NDVA Réunion de comité
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STANDING COMMITTEE ON NATIONAL DEFENCE AND VETERANS AFFAIRS
COMITÉ PERMANENT DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES ANCIENS COMBATTANTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 3 avril 2001
Le président (David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte la séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants.
Nous accueillons aujourd'hui le professeur Bland. Comme beaucoup d'entre vous le savent, le professeur Bland est titulaire de la chaire d'études en gestion de la défense à l'École des études sur la politique de l'université Queen's. Il a déjà comparu devant notre comité. M. Bland est l'auteur d'un certain nombre d'ouvrages et d'articles réputés au sujet des Forces armées canadiennes.
Professeur Bland, comme je vous le mentionnais il y a quelques instants, vous êtes le premier témoin officiel dans le cadre de notre étude sur l'état de préparation des Forces canadiennes. Sans plus attendre, je vous cède la parole. Je pense parler au nom de tous les membres du comité lorsque je dis que nous sommes fort impatients de vous entendre.
M. Douglas Bland (titulaire, Chaire d'études en gestion de la défense, École des études sur la politique, Université Queen's): Merci, monsieur le président. Je suis heureux—je crois—d'être ici. C'est toujours un défi d'être le premier.
Voici ce que j'ai pensé faire. Tout d'abord, établir un cadre de concepts et d'idées au sujet de l'état de préparation selon ma perspective et celle de divers auteurs de publications spécialisées; faire quelques suggestions peut-être audacieuses concernant certains sujets que le comité voudra peut-être fouiller; et ensuite, répondre à toutes vos questions, dans le but d'être aussi utile que possible. J'aimerais avancer trois arguments au cours de mon exposé. J'en ferai la liste tout de suite, au cas où je manquerais de temps ou vous manqueriez de patience.
Tout rapport sur l'état de préparation doit préciser, d'entrée de jeu, un cadre clair de termes et de définitions afin d'expliquer et de faire comprendre le sens de ce concept d'«état de préparation», avant que l'on envisage des options ou des changements de politique. C'est parfois un concept délicat.
Deuxièmement, j'ai fait valoir, dans mes écrits et dans les allocutions que j'ai présentées devant des comités parlementaires et des assemblées publiques, que le Canada et les Forces canadiennes ont besoin d'une politique de défense non partisane et d'une politique de sécurité. À mon avis, les points de vue des divers partis sont en fait très rapprochés sur les principaux points, et les efforts comme ceux de votre comité devraient tendre à l'élaboration de recommandations non sectaires et partant, susceptibles de servir l'ensemble du Canada. C'est à partir de cette hypothèse que je répondrai à vos questions.
Troisièmement, je pense que l'état de préparation des Forces canadiennes est une responsabilité politique et non seulement une responsabilité militaire. Par là, j'entends que le chef d'état-major de la Défense est responsable de la préparation des Forces canadiennes, mais uniquement selon les directives du Parlement. En l'absence d'un énoncé clair du Parlement au sujet de l'état de préparation, en l'absence d'un lien clair entre les politiques et les moyens, toutes les décisions concernant l'état de préparation que prendra le CEMD risquent d'être accidentelles et fortuites.
Ayant mentionné ces trois points, je voudrais maintenant parler de certains termes et définitions. Tout d'abord, qu'est-ce que l'état de préparation opérationnelle? Je vous recommande la lecture du rapport de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie. Le chapitre 3 de ce rapport renferme une étude détaillée de l'état de préparation opérationnelle—et de cette expression—surtout dans le contexte du déploiement en Somalie. À mon avis, ce rapport vaut bien n'importe quel ouvrage moderne sur le sujet que vous pourriez trouver en librairie. Les commissaires ont porté un soin particulier à leur évaluation de l'état de préparation opérationnelle et des définitions qu'ils ont utilisées. Ils se sont presque entièrement inspiré des propres définitions des Forces armées pour en cerner le sens. Ils ont noté que l'état de préparation est aussi crucial pour jauger la santé des Forces canadiennes que l'est le pouls pour évaluer la santé d'un être humain. Ils ont ensuite reformulé la définition des Forces canadiennes et donné leur propre définition de l'état de préparation opérationnelle: «L'état de préparation d'une unité en vue de s'acquitter des missions pour lesquelles elle a été conçue et organisée»—c'est l'état de préparation de l'unité.
• 1535
La capacité opérationnelle, d'autre part, se définit comme la
mesure dans laquelle une unité est capable de remplir ses
fonctions. L'état de préparation est un étalon de mesure, la
capacité opérationnelle en est un autre. Mais il est important,
dans une réflexion comme celle-là, de bien comprendre le rapport
entre l'état de préparation et la capacité, et que cela soit mis en
relief dans le rapport.
Ces définitions soulignent deux considérations cruciales dans toutes les discussions concernant l'état de préparation opérationnelle. Premièrement, l'état de préparation n'est pertinent et mesurable qu'en rapport avec une mission claire. En l'absence d'une mission, il n'y a rien ou pas grand-chose qui permette de mesurer l'état de préparation. Deuxièmement, l'état de préparation est évidemment la responsabilité du commandement et il importe, dans toute réflexion sur le sujet, d'associer ces deux idées de mission et de commandement.
Lorsque la commission d'enquête sur la Somalie s'est penchée sur l'état de préparation des Forces canadiennes pour son déploiement à l'étranger dans le cadre de cette mission en particulier ou, plus précisément, sur l'état de préparation du Régiment aéroporté du Canada, ses membres ont demandé au ministère une explication relativement à son système d'évaluation de l'état de préparation opérationnelle. Mais si je me souviens bien, aucun système cohérent ne leur a jamais été présenté. À l'époque, les Forces canadiennes fonctionnaient généralement sans un système concerté d'évaluation de l'état de préparation opérationnelle.
Je pense que le comité devrait s'attacher à cette question et évaluer, pour sa propre gouverne, la valeur du système actuel et peut-être réformé des Forces canadiennes pour mesurer l'état de préparation opérationnelle de ses unités. C'est un étalon de mesure crucial pour le Parlement et pour le pays. Encore une fois, sans vouloir trop insister sur le rapport de la commission d'enquête, même s'il contient selon moi de nombreuses excellentes parties, on peut trouver à la page 673 une description normative d'une unité prête à intervenir. Cela pourrait s'avérer une lecture utile.
Par conséquent, en ce qui a trait à l'état de préparation opérationnelle, la première question est la suivante: préparation pour quoi? Préparation pour une mission, un déploiement, un emploi, ou les deux? La deuxième question porte sur les degrés de préparation et les coûts associés au fait de passer de l'un à l'autre. La troisième question, comme je l'ai mentionné, consiste à déterminer comment le Parlement peut être au fait de l'état de préparation des Forces armées canadiennes et comment il peut en juger.
Au cours de ces discussions, vous entendrez de nombreux commentaires au sujet de la capacité militaire ou encore des moyens des forces, à savoir ce qu'il en est et si les Forces sont ce qu'elles devraient être pour répondre aux objectifs du Livre blanc de 1994. La capacité militaire est un autre de ces concepts vagues qui, si l'on n'y prête pas attention, peut poser des difficultés.
Pour moi, une capacité militaire n'est pas, comme on peut le lire dans de nombreux documents du gouvernement, et comme l'affirment d'autres experts du milieu, un fragment d'un ensemble. Un F-18, par exemple, n'est pas une capacité, c'est un élément d'une capacité. Par conséquent, pour parler de capacité militaire, il faut parler de l'arme ou de la pièce d'équipement, et celle-ci doit correspondre à un effectif entraîné ou à un nombre suffisant de soldats qui doit lui-même correspondre à un équipement de soutien et à un appui logistique, comme les munitions. Et toutes ces composantes doivent correspondre à un appui du commandement. Il faut qu'il y ait un état-major, un corps d'officiers capable d'envoyer et de déployer ces éléments d'équipement. Il faut aussi une doctrine qui corresponde à ces moyens. Enfin, il faut pouvoir compter sur un appui logistique de réserve. C'est uniquement lorsqu'une capacité militaire est évaluée en ces termes généraux que l'on peut peindre un portrait fiable de l'état de préparation des Forces canadiennes et de leurs ressources.
Parfois, on peut se leurrer en disant: «Nous avons un navire dernier cri des plus perfectionnés, et cela dénote une amélioration de la capacité des Forces canadiennes.» Mais si ce navire est ancré au port de Halifax sans équipage, il ne représente aucune capacité. Il faut voir l'ensemble du tableau.
• 1540
Les prochaines questions qui se posent au sujet des forces
sont les suivantes: «Prêtes pour quoi?» Qu'allez-vous faire?
À mon avis, les Forces canadiennes doivent convenir avec le gouvernement d'une orientation. Il ne s'agit pas de rabâcher des déclarations comme «défendre le Canada», «défendre l'Amérique du Nord», ou «participer à des missions de maintien de la paix de l'ONU». Cela est assez évident. Je parle plutôt des décisions que le Parlement doit prendre en termes de ressources. Le gouvernement et le Parlement doivent faire des choix pour ce qui est des ressources qu'ils veulent acheter, bâtir, appuyer et maintenir.
Je pense qu'on peut affirmer sans craindre de se tromper que la population canadienne n'est pas disposée à financer l'achat de toute la gamme des ressources possibles dans le domaine militaire. Par conséquent, s'il faut faire des choix en fonction du coût, mieux vaut les faire dans le cadre d'une démarche cohérente et holistique. Autrement dit, il ne faut pas simplement acheter une pièce d'équipement et espérer que cela représente un engagement ou le début d'une capacité, c'est-à-dire souhaiter que l'année d'après, lorsque le ministère de la Défense aura toujours davantage d'argent, vous pourrez ajouter à cette pièce d'équipement pour bâtir un ensemble. Je ne pense pas que ce soit la bonne façon de procéder. À mon avis, le Parlement doit fournir une orientation précise en matière de planification des ressources.
Avec tout le respect que je vous dois, permettez-moi de proposer au comité d'examiner notre état de préparation dans une perspective détaillée et sophistiquée, aux termes de quatre points: premièrement, définir l'état de préparation et la capacité opérationnelle de façon très explicite; deuxièmement, considérer les ressources dans un cadre très vaste, et non pas, comme je viens de le dire, comme de simples pièces d'équipement; troisièmement, exiger des Forces canadiennes des explications claires quant à la façon dont elles mesurent l'état de préparation opérationnelle ainsi que la capacité opérationnelle, notamment les étapes intégrées au processus politique devant assurer un état de préparation de haut niveau; et quatrièmement, advenant que l'on décèle des problèmes dans l'un ou l'autre de ces domaines, le rapport final du comité devrait énoncer des normes très claires en vue de mesurer l'état de préparation. Autrement dit, le comité devrait aider les Forces canadiennes à concevoir une grille de l'état de préparation.
Je conclurai en mettant en doute l'affirmation émanant de certains officiers supérieurs—et du ministre à quelques reprises—selon laquelle les Forces canadiennes sont aujourd'hui mieux préparées au combat qu'elles ne l'ont été à n'importe quel moment depuis les 10 ou 20 dernières années. Il s'agit là d'une affirmation d'une importance cruciale, qui est peut-être vraie, mais je n'en ai trouvé aucune preuve dans les rapports, études ou recommandations de l'état-major ou du quartier général. Je suis convaincu -ou à tout le moins j'espère- qu'un tel document se trouve quelque part dans l'organisation de la défense. Mais je pense qu'il serait dangereux de faire de telles affirmations sans s'être livré au préalable à une évaluation de ce qu'était notre capacité il y a dix ans, de ses changements et de ses améliorations et de ce qu'elle est maintenant.
Je sais que c'est peut-être difficile à accepter pour certains députés, mais je soulève cette question simplement parce que j'ai entendu cette affirmation dans diverses tribunes au pays. Je ne connais aucun officier militaire d'expérience ou expert qui puisse appuyer cette remarque. Il serait donc utile pour le comité que l'information sous-jacente du ministère concernant ce domaine de politique soit rendue publique.
Monsieur le président, c'est à peu près tout ce que j'ai à dire. Je voudrais simplement déposer un article que j'ai écrit pour l'International Journal au cours de l'hiver 1998-1999. Ce document, qui est en anglais seulement, s'intitule «A Sow's Ear From a Silk Purse: Abandoning Canada's Military Capabilities». Je vais le laisser ici à l'intention de la greffière du comité. Si vous voulez le lire, libre à vous.
Le président: Merci de vos observations, professeur Bland.
Monsieur Hanger.
M. Art Hanger (Calgary-Nord-Est, AC): Merci, monsieur le président.
Monsieur Bland, c'est bon de vous revoir encore une fois au comité.
• 1545
J'aimerais vous soumettre une citation publiée en février
dernier dans le Chronicle-Herald: «[Traduction] Notre armée ne peut
être déployée ou combattre adéquatement aux côtés de nos alliés. Et
nos forces aériennes et maritimes, qui étaient déjà modestes, sont
maintenant minuscules.» Ce sont là les propos qu'a tenus le général
Lewis MacKenzie au chef des forces terrestres à l'occasion d'une
réunion de la CAD.
Le général Jeffery a aussi fait certains commentaires très francs au sujet de l'armée: il a affirmé sans ambages que nous aurions beaucoup de difficultés à déployer sur le terrain et à maintenir des troupes pendant un certain temps dans un environnement étranger. Sur l'essentiel, êtes-vous d'accord avec ces propos?
M. Douglas Bland: Oui, je serais d'accord, mais en même temps, je voudrais savoir à quelles armées et à quelles unités le général MacKenzie nous compare. Je voudrais savoir quelles définitions il utilise et quels sont ses critères pour ce qui est des normes et de l'état de préparation.
