous sommes déjà à 98 p. 100. En fait, nous recrutons actuellement plus de personnel que le nombre réellement requis. Je vous fais remarquer que l'objectif fixé pour la force régulière cette année financière était de 7 000, et cet objectif est déjà atteint de 85 p. 100 alors que la campagne se déroule depuis six mois seulement. Donc sur ce plan-là, nous nous débrouillons assez bien. Nous espérions recruter 3 000 réservistes de plus, alors que nous avons déjà 4 000 nouvelles recrues. Donc, par rapport au scénario pessimiste de certains, voilà une bonne nouvelle qu'il convient de vous signaler.
J'ai également voulu vérifier le nombre de pilotes qui font déjà partie de l'effectif, le nombre qui sont en formation, etc. Comme nous avons trop de pilotes par rapport à nos besoins, certains d'entre eux exécutent actuellement d'autres tâches. Évidemment, nous pourrions les mettre en service très rapidement s'il le fallait.
Je ne vous inclus pas dans ce groupe, mais il semble important de faire la distinction entre les personnes ou organismes qui font du lobbying en vue de vendre du matériel militaire, et ceux qui veulent vraiment apporter une contribution utile à la discussion. Donc, je suis bien content d'avoir pu aujourd'hui connaître vos vues sur la question.
Si on tient compte du fait que la Turquie dépense 7,7 milliards de dollars, et la Grèce, 3,3 milliards de dollars, il me semble qu'un budget de 11,9 milliards de dollars pour un pays de la taille du Canada n'est pas si mal. Et un budget de cette importance devient également une cible pour tous les autres ministères fédéraux, si bien...
Le président: Monsieur O'Reilly, il faut laisser le temps au témoin de répondre.
M. John O'Reilly: Très bien. J'aimerais qu'il me dise alors s'il reconnaît que nous avons renforcé certaines activités par le biais du projet de loi C-36, qui est actuellement devant la Chambre. À mon avis...
Je n'ai pas l'habitude de faire des déclarations, donc je vais vous donner l'occasion de répondre.
Il faut absolument corriger certaines des impressions qui sont données, monsieur le président. Comme vous ne réagissez pas, je suis bien obligé...
Des voix: Oh, oh.
Le président: Monsieur O'Reilly, sans vouloir vous contredire, ce n'est pas à moi de réagir à ces choses-là.
Monsieur Forster, nous vous donnerons quelques minutes pour répondre, étant donné le nombre de points qu'a soulevés M. O'Reilly dans sa question.
M. Anthony Forster: Oui; je ne sais même pas par quoi je devrais commencer.
M. John O'Reilly: C'est parfait. C'était la même chose pour moi.
M. Anthony Forster: Parlons de votre affirmation tout à l'heure, selon laquelle nos activités étaient «appropriées, vu nos besoins». À mon avis, cette description n'est pas tout à fait adéquate pour caractériser les dépenses militaires engagées par le gouvernement canadien. Pour moi, ce niveau de dépense était plutôt lié au fait que la population canadienne avait donné au gouvernement le mandat d'améliorer la situation économique, de fournir des services sociaux, et de faire toutes les choses qui ont justement fait la réputation du Canada. Ces dépenses étaient-elles suffisantes ou appropriées, vu l'évolution rapide de la situation mondiale après l'effondrement de l'Union soviétique? Je serais réticent à dire qu'elles l'étaient.
Vous devez vous rappeler que je ne représente aucun groupe industriel et que je n'ai donc pas d'optique particulière privilégiée. Mon analyse repose donc simplement sur mon désir d'améliorer la capacité des Forces canadiennes de participer à la guerre selon le rôle que le gouvernement canadien voudra bien leur confier. Est-ce que j'estime que le gouvernement canadien a accordé aux Forces canadiennes un budget suffisant pour lui permettre d'atteindre les objectifs stratégiques qu'il leur a fixés? Eh bien, non. À mon avis, il aurait été possible de faire davantage. En même temps, je sais que le gouvernement canadien a établi ses priorités, et a ensuite agi en fonction de ces priorités. À mon avis, on ne peut que le féliciter d'une telle ligne de conduite.
