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Je vous remercie, monsieur le président.
Permettez-moi tout d'abord de remercier le comité de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Votre examen est intimement lié au travail que fait l'ACDI. Nous croyons tous que la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit sont essentiels au développement. Bref, les États responsables sont plus stables, donc, plus susceptibles d'obtenir des résultats pour leurs citoyens. Dans un récent ouvrage, l'expert américain Morton Halperin signalait que dans des démocraties, les gens vivent en moyenne une dizaine d'années de plus, les enfants courent deux fois moins de risques de mourir avant l'âge de 5 ans et deux fois plus d'enfants fréquentent l'école secondaire.
Gouvernance démocratique veut dire élections justes et libres, mais c'est aussi bien plus que cela. Pour une agence de développement internationale comme l'ACDI, la gouvernance démocratique s'appuie sur quatre conditions essentielles. La première est l'existence de la liberté et de la démocratie, qui doivent être étayées par des institutions électorales et législatives et par des partis politiques forts. La liberté et la démocratie doivent être bien ancrées dans une culture démocratique favorisant l'émergence d'une société civile dynamique et de la liberté de la presse.
La deuxième est la primauté du droit assorti de lois justes et efficaces, d'institutions juridiques également efficaces et accessibles et d'une magistrature impartiale.
La troisième est la présence de pratiques et d'institutions qui respectent les droits de la personne, tant au sein de l'État que dans la société civile.
Enfin, la quatrième est l'existence d'institutions publiques qui gèrent l'économie et les fonds publics avec efficacité et intégrité et qui garantissent aux citoyens la prestation de services sociaux fondamentaux, comme les soins de santé et l'éducation.
C'est un programme ambitieux. Il nous tient à coeur, car nous savons que la gouvernance démocratique dans le monde contribue à notre propre sécurité et à notre prospérité. Nous nous y consacrons de plus en plus depuis la chute du mur de Berlin et nous enregistrons des progrès, comme vous pouvez le constater en consultant la trousse d'information que des employés de l'ACDI ont préparée pour vous. Vous pourrez également voir les progrès enregistrés dans l'index annuel publié par Freedom House. Cet organisme fait état d'une amélioration globale de l'ordre de 23 p. 100 en matière de pratique démocratique pour la période allant de 1975 à 2000.
Au début des années 1990, une vague d'améliorations a traversé l'Europe de l'Est. On sait moins qu'après des débuts post-coloniaux difficiles, l'Afrique connaît à son tour une nouvelle vague de démocratisation. Ainsi, Freedom House rapporte que 62 p. 100 des États africains ont enregistré des progrès en matière de liberté et de démocratie entre 1990 et 2005. Nous devons demeurer vigilants, car beaucoup de progrès restent à faire dans ce domaine. Nous devons aider les nouvelles démocraties à s'ancrer, pour qu'elles deviennent des démocraties dans le plein sens du terme, et nous devons les aider à perdurer en les aidant à générer les bénéfices économiques et sociaux qu'exigent leurs citoyens.
Qu'avons-nous réalisé? De tous les organismes canadiens, l'ACDI est celui qui contribue le plus à la gouvernance démocratique dans le monde. L'année dernière, notre contribution s'est chiffrée à plus de 375 millions de dollars. Dans notre trousse d'information, vous trouverez de nombreux exemples de pays, de projets et de partenaires auxquels nous avons fourni un appui.
Permettez-moi de souligner quelques-uns d'entre eux. Nous avons appuyé de nombreux processus électoraux, notamment en Afghanistan, en Haïti et en République démocratique du Congo. De plus, notre appui au Centre parlementaire nous a permis d'observer de près des processus électoraux et de contribuer à ériger des Parlements plus forts en Afrique, comme en Asie. Notre collègue John Williams a misé là-dessus dans ses efforts pour inviter les parlementaires à lutter contre la corruption. Notre travail auprès des administrateurs de tribunaux en Éthiopie, auprès des juges dans les Caraïbes, aux Philippines et en Chine nous a aidé à renforcer la primauté du droit. Nous avons contribué à renforcer des institutions publiques de défense des droits de la personne en Indonésie et en Bolivie. En Colombie, nous avons participé à la création d'organismes de la société civile qui, partout au pays, protègent les droits des enfants contre la violence. En Bolivie, nous avons appuyé des organismes protégeant les droits des femmes sur le marché du travail. Par l'intermédiaire de l'organisme Equitas, situé à Montréal, nous avons contribué à la formation des défenseurs des droits de la personne et à la création d'un réseau qui s'étend dans 75 pays.
Notre appui aux organismes du secteur privé a permis de moderniser le régime fiscal de l'Inde, d'améliorer la coordination au sein de l'administration publique du Ghana et de faire en sorte que le Mali ait un vérificateur général doté d'une personnalité forte et bien affirmée.
Dans certains pays, nous renforçons notre efficacité en ayant recours à de multiples projets pour atteindre un but ultime. Par exemple, en Ukraine, pour appuyer les réformes de la gouvernance, l'ACDI a donné son appui au secteur public pour qu'il renforce ses capacités en matière d'élaboration de politiques. Mais nous avons aussi participé à sensibiliser les jeunes, les fonctionnaires, les corps judiciaires et policiers aux fondements de la démocratie.
L'ACDI a aidé la société civile d'Ukraine dans ses efforts pour assurer une couverture médiatique juste des élections et pour inciter les citoyens à voter en grand nombre. Toujours en Ukraine, comme vous le savez, nous avons appuyé la mission d'observateurs lors de la reprise charnière du second tour des élections présidentielles en 2004 et des élections parlementaires en 2006.