Le Canada a une très petite armée. Est-ce la force dont nous avons besoin pour faire ce que nous faisons? C'est discutable, évidemment. Ce qu'il faut savoir, c'est quel degré de préparation les forces armées doivent afficher pour mener à bien le genre de missions que le gouvernement veut leur confier—les missions que les Canadiens s'attendent que nos forces seront en mesure de remplir au fil des ans et sous des gouvernements différents.
Je suppose qu'on n'a rapporté qu'un extrait des commentaires du général MacKenzie. Je ne pense pas qu'il soit utile d'arriver devant un comité ou devant le Parlement et d'affirmer que nos normes en matière d'état de préparation sont trop basses ou trop élevées, ou tout ce qu'on voudra, sans fonder ces commentaires sur des données valables.
M. Art Hanger: Cette citation a été tirée d'une discussion sur notre capacité de déployer une force viable «sur-le-champ». Évidemment, je suppose qu'il faudrait définir «sur-le-champ». Mais je reviens à une comparaison que l'on entend souvent dans des réunions comme celle-là, au sujet du Livre blanc de 1994. Je vais répéter une déclaration qu'avait faite l'un des commandants de la base de Fort Lewis, à Washington, lorsque nous nous étions rendus là-bas pour observer la force de réserve exécuter certaines manoeuvres. Ce commandant a déclaré que le Canada aura sous peu une armée limitée à deux brigades. En fait, c'est tout le personnel dont nous disposons maintenant.
Si nos alliés demandaient au Canada d'intervenir dans un théâtre d'opérations, nous ferions, selon les propos du ministre de la Défense, une entrée et une sortie hâtives. Ce serait un effort unique car nous ne pouvons vraiment pas faire plus.
Pensez-vous que ce soit une option viable pour assurer le rôle du Canada sur le plan militaire et respecter nos engagements envers nos alliés, plus particulièrement l'OTAN?
M. Douglas Bland: Je pense que si l'armée était réduite à deux brigades... Il faut définir ce qu'on entend par brigade, mais si elle était réduite à deux petites unités de combat, nous opérerions en deçà de notre potentiel militaire. Je pense que le Canada a sans doute les moyens financiers suffisants pour faire davantage sur le plan militaire, compte tenu de l'état de nos effectifs et de la prospérité du pays.
Mais même si 500 soldats seulement participent à une opération, la question est de savoir si ces unités sont prêtes à passer à l'action. Cinq cents personnes peuvent être tout à fait prêtes à exécuter une mission sur le plan opérationnel, mais en un sens, je pense qu'il s'agit là de questions distinctes: quelle est la taille des forces armées que le Canada peut se permettre et que la population souhaite et est prête à appuyer? Et deuxièmement, quel devrait être l'état de préparation de ces forces?
• 1550
En général, on mesure de deux façons le degré de préparation
dans les forces militaires. Premièrement, en fonction de l'ensemble
des moyens, équipement, approvisionnement, troupes, personnel
qualifié, etc. Certaines unités peuvent afficher un état de
préparation élevé. Cela signifie qu'elles disposent de tout
l'équipement, effectifs, approvisionnements, doctrines, structures
de commandement, etc. et qu'elles sont prêtes à intervenir. Cela
constitue un degré élevé de préparation. Il peut y avoir une unité
analogue dont l'état de préparation est faible, dotée uniquement
d'une structure de commandement embryonnaire, d'effectifs réduits
et d'approvisionnements déficients.
La deuxième façon consiste à examiner l'état de préparation en termes de calendrier: combien de temps faut-il pour passer d'un faible niveau de préparation à un niveau élevé de préparation? C'est une question de temps. La plupart des États ont des catégories pour leurs unités. L'une affichera un niveau élevé de préparation—autrement dit, il faut peu de temps pour la déployer et l'autre, un faible niveau de préparation—il faut plus de temps pour la déployer. À bien des égards, c'est une question de coûts.
Au sein des Forces canadiennes, certaines de nos unités—comme les unités opérationnelles de communications ou les unités de la base des Forces canadiennes de Kingston—affichent un degré élevé de préparation. Cependant, je pense qu'on aurait du mal à trouver des unités de milice affichant autre chose qu'un faible degré de préparation.
Le président: Nous allons passer à M. Bachand.
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): C'est à moi. Je pense que vous aurez besoin de votre écouteur.
[Français]
Monsieur Bland, je vous remercie de votre présentation. J'ai quelques questions à vous poser parce que j'ai lu attentivement votre article, Défendre le Canada: la tâche du Parlement, et je trouve que vous n'êtes pas très délicat à l'endroit du Parlement canadien. J'aimerais qu'on approfondisse plusieurs des affirmations que vous y faites.
Je suis nouveau parmi les membres du Comité de la défense nationale et des anciens combattants et je m'intéresse beaucoup à la question. Dans cet article, vous dites que: «le Parlement est pitoyable»—c'est le terme que vous employez—«dans son rôle d'autorité et de surveillance civile, en matière de défense nationale». Je vais vous demander tout à l'heure pourquoi vous dites cela.
Vous faites aussi une autre affirmation que, celle-là, je partage entièrement. Vous dites que: «les ministres, les officiers et les fonctionnaires traitent l'opposition», c'est-à-dire les gens qui occupent ce côté-ci de la table, «comme étant des adversaires et ne lui divulguent pas clairement l'information».
Vous dites également que: «les comités des Communes sont généralement les otages des intentions des ministres». Vous comprendrez que j'abonde entièrement dans le sens de vos propos.
Maintenant, avec votre expérience, vous pourriez peut-être me dire quels moyens doit prendre un membre de l'opposition, comme moi, pour obtenir l'information. Est-ce en allant sur le terrain, par exemple, sur les lieux des opérations, en se rendant dans les bases militaires, sans nécessairement être accompagné par l'état-major... Il est certain que demander à un simple soldat s'il est heureux d'être là, devant le général, entraîne nécessairement une réponse positive. Par ailleurs, il vous fera peut-être passer un petit papier demandant de l'appeler après ses heures de travail.
Donc, pensez-vous qu'aller sur les sites d'opération, aller dans les bases rencontrer les soldats et les officiers, c'est la meilleure façon pour un membre de l'opposition d'obtenir des renseignements clairs? De plus, seriez-vous capable de me dire de quelle façon un membre de l'opposition peut, à l'intérieur des structures actuelles, c'est-à-dire l'état-major ou le ministère, obtenir l'information pertinente qui ferait avancer véritablement la cause de la défense nationale?
M. Douglas Bland: Vous soulevez quantité de questions importantes, et je ne prétends pas avoir toutes les réponses. Mais quant à savoir ce que répondrait un soldat à qui l'on poserait une question, d'après mon expérience, la plupart des soldats vous donneront une réponse franche et honnête. Ils regarderont peut-être le général qui est présent, mais je pense que vous pouvez compter sur eux pour vous fournir une réponse honnête. Les forces armées ont fait énormément de progrès depuis une dizaine d'années pour ce qui est de donner à leurs membres la possibilité de s'exprimer.
Cet article, comme certains d'entre vous le savent peut-être, est extrait d'une étude plus vaste que nous avons effectuée à l'université Queen's au sujet du Parlement. Elle nous a donné une idée de ce qui se passe. Ce qui m'a paru important dans cette évaluation, c'est que nous avons d'une certaine façon démenti l'idée voulant que les parlementaires ne s'intéressent pas aux forces armées. Je pense que nous avons en partie écarté cette idée.
Ce qui importe, cependant, comme vous l'avez signalé, c'est la façon dont le Parlement est informé de ce qui se passe dans le système. À mon avis, nous sommes en présence d'une double responsabilité. J'estime que c'est au chef d'état-major de la Défense ainsi qu'au ministre et sous-ministre de la Défense nationale qu'il appartient de solliciter l'information auprès des parlementaires et de leur en fournir. Je pense que pour un certain nombre de raisons, ce lien a été faible au cours des dernières années, non seulement sous le gouvernement actuel, mais depuis une longue période. Je sais que le ministère s'attache à changer les choses grâce à un programme de diffusion de l'information auprès des parlementaires, comme il a été suggéré dans cet article et dans d'autres ainsi que par l'Association de la défense du Canada. Je pense que c'est utile.
Le deuxième volet de l'équation concerne les députés et les sénateurs. C'est à eux qu'il appartient de créer des liens avec les forces armées, de participer aux conférences et aux activités académiques dans ce domaine, de se tenir au courant de ce qui se passe et d'exiger des renseignements. C'est avec découragement que j'ai constaté dans le cadre de mon étude que le Sénat n'a pas de comité de la défense. D'ailleurs, j'en avais parlé à plusieurs sénateurs, y compris le regretté sénateur Molgat. Or, il y a quelques jours, j'ai appris que l'on remédiera à cette lacune, et je m'en réjouis. Je pense qu'il est important pour les forces armées et pour les parlementaires de jouer un rôle actif. Si vous ne comprenez pas le système, si vous ne savez pas quel est le budget de la Défense et comment il est dépensé, il vous appartient, en tant que parlementaires, de poser des questions.
Pour ce qui est de vous rendre sur des bases, je vous encourage à vous entretenir aussi souvent et aussi informellement que possible avec les soldats, les marins et les pilotes des Forces canadiennes. Vous devriez discuter avec le plus de militaires possible pour avoir une idée de leur vie, de leur situation et de leurs préoccupations. C'est tout simplement avec le temps que vous acquerrez personnellement, ainsi qu'en tant que membres de comités et députés, une profonde compréhension de ce qui se passe dans les forces armées.
En réponse à votre première question au sujet des relations entre civils et militaires, j'ai voyagé un peu partout en Europe, dans les nouvelles démocraties et en Amérique latine pour exhorter les membres de ces nouveaux gouvernements et parlements à assumer la responsabilité qui leur incombe de contrôler le pouvoir militaire. En effet, le pouvoir civil s'inquiète au sujet des militaires. Je le répète, cette responsabilité vous incombe. Et lorsque j'ai dit que j'étais découragé parce que les parlementaires n'ont pas suffisamment d'information, c'est dans ce contexte que s'inscrivent mes propos.
Le président: Professeur Bland, je dois vous interrompre et passer à notre prochain intervenant.
Monsieur Price.
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci d'être venu, professeur Bland. C'est toujours intéressant d'entendre vos réflexions et de lire vos articles.
J'aimerais fouiller davantage la question de la formation. Je sais que vous y avez réfléchi. En fait, vous avez mentionné deux groupes-brigades, un concept qui est évoqué passablement souvent ces derniers temps. Vous avez aussi fait un commentaire intéressant sur la définition d'un nouveau type de groupe-brigade. Je voudrais que vous nous en disiez un peu plus à ce sujet, surtout qu'à l'heure actuelle, les missions auxquelles nous participons ont généralement beaucoup moins d'envergure qu'auparavant, et que nous ne déployons pas de groupes-brigades. Mais une partie du problème à l'heure actuelle, c'est qu'il n'y a pas de formation des troupes en tant que groupes-brigades. Cela fait défaut depuis un certain temps déjà. Nous ne concentrons pas nos efforts là où il le faut, c'est-à-dire faire en sorte que nos troupes s'entraînent ensemble en tant que groupes-brigades. Peut-être pourriez-vous nous éclairer à ce sujet et nous décrire ce qui constitue un groupe-brigade de plus petite taille.
M. Douglas Bland: Oui. Comme vous le savez tous, les militaires utilisent divers termes génériques pour décrire leurs unités: bataillons, escadrons, brigades, etc. Mais cela ne nous apprend pas grand-chose sur leurs effectifs ou leur état de préparation; ils décrivent plutôt la conception et l'organisation des unités. À titre d'exemple, le groupe-brigade au sein duquel bon nombre d'entre nous avons travaillé en Allemagne à la fin des années 60 comptait 10 000 personnes. Il était considéré comme une brigade opérationnelle, la Quatrième Brigade stationnée en Allemagne. Les groupes-brigades—et il y en avait trois autres, et parfois plus au Canada—comptaient tous de 7 000 à 9 000 soldats. À la suite des changements intervenus dans les années 70 et 80, les effectifs ont diminué, tout comme les capacités de ces groupes-brigades, l'artillerie, les chars d'assaut, etc.
J'ignore quels effectifs le général Jeffery envisage pour les nouvelles brigades, mais je suppose que très peu de personnes dans l'armée se réjouissent à l'idée d'aboutir avec deux brigades de petite taille ayant des moyens limités en tant qu'organisations.
Je pense que la formation des unités est dictée par les missions qui leur sont confiées, particulièrement dans les Balkans, etc. Il reste peu de temps pour initier les troupes aux aspects plus complexes de la formation militaire: les opérations interarmes, les opérations d'artillerie, etc. On le fait dans le cadre de certains exercices d'état-major, mais ce n'est peut-être pas aussi utile. Cela me ramène à la question que j'ai posée dans ma déclaration liminaire: si l'on veut mesurer l'état de préparation opérationnelle, il faut savoir à quoi on se prépare.
Si quelqu'un affirme que l'armée canadienne devrait être prête à intervenir pour se battre aux côtés des Américains dans une guerre inter-États en Corée, dans le cadre d'une opération d'envergure, c'est une grosse affaire. Par contre, si l'on souhaite que les forces armées puissent financer pour une somme de 10 ou 12 millions le déploiement de 500 soldats pendant six mois dans une région donnée du monde, cela exige un autre niveau de préparation, qu'il ne serait pas trop difficile d'atteindre.
M. David Price: Je pense qu'à l'heure actuelle, nous nous dirigeons vers une certaine spécialisation. Peut-être visons-nous simplement à faire partie d'un groupe-brigade multinational et que de plus en plus, notre participation se limitera à une tâche particulière au sein de ce groupe-brigade?
