:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis heureuse d'avoir l'occasion de m'adresser à votre comité. C'est avec grand plaisir que je vous parlerai du travail important que fait le Centre de recherches pour le développement international, ou CRDI.
Le CRDI est une société d'État qui rend des comptes au Parlement par l'entreprise du ministre des Affaires étrangères. Un conseil de gouverneurs d'envergure internationale, formé de 21 membres, dont 11 sont Canadiens et 10 sont originaires d'autres pays, parmi lesquels huit viennent de pays en développement, est nommé par le gouverneur en conseil sur recommandation du Cabinet.
Depuis 35 ans déjà, le CRDI appuie la recherche appliquée en sciences naturelles et sociales, permettant ainsi de trouver des solutions innovatrices et concrètes qui aident les populations des pays en développement à devenir maîtresses de leur destin. Le CRDI ne se contente pas d'espérer que les choses s'améliorent; il s'emploie à produire des données probantes et à obtenir des résultats.
En voici un exemple. L'un des grands problèmes de développement en matière d'agriculture est le faible taux d'adoption de la technologie par les petits exploitants pauvres. Depuis plus d'une décennie, le CRDI appuie une méthode efficace permettant de résoudre ce problème. Il s'agit de l'amélioration participative des plantes, une méthode qui allie l'expertise scientifique des chercheurs agricoles au savoir traditionnel des exploitants locaux, afin d'améliorer le rendement des cultures tout en préservant la biodiversité. Les résultats obtenus contribuent à une meilleure sécurité alimentaire dans un très grand nombre de zones rurales.
Vous trouverez de plus amples précisions sur les retombées de l'action du CRDI dans les dossiers que nous vous avons remis.
Le message que je désire livrer aujourd'hui est le suivant: la recherche dans les pays en développement peut favoriser l'essor de la démocratie, et ce, de quatre façons.
Premièrement, la recherche est propice à la libre investigation et au débat. La liberté d'expression, la liberté de recherche et un débat ouvert sont les fondements d'une démocratie vivace. La liberté d'exécuter des travaux, d'en publier les résultats et de les exposer au débat public sans crainte de représailles en dit long sur l'état de la démocratie et des droits de la personne dans un pays.
La liberté d'expression et la liberté de recherche sont également déterminantes pour stimuler l'innovation dont toute société a besoin pour favoriser son développement et sa croissance à long terme. Une société ne peut tirer pleinement partie des technologies conçues à l'étranger à moins d'avoir ses propres capacités de recherche.
[Traduction]
Deuxièmement, la recherche élargit l'éventail de solutions concrètes face à des problèmes persistants. En effet, la recherche met davantage de solutions concrètes à la disposition des citoyens, des organismes et des responsables des politiques. La recherche fait ressortir les compromis nécessaires et la complexité des problèmes, et elle met au jour des perspectives différentes. La recherche inspire le débat et aide les citoyens à bien examiner les questions difficiles. La recherche alimente l'innovation.
Par exemple, une étude menée par des chercheurs tanzaniens avec le soutien financier du CRDI sur une meilleure répartition des dépenses en santé, qui a débouché sur l'utilisation de moustiquaires imprégnées d'insecticide dans la lutte contre le paludisme -- avant même que Sharon Stone n'en parle -- s'est traduite par une baisse de la mortalité infantile de l'ordre de 40 p. 100. Les outils mis au point par les chercheurs et testés dans les dispensaires de deux districts sont aujourd'hui appliqués dans toute la Tanzanie.
Le CRDI a également appuyé la recherche sur les politiques en Afrique du Sud, pour aider ce pays dans sa transition à la démocratie. La recherche a porté sur la rédaction de la Constitution, sur le gouvernement local et sur les politiques du commerce et de la concurrence. Plusieurs des ministres du premier Cabinet de la nouvelle Afrique du Sud démocratique avaient été associés à cette recherche, dont Trevor Manuel, l'actuel ministre des Finances.
Le fait de financer des partenaires des pays en développement soucieux de trouver une solution aux problèmes de leur pays est un gage d'appropriation du fruit de la recherche. Les résultats découlant de la recherche appliquée soutenue par le CRDI sont si convaincants que des gouvernement et des organismes sont disposés à investir temps, énergie et argent pour les utiliser et les appliquer à une plus grande échelle. Ainsi, un investissement initial modeste du CRDI peut-il entraîner, par la suite, des investissements plus substantiels de la part d'autres acteurs.
Un projet mené par le CRDI en Colombie en 1974 a donné lieu à la mise au point d'une bande tricolore permettant de mesurer la circonférence du bras entre acromion et olécrane. Cette bande, dont un échantillon est inclus dans votre dossier, est aujourd'hui couramment utilisée par divers ministères de la Santé, l'Organisation mondiale de la santé, l'UNICEF, Médecins Sans Frontières et beaucoup d'autres pour apprécier l'état nutritionnel des enfants, en particulier dans les évaluations rapides effectuées en situation de sécheresse et de famine.
Troisièmement, la recherche contribue à rendre les gouvernements comptables de leurs actes. Par les données probantes qu'elle produit, la recherche vient étayer la reddition de comptes sur le plan politique, un pouvoir judiciaire impartial et des institutions publiques transparentes et vigoureuses qui protègent les citoyens. Par exemple, au Guatemala, le CRDI appuie un observatoire judiciaire réunissant des magistrats, des avocats de la défense, des procureurs et des militants des droits de la personne afin de suivre de près l'administration de la justice pénale dans le pays. Un rapport sur le déroulement des procès a créé des remous dans les cercles judiciaires du Guatemala et a entraîné la mise sur pied d'un centre de gestion des tribunaux pénaux en vue d'une meilleure administration de la justice.
