Nous entamons la 48e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Je vous souhaite à tous un bon retour. Je dis « à tous » avec un peu d'ironie, car Mme Barbot et M. Goldring sont ici, mais nous attendons les autres. Je veux cependant commencer la séance à l'heure pour que nous puissions nous accommoder de nos obligations d'aujourd'hui.
Nous poursuivons notre étude sur l'Afghanistan, sur lequel portaient différents mémoires que nous avons reçus.
Au cours de la première heure, nous allons entendre Alain Pellerin, directeur exécutif de la Conférence des associations de défense. C'est un ancien colonel des Forces armées canadiennes et il a passé 17 ans en Europe, dont dix dans divers organismes de l'OTAN. Dans son témoigne de ce matin, il pourra faire état de son expérience en matière de négociations internationales, de politique publique, de diplomatie, de protocole et de résolution de problèmes.
Il est accompagné par Brian MacDonald, analyste principal de défense à la Conférence des associations de défense. Les Canadiens connaissent M. MacDonald, qui est souvent consulté par les médias nationaux sur différentes questions militaires. Il est lui aussi colonel en retraite des Forces armées canadiennes et il est actuellement expert-conseil en matière de politique intérieure et internationale, ainsi que des questions stratégiques et de sécurité des affaires.
Nous accueillons également un représentant d'UNICEF Canada, M. Fisher, qui vient de prendre de courtes vacances. Nous sommes très reconnaissants à Air Canada de l'avoir transporté aujourd'hui jusqu'à nous. Nigel Fisher, qui est président et chef de la direction d'UNICEF Canada, travaille pour cet organisme depuis plus de 20 ans en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Il a été conseillé auprès du ministre des Affaires étrangères. Par ailleurs, il a occupé les fonctions de secrétaire général adjoint des Nations Unies, et notamment de représentant spécial adjoint du secrétaire général pour les secours, le rétablissement et la reconstruction de l'Afghanistan de 2002 à 2005.
Nous avons certes hâte d'entendre vos témoignages ce matin. Nous allons vous consacrer la première heure, la deuxième étant réservée pour un groupe d'autres invités.
Peut-être avez-vous déjà assisté ou participé à nos séances. Nous allons d'abord écouter vos déclarations liminaires, puis nous passerons à un premier tour de questions.
Soyez les bienvenus. Vous avez la parole. Nous vous écoutons.
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Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs.
[Traduction]
La Conférence des associations de la défense vous remercie de lui permettre de parler de la Force internationale d'assistance à la sécurité mandatée par les Nations Unies; c'est une force internationale de plus de 36 000 militaires provenant de 37 pays. À ce total s'ajoutent des engagements concernant 700 Polonais, 500 Australiens, une brigade américaine d'environ 3 500 militaires et un groupement tactique britannique d'environ 1 200 personnes, ce qui portera le total à plus de 40 000, qui seront déployés dans les régions clés du sud et de l'est de l'Afghanistan. Ce déploiement assurera le soutien des 25 équipes de reconstruction provinciale qui travaillent dans l'ensemble du pays.
Pendant mon récent séjour de 10 jours en Afghanistan à la fin octobre et en novembre, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les Canadiens présents sur place et j'ai acquis une perspective privilégiée, même si je n'en ai pas l'exclusivité, dont j'aimerais vous faire part aujourd'hui.
Cette perspective me permet d'affirmer que les militaires canadiens envoyés en Afghanistan croient en leur mission; c'est le cas aussi bien des hommes que des femmes, des membres de l'armée régulière et de la réserve. Comme vous le savez, environ 15 p. 100 de ce contingent provient des forces de réserve. Ils sont tous convaincus de remplir une mission décisive et d'avoir fait des progrès. Ils croient en leur commandement. Ils croient en la qualité de leur équipement et ils ont conscience d'avoir été bien préparés pour leur mission. C'est un atout moral très important, car ces militaires sont sur le terrain; ce sont eux qui exécutent la mission. Ils sont également convaincus que s'ils doivent se retirer avant que la mission n'ait atteint ses objectifs, tous les sacrifices qu'ils ont consentis seront remis en question.
N'oublions pas non plus que la mission de l'ISAF, qui est une mission canadienne, va bien au-delà d'une opération strictement militaire. Il ne s'agit pas simplement de tuer des talibans dans les montagnes, bien au contraire. L'ISAF intervient également dans la reconstruction de cet État déchu qui progresse lentement vers le statut d'État fragile.
Les responsabilités canadiennes comprennent l'ERP à Kandahar, qui compte environ 250 personnes. Cette équipe comprend non seulement des membres des Forces armées canadiennes, mais également des agents de la GRC, des agents des Affaires étrangères et de l'ACDI. L'aide critique au renforcement des capacités de gouvernance du gouvernement afghan élu est fournie par une équipe d'assistance stratégique à Kaboul, composée de 15 officiers de la Défense nationale, essentiellement des militaires ainsi que quelques civils. Ils travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement; en fait, ils sont en contact étroit avec chacun des membres du Cabinet. C'est là un programme très important et mal connu. Il fait partie de la contribution canadienne concrète qui comporte également un élément très important d'aide à la formation de l'Armée nationale afghane, et plus particulièrement de la police nationale afghane.
Les Canadiens comprennent qu'il n'y a pas de solution miracle en matière de reconstruction d'un État fragile. Après 25 ans de guerre violente, il faut tout reconstruire. Cela étant dit, la situation est bien meilleure qu'elle ne l'était il y a six ans, du temps des talibans, ou même il y a un an, lorsque le groupement tactique canadien a été déployé à Kandahar. Des progrès ont été réalisés dans l'intervalle.
Au sein de l'ISAF, nous ne sommes pas des envahisseurs. Il est essentiel de ne pas l'oublier; nous sommes là à la demande du gouvernement afghan élu, en vertu d'un mandat des Nations Unies. Les Afghans sont exaspérés par la guerre, le dénuement et le désespoir. La majorité d'entre eux souhaitent notre présence. De récents sondages effectués par la BBC et la Fondation de l'Asie avant Noël indiquent que 80 p. 100 des citoyens approuvent la présence des soldats de la coalition en Afghanistan. Ils veulent que le progrès économique et social qui se manifeste dans la plus grande partie du pays s'étende à toutes les régions, y compris au sud et à l'est.
Ils craignent ce qui pourrait leur arriver si notre stratégie s'oriente vers une sortie hâtive et nous amène à abandonner un État fragile mais en croissance, mais qui reste cependant trop faible pour résister à ses oppresseurs. Ils craignent spécifiquement le retour des talibans et de leurs complices coupables de crimes, de trafic de drogues et de terrorisme.
Mesdames et messieurs, notre exposé va porter sur quatre thèmes : les critères d'évaluation de l'efficacité de la mission de l'ISAF, le concept opérationnel de l'ISAF, l'évaluation du succès de ses opérations et enfin, l'évaluation des conséquences d'un retrait prématuré de l'ISAF.