M. John O'Reilly: Donc, vous êtes d'accord pour dire que 3 milliards de dollars dans le contexte de trois budgets, ce n'est pas si mal pour un gouvernement qui réduisait ses dépenses.
M. Anthony Forster: C'est vrai, mais je suis néanmoins convaincu qu'il aurait été possible de faire beaucoup plus.
M. John O'Reilly: Oui, c'est jamais assez. J'en suis conscient, et je vous encourage donc à continuer à faire pression pour que les budgets soient augmentés.
Le président: Merci, monsieur O'Reilly et monsieur Forster.
Madame Gallant.
Mme Cheryl Gallant: À votre avis, une force d'opérations spéciales très performante a-t-elle absolument besoin d'un service du renseignement?
M. Anthony Forster: Pour moi, il serait impossible de créer une force d'opérations spéciales en l'absence d'une bonne capacité de collecte de renseignements.
Mme Cheryl Gallant: Très bien.
Des forces d'intervention rapide d'élite, telles que les Marines hollandais, les U.S. Army Rangers, les parachutistes britanniques, et le Régiment royal des Fusiliers marins, sont assujetties à des normes d'entraînement très rigoureuses. Si le Canada devait créer une force de ce genre, faudrait-il réexaminer notre approche d'entraînement et relever considérablement nos exigences?
M. Anthony Forster: Étant donné le peu d'information disponible sur le programme d'entraînement de la FOI2, j'hésite à vous répondre par l'affirmative, mais je ne peux pas vraiment vous répondre autrement.
Mais ce qui serait encore plus important, ce serait de créer une capacité interne de collecte du renseignement en vue de soutenir spécifiquement cette unité d'opérations spéciales. On parle ici de spécialistes du renseignement qui auraient des budgets adéquats et bénéficieraient du soutien de l'ensemble des ministères et organismes concernés, et qui pourraient accéder à une gamme de produits différents mis à leur disposition par les différents... Même si vous ne créez pas une unité de collecte de renseignement étranger, vous devez absolument avoir la capacité de recueillir les renseignements qui sont nécessaires pour assurer le succès des missions confiées à une force d'opérations spéciales.
Mme Cheryl Gallant: S'agissant de surveillance, à votre avis, cette responsabilité relève-t-elle du ministre ou du Parlement? Vous avez dit tout à l'heure que ce rôle devrait peut-être être confié au Parlement. Quelle serait donc la structure de responsabilisation?
M. Anthony Forster: À l'égard d'une force d'opérations spéciales ou à l'égard du renseignement?
Mme Cheryl Gallant: Du renseignement.
M. Anthony Forster: Je dirais que la responsabilité dans ce domaine doit relever du ministre. Je ne voudrais pas que la fonction de surveillance relève de n'importe quel groupe chargé actuellement de recueillir des renseignements pour le gouvernement canadien. À mon avis, cette fonction doit relever d'une autorité autonome qui détient de vrais pouvoirs.
Mme Cheryl Gallant: Êtes-vous au courant d'éléments de notre politique étrangère actuelle qui définiraient le cadre dans lequel une force de ce genre pourrait remplir son mandat, ou est-ce que ce travail aussi reste à faire?
M. Anthony Forster: Pour moi, la décision touchant le recours ou non à une force d'opérations spéciales devra être prise aux échelons supérieurs de la hiérarchie. Si vous lisez bon nombre des rapports qui sortent du Centre des leçons retenues de l'Armée canadienne, vous verrez que le thème qui revient très souvent est le sentiment des soldats que le ministère doit mieux définir le rôle et les responsabilités des forces qui sont envoyées en mission. Dès mon arrivée ici il y a deux ans, j'ai parlé de la nécessité de travailler la doctrine et de corriger cette lacune, qui est toujours aussi préoccupante, à mon avis.
Mme Cheryl Gallant: Merci.
Le président: Merci, madame Gallant.
Monsieur Price.
M. David Price: Merci, monsieur le président.
Nos groupements tactiques se servent surtout d'ordinateurs portatifs pour leurs besoins en matière d'artillerie, de marquage d'objectifs et de collecte de renseignements, grâce à l'apport des unités de reconnaissance, etc., alors que les centres de commandement et de contrôle ont tendance à utiliser des ordinateurs de table munis d'un service Internet protégé. Est-ce vraiment sécuritaire, à votre avis?