Par ailleurs, au Sénégal, le CRDI a appuyé l'étude d'une ONG, le Forum civil, qui s'est penchée sur la corruption dans le secteur de la santé. Ses constatations faisant état d'une corruption généralisée ont trouvé un ample écho dans les média locaux et alimenté le débat sur la nécessaire réforme du système. Le président du Sénégal a depuis reconnu publiquement la gravité de la corruption au sein de la fonction publique.
Le CRDI a également collaboré avec le secteur privé, entre autres avec Microsoft, pour améliorer les communications dans les pays en développement. Une plus large diffusion des technologies de la communication favorise, elle aussi, le développement démocratique.
Enfin, la recherche sert d'assise à des politiques fondées sur des données probantes. Le CRDI s'est associé au Centre parlementaire et Bob Miller va vous en parler plus tard cet après-midi. Nous avons évalué ensemble la profondeur, l'ampleur et la répartition de la pauvreté en Afrique de l'Ouest. Cette information est maintenant amplement utilisée par les élus de la région pour débattre des stratégies proposées en vue de réduire la pauvreté dans leurs pays respectifs.
Plus récemment, en juin 2006, le CRDI -- de concert avec Affaires étrangères Canada et le Centre parlementaire -- a organisé une visite à l'intention d'agent des Affaires parlementaires afghans désireux de mieux connaître le régime parlementaire du Canada. Les politiques d'aide à la démocratie devraient se fonder sur une recherche sérieuse, mais il est rare qu'elles le soient. Ce souci est l'un des grands principes qui ont inspiré la création du Conseil de la démocratie — et le ministre, M. MacKay, en a parlé lorsqu'il a comparu devant votre comité. Le ministère des Affaires étrangères et l'ACDI, ainsi que plusieurs autres organismes autonomes y participent, l'objectif étant de mettre en commun les leçons apprises et de mieux comprendre les tenants et aboutissants de la réussite ou de l'échec du soutien au développement démocratique. Le CRDI est heureux de faire partie de ce Conseil.
Chacune de ces activités souligne la nécessité de fonder les choix en matière de politique sur des données substantielles. Monsieur le président, la recherche est importante pour le développement démocratique. Elle est propice à la libre investigation et au débat. Elle élargit la gamme de solutions concrètes disponibles. Elle peut aider les gouvernements à rendre des comptes. Et elle est essentielle à l'élaboration de politiques fondées sur des données probantes. Le CRDI joue un rôle crucial dans la promotion de la recherche en faveur du développement et de la démocratisation.
Je vous remercie.
:
Monsieur le président, je viens de dire à Maureen que je souscris entièrement à tout ce qu'elle a dit, mais j'aurais deux ou trois choses à ajouter.
[Français]
Merci beaucoup, monsieur le président.
Nous sommes heureux d'être ici. Nous avons trois raisons de nous réjouir. La première est que le sujet qui nous rassemble est au coeur du mandat de Droits et Démocratie, qui a été créé, comme vous le savez, par le Parlement en 1988.
La deuxième est que je crois qu'il est nécessaire qu'au Canada on discute périodiquement de ce que fait le pays pour appuyer la démocratie dans le monde.
La troisième est que j'ai très hâte de voir l'évaluation de nos partenaires — le CRDI et les autres — de l'état de la démocratie dans le monde.
Je crois qu'on doit dire, au point de départ de nos travaux et de notre réflexion — c'est ce que nous ressentons —, que nous vivons dans un monde qui est allé substantiellement vers la démocratie depuis 30 ans et que la géopolitique du monde a été changée par les valeurs démocratiques. C'est le cas en Europe centrale et en Europe de l'Est, c'est le cas, depuis les années 1980, en Amérique latine, et c'est le cas, d'une façon plus limitée, en Afrique. De très grands pays d'Asie sont devenus démocratiques, comme la Malaisie, l'Indonésie, les Philippines, etc.
L'ordre du jour politique international est encore celui de la croissance et de l'expansion de la démocratie dans le monde. Aucune autre question ne devrait avoir priorité aujourd'hui, à mon avis, sur le plan international, pour les raisons qu'on vient d'entendre, que ce soit pour la recherche ou pour d'autres raisons liées aux libertés et aux droits fondamentaux.
Je l'ai déjà dit devant ce comité et je n'y reviendrai pas, nous, les membres de Droits et Démocratie, avons une conception de la démocratie dont un des éléments essentiels est l'ensemble des droits humains tels que reconnus dans le droit international et par les Nations Unies, ainsi que par les États qui ont signé et qui ont ratifié les instruments internationaux.
Monsieur le président, votre comité nous a posé beaucoup de questions. Je tâcherai de les résumer en quatre questions et de fournir pour chacune d'elles deux ou trois éléments de réponse qui pourront servir de base, par la suite, à notre discussion.
La première question que vous posez est la suivante.
[Traduction]
Le monde évolue-t-il vers l'acceptation de principes mondiaux de démocratie, un peu comme il l'a fait pour l'élaboration de normes internationales en matière de droits de la personne? Nous disons dans notre mémoire que nous pouvons répondre prudemment à cela par l'affirmative.
Si nous regardons ce qui se passe aux Nations Unies -- la création d'un fonds pour la démocratie, une conférence sur les démocraties en déroute et rétablies, le processus électoral soutenu par les Nations Unies et d'autres éléments que vous connaissez mieux que moi -- au niveau mondial, la notion de démocratie et...