La Conférence des associations de la défense estime que l'on pourra considérer la mission de l'ISAF et l'importante contribution du Canada comme des réussites le jour où la campagne de terreur menée par les talibans et leurs alliés extrémistes échouera, où la sécurité sera rétablie, permettant à tous les Afghans de jouir sans crainte de leur liberté individuelle, où l'armée et la police afghanes assureront efficacement la sécurité, où l'économie marchande du pays commencera à s'épanouir, où le gouvernement central afghan exercera son contrôle sur tout le territoire, où les droits de la personne seront respectés, où un véritable programme de construction des infrastructures sera entrepris et où tous les éléments d'un régime démocratique spécifiquement afghan seront mis en place dans toutes les régions du pays.
Il n'est pas douteux que cet objectif représente une difficulté d'une complexité phénoménale. Néanmoins, la Conférence des associations de la défense est convaincue que l'absence de l'un des critères ci-dessus jetterait un doute sur le succès de la mission de l'ISAF. Il est également essentiel de reconnaître qu'il vaut mieux aider les Afghans à y parvenir même de façon imparfaite, plutôt que de faire nous-mêmes ce travail. Pour l'essentiel, il faut laisser les Afghans évoluer à leur propre rythme.
J'aimerais maintenant parler du concept opérationnel de l'ISAF. L'OTAN a chargé l'ISAF de mener des opérations militaires afin d'aider le gouvernement afghan à établir et à entretenir, grâce au plein engagement des forces de sécurité nationale afghane, un environnement sûr qui lui permettra d'étendre son autorité et son influence, favorisant ainsi la reconstruction du pays et la stabilité de la région.
Dès ses origines, la mission a été organisée en cinq phases. La première phase comportait l'évaluation et la préparation, notamment les opérations menées à Kaboul. La deuxième phase était consacrée à l'expansion géographique, qui a été réalisée. La troisième phase est celle de la stabilisation; les phases quatre et cinq visent la transition et le redéploiement.
En octobre 2003, le Conseil de sécurité de l'ONU à autoriser l'expansion de la mission de l'OTAN à l'extérieur de Kaboul. En octobre 2004, la première phase de cette expansion vers le nord a été réalisée, et la deuxième étape d'expansion vers l'ouest a ensuite été entreprise en septembre 2005. La troisième phase d'expansion vers le sud s'est terminée le 31 juillet 2006, c'est-à-dire il y a moins d'un an. La quatrième phase d'expansion vers l'est s'est terminée le 6 octobre 2006.
Actuellement, les Forces du Canada et de sept autres nations qui relèvent du commandement régional sud de l'ISAF sont engagées dans les premières étapes de la phase de stabilisation, tandis que le commandement régional de l'ouest et du nord, formé d'unités allemandes, italiennes et espagnoles en particulier, est déjà plus avancé dans la phase de stabilisation.
J'aimerais maintenant demander à mon collègue, le colonel à la retraite Brian MacDonald, qui est analyste principal de défense, de vous donner son évaluation du degré de succès de l'opération de l'ISAF et des dangers d'un retrait prématuré de nos troupes d'Afghanistan.
Merci.
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Merci, colonel Pellerin.
Mesdames et messieurs, vous connaissez la rengaine traditionnelle qui veut qu'il n'y ait aucune solution militaire en Afghanistan. À notre avis, mieux vaut dire que sans une sécurité assurée militairement, le pays n'a aucune chance de se développer. Et nous avons remarqué, depuis un an, une expansion de la région dans laquelle les Afghans considèrent que la sécurité s'est améliorée.
Le Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime des Nations Unies, qui jouit du plus grand respect au niveau international, effectue chaque année un sondage hivernal pour évaluer la situation des cultures d'opium en Afghanistan, et il vient de publier le mois dernier le rapport de ce sondage, qui comportait des entrevues avec les chefs de 508 villages choisis de façon sélective dans 236 districts afghans; ce rapport fournit une base de données élémentaire utile concernant l'état de l'opinion publique dans les villages.
Le sondage hivernal signale que le niveau de sécurité indiqué par ces chefs de village était soit très bon ou bon dans 23 provinces et très mauvais ou mauvais dans huit provinces, dont certaines situées dans le sud du pays. Ensuite, à la fin de 2006, 75 p. 100 environ des provinces afghanes se sont déclarées être en sécurité. Le défi pour l'ISAF consiste à étendre cette région où les Afghans se sentent en sécurité, car avec la sécurité vient le développement.
Ce même Bureau du contrôle des drogues et de la prévention du crime a demandé aux chefs des villages si les activités d'assistance étrangère leur parvenaient, et ceux-ci ont déclaré que 451 des 508 villages étudiés avaient effectivement reçu de l'assistance étrangère dans le cadre de 828 activités distinctes, dont 54 p. 100 provenaient du gouvernement afghan, 24 p. 100 des Nations Unies et des organismes internationaux, 17 p. 100 d'ONG, 4 p. 100 de USAID et 1 p. 100 d'autres sources.
Les activités d'assistance prenaient la forme de soins médicaux à raison de 50 p. 100, d'activités relatives aux infrastructures pour 20 p. 100, de travaux agricoles pour 13,5 p. 100, de programmes d'enseignement pour 11 p. 100 et d'emplois pour 4 p. 100.
Passons maintenant du point de vue de la population à une perspective macroéconomique pour observer l'évolution du produit intérieur brut, de l'investissement et des exportations de l'Afghanistan au cours des cinq dernières années. Lorsque j'ai prélevé ces statistiques du récent rapport du Fonds monétaire international déposé il y a six semaines, j'ai constaté que depuis cinq ans, le taux de croissance moyenne du PIB a été de l'ordre de 15 p. 100 par an, le taux de croissance de l'investissement était d'environ 40 p. 100 par an et l'augmentation des exportations afghanes, à l'exclusion de l'héroïne ou de l'opium, a été d'environ 20 p. 100 par an.
Le rapport du FMI signale que malgré les problèmes de sécurité et les pressions persistantes des dépenses, le rendement de l'Afghanistan au cours des six premiers mois de l'exercice financier 2006-2007 a été conforme aux prévisions. À la fin de septembre 2006, les autorités avaient respecté tous les critères qualitatifs et quantitatifs de rendement, les objectifs indicatifs, le critère de rendement structurel et la plupart des points de repère structurels, à l'exception de ceux qui concernent les banques qui appartiennent à l'État.
On trouvera d'autres éléments d'information dans le rapport des ministres canadiens des Affaires étrangères, de la Défense et de l'Aide internationale, qui vous a été remis, et sur lequel je n'aurai donc pas d'autres commentaires à faire.
À l'étude des données concernant aussi bien la population que le rendement macroéconomique et les organismes internationaux, on peut conclure que d'importants progrès ont été faits et que ce mouvement se poursuit. Il faut néanmoins aller encore beaucoup plus loin. Quoi qu'il en soit, le bilan est positif.
Ceci m'amène à mon deuxième argument, à savoir l'évaluation du danger en cas de retrait prématuré de l'ISAF. Il s'agit de savoir ce qui risque de se produire si nous nous retirons. À mon sens, la question porte sur la capacité d'un État fragile à assurer la sécurité nécessaire pour permettre la poursuite du développement amorcé. C'est là un autre problème essentiel qui dépend de l'abondance des ressources financières du gouvernement afghan par rapport à celles des forces antigouvernementales.
Le rapport précité du FMI révèle que les recettes fiscales et non fiscales intérieures du gouvernement afghan représentaient environ 4,5 p. 100 du PIB en 2003 et devraient passer à seulement 6,8 p. 100 en 2007-2008. S'y sont évidemment ajoutées les subventions de la communauté internationale, ce qui devrait porter les recettes du gouvernement central à une somme équivalent à environ 9 p. 100 du PIB en 2003 et à environ 14 p. 100 en 2007.
