FAAE Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
CANADA
Comité permanent des affaires étrangères et du développement international
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 8 mai 2007
[Enregistrement électronique]
[Traduction]
Mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.
Nous entamons, ce mardi 8 mai 2007, la 54e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. Permettez-moi de préciser d’abord qu’à 11 heures un autre comité doit se réunir dans cette salle.
C’est dire que le temps nous est compté. Pendant la première heure, nous allons poursuivre nos séances d’information sur la situation en Afghanistan.
Les témoins que nous accueillons aujourd’hui travaillent au Center for Strategic and International Studies, à Washington. Il s’agit de Seema Patel, consultante en chef du projet de reconstruction post-conflit; et Steven Ross, consultant au service de la recherche dans le cadre de ce même projet. La seconde heure sera consacrée à notre rapport préliminaire sur le développement démocratique.
À la fin de cette deuxième heure, il nous faudra également consacrer quelques instants à des questions concernant les travaux du comité.
Nous accueillons donc nos invités et nous attendons avec beaucoup d’intérêt ce qu’ils ont à nous dire. Nous avons pu, avant le début de la séance, échanger avec eux quelques propos. Comme vous le savez, nous nous penchons assez régulièrement sur la situation en Afghanistan, sollicitant divers points de vue. Nous allons vous écouter avec le plus vif intérêt. Dans un premier temps nous allons écouter vos exposés, puis nous passerons à la première série de questions. Cela devrait nous emmener jusqu’à 9 h 58.
Je vous souhaite donc la bienvenue et je vous passe dès maintenant la parole.
Je tiens d’abord à remercier le président et les membres du comité de cette occasion de prendre devant vous la parole et de vous faire part des résultats de travaux que nous avons menés au sein de l’organisation dont je fais partie.
La mission dont le Canada est actuellement chargé en Afghanistan revêt une importance critique et je souhaite remercier les Canadiens du rôle qu’ils ont accepté de jouer. Je n’ignore pas que des avis divergents continuent à s’exprimer sur ce sujet et que la mission que le Canada assure actuellement demeure l’objet d’un vif débat, tant à Ottawa que dans le reste du pays. J’espère que les éléments que je vais vous exposer au sujet des efforts menés en matière de reconstruction et de développement et pour améliorer la sécurité, vous seront utiles. J’évoquerai en outre certaines des mesures qu’il conviendrait de prendre pour assurer le redressement de l’Afghanistan.
Je suis ici en tant qu’experte attachée au CSIS, le Center for Strategic and International Studies. Je dois tout de suite préciser cependant que si ce centre est basé aux États-Unis, mais que c’est néanmoins un organisme indépendant. J’entends notamment par cela qu’il est indépendant du gouvernement des États-Unis et des intérêts qui lui sont propres. Dans le cadre de l’équipe de reconstruction post-conflit, nous avons pour tâche de contribuer à une meilleure sécurité et à une plus grande prospérité dans le monde en affinant l’analyse stratégique des questions qui s’imposent aux décideurs pour tenter de parvenir à un monde plus paisible. Lorsque, par conséquent, j’emploie le mot « nous », j’entends par cela la communauté internationale, et plus particulièrement l’ensemble des acteurs qui s’activent actuellement sur la scène afghane.
Au sein du CSIS, notre équipe travaille plus particulièrement sur trois problèmes chroniques auxquels la communauté internationale sera confrontée dès la fin des hostilités. D’abord, nous nous attachons à mieux prévoir en approfondissant nos analyses et notre compréhension du contexte et en améliorant les mesures préparatoires.
Deuxièmement, à partir du moment où la communauté internationale décide d’intervenir, nous tentons d’élaborer des stratégies plus intégrées offrant des choix clairs et des priorités ordonnées.
En troisième lieu, le CSIS cherche à améliorer la façon dont la communauté internationale rend compte de la manière dont est assurée sa mission. La plupart du temps, nous constatons en effet que les organismes des Nations Unies, les ONG et les divers gouvernements font état, dans le cadre des projets dont ils ont particulièrement la charge, d’un large éventail de résultats positifs alors que le pays dans lequel ils déploient leurs efforts reste marqué par un profond pessimisme voire un négativisme certain.
On aime, en effet, parler des sommes affectées aux divers efforts de reconstruction, du nombre de projets menés à bien et des grands desseins de transformer des sociétés tout entières plutôt que des résultats que nos efforts peuvent entraîner au niveau des populations locales.