Nous travaillons maintenant avec l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, en vue de consolider la Commission électorale centrale d'Ukraine. Nous devons relever des défis encore plus grands dans des États fragiles comme Haïti. En effet, les efforts de reconstruction échoueront si nous n'arrivons pas à établir des institutions démocratiques qui veilleront à la sécurité, à la primauté du droit et au respect des droits de la personne.
De concert avec ses partenaires internationaux, le Canada aide la population haïtienne et ses institutions à relever des défis. Récemment, nous avons contribué à la tenue d'élections fiables; des millions de bulletins ont été distribués, parfois à dos de cheval, dans les quatre coins du pays. De plus, une mission réunissant des observateurs internationaux a été dépêchée en Haïti. On a également appuyé la formation d'observateurs locaux et envoyé 106 observateurs canadiens. Plus de 3 millions de cartes d'identité nationale ont été remises aux citoyens, ce qui marquait le début d'un registre national d'état civil, une mesure essentielle pour la stabilité à long terme du pays.
Avant et après les élections, nous avons fourni au Bureau du Président et au Bureau du Premier Ministre d'Haïti des services-conseils techniques de haut niveau. Nous voulions ainsi veiller à ce que la transition soit harmonieuse et à ce que le nouveau gouvernement prenne un bon départ. Il reste beaucoup à faire et notre engagement envers Haïti va durer. Nous continuerons à investir dans des institutions publiques fortes et stables qui servent la population haïtienne. Ces dernières comprennent le Parlement et des ministères importants, comme ceux de la Planification, des Finances et de la Justice.
Qu'avons-nous appris et qu'en faisons-nous? Je suis convaincue que nos investissements portent fruit et je vais vous faire part des grandes leçons que nous avons tirées, mais aussi des mesures que nous pouvons prendre pour améliorer notre action. En premier lieu, nous avons appris que la gouvernance démocratique est essentielle au développement dans son ensemble. Pour cette raison, nos efforts en faveur de la gouvernance démocratique vont se multiplier. À l'avenir, les grands programmes géographiques de l'ACDI permettront d'évaluer et d'appuyer la gouvernance démocratique.
Nous avons également compris qu'instaurer la gouvernance démocratique est un processus complexe qui doit puiser dans un vaste éventail de connaissances. Ce processus doit être accompagné d'une stratégie et d'une vision globale. Il doit aussi faire l'objet d'efforts coordonnés tant à l'échelle nationale qu'internationale.
Comme le ministre McKay l'a signalé lors de sa présentation, la gouvernance démocratique est une priorité de la politique étrangère du gouvernement du Canada. J'espère que les travaux que votre comité effectuera au cours des prochains mois viendront corroborer un certain nombre d'autres précieuses leçons. Nous devons garder à l'esprit que la même solution ne convient pas à tous et que le changement se produit graduellement, à long terme.
Même si les principes propres à la démocratie sont universels, les institutions qui les mettent en application doivent être adaptées à chaque contexte. Autre leçon importante, les besoins des États fragiles sont différents de ceux des États stables ou à revenu moyen. Ces leçons ont aidé nos partenaires à façonner une approche canadienne unique du soutien à la démocratie. Cette approche nous a permis de gagner une reconnaissance internationale dans ce domaine. Elle est recherchée car flexible. Elle peut, en effet, être adaptée à différents contextes socioculturels et à différents moments du processus de démocratisation. Votre appui viendra renforcer la détermination de nos partenaires à poursuivre dans cette voie.
Il nous aidera aussi à cerner les lignes de force du Canada, celles-là même qui guideront notre travail à l'avenir.
La gouvernance démocratique est essentielle au progrès des pays en développement. Elle est également essentielle si l'on veut mettre un terme à la pauvreté de façon durable. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de mettre en lumière les efforts que le Canada déploie, par l'intermédiaire de l'ACDI et de ses partenaires, pour contribuer à relever ce défi mondial. Je suis également heureuse que vous ayez entrepris cette étude. J'accueillerai avec plaisir les conclusions réfléchies que vous en tirerez et la perspective nouvelle sous laquelle vous envisagerez notre travail. Je vous souhaite bon courage dans votre parcours et j'attends avec impatience vos recommandations.
Merci de votre attention.
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Merci, monsieur Patry, de votre question.
En fait, je vais répondre du même coup à vos deux questions.
Aucune somme d'argent destinée à Kandahar n'est retenue. Je peux vous assurer que sur un budget de 100 millions de dollars, chacun des dollars est dépensé en Afghanistan. D'ici la fin de l'année, on prévoit avoir dépensé 15 millions de dollars à Kandahar.
Comme vous le savez, la façon de faire de l'ACDI consiste à travailler en collaboration avec la population afghane. Cette façon de procéder a fait en sorte qu'à peine 1 p. 100 des projets réalisés ont fait l'objet d'une destruction de la part des talibans. Nous sommes convaincus que travailler avec la population est la meilleure façon de garantir aux projets une forme de sécurité.
Comme vous le savez, Kandahar est une région plus difficile. On doit absolument y travailler en étroite collaboration avec la sécurité, la défense, pour permettre aux travailleurs humanitaires sur le terrain de progresser. De façon plus concrète, précisons qu'on construit des routes, des ponts et des puits, qu'on a donné des machines à coudre à des femmes pour leur permettre de mettre sur pied de petites entreprises et qu'on a dispensé de la formation à des groupes de femmes en collaboration avec le groupe Droits et Démocratie, de Montréal, un organisme que vous connaissez probablement. J'ai annoncé récemment l'octroi de 5 millions de dollars destiné à la vaccination de 7 millions d'enfants. Cela touche plus particulièrement Kandahar. Des écoles ont été construites.