De toute évidence, il s'agit là d'une assise financière très faible. Dans les pays développés, les dépenses du gouvernement central varient entre 40 et 55 p. 100 du PIB. Dans un pays du tiers monde, un pays en développement, on s'attend normalement à ce qu'il se situe entre 20 et 25 p. 100 du PIB. En comparaison, les revenus du gouvernement afghan sont très maigres.
Contrastons-les avec les capacités financières des forces antigouvernementales, en particulier celles dérivées de la production d'opium et d'héroïne. L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, dans un rapport de 2006, a évalué à quelque 2,7 milliards de dollars la valeur des exportations d'opium et d'héroïne vers les pays voisins; les producteurs en empochant environ 20 p. 100, soit 0,5 milliard de dollars, et les trafiquants les 80 p. 100 qui restent, soit 2,14 milliards de dollars.
Une autre étude de la Banque mondiale et de l'Office intitulée Afghanistan's Drug Industry: Structure, Functioning, Dynamics, and Implications for Counter-Narcotics Policy a estimé qu'à ce moment-là le trafic était passé à environ 3 milliards de dollars, soit 92 p. 100 de la production mondiale et environ le tiers de toute l'activité économique de l'Afghanistan. L'étude a fait état de la consolidation du commerce de la drogue et de la capacité des trafiquants et de leurs alliés de soudoyer et de corrompre les autorités et de recruter des soldats pour les talibans et les autres forces qui nous sont hostiles.
Le directeur exécutif de l'ONUDC a déclaré le 20 mars de cette année, lors d'un briefing devant le Conseil de sécurité de l'ONU que, dans le sud, le cercle vicieux du financement du terrorisme par la drogue et de l'encouragement du terrorisme par les barons de la drogue est plus fort que jamais. Autrement dit, la culture de l'opium dans le sud du pays est moins un problème de stupéfiant qu'un problème d'insurrection, si bien qu'il est essentiel de les combattre ensemble.
La CAD estime que la grande différence de moyens financiers entre les trafiquants et leurs alliés d'une part et ceux du gouvernement national d'autre part — 6,8 p. 100 et 33 p. 100 respectivement — est telle que si la FIAS devait se retirer, le gouvernement national afghan s'effondrerait. Le pays retomberait rapidement dans la guerre civile, avec au mieux un affaiblissement de l'autorité des chefs de guerre régionaux, et dans le pire des scénarios,l'arrivée au pouvoir d'une nouvelle structure talibane, selon la taille du financement fourni par les trafiquants. À notre avis, l'Afghanistan cesserait d'être une narco-économie pour devenir un narco-État néotaliban, avec la perspective du retour des atteintes aux droits de la personne et peut-être des camps de formation d'al-Qaïda, et la destruction de tout ce que nous avons défendu et cherché à accomplir dans notre programme d'aide à la reconstruction d'un État précédemment en déroute.
Merci, monsieur le président.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, j'apprécie beaucoup l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant le comité aujourd'hui. Je vous parle d'expérience, puisque je m'occupe de l'Afghanistan depuis plus d'une décennie, aussi bien au service du maintien de la paix de l'ONU et à l'UNICEF. Il vous intéressera peut-être de savoir que j'ai été non seulement le représentant spécial adjoint du Secrétaire général en Afghanistan mais aussi le responsable de la sécurité de tout le personnel de l'ONU dans le pays.
L'aide à l'Afghanistan devrait être une grande priorité pour le Canada aujourd'hui et pour l'avenir prévisible. Il est de notre intérêt d'investir dans la sécurité et la reconstruction de l'Afghanistan. Le rôle militaire du Canada est important et absolument nécessaire à l'heure actuelle mais il ne suffit pas. Une augmentation de l'aide au développement non militaire à l'Afghanistan est absolument essentielle.
Dans les dix minutes dont je dispose, je ferai quelques brèves observations liminaires sur un ensemble de questions prioritaires pour le Canada en Afghanistan aujourd'hui, en suggérant respectueusement que le Canada concentre stratégiquement son attention sur un certain nombre d'entre elles, y compris d'importantes priorités de reconstruction de développement, de manière à pouvoir atteindre des résultats tangibles tant pour les Afghans que pour les Canadiens.
La question numéro un est l'OTAN et les militaires Canadiens. Les troupes de l'OTAN, au sein desquelles les Canadiens jouent un rôle central dans le sud, sont absolument nécessaires en Afghanistan à l'heure actuelle pour combattre et contenir les Talibans, mais le Canada doit être réaliste au sujet de ses objectifs militaires. Il s'agit d'une guérilla et la victoire définitive sur le champ de bataille est peu probable. Militairement, nous gagnons du temps pour permettre aux autres morceaux du puzzle de la reconstruction d'être lentement mis en place : les institutions de bonne gouvernance, la réforme du secteur de la sécurité, le développement socio-économique, les droits de l'homme et le respect de la primauté du droit, autant d'éléments qui doivent être visibles et tangibles pour les Afghans ordinaires. Ils doivent voir qu'il y a une autre solution qu'un gouvernement prédateur et l'extrémisme taliban.
L'enjeu numéro deux, c'est les Talibans et les autres. Doit-il y avoir des négociations avec les Talibans? Les Talibans ne forment pas une entité unie d'un seul tenant, pas plus que les autres groupes, comme Hizb-I-Islami. La réponse est donc oui : parler discrètement à ceux qui sont prêts à parler. Le gouvernement karzai a obtenu un certain succès à cet égard, surtout dans la période 2002 à 2004, et certains Talibans sont sortis de la clandestinité. Il y a moyen d'exploiter les tensions traditionnelles au sein du mouvement taliban, entre leurs aspirations nationales d'accéder au pouvoir d'une part, et leur alliance transnationale avec les extrémistes islamiques de l'autre. Des efforts doivent être faits pour aller chercher ceux qui ne sont pas des extrémistes radicaux durs.
L'enjeu numéro trois, c'est la gouvernance. Il importe que l'Afghanistan ait un gouvernement réellement intègre, perçu comme tel par les citoyens afghans. C'est pourquoi, bâtir des institutions de gouvernance et soutenir le développement conduit par les Afghans est important. Un appui avisé du Canada peut contribuer à renforcer les institutions et les leaders qui représenteront fidèlement les aspirations des Afghans tout en aidant à affaiblir, pour être honnête, ceux qui ont des antécédents de prédation et d'abus des droits de l'homme. Le Canada peut aider davantage à accroître les programmes de développement du gouvernement, comme le programme de solidarité nationale, ou le dispositif d'appui à l'investissement et au micro-financement, créé afin de veiller à ce que les ressources du gouvernement afghan parviennent visiblement aux Afghans ordinaires partout au pays. Quand les Afghans verront des avantages apportés par le gouvernement, ils le soutiendront.