Or, le CSIS a élaboré un modèle permettant, justement, de mesurer les progrès accomplis sur ce plan. Nous avons appliqué ce modèle à l’Afghanistan en 2005 et, à nouveau, en 2006 pour pallier aux lacunes de l’information en réunissant plusieurs sources et en mesurant les résultats des efforts consentis, non plus de l’extérieur, mais en nous situant du point de vue des populations locales.
Nous reprenons les sondages et les résultats obtenus, par diverses organisations, dans le cadre d’entretiens en profondeur, ainsi que les nouvelles diffusées par la presse nationale et internationale, les documents et les communiqués officiels. Nous y ajoutons les résultats de centaines d’entrevues menées sur le terrain et des 1 000 conversations structurées engagées avec la population locale.
À cette masse de données, nous appliquons divers types d’analyses nous permettant de parvenir à une meilleure compréhension de la situation, tant sur le plan régional que sur le plan stratégique, et à d’utiles conclusions démographiques. Nous rangeons ensuite les données sous un certain nombre de rubriques telles que la sécurité ou la gouvernance.
En Afghanistan, le premier exercice de ce genre que nous ayons mené remonte à 2005. Nous avons pu constater à l’époque que l’Afghanistan était parvenu à sortir de cette sorte d’existence souterraine qui lui était imposée depuis 2001 et pu conclure que, depuis plusieurs dizaines d’années, la situation n’avait en fait jamais été aussi bonne. Les espoirs s’étaient portés sur le nouveau président, des millions de réfugiés étaient rentrés au pays, et on pouvait faire état de succès sur les champs de bataille au cours d’une guerre somme toute assez brève. Le nombre de nouvelles constructions, dont des écoles et des routes, était impressionnant. À cette époque, la communauté internationale était bien dans son rôle, s’en tenant à des activités pour lesquelles elle avait des dispositions particulières, telle que la tenue de conférences, d’élections, la rédaction d’une constitution et l’action humanitaire.
Lorsque arriva 2005, on crut constater, au sein de la population afghane, une certaine baisse de l’espoir. À l’époque, nous avons prôné une approche plus décentralisée et plus individualisée afin de stimuler, pendant la phase de transition, l’imagination et la participation de la population.
Au cours de l’année passée, il y a eu des améliorations dans certains domaines d’activité, notamment la santé, les communications, la croissance économique, le rôle de femmes, la participation des citoyens et les investissements privés. Mais les problèmes, considérés dès le départ comme étant les plus graves, subsistent. Je parle là de la corruption, qui est très répandue, des chefs de guerre, d’une économie accro du pavot, d’une pauvreté chronique et d’un service public de l’électricité plus qu’insuffisant.
Nous constatons que, malgré l’augmentation des crédits, le nombre de projets lancés et le passage du temps, la situation de la population ne s’est guère améliorée. Le gouvernement est atteint dans sa légitimité et la population a moins qu’avant confiance en ses capacités. Les Afghans éprouvent, pour leur sécurité, de profondes inquiétudes et leur confiance en l’ordre nouveau instauré quelques années auparavant a considérablement baissé. La population se demande quand elle touchera enfin le fruit des promesses qui lui ont été faites en 2001.
Ce n’est pas dire que les Afghans désespèrent de la situation. Ils souffrent de l’incertitude quant au parti qui finira par l’emporter et de l’impression de vivre en permanence sous les menaces et les pressions. C’est pourquoi la population tente de s’organiser de son côté, même pour sa protection, et de se désintéresser tant de ce qu’essaie de faire le gouvernement central que des initiatives lancées par la communauté internationale. Il faut arriver à faire redémarrer le pays.
D’après nous, les tendances négatives constatées l’année dernière peuvent être redressées. La priorité va devoir être accordée à la sécurité des populations. Depuis 2006, la sécurité publique s’est en effet détériorée en raison des violences entourant la rébellion, de l’incapacité du gouvernement afghan à lutter contre la criminalité, des commandants locaux, des chefs de guerre, de la corruption et des abus de certains éléments de l’ordre nouveau qui a été instauré, y compris de la police et de fonctionnaires publics.
Vous n’ignorez pas que, par rapport à ce qu’il en était en 2006, dans le sud et l’est du pays, la rébellion s’est amplifiée. Elle regroupe divers éléments anti-gouvernementaux, mais, au plan stratégique, les plus dangereux sont les talibans du Mullah Omar, faction dont une partie de la force s’explique par un chef charismatique et des liens tribaux profonds. Ils mènent actuellement avec succès une campagne qui vise à exposer et exploiter les faiblesses du gouvernement et les erreurs que nous avons nous-mêmes commises. Il s’agit, pour eux, de se rallier la population.