Le microcrédit est pour sa part un outil important. Il permet notamment aux femmes de prendre leur avenir en main. Sur les 193 000 Afghans qui ont bénéficié de microcrédit, environ 150 000 étaient des femmes. Elles ont mis sur pied des petites boulangeries, des boutiques d'artisanat ou des ateliers de couture, entre autres. C'est le genre d'aide qu'on offre partout, et je le répète encore une fois, aucune somme d'argent n'est retenue par l'ACDI.
Il faut comprendre qu'on élabore les projets avec la population pour qu'ils soient durables et qu'ils obtiennent l'appui des gens. Nous ne sommes pas là pour imposer nos vues, mais bien pour aider la population afghane. Au fur et à mesure que les projets se dessinent et que la population les choisit, on les met de l'avant.
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Merci, monsieur le président.
Madame la ministre, je vous remercie également pour votre présence.
Je voudrais vous dire, madame la ministre, qu'on ne se lasse pas de s'étonner que le député d'en face passe ainsi à l'offensive en déclarant que la politique d'aide à l'Afghanistan était un échec, alors que nous nous souvenons fort bien que c'est son gouvernement qui a envoyé nos gens là-bas et qui a engagé de l'argent dans ce pays. Mieux encore, il a dit l'autre jour à la Chambre des communes qu'il ne voulait pas venir en aide au peuple afghan — aux pauvres, aux femmes — ni aider le travail de reconstruction qui y a déjà été effectué. Il a même pris la parole à la Chambre pour dire qu'il voulait que nous envahissions le Soudan. Imaginez-vous un peu. Nous sommes au XXIe siècle et il veut que nous envahissions le Soudan. L'ère du colonialisme est révolue, c'est cela que je voudrais dire à mon bon collègue.
Mais ce que je voudrais vous dire moi, madame la ministre, c'est que je reviens tout juste de la région des Grands Lacs en Afrique. J'y étais au mois d'août. Vous venez de parler de la République démocratique du Congo. Lorsque j'étais là-bas, j'ai pu rencontrer les représentants de plus de trente ONG qui étaient venus nous dire que le Canada et l'ACDI faisaient un merveilleux travail pour rétablir la paix et la stabilité dans cette région du monde. Je reviens tout juste de voyage avec le Comité des affaires étrangères qui a tenu des réunions en Europe et là-bas, tous les pays — les pays scandinaves manifestent à l'endroit de l'ACDI, à l'endroit du Canada, un très grand respect pour le travail humanitaire que nous faisons dans cette région. L'ACDI est fort bien considérée. Les pays qui bénéficient de notre aide attendent de nous que nous apportions la sécurité et que nous leur fournissions ce dont ils ont vraiment besoin. Et pourtant, ces bons messieurs en face moi...
Une voix: Il y a des gens très bien à l'ACDI.
M. Deepak Obhrai: Mais comme ce n'est plus au goût du jour, voilà qu'il s'en prend à l'Afghanistan. Je voudrais dire à ce bon collègue que c'est pour reconstruire que nous sommes en Afghanistan. Cela demeure l'objectif numéro un, si nous voulons vraiment nous battre pour la sécurité.
Ce que je voudrais vous dire, madame la ministre, c'est que l'ACDI a fait du bon travail et que partout où nous allons, on nous respecte énormément.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais vous entretenir de l'essentiel de ce que nous faisons dans le cadre de notre étude, c'est-à-dire la promotion de la démocratie.
À l'heure actuelle, la promotion de la démocratie fait l'objet d'un véritable choc en retour dans toute une série de pays. Au début de l'année, la Russie a adopté une loi contre les organisations de la société civile, une loi qui les limite considérablement et qui les empêche de faire leur travail. En effet, la Russie a muselé les médias indépendants, à tout le moins les médias électroniques. Au Bélarus, la société civile est elle aussi complètement immobilisée. Elle est devenue pratiquement non opérante, si ce n'est dans la clandestinité. Dans un même ordre d'idée, tous les médias sont virtuellement contrôlés par l'État. En Chine, les fournisseurs d'Internet ont dû accepter de bloquer le mot « démocratie » et ainsi de suite. En Corée du Nord et à Cuba, il n'y a même pas de choc en retour, étant donné que la promotion de la démocratie n'a jamais décollée. À Shangai, certains de ces mouvements se regroupent actuellement en coopération afin d'arrêter la démocratie.
Pour moi, c'est quelque chose qu'un gouvernement aurait du mal à admettre. Nous trouvons aussi difficile d'appuyer des partis politiques et le développement des partis politiques à l'étranger. Nous avons entendu Tom Axworthy, ancien chef de cabinet de Pierre Trudeau, chez les libéraux, et personnage fort respecté — et nous en avons entendu d'autres aussi — nous dire que que la meilleure façon de procéder serait de créer un genre d'organisme indépendant, qui pourrait peut-être être calqué sur le modèle de la British Westminster Foundation for Democracy ou de la National Endowment for Democracy au Royaume-Uni.
En lisant votre sommaire, je constate par exemple, à la rubrique des programmes témoins, que le mot « Russie » n'apparaît jamais, pas plus que le mot « Bélarus », ou le mot « Cuba ». Cela illustre en partie ce que je disais au sujet des obstacles que nous rencontrons dans les efforts pourtant dynamiques que nous déployons afin de promouvoir le volet liberté de ce programme.