M. Douglas Bland: Peut-être. Ce que je voudrais savoir, c'est pourquoi nous nous dirigeons dans cette direction? Est-ce notre stratégie nationale? Est-ce une bonne chose pour le Canada que d'agir ainsi? Ou est-ce une orientation dictée par certains autres facteurs, dont le manque d'argent? Ou est-ce là ce que souhaite la population canadienne?
Lorsque des dirigeants sont forcés de prendre des décisions sur la façon d'employer des forces dépourvues de ressources suffisantes, ils affirment que ces dernières s'allieront à une armée plus importante, en supposant que cette armée aura des moyens excédentaires que nous pourrons utiliser. Or, je n'ai jamais rencontré personne, dans quelque armée que ce soit, qui m'ait dit avoir des ressources excédentaires qui seraient mises à la disposition des Canadiens. En fait, nous avons procédé ainsi à l'époque de l'OTAN, et cela a donné lieu à un processus de planification dangereux. Par exemple, à l'occasion d'opérations dans la partie septentrionale de la Norvège, nos documents prévoyaient que nous aurions recours à du personnel médical excédentaire norvégien pour soigner nos blessés. Dans les rapports de l'OTAN sur la Norvège, il était précisé qu'on ne disposait pas de ce genre de ressources. C'était là une chose très dangereuse à faire.
• 1605
L'autre risque que l'on court, c'est de perdre dans une
certaine mesure le contrôle national de nos troupes lorsqu'on les
intègre, en petits groupes, dans les forces armées d'un autre pays.
Dans l'histoire militaire du Canada, cela a toujours été un
problème dès qu'une guerre est déclarée—non pas avant, mais après
le début de la guerre.
M. David Price: Et cela continue d'être un problème. Encore récemment, nous avons eu précisément ce problème.
Combien de temps me reste-t-il?
Le président: Une minute et demie.
M. David Price: Je vais changer de sujet complètement parce que j'ai appris quelque chose aujourd'hui à midi. Si l'on remonte à l'époque de l'unification des forces, je suppose que le gouvernement jugeait cette mesure très utile pour rassembler nos forces. Il y a déjà longtemps de cela. D'autres gouvernements ont aussi adopté cette perspective alors que sur le plan historique, les militaires ont toujours considéré que ce n'était pas une position très confortable étant donné que les forces étaient divisées en trois. Pourtant, aujourd'hui, alors que je m'entretenais avec certains membres du Collège de défense de l'OTAN, j'ai appris que même certains militaires acceptent maintenant l'idée selon laquelle l'unification n'est pas une mauvaise chose. Est-ce là quelque chose de nouveau? C'est la première fois que j'entends cela, particulièrement de la part d'un groupe de militaires.
M. Douglas Bland: Où est Paul Hellyer lorsqu'on a besoin de lui?
Permettez-moi de prendre quelques instants pour faire un rappel historique. À certains égards, Paul Hellyer était bien avant son temps, de même que Brooke Claxton avant lui lorsqu'il a nommé un chef unique à la tête des forces armées. Mais au cours de la période de la Guerre froide, les forces terrestres, maritimes et aériennes au Canada étaient affectées à des missions différentes dans différentes parties du monde—voire dans différents théâtres d'opération. Elles étaient assujetties à des normes différentes sous des commandants alliés, ce qui obligeait les forces armées à se diviser en trois volets ou plus. Ce que Paul Hellyer a tenté de faire, c'est d'avoir une stratégie nationale unique pour réunir toutes les forces dans un même plan et ensuite, les assujettir à un système de contrôle unique. Ce fut un échec parce que Lester Pearson n'était pas intéressé à cette initiative qui comportait un coût élevé sur le plan des relations étrangères.
À l'instar de nombreuses autres nations, nous reconnaissons l'avantage qu'il y a à conférer le contrôle des militaires au pouvoir civil et aux parlementaires et le commandement national des forces dans les étranges missions où leurs effectifs sont déployés doivent s'assurer que toutes leurs troupes nationales relèvent d'un seul chef et d'un seul système. Ce genre de structure permet également des économies. Je pense que c'est ce qui amène la plupart des autres nations à opter pour un système unifié, mais peut-être pas pour un seul uniforme vert.
Le président: Nous avons quelque peu outrepassé notre temps.
Madame Wayne.
Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Monsieur Bland, je vous remercie beaucoup d'être venu aujourd'hui.
Vous avez dit que nous avons un rôle à jouer pour nous assurer que les hommes et les femmes qui composent nos forces armées peuvent s'acquitter des tâches qui leur sont confiées et qu'ils ont les outils et les moyens de le faire.
J'ai d'énormes inquiétudes au sujet de ce qui se passe à l'heure actuelle dans les forces armées. Elles tiennent au fait qu'il faut injecter beaucoup plus d'argent dans le budget de la défense, accroître considérablement le budget. Cela me tient beaucoup à coeur.
On m'a fait canonnière honoraire du Troisième Régiment d'artillerie de campagne. Je dois être la seule autour de cette table qui sait tirer du canon. Quoi qu'il en soit, je ne savais pas vraiment comment m'y prendre, mais on m'a fait cet honneur parce qu'à l'époque où j'étais maire, j'ai pris la défense des militaires.
J'estime que l'armée offre la meilleure formation du monde. Je vois tellement de jeunes désorientés qui devraient être dans l'armée. La formation qu'ils y recevraient leur permettrait de transformer leur vie.
Mais pour en revenir à ce que nous disions, je peux vous dire franchement mon opinion: les autres pays du monde n'ont pas une aussi haute opinion du Canada qu'auparavant car nous avons réduit sensiblement le nombre de nos troupes et de nos soldats du maintien de la paix. Nous n'avons pas les outils voulus. Je suis sûre que vous avez pris connaissance de la lettre du président de la Direction nationale—nous en avons tous eu un exemplaire—lorsqu'il a envoyé les membres d'une tournée de divertissement et son vice-président avec eux. Il a constaté que les hommes n'avaient même plus d'uniformes, qu'ils n'avaient pas de bottes, qu'ils n'avaient même pas les pièces nécessaires pour réparer l'équipement dont ils avaient besoin, ou encore les outils pour s'acquitter de leurs tâches...
• 1610
Nous avons un devoir à accomplir, mais quelque part... Et cela
me dérange car les hommes et les femmes des forces armées ne
peuvent se présenter ici sur la colline armés de pancartes, comme
n'importe quels autres citoyens et crier et contester comme le
feront les manifestants au sommet à Québec, et Dieu sait combien
d'entre eux seront arrêtés... Mais les militaires ne peuvent agir
ainsi. Par conséquent, ils comptent sur vous, et sur nous, pour que
leur voix soit entendue.
Je veux que vous nous disiez, monsieur Bland, ainsi que les autres experts qui sont ici aujourd'hui et pour lesquels j'ai beaucoup de respect, comment nous pouvons nous y prendre pour faire comprendre au premier ministre et au ministre de la Défense nationale qu'il est nécessaire de définir l'état de préparation et de l'atteindre? Comment faire passer votre message?
C'est sans doute le même message que nous voulons aussi faire passer, soit que les militaires devraient être notre priorité. Mais il n'y a qu'un petit nombre d'entre nous autour de la table qui puissions transmettre ce message. Ce n'est pas uniquement l'opposition qui peut le faire. C'est à tous les députés autour de la table, des deux côtés de la Chambre, de le faire. Comment nous y prendre?
M. Douglas Bland: Voilà une autre question stimulante.
Les universitaires et les autres experts en matière de défense publient des écrits dans des revues spécialisées qui, nous l'espérons, sont lues par des personnes qui s'intéressent à ce domaine.
Nous pouvons également communiquer nos idées grâce au forum sur la sécurité et la défense parrainé par le ministère de la Défense nationale dans de nombreuses universités du pays. Nous pouvons donc compter sur certains fonds pour organiser des conférences permettant d'échanger.
Je fais aussi valoir mon point de vue en me présentant ici et en saisissant toutes les occasions qui me sont données de travailler avec les ONG et d'autres intervenants ou simplement en discutant avec mes parents et mes amis de la situation des Forces canadiennes. Parfois, je communique mon message en parlant aux médias.
Mais vous avez évoqué un point très important. Il est crucial que les forces armées sachent qu'elles ont des appuis dans la société qui est la leur...
Mme Elsie Wayne: C'est juste.
M. Douglas Bland: ...et pour laquelle elles travaillent. Encore une fois, c'est une question de leadership de la part non seulement du Parlement, mais des façonneurs d'opinion dans tout le pays. Je pense qu'on décèle des signes que les choses évoluent dans cette direction.
Je vous signale l'exemple de M. Hugh Segal, que certains d'entre vous connaissent peut-être. À titre de président de l'Institut de recherche en politiques publiques, il est devenu très actif dans le milieu de la défense et a ouvert au sein de son organisation un volet chargé d'étudier les questions de défense et de politique étrangère. Je vous recommande la dernière édition du Policy Options Magazine, qui comporte plusieurs articles sur les points que vous avez soulevés.
À mon avis, c'est un travail permanent, et un grand nombre d'intervenants doivent pousser la roue à partir de directions différentes.
Le président: Il vous reste environ deux minutes, madame Wayne.
Mme Elsie Wayne: J'ajouterai ceci. Je lisais aujourd'hui un article dans le magazine Maritime Affairs. Il y était question de nombreux dossiers qu'on espérait voir en tête de liste du programme du gouvernement. Les chantiers maritimes, les hélicoptères et la gestion de l'océan sont en haut de la liste.
Je vous signale que nous avons déposé un rapport dans lequel nous affirmons que nous devrions construire nos navire ici au Canada, dans nos propres chantiers navals. Monsieur le président, j'attends toujours la réponse du ministre de l'Industrie à ce rapport.
Chose certaine, nous sommes d'accord pour ce qui est des hélicoptères. Je pense que tous les députés présents autour de la table conviennent que dans le dossier du remplacement des Sea Kings, la politique n'a pas sa place. Il faut prendre la bonne décision. Il faut donner à nos forces les meilleurs outils pour s'acquitter de leurs tâches. Mais je peux vous dire que nous aurons besoin de beaucoup d'aide pour y arriver.
M. Douglas Bland: Je ne peux qu'être d'accord.
Mme Elsie Wayne: Merci.
Le président: Monsieur Goldring.
M. Peter Goldring (Edmonton-Centre-Est, AC): Professeur Bland, je vous remercie beaucoup de comparaître devant nous aujourd'hui.
Je veux parler encore un peu de la capacité militaire. Mais tout d'abord, je veux savoir pourquoi cela pose un problème et essayer de comprendre. J'aimerais que vous m'éclairiez.
• 1615
Vous avez mentionné dans votre article que très peu de
sénateurs et de députés comprennent les subtilités du système
militaire et ses besoins. Même pour ceux d'entre nous qui ont une
certaine connaissance du milieu militaire, il est très difficile de
bien comprendre certaines choses, à moins d'avoir en main un
document très détaillé. Lorsque vous parlez de capacité militaire,
quel est l'étalon de mesure? Vous dites que la définition de cet
étalon pose aussi un problème.
D'après vous, qu'est-ce qui s'est passé dans les forces armées depuis dix ans? On parle de deux groupes-brigades à l'heure actuelle. Quelles ressources avions-nous il y a dix ans et comment se comparaient-elles à celles des armées d'autres pays? Autrement dit, quel pourcentage de notre capacité avons-nous perdu alors que d'autres en ont gagné et quelles étaient nos ressources au-delà de ces deux groupes-brigades il y a dix ans?
M. Douglas Bland: Je n'ai pas ces chiffres en main, mais je recommanderais au comité de demander au ministère un diagramme explicite montrant combien de pièces d'équipement, de troupes, d'approvisionnements les forces armées avaient pour telle période, pour telle autre, et ainsi de suite, pour que vous puissiez voir le déclin. Pour être juste, il faut signaler que tous les pays de l'OTAN ont réduit sensiblement leurs forces armées et, dans la plupart des cas, ces compressions ont été raisonnables.
Le problème, cependant, c'est qu'on ne coupe pas uniquement dans les forces actuelles. On compromet la possibilité de bâtir les forces de demain. À mon avis, le Parlement devrait d'ores et déjà envisager les contrats pour la prochaine génération de frégates. Si un délai d'exécution de 10 à 15 ans est nécessaire avant qu'un navire puisse prendre la mer, il vaut mieux commencer tout de suite à adjuger des contrats. De même, pour assurer l'état de préparation des forces de l'air en termes de F-18 et d'appareils de surveillance, mieux vaut commencer tout de suite l'adjudication de contrats.
La gestion de la défense ne se limite pas à la gestion de la force actuelle, mais aussi de la force future. Parfois, l'une peut être l'ennemie de l'autre, notamment si l'on consacre trop d'argent au volet avenir et pas suffisamment à l'acquisition d'immobilisations. Je pense que sous divers gouvernements au Canada, la tendance a toujours été de fournir des fonds qui sont disponibles pour la Défense nationale mais non pas des fonds qui sont nécessaires pour la Défense nationale. La différence est énorme.
Il faut se dire que si nous voulons conserver 60 000 hommes et femmes dans les forces armées et que le coût de la main-d'oeuvre ne cesse d'augmenter, il faut que le budget comporte une formule de financement prévoyant des augmentations automatiques. On ne peut tout simplement dire: voici 10 milliards de dollars. Faites ce que vous pouvez. C'est ce que nous avons fait jusqu'à maintenant. Ce qui semble se passer chaque fois, c'est que l'argent consacré aux immobilisations est l'argent qui reste une fois qu'on a payé les effectifs, les opérations, etc. C'est à ce moment-là qu'on perd le contrôle de la situation.