Les Afghans se sentent pris au piège triangulaire que forment les talibans, les opérations militaires et la corruption des fonctionnaires publics. La sécurité est menacée de toutes parts. La population a perdu une bonne partie de sa liberté de mouvement et cela crée de nouveaux obstacles à son accès aux services de base et lui ferme de nombreuses occasions sur le plan économique. Les opérations militaires internationales créent de gros risques pour de larges pans de la population et ont accru le nombre de personnes déplacées. Il faudrait subvenir aux besoins élémentaires des populations et engager une action humanitaire.
D’après nos recherches, la plupart des Afghans estiment qu’au plan de la sécurité, la présence des forces internationales demeure nécessaire tant pour s’opposer à la rébellion que pour protéger les villages, mais l’augmentation du nombre de victimes civiles, les répercussions des mesures prises pour enrayer la culture du pavot et la mentalité de garnison nous ont aliéné beaucoup de gens, tant des amis que des partenaires potentiels.
Les crédits actuellement disponibles ne permettront pas à la communauté internationale de sécuriser les régions reculées de l’Afghanistan. Cela étant, il convient de faire porter l’effort sur le centre de gravité, c’est-à-dire sur les provinces de Kandahar et de Helmand. C’est là, selon nous, que la rébellion est la plus dangereuse, non seulement parce que la population est quotidiennement soumise aux effets et aux contre-effets de cette rébellion, mais également parce que tout ce qui se passe dans les provinces de Kandahar et de Helmand ont de profondes répercussions dans le reste du pays. Les populations du nord et de l’ouest du pays, pour qui le conflit pourrait paraître assez lointain, estiment néanmoins que le redressement du pays est mis en péril par ce qui se passe dans le sud et dans l’est. Ajoutons que ces deux provinces font pousser 50 p. 100 des récoltes de pavot et abritent 50 p. 100 des trafics qui y sont liés avec, notamment, une présence gouvernementale particulièrement lacunaire.
Ce qu’il faudrait, c’est améliorer notre action dans la plupart des districts de ces deux provinces. Il nous faut oeuvrer au niveau local. La police et l’armée nationale, les populations et les fonctionnaires locaux ne resteront pas sur place pour lutter contre les talibans, plutôt bien équipés, ni même pour participer au programme de développement que nous avons mis sur pied si nous ne parvenons pas à les soutenir en cas de coup dur et à assurer la sécurité des populations qui collaborent avec nous.
Il conviendrait donc d’envoyer dans le sud une partie des forces de sécurité qui opèrent actuellement dans le nord et l’ouest du pays, et plus particulièrement des unités mobiles héliportées telles que les forces spéciales, et de porter renfort aux soldats canadiens et aux soldats britanniques en action dans la région. On ne peut guère envisager un changement radical des termes de l’équation et il faut donc faire preuve de réalisme. Il y a, actuellement en Afghanistan, certains moyens qui ne sont pas employés de manière efficace et qui pourraient être envoyés vers le sud. Les opérations menées, telle que l’appui que les forces américaines ont apporté à l’opération Achille et aux soldats de l’OTAN qui tentent de sécuriser la route de Kaboul à Kandahar est un exemple d’une meilleure coordination des forces de sécurité présentes dans cette région particulièrement difficile.
Il serait en outre absolument essentiel, une fois menées à bien les opérations actuelles, de disposer de forces de sécurité dans les districts en question. Il s’agirait d’y envoyer les meilleurs éléments des forces de sécurité afghanes afin d’assurer une présence protectrice dans les villages. D’après nos recherches, la police nationale afghane est particulièrement mal perçue par les Afghans, dans l’esprit desquels la police en effet représente davantage une menace qu’une présence protectrice. Avant de pouvoir assumer des missions de sécurité, l’institution policière devra être transformée. L’armée nationale afghane, par contre, a la confiance de la population. Son efficacité s’accroît et ses effectifs permettront d’assurer une présence protectrice dans les villages afghans. Ce n’est qu’à cette condition que les villageois reviendront de leur exode et pourront toucher les fruits du développement.
La présence des forces canadiennes dans le sud du pays nous paraît nécessaire. Il s’agit donc d’obtenir des autres pays de l’OTAN les moyens permettant aux forces canadiennes de mieux assurer la sécurité de la population. En effet, l’insécurité ambiante et la menace des talibans et de diverses organisations criminelles chassent les acteurs du développement et il ne peut pas y avoir de progrès sur ce point si l’insécurité persiste.