M. Anthony Forster: Le seul système informatique qui soit vraiment sûr est celui qui se trouve dans une salle fermée à clé avec un garde posté devant, et même là, on ne peut pas le considérer comme sûr. C'est ça la réalité. Le gouvernement américain a recours à diverses plates-formes tournant sur Windows, dont certaines ne reçoivent même pas de cote de sécurité si elles sont branchées sur Internet, et ce d'après le livre orange de la NSA américaine, c'est-à-dire le livre qui évalue la vulnérabilité de divers systèmes informatiques.
Pour moi, une infrastructure avec connexion Internet offre un excellent effet multiplicateur de la force. Il va sans dire que l'Armée américaine fait énormément d'expériences dans ce domaine au National Training Center. Les résultats de ces expériences sont variables. Quand ça marche, ça donne vraiment de très bons résultats. Mais quand ça ne marche pas, ça ne vous attire que des ennuis. Il ne faut pas en conclure, cependant, que cela ne vaut pas la peine d'essayer et qu'il ne faut même pas essayer d'améliorer sa capacité dans ce domaine. Mais je serais très réticent à essayer une nouvelle technologie sur le terrain à moins qu'elle ne soit vraiment au point.
M. David Price: Pour en revenir à la FOI2, tout le monde semble parler de la possibilité d'élargir cette dernière. Personnellement, je suis d'avis que la FOI2 pourrait être élargie, mais surtout sur le plan de ses activités nationales. À mon avis, nous avons effectivement besoin d'une unité comme celle que vous décriviez, c'est-à-dire d'une force d'intervention rapide, capable de mener à bien des opérations éclairs. Il faudrait tout de même qu'elle soit remplacée par la suite par une force plus conventionnelle, mais dans un premier temps, l'autre servirait à rétablir le calme.
À votre avis, la FOI2 devrait-elle être plus polyvalente si on décide de l'élargir, êtes-vous d'avis qu'une force de ce genre devrait se spécialiser davantage, comme celles mises en place par bon nombre de nos partenaires de l'OTAN? Comme je vous l'indiquais tout à l'heure, les forces spéciales des pays membres de l'OTAN s'organisent souvent pour partager de l'équipement. Il en va de même pour les unités. L'unité polonaise se spécialise dans l'alpinisme, et il existe d'autres groupes de ce genre. Autrement dit, ces unités-là ont acquis une expertise dans un domaine particulier, et si l'on a besoin de cette expertise à un moment donné, on peut tout de suite faire appel à l'unité en question. À votre avis, faut-il faire de même et créer une ramification de la FOI2, ou est-il préférable de mettre sur pied une unité distincte, afin que la FOI2 puisse conserver son rôle de groupe national de lutte antiterroriste?
M. Anthony Forster: Dans le meilleur scénario, la FOI2 serait élargie et aurait le mandat de mener des opérations non seulement au Canada mais à l'étranger, où elle ferait fonction de service spécial. À ce moment-là, les Forces canadiennes auraient une force d'infanterie légère spécialisée qui pourrait au moins être déployée très rapidement pour mener des opérations de maintien de la paix, même s'il ne serait peut-être pas aussi facile de la faire sortir rapidement.
C'est bien connu que les opérations de maintien de la paix ont tendance à émousser les capacités d'une véritable unité de combat. Par conséquent, ce qu'il faut, c'est une force d'infanterie bien entraînée qui puisse intervenir rapidement dans le cadre d'un conflit de faible ou de moyenne intensité, et ce pour jouer le rôle de force de maintien de la paix. Le Canada aurait également une autre force qui soit en mesure de mener des opérations de guerre totale et qui serait entraînée en conséquence.
Donc, à mon avis, un certain cloisonnement des compétences déboucherait en fin de compte sur le meilleur résultat.
M. David Price: Merci.
Le président: Merci, monsieur Price.
Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: Monsieur Forster, puisque vous êtes analyste indépendant du renseignement, je voudrais vous demander si vous avez rencontré le ministre de la Défense nationale pour lui expliquer en détail ce que vous nous avez présenté aujourd'hui? Est-il au courant de la recherche que vous avez menée dans ce domaine et des recommandations que vous nous faites dans votre document? Avez-vous fait en sorte que le ministre en soit informé?