J'essayais de dire que la démocratie a changé notre monde et que nous pouvons répondre prudemment par l'affirmative à la question de savoir si le monde évolue vers l'acceptation de principes mondiaux de démocratie. J'étais en train de faire le tour du monde pour indiquer où la démocratie... Si vous regardez la carte du monde telle qu'elle était il y a 30 ans et telle qu'elle est aujourd'hui, vous verrez que les choses ont beaucoup changé. Cela ne veut pas dire qu'il faut s'arrêter là. Cela veut dire que nous devons intensifier nos activités, et j'espère que c'est ce que fera le Canada.
Dans le contexte de cette mondialisation de la démocratie, nous mentionnons dans notre mémoire,
[Français]
De nouvelles exigences découlent de cette mondialisation de la démocratie. Je vois les rapports de la Westminster Foundation for Democracy et d'autres groupes qui, un peu comme nous au Canada, travaillent dans le domaine de la promotion de la démocratie. Les valeurs démocratiques étant devenues globales, je crois qu'on doit trouver un nouveau langage. La démocratie n'est plus uniquement l'affaire de l'Occident. Elle a été internationalisée par l'Inde, qui en a fait son système politique il y a 60 ans. La démocratie est maintenant installée, fragilement, dans de grands pays islamiques comme la Malaisie et l'Indonésie. Elle est installée dans toutes les régions du monde, elle est en lien avec toutes les cultures du monde, tous les héritages spirituels et culturels du monde. On ne peut plus faire comme on il y a 25, 30 ou 50 ans et exporter la démocratie. Ce serait une erreur absolument radicale.
Je m'inspire de ce que Maureen O'Neil vient de dire. Par conséquent, nous devons réaliser des travaux conjoints avec nos partenaires des pays qui cherchent à consolider la démocratie chez eux ou à l'établir là où elle n'est pas. Il existe là un changement très profond auquel on doit porter une très grande attention.
D'autre part, dans la première phase de la démocratie, lorsqu'elle était
[Traduction]
dans les confins euro-atlantiques,
[Français]
c'était une démocratie de pays relativement riches.
La démocratie est maintenant installée, en majorité, dans des pays pauvres, dans des pays qui connaissent de très grandes difficultés sociales et économiques. Lorsqu'on parle de travail, de promotion de la démocratie dans le monde, on doit dépasser la simple affirmation qui stipule que démocratie égale droit politiques.
La démocratie doit désormais être identifiée à la pleine reconnaissance des droits politiques et à la reddition de comptes qui en découle, bien sûr, mais aussi à la reconnaissance des droits sociaux et des droits économiques.
Dans les grands sondages qui sont menés en Amérique latine et en Afrique, les gens qui vivent la démocratie dans les pays pauvres nous demandent ce que la démocratie apporte véritablement. On sait qu'elle apporte des valeurs politiques importantes comme la liberté de parole, la liberté de mouvement et quelquefois un vague accès à une nouvelle forme de justice plus indépendante, mais les gens attendent plus que cela. Ils attendent du travail, du logement, de l'accès à la nourriture et à l'eau, des politiques qui viennent confirmer que le fait d'avoir cette nouvelle relation entre le citoyen et l'État — de contrôler l'État, d'une certaine manière — se fera aussi de façon progressive, mais se fera dans le règlement de leurs difficultés.
Monsieur le président, vous posez plein de questions difficiles, et je ne sais pas si on aura le temps d'y faire justice. Je voudrais quand même, en ce qui a trait à la société civile, dire quelque chose. Je travaille dans une institution qui, depuis sa création, a beaucoup valorisé le lien avec la société civile.
Un peu plus tôt, j'évoquais d'autres groupes dans le monde. Je pense que personne ne viendra témoigner devant vous pour dire qu'il est possible de construire la démocratie. Or, il existe un lien intime avec les sociétés civiles des pays dans lesquels nous travaillons. Ce sont les citoyens qui construisent la démocratie, ce sont eux qui maintiennent la démocratie et qui se battent pour la démocratie. Et à toutes les étapes, ce travail doit être fait.
Je souhaiterais que l'on aille cependant un peu plus loin. C'est pour cela que j'évoquais la société civile. Nous avons au Canada une grande expérience du rapport entre l'État et la société civile. Je me demande si on ne devrait pas aller un peu plus loin et structurer de façon plus forte le lien entre la société civile et les pouvoirs publics, à la fois chez nous et dans tous nos programmes de coopération.
Pourquoi faut-il — vous parliez du Sénégal un peu plus tôt — qu'il y ait dialogue entre les gouvernements, sans présence des sociétés civiles? Dans beaucoup d'États, dans l'autre monde, les populations de ces pays n'ont pas confiance dans le dialogue entre les gouvernements parce qu'ils ont l'impression que ce dialogue se situe à un niveau qui les exclut et que les politiques qui en découleront ne les rejoindront jamais.
Je souhaiterais donc qu'on aille un peu plus loin en ce qui a trait à la place de la société civile dans les négociations que nous menons pour construire les nouveaux systèmes politiques.
Enfin pour les raisons que j'ai évoquées un peu plus tôt — je dirai deux mots, le mémoire qu'on vous a soumis étant plus complet —, je souhaiterais vraiment que le comité inclue, dans les perspectives du travail canadien d'appui à la démocratie dans le monde, l'importante contribution qu'apporte le secteur privé de l'économie, les corporations qui partent avec leurs ressources, avec leurs budgets, leurs finances, leurs équipes de recherche, leurs hypothèses et qui les sèment un peu partout dans le monde.