Ainsi, en Chine, nous avons un peu travaillé dans le dossier de la primauté du droit, nous avons essayé de former des juges par exemple. D'aucuns pourraient critiquer ce genre de choses en disant qu'en réalité, nous aidons ainsi les régimes en place. Nous espérons que certains des éléments de notre travail dans le domaine de la primauté du droit finiront par prendre racine, mais on peut craindre aussi le contraire.
J'aimerais donc vous demander ceci: aurions-nous intérêt à envisager une approche un peu plus indépendante pour ce genre de travail, une approche calquée sur le modèle que nous avons pu voir aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne ou encore aux États-Unis, une formule de financement indépendant qui permettrait néanmoins l'intervention des partis politiques et des parlementaires, mais qui permettrait aussi d'intervenir dans certains dossiers plus délicats dans lesquels le gouvernement a du mal à agir?
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Merci, monsieur le président. C'est un plaisir pour moi d'être de retour parmi d'anciennes collègues de tous les partis de la Chambre.
Dans ma courte allocution, j'aimerais faire quelques observations sur le développement démocratique ou, autrement dit, sur le cadre d'un État démocratique moderne: ce que nous devrions faire, étant l'un de ces États démocratiques modernes, pour faciliter le développement de la démocratie.
Je vais commencer par une série d'assertions, pour ainsi dire, et je m'en excuse, par opposition à des arguments structurés. J'espère que nous pourrons ensuite discuter de ces points.
Pour moi, au cours des 50 dernières années, il y a eu deux points tournants dans le monde démocratique et, en fait, dans le monde. Le premier se situe dans la période postérieure à 1945, quand les dirigeants pendant la guerre, Churchill, Roosevelt et Attlee, ont mis en place un cadre pour le développement mondial devant avoir lieu après la Seconde Guerre mondiale, ont pris les grandes décisions pendant la guerre et ont créé la structure institutionnelle de base qui a duré pendant des décennies. Cela comportait la création de l'ONU, les accords de Bretton Woods qui devaient en partie favoriser l'équité financière mondiale et, troisièmement, la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée en 1948. Tout cela faisait partie d'un tout dans la période d'après-guerre après la Seconde Guerre mondiale, qui devait, espérait-on, éviter la tragédie des années 30 et mettre en place, en quelque sorte, un cadre pour ce que l'on appellerait aujourd'hui le développement démocratique mondial.
L'autre point tournant, je dirais, a vraiment eu lieu à la fin de la guerre froide, et nous vivons toujours dans cette période. Je veux faire mes suggestions précises basées sur l'expérience depuis le début de la fin de la guerre froide, à savoir à partir des années 90.
Je me souviens nettement des années qui ont immédiatement suivi l'effondrement du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Les chefs de la quasi-totalité des gouvernements démocratiques ont annoncé à l'époque que la prochaine décennie serait marquée par la multiplication des régimes démocratiques et des économies de marché.
Or, par contraste avec les dirigeants démocratiques au pouvoir pendant la Seconde Guerre mondiale, ils se sont souciés presqu'uniquement de la mondialisation des marchés. Ils ne se sont pas souciés des autres grandes institutions dont j'ai parlé et qui avaient été mises en place par les dirigeants du temps de la guerre — à savoir, la grande dimension politique. De fait, beaucoup des dirigeants démocratiques du début des années 90, qui auraient dû être plus avertis, et certains autres qui l'étaient, ont allègrement affirmé que les droits de l'homme, les valeurs fondamentales d'une société civile démocratique allaient bon gré mal gré émerger toutes seules une fois mises en place les institutions centrales de l'économie de marché.
Fort de mes six années d'expérience à la tête de Droits et démocratie, et une longue période — d'aucuns diront trop longue — en politique fédérale, j'aimerais maintenant formuler quelques suggestions au sujet de ce qui peut et doit être fait pour favoriser le développement démocratique dans un monde où la majorité vivent toujours dans des sociétés autoritaires.
Premièrement, outre la protection de nos intérêts nationaux étroitement définis, notre politique étrangère doit contribuer à favoriser le développement de la démocratie au moyen de la persuasion, du commerce et de l'aide et du développement du droit international des droits de la personne applicables à l'échelle de la planète.
Deuxièmement, ceci peut le mieux se réaliser au moyen du renforcement bilatéral et multilatéral d'État à État des institutions démocratiques, et en particulier en aidant les ONG de défense des droits de la personne dans les pays où elles ont le droit d'exister. En 1970, il n'y avait que 55 ONG internationales à une conférence parrainée par l'ONU à Téhéran. Aujourd'hui, il y a plus de 2 000 organisations de ce genre. De préférence, l'aide aux ONG dans un pays en développement devrait passer par d'autres ONG internationales indépendantes de tout gouvernement.
Troisièmement, l'aide au développement pacifique de la démocratie dans un État par des étrangers ne peut être fournie que lorsque le gouvernement de cet État l'autorise. Cela est arrivé ces dernières années dans un certain nombre de pays très différents. Je ne vais vous donner que des exemples auxquels j'ai été directement mêlé à titre de président de Droits et démocratie et non comme politicien: la Corée du Sud, la Thaïlande, la Tanzanie, le Pakistan, le Guatemala et le Mexique.
Quatrièmement, la priorité des programmes d'action, quels qu'ils soient, de mise en application des droits par un pays en développement ne doit jamais être fixée par des entités extérieures, qu'il s'agisse d'autres ONG ou de gouvernements démocratiques établis.