Les régions du nord et de l’ouest du pays montrent bien ce qui peut être fait une fois la sécurité assurée. Dans les régions où la rébellion armée ne sévit pas, le gouvernement central et ses partenaires internationaux sont parvenus à améliorer notablement la vie des populations et les crédits de développement ont pu être engagés de manière beaucoup plus efficace.
On relève des progrès aussi sur le plan de la reconstruction et du développement, mais ces progrès tardent à améliorer la vie des populations. Par rapport à l’année dernière, on relève d’importants progrès au niveau macroéconomique. En 2006, le PIB est passé à 6,7 milliards de dollars. On constate une amélioration à deux chiffres du commerce extérieur et un doublement des capacités du gouvernement à assurer les rentrées fiscales. On a vu naître aussi un certain nombre de petites et moyennes entreprises, notamment dans les secteurs de la construction et de l’agroalimentaire. Un secteur bancaire a pu se constituer, ce qui est vrai aussi du secteur des télécommunications et on relève, en outre, une augmentation des investissements étrangers.
Et pourtant, malgré cette rapide croissance du PIB, 3 p. 100 seulement des Afghans interrogés répondent que le plus grand succès du gouvernement central est croissance économique. C’est dire que les progrès de l’économie n’ont pas jusqu’ici profité aux citoyens. La plupart en effet n’ont pas d’emploi régulier, c’est-à-dire d’emploi leur permettant de vivre correctement l’année durant.
Les Afghans sont pris au piège de l’endettement. La pauvreté alimente la colère à l’égard du gouvernement central et pousse de nombreux jeunes, notamment dans le sud, à reprendre les armes pour rallier la rébellion ou s’allier à divers groupes armés leur versant un salaire.
Le programme phare, c’est-à-dire le programme de solidarité nationale, a permis des progrès tangibles dans les villages et donné aux Afghans la possibilité de participer de manière plus directe aux affaires publiques. Le manque de débouchés et d’accès au crédit continue de faire obstacle au développement d’une production agricole licite et, dans de nombreuses régions, l’insécurité et les surcoûts liés à l’insuffisance des approvisionnements en eau et en électricité ainsi que la pénurie de crédit, notamment pour les prêts de moyenne importance, sont autant d’obstacles à l’activité des commerçants et des entrepreneurs.
Selon nous, les efforts de reconstruction engagés jusqu’ici se sont trop limités à la région de Kaboul. Cela est en grande partie dû à toute une catégorie de dirigeants afghans qui, en raison du clientélisme et de la corruption mettent en péril les efforts entrepris jusqu’ici. Les contraintes traditionnellement imposées par les pays donateurs en sont elles aussi partiellement responsables. En effet, de nombreux pays procèdent presque uniquement par gros contrats, affichant la volonté de ne traiter qu’avec des partenaires dûment agréés, en dépendant trop exclusivement du gouvernement central en tant qu’ordonnateur des crédits.
D’après nous, les crédits de reconstruction et de développement pourraient être employés de manière beaucoup plus efficace, en particulier dans les difficiles provinces du sud, en ayant recours aux services d’un personnel local tant au niveau de la planification qu’au niveau de la mise en oeuvre. En effet, la manière de le mettre en oeuvre revêt autant d’importance que le programme lui-même. Que ce soit par les shuras, c’est à dire les grands conseils, ou que ce soit à l’occasion de micro-projets d’électrification, ou dans le fonctionnement de divers mécanismes informels de justice, la situation en Afghanistan a démontré l’importance d’une maîtrise locale.
Au lieu de privilégier l’action gouvernementale, il faudrait faire appel au capital-risque. Nous devrions nous fixer un délai de trois ans pour transformer 50 p. 100 des crédits internationaux en prêts et subventions de moindre envergure, mais plus rapidement accordés, non pour lancer de nouveaux projets à effet d’annonce mais, plutôt, pour relancer l’esprit d’entreprise en Afghanistan en favorisant la naissance d’une nouvelle classe d’agents spécialisés dans l’octroi de prêts et de subventions. Les centres féminins, les chambres de commerce, les consortiums d’ONG, les dirigeants communautaires, les sages des tribus, voire les distributeurs de téléphones portables sont autant de partenaires virtuels susceptibles de faire un emploi efficace de petites sommes d’argent mises à leur disposition.