M. Peter Goldring: Pensez-vous qu'en général, notre capacité de maintenir notre place dans le monde s'est dégradée? Nous avons une responsabilité. Il ne s'agit pas simplement d'avoir une force militaire en attente, mais plutôt de partager le fardeau du maintien de la paix dans le monde et d'être en mesure de faire équitablement notre part. À votre avis, cette part équitable a-t-elle été réduite de beaucoup? Devrions-nous hausser notre capacité pour apporter une contribution équitable en partenariat avec le reste du monde?
M. Douglas Bland: J'hésite quelque peu à parler de contribution équitable. Le partage du fardeau est une autre chose compliquée. Mais je pense que par rapport à ce que faisaient les Canadiens dans le passé, nos activités ont certainement diminué.
Monsieur le président, si je pouvais avoir une minute...
Le président: Vous avez plusieurs minutes.
M. Douglas Bland: ...je pourrais vous présenter une image qui m'apparaît frappante.
En 1956, les Britanniques, les Français et les Israéliens combattaient les Égyptiens et le monde courait à sa perte parce que les Russes allaient intervenir et que les Américains allaient aussi intervenir, et il fallait ériger une barrière entre eux pour éviter que la crise s'envenime. Lester Pearson a alors inventé la version moderne du maintien de la paix, et le Canada y a gagné énormément de respect.
• 1620
Comment a-t-il réussi cela? Parce que les forces canadiennes
avaient les moyens de le faire. Nous sommes allés là-bas—pas moi
nécessairement, mais certaines personnes avec qui j'ai travaillé
par la suite. En 1956, le Canada a envoyé au Moyen-Orient une force
imposante dotée de ses propres navires et avions, avec ses propres
commandants, un appui logistique, ses systèmes de communications et
ses fournitures médicales. Les autorités militaires ont envoyé
là-bas un bataillon. En fait, il a été renvoyé par les Égyptiens
qui n'aimaient pas son nom. Il s'agissait des Fusiliers de la Reine
du Canada. Ce nom avait une consonance trop impériale à leurs
oreilles de sorte qu'ils ont refusé de le laisser entrer au pays.
Nous en avons donc envoyé un autre et du même coup, des forces
accrues.
Le Canada a été efficace dans cette situation parce qu'il pouvait sembler neutre et indépendant de tous les intervenants. Nous ne travaillions pas pour les Français, les Britanniques, les Américains, les Russes ou qui que ce soit d'autre. Nous avions le sentiment d'être une force de l'ONU, et ce fut l'apogée.
Passons maintenant à 1996, date à laquelle le Canada tente de déployer une force au Zaïre. Impossible de s'y rendre, car nous n'avons ni avion ni navire et pas suffisamment d'effectifs et d'équipements du commandement. Le Canada est aux prises avec une situation très grave et difficile, s'étant engagé auprès du Zaïre à mener à bien l'opération. Pourtant, nous ne pouvons rien faire. Voilà qui illustre bien, à mon avis, ce qui s'est passé dans les forces armées au cours de cette période.
M. Peter Goldring: En outre...
Le président: Je dois vous interrompre, monsieur Goldring, et donner la parole à M. Bachand pour cinq minutes.
[Français]
M. Claude Bachand: Tout d'abord, j'ai une question courte, rapide et directe, monsieur Bland. Auriez-vous pu, alors que vous étiez dans les Forces armées canadiennes, rédiger un article du type de celui que nous avons ici?
[Traduction]
M. Douglas Bland: Oui, je l'ai fait. En fait, j'ai écrit des choses encore plus dures... J'ai dit aux responsables de l'armée que le moment était venu de mettre un terme aux exercices sans armes.
J'ai écrit des articles dans ce qu'on appelait à l'époque le Canadian Defence Quarterly sur la nécessité de rédiger un nouveau Livre blanc et sur la responsabilité du Parlement en matière de préparation opérationnelle, maintenant que j'y pense. C'était il y a à peu près dix ans. Peut-être pourrais-je retrouver ce document pour vous à un moment donné. J'ai donc émis mon opinion, comme l'ont fait plusieurs autres. Cela ne voulait pas dire qu'on vous tapait dans le dos après la publication des articles, mais le degré d'ouverture à cette époque dépendait beaucoup de l'appui de divers chefs d'état-major, d'autres officiers supérieurs ou de personnes du milieu, et je pense que cela fonctionnait assez bien.
[Français]
M. Claude Bachand: Je vais vous énumérer toutes mes questions parce que j'ai peur de manquer de temps.
Je comprends que vous n'étiez pas dans l'armée quand vous avez rédigé cet article-ci. Vous étiez éminent professeur à l'Université Queen's. Toutefois, j'ai l'impression qu'une fois que les politiques sont arrêtées et que le ministre ainsi que le chef d'état-major en deviennent les défenseurs, ça se reflète automatiquement dans la chaîne de commandement. À compter de ce moment, je pense que les députés n'ont plus grand-chose à dire.
J'aimerais que vous réagissiez à la suite aux quelques affirmations que je vais avancer.
Est-ce que l'état de préparation de l'armée canadienne, au moment où on se parle, n'est pas tout simplement conditionné par les impératifs économiques et qu'il n'y a pas, par conséquent, de planification à long terme. S'il y a des surplus au budget, on va pouvoir bouger; s'il n'y en a pas et que le budget se porte mal, l'armée en est souvent victime.
N'avez-vous pas aussi l'impression que quand le ministre, le sous-ministre et le chef d'état-major décident d'une nouvelle politique ou d'une nouvelle forme de préparation ou d'équipement, cela se reflète tout au long de la voie hiérarchique et que nous, pauvres députés assis autour de cette table, n'avons plus un mot à dire.
[Traduction]
M. Douglas Bland: Je pense que traditionnellement, les officiers supérieurs et les hauts fonctionnaires appuient les politiques du gouvernement du jour.
Cela dit, la plupart des officiers militaires reconnaissent avoir la responsabilité d'exprimer honnêtement et de façon neutre leur jugement professionnel sur diverses questions. Je pense que si l'on demandait à un officier ce qu'il pense de la politique du gouvernement à cet égard, il répondrait de façon formelle. Si l'on demandait à un officier supérieur des forces armées quel choix il ferait, en tant que professionnel, s'il avait la possibilité de faire ceci ou cela, vous obtiendriez une réponse différente, selon moi. Il est important de formuler ces questions de façon à laisser aux gens la marge voulue pour répondre. C'est la première chose.
• 1625
Ni le ministère ni les forces armées n'ont un plan pour la
force future. Nous pouvons examiner diverses déclarations faites
par des députés, des travaux effectués par des fonctionnaires. On
peut lire le document du chef d'état-major de la Défense, Stratégie
20/20, qui énonce certains paramètres pour une force de l'avenir.
Le problème de certains de ces documents, c'est qu'ils ne
renferment pas de ligne de budget. J'estime que les députés doivent
savoir quelle est la ligne de budget et en s'y mettant, ils
pourraient la trouver eux-mêmes.
Je ne suis pas engagé dans la réforme parlementaire ces jours-ci, mais j'ai toujours pensé que votre comité ainsi que d'autres comités de la Chambre bénéficieraient d'une recherche plus indépendante qui serait soumise au président, aux députés, pour qu'ils puissent fouiller davantage ces questions. Peut-être est-ce là un sujet pour un autre jour.
Le président: Merci, monsieur Bachand.
Monsieur Peric.
M. Janko Peric (Cambridge, Lib.): Merci, monsieur le président.
Monsieur Bland, comment décririez-vous nos forces en Bosnie aujourd'hui?
M. Douglas Bland: Je n'y suis pas allé moi-même, mais je connais un grand nombre des commandants qui y sont allés et je dirais que les Forces canadiennes en Bosnie affichent un taux élevé d'efficience opérationnelle lorsqu'ils sont sur le terrain, lorsqu'ils s'acquittent de leur mission. Ils peuvent uniquement atteindre cet état de préparation grâce au travail dévoué de membres des forces armées et à la mise en commun—je ne dirai pas la cannibalisation—du plus grand nombre possible de ressources des forces armées pour servir cette unique mission. Je pense que nos troupes sont efficaces mais que certaines d'entre elles sont aussi fatiguées.
M. Janko Peric: Fatiguées de quoi?
M. Douglas Bland: Fatiguées en général, en ce sens qu'elles travaillent trop fort tout le temps, qu'elles n'ont pas suffisamment de temps pour réfléchir, pour se refaire une santé et pour perfectionner leur formation individuelle et collective, en unité. À mon avis, c'est un problème sérieux.
M. Janko Peric: Selon vous, elles ne seraient pas prêtes au combat?
M. Douglas Bland: Compte tenu de ce à quoi nous sommes habituellement confrontés dans ce théâtre d'opérations, du niveau de combat, qui met habituellement en cause des armes légères pendant une courte période, je pense que nos troupes sont dans la plupart des cas en mesure de faire face à ces problèmes. Par contre, elles ne sont pas capables, en tant qu'unités, d'affronter sur le terrain une force militaire bien entraînée qui tenterait de livrer combat dans le contexte d'un champ de bataille traditionnel. Ces unités devraient être retirées du terrain, reformées et intégrées à d'autres unités.
N'oubliez pas que malgré l'importance de notre engagement en Bosnie, ce sont de petites unités opérationnelles qui sont là. L'ensemble de l'opération s'articule autour d'un petit bataillon, d'un commandant et du travail qu'il effectue dans son secteur avec des alliés. Il ne s'agit pas d'opérations militaires de grande envergure.
M. Janko Peric: Comment décririez-vous la qualité de vie dans les forces armées actuellement?
M. Douglas Bland: La vie est difficile pour les militaires et leur famille et une grande partie de ces difficultés tient à la cadence des opérations. Depuis longtemps et non pas depuis les quelques dernières années seulement, lorsque les dirigeants des forces armées ont été forcés de trancher entre payer leurs effectifs, rénover les logements familiaux, acheter du nouvel équipement, etc., on a toujours exercé sur eux des pressions pour qu'ils achètent de l'équipement, qu'ils se dotent de nouveaux moyens, etc. et c'est ainsi qu'une bonne partie de l'infrastructure des bases—les maisons, les écoles et ainsi de suite—s'est détériorée.
Chose intéressante, alors que j'étais enfant et que je vivais sur une base en Ontario—mon père était sergent—nous sommes déménagés dans l'un des nouveaux logements familiaux que Brooke Claxton avait construits pour les forces armées. Ces logements ont été construits en 1951. Je ne pense pas que les forces armées en aient construit de nouveaux depuis. Nous en avons rénové quelques-uns. Au camp Borden, si l'on déambule dans les zones réservées aux logements familiaux, c'est comme si l'on se retrouvait dans les années 50; les maisons sont désuètes, etc.
M. Janko Peric: Vous êtes un ancien membre des Forces canadiennes?
M. Douglas Bland: C'est exact.
M. Janko Peric: Pourquoi avoir quitté l'armée?
Le président: Monsieur Peric, c'est là une question plutôt personnelle, et le professeur Bland est libre d'y répondre...
M. Douglas Bland: J'y répondrai volontiers.
J'ai été militaire dans les forces armées pendant 30 ans. Au moment où nous avons remporté la guerre froide, j'ai jugé que le moment était venu pour moi de partir et de travailler dans un domaine différent, ce que j'ai fait.
M. Janko Peric: Si l'on vous donnait le choix aujourd'hui entre rehausser la qualité de vie ou acheter de l'équipement, quelle serait votre priorité?
M. Douglas Bland: Nous ne devrions pas être forcés de faire ce genre de choix. À l'heure actuelle, les forces armées ont besoin de plus de personnel, d'une meilleure qualité de vie, de plus de soutien pour les familles, d'un équipement amélioré, de plus de moyens.
M. Janko Peric: Le grand jeu.
M. Douglas Bland: Le grand jeu.
M. Janko Peric: Merci.
Le président: Merci, monsieur Peric.
Monsieur Anders.
M. Rob Anders (Calgary-Ouest, AC): Merci beaucoup.
Si j'ai bien compris, le Canada est dans une situation particulière en ce sens que nous avons moins de réservistes que de soldats des forces régulières. La plupart des pays fonctionnent selon le principe que les forces de réserve comprennent beaucoup plus d'effectifs que les forces régulières. De cette façon, lorsque se présentent des situations où ils ont besoin de remplaçants, de repos, de renfort, les réserves peuvent prendre leur relais et remplacer les forces régulières. Dans un sens, c'est un cycle. Les soldats des forces régulières sont envoyés en premier et les réservistes suivent en guise d'appoint.
À votre avis, quel devrait être le ratio réserve-force régulière? Si nos forces régulières comptent 60 000 soldats—j'estime qu'elles devraient en compter beaucoup plus— quelle devrait être l'envergure de notre force de réserve?
M. Douglas Bland: C'est une question intéressante. La raison pour laquelle la plupart des États ont des réserves imposantes, c'est que la loi leur permet d'obliger leurs citoyens à y adhérer. Autrement dit, les gens sont conscrits dans les forces armées. Ils servent pendant une brève période dans ce qu'on appelle la force régulière et ensuite, ils sont automatiquement versés dans la réserve et doivent y rester pendant un certain temps car c'est la loi. Au Canada, comme vous le savez, nous avons une force de réserve constituée de volontaires. C'est une force qui est généralement modeste surtout parce qu'elle attire uniquement des personnes qui considèrent cela comme un hobby intéressant, une activité intéressante.