Dans les années 90, nous de Droits et démocratie avec, j'insiste là-dessus, des fonds fournis par le gouvernement du Canada et avec l'appui de tous les partis représentés alors à la Chambre des communes, avons travaillé dans des pays en développement avec d'autres ONG de la Suède, de l'Allemagne, de la Norvège et des États-Unis et avons contribué à faire appliquer les droits des femmes, des populations autochtones, des travailleurs et des organisations de défense des droits de la personne en Thaïlande, au Guatemala, au Mexique, au Salvador, en Tanzanie, au Pakistan, en Égypte et en Indonésie. En tout temps, les droits en question, les priorités et les programmes de travail pour ces pays ont été fixés par les ONG locales ou les gouvernements eux-mêmes et non par nous.
Par exemple, quand nous avons soutenu les droits des femmes au Pakistan, nous et nos partenaires internationaux n'avons pas proposé un programme d'action qui aurait convenu aux femmes du Canada ou d'Europe. Nous avons plutôt soutenu les priorités fixées par les principales réformatrices du pays, comme Asma Jahangir. En passant, cette femme courageuse se décrit comme une musulmane, une femme, une avocate et une militante des droits de la personne.
De même, des travaux faits ces dernières années auprès d'ONG mexicaines — puis du gouvernement — au sujet des droits électoraux ont été effectués en fonction de leurs priorités, encore une fois, et non des nôtres. C'est ce qui a contribué à la tenue d'élections libres et justes il y a quelques années et à la transition légitime du pouvoir plus tôt cette année.
Nous avons travaillé pendant des années en Tanzanie et finalement en partenariat, dans ce cas, avec le haut-commissaire du Canada. Notre haut-commissaire à l'époque était une femme remarquable, pleine d'imagination. Nous avons collaboré avec le régime à parti unique de l'époque, d'autres ONG, d'autres partis émergents et des organes de presse nouvellement indépendants pour créer un programme d'action pratique qui a conduit sans violence à une transition vers la démocratie multipartite en Tanzanie.
Le cinquième point porte sur ce qu'il faut éviter.
Il n'y a qu'un seul pays dont je veux parler pour illustrer ce qu'il ne faut pas faire.
M. Chrétien avait raison à propos de l'Irak. L'arrogance impériale des dirigeants actuels à Washington et à Londres était peut-être assortie d'un plan d'action sincère en faveur de la réforme démocratique. Même si cela était le cas, une invasion militaire, ici ou ailleurs, dans le but de la mettre en oeuvre, est une grossière erreur. Par suite de cette atteinte au droit international par l'Occident, des milliers de vies ont été perdues, les infrastructures d'un pays ont été ruinées, le terrorisme a augmenté et les conflits religieux régionaux et internationaux se sont aggravés. Paradoxalement, le principal bénéficiaire en a été l'Iran.
Si une prétendue démocratie parlementaire voit le jour en Irak dans les mois prochains, elle sera caractérisée par une profonde méfiance et de vives tensions religieuses et régionales. Quand il s'agit de tolérance et de stabilité, la République allemande de Weimar apparaît rétrospectivement comme un modèle de courtoisie et de bonne volonté en comparaison. On ne peut guère douter que la guerre en Irak, menée en grande partie par des chrétiens de race blanche au nom de la démocratie et des droits de la personne, a discrédité l'un et l'autre aux yeux de millions de musulmans et d'autres dans le monde.
Je passe à mon sixième point.
Nous, des démocraties avancées, devons nous rappeler les racines multidimensionnelles et multipartites de nos propres droits. Comme je l'ai dit, dans la foulée de l'une des décisions du cabinet de coalition de Churchill dans les années 40, après la guerre, lui et Roosevelt ont veillé à ce qu'un large éventail de droits trouvent leur place dans le nouvel ordre d'après-guerre. Ces droits ont fini par faire partie intégrante de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Rédigés à l'origine par un Canadien, John Humphrey, ces droits ont fini par devenir la Déclaration universelle des droits de l'homme en 1948.
Ce qui est crucial ici, c'est que combinés aux droits civils et politiques, les nouveaux droits socioéconomiques ont formé le noyau des États providences modernes qui se sont épanouis dans les démocraties de l'Atlantique Nord, pendant des dizaines d'années après la guerre. Comme Tony Judt, l'un des grands historiens du monde, l'a soutenu récemment et avec brio dans son ouvrage Postwar, ces États providences, avec leur dosage de droits politiques et sociaux, sont en grande partie responsables de la disparition des partis d'extrême gauche et d'extrême droite et pour le sentiment croissant de justice sociale et de stabilité qui a fini par caractériser la plupart des démocraties avancées.
C'est donc notre propre histoire contemporaine qui devrait nous aider à comprendre pourquoi la mondialisation économique est à la fois un bien et un mal pour la démocratie. Comme le signalait récemment la Banque mondiale, alors même que la prospérité s'accroît pour bien des gens, il y a quand même des millions de personnes qui vivent dans une pauvreté abjecte en Amérique latine, au Moyen-Orient, en Asie et en Afrique. Ils sont très nombreux à croire que les démocraties existantes ne se soucient plus du tout de justice sociale. Ils considèrent que nos gouvernements et les élites agissent trop souvent en collusion avec les leurs et qu'ils s'intéressent davantage à leurs ressources naturelles et aux droits de propriété qu'aux droits civils et sociaux de la majorité.