L'enjeu numéro quatre, ce sont les droits de la personne et la primauté du droit. pour la plupart des Afghans qui ne sont pas dans le sud, l'insécurité, ce n'est pas le Taliban. C'est l'intimidation, l'extorsion et les violences commises contre les Afghans ordinaires par les commandants et les chefs de guerre locaux ainsi que leurs forces. Si le Canada et la communauté internationale n'investissent pas dans l'instauration de la primauté du droit et d'institutions de responsabilisation, qui réduisent les pouvoirs de ceux qui violentent les Afghans ordinaires, ni lui ni le gouvernement afghan actuel n'auront de crédibilité aux yeux des citoyens du pays.
Malgré certains progrès récents, peu importe l'indicateur, les femmes et les filles afghanes sont dans la pire situation au monde. Elles connaissent les pires taux de mortalité maternelle, d'insécurité de la personne, de violences et de discrimination. Le Canada a depuis longtemps fait de l'égalité des sexes une des pierres angulaires de sa philosophie de développement. L'Afghanistan a grand besoin de voir cette philosophie appliquée aujourd'hui.
L'enjeu numéro cinq, c'est la lutte contre les stupéfiants. L'État parallèle narco-mafieux prospère partout en Afghanistan, mais le degré de mobilisation de la communauté internationale dans la lutte anti-stupéfiant dans le pays est absolument dérisoire. Détruire les cultures sans fournir des solutions de rechange, c'est courtiser la catastrophe. La communauté internationale doit ou bien investir des millions dans des solutions visant à générer des revenus agricoles et non- agricoles dans les 15 à 20 prochaines années — parce que c'est le temps que cela demandera — ou faire contre mauvaise fortune bon coeur et trouver le moyen de canaliser les stupéfiants afghans légalement dans l'industrie pharmaceutique et les systèmes de santé dans le monde, sans quoi l'économie clandestine des stupéfiants à elle seule dissipera tout espoir d'un État démocratique, paisible, respectueux des lois, pluraliste et prospère.
L'enjeu numéro six, c'est le développement socio-économique. Comme nous nous plaisons à le répéter, la sécurité et le développement sont les deux faces de la même médaille. Une reconstruction socio-économique tangible servira de catalyseur à l'amélioration de la sécurité et de la stabilité politique. Au niveau le plus élémentaire, les gens ordinaires ont besoin de constater des changements positifs tangibles dans leur vie, dans leur communauté. Je donnerai brièvement l'exemple de l'éducation et des soins de santé.
En Afghanistan, la population réclame à corps et à cri l'éducation. Il y a six ans, sous le régime des Talibans, quelques milliers d'enfants fréquentaient des écoles clandestines à domicile en Afghanistan. Avec l'UNICEF, j'ai travaillé directement au premier grand programme de retour à l'école en 2002. Aujourd'hui, plus de 5 millions d'enfants, dont 34 p. 100 de filles, fréquentent près de 9 000 écoles, dont un grand nombre sont toujours désespérément à court d'installations et de fournitures. L'instruction des filles est l'un des meilleurs investissements socio-économiques à long terme qu'un pays puisse faire, et cela inclut l'Afghanistan. Malgré la violence et les menaces des Talibans et malgré des explosions comme celle qui a tué quatre enfants, des garçonnets, plus tôt aujourd'hui à l'école primaire d'Herat, les Afghans veulent un meilleur avenir et l'instruction en est la clé. Sur tout le territoire, dans les 34 provinces, il y a déjà plus de 8 000 surahs de proximité créés expressément pour s'occuper de la sécurité et de la protection des écoles, et beaucoup d'entre eux comprennent des chefs religieux traditionnels et des dirigeants locaux. Il ne fait pas de doute que nous avons l'obligation de soutenir pareil courage et espoir.
En ce qui concerne les soins de santé de base, l'Afghanistan connaît le taux le plus élevé au monde de mortalité maternelle et infantile, si bien qu'investir dans les soins de santé en Afghanistan peut rapporter d'immenses bienfaits immédiats et à long terme. L'expérience de l'UNICEF en Afghanistan à l'appui des services de santé nationaux fragiles montre que des résultats mesurables sont chose possible. Je donne pour exemple la réduction du taux de mortalité infantile attribuable à des maladies évitables grâce à la vaccination ou l'amélioration des soins de santé maternelle. Ce sont là tous des domaines dans lesquels l'ACDI a investi par l'intermédiaire de l'UNICEF et d'autres. La communauté internationale a à sa disposition le savoir nécessaire pour réduire notablement la mortalité maternelle et infantile en Afghanistan. Nous avons besoin de financement soutenu pour mettre en action ces connaissances à une échelle massive et, au moment où l'ACDI est sous examen pour démontrer les effets de ses programmes, le relèvement des investissements canadiens dans l'instruction et les soins de santé de base en Afghanistan produirait effectivement des résultats mesurables.
Le dernier enjeu, c'est l'Afghanistan et ses voisins. Je signale en passant que les voisins de l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan en particulier, doivent être intégrés de manière constructive au processus de pacification et de reconstruction en Afghanistan.
Pour conclure, mesdames et messieurs, après trois décennies de conflit et de leadership prédateur, il serait en effet étonnant que l'Afghanistan soit en paix; personne ne devrait être étonné qu'il faudra au mieux des décennies pour y parvenir. Le Canada devrait donc maintenir son engagement vis-à-vis de l'avenir de l'Afghanistan bien au-delà de 2010. C' est dans notre intérêt stratégique et dans celui de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement en Afghanistan. Il n'y a pas de recette magique et il est prématuré de parler d'une stratégie de sortie.
Il faut que le Canada soit clair et réaliste au sujet de ses objectifs militaires et de reconstruction, et il doit exposer une stratégie beaucoup plus nette pour l'Afghanistan, comportant trois grands domaines : premièrement, les opérations militaires et la réforme du secteur de sécurité; deuxièmement, la bonne gouvernance; et troisièmement, le développement socio-économique.
Nous préconisons également une augmentation notable des investissements du Canada dans la reconstruction et le renforcement des institutions en Afghanistan, et le Canada — qui ne se trouve qu'à mi-chemin sur la voie de son objectif annoncé de consacrer 0,7 p. 100 de son produit intérieur brut à l'aide publique au développement — a largement les moyens de fournir cet investissement accru.
Merci, monsieur le président.
:
Merci, monsieur le président. Je vais partager mon temps avec mon collègue M. Wilfert.
[Traduction]
Nous allons poser notre question et nous laisserons notre témoin y répondre.
[Français]
Monsieur Pellerin et tous les autres messieurs ont beaucoup parlé ce matin, dans le cadre de leur exposé, de la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité de l'OTAN, ou ISAF. C'est la première mission de l'OTAN à l'extérieur de l'Europe. Vous nous avez parlé de sécurité, de développement et de drogue.
L'approche du gouvernement canadien actuel et du gouvernement précédent était celle des 3D. Pour ma part, j'ai l'impression que l'ISAF ne progresse pas et ne progressera pas dans un avenir assez rapproché, c'est-à-dire au cours des deux ou trois prochaines années.
La géopolitique est très importante dans cette partie du monde. On n'a qu'à penser au Pakistan, à l'Inde, à l'Iran ou à la Russie, par exemple. Ma question est très simple mais malgré tout très importante.
Ne pensez-vous pas qu'à l'heure actuelle, il serait important que la communauté internationale fasse un peu plus de diplomatie? On devrait tenir une conférence internationale qui inclurait les membres du P5, la Chine, l'Union européenne, l'Inde, l'Iran, et ainsi de suite. J'ai l'impression que pour le moment, on ne progresse pas, et que sans diplomatie, on ne progressera pas dans un avenir rapproché.