M. Anthony Forster: Que je sache, personne n'est au courant de cela, à part vous.
Mme Elsie Wayne: Je vous pose la question parce que je viens de quitter le Comité de la justice—c'est d'ailleurs pour cela que je suis arrivée en retard, monsieur le président. Le ministre était présent, et il faisait, lui aussi, un exposé sur le renseignement. Je pense que votre document l'intéresserait certainement, et à mon avis, il serait bon que vous et le ministre vous asseyiez pour discuter en buvant une tasse de café.
Le président: Madame Wayne, je ne crois pas me tromper en vous disant que le ministre est tout à fait au courant de tout ce qui se passe au comité. Le ministère de la Défense nationale a détaché un certain nombre de personnes au comité pour que ces dernières prennent bonne note de tout ce qui se dit en comité. Donc, à mon avis, vous n'avez rien à craindre: le ministre sera certainement mis au courant des observations de M. Forster.
Mme Elsie Wayne: Si j'en ai parlé, c'est uniquement parce que l'information et les résultats de la recherche de M. Forster me semblent très pertinents, et j'estime donc que nous devrions faire savoir au ministre qu'à notre avis, il devrait rencontrer M. Forster pour discuter des préoccupations de ce dernier.
M. Anthony Forster: Sans vouloir vous contredire, ce que je vous ai dit aujourd'hui n'est pas vraiment nouveau, à mon avis. Une bonne partie de mes observations ont déjà été faites sous formes différentes. Pour moi, le contexte dans lequel se déroule notre discussion est néanmoins fort différent. Personne n'aurait pu prévoir l'ampleur et l'impact des incidents du 11 septembre. Personne n'aurait pu anticiper la volonté d'un groupe terroriste ou, en théorie, de n'importe quel citoyen d'avoir recours à un agent biologique pour atteindre certains objectifs, quel que soit le but final de ceux qui envoient actuellement des colis contaminés à l'anthrax. Tout s'articule autour du contexte. À l'heure actuelle, nous devons modifier notre optique pour tenir compte du nouveau contexte.
Mme Elsie Wayne: À mon avis, vous allez constater dans les mois qui viennent que nos militaires, hommes et femmes, les ressources dont ils ont besoin et le renseignement sont devenus notre plus grande priorité au Canada. C'est du moins ce que j'espère, parce que nous avons assisté à une transformation depuis le 11 septembre. Vous l'avez dit, et nous l'avons tous dit en fait. Personne n'aurait jamais cru que cela puisse se produire. Nous voulons nous assurer de fournir à notre armée les outils dont elle a besoin pour s'occuper de nous et pour nous protéger.
Nous avons des enfants et des petits-enfants. Ils représentent l'avenir de notre pays, et à cet égard, je tiens à remercier des gens comme vous, vraiment, pour l'intérêt que vous portez à cette question. Ce sont des gens comme vous, monsieur Forster, qui nous permettent d'obtenir l'information dont nous avons besoin. De plus, notre ministre a également besoin de cette information. Cela apporte de l'eau à son moulin, et il a justement besoin de bon argument quand il doit se défendre au Cabinet, car pour l'instant, il n'y a que nous au comité qui insistons sur la nécessité de bien nous occuper de notre armée.
M. Anthony Forster: Eh bien, j'ai trois fillettes...
Mme Elsie Wayne: Et voilà.
M. Anthony Forster: ...et j'aimerais qu'elles puissent grandir dans un pays où on n'aura pas à craindre qu'un avion s'écrase contre un bâtiment ou à se demander s'il n'est pas dangereux d'ouvrir le courrier. Donc, mes intentions ne sont pas que... Disons que dans mon cas, c'est de l'égoïsme à visage humain.
Mme Elsie Wayne: C'est très bien, et je vous en remercie.
Le président: Monsieur Price.