M. Rob Anders: Monsieur Bland, je sais que nous avons du mal à attirer des candidats de façon générale, et j'estime que certaines politiques sont responsables de la situation. J'aimerais que vous nous disiez ce qui serait l'idéal. Laissez-nous ensuite le soin de déterminer quelles conditions seraient suffisamment généreuses pour attirer des candidats.
M. Douglas Bland: Je ne peux répondre à cette question car je ne comprends pas quel objectif servirait une mobilisation ni ne sais s'il y aurait un système de mobilisation. D'après moi, le concept de la force de réserve tel qu'il existe au Canada depuis les dernières années est discutable. Toute la notion même de la mobilisation et des forces de réserve est remise en question dans plusieurs autres pays car le concept d'une guerre de masse, d'une mobilisation nationale massive, est en train de tomber en désuétude. Mais ce sont là des questions qui font encore l'objet d'un débat ici, aux États-Unis, en Allemagne et dans d'autres pays.
M. Rob Anders: Selon vous, sommes-nous prêts à faire face à des attaques terroristes? Si nous ne sommes pas prêts, que pensez-vous qu'il faille faire pour affronter de telles éventualités?
M. Douglas Bland: Il est acquis que nous avons assez bien répondu à toutes les attaques terroristes jusqu'à maintenant. Si l'on suppose que les attaques terroristes sont le fait de petits groupes de personnes dans une région limitée, les autorités policières, surtout la police civile et la GRC, sont bien équipées pour réagir.
• 1635
Le problème que j'ai évoqué ailleurs, c'est qu'il serait
avantageux pour le Canada de mieux coordonner ses opérations de
police et de renseignement militaire afin d'être à l'affût de
telles attaques et de s'y préparer, mais je ne pense pas que ce
soit un problème sérieux dans les forces armées à l'heure actuelle.
M. Rob Anders: Pour ce qui est de la souveraineté dans l'Arctique, pensez-vous que nous en faisons assez et sinon, quelles mesures recommandez-vous pour accroître notre présence dans cette région ou pour maintenir une certaine forme de souveraineté dans l'Arctique?
M. Douglas Bland: Je ne pense pas que ce soit un problème. Je n'ai aucune preuve en ce sens. Il n'y a pas en ce moment dans l'Arctique de menaces auxquelles nous n'avons pas été confrontées auparavant.
Je me plais à croire que les questions de souveraineté ressortissent au domaine de la justice et font appel aux autorités policières, etc. Les militaires peuvent être appelés à appuyer le ministère de la Justice, mais le maintien de la souveraineté dans l'Arctique est une question de droit qui n'a pas grand-chose à voir avec les forces armées. Cependant, les forces armées devraient être en mesure de venir en aide aux ministères et de donner au gouvernement l'assurance que nous avons une bonne idée de ce qui se passe dans l'Arctique. En grande partie, cela exige une surveillance par avions et par satellites.
Le président: Merci, monsieur Anders.
Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert (Oak Ridges, Lib.): Merci, monsieur le président. Je m'excuse. Rien ne fonctionne jamais comme on le souhaiterait, et je n'ai pu arriver à temps.
Je suis désolé, professeur Bland, d'avoir raté votre exposé, mais j'ai quand même lu votre article.
Après l'avoir parcouru de nouveau, je dois d'abord vous dire que si je comprends et que j'appuie les forces armées, c'est à cause de mes antécédents—plus précisément, à cause de mon père. Mon père, qui est décédé maintenant, a servi dans le régiment Argyle and Sutherland Highlanders et était un vétéran des campagnes de France, de la percée de Falaise, des Pays-Bas, etc. au cours de la Seconde Guerre mondiale. Il m'a inculqué un grand respect pour les forces armées, et j'ai toujours été convaincu qu'il faut leur fournir des outils adéquats.
Cela dit, en tant que parlementaires, notre rôle est d'élaborer la politique gouvernementale et, espérons-le, d'en voir la mise en oeuvre. À mon avis, dans tous les dossiers de politique stratégique, il faut avoir l'appui de la population.
Je m'excuse de ne pas l'avoir lu, mais l'une des choses qu'il faut faire, c'est élaborer et promouvoir les objectifs et les besoins des forces armées, qu'ils soient énoncés dans le Livre blanc de 1994 ou... Nous devons faire le point sur la situation en marge de ce document.
Il nous faut obtenir l'appui de la population car ce qui se passe souvent, c'est que les gouvernements réagissent selon la conjoncture économique et ont une approche qui s'apparente au «couper-coller». Souvent, ils vont faire des compressions dans les forces armées, car ce n'est pas difficile à faire. À d'autres moments, ils vont recoller certains morceaux et malgré tout, nous voulons que nos forces armées atteignent certains objectifs, notamment en matière de maintien de la paix. Il est évident que nous sommes arrivés au point où nous ne pouvons continuer de fonctionner comme avant, car nous n'avons plus une capacité suffisante.
De même, nous dépensons annuellement 11 milliards de dollars pour la Défense nationale. La question qui se pose, à franchement parler, est la suivante: nos priorités sont-elles mal placées? Ou dépensons-nous cet argent à mauvais escient?
Pour le Canadien moyen, 11 milliards de dollars, c'est beaucoup d'argent. Nous avons parlé de qualité de vie, et je sais que le comité s'est déjà penché sur le problème. Je sais que nous avons aussi discuté de la question de l'approvisionnement.
Si, comme l'affirme le vérificateur général, nous consacrons 45 p. 100 de nos dépenses aux services de soutien, par exemple, notre équation est-elle correcte? Comment améliorer la situation?
Si nous voulons augmenter le budget de la Défense nationale au-delà de 11 milliards de dollars pour le porter à un chiffre magique donné, il faut s'assurer, comme je le disais au début de mon intervention, d'élaborer un plan d'appui à long terme aux forces armées au Canada. Comme je le disais, la guerre froide est terminée et bien des gens se demandent pourquoi nous aurions besoin d'une armée ou d'une marine permanente imposante, nonobstant les questions d'intérêt national et de souveraineté?
Le président: Monsieur Wilfert, vous n'avez pas laissé beaucoup de temps pour une réponse.
Professeur Bland.
M. Douglas Bland: Vous avez ici même une réponse à votre question. Il est très important que le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants et d'autres composantes du Parlement jouent un rôle de premier plan pour attirer l'attention de la population sur les questions de défense nationale—non seulement sur ce que souhaitent les forces armées, mais sur le fait qu'il s'agit d'une institution nationale et que le Parlement est responsable de la défense du Canada. Ce ne sont pas les forces armées qui sont responsables de la défense du Canada.
Je pense que c'est important. L'initiative qu'a prise le Sénat de constituer un Comité de la défense est très significative. Les forces armées recueillent énormément d'appuis dans le pays. Il faut que nos dirigeants politiques sensibilisent la population et expliquent aux citoyens pourquoi cette entité pour laquelle ils ne ressentent guère d'enthousiasme est importante pour eux et pour l'intérêt à long terme du pays.
En matière de finances, l'histoire de la défense montre que nous avons toujours été aux prises avec les mêmes problèmes, à savoir quels volets financer: les effectifs, les opérations et l'entretien, ou l'achat d'équipement. L'acquisition de nouvel équipement est presque toujours reléguée au dernier rang car les autorités militaires tentent de gérer leurs opérations dans le cadre d'un budget fixe. Tout comme un retraité ayant un revenu fixe, confrontés à une nouvelle dépense, il leur faut laisser tomber autre chose. C'est la situation imposée aux forces armées par le budget de la défense.
Il faut que les députés deviennent des experts du budget de la défense. Où est l'argent? Où va-t-il? Et pourquoi est-il acheminé dans une direction plutôt que dans une autre? Toute cette information est entre les mains des ministères et facilement accessible. Il faut simplement faire l'effort de la récupérer. À ce moment-là, vous seriez en mesure d'expliquer aux citoyens à quoi servent ces 10 milliards de dollars. Il est très facile de voir où va cet argent: en majeure partie, il sert à payer les effectifs. Si l'on veut déployer du personnel compétent au bon endroit, avec l'équipement qui convient, il faut engager des dépenses.
À mon avis, la Défense nationale est une institution nationale qui doit recevoir l'appui du Parlement.
Le président: Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: Je dénote un certain paradoxe actuellement dans la formation qui se donne dans l'armée. Je trouve qu'il y a deux écoles de pensée qui sont appliquées en parallèle.
Ainsi, on continue de former les gens aux opérations de combat et à toutes les techniques qui s'y rattachent: le corps à corps, le maniement des armes, la stratégie militaire sur le champ de bataille, etc. Or, dans la réalité actuelle, ce n'est plus ce que l'armée est appelée à faire; elle est appelée à maintenir la paix et il y a une grande différence entre ces deux vocations.
Lorsqu'on est sur le champ de bataille, on ne fait pas beaucoup de quartiers; c'est probablement celui qui va tirer le premier qui va survivre. Lorsqu'on s'engage dans une mission de paix, il faut peut-être éviter de tirer un premier coup de fusil parce qu'alors, tout le monde risque de se faire tuer.
De quelle façon pensez-vous pouvoir concilier les deux? Est-il possible, selon vous, qu'on puisse amener l'armée canadienne à changer de philosophie ou, du moins, à lui faire accepter qu'elle ne peut former les troupes à ces deux fonctions? Est-ce qu'il est possible d'entraîner des gens, ou bien à combattre sur le champ de bataille—et voici les techniques à employer—ou bien à participer à une mission de paix avec les techniques de médiation, d'approche et de discussion qui sont de mise?
Est-il possible qu'un même individu puisse maîtriser les deux? Seriez-vous plutôt en faveur d'une formation spécifique selon celui des deux rôles qu'on aurait à remplir?
[Traduction]
M. Douglas Bland: Je pense qu'il est possible de maîtriser ces deux disciplines, et nous avons la preuve que c'est ce que nos militaires ont fait. Pendant la longue période au cours de laquelle nous avons consacré la majeure partie de notre temps et de nos efforts à l'OTAN, le personnel entraîné pour les opérations de combat de l'OTAN a constitué le bassin dans lequel nous avons puisé nos casques bleus.
Il y a une chose importante qu'il faut comprendre, soit que dans les circonstances actuelles, les missions auxquelles nos effectifs participent sont des opérations de quasi-combat. J'espère que certains députés ont eu l'occasion de se rendre en Bosnie et ailleurs pour visiter nos troupes sur le terrain. Vous constaterez que ce sont des endroits très dangereux où nos soldats ne sont pas des agents postés au coin d'une rue. Ils sont dans des situations périlleuses.
Évidemment, le Parlement peut dire aux forces armées qu'il leur fournira uniquement les fonds permettant d'assurer une formation de boy-scout; elles pourront uniquement faire office de policiers en cas de conflit mondial. C'est facile. Mais s'il se produit dans le monde un événement particulier et que le Canada n'a pas les moyens de faire sa part, qu'il n'est pas prêt et qu'il se retrouve en marge de la communauté internationale dans une conjoncture difficile—supposons une nouvelle guerre de Corée—alors c'est le Parlement qui sera responsable et non les forces armées.
• 1645
La plupart des militaires que je connais et qui ont
l'expérience de missions dans diverses régions du monde sont mal à
l'aise à l'idée que nous mettions tous nos oeufs dans le même
panier en disant: c'est désormais tout ce que nous ferons, et rien
d'autre. Ils ont le sentiment qu'un jour, quelque part, au moment
où nous nous y attendrons le moins, le Parlement ou une autre
entité leur dira de participer à des opérations de combat. Ils
tentent d'encourager les gens à penser et à travailler de cette
façon. À mon avis, c'est une démarche responsable compte tenu de
l'histoire du XXe siècle et sans doute du nouveau siècle.
Il est possible de spécialiser nos effectifs, mais il est aussi possible de les former pour qu'ils soient capables de travailler dans des théâtres de combat et ensuite, de leur confier des interventions dans des cadres moins violents.
Le président: Autre chose, monsieur Bachand?
M. Claude Bachand: Non.
Le président: Monsieur Provenzano.
M. Carmen Provenzano (Sault Ste. Marie, Lib.): Professeur Bland, à la page 38 de votre article... Je vais vous citer car je pense que vous avez fait là une observation très valable:
-
Qu'est-ce que les membres de l'opposition qui siègent au Comité de
la défense veulent le plus souvent entendre de la part des témoins
sinon des plaintes contre le gouvernement? Les membres du
gouvernement, en revanche, semblent souvent ne s'intéresser qu'à la
défense de leurs décisions et de leurs actions.
Je dirais que c'est ainsi que les choses se passaient avant et se passent maintenant.
L'idée qu'ensemble, les députés puissent élaborer une stratégie de défense non partisane est fascinante, bien que difficile à concrétiser dans la réalité. Je me demandais, professeur Bland, si vous ne pourriez pas fournir au comité les éléments d'un plan susceptible de susciter ce consensus non partisan.
M. Douglas Bland: Premièrement, je ne dénigre ni ne sous-estime l'importance de la politique partisane dans un régime parlementaire. C'est le fondement du système. Mais il convient de se rappeler qu'en période de crise aiguë au Royaume-Uni, au Canada et ailleurs, à l'époque de la guerre, les gouvernements ont formé des coalitions pour élaborer une stratégie de défense nationale en vue de sauver le pays. Cela a été un volet très important du travail de Churchill et des premiers ministres à l'époque de la Première Guerre mondiale. J'en suis conscient aujourd'hui puisque nous sommes dans la salle du centre de planification. C'est ici que Mackenzie King a réuni des représentants de divers partis pour leur demander: comment allons-nous élaborer une stratégie nationale pour résoudre cette crise? Je pense que cela fait partie de la tradition parlementaire du Canada. Lorsque le pays fait face à une crise, les partis font front commun.