:
Pour ce qui est de la première question, je remettrais en cause l'affirmation de M. Patry voulant qu'on ne progresse pas. Je dirais à ce sujet qu'il faut prendre en considération l'ensemble du pays. On a parfois l'impression, en écoutant les commentaires émis dans les journaux ou à la Chambre, qu'on se concentre sur la région de Kandahar, dans le sud, où il y a une dimension militaire.
Comme le mentionnait le colonel MacDonald, dans les autres régions, soit dans 75 p. 100 ou 80 p. 100 du pays, beaucoup de progrès a été accompli. Il faut se rappeler que les talibans étaient dans le sud, où nous sommes maintenant, et que la culture de la drogue se fait davantage dans le sud que dans le reste du pays.
Les Allemands, par exemple, ont envoyé 3 000 militaires au nord-est de l'Afghanistan, où il n'y a pas de talibans et où le problème de drogue est moindre. Pour ce qui est d'assurer la reconstruction nécessaire, le développement et la sécurité, c'est beaucoup plus simple pour les Allemands que pour nous, dans le sud. Je pense qu'à l'échelle du pays, le progrès est présent. On l'a démontré, et le colonel MacDonald l'a démontré également au moyen de chiffres.
En ce qui concerne la question de M. Wilfert,
[Traduction]
Je pense comme vous qu'il n'y a pas assez de bottes sur le terrain. Si vous regardez les opérations contre-insurrectionnelles par le passé, par exemple, la Malaisie est toujours un bon exemple qui est donné. L'Irlande du Nord est un autre exemple où en moyenne vous aviez entre 20 et 25 soldats pour une population de 1 000, alors qu'en Afghanistan et dans le sud, vous constaterez que c'est sans doute 2,5 ou trois soldats pour 1 000. Au bout du compte, je pense que ça signifie que l'opération contre-insurrectionnelle réussira, mais cela va demander plus de temps parce qu'il n'y a pas autant de bottes sur le terrain qu'il devrait y en avoir.
Cela dit, si on regarde le nombre de pays actuellement présents dans le sud, il y en a huit . Les Britanniques vont augmenter leur force de 1 400, les Américains de 3 500 et les Polonais vont envoyer près de 1 000, et les Australiens vont doubler leur contingent. Il y a un engagement de certains pays de faire plus là où le vrai problème existe pour l'OTAN, c'est-à-dire dans le sud.
Je dirais que si nous ne réussissons pas dans les provinces du sud de Helmand et de Kandahar et dans les provinces de l'est, la mission de l'OTAN va échouer. C'est pourquoi il est important de s'en occuper et de s'en occuper avec succès.
Je vous remercie, messieurs, de vous joindre à nous aujourd'hui. Je dois dire que vous nous avez livré beaucoup d'information et qu'à défaut de pouvoir la traiter ou y réfléchir, il est difficile de dialoguer avec vous. Je ressens tout cela un peu comme une attaque, mais je sais que ce n'était nullement votre intention.
Il y a deux choses qui me gênent considérablement. Tout d'abord, je pense qu'il y a de façon générale un échec... Je ne veux nullement porter cette accusation contre vous, mais j'ai l'impression que c'est devenu comme une habitude. Cela se produit toujours au Parlement lorsqu'on essaie de poser des questions, et c'est trop souvent le cas dans ce comité. On a tendance à faire de l'amalgame et à éviter certaines distinctions; on parle en général des troupes de l'ISAF, et non pas spécifiquement de ce que les militaires canadiens font à Kandahar dans le cadre de la mission anti-insurrectionnelle. Il en va de même lorsqu'on nous parle des réussites, mais il est très rare qu'on nous donne l'information dont nous aurions besoin pour évaluer spécifiquement notre mission à Kandahar.
Je tiens à dire, monsieur Fisher, que j'ai beaucoup apprécié le fait que dans votre exposé, vous ayez reconnu l'existence d'un problème très sérieux, étant donné que le Canada est bien loin de faire l'effort de 0,7 p. 100 d'aide publique au développement. On entend constamment dire que nos principaux engagements concernent l'Afghanistan, mais personne ne veut jamais reconnaître que nous sommes à moins d'un tiers, sinon d'un quart du niveau d'engagement des autres pays développés.
J'aimerais parler des rapports auxquels vous avez fait référence pour nous donner toutes ces bonnes nouvelles concernant les progrès réalisés. L'essentiel de ce que vous nous avez soumis aujourd'hui va carrément à l'encontre de l'évaluation présentée la semaine dernière par le secrétaire général dans son rapport au Conseil de sécurité.Ce rapport expose en détail le fort sentiment d'hostilité de la population afghane tant à l'égard du gouvernement afghan que des pays qui lui assurent leur soutien. Cette situation résulte du niveau consternant de corruption, des mauvaises nominations et, comme l'a dit lui-même M. Fisher, du fait que les plus lourdes menaces à la sécurité subies par la plupart des Afghans proviennent non pas des talibans, mais de la corruption qui existe au niveau des fonctionnaires et de la violence imposée par les seigneurs de guerre, les trafiquants de drogue, etc. Est-ce que vous pourriez nous en parler? J'adresse ma question spécifiquement au colonel Pellerin et au colonel MacDonald.
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Merci, monsieur le président.
[Français]
J'ai préparé quelques remarques. Vous le savez, car vous lisez la documentation et vous avez entendu beaucoup de témoins : peu de gens sont optimistes face à la situation actuelle en Afghanistan, à part la ministre de la Coopération internationale et le chef de l'armée canadienne.
La plupart des gens et des analystes ont une vision assez sombre des difficultés actuelles. Je ne commenterai pas l'aspect militaire, sauf pour dire qu'il me semble qu'on peut remettre en question le fait de penser qu'on gagne la guerre parce qu'on tue 500 talibans. L'histoire a démontré que ce n'est pas de cette façon qu'on gagne une guerre. De plus, la plupart des observateurs disent que chaque fois qu'on tue un taliban, ces derniers en recrutent 500 autres. C'était ma remarque; je vais laisser cet aspect aux militaires.
Je vais d'abord me concentrer sur la reconstruction de l'Afghanistan, sujet qui m'intéresse davantage. D'emblée, la situation est complexe. Depuis la conférence de Bonn et, plus récemment, la conférence de Londres, le Canada participe à l'effort concerté pour la reconstruction de l'Afghanistan. Cependant, la plupart des analyses montrent que le niveau actuel d'aide à la reconstruction est beaucoup trop bas, presque ridiculement bas, par rapport aux besoins et aux problématiques de l'Afghanistan.
Vous avez peut-être vu un certain nombre de comparaisons entre les investissements consentis pour la reconstruction du Kosovo et ceux de l'Afghanistan. Le ratio est de l'ordre de 1:7 ou de 1:8. Par conséquent, les fonds consentis par la communauté internationale sont de loin inférieurs à ce qui est requis pour reconstruire l'Afghanistan. On constate aussi que l'aspect militaire est 10 fois plus important que l'aspect reconstruction. De tels ratios laissent en suspens l'engagement réel pour la reconstruction de l'Afghanistan.