Il y a un débat dans le monde aujourd'hui. Une table ronde sur la responsabilité des entreprises circule dans les grandes villes canadiennes. Je crois, pour avoir oeuvré dans ce monde depuis 20 ans, que l'investissement est très important. L'investissement a une telle importance sur le plan du développement, l'investissement privé a un tel impact sur la vie des gens, sur les sociétés! On le voit en Asie aujourd'hui, en Asie du Sud, en Inde et en Chine. On doit réfléchir à l'impact de cet investissement, notamment sur le plan du respect des droits et des valeurs démocratiques.
Enfin, monsieur le président, je crois que l'on doit se rappeler ce que nous savons tous — parfois, il vaut mieux le redire —, la moitié, soit 50 p. 100 exactement de la population du monde, a moins de 25 ans. Il y a 1,2 milliards d'humains qui ont entre 10 et 19 ans. Dans tous les pays où nous travaillons, dans tous ces pays du Sud, la population va croître dans les prochaines années, et le premier groupe d'âge aura entre 10 et 25 ans. Nous devons parler de démocratie à ces jeunes, nous devons trouver des moyens innovateurs et avoir de vrais programmes à leur donner.
Je pense, par exemple, à une banque de minicrédits qui serait destinée à des projets soumis par des jeunes d'Afrique, d'Amérique latine ou d'ailleurs dans le monde. Ces initiatives leur permettraient d'intervenir en tant que citoyens, de bâtir la culture politique de leur pays, de parler des institutions, de faire connaître leur situation, etc.
Monsieur le président, on manque vraiment de temps. Je voudrais quand même répondre rapidement à la question très importante que vous posez:
[Traduction]
Vers où le Canada devrait-il cibler ses efforts à l'avenir?
[Français]
On ne peut pas répondre à cette question en deux minutes. Cependant, je crois que le Canada a une très grande obligation, qui est celle de s'assurer que la question de l'édification de la démocratie continue de faire partie de l'ordre du jour international.
Le Canada est un pays membre de l'ONU, du Commonwealth et de la Francophonie et, à un niveau plus régional, de l'OEA. Il participe à l'APEC et a un impact sur l'Union africaine. Il est par conséquent absolument indispensable qu'un pays comme le nôtre s'assure, chaque fois que c'est possible, que la question de la démocratie continue de faire partie de l'ordre du jour, des discussions et des projets internationaux.
Dans l'esprit de mes propos précédents, le Canada devrait revoir quelque peu sa politique et, notamment, la politique conduite ces dernières années concernant la justiciabilité des droits sociaux et économiques.
Ceux qui construisent la démocratie dans les pays pauvres sont en majorité des démocrates, et un pays comme le nôtre doit trouver une façon de leur faire part de son intérêt pour les questions que vous posez:
[Traduction]
Qu'apporte la démocratie sur le plan de l'évolution et du progrès sur le plan social et économique? Nous avons quelque chose à dire à ce sujet. C'est au centre de notre discours.
[Français]
Je répondrai peut-être plus tard aux questions qui ont trait à la géographie du monde.
Au début de notre réunion, vous avez posé une question qui portait sur la sorte d'approche à adopter, les meilleures pratiques en quelque sorte. En vue de notre rencontre, j'ai lu l'ensemble des rapports des grands groupes qui travaillent dans le monde. J'en ai nommé quelques-uns plus tôt. Cinq idées reviennent toujours dans les rapports de tous ceux qui, dans le monde, font le travail que nous cherchons à faire, souvent avec eux, d'ailleurs.
[Traduction]
La démocratie ne peut pas se construire à partir de l'extérieur. Elle doit venir de l'intérieur pour pouvoir être viable.
[Français]
Tout d'abord, dans leur pratique, tous les groupes cherchent à intégrer, à donner du sens et à incarner cette idée d'une façon concrète.
Deuxièmement, chaque pays se trouve dans une situation différente. En effet, notre pratique et celle de nos partenaires canadiens diffère de celle de Westminster, du Haut-commissariat et du National Democratic Institute. On doit prendre un grand soin d'éviter de prendre des modèles quelque peu préfabriqués et de croire qu'on construira la démocratie en Égypte comme on la construirait au Vietnam ou au Zimbabwe.
Tout le monde répète et dit la même chose:
[Traduction]
Le modèle occidental et le système occidental ne sont pas parfaits. Nous devons tenir compte de l'existence d'une pluralité de situations, d'héritages et de situations sociales et économiques dans le monde.
J'ajouterais que les enquêtes réalisées en Amérique latine ne laissent aucun doute là-dessus. On voit maintenant se développer dans le monde
[Français]
une méfiance à l'égard des étrangers et envers nous. Le monde arabe, par exemple, se méfie un peu de nous pour les raisons que vous connaissez.
Nous travaillons en Afrique comme vous, madame O'Neil. Nos partenaires africains préfèrent nous voir arriver avec des chercheurs africains, qui travaillent en collaboration avec leurs centres et font appel à leur expertise. Il existe une sorte de méfiance, ce qui doit nous amener à faire très attention aux modèles que nous cherchons quelquefois à imposer.
Voici la troisième idée qui revient un peu partout:
[Traduction]
la nature particulière de la création du savoir et de son transfert de notre région du monde vers le reste de la planète.
[Français]
Un certain nombre d'institutions nationales ou internationales qui oeuvrent dans le domaine ont récemment compris qu'il leur fallait absolument avoir dans leur personnel des gens qui parlent la langue du pays, qui sont originaires du pays. Certains travaux ne peuvent se faire qu'à partir de l'intérieur du pays, et non de l'extérieur.