Il conviendrait en outre d’assurer la rémunération des principaux vecteurs de changement, tels que les enseignants et les policiers, et de favoriser la création d’une classe moyenne. Beaucoup de choses se font actuellement en Afghanistan, mais les pays donateurs vont devoir modifier les conditions d’octroi et accorder les crédits et les subventions directement à la population. Il nous faut nous fonder sur les structures existantes mais en les renforçant. Certains programmes gouvernementaux récemment mis en oeuvre donnent de bons résultats. C’est vrai également d’un certain nombre de structures traditionnelles qui ont en outre l’avantage de la légitimité aux yeux des populations.
Nous recommandons par conséquent une augmentation des crédits affectés au programme national de solidarité ainsi qu’une plus grande collaboration avec les structures informelles de justice. Il serait d’après nous nécessaire d’assurer, au niveau provincial, régional ou local, une redistribution des crédits de développement. Cette décentralisation des budgets permettra de mettre l’argent directement entre les mains des personnes qui en ont le plus besoin et qui sont les plus à même de l’employer utilement.
À cet égard, le Canada fait figure d’exemple puisqu’il affecte ses crédits de reconstruction et de développement à des projets qui encouragent la loyauté et la confiance et qui, en outre, sont pilotés par des gens de la localité. L’organisme canadien d’aide au développement devrait continuer à rechercher des collaborations à l’extérieur des structures étatiques — au sein du secteur privé et de la société civile, auprès d’institutions traditionnelles et de responsables tribaux. Agissant ainsi, il renforce la classe moyenne et les entrepreneurs.
Compte tenu de l’insécurité qui règne actuellement dans la province de Kandahar, il sera difficile d’y lancer des grands projets de développement. Cela dit, on y constate, en matière d’aide humanitaire, de très forts besoins qui s’accroissent d’ailleurs en raison des opérations militaires. Le Canada a les moyens de répondre à ces besoins et nous souhaitons qu’il le fasse.
Je tiens, pour finir, à insister sur le fait que l’Afghanistan est un pays où il est extrêmement difficile de travailler. Même avec l’appui de la communauté internationale et la mise en place de politiques et de programmes bien conçus et bien exécutés, il faudra sans doute 10 ans avant de rétablir la stabilité et d’assurer le redressement du pays. Et même alors, il est fort probable que le pays demeurera pauvre et foncièrement sous-développé. Le gouvernement central aura du mal à asseoir sa légitimité, à assurer les rentrées fiscales et à étendre sa présence sur le territoire national. Les populations continueront à compter sur les institutions locales pour remplir le vide laissé par l’État. Les pays limitrophes continueront sans doute à s’ingérer dans la vie nationale de l’Afghanistan et dans son économie.
C’est dire qu’il s’agit d’un projet à long terme qui va exiger de la communauté internationale un engagement, lui aussi, à long terme. À cet égard, l’année 2007 revêt une importance critique. Au cours de cette année, on va en effet se trouver face à des problèmes et à des obstacles extrêmement sérieux. Le gouvernement afghan est faible et sa légitimité s’amenuise. La population éprouve une profonde frustration. Un groupe d’opposition armé défie ouvertement le gouvernement central et tant les Afghans que les pays de l’OTAN attendent un peut de voir ce qui va se produire avant de s’engager.
Dans les deux ans qui viennent, nous devrions pouvoir renverser la tendance et remettre le pays sur la voie du redressement. Cela dit, il faut être réaliste et, à moyen terme, il s’agit surtout de parvenir à rétablir la stabilité afin que la population ait le sentiment qu’elle peut, sans grave péril, investir et participer avec nous aux projets de développement et de reconstruction.
En Afghanistan, le Canada joue un rôle de premier plan et nous aimerions que d’autres pays de l’OTAN suivent à cet égard son exemple. La stratégie de sécurisation et de développement est, selon moi, celle qui donne les meilleurs résultats. Je pense néanmoins que le Canada pourrait renforcer son action diplomatique. La mission menée actuellement en Afghanistan est dominée par les États-Unis et il faudrait que leurs alliés qui, déjà, oeuvrent au rétablissement du pays, multiplient les efforts afin de leur faire adopter des politiques à la fois mieux conçues et plus efficaces.