Voyons maintenant la situation sur le terrain. La situation sociale et économique ne s'améliore pas en Afghanistan. Je suis content que l'argent de l'ACDI, mon argent, serve à rouvrir des écoles et à aider un certain nombre de personnes, mais à l'échelle du pays, on ne peut pas dire avec une honnêteté intellectuelle que la situation s'améliore. La situation s'aggrave plutôt, en termes de pauvreté et de marginalisation.
Une des choses qui m'ont frappé dans les dernières semaines est la prolifération des camps de réfugiés informels. Ça va tellement mal dans certaines régions du pays, dans le sud et ailleurs également, que les gens fuient et aboutissent dans le désert avec deux tentes et demie et très peu d'aide, parce que cela se fait d'une façon complètement désorganisée et chaotique. Cela n'est pas un bon indicateur.
La ministre et le gouvernement canadien ont décidé d'investir dans le Programme de solidarité nationale, qui est censé aider à reconstruire les villages et les petites communautés. Ils appellent cela du quick impact. Ça, c'est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle, c'est que plusieurs analyses de ce programme démontrent le caractère improvisé et chaotique et l'à-peu-près d'un certain nombre d'interventions. Ce n'est pas la faute des militaires ni celle des équipes provinciales de reconstruction, car ces gens ne sont pas nécessairement formés pour faire du développement communautaire ou pour examiner la situation d'un village et d'une communauté.
Je ne connais pas les résultats pratiques d'une telle situation, mais je sais que l'ACDI refuse, malgré des demandes présentées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, de livrer l'information sur les bilans approximatifs et partiels de ces opérations. Vous savez comment cela se passe à Ottawa : tout finit toujours par se savoir. Plusieurs documents qui circulent actuellement montrent que ces initiatives n'atteignent pas les objectifs prévus. Les objectifs étaient peut-être louables, mais les conditions dans lesquelles on a tenté de les atteindre ont fait en sorte qu'ils n'ont pas été atteints.
Si on additionne les différents éléments que je viens de citer, on ne peut pas avoir l'impression que le programme de reconstruction de l'Afghanistan avance de façon systématique. Je pense que Mme McDonough a mentionné tout à l'heure que l'opinion publique afghane est assez consciente de cela. Contrairement à l'idée qu'on a souvent des Afghans, ceux-ci sont assez informés. Il y a des sites Internet, il y a Al-Jazira, il y a beaucoup d'information qui circule, et les gens sont en colère, non seulement à Kandahar, dans le sud, mais aussi à Kaboul et ailleurs dans toutes sortes de régions où on constate qu'il n'y a pas vraiment d'amélioration substantielle sur les plans social et économique.
Où va cet argent? La question de la corruption a été mentionnée plus tôt. J'espère que les programmes d'aide, y compris les programmes canadiens, ne vont pas se retrouver dans des eaux turbulentes. J'aimerais que l'ACDI fasse preuve de transparence et nous donne l'information, car cette information existe.
Je conclurai très rapidement en posant la question suivante : face à ce chaos, qu'est-ce qu'on peut faire? Je ne suis pas moi-même partisan d'une espèce de retrait absolu immédiat, total, demain matin de l'Afghanistan, parce que je pense qu'un effort doit être fait. Il y a deux choses absolument fondamentales qu'il faut revoir. La stratégie actuelle, pas la tactique, ne fonctionne pas. La stratégie actuelle, vous savez d'où elle provient. Elle provient de la vision établie, même avant 2001, de réingénierie de cette partie du monde. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est abondamment documenté du point de vue des différentes stratégies élaborées à Washington. Cette stratégie ne fonctionne pas, c'est un échec en Afghanistan aussi bien qu'en Irak, aussi bien que dans d'autres conflits, et cela doit être changé. Le Canada doit défier cette stratégie. Il doit poser des questions, la critiquer et s'en désengager. Ce ne sera pas facile, mais je pense qu'il faut avoir l'honneur de le faire, comme on l'avait fait dans le cas de l'Afrique australe, l'Afrique du Sud, il y a 25 ans, il y a 20 ans lorsque, sous l'égide d'un gouvernement conservateur, on avait eu l'audace de remettre en question ce qui n'était pas acceptable à Washington et à Londres à ce sujet. Il faut négocier avec les talibans ou avec ceux que mon collègue de l'Université d'Ottawa, Roland Paris, appelle les néo-talibans. Nigel Fisher l'a dit plus tôt, les talibans et les néo-talibans, ce n'est pas Al-Qaïda. Ce ne sont pas des gentils personnages, ce ne sont pas des gens qui ont le même système de valeurs que nous, mais il faut négocier avec eux, il faut trouver un accord politique. Je pense que les commandants militaires britanniques l'ont très bien dit : cette guerre n'est pas gagnable sur le plan militaire, il faut que cela évolue sur le plan politique.
Finalement, on doit adopter une approche régionale. Les Afghans sont au courant de ce qui se passe en Irak, les Irakiens sont au courant de ce qui se passe en Palestine, et ainsi de suite. Sans une vision globale et une approche de paix, qui entrent en contradiction avec la guerre sans fin, la guerre globale de l'administration Bush, je pense que, malheureusement, on n'y arrivera pas et que les Afghans seront des victimes de cela, les militaires canadiens seront victimes de cela. Il y a aussi des programmes d'aide et des politiques dans cette région du monde qui seront peut-être les victimes de cela quand la situation sera finalement révélée au grand jour.
Merci.
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Bonjour à vous tous. Je me nomme Marc-André Boivin. Je travaille au Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix. En anglais, pour que ce soit plus facile, vous pouvez l'appeler le Francophone Research Network on Peace Operations. C'est un groupe situé à l'intérieur de l'Université de Montréal. J'ai concentré mes recherches plus particulièrement sur l'intervention internationale en Afghanistan.
Je tiens d'abord à vous remercier de nous recevoir ce matin. J'espère que nos propos seront utiles à votre réflexion. Je pense que le sujet est important, ce qui nous a été rappelé avec acuité au cours de la dernière semaine.
J'ai l'intention de vous proposer ce matin quelques observations sur les objectifs visés par notre engagement en Afghanistan, la nature de notre action là-bas et la façon dont ces objectifs s'inscrivent dans un cadre international plus vaste.
[Traduction]
La situation en Afghanistan pose des difficultés très complexes pour la participation de la communauté internationale. Je suis sûr que les nombreux témoins qui m'ont précédé vous l'ont amplement expliqué. L'Afghanistan est non seulement un cas complexe, c'est aussi de bien des façons un cas très particulier.
Il faut avouer qu'avant les événements du 11 septembre, l'Afghanistan n'était pas vraiment un objet de préoccupation en matière de politique étrangère, non seulement pour le Canada mais aussi pour bon nombre de ses partenaires actuels en Afghanistan. La mission internationale actuelle de stabilisation après conflit aurait dû être menée au début des années 90, après que les forces soviétiques se sont retirées du territoire afghan. Peu de gens savent qu'une mission des Nations Unies a été entreprise afin de surveiller la transition qui a suivi le régime soviétique et de négocier la paix entre les factions moudjahidines rivales. Cette mission était très mal dotée en ressources et n'a donc pas pu réaliser la paix.
Il faut garder à l'esprit que c'est de cette période que se rappelle avec amertume les Afghans lorsqu'ils évaluent la présence internationale. Lakhdar Brahimi, qui dirigeait la mission menée à cette époque, a donné sa démission à la fin des années 90 pour protester contre l'indifférence que manifestait le reste du monde au sort des Afghans et contre les ingérences régionales constantes qui alimentaient la guerre civile.