M. David Price: Merci, monsieur le président.
Je n'avais pas l'intention de vous poser cette question, parce qu'elle est peut-être un peu délicate. Vous avez dit qu'autrefois, vous travailliez sur Wall Street, où votre travail consistait à recueillir de l'information sur les opérations bancaires. Je suis convaincu—vous-même l'avez dit—que vous avez dû réunir des informations militaires et politiques assez intéressantes en cours de chemin. Qu'avez-vous de cette information lorsque vous l'avez obtenue.
M. Anthony Forster: L'information que je recueille dépend du client pour lequel je suis chargé d'élaborer un produit. C'est lui qui la définie, que ce soit un client privé ou...
J'administre un site Web qui diffuse aussi des renseignements de sources ouvertes, et je vous invite tous à le visiter quand vous le pourrez.
Le président: Pourriez-vous nous en donner l'adresse?
M. Anthony Forster: Oui. C'est http://osi.theofficersclub.com. J'ai l'habitude de diffuser, une fois par jour, une évaluation des renseignements obtenus d'une gamme de sources ouvertes, normalement les plus importants organes d'information. Ce site comporte également un groupe de discussion auquel tout le monde peut participer en y envoyant leurs commentaires. Je vous invite donc à le visiter et à prendre le temps de consulter l'information qui s'y trouve. Il va sans dire qu'il n'a pas été actualisé depuis un jour ou deux, puisque je n'étais pas là.
M. David Price: Quand vous obteniez des renseignements de nature délicate, aviez-vous un protocole à suivre concernant la transmission ou la diffusion de cette information-là? Évidemment, vous n'y êtes plus; alors, que se passe-t-il à l'heure actuelle? Existe-t-il un protocole pour la diffusion de cette information, surtout à la lumière de ce qui s'est produit?
M. Anthony Forster: Parlons un peu de ce que je faisais sur Wall Street. Je travaillais pour un cabinet de recrutement indépendant et mon travail consistait à fournir des données aux recruteurs pour que ces derniers puissent mieux cibler les personnes susceptibles de les intéresser. Dans le cadre des recherches que je menais auprès de diverses sources ouvertes, j'examinais les revues spécialisées et les journaux, je consultais les sites Web au fur et à mesure qu'ils étaient mis en place, et je dénichais les noms de personnes qui pourraient être d'éventuelles cibles—c'est-à-dire qu'on pourrait éventuellement convaincre de passer d'une compagnie à l'autre—ainsi que leurs renseignements personnels. Dans l'exercice de mes fonctions, étant que je travaillais avec des négociants en pétrole et des vendeurs, j'étais bien obligé d'être au courant de la situation politique dans bon nombre de pays différents.
S'agissant d'accès aux données qui seraient jugées délicates, la plupart des banques considèrent que leurs listes de personnel constituent de l'information sensible.
M. David Price: C'est justement ce genre d'éléments d'information essentielle qui manquent souvent.
M. Anthony Forster: Oui, absolument. Mon travail ne consistait pas à recueillir tous ces éléments d'information, mais plutôt à faire la synthèse des données que j'avais recueillies de façon à pouvoir donner un compte rendu de renseignements aux recruteurs pour qu'ils y donnent suite. Je me contentais de fournir des noms, numéros de téléphone et renseignements personnels. Je ne me sentais pas obligé de communiquer des données internes. Mais évidemment, des gens comme moi ne font l'objet d'aucune surveillance. Nous sommes censés nous conformer aux protocoles de la Society of Competitive Intelligence Professionals (SCIP).
La SCIP a élaboré une série de protocoles auxquels les gens sont censés se conformer, et cela comprend l'obligation de ne pas se présenter sous une fausse identité et de ne pas accéder aux données personnelles des gens. Ce sont des protocoles que je respecte à la lettre. Disons qu'en ma qualité d'analyste du renseignement de sources ouvertes, j'estime qu'une atteinte à la vie privée n'est jamais nécessaire ou justifiée. Je me méfierais beaucoup de quiconque serait disposé à le faire.
M. David Price: Merci.
Le président: Merci, monsieur Price.
Monsieur Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, Alliance canadienne): Merci beaucoup.
J'assistais à une autre séance de comité avant de venir ici. Je voudrais poser une question précise à notre témoin de cet après-midi. Il dit que le combat en Afghanistan s'articule beaucoup autour des champs de mines. À cet égard, le Canada a pris ce que je considère comme une mesure irréfléchie en décidant d'interdire l'utilisation des mines terrestres antipersonnel.