Le fait que le président du Venezuela a pu être applaudi par tant de gens lors de l'Assemblée générale des Nations Unies en septembre, lorsqu'il a dit que le président Bush était le diable, doit être considéré en partie comme le symptôme d'un sentiment d'injustice fort répandu, plutôt que comme une simple condamnation de l'invasion américaine en Irak.
L'ampleur de l'inégalité et l'absence de réforme sociale dans un si grand nombre de pays peuvent avoir pour effet, et c'est d'ailleurs le cas, de produire des mouvements religieux et laïques romantiques, extrémistes et intolérants. Cela a été le cas récemment en Europe. Ce genre de phénomène pourrait resurgir, mais cette fois-ci au niveau planétaire.
Je pense que je vais terminer là-dessus, monsieur le président, et je vous remercie.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je suis très heureux d'être à nouveau ici, car c'est toujours un plaisir de venir entretenir un comité du genre de dossier qui appelle souvent votre attention.
Comme vous le savez pour la plupart, le Conseil est une coalition de 100 organisations non gouvernementales vouées à la lutte contre la pauvreté et à la promotion du développement durable dans le monde.
Les membres du comité savent bien sûr qu'il y en aurait long à dire sur le développement démocratique. On pourrait parler de politique électorale et de scrutins, de l'appareil judiciaire, de la reconnaissance et du respect des droits des citoyens. On pourrait aborder la question aussi sous ses aspects économiques, sociaux et culturels. Elle comporte de nombreuses facettes.
Pour nous qui travaillons dans le domaine de la coopération au développement international et qui sommes préoccupés par les questions de pauvreté à l'échelle mondiale, la question du développement démocratique est très souvent liée au rôle des organisations populaires et des mouvements sociaux dans la lutte contre la pauvreté. Et c'est un rôle crucial. Il y a dans le monde plus d'un milliard de personnes qui vivent dans un dénuement absolu, et 1,5 milliard qui sont désespérément pauvres, gagnant moins de 2 $ par jour, ce qui représente près de la moitié de la population de la planète.
Le problème avec une telle pauvreté, c'est qu'elle est fatale. Chaque jour qui passe, 50 000 personnes meurent de causes liées à la pauvreté et donc facilement évitables, et plus de 800 millions de gens ont le ventre vide jour après jour. Ainsi, les ressources dont on dispose pour lutter contre la pauvreté dans le monde, l'aide internationale, les accords de commerce équitable, la radiation de la dette des pays les plus pauvres, revêtent une importance extrême. Et l'attitude des pays donateurs comme des pays en développement eux-mêmes vis-à-vis du développement démocratique et des droits humains est tout aussi importante.
La lauréate du Prix Nobel, Amartya Sen, économiste spécialiste du développement, a montré de manière assez irréfutable qu'on réussira à vaincre la pauvreté quand on affirmera les droits des populations vulnérables et des pauvres, en dépit de pouvoirs très inégaux sur les plans culturel, social, économique et politique. Et comme les femmes forment le gros des populations pauvres et vulnérables, la question de l'égalité des sexes et les processus permettant aux femmes de faire respecter leurs droits, jouent un rôle de premier plan, absolument fondamental, dans la lutte contre la pauvreté. Si nous n'intervenons pas sur ces plans, nous perdrons la bataille.
Les objectifs du millénaire pour le développement se présentent sous la forme d'une liste de cibles, issues d'une série de rencontres internationales qui ont été tenues par les Nations Unies dans les années 90 pour établir des objectifs sociaux pour la planète. Cette liste réunit certains des objectifs les plus réalisables sur lesquels on s'était entendu lors de ces rencontres pour continuer un programme d'action pour ce début de siècle. Mais lorsqu'on parle de lutte contre la faim, d'eau potable, d'accès à l'enseignement primaire, ou encore du traitement des malades atteints du VIH/sida, de la tuberculose ou du paludisme, on retrouve au coeur de toutes ces préoccupations la question des droits de la personne et des conditions de vie des hommes et des femmes à qui on refuse l'exercice de ces droits.
C'est pour cette raison que certains appellent parfois par dérision les objectifs du millénaire pour le développement les objectifs du moindre effort pour le développement, pour bien marquer que, s'il est important de se donner des objectifs, il n'est pas de liste qui puisse vraiment faire le tour du phénomène de la pauvreté. Si l'on se place du point de vue des droits de la personne, il n'y a pas d'ensemble fini de besoins qui, une fois satisfaits, régleraient une fois pour toutes la question de la pauvreté. L'inégalité et l'exclusion sont les deux moteurs de la pauvreté et, si nous voulons lutter contre celle-ci, nous devons militer pour l'égalité et l'inclusion.
Les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine des droits humains savent qu'il n'y a pas de développement efficace et durable sans une mobilisation des citoyens. C'est là le principal ingrédient. Sans elle, point de réussite. Et comme les membres du Comité le savent fort bien, au Canada comme ailleurs, la lutte contre la pauvreté est essentiellement un processus politique.
Si l'action gouvernementale, la volonté politique au niveau national et la capacité des pouvoirs publics sont importantes, elles sont en soi insuffisantes pour aboutir à un développement durable soutenu. Il ne peut y avoir d'action complète qu'avec l'organisation des mouvements politiques et sociaux et la participation directe des personnes pauvres ou autrement exclues ou marginalisées par leur propre société. C'est là l'autre volet essentiel du développement démocratique.