Les attaques du 11 septembre ont changé la donne, mais il ne faut pas oublier que l'intervention internationale visait essentiellement à lutter contre le terrorisme, non à stabiliser l'Afghanistan. Des intervenants, et surtout les États-Unis, en sont venus à considérer que la stabilisation de l'Afghanistan était une garantie à long terme contre la prévalence du terrorisme. Il aura quand même fallu deux ans afin qu'ils admettent la nécessité de mettre en place des programmes pour bâtir le pays et qu'ils commencent à y consacrer les ressources nécessaires.
La lutte contre le terrorisme et la stabilisation après conflit sont deux objectifs bien distincts qui s'opposent parfois. Les tensions entre l'opération « Enduring Freedom » et la Force internationale d'assistance à la sécurité, ainsi qu'entre leurs différents participants, l'illustrent bien. À de nombreux égards, le concept d'État en déroute a servi à faire le pont entre ces deux objectifs, et on s'en est servi à cette fin dans la dernière déclaration de politique internationale pour justifier la présence canadienne en Afghanistan. Mais à l'échelle internationale, les divisions persistent.
Le terrorisme est d'abord et avant tout un outil qui sert à maximiser l'impact symbolique de moyens d'agir par ailleurs limités. C'est une arme qui n'a rien de nouveau et qui n'est pas exclusivement associée aux extrémistes musulmans. En Russie, les anarchistes ont utilisé l'équivalent de bombes artisanales pour assassiner le tsar Alexandre II au milieu du XIXe siècle. Pour lutter avec succès contre le terrorisme, il faut davantage compter sur les enquêtes criminelles que sur des opérations militaires complètes.
Dans un ouvrage intitulé Beyond Terror, publié par le Oxford Research Group, on souligne que la lutte contre le terrorisme par des moyens militaires peut donner l'effet contraire de celui qui est visé et alimenter le terrorisme. Mais puisqu'il s'agit d'un phénomène qui retient énormément l'attention, il est tentant de réagir de façon excessive et de faire le jeu des terroristes en créant une réaction politique hostile hors de toutes proportions par rapport aux actes initiaux.
La portée et la nature réelle des efforts nécessaires pour garantir une transition vers la paix en Afghanistan se précisent au fur et à mesure que les images spectaculaires des attaques du 11 septembre s'évanouissent de nos esprits. L'aide au développement qu'ont annoncé récemment le Canada et les États-Unis, ainsi que le renforcement et l'expansion de la FIAS, montrent comment la mission en Afghanistan se transforme en effort de stabilisation après conflit. Mais une fois partie l'impulsion initiale de lutter contre le terrorisme, l'approche à plus long terme doit également composer avec le fait que l'Afghanistan a de nouveau peu d'importance sur la scène internationale.
Les appels pour que le Canada retire promptement ses troupes sont, à mon avis, bien davantage le reflet de la fatigue de l'opinion publique qu'un mécontentement quant au déroulement de la mission canadienne. Et c'est là que se trouve le paradoxe. La nature de l'intervention internationale aujourd'hui en Afghanistan a beaucoup plus de chances de réussir, mais parallèlement, la volonté politique pour soutenir cette intervention est en perte de vitesse.
[Français]
Au sujet de cette action canadienne en Afghanistan, l'obsession médiatique pour les pertes de vie de soldats, bien que compréhensible, obscurcit certains autres aspects de notre présence là-bas. En termes d'importance, le Canada est le quatrième contributeur d'aide internationale en Afghanistan, dépassant des pays comme la France et l'Allemagne. L'ACDI a tenu un rôle clé dans des programmes comme le Mécanisme de microfinancement et de soutien en Afghanistan, le Fonds d'affectation spéciale pour la reconstruction de l'Afghanistan et le Programme de solidarité nationale, qui, en termes de développement, ont connu beaucoup de succès.
Le Canada s'est aussi assuré une influence politique conséquente sur ce qu'il advient de la présence internationale en Afghanistan. Il a été une des forces motrices derrière le passage à l'OTAN de l'ISAF et l'extension de l'ISAF à l'ensemble du pays, une tâche complétée uniquement en octobre 2006. Le premier ambassadeur canadien à Kaboul, Chris Alexander, est aujourd'hui l'adjoint du représentant spécial du secrétaire général qui dirige la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan, ou la UNAMA. De plus, le Canada a joué un rôle clé dans l'élaboration du pacte pour l'Afghanistan, mieux connu sous l'Afghan compact, qui établit une feuille de route pour la reconstruction et la stabilisation du pays, tant pour le gouvernement afghan que pour ses partenaires internationaux, jusqu'en 2011.
Quant au volet militaire, l'essentiel de notre contingent opère sous l'égide de l'ISAF, une force mandatée et appuyée par l'ONU dont le rôle stipulé est de stabiliser l'Afghanistan et d'aider le gouvernement afghan à assumer pleinement sa souveraineté sur son propre territoire. Ce mandat s'inscrit clairement dans ceux typiquement votés pour les opérations de paix plus récentes de l'ONU. Certains prétendent que le Canada s'est détourné de sa tradition de casque bleu en se lançant dans une guerre en Afghanistan. Outre le fait que le mandat de la mission où opèrent nos troupes contredit cette affirmation, ces critiques omettent de spécifier que plusieurs des missions de paix sont aujourd'hui le fait d'organisations régionales telles l'Union africaine ou l'Union européenne, qui opèrent avec des mandats votés par l'ONU. Par contre, il est clair que les troupes internationales dans le sud de l'Afghanistan, en pratique, sont confrontées à une situation insurrectionnelle qui s'est rapidement dégradée en 2006. Un simple catalogue des avancées en Afghanistan — et il y en a effectivement de significatives — ne suffit pas à masquer le fait qu'au quotidien, les troupes canadiennes ont dû faire face à des insurgés en rupture totale avec le processus de stabilisation mis en place par la communauté internationale.
[Traduction]
Tout au long des années 90, l'armée canadienne a acquis une énorme expérience dans des opérations de pacification. Grâce aux grandes réformes qui sont mises en oeuvre et aux nouveaux investissements dans la défense, notre force militaire sera à la fois plus souple et plus facile à déployer. Cela montre bien avec quel sérieux le gouvernement canadien en est venu à voir notre participation à des opérations dans des États en déroute et fragiles.
L'Afghanistan a également permis de démontrer comment on pouvait mieux intégrer les divers outils de la politique étrangère canadienne grâce à la collaboration du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Défense nationale et de l'ACDI dans la planification et la mise en oeuvre de nos opérations. C'est ce qu'on appelle de nos jours l'approche pangouvernementale.
Même si cette approche n'est pas parfaite dans la pratique, elle permet d'espérer une participation plus clairvoyante dans les pays qui tentent d'échapper au cycle de la violence, si elle est appliquée par le gouvernement en fonction de directives politiques uniformes et soutenues.
À bien des égards, l'intervention canadienne en Afghanistan a démontré une grande détermination, une grande concentration et une compréhension pointue. Les problèmes tiennent pour la plupart au juste milieu à établir entre les raisons de notre participation et les coûts en cause. Ces questions sont liées à des enjeux bien plus vastes qui, en soi, l'emportent sur le rôle du Canada, proprement dit.