Je voudrais donc commencer par demander au témoin s'il a une opinion sur la question de savoir si une interdiction totale des mines terrestres est à la fois naïve et irréalisable, à certains égards. J'aimerais bien savoir ce qu'il en pense, surtout que ces mines vont continuer d'exister de toute façon.
Il dit aussi ceci:
-
que le Canada et ses forces armées pourraient se trouver
mêlés à un conflit de forte intensité exigeant l'utilisation de
chars d'assaut et d'autres systèmes d'armes lourds et difficiles à
déployer.
• 1700
Nous avons tenu de nombreux débats en comité avec les
partisans de la politique gouvernementale, selon laquelle les
véhicules blindés légers sont suffisants. Je ne suis pas du tout de
cet avis. À mon avis, vous exposez nos forces armées au danger si
vous les forcez à combattre un ennemi muni de chars d'assaut; dans
un tel contexte, les véhicules blindés légers ne sont pas
suffisants. Si j'étais soldat, je ne voudrais pas me retrouver dans
un véhicule blindé léger si tous mes adversaires circulaient dans
la zone d'opérations en char d'assaut.
Quoi qu'il en soit, je voudrais connaître son avis sur ces deux éléments, et sur le dernier point que voici. Il dit que nous n'avons pas de branche se spécialisant dans la collecte de renseignement étranger. J'imagine que le témoin en a déjà parlé avec d'autres intervenants, mais peut-être pourrait-il simplement me dire ce qu'il prévoit comme fonction pour ce genre de branche ou organe de collecte de renseignements étrangers.
M. Anthony Forster: En ce qui concerne les mines terrestres, il est certain que ces dernières font partie du problème. Une arme fréquemment utilisée en situation de guerre est justement l'arme à dispersion, c'est-à-dire une bombe en grappes massivement larguée sur l'ennemi pour faire fonction d'arme antipersonnel. Dans certains cas, ces armes sont réglées pour exploser dès qu'elles entrent en contact avec un objectif, alors que d'autres sont réglées pour exploser plus tard. Certaines restent intactes et étant donné qu'elles ressemblent à une grosse balle et ont l'air intéressantes, il y a le risque que des gens les ramassent et qu'elles explosent dans leurs mains.
Je trouve tout à fait digne de louanges que le Canada ait essayé d'éliminer les mines terrestres. En toute sincérité, je voudrais que cela se réalise. Quant à savoir si c'est un objectif réaliste ou non, ça, c'est une tout autre question. Malheureusement, l'utilisation des mines terrestres est une question de principe pour bon nombre d'armées du monde. Convaincre ces armées de ne plus utiliser de mines terrestres est une tâche herculéenne; c'est le moins qu'on puisse dire. Est-ce une lutte qui vaut la peine d'être menée? Oui, absolument. Va-t-elle réussir? Peut-être que non.
En ce qui concerne vos propos concernant les chars d'assaut, je dois dire que je suis un grand défenseur des véhicules blindés lourds. Pour l'adversaire muni d'un fusil, rien n'est plus redoutable que de repérer un char d'assaut Leopard à un carrefour. Mais les chars d'assaut sont vulnérables, notamment dans un environnement construit où l'on peut s'attendre à avoir des accrochages. Les chars d'assaut sont également vulnérables en terrain accidenté, où un seul homme muni d'un lance-roquettes peut le détruire, s'il a atteint un point vulnérable.
Oui, je voudrais que le Canada continue de disposer d'une force blindée. Cela cadre avec ma vision de Forces canadiennes polyvalentes ayant de multiples capacités. Mais comme je l'ai déjà dit, s'il n'est pas possible de trouver les crédits nécessaires pour financer l'acquisition de chars d'assaut, une force d'infanterie légère et des véhicules blindés légers seraient peut-être la meilleure solution à ce moment-là. Je voudrais que le Canada ait des chars d'assaut, mais je ne sais pas si cela sera possible en fin de compte.
Et, évidemment, l'utilisation de chars d'assaut suppose tout le soutien logistique normal, soit des trains pour transporter du carburant et des munitions. En fait, il faut du matériel lourd et un soutien logistique très important juste pour les transporter.