J’ai pu m’entretenir avec des représentants des Pays-Bas, de la Norvège, de l’Allemagne, du Canada et du Royaume-Uni. Ces pays contribuent tous par leurs efforts à améliorer la situation. Tous ont accepté de collaborer dans la recherche d’une solution aux problèmes les plus ardus tels que le rôle du Pakistan et de l’Iran, les moyens de lutter contre le trafic des stupéfiants, la planification stratégique à court terme, une répartition géographiquement équitable des crédits à la reconstruction et un partage plus clair des responsabilités sur le plan international. Il conviendrait de réunir les représentants de ces divers pays afin qu’ensemble ils parviennent à exercer une influence collective tant sur le gouvernement des États-Unis que sur le gouvernement afghan. Le Canada, dont les soldats se sont vu confier la région la plus difficile, et qui jouit du respect tant du Royaume-Uni, que des États-Unis et des pays européens, en raison notamment d’une politique bien pensée en matière de reconstruction post-conflit, pourrait et devrait intervenir plus vigoureusement au plan diplomatique. Il s’agit là d’un rôle essentiel qui lui convient particulièrement et nous souhaiterions le voir s’engager plus à fond dans cette voie.
Je vous remercie. C’est très volontiers que je répondrai aux questions que vous pourriez vouloir me poser.
Je vous remercie de l’exposé que vous venez de nous présenter.
Passons maintenant à la première série de questions en commençant par l’opposition officielle.
La parole est maintenant à MM. Patry et Wilfert, qui ont sept minutes pour intervenir.
Je vous remercie. Je dispose donc de sept minutes, temps que je vais d’ailleurs partager avec mon collègue.
Je vous remercie de votre exposé. Je vous ai écouté avec le plus grand intérêt.
Vous avez évoqué les réformes que la communauté internationale devrait adopter, tant sur le plan civil que militaire. Il y a, en Afghanistan, plus de 30 provinces et, parmi celles-ci, il y en a deux, Kandahar et Helmand, où les choses vont plutôt mal. Mais qu’en est-il du reste du pays? La situation s’améliore-t-elle? Les Canadiens interviennent actuellement dans la région de Kandahar, la seule dont on entende vraiment parler. Or, vous disiez tout à l’heure que cette région comprend bien des secteurs. La situation est-elle aussi mauvaise partout? Cela est-il dû à un regain d’activité de la part des talibans? On a l’impression que la violence se concentre surtout sur ces deux régions où il y a des récoltes.
Vous avez parlé, également, du rôle joué par le Pakistan. Pensez-vous que si la communauté internationale concentrait davantage ses efforts sur la frontière afghano-pakistanaise, aux alentours de la ligne Durand, et aussi sur la frontière entre le Pakistan et, disons, l’Iran — bien que l’Inde ait, elle aussi, un rôle très important à jouer — cela pourrait améliorer les choses? Pour l’instant, on semble privilégier l’action militaire, au détriment de l’action diplomatique.
Merci, monsieur Patry.
Mme Patel va répondre à votre question, puis nous passerons la parole à M. Wilfert qui pourra, à son tour, interroger nos témoins.
Le reste du pays jouit d’une sécurité relative, c’est-à-dire qu’on ne trouve pas dans les autres régions de groupes qui mènent chaque jour des actions armées. On n’a pas à faire face, dans ces autres régions, à des opérations militaires de grande envergure. Dans mes déplacements dans le nord et l’ouest du pays, j’ai pu constater d’importants progrès notamment en matière de développement économique. D’après moi, c’est dans ces régions-là que les crédits de développement donnent les meilleurs résultats. On y trouve en effet davantage de partenaires souhaitant collaborer avec nous. Dans le nord et l’ouest du pays on trouve, dans le secteur privé, des entrepreneurs, et dans la société civile des organisations prêtes à travailler à nos côtés et à contribuer à la reconstruction et au développement du pays. C’est dire que, dans ces régions-là, on peut constater des progrès. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il n’y ait pas, là aussi, des problèmes. En effet, ni le nord ni l’ouest du pays n’échappent à la corruption officielle et à la criminalité. Un nombre considérable de chefs de guerre et de commandants locaux demeurent en mesure d’interrompre le transport des marchandises et de troubler la sécurité des routes et de l’activité urbaine.
Je pense, cependant, que les problèmes constatés dans ces régions relèvent davantage de l’action policière. Il nous faudrait largement accroître nos efforts dans le domaine de la justice afin de lui donner les moyens de lutter contre ces problèmes. Dans le sud et l’est du pays, par contre, il s’agit de problèmes relevant de l’action militaire. Il est clair que les forces de police et le système judiciaire ne sont pas à même de lutter contre les talibans.
Les projets de reconstruction et de développement menés dans le sud et l’est du pays coûtent extrêmement chers. Plus de la moitié des crédits affectés à ces régions sert uniquement à assurer la sécurité des organismes de développement. Il est dans ces régions actuellement impossible de lancer de grands projets de développement dans des conditions relativement satisfaisantes. J’estime que si nous parvenons à maintenir la stabilité, nous commencerons à apercevoir des progrès qu’on ne constate actuellement que dans le nord et l’ouest du pays.