La quatrième et avant-dernière idée est la suivante:
[Traduction]
un engagement à long terme. Il est ridicule d'aller au Vietnam pendant deux ans. Nos partenaires danois sont là-bas depuis 10 ans. Ils comptent y rester au cours des 15 prochaines années. Ils ont réussi à s'intégrer dans le système. Je ne peux pas parler pour eux, mais ils ont réussi à s'insérer très loin dans le système judiciaire en établissant des programmes en coopération, car ils étaient sur place et ils ont gagné la confiance de leurs partenaires.
Monsieur le président, je serais très satisfait si, à la fin de ses travaux, le comité reconnaissait l'importance de ce que j'ai déjà mentionné, l'engagement de la jeunesse et les capacités de la jeunesse. Nous avons créé des réseaux de délégations de Droits et démocratie dans une quarantaine d'universités canadiennes. Nous sommes en train de jumeler chacune de ces délégations avec deux délégations situées quelque part ailleurs dans le monde. Ces jeunes établissent conjointement des plans et des projets et il est merveilleux de voir que les jeunes du Maroc et de Sherbrooke, de McGill et du Kenya, de l'Afghanistan et de l'Université de l'Alberta construisent quelque chose ensemble. Les idées qu'ils puisent dans leur propre culture et leur propre sphère d'activité sont précieuses et je crois que nous devons examiner cela attentivement.
En ce qui concerne les structures que nous avons au Canada, Maureen a parlé du Conseil de la démocratie. Nous en faisons également partie. Nous le voyons se développer depuis un an. Nous espérons que cette expérience va se poursuivre et nous serions très satisfaits si cela donnait lieu à la création d'un regroupement d'institutions indépendantes afin que le Centre parlementaire, vous-mêmes, Droits et démocratie et d'autres puissent organiser ensemble leur travail. Cela nous permettrait de voir ce que nous avons en commun, quels sont nos besoins et de nous réunir ensuite avec le gouvernement du Canada pour discuter avec lui.
J'espère aussi que le comité se tournera du côté des comités interministériels que le gouvernement a peut-être pour voir si ce que font l'ACDI, le ministère des Affaires étrangères et les autres ministères tend vers le même but et qu'il vérifiera également quels genres de comités il y a pour la coopération entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires. Certains rapports sont préparés dans cette ville, mais nécessitent la participation de tous les gouvernements. Nous aimerions beaucoup que le comité se penche sur les mécanismes que vous avez au niveau gouvernemental.
Merci beaucoup, monsieur le président.
:
Monsieur le président, j'aurais dû le faire plus tôt; je ne l'ai pas fait et je m'en excuse. Je voudrais vous transmettre les salutations de Janice Stein, la présidente de notre conseil, qui n'est pas avec nous aujourd'hui car, comme vous le savez, le Yom Kippour est une grande fête. Je vous présente le vice-président de notre conseil, M. Wayne MacKay, de Halifax, qui est professeur de droit et grand juriste canadien à l'Université Dalhousie; M. Lloyd Lipsett, qui est l'adjoint principal à mon bureau; et d'autres collègues qui sont venus par intérêt pour vos travaux.
Je crois que la question que vous posez est extrêmement importante dans l'ensemble du monde, hormis l'espace Atlantique, l'Europe, le Japon peut-être, le Canada, les États-Unis, etc. L'autre dimension spirituelle et traditionnelle est encore éminemment présente partout et continue d'avoir un impact considérable sur la vie des gens, et vient très souvent la structurer.
Il faut donc trouver des façons d'amorcer un dialogue avec ces personnes, surtout les leaders d'opinion. La chose qui importe le plus pour la démocratie, c'est l'éducation, l'éducation et encore l'éducation. Il faut que les gens fréquentent l'école, et trop peu le font. Cinquante pour cent de la population mondiale est âgée de moins de 25 ans et 1,3 milliard de personnes ont entre 10 et 19 ans. À l'heure actuelle, près de 200 millions d'enfants n'iront jamais à l'école une seule journée de leur vie. Et en 2006, on dit qu'il faut construire la démocratie, l'économie de marché, ainsi de suite. Je crois que l'éducation est importante.
Ce que je vais dire a un rapport avec ce que Maureen a dit tout à l'heure. Il n'est pas possible d'avoir un impact sur les sociétés humaines lorsqu'on vient de l'extérieur. Il faut donc travailler avec des gens qui peuvent, eux, aller très loin dans leur société, aller au coeur de questions très concrètes pour la vie des gens, parler avec eux dans des formules d'éducation populaire. Je vous dirais de garder ce qui est bon dans leur héritage, puis de trier ce qui ne l'est pas.
Je suis de plus en plus convaincu que nous devons aussi faire ce que j'appelle dans le document une « reconversion copernicienne ». Il faut procéder à des changements en profondeur de notre compréhension du monde, parce qu'il a tellement changé.
Prenons le cas du droit des femmes. Quel est le pays au monde qui possède la législation dont l'effet a porté le plus loin le droit des femmes? Je crois que c'est l'Inde. Les amendements constitutionnels apportés en Inde en 1992, qui obligeaient les gouvernements locaux et provinciaux à avoir une composition dont le tiers des élus sont de femmes, a changé l'ordre du jour en ce qui a trait à l'éducation des fillettes, l'hygiène publique, l'habitation, les questions sanitaires, etc.
On a mené plusieurs études sur le sujet. En juin, une grande conférence a eu lieu à Toronto sur la démocratie en Asie. On y avait invité des spécialistes indiennes qui ont travaillé sur cette question, dont Mme Gopal Jayal, qui est très célèbre en Asie mais que l'on connaît peu ici. De 1992 à 2005, appuyée par une grande équipe, elle a réalisé ce changement constitutionnel. D'après leur analyse, le fait que le tiers des personnes qui participent aux délibérations publiques et qui composent les gouvernements locaux et régionaux des deux tiers des États indiens sont des femmes a eu un impact considérable.