Donc je souhaite que la solution retenue soit celle d'une force blindée, mais si l'on n'a pas l'intention de les utiliser, je recommanderais vivement à ce moment-là de s'en débarrasser et de réaffecter les crédits ailleurs.
Vous m'avez également posé une question sur la collecte de renseignement, et plus précisément sur le mandat d'un groupe de collecte de renseignements étrangers. Pour résumer, je souhaite que l'ensemble des capacités canadiennes disparates en matière de renseignement et de renseignement étranger soit refinancé en prévoyant une surveillance plus étroite, de préférence au niveau ministériel. Pour moi, l'idéal serait d'avoir un organe du gouvernement canadien qui ne fasse rien d'autre que la collecte de renseignements étrangers sur des questions touchant la sécurité du Canada et ses intérêts, cet organe étant chargé de surveiller l'ensemble des différents services de collecte de renseignement.
M. Rob Anders: La dernière chose que je voudrais mentionner, c'est qu'à l'heure actuelle, le budget du ministère de la Défense nationale fait l'objet d'une évaluation. J'estime, pour ma part, qu'il y aurait lieu d'augmenter considérablement le budget de la défense, et de diminuer d'autant les budgets affectés à d'autres activités gouvernementales. J'aimerais donc vous demander quel serait le budget idéal pour le ministère de la Défense nationale, à votre avis. Et comment devrait-il être dépensé? Essentiellement, je voudrais savoir de quelle somme le ministère devrait disposer et à quoi elle devrait être consacrée.
M. Anthony Forster: C'est drôle de se faire demander quel devrait être le budget du ministère. Pour ce qui est de faire une étude à long terme des secteurs où il conviendrait d'investir à mon avis et des sommes dont le ministère devrait disposer, je suppose que j'hésiterais à citer un chiffre précis parce qu'il est fort probable que je le regretterais par la suite.
Cela dit, je voudrais que les Forces canadiennes soient capables de fonctionner au niveau correspondant aux attentes du gouvernement. Le gouvernement s'attend à ce que les Forces canadiennes fassent beaucoup de choses. Je voudrais donc que ces dernières aient l'équipement, l'entraînement, et la capacité du renseignement nécessaire pour s'acquitter de leurs responsabilités. Cela suppose une augmentation considérable de leur financement.
• 1705
Là on ne parle pas de 10 ou 20 millions de dollars; on parle
de dizaines de millions de dollars qui devront venir de quelque
part. Mais d'où viendront-ils justement? C'est à vous de voir. Mais
il faut absolument investir cet argent, et l'investir plutôt tôt
que tard.
J'espère que j'ai répondu au moins en partie à votre question.
M. Rob Anders: Oui, en partie.
Le président: Avez-vous d'autres questions, monsieur Anders?
M. Rob Anders: Non.
Le président: Monsieur Forster, je voudrais vous poser une question concernant une proposition que j'ai faite l'année dernière dans le contexte d'un document intitulé «Favoriser la sécurité humaine». L'argument avancé dans ce document était que nous devrions essayer de ressusciter la première Force d'opérations spéciales au Canada. Elle devait permettre de régler certaines questions liées à l'interopérabilité, le besoin de forces spéciales, et celle de l'entraînement et de la réaction rapide.
Lorsque ce document est paru, il y a des gens qui ont commencé à me regarder comme si j'avais deux têtes. Dans certains milieux, il n'a pas été très bien reçu. Mais vu les événements du 11 septembre, il semble intéresser un peu plus des gens qui continuent à m'écrire. Ils me disent qu'ils ont eu l'occasion de l'examiner, et ils trouvent que ce n'est vraiment pas une mauvaise idée. Il a également été assez bien accueilli par le U.S. Airborne Magazine, dont les rédacteurs ont cautionné l'idée.
Vous avez été assez gentil pour me transmettre vos réflexions sur ce document lorsqu'il a été publié au départ. Je me demande donc si vous avez d'autres commentaires à faire là-dessus, notamment sur la question de l'entraînement des soldats en collaboration avec un groupe comme la force Delta, les Army Rangers, les Navy Seals, le SAS britannique, les paras ou les Gurkhas. Avez-vous autre chose à ajouter?