Durant votre étude sur le développement démocratique, vous avez certainement parlé de la Déclaration de Paris de mars 2005, déclaration dans laquelle les pays donateurs s'étaient entendus sur des approches conçues pour promouvoir la prise en charge des programmes de développement par les pays en développement et non par les pays donateurs, et dans lesquels les donateurs adaptent leur démarche aux stratégies des pays partenaires. Ainsi, donateurs et bénéficiaires se sont-ils entendus pour harmoniser leur action, se donner des objectifs mesurables et se rendre des comptes mutuellement.
Aussi importantes soient-elles, ces nouvelles stratégies des pays donateurs mettent résolument l'accent sur les relations avec les gouvernements donateur et visent à obtenir des réformes institutionnelles à la fois dans le pays donateurs et dans le pays bénéficiaire, des réformes propres à améliorer l'efficacité et l'efficience des systèmes d'aide.
Pour les organisations de la société civile, la question ultime est celle de savoir quelle partie de l'aide arrive effectivement entre les mains des pauvres et leur donne la volonté et les moyens de régler eux-mêmes leurs problèmes. En fait, c'est la seule manière de mesurer l'efficacité de l'aide internationale, et les engagements de Paris ne font rien en ce sens. Donc, la Déclaration de Paris n'est pas sans valeur en ce qui concerne les pratiques des donateurs, mais elle concerne davantage l'aide internationale que le développement.
C'est quand on aborde le volet développement du problème que les questions comme le rôle des citoyens et de leurs mouvements sociaux, et la manière dont on peut employer l'aide internationale pour mobiliser les gens prennent le devant de la scène. C'est donc fort heureux que les États donateurs se préparent à une importante rencontre qui doit avoir lieu au Ghana en 2008, rencontre où l'on passera tout particulièrement à la loupe le rôle des acteurs de la société civile et où l'on parlera d'intégrer en ce puzzle cette pièce importante.
À cet égard, il importe de signaler que votre comité a abouti à d'intéressantes conclusions sur l'efficacité des mesures de développement dans son douzième Rapport à la Chambre des communes déposé durant la dernière législature. Le Comité a réclamé non seulement l'augmentation des budgets d'aide au développement et le respect de l'objectif de 0,7 p. 100 du RNB, mais aussi que des mesures soient prises pour améliorer la reddition de comptes et l'efficacité de l'aide du Canada à l'étranger. Ce rapport a été accepté par tous les partis représentés à la Chambre. Le comité a prôné l'adoption d'un projet de loi qui, abstraction faite de l'aide humanitaire, ferait de la pauvreté une priorité de l'aide publique au développement, suivant en cela une démarche conforme aux obligations du Canada au chapitre des droits humains et respectueuse du point de vue des personnes qui vivent dans la pauvreté.
Le comité a également demandé que l'ACDI tienne compte de l'apport des organisations de la société civile au Canada comme à l'étranger pour améliorer l'efficacité de l'aide à l'étranger.
Le rapport du comité au Parlement, auquel ont souscrit tous les partis représentés à la Chambre des communes, place donc le développement démocratique et une approche fondée sur les droits au centre du paradigme du développement.
Je tiens donc à vous féliciter pour avoir mis dans le mille l'année dernière et à vous encourager à poursuivre sur cette voie dans votre étude du développement démocratique, si important dans la lutte contre la pauvreté.
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Merci, monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie d'être venus aujourd'hui.
Monsieur Broadbent, la Commission des droits de l'homme des Nations unies, qui s'appelle maintenant le Conseil des droits de l'homme, a adopté en 1999 une résolution pour promouvoir le droit à la démocratie. Comme vous le savez, au Sommet du millénaire de 2000, les Nations Unies ont déclaré qu'il ne fallait ménager aucun effort pour promouvoir la démocratie et renforcer la primauté du droit.
J'ai généralement toujours été favorable aux projets conduits par l'ACDI, et je vais vous donner un exemple sur lequel j'aimerais avoir votre opinion.
À mon avis, la meilleure façon de promouvoir la démocratie consiste à travailler sur le terrain pour commencer, surtout dans les pays d'Asie comme le Cambodge. Comme vous le savez, le Canada a participé de près à la surveillance des élections communales. Or, l'approche que nous avons adoptée a été jugée un peu diffuse parce que nous étions sur place, certes, nous avons facilité le processus, certes, mais l'attention a fini par se dissiper. Ce qui se passe à l'heure actuelle, c'est qu'au Cambodge, le gouvernement de Hun Sen a littéralement muselé ses opposants et malmené les droits humains.
À votre avis, que devrions-nous faire pour continuer à intervenir à long terme? Quelles sont les formules que nous devrions envisager pour assurer le contrôle du développement durable des droits humains dans les pays où nous sommes prêts à dépenser de l'argent dans ce but?
Vous avez je crois, non sans éloquence, signalé qu'en Irak, l'action entreprise du haut vers le bas ne marche pas et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.
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C'est une question parfaitement raisonnable, et je répondrai à cela qu'il n'y a pas de réponse simple, ou il n'y a aucune garantie.
Comme je l'ai déjà dit, nous avons beaucoup travaillé, nous s'entendant de l'organisme Droits et Démocratie. C'est un modèle de financement public fort intéressant, mais également un institut indépendant financé, comme je l'ai dit, par toutes les parties. Nous travaillons surtout avec les ONG dans les pays en développement. Nous avons un peu travaillé avec des gouvernements, mais l'essentiel de ce travail-là est fait par l'ACDI et non pas par nous. Nous avons travaillé en Thaïlande. Nous y avons beaucoup travaillé, et la Thaïlande a fait énormément de progrès, mais comme nous le savons, il y a eu un coup d'État militaire. C'est donc un travail, un projet d'une durée encore indéterminée.