Merci, monsieur le président.
J’ai écouté votre exposé avec le plus grand intérêt et j’ai prêté une attention particulière aux deux derniers paragraphes du mémoire que vous avez distribué, là où vous évoquez le besoin d’adopter de nouvelles approches. Selon vous, on ne peut pas, même en les améliorant, s’en tenir aux méthodes actuelles. Mais comment en convaincre l’OTAN et le gouvernement afghan. Dans le cadre de votre analyse, vous avez clairement fait le point sur la situation et je voudrais, si vous le voulez bien, insister un petit peu sur le tableau qui se trouve dans votre mémoire. Mais si, comme vous le dites, l’année 2007 revêt une importance critique, comment obtenir les changements dont vous avez fait état? Vous avez évoqué un délai de deux ou trois ans, mais si nous ne parvenons pas, dès cette année, à obtenir les améliorations que vous jugez nécessaires, que se passera-t-il dans deux ou trois ans?
Il faudrait, je le répète, que le Canada amplifie son action diplomatique. Il y aurait lieu, je pense, d’organiser une réunion de hauts responsables où les moyennes puissances pourraient élaborer de concert une stratégie à court terme. Le gouvernement afghan a élaboré un plan de développement à long terme, mais n’a aucune stratégie à court terme pour les années qui viennent. Le Groupe d’action politique chapeaute un certain nombre d’initiatives, mais il nous faut convaincre les principaux pays de l’OTAN intervenant actuellement dans ce pays de s’entendre sur un plan à court terme permettant de contrer la menace talibane.
La volonté semble exister. Je veux dire par cela que la plupart de pays de l’OTAN cherchent actuellement les moyens d’accélérer les progrès et d’améliorer le rôle qu’ils jouent en Afghanistan. Il faudrait pour cela renforcer très considérablement la coordination entre les pays de l’OTAN. À l’heure actuelle, chacun agit un peu de son côté, mais les bons résultats enregistrés ici ou là ne vont pas nous permettre d’améliorer la situation dans l’ensemble du pays. Je n’entends pas par progrès, en effet, les bons résultats qui peuvent être enregistrés dans une province donnée, car les troubles qui surviennent dans une région ont une incidence sur le pays tout entier. Il faut donc que les membres de l’OTAN parviennent à coordonner davantage leurs actions.
Merci, monsieur le président.
Merci beaucoup pour votre présentation. Elle résume plusieurs interventions que nous avons entendues, mais elle nous ramène à une question centrale. Je reviens à la question de mon voisin.
Plusieurs témoins nous ont parlé de coordination. Qui peut assurer la coordination entre les ONG et les divers pays? Vous parlez d'une conférence. Certains autres nous ont dit que la préparation d'une conférence de ce type prenait du temps, que ce n'était pas ce dont on avait besoin en ce moment et qu'il fallait rester sur le terrain, car c'est là que la stabilité se gagne.
N'est-ce pas l'OTAN qui devrait réviser sa stratégie? En fait, la stratégie initiale était de confier une région à l'armée d'un pays et à ses équipes provinciales de reconstruction. Avez-vous des discussions avec l'OTAN à ce sujet? Êtes-vous entendus? Vos propos nous apparaissent tout à fait sages, mais ils doivent être entendus ailleurs également.
[Traduction]
Il faudra du temps pour parvenir à ce degré de coordination. C’est en effet une des plus grandes difficultés éprouvées par les pays impliqués en Afghanistan. En ce qui concerne la stratégie à long terme retenue en matière de développement, j’estime que la coordination a été satisfaisante depuis l’adoption de la Stratégie de développement national de l’Afghanistan avec un secrétariat placé sous la direction du professeur Naderi. Il y a donc maintenant un plan auquel peuvent adhérer les divers acteurs internationaux.
Et, à court terme, vous avez raison de dire que l’OTAN éprouve actuellement de grandes difficultés à cet égard, ce qui est vrai aussi des divers organismes à l’oeuvre en Afghanistan et des pays donateurs. Mais, alors, de qui relève cette stratégie à court terme? Il n’y a pas eu, jusqu’ici en Afghanistan, un envoyé spécial en mesure d’assurer la coordination et la bonne marche des activités et, aussi, de définir les mesures à mettre en oeuvre. J’estime, cependant, que sur le plan militaire la coordination s’est très nettement améliorée depuis que la FIAS a réparti ses effectifs sur l’ensemble du territoire national. Les équipes provinciales de reconstruction sont sous commandement de l’OTAN, comme le sont les soldats et cela a permis de resserrer le dispositif militaire.