M. Anthony Forster: Le mot «interopérabilité» est le nouveau mot à la mode. Pour ce qui est d'entraînement mixte de concert avec d'autres forces spéciales, j'estime que c'est une excellente idée. Cela vous permet d'améliorer votre régime d'entraînement, d'une part, et de déployer vos troupes dans diverses régions du monde, où vous pourriez un jour être appelé à les déployer, pour qu'ils s'habituent à l'environnement. Entre soldats, cela crée aussi une solidarité qui facilitera certainement le déploiement de vos forces, si jamais cela devient nécessaire.
Les relations interpersonnelles, surtout entre membres de forces spéciales qui ont appris à réfléchir de façon plus décalée et créatrice par rapport aux simples soldats, sont extrêmement importantes. Les relations interpersonnelles revêtent une très grande importance pour les agents spéciaux parce que tout leur entraînement est axé là-dessus. Les agents dépendent les uns des autres, ne serait-ce que pour mener à bien leur mission.
Donc, je suis tout à fait en faveur de toute initiative d'entraînement mixte de différentes forces spéciales et je pense qu'il faut multiplier les occasions d'offrir ce genre d'entraînement.
Le président: Mon autre question concerne les opérations actuellement menées en Afghanistan par les Américains, et peut-être les forces britanniques également. Avez-vous une évaluation du temps qu'il faudra consacrer à ces opérations afin de neutraliser les Talibans et d'éliminer al-Qaïda?
M. Anthony Forster: Voilà une bonne question!
Le président: Mais vous êtes analyste militaire et analyste du renseignement, monsieur Forster.
M. Anthony Forster: À mon avis, ce ne sera pas possible avant l'hiver, et de plus, ce serait une erreur tragique que d'imposer des limites ou des restrictions en ce qui concerne la durée des opérations. Je ne pense pas non plus que le Ramadan soit une bonne raison d'interrompre les opérations militaires, même si je comprends fort bien qu'il faut tenir compte des sensibilités d'un certain nombre de nations différentes—et c'est ce qu'on a fait jusqu'à présent. Pour moi, les États-Unis et leurs alliés se sont montrés très sensibles à la situation particulière de ces nations. Mais à mon avis, il ne sera pas possible de terminer la mission avant les premières chutes de neige, qui vont de toute façon mettre un terme à la grande majorité des activités militaires au pays tant que la passe ne sera pas dégagée.
Par conséquent, un engagement à long terme est assez probable. La seule chose qui pourrait éventuellement changer ce scénario serait la possibilité qu'on réussisse, avec un peu de chance, à éliminer les structures de commandement d'al-Qaïda et des Talibans. Et quand je dis «éliminer», je ne veux pas dire qu'on aura arrêté leurs dirigeants; je veux dire qu'on les aura tués, car pour moi, il n'y a pas d'autres solutions. Ces gens-là ne risquent pas de changer leur vision des choses dans un proche avenir. Par contre, s'ils ne sont plus au pouvoir, nous aurons peut-être l'occasion d'y installer une force de maintien de la paix avant la neige. Sinon, ce problème risque de durer assez longtemps.
Le président: Y a-t-il d'autres questions? Non? Très bien.
Monsieur Forster, je tiens à vous remercier d'avoir accepté de partager avec nous vos vues sur la question. Pour moi, cette réunion a été des plus intéressantes, notamment notre discussion sur le renseignement. Jusqu'à présent, nous n'avons pas pu entendre beaucoup de témoins sur la question du renseignement et le genre de capacité que nous devons acquérir en tant que pays. Merci infiniment pour votre analyse. Nous sommes très heureux d'avoir pu nous entretenir avec vous.
M. Anthony Forster: Ce fut un plaisir.
Si vous permettez, je voudrais faire une dernière observation. Nous sommes actuellement dans une période très propice à la réforme des activités liées au renseignement et à une réforme militaire en général, puisque l'opinion publique est favorable à un projet de ce genre. Par conséquent, j'exhorte vivement les membres du comité à ne pas laisser passer cette occasion fort intéressante.
Merci beaucoup.
Le président: Merci.
La séance est levée.