On trouve dans l'histoire deux grands noms qui ont beaucoup écrit sur la démocratie: il s'agit d'Alexis de Tocqueville et de John Stuart Mill. Personne n'a fait mieux que ce qu'ils ont fait au XIXe siècle. La chose fondamentale dont ils parlaient, et dont a parlé également Gerry Barr dans un contexte contemporain, c'est le rôle crucial d'une société civile démocratique, toute la palette des libertés qui deviennent profondément intégrées dans les pratiques et les institutions, si vous me permettez l'expression, sous la superstructure des élections. Et pour cela, il faut du temps, il faut vraiment beaucoup de temps.
Je lisais dernièrement un article sur les croisades, et cela m'a rappelé avec horreur l'extermination systématique des Juifs, l'extermination des Musulmans, et ainsi de suite, tout cela au nom de la chrétienté. Nous mêmes, nous sommes passés par une longue période du même genre. Nous autres, dont l'origine est chrétienne, blanche et anglo-saxonne, nous avons connu une longue évolution pendant laquelle nous avons été des barbares au sens moderne du terme. Pour arriver à faire évoluer ces groupes jusqu'à ce qu'ils deviennent tolérants, civils et respectueux des droits individuels et des droits sociaux aussi, il faut du temps, et il n'y a pas de solution magique.
Une partie de ce que Gerry Barr et la ministre ont dit au sujet des principes généraux et du rôle de l'ACDI, ce que Gerry Barr a dit à propos de l'importance de la société civile, et ce que j'ai dit moi, tout cela à mon sens finit par s'imbriquer si cela vient à être concrétisé. Ce qu'il ne faut pas, c'est adopter une approche du haut vers le bas en utilisant la force, la force militaire à tout le moins, ou en imposant notre façon de promouvoir les droits. Ce sont eux qui doivent y arriver, les groupes qui existent au sein de leur société, là où ils sont libres d'agir. Quelqu'un a parlé de Cuba, de la Chine et de tous ces autres pays dans lesquels nous sommes actifs. Nous n'y faisons rien parce que ces pays ne nous permettent pas de faire quoi que ce soit. Ils ne permettent pas aux organismes comme le nôtre, Droits et Démocratie, d'y travailler.
J'ai pris mon temps pour répondre à la question simplement pour dire qu'il n'y a pas de solution parfaite. La démocratie est un processus évolutif et fort important, mais ce qui est crucial toutefois, c'est la structure de la société civile. Il ne s'agit pas simplement de faire des campagnes électorales ou de tenir des élections à intervalles réguliers, il faut arriver à ce que les institutions en place permettent dans la société l'exercice libre des droits.
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D'accord. Je n'ai pas de réponse toute faite à cette question. Encore une fois, l'organisme de Gerry Barr pourrait sans doute vous donner une meilleure... Je veux dire, on pourrait faire comme font d'autres pays, réserver la totalité de notre aide aux pays les plus pauvres. Je n'ai pas de réponse toute faite.
Il y a des raisons, je pense, pour lesquelles... Nous allons vers les pays avec lesquels nous avons des rapports historiques — certains francophones, d'autres anglophones — et il y a certains courants commerciaux. Il se peut que nous ayons des contacts et des liens historiques avec certains pays plutôt que d'autres et il est peut-être sensé pour nous de les préférer à d'autres. Mais essentiellement, en gros, mon critère c'est que ceux où le besoin est le plus grand devraient être prioritaires.
Au sujet de l'Afghanistan, je suis plutôt de votre avis. Je suis heureux de ne pas être en politique aujourd'hui et de ne pas être tenu de donner des réponses.
Au début, j'étais en faveur de l'intervention dans une situation tout à fait différente de celle de l'Irak: tout à fait différente. Nous étions en présence d'un gouvernement barbare qui soutenait un mouvement terroriste international barbare. C'était en réaction à cela — une intervention, je le répète, que, personnellement, j'ai jugé appropriée.
Puis vous avez soulevé la question de notre présence là-bas aujourd'hui et ce ce qu'il faut faire face à ce terrible dilemme. Mon amie et collègue Alexa a demandé quel était le ratio entre les dépenses d'aide et les dépenses militaires. Je ne connais pas la réponse et, pour être honnête, je ne sais pas ce qu'il devrait être parce que le volet de l'aide dépend du volet de la sécurité.
Ce que le cas de l'Afghanistan montre, si je peux m'exprimer ainsi, avec l'avantage que donne le recul, c'est la sagesse de George Bush père pendant la guerre du Golfe. À ce moment-là, M. Bush père était exhorté par un certain nombre de ses collègues conservateurs américains, certains va-t-en guerre, à pousser jusqu'à Bagdad après avoir expulsé les forces de Saddam Hussein du Koweït. Il a posé la bonne question: « Et je fais quoi quand j'y serai? » — une question très importante. Et il n'y est pas allé, parce que s'il l'avait fait, c'est sous la présidence de Bush père que nous aurions eu la chienlit qui existe aujourd'hui en Irak.
Le Canada est là, avec ses partenaires de l'OTAN et la sanction de l'ONU pour faire la quadrature du cercle: sécuriser pour pouvoir aider. Et cela dans un pays qui, du point de vue de l'histoire — et je ne veux pas que l'on méprenne le sens de mes paroles — et du point de vue du développement démocratique, est encore plus en retard que ne l'était l'Irak. Les structures de l'Afghanistan sont beaucoup plus complexes et de type médiéval.
C'est un problème pour lequel il n'y a pas de solution toute faite.