Pour ce qui est d'une ébauche de plan, je dirais qu'en ce qui concerne les principaux enjeux de la politique, il n'y a guère de différence entre les propos des partis d'aujourd'hui et des partis d'autrefois. Quels sont les objectifs? Défendre le Canada. Défendre l'Amérique du Nord en collaboration avec les États-Unis. Participer volontairement à des opérations visant à garantir la sécurité internationale. Il y a aussi les missions. Les forces armées canadiennes devraient avoir les moyens d'opérer au centre du spectre de combat, si vous voulez, pas au niveau supérieur, avec des porte-avions nucléaires, mais pas non plus au niveau inférieur, en fournissant uniquement des agents de police, au centre.
Je pense qu'il existe parmi les personnes qui s'intéressent à la défense nationale dans les milieux politiques, qui sont au pouvoir ou qui l'ont été, un consensus selon lequel un budget représentant 2 à 3 p. 100 du PIB nous permettrait sans doute de nous doter des moyens que nous voulons. Voilà pour le côté historique. Mais je peux me tromper. Peut-être que les gens seraient fort mécontents si le programme de leur parti renfermait de tels éléments.
À mon avis, les Canadiens considèrent que nous devrions avoir des réserves, des plans de mobilisation, certains éléments de l'industrie de la défense et une surveillance parlementaire serrée du ministère et des forces armées. Mon plan comprendrait tous ces éléments, mais peut-être achopperait-il sur des questions de détail.
Le président: D'autres questions, monsieur Provenzano?
M. Carmen Provenzano: Non.
Le président: Monsieur Hanger.
M. Art Hanger: Monsieur le président, ma question s'apparente à celle de M. Provenzano.
Je pense qu'il a posé une question fort valable. C'est intéressant que vous ayez présenté ce document juste avant la séance car je lui accorde beaucoup de poids. En fait, je pense que c'est une réflexion que nous devrons faire si nous voulons déboucher sur une position neutre en vue de souligner ce que devrait représenter notre armée.
Nous avons parlé de l'état de préparation et de la façon dont nous devrions le définir. Je suppose que cela fera partie intégrante de nos discussions au cours des prochains mois. Vous avez parlé d'un cadre général qui va au-delà de l'équipement, qui englobe une série d'autres facteurs essentiels pour avoir une force dotée de la capacité idéale. Vous avez également évoqué la nécessité d'exiger des explications des forces armées elles-mêmes et d'examiner ses normes et grilles de mesure.
Je me souviens d'avoir assisté à une réunion, au Centre des congrès, qui réunissait des experts militaires, de même que... Je ne pense pas qu'un grand nombre de politiciens aient été présents, si ce n'est le ministre de la Défense, qui y a pris la parole. Il parlait d'une révolution dans les affaires militaires. Les Britanniques ont expliqué ce qui les avait poussés dans cette direction, ce qui les avait amenés à... pratiquement un consensus de tous les partis concernant la force militaire optimale pour la Grande-Bretagne et ses intérêts dans le monde.
Fondamentalement, la crise des îles Malouines a été l'élément déclencheur. À partir de là, ils sont passés de cette position à un consensus plus vaste dans leur pays.
Je suis allé en Australie. En Australie, le Comité des affaires étrangères—ou le ministre, je suppose—souhaitait que l'armée participe à certaines activités à l'extérieur du pays. Les dirigeants militaires lui ont fait savoir qu'ils n'étaient plus en mesure de s'exécuter, qu'ils avaient déjà atteint leur limite. Cela a donné lieu à un grand débat au Parlement d'où est sorti un consensus non seulement au sujet d'une politique des affaires étrangères très claire, mais dans la foulée, d'une politique stratégique.
Ensuite, les politiciens ont consulté les militaires et leur ont demandé ce dont ils avaient besoin pour concrétiser ces politiques. Je ne pense pas que nous ayons jamais atteint ce point dans notre pays. Je constate que bien des dossiers qui relèvent du domaine militaire sont présentés sous un éclairage partisan.
Il se peut que nous soyons d'accord, du moins au sein de notre parti, pour avoir une force militaire dotée d'un financement de base tournant autour de la moyenne de l'OTAN de deux et quelque pour cent du PIB—ce qui est pratiquement le double de ce qu'il est à l'heure actuelle—afin d'assurer notre aptitude au combat, voire notre état de préparation. Les conditions que nous jugeons nécessaires à l'état de préparation peuvent fort bien être différentes de celles des députés qui siègent de l'autre côté de la Chambre.
Quel sera le moteur d'une collaboration non sectaire, même dans des dossiers comme ceux-là? Vous avez parlé d'un cadre. C'est vraiment ce dont nous avons besoin. Je n'entrevois pas que cela se concrétise sous peu.
M. Douglas Bland: L'expérience australienne est des plus intéressantes car elle n'a pas uniquement donné lieu à un consensus parmi les partis. Il y a environ deux ans, les Australiens ont accouché d'un livre blanc, mais ce n'était pas le résultat d'un consensus des dirigeants politiques au sujet de ce qu'il convenait de faire. C'était le fruit de discussions avec les dirigeants militaires et c'est à partir de là qu'il y a eu un consensus au sujet de la voie à suivre.
En somme, les dirigeants politiques ont dit aux autorités militaires: nous voulons que vous fassiez telle ou telle chose pour une somme d'argent donnée. Les militaires ont répondu: c'est impossible. Les dirigeants politiques ont rétorqué: que penseriez-vous de cela? C'était un peu comme lorsqu'on achète une voiture et qu'on discute des options.
Au bout du compte, ils en sont venus à comprendre ce dont avaient besoin les forces de défense de l'Australie pour s'acquitter de la mission que voulait leur confier le gouvernement. Le deuxième volet d'une telle entente consiste pour le Parlement à exiger des militaires qu'ils respectent ce marché. Parallèlement, les citoyens exigent le même respect de la part des dirigeants politiques.
• 1655
Plus récemment, vous vous souviendrez du comité spécial mixte
de la Chambre et du Sénat. D'après mon expérience, après avoir
discuté et fait des travaux de recherche avec des collaborateurs du
comité, il y régnait une très bonne compréhension des éléments
nécessaires à un bon consensus. Le rapport a été en grande partie
très utile—là où il était question d'affaires militaires, à
l'exclusion d'autres questions. C'était une bonne ébauche de plan
pour le pays. À mon avis, il serait judicieux que le Comité
permanent de la défense et des anciens combattants assume le
leadership pour bâtir ce genre de consensus, et c'est ce qui semble
être en train de se produire.
Le président: Merci, monsieur Hanger.
Monsieur Wilfert.
M. Bryon Wilfert: Monsieur le président, je suis désolé, mais je dois partir en vitesse pour présider une autre séance.
Très brièvement, professeur Bland, je serais ravi de voir s'installer une perspective non sectaire, bien que la nature même de cette institution semble y faire obstacle dans de nombreux dossiers. Toutefois, je pense qu'en matière de défense nationale, on suppose qu'il serait possible de dégager un certain consensus.
Mais si, dans un monde idéal, nous pouvions recommencer à la case départ et préciser ce que nous souhaitons que fassent nos forces armées, et quelles devraient être les ressources nécessaires pour réaliser certains objectifs, comment devrions-nous nous y prendre pour recueillir l'appui populaire et financier nécessaire étant donné qu'en politique, tout est fondé sur les priorités? J'en conviens, il faudra peut-être enlever à l'un pour donner à l'autre, mais il faut faire en sorte d'avoir une stratégie à court et à long terme que les parlementaires comprennent, que les forces armées comprennent et que la population comprenne...
À mon avis, si nous pouvions aborder le problème sans idée préconçue—ce qui peut ou non être facile à faire—je pense que nous pourrions dégager un certain consensus en tenant compte non seulement des besoins de notre pays, mais de nos rapports avec le monde qui nous entoure. De toute évidence, l'armée de 2001 est bien différente de l'armée de 1960 ou de 1940. Avez-vous réfléchi à cette question?
M. Douglas Bland: Lorsque je parle à des étudiants et à d'autres personnes, je juge important de leur faire comprendre que les forces militaires n'ont aucun objectif. Les militaires sont neutres. En fait, il arrive qu'ils ne le soient pas mais essentiellement, ils le sont. Le Canada...
M. Bryon Wilfert: C'est exact. Mais quels sont nos objectifs pour...
M. Douglas Bland: Cela dit, le Parlement doit avoir une politique de défense et une politique étrangère cohérentes pour pouvoir expliquer aux militaires qui seront sans doute leurs homologues de l'autre côté de la table, ce qu'ils attendent d'eux. Il ne suffit pas simplement de rabâcher les mêmes choses et de dire: défendre le Canada, défendre l'Amérique du Nord, etc. Il faut leur dire: nous voulons que vous exerciez dans l'Arctique une surveillance aérienne équivalent à 2 000 heures de vol par année. Combien cela coûte-t-il? Nous voulons avoir six navires au large de chacune de nos côtes en tout temps. Combien cela coûte-t-il? Nous voulons que vous puissiez envoyer, en tout temps, 3 000 soldats entraînés au combat dans un cadre de combat moyen dans un délai de 25 jours. Combien cela coûte-t-il?
L'état-major pourrait fournir des réponses—pas tellement combien cela coûte cet après-midi, mais combien cela coûte au fil des ans. Le Parlement souhaite que les forces armées comptent 60 000 hommes et femmes. Combien cela coûte-t-il aujourd'hui, combien cela coûtera-t-il demain et dans dix ans? Il faut établir ces données. Si le coût est trop élevé, il faut envisager un autre éventail de moyens. C'est le genre de précisions qui seraient utiles aux forces armées, aux fonctionnaires et aux autres intervenants. Je n'en suis pas certain, je suis sans doute naïf... Est-il difficile de s'entendre sur des normes de ce genre au Parlement?
M. Bryon Wilfert: On ne le penserait pas. Merci.
Le président: Merci, monsieur Wilfert. Monsieur Goldring.
M. Peter Goldring: Merci, monsieur le président.
Professeur Bland, il semble évident qu'il serait plus facile d'aboutir à un consensus et à une entente si les enjeux correspondaient davantage aux exigences. On nous a soumis de nombreuses questions et quand une entente est intervenue, c'est que les parties avaient collaboré pour trouver une solution. En l'occurrence, au cours de la dernière législature, cela a été le cas dans le dossier des anciens combattants de la marine marchande, des anciens combattants de Hong Kong. Il s'agissait de deux dossiers en suspens où, je l'avoue, un fossé nous séparait, mais au bout du compte, nous avons uni nos efforts, ouvrant ainsi la porte à une entente, à un consensus.
Je constate le même genre de problème en ce qui concerne les exigences militaires. Essentiellement, nous exprimons au sujet des exigences militaires des préoccupations plutôt communes et vous en confirmez quelques-unes. Nous siégeons ici et, selon nous, il existe une certaine réticence à mettre en oeuvre bon nombre de ces exigences, une hésitation à aller de l'avant.
Je reviens encore une fois à votre article, dans lequel vous dites que peu de sénateurs et de députés ont une expérience militaire. Est-ce l'une des raisons pour lesquelles il y a une réticence à accepter les experts militaires, à accueillir l'avis des personnes, hommes et femmes, qui sont dans l'armée, lorsqu'elles affirment avoir besoin de quelque chose? Après tout, ce sont les experts. Ce sont eux qui pourraient m'expliquer comment atteindre un état de préparation opérationnelle. Ce sont eux qui pourraient me préciser à quelle fréquence ils devraient changer de théâtre d'opération étant donné que lorsqu'ils sont trop fréquemment envoyés en mission, qu'ils partent et qu'ils reviennent trop souvent, cela nuit à leurs relations avec leurs proches au pays.
De façon générale, ce sont là des questions qui font écho aux préoccupations des militaires, mais pour notre part, il y a une certaine réticence à les accepter. Est-ce à cause d'un manque de bagage militaire? Pourquoi y a-t-il de la résistance dans ces dossiers? Est-ce une simple question d'argent ou est-ce tout simplement que nous ne voulons pas entendre les préoccupations des militaires, que nous avons d'autres dossiers que nous jugeons plus importants que celui-là?
M. Douglas Bland: On pourrait renvoyer la question à l'autre côté, mais premièrement, vous avez tout à fait raison de dire que le Parlement, notamment votre comité et le Sénat, ont collaboré périodiquement pour élaborer une politique non sectaire dans divers domaines. La question de la qualité de la vie n'aurait pas pris le devant de la scène sans les efforts du comité et du Parlement et je pense qu'en ce qui concerne l'état de préparation opérationnelle, le processus de discussion concernant la qualité de vie dans l'armée est un modèle valable à suivre.
Dans le contexte de leurs discussions au sujet de l'état de préparation opérationnelle et de l'efficience opérationnelle, il serait utile que les membres du comité aient à l'esprit, comme je le disais au début, cette idée qu'ils sont là pour établir des normes. Quelle est la norme concernant le rapatriement après une mission? Est-ce la norme que personne ne soit envoyé à l'étranger pendant 18 mois après avoir participé à une mission de six mois? C'est la norme. Mais évidemment, elle a un coût et il faut en tenir compte. À bien des égards, vous affirmez que les militaires sont en accord avec ce que vous proposez, et je pense que c'est juste.
Les personnes qui sont au service du gouvernement, particulièrement les hauts fonctionnaires qui oeuvrent dans le domaine de l'élaboration des politiques, sont assujettis à certaines contraintes pour ce qui est de répondre aux questions. Par conséquent, nous devons poser les bonnes questions. Cela dit, il y a des centaines, voire des milliers d'autres personnes qui ont une expérience militaire récente crédible dans notre pays et à l'étranger, qui peuvent répondre à certaines de ces questions pour vous. Et j'ai le sentiment qu'un grand nombre d'entre elles seront des témoins. Je pense que c'est une autre façon d'aborder le problème.