C’est ce qu’il nous faudrait aussi en matière de reconstruction et de développement. Il est rare, en Afghanistan, que les responsables des projets de reconstruction et de développement oeuvrant au sein des équipes provinciales de reconstruction ou des divers organismes de développement, aient l’occasion de se réunir pour élaborer des stratégies à court terme ou pour échanger leurs points de vue.
Il serait d’après moi très utile de pouvoir réunir de temps en temps ces groupes de personnes qui oeuvrent sur place au contact des populations et qui sont donc les mieux à même de constater ce qu’il conviendrait de faire. Les mécanismes mis en place devraient relever du commandement de l’OTAN. Or, actuellement, les responsables en matière de reconstruction et de développement relèvent de leurs ambassades respectives et ne travaillent pas ensemble de concert avec le gouvernement afghan. Il y a, au sein du gouvernement afghan également, des partenaires qui pourraient eux aussi contribuer à l’élaboration des ces plans à court terme. D’après moi, ce serait dans le cadre du Groupe d’action politique qu’il conviendrait de réunir les gens qui formeraient un groupe de planification stratégique en matière de reconstruction et de développement.
[Français]
Cela pourrait-il aider si un délégué des Nations Unies assurait cette coordination, comme il y en a eu en Bosnie et ailleurs?
[Traduction]
Il aurait été bon, au départ, de nommer un délégué des Nations Unies, mais je ne suis pas certaine que cela soit encore possible. En effet, au cours des cinq dernières années, l’ONU n’a pas joué en Afghanistan un rôle très important et sa présence même dans ce pays est plutôt modeste. Les Nations Unies auraient beaucoup de mal à veiller à ce que les grands pays donateurs mettent effectivement en oeuvre les plans prévus. On l’a constaté en matière de réforme de la police. Dans ce domaine, l’ONU a mis en avant de bonnes idées fondées sur de solides analyses, mais elle s’est vu évincer lorsque les Allemands, chefs de file en matière de réforme de la police, ne sont pas parvenus à s’entendre avec les États-Unis qui entendaient accélérer le mouvement au moyen d’un financement supplémentaire.
Il va falloir que les pays de l’OTAN prennent à cet égard une initiative diplomatique de haut niveau en nommant un représentant de l’OTAN ou en resserrant la structure de commandement États-Unis-OTAN. Les acteurs qui ont les plus gros moyens financiers et la présence la plus importante en Afghanistan vont devoir prendre l’initiative et ne plus attendre que le gouvernement afghan élabore une stratégie permettant de faire face aux difficultés rencontrées. Je ne pense pas que le gouvernement afghan soit actuellement en mesure d’assurer cette fonction.
[Français]
Des représentants d'ONG actifs sur place nous ont dit que les équipes provinciales de reconstruction posaient problème. D'après eux, les soldats sont excellents pour effectuer le travail pour lequel ils sont formés, mais lorsqu'ils doivent prendre la place de ceux qui sont habitués à travailler avec les gens, ils sont moins bons, moins efficaces. Ils ont également mentionné qu'on devrait profiter de l'hiver qui vient pour transformer les initiatives un peu partout afin de donner davantage de place aux ONG, lesquelles seront protégées par les soldats, mais pas sous la forme d'équipes provinciales de reconstruction.
[Traduction]
L’idée qui a abouti à la création de ces équipes provinciales de reconstruction était simple. Il s’agissait de mener des projets de reconstruction et de développement dans des districts ou l’insécurité est tellement grande que les organismes traditionnels de développement et d’action humanitaire se voyaient dans l’impossibilité d’agir. Mais le concept a été étendu à d’autres régions dans des conditions autres que celles prévues au départ. En effet, des EPR continuent à oeuvrer dans des régions relativement stables et sûres et où les acteurs traditionnels parviennent, mieux que la garnison d’une EPR, à oeuvrer aux côtés des communautés locales.
J’estime que les EPR font un travail utile dans le sud et l’est du pays. Les spécialistes de l’aide doivent, pour se rendre dans les communautés locales, être accompagnés de soldats, mais même en cela il conviendrait d’apporter un certain nombre de changements. Il n’est pas très utile d’avoir des EPR dans la capitale provinciale alors que c’est plutôt dans les districts, là où règne l’insécurité, que les projets d