La première question et la plus importante est celle du rôle que joue le Pakistan. Kandahar est directement touché par les infiltrations frontalières de l'Afghanistan et le contingent canadien a fait plus que sa part pour lutter contre les activités des insurgés dans le sud du pays.
Le Canada n'a qu'une influence très limitée à Islamabad, et ses alliés britanniques et américains ont plus de poids et devront confronter plus directement le gouvernement de Musharraf.
L'Afghanistan a toujours été déstabilisé par les tensions régionales mettant en cause ses voisins. Le Canada devrait veiller à ce que tous les pays de la région aient intérêt à ce que la stabilité soit rétablie en Afghanistan.
Les efforts importants et soutenus du Canada n'ont certes pas amené un certain nombre de ses alliés de l'OTAN à en faire autant. Pire encore, l'écart entre les pays qui oeuvrent dans le sud — entre autres le Canada, le Royaume-Uni ou les États-Unis et la plupart des pays européens qui travaillent dans le nord semblent se creuser. Les pays du premier groupe viennent d'annoncer de grands investissements supplémentaires dans leurs troupes, alors que ceux du second groupe tâtonnent. Tout récemment, le gouvernement italien a survécu de justesse à un vote en vue de soutenir les troupes du pays déployées dans la région de Herat, dans l'ouest de l'Afghanistan. Les Allemands viennent d'envoyer des chasseurs à réaction en Afghanistan, mais seulement à des fins de reconnaissance.
Il existe de toute évidence des différences majeures entre les divers acteurs internationaux quant aux objectifs ultimes, à la façon de les atteindre et à l'importance de l'Afghanistan par rapport à leurs programmes internationaux. Le Canada pourrait jouer là un rôle de coordonnateur.
L'insurrection et la misère qui existent actuellement dans le sud sont intimement liées à l'exclusion politique d'une partie importante de la population Pashtun dans le processus de Bonn. Les Pashtun sont le groupe ethnique le plus important démographiquement en Afghanistan et les dirigeants traditionnels du pays. Ils ont également été la source d'influence des talibans.
La paix en Afghanistan est directement liée à l'inclusion de ce segment important et désenchanté de la population. Hamid Karzai a récemment avoué qu'il avait discuté avec des émissaires des talibans. Puisqu'il est lui-même pashtun, il comprend que si l'on veut résoudre à long terme le problème de la violence, il faudra probablement compter sur un règlement politique. Une telle mesure devrait être encouragée car l'approche simpliste de la confrontation ne peut mener qu'à l'échec.
L'expansion de la production de pavot est un indice clair des problèmes graves à long terme auxquels le gouvernement est confronté en Afghanistan. Les politiques à court terme d'éradication du pavot ont échoué lamentablement et il faudra de toute évidence trouver des solutions innovatrices.
D'une façon plus générale, l'intervention en Afghanistan ne peut pas être conçue comme un projet à court terme qui donnera des résultats rapides. Nous avons constaté dans d'innombrables missions de stabilisation à quel point les perspectives doivent être complexes et à long terme.
[Français]
En conclusion, il y a une tension entre, d'une part, ce qui se passe en Afghanistan et ce qui doit être accompli avant que le pays ne puisse être en paix et, d'autre part, ce que le Canada est prêt à consentir pour aider l'Afghanistan, qui est fonction bien plus des aléas de notre politique nationale. Le Canada s'est certainement gagné le respect de la communauté internationale pour son rôle en Afghanistan. Les Forces canadiennes se sont illustrées par leur professionnalisme et leur robustesse. Nous sommes parmi les rares donateurs qui ont honoré leurs engagements à hauteur de ce que nous avions promis à l'origine, et notre insistance pour inscrire l'action internationale dans un cadre multilatéral s'est révélée être une vision à long terme.
Il faut cependant reconnaître que la population canadienne, comme les populations des pays qui sont nos partenaires en Afghanistan, montre des signes d'impatience. Cette donne rattrapera tôt ou tard la classe politique qui, ultimement, est élue! Le Canada ne peut pas à lui seul secourir l'Afghanistan. Pour que nous puissions discuter sereinement de la façon dont le Canada peut aider l'Afghanistan, il faudra que les politiciens arrivent à équilibrer les exigences à long terme de ce type d'engagement avec ce que la population canadienne attend vraiment de la politique étrangère de son pays.
Je n'envie pas votre tâche.
:
Comme je l'ai dit dans mon exposé, on ne sait pas très bien ce qui se passe dans ce pays, et cela tient en partie au fait que le gouvernement a décidé de ne pas soumettre l'information à un examen public.
Mais nous recevons des rapports, dont celui que j'ai ici, au sujet de certaines expériences des EPR depuis six mois et du programme de solidarité. On y parle d'un manque de participation de la communauté, du manque de participation réelle des femmes, de ce que les comités des villages sont encore entre les mains des personnes puissantes, influentes et bien nanties qui dirigent ces villages, de ce que le statu quo se maintient, de ce qu'il n'y a pas de surveillance et d'évaluation, de l'effet négatif sur le capital social, de l'exacerbation du conflit et de la division sociale — Et j'en passe. Ce rapport se fonde sur une série d'entrevues qui ont été menées dans la région de Kandahar aussi au cours des six derniers moins. Le résultat est très inquiétant.
Il faut en conclure que cette orientation n'est pas la bonne. L'armée canadienne, comme d'autres armées, est fort bien entraînée pour accomplir certaines tâches, mais pas en ce qui a trait à la reconstruction sociale et économique. Il n'y a jamais eu de réussite dans ce domaine.
C'est la première étape, et il faut passer à autre chose. Il faut cesser de mettre l'accent sur les EPR et les projets à effet rapide. Il n'existe pas d'effet rapide. L'effet rapide est négatif, alors pourquoi voudrait-on continuer. Cette tâche devrait être confiée à l'ACDI et à certains de ses partenaires, qui pourraient faire le travail selon les méthodes qu'ils ont apprises quant à la façon de réaliser le développement social.
Il n'est pas suffisant de réunir trois habitants d'un village un lundi matin et de leur demander, au cours d'une réunion d'une demi-heure, quelles sont leurs priorités et ce qu'ils vont faire, puis de laisser 5 000 $ sur la table. Ce n'est pas la bonne façon de procéder.
Il faudrait donc modifier l'orientation, revenir aux leçons tirées de l'expérience ainsi qu'aux méthodes plus traditionnelles de développement et de reconstruction à long terme. Est-ce facile? Pas du tout. C'est très difficile. Est-ce dangereux? Oui, c'est très dangereux.
Mais cela ne sera pas possible tant qu'il n'y aura pas de négociations politiques pour calmer le conflit et amener du moins une partie des talibans et des néo-talibans à la table des négociations. Si nous réussissons à le faire, nous nous retrouverons avec un cas comme celui du Mozambique, entre autres, où il a été possible de redresser la barre après une guerre civile cruelle et sanglante. Mais la situation n'a pas changé en une semaine, elle n'a pas changé en essayant de tuer les insurgés et d'opter pour une solution miracle.
Il ne suffit pas de donner de l'argent à l'Afghanistan et de voir à ce qu'il le dépense. Il faut aller au-delà de cela.