Certes, on peut relever plusieurs difficultés, mais on peut également apprendre d'eux.
:
Merci beaucoup, monsieur le président. Mesdames et messieurs les députés, bonjour.
[Traduction]
La Constitution canadienne soutient que « la paix, l'ordre et la bonne gouvernance » représentent les buts fondamentaux de l'État. Pour la communauté internationale, il est désormais entendu, et parfois unanimement reconnu, qu'une bonne gouvernance est essentielle au développement humain durable. La démocratie, c'est-à-dire la représentation du citoyen au sein du gouvernement ainsi que la responsabilité gouvernementale envers les citoyens, fait de plus en plus office de référence à l'échelle mondiale.
Toutefois, la démocratie et une bonne gouvernance n'apparaissent pas du jour au lendemain. Au contraire, elles sont le résultat d'une lutte citoyenne parsemée d'embûches, souvent dangereuse et s'étalant sur de nombreuses années. Le développement démocratique y contribue grâce à l'instauration d'une coopération internationale pacifique. L'appui au développement démocratique devrait être perçu comme un service canadien à l'intention de la communauté internationale.
Certains croient que d'autres pays travaillent au développement démocratique mieux que nous et que nous devrions copier leur approche. Je crois que les Canadiens accomplissent ce travail aussi bien que quiconque et que nous devrions concentrer nos efforts sur le renforcement de notre propre approche.
L'approche canadienne contient deux éléments clés. Tout d'abord, au cours des 20 dernières années, nous avons procédé à un regroupement institutionnel fort. Au début des années 90, le ministère des Affaires étrangères et l'ACDI ont commencé à subventionner des programmes axés sur le développement démocratique. Depuis, le financement s'est considérablement accru et de pair avec lui, la grande famille des institutions canadiennes se spécialisant dans la mise sur pied de programmes d'aide touchant un grand nombre de secteurs différents. Au cours des 15 dernières années, le Centre parlementaire s'est spécialisé dans un domaine clé du développement démocratique, c'est-à-dire le renforcement des institutions et des processus politiques en Europe de l'Est, au Moyen-Orient, en Asie, en Afrique et dans les Amériques.
Deuxièmement, au cours des années, nous avons adopté une philosophie de coopération. Les Canadiens ont adopté une démarche claire et unique qui est appréciée par un bon nombre de nos partenaires. Nous épaulons les initiatives des personnes qui ont à coeur d'améliorer les institutions et les pratiques démocratiques de leur pays, et ce, sans tenter d'imposer notre façon de faire. Nous partageons notre vaste expérience acquise grâce aux efforts continuellement déployés pour renforcer notre propre système démocratique tout en reconnaissant nos réussites et nos échecs. Enfin, préférant des résultats concrets à la rhétorique, nous limitons le plus possible les considérations idéologiques. Mais surtout, nous croyons que le développement démocratique se doit d'être une pratique démocratique entre pairs.
Nous savons maintenant que la démocratie représente un ensemble complexe d'institutions, de pratiques et de valeurs qui, comme tout le monde le sait ici, progressent doucement. Il est donc évident que l'aide internationale au développement démocratique ne doit plus s'effectuer selon une vision à court terme, c'est-à-dire un projet à la fois.
Le gouvernement canadien a donc commencé à instaurer une nouvelle approche permettant le renforcement des résultats. Entre autres, voici certaines initiatives qui doivent être reconnues et encouragées par le comité: la formation du Conseil de la démocratie qui réunit le ministère des Affaires étrangères et l'ACDI et toute une série d'organismes indépendants dont le Centre parlementaire fait partie. Deuxièmement, je crois important que le comité reconnaisse et appuie le fait que l'ACDI entreprend une approche plus stratégique basée sur les connaissances en matière de développement démocratique et conforme aux objectifs généraux de l'aide publique au développement.
De plus, nous conseillons au gouvernement de créer un réseau de centres d'excellence canadiens du développement démocratique international. Ce type d'initiative soutiendrait des organisations canadiennes dûment sélectionnées afin de leur permettre d'acquérir une expertise considérable sur des questions essentielles liées au développement démocratique. Elle favoriserait également leur capacité à innover, à appliquer et à diffuser leur savoir. En retour, elle donnerait l'occasion au Canada de jouer un rôle de chef de file plus dominant dans ce domaine fondamental des relations internationales.
Enfin, monsieur le président, je tiens à souligner le rôle important que joue cette institution, le Parlement du Canada. Tout comme le système des élections, les partis politiques et la société civile, les parlements sont des éléments essentiels au développement démocratique. Ils constituent, ou devraient constituer, des liens institutionnels entre les citoyens et l'État.
Le Centre parlementaire a été créé en 1968 pour améliorer la démocratie parlementaire au Canada. Au cours des 15 dernières années, le Centre a progressé pour devenir une organisation canadienne internationale dont le personnel et les bureaux gèrent des programmes de développement parlementaire dans diverses parties du monde. La direction du Centre est de plus en plus prise en main par des gens tels que Bunlen Men, responsable de notre programme au Cambodge, et Rasheed Draman, qui dirige nos programmes en Afrique à partir de notre bureau régional à Accra, au Ghana.