Je ne m'attends pas à ce que le gouvernement un jour dise simplement: nous avons un gros problème, et qu'il demande au chef d'état-major de la Défense de bien vouloir se rendre au Conseil du Trésor pour puiser dans le Trésor ce dont il a besoin. De toute façon, je ne pense pas que ce serait sage. Cependant, j'estime qu'il serait utile que les députés de comités comme le vôtre et d'autres, ainsi que des sénateurs, déploient des efforts pour dégager un consensus au sein de leurs caucus, et ainsi de suite.
M. Peter Goldring: Dans la même veine, dans quelle mesure les risques de conflits futurs sont-ils évalués clairement? Nous avons tendance à relâcher notre vigilance, convaincus que nous sommes qu'il n'y aura jamais d'autres guerres comme la Première et la Seconde Guerre mondiales, mais de nos jours, nous intervenons bien avant que ces conflits puissent dégénérer. Si nous étions intervenus en Tchécoslovaquie, en Alsace-Lorraine et même au cours de la Seconde Guerre mondiale, le scénario aurait été entièrement différent. Cependant, malgré les interventions hâtives et le maintien de la paix, il y a eu la Guerre du golfe. Cinq cent mille soldats alliés y sont allés. Vous avez également mentionné les Malouines.
Comment la situation internationale et ce risque permanent dans le monde... Quel message devons-nous transmettre au gouvernement au sujet de notre état de préparation? À quel type et à quel niveau de conflit devrions-nous pouvoir faire face?
M. Douglas Bland: Cela revient à la question: prêt pour quoi? Encore une fois, c'est une question à laquelle il n'y a pas de réponse objective. La réponse tient au consensus qui se dégagera à la Chambre et au sein de la population sur ce qui est possible.
Mais l'on peut établir de grandes catégories, ou des catégories définissables d'opérations. Il y a les opérations de police simples à une extrémité du spectre et la guerre totale à l'autre. À quel échelon du spectre allons-nous intervenir? J'estime qu'il est possible d'en arriver à un consensus, mais encore une fois, cela dépend de la politique étrangère.
Si le Canada veut être le champion de la sécurité humaine dans diverses régions du monde, il faut qu'il se dote des moyens de le faire. Ce n'est pas simplement notre parole. Si nous voulons appuyer les Nations Unies dans leurs opérations, il faut que nous ayons les moyens de le faire. Dans quelle mesure sommes-nous prêts à contribuer?
Je suis attristé parfois en pensant à la situation au Rwanda, au dilemme du général Dallaire qui a demandé de l'aide une fois sur le terrain. Il s'est tourné vers les Nations Unies et n'a obtenu aucune aide. Mais ce qui me dérange, c'est ce qui se serait passé s'il s'était dit: «Les Nations Unies ne vont pas bouger; je vais téléphoner à Ottawa pour qu'on m'envoie 5 000 hommes ici, maintenant.» Nous n'y serions pas allés.
M. Peter Goldring: Puis-je poser une autre question?
Le président: Nous vous reviendrons, monsieur Goldring. M. Price attend.
M. David Price: En fait, je voulais poursuivre dans ce sens parce que vous avez fait valoir un très bon argument. Comme vous l'avez dit, en matière d'état de préparation opérationnelle, on examine les termes et les définitions, mais les termes et les définitions de quoi? Je pense que nous devrions examiner également la politique étrangère, notre politique actuelle et son orientation. En somme, il faudrait presque passer en revue également la politique étrangère pour savoir quels termes et définitions nous utiliserons. Iriez-vous aussi loin?
M. Douglas Bland: Franchement, je ne le pense pas. À mon avis, il serait très avantageux que votre comité, peut-être avec l'aide du comité sénatorial, s'attache à la question de l'état de préparation opérationnelle étant donné qu'elle amène sur le tapis un grand nombre d'autres considérations qu'il convient d'examiner.
Je pense que l'enjeu très important de l'état de préparation opérationnelle, sur lequel on ne s'est pas penché depuis des années et des années, serait noyé dans une étude générale de la politique étrangère et de la politique de défense dans leur ensemble et que ce serait dommage. Il semble que nous élaborions nos politiques de façon progressive. Ce que je dis aux étudiants, c'est qu'au Canada, nous ne concevons pas de politiques, nous les découvrons.
Une voix: Nous réagissons.
M. Douglas Bland: Non, pas au sens où nous réagissons. Nous tâtons le terrain. Nous parlons aux politiciens. Nous parlons à divers intervenants. Ce parti parle à cet autre parti, et nous découvrons ce qui est possible. Autrement dit, c'est l'art du possible, comme quelqu'un l'a écrit il y a longtemps. Nous procédons progressivement, et ce n'est pas une mauvaise chose.
Vous avez examiné la qualité de vie des militaires; cela fait partie de la politique de défense. Il faut aussi examiner la question importante de l'état de préparation opérationnelle, mais il va de soi que lorsqu'on commence à poser la question: prêt pour quoi?, cela ouvre la porte à la réflexion sur le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui et dans lequel nous voulons vivre à l'avenir, sur la politique étrangère qu'a traditionnellement eue le Canada et sur les moyens à prendre pour la servir. Je pense que c'est la meilleure démarche.
M. David Price: Vous avez parlé un peu du Sénat et de sa participation. Vous avez aussi dit que le problème tenait en partie au fait qu'en tant que membres d'un comité parlementaire, notre participation est parfois brève—il n'y a guère de garantie—alors qu'au Sénat, on tend davantage vers le long terme. Préféreriez-vous que notre comité devienne un comité mixte avec le Sénat pour bénéficier de cette longévité?
M. Douglas Bland: J'ai pris connaissance des travaux du Comité sénatorial de la défense dans les années 80 sur les effectifs, la marine, l'aviation et le transport par air. Ces études menées par le Sénat ont toutes donné lieu à des rapports très fouillés. Je ne peux qu'attester l'importance du travail effectué par le Sénat en collaboration avec la Chambre au sein du comité spécial mixte.
Dans ma perspective, il serait utile que des représentants de l'autre endroit se joignent aux travaux de votre comité à l'occasion, soit pour étudier une question cruciale soit pour faire partie de l'audience et entendre les conversations formelles et informelles qui ont cours.
Le président: Voulez-vous ajouter autre chose, monsieur Price?
Avec la permission du comité, je pourrais peut-être poser une question ou deux, mais je n'ai pas l'intention d'en faire une habitude.
Professeur Bland, tout à l'heure, vous avez fait référence à l'industrie de la défense. À mon avis, ce secteur a un rôle à jouer dans l'état de préparation opérationnelle. Je ne suis simplement pas certain de ce qu'il doit être. Ce n'est sans doute pas un domaine que vous connaissez très bien, mais j'aimerais que vous me disiez de quelle façon l'industrie serait touchée si le Canada devait se mobiliser sérieusement en ce qui a trait à l'état de préparation.
Mon autre question est la suivante: pour ce qui est de notre rapport, pensez-vous qu'il serait utile de présenter un bref survol historique concernant l'état de préparation? De toute évidence, nous avons eu des expériences assez intéressantes au cours de la Première et de la Seconde Guerre mondiales en termes de préparation à ces conflits. Cela ne veut pas dire que nous serons confrontés à quoi que ce soit d'analogue à l'avenir. Cependant, nous avons cette notion de l'immédiateté d'un futur conflit en ce sens qu'aujourd'hui, les choses se produisent tellement rapidement que nous n'aurons pas le temps de nous y préparer comme cela était le cas dans le passé, notamment au cours de la Seconde Guerre mondiale, où il y a eu la mobilisation et la formation en Angleterre, etc. Pouvez-vous commenter ces deux questions?
M. Douglas Bland: Au sujet de l'historique, je pense que cela serait particulièrement utile non seulement pour les membres du comité eux-mêmes, mais surtout pour expliquer à la population, au grand public, pourquoi ce qui s'est produit dans le passé est important et pour placer cet enjeu dans un contexte plus vaste. Il ne s'agit pas d'inquiéter les gens et de leur dire qu'à moins que nous ne soyons prêts à intervenir, le pays va s'effondrer ou quoi que ce soit, mais pour montrer ce qu'il en coûte à notre pays lorsque nous ne sommes pas prêts, que des incidents critiques se produisent et que surviennent des problèmes. Ce n'est pas trop difficile à faire.
La mobilisation des industries de la défense était un sujet chaud il y a quelques années. En fait, il y a eu de nombreuses conférences sur la base industrielle de défense, la base continentale, Canada-États-Unis, où l'on a discuté des moyens pour mobiliser rapidement l'industrie de la défense. On a envisagé d'intégrer aux contrats relatifs à de nouveaux équipements une clause exigeant des entreprises qu'elles accroissent leur capacité de production de toute une gamme de matériel, des bottes jusqu'aux munitions, en cas de crise. On a discuté de la possibilité d'intégrer cette disposition dans les contrats, dans la politique de défense et dans les négociations avec le secteur. Une bonne partie de ce travail a été abandonné à la fin de la guerre froide. Cela ne semblait plus guère important. Comme nous l'avons constaté avec les opérations au Kosovo, le sujet est revenu à l'avant-plan lorsque nous avons commencé à manquer de munitions pour nos avions. Les militaires en ont réclamées aux dirigeants des industries de défense qui leur ont répondu qu'ils n'en avaient plus d'autres.
• 1715
C'est un volet crucial de l'équation et il faut l'envisager
dans le contexte d'une vaste alliance. Je pense—et vous pourriez
le vérifier, j'en suis sûr—qu'il y a encore aux quartiers généraux
de la Défense nationale du personnel qui traite avec l'industrie du
matériel de défense et qui pourrait vous renseigner sur les plans
et les résultats.
Le président: D'accord. Je voudrais vous poser une autre brève question. Il y a quelque temps, j'ai lu—et cela remonte à quelques années—qu'au cours de la Seconde Guerre mondiale, les soldats canadiens avaient le taux de pertes le plus élevé des soldats alliés. Certains historiens militaires ont avancé que l'une des raisons était que nous n'avions pas le même encadrement assuré par des officiers qualifiés que d'autres pays et que certaines de ces pertes étaient le résultat de problèmes de leadership. Je ne crois pas me tromper en disant que d'aucuns ont avancé cette hypothèse. Êtes-vous d'accord?
M. Douglas Bland: Je pense que c'est vrai, mais il faut se rappeler qu'en 1939, à la veille de la guerre, notre force régulière comptait 25 000 ou 30 000 effectifs dans tous les services. Nous sommes alors passés à un million, et il n'y avait qu'une poignée d'officiers qualifiés à l'époque. En très petit nombre, ils ont été appelés à diriger des organisations considérables et des commandements importants dans des situations difficiles. Ils dépendaient de la milice à certains égards car, si vous vous souvenez, une vingtaine d'années seulement s'étaient écoulées entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, de sorte qu'il restait quelque expérience à cet égard. Mais c'était un grave problème. Et pour en revenir à l'état de préparation opérationnelle et à nos moyens, la présence d'officiers supérieurs qualifiés est un élément vital. On peut avoir tous les navires neufs que l'on voudra, s'il n'y a pas d'amiraux pour les diriger, on se heurtera à de graves difficultés.
À mesure que rétrécissent les forces armées et les corps d'officiers, le bassin à partir duquel on peut déceler des candidats de talent, leur donner suffisamment de temps pour s'entraîner, pour acquérir de l'expérience au sein d'organisations d'envergure, etc., rétrécit lui aussi. C'est un atout national qu'on oublie souvent, mais il est critique pour mobiliser les forces armées.
Le président: Monsieur Hanger.
M. Art Hanger: Dans votre document, à la page 40, vous évoquez un dialogue entre le CEMD, le sous-ministre de la Défense et les politiques—et ce qui serait sans doute encore mieux—les membres du comité, pour que les politiciens puissent assumer pleinement leurs responsabilités constitutionnelles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus long? À quoi faisiez-vous allusion?
M. Douglas Bland: Je suis désolé. Je n'ai pas cette citation. Je n'ai pas l'exemplaire du document.
M. Art Hanger: Voici le passage en question:
-
En y mettant le temps et avec une information bien organisée, ainsi
qu'avec l'aide honnête et non partisane du CEMD et du sous-ministre
de la Défense, les politiciens pourraient commencer à remplir leurs
obligations constitutionnelles.
M. Douglas Bland: Oui.
M. Art Hanger: Ce n'est pas ce qui se fait à l'heure actuelle?
M. Douglas Bland: Je pense qu'il y a eu des périodes de faiblesse en ce qui a trait à la surveillance des forces armées. Permettez-moi de parler de la Somalie. Comme certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai participé à la commission d'enquête en tant que conseiller pendant toute sa durée. À mon avis, il aurait fallu tenir une telle enquête avant le départ des troupes à l'étranger, et non pas après leur retour. Je pense qu'à tout le moins, le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants aurait dû convoquer le commandant désigné et lui poser des questions plutôt simples: Avez-vous des règles d'engagement? Avez-vous un plan? Savez-vous où vous allez? Avez-vous le soutien logistique dont vous avez besoin? Avez-vous tout le matériel voulu? Les soldats comprennent-ils ce qu'ils auront à faire? Un examen de ce genre, de la part du Parlement, prendrait tout au plus deux jours et à mon avis, il aurait pu prévenir certaines des difficultés que nos troupes ont eues dans le théâtre des opérations. Avant que l'officier en question vienne ici s'entretenir avec les parlementaires, les militaires auraient évidemment anticipé toutes ces questions et y auraient réfléchi.