Depuis plus d'un siècle, le Parlement du Canada participe activement dans I'organisation internationale ainsi que dans des programmes visant le renforcement de la démocratie parlementaire. Au cours de son existence, le Centre a grandement bénéficié du soutien et de la collaboration étroite du Parlement du Canada, tout comme de ceux des assemblées Iégislatives provinciales et territoriales. L'aide apportée ajoute une crédibilité notable, des ressources et du poids à notre travail.
Dans un esprit de participation à la cause du développement démocratique international, nous croyons qu'il serait utile pour le Parlement du Canada d'adopter une résolution proclamant son engagement en matière de développement démocratique international et qu'il s'engage à offrir un appui continu, et si possible accru, aux programmes d'aide au développement parlementaire.
Nous vous remercions et nous nous réjouissons à la perspective d'en discuter avec vous.
C'est un honneur pour moi d'être ici, mais venir parler de la démocratie devant un comité parlementaire c'est un peu comme vouloir montrer aux gens de l'Île-du-Prince-Édouard comment cultiver des pommes de terre. Je sais toutefois que vous vous intéressez surtout à la démocratie à l'étranger et au soutien pratique que les Canadiens peuvent apporter.
Il y a quelques années, j'ai résumé mon expérience au niveau de notre hémisphère dans un article dont le titre demandait si la surveillance des élections dans les Amériques était bénéfique ou complètement bidon. C'est nettement plus bénéfique que bidon, mais je vais trop vite.
Depuis 1990, l'année où le Canada s'y est joint, l'Organisation des États américains a fait superviser par des observateurs internationaux le déroulement des élections dans 19 de ses 34 pays membres. Au cours de cette période, l'OEA a procédé, à elle seule, à plus de 80 observations. Des millions de dollars, dont une bonne partie provenait du Canada, ont été investis et des centaines de Canadiens ont participé à cette entreprise. De toute évidence, il s'agit d'une entreprise d'envergure. Mais a-t-elle eu des effets positifs? Cela a-t-il changé le cours de l'évolution de la démocratie dans les Amériques? Si vous comparez le paysage politique qui était dominé par des dictatures avant les années 80 avec la situation actuelle, la réponse est qu'effectivement cet investissement a été très rentable.
Malheureusement, la situation s'est dégradée. Il est très inquiétant de constater qu'en Amérique latine la confiance de la population dans le système démocratique est en perte de vitesse. Cela n'a pas grand-chose à voir avec le processus électoral et beaucoup à voir avec le fait que la promotion de la démocratie dans les années 80 n'a pas répondu aux attentes et que la population a perdu tout respect pour les partis politiques, ce qui est fâcheux étant donné que les partis politiques représentent l'appareillage indispensable des démocraties.
Le Canada peut faire plus pour aider à reconstruire les partis et les parlements, surtout par l'entremise du réseau parlementaire et de l'OEA. L'ACDI a de bons programmes de gouvernance dans de nombreux pays. Il faut qu'ils soient appliqués aux systèmes politiques et pas seulement aux bureaucraties.
Une mission d'observation consiste généralement à évaluer si des élections peuvent être considérées comme véritablement libres et équitables. L'approbation des observateurs internationaux aide à établir la légitimité à la fois aux yeux de la population du pays et aux yeux de l'étranger. Pour les pays qui passent d'un régime autoritaire à un régime démocratique naissant, ces missions d'observation ont joué un rôle essentiel et si elles s'accompagnent d'une assistance technique à long terme, elles jouent un rôle décisif pour faciliter la transition. Dans les pays où la culture démocratique a été effacée par la dictature ou ne s'est jamais entièrement développée, il faut apporter une assistance technique dès le départ pour permettre d'établir des listes d'électeurs fiables et tout le reste de l'infrastructure électorale.
Le succès le plus spectaculaire de ce processus a été les élections de 1990 au Nicaragua. Un autre exemple est celui de l'Afrique du Sud.
Au Nicaragua, le leader sandiniste, Daniel Ortega, avait accepté d'inviter des observateurs en s'attendant à ce qu'ils appuient la victoire des sandinistes. Lorsqu'il est devenu apparent qu'il avait perdu, Ortega s'est ravisé mais il s'est finalement laissé convaincre d'accepter la victoire de Violeta Chamorro grâce aux efforts diplomatiques de Jimmy Carter et du président vénézuélien Carlos Andrez Perez. Ces efforts auraient toutefois été futiles si les observateurs et leur travail préparatoire n'avaient pas permis d'obtenir un verdict très crédible.
D'autres progrès ont été accomplis à l'occasion des élections dominicaines de 1994 lorsque la mission de l'OEA que je dirigeais a dénoncé les manipulations électorales qui avaient privé l'opposition de la victoire. La même chose s'est passée au Pérou, à l'occasion des élections de l'an 2000, lorsque l'OEA a refusé d'entériner les élections truquées du président Fujimori.
Les missions d'observation n'ont pas toutes réussi à faire progresser le processus démocratique. Néanmoins, les preuves démontrent que la préparation et la surveillance des élections ont largement contribué à l'implantation d'une culture démocratique. Ce que l'on comprend moins bien, c'est que ces succès n'auraient pas eu lieu sans le professionnalisme des observateurs et des experts techniques.
Pendant plusieurs années, l'OEA n'a pas accepté de candidats canadiens pour les missions d'observation, parce qu'ils avaient été choisis par des ministres, souvent sans qu'on tienne compte de leurs compétences.
Le système actuel fonctionne parce que les missions internationales ont acquis une grande crédibilité. Grâce à ce succès, les observations électorales traditionnelles sont devenues inutiles dans de nombreux pays. Bien entendu, l'objectif visé est précisément de rendre ces missions d'observation inutiles. Voilà pourquoi il est important de soutenir les organisations de la société civile locales.