• 1720
Voilà ce que j'entends par un système parlementaire dynamique
soucieux de s'acquitter de son obligation constitutionnelle de
défendre le Canada. La défense du Canada n'est pas la
responsabilité du ministère de la Défense nationale ni des Forces
armées canadiennes. C'est la responsabilité du Parlement, qui
fournit à ses institutions les ressources pour s'acquitter de leur
mission selon leur bon jugement. Le Parlement court un risque et
vit avec les conséquences d'un succès ou d'un échec.
M. Art Hanger: Je prévois que notre comité se heurtera à un problème d'envergure, soit la définition de termes—état de préparation opérationnelle, par exemple. Lorsque nous demanderons à tous les témoins qui comparaîtront devant nous de nous expliquer l'état de préparation opérationnelle, particulièrement sur le plan militaire, comment allons-nous définir l'expression? Quel sera le consensus?
Vous nous recommandez, entre autres, de demander des explications aux forces armées elles-mêmes. Qu'allons-nous entendre? La version révisée des maîtres politiques ou un officier militaire qui ne mâchera pas ses mots et qui nous donnera sans ambages l'heure juste?
M. Douglas Bland: Je n'en sais rien, et c'est avec beaucoup de curiosité que je suivrai les délibérations.
Mais la méthode à suivre n'est pas d'inventer une définition de l'état de préparation, mais de demander aux forces armées quelle est leur définition—comme l'a fait la Commission d'enquête sur la Somalie au chapitre 23. Il faut leur demander: montrez-moi le système d'évaluation. Comment fonctionne-t-il? Montrez-moi les critères utilisés pour évaluer cette unité. Comment cela fonctionne-t-il?
Évidemment, cela impose à l'institution le fardeau d'expliquer ce qu'elle entend par cette expression et comment tous les rouages s'imbriquent ensemble.
Je reviens aux déclarations du ministre, du chef d'état-major et d'autres, voulant que les Forces canadiennes soient à l'heure actuelle davantage prêtes au combat qu'elles ne l'ont été depuis des années. Peut-être. Mais j'ignore sur quelles normes ils se fondent pour faire une telle affirmation.
Je vous suggère de trouver le document d'état-major qui appuie cette position, et ensuite, vous verrez si vous êtes convaincus ou non. C'est de cette façon que je fais moi-même enquête sur ce genre de choses. C'est un peu comme le vérificateur qui se présente dans une société et demande à en voir les livres.
Le président: Monsieur Regan.
M. Geoff Regan (Halifax-Ouest, Lib.): Monsieur, vous dites dans votre document qu'il est nécessaire que les députés—et particulièrement les nouveaux-venus, comme moi—deviennent des experts des questions militaires. Que peuvent faire les députés pour acquérir cette expertise et dans quel domaine en particulier? Je sais que vous l'expliquez quelque peu dans votre article, mais pourriez-vous nous en dire un peu plus long à ce sujet?
M. Douglas Bland: De toute évidence, il est important que les députés s'attachent à lire les revues spécialisées et les articles sur divers enjeux pertinents. Mais encore une fois, la relation entre le ministère de la Défense nationale et le Parlement est cruciale.
Le programme de dissémination de l'information auprès des parlementaires, dont certains d'entre nous parlent depuis un an et demie ou deux, ne vise pas simplement à emmener des députés ou des sénateurs visiter des unités, même s'il est important de le faire. Il veut favoriser l'accès à des documents importants au sujet de la révolution dans la stratégie des affaires militaires, la budgétisation, etc. L'information est là. Parfois, nous ne la demandons pas, et parfois, elle ne nous est pas fournie aussi rapidement qu'on le voudrait. Mais je pense qu'il faut étudier le domaine pour essayer de comprendre ce qui se passe.
Il y a une autre démarche que j'ai suggérée à certains sénateurs, députés et autres, soit d'inviter des universitaires, des officiers militaires à la retraite, des membres de la Conférence des associations de la Défense, etc. à venir déjeuner sur la Colline. Tous les parlementaires intéressés pourraient leur parler des divers enjeux. Faites cela régulièrement.
• 1725
Cet article est tiré de la Revue militaire canadienne. À
l'instigation du comité de rédaction du magazine, le rédacteur en
chef a pris des dispositions pour que tous les députés et sénateurs
en reçoivent un exemplaire. J'espère que c'est le cas.
Si vous prenez la peine de lire certaines de ces revues, vous acquerrez en très peu de temps énormément de connaissances au sujet de ce qui se passe dans les Forces canadiennes.
Je pense que la bonne façon de procéder est d'ouvrir des voies de communication, du Parlement vers les milieux militaires et des milieux militaires vers la Chambre.
M. Geoff Regan: Permettez-moi de poser une question au sujet du corps des officiers. Vous avez dit être inquiet du déclin du nombre d'officiers. D'après ce que j'entends dire un peu partout, les simples citoyens ont l'impression qu'il y a trop d'officiers, trop de généraux pour les militaires des échelons subalternes. Ne pensez-vous pas que c'est le cas? Ai-je raison?
M. Douglas Bland: Cela a parfois été le cas. Ce n'est pas qu'il y avait un trop grand nombre d'officiers, c'est que parfois, trop de personnes font des choses qui ne semblent pas apporter quoi que ce soit à l'état de préparation ou à l'efficacité opérationnelles. La question relève d'un débat plus vaste.
Une force armée viable capable de s'adapter aux changements constants dans le monde doit avoir un corps d'officiers très qualifié. Il faut avoir suffisamment de remplaçants dans l'organisation pour que les gens puissent partir en année sabbatique—une année sur 30, peut-être—pour perfectionner leur formation, réfléchir et travailler à des projets.
Lorsqu'on ramène les ressources à leur plus simple expression et qu'il y a tout juste le nombre d'officiers pour le nombre de bureaux disponibles, personne n'a le temps de réfléchir à quoi que ce soit.
Je pense que c'est au CEMD qu'il incombe de bâtir le corps des officiers des Forces canadiennes, mais c'est une question qui devrait également intéresser le Parlement.
En 1994, le Collège de la Défense nationale à Kingston a dû fermer ses portes—une décision très malheureuse. C'est une question qu'il faudrait étudier. Ce qui est intéressant, c'est qu'on le ressuscite sous un autre nom.
Mais ces questions ont été étudiées ces dernières années: quel est le niveau d'éducation du corps d'officiers? Existe-t-il suffisamment de possibilités? Quel est l'état du Collège militaire royal? Ce sont là toutes des questions intéressantes sur lesquelles le Parlement devrait se pencher.
M. Geoff Regan: Vous avez laissé entendre que certaines activités ne contribuent pas à l'état de préparation opérationnelle. Pouvez-vous nous décrire certaines des tâches dont s'acquittent les officiers qui n'apportent pas de contribution, à votre avis?
M. Douglas Bland: À cause de la réglementation et de la façon dont le gouvernement et le Conseil du Trésor fonctionnent, un grand nombre d'officiers consacrent énormément de temps à des questions administratives. Les politiques entourant la défense nationale représentent parfois un lourd fardeau pour les dirigeants. Bien des officiers ont des emplois dans le domaine de l'administration, du traitement et des indemnités, de l'entretien des bases, et ainsi de suite, qui sont périphériques aux opérations de combat.
Le président: Merci, monsieur Regan.
Je pense que nous avons le temps pour une autre brève question, monsieur Goldring, avant de conclure.
M. Peter Goldring: Ma question concerne les acquisitions. Qui est à l'écoute, d'où vient la demande? J'ai du mal à imaginer que les militaires, qui sont les experts, n'auraient pas fait ces recommandations—et qu'on ne les aurait pas écoutés.
Au cours de la Guerre du Golfe, il y a eu le cas de cette frégate qu'on a dû arrêter pour la doter d'un canon anti-aérien Phalanx. Nos CF-18 étaient utilisés à d'autres fonctions, mais non sur la ligne de front. Ils le sont maintenant, bien sûr, et à l'heure actuelle, nos frégates sont équipées du canon Phalanx.
Dans de telles situations, j'ai beaucoup de mal à croire que les militaires n'auraient pas demandé ce matériel. Quelque chose s'est produit et on n'a pas donné suite à la demande—l'équipement n'a pas été acheté. Quelque chose est arrivé car tout le monde savait parmi les militaires que ce matériel était disponible. À moins que quelqu'un ne pense sérieusement qu'une frégate sert uniquement à patrouiller les zones de pêche hauturière, il faut l'équiper pour ce genre d'activités.
• 1730
C'est en pensant à cela que j'aimerais avoir votre opinion. Il
semble que les hélicoptères soient la question du jour. À votre
avis, quel hélicoptère serait préférable pour les militaires?
M. Douglas Bland: Je l'ignore. Je n'ai pas suivi les spécifications techniques dans ce dossier. En fait..., permettez-moi de m'en tenir là.
M. Peter Goldring: Y a-t-il quelqu'un qui prête l'oreille?
M. Douglas Bland: Bien sûr, tout le monde écoute. Tout le monde est au fait du projet, de sa genèse et du théâtre pertinent. Avant 1993, le chef d'état-major de la Défense sous le gouvernement Campbell a fait une recommandation au gouvernement au sujet de l'hélicoptère à acheter. Les conservateurs ont modifié cette demande, et le chef d'état-major, John Anderson à l'époque, a accepté cette décision puisque c'est la prérogative du gouvernement d'agir ainsi. Il a ensuite communiqué cette recommandation au gouvernement suivant, lorsque les Libéraux ont pris le pouvoir. Et depuis lors, le gouvernement est en instance de décision à la suite de cet avis.
Dans un cadre plus large, la question qui se pose est la suivante: quels sont les éléments qui entrent en compte pour décider de l'achat d'immobilisations? Encore une fois, l'un des éléments les plus importants, c'est que les fonds semblent uniquement être le solde d'autres dépenses. On parle de consacrer 26 ou 23 p. 100—à une époque c'était 13 p. 100—du budget aux immobilisations. Nous n'y arrivons jamais car l'argent est dépensé pour les traitements et les allocations, etc. C'est ce qui se produit lorsque l'on assure un financement pour ce qui est disponible et non pour ce qui est nécessaire. S'il y a lieu de consacrer 30 p. 100 du budget des immobilisations tous les ans à la Défense nationale, prévoyons un budget de 30 p. 100. Il ne faut pas dire, dépensez pour les troupes et s'il reste de l'argent, dépensez-le pour cela.
Encore une fois, les acquisitions sont dictées par les réalités techniques. Les choses changent. On achète du matériel; il faut en changer; il faut progresser.
M. Peter Goldring: Vous venez de dire que nos troupes ont manqué de munitions au cours de leur dernière mission, et je trouve incompréhensible que des militaires puissent avoir fait une aussi piètre planification. Ce sont les experts. Il est impossible qu'ils manquent de munitions. Quelque chose d'autre s'est produit qui explique qu'ils ont manqué de munitions—les acquisitions, encore une fois.
M. Douglas Bland: S'ils ont manqué de munitions, c'est parce que... Si j'ai uniquement une certaine somme à dépenser, vais-je prendre mes quelques dollars et acheter des munitions en quantité que je vais entreposer quelque part? Ou vais-je prendre le peu d'argent que j'ai et le dépenser pour une chose dont j'ai besoin maintenant parce que je ne pense pas qu'il se produise quoi que ce soit la semaine prochaine?
M. Peter Goldring: Vous étalez donc vos attentes.
M. Douglas Bland: On tient le coup. Et lorsque je dis que la force actuelle peut être l'ennemie de la force future, c'est ce que j'entends par là. La force actuelle a besoin d'argent pour payer ses soldats. Par conséquent, ses dirigeants vont prendre l'argent du budget de l'équipement et payer les soldats. En espérant que l'année d'après, lorsqu'ils auront plus d'argent—parce que le Parlement nous donnera plus d'argent l'année prochaine et qu'il y a toujours une autre année—nous achèterons le matériel que nous n'avons pas acheté. Vous me suivez?
Maintenant, supposons que nous fassions l'inverse. Nous ne paierons pas les soldats, nous ne réparerons pas les logements des familles et nous ne nous soucierons pas de la qualité de la vie car nous allons acheter des systèmes de missiles très coûteux qui, chaque fois qu'ils sont actionnés, coûtent le prix d'une Chevrolet ou à peu près, et nous allons les empiler dans un bâtiment. Et l'année suivante, lorsque nous aurons plus d'argent, nous réparerons les logements. Vous savez quoi? Vingt ans plus tard, nous n'avons pas encore réparé les logements des familles. Et c'est le genre de dilemme auquel les forces armées sont confrontées lorsqu'elles doivent faire des choix entre acheter telle ou telle chose.
Nous n'atteindrons jamais la perfection, mais ces problèmes demeureront constants, à moins que le processus de budgétisation permette aux militaires de dire au gouvernement tous les ans: voici les normes que vous avez établies pour les forces armées; voici la capacité que vous exigez des forces armées; et voici la note pour cette année et pour l'année prochaine. Mais il est typique de bien des gouvernements de dire: voici 10 milliards de dollars, faites ce que vous pouvez. Ce n'est pas très utile.
Le président: Voilà sans doute une déclaration aussi valable qu'une autre pour clore la discussion d'aujourd'hui.
Professeur Bland, je vous remercie beaucoup de vos observations. Vous avez suscité une discussion généralisée sur les problèmes auxquels nous faisons face. Nous vous remercions de votre participation et peut-être qu'à un moment donné, dans quelque temps, nous vous inviterons de nouveau à comparaître. Merci beaucoup de vos commentaires.
La séance est levée.