Je dois toutefois mentionner que nous travaillons déjà avec la société civile, mais qu'il s'agit trop souvent de la société civile des élites très instruites et bien établies. Nous devons établir de meilleurs liens avec les classes sociales moins privilégiées.
Dans les pays où l'incertitude, la corruption ou l'instabilité exigent encore une observation externe, nous repensons notre approche. Il faudrait notamment voir ce qui se passe dans les bureaux de scrutin le jour des élections, mais en dirigeant surtout les efforts vers les points faibles qui ont été identifiés dans le processus tels qu'un contrôle gouvernemental abusif des médias, les problèmes au niveau du transport, la fraude informatique, le financement des élections, l'intimidation, le manque de transparence au niveau de l'inscription électorale et les faiblesses sur le plan de la sécurité des bulletins de vote.
Les principales organisations d'observation envoient des équipes sur le terrain plusieurs mois à l'avance pour évaluer la situation et repérer les principaux points faibles. Dans les pays où la culture démocratique ne s'est pas implantée ou reste fragile, quelques observateurs à long terme peuvent jouer un rôle plus important que les activités d'un grand nombre d'observateurs qui ne passent qu'une semaine dans le pays.
Un important défi pour les missions d'observation consiste à trouver des ressources jusqu'à un an à l'avance. L'ACDI a commencé à financer les missions d'observation des élections sur une base annuelle, ce qui facilite énormément la planification. Il y a des leçons à tirer de notre participation aux élections ukrainiennes de 2004 -- M. Goldring est certainement expert en la matière et il a aussi observé d'autres élections -- ainsi qu'aux élections en Palestine, plus tôt cette année.
Une de ces leçons est la nécessité absolue de maintenir l'impartialité des observateurs. On ne doit pas recruter des observateurs qui ont des liens solides avec l'un des partis en lice dans une lutte pour le pouvoir. En Ukraine, le parti du gouvernement cherchait, avec l'appui de la Russie, des occasions de discréditer les missions d'observation occidentales en dénonçant les liens et les comportements partisans. Certains membres de la mission d'observation canadienne ont bien failli tomber dans le piège. Tout signe d'observation partiale aurait pu être désastreux étant donné que les rapports des missions d'observation occidentales ont joué un rôle crucial pour favoriser une transition pacifique.
À deux reprises au cours des deux dernières années, le gouvernement canadien a organisé des missions d'observation qui étaient exclusivement canadiennes. Il est tentant de voir dans ces missions l'occasion de rehausser l'image du Canada chez nous et à l'étranger. Nous le faisons à nos risques et périls.
Les missions d'observation des élections doivent jouir d'une crédibilité reposant sur l'ensemble des résultats passés pour pouvoir approuver ou répudier un processus électoral. Les missions nationales apportent inévitablement avec elles un certain bagage politique, ou risquent d'apporter un bagage politique qui peut compromettre leur crédibilité.
Que serait-il advenu de la mission en Palestine si The Globe and Mail ou Le Soleil avaient publié des caricatures insultantes pour la religion pendant que nous étions en Palestine? Les missions multilatérales sont mieux protégées contre ce genre de problème.
Bien entendu, les élections ne sont qu'un élément du processus et les autres éléments méritent plus d'attention qu'ils n'en reçoivent habituellement. Nous avons réussi à exporter au Mexique notre modèle d'accès à l'information. C'est un outil essentiel pour le processus démocratique. Nous devrions le faire plus souvent. Néanmoins, le fait qu'une série de premiers ministres aient fait des entorses à notre propre modèle n'a pas facilité les choses. Notre image dans ce domaine et sa valeur à l'étranger seraient grandement améliorées si nous pouvions mettre fin à l'érosion des pouvoirs du Commissaire à l'information et même inverser la vapeur.
Certaines des leçons les plus fondamentales à tirer portent sur le respect des différences culturelles, mais comme on en a déjà parlé, je n'aborderai pas le sujet.
Pour conclure, j'ai couvert tout un éventail de sujets, mais sans répondre à l'une de vos principales questions: sur quel front notre aide est-elle la plus nécessaire? C'est une question complexe. Nous avons fait beaucoup de choses utiles et nous en avons encore beaucoup à faire dans les Balkans, en Europe de l'Est, en Afrique et en Asie centrale, par exemple au niveau de l'architecture des partis, des règles financières, de la gouvernance au niveau municipal, de la transparence, de l'accès à l'information et du soutien aux organisations de la société civile. Ce ne sont généralement pas des opérations très coûteuses, mais compte tenu de nos ressources limitées, je crois que nous devrions également tenir compte de notre crédibilité et de notre capacité à changer les choses.
Je vais faire preuve d'un préjugé professionnel. Les régions logiques sont l'Amérique latine et les Caraïbes, les endroits comme Haïti, le Nicaragua, le Paraguay, l'Équateur, la Jamaïque et le Guyana, qui sont nos voisins de l'hémisphère.
Nous pouvons faire une partie du travail au niveau bilatéral, en appuyant l'action du centre du président Carter sur la Charte démocratique interaméricaine. Il y aurait beaucoup à faire par l'entremise de l'Organisation des États américains. Aucune organisation régionale en dehors de l'Europe de l'Ouest n'a défendu aussi énergiquement les valeurs de la gouvernance démocratique. L'OEA devrait pousser la région vers la voie d'une meilleure gouvernance, d' une meilleure responsabilisation et vers plus de vigilance à l'égard des horreurs de la drogue et des violations des droits de la personne. Elle a besoin d'un plus grand soutien pour jouer son rôle de rempart de la démocratie dans l'hémisphère.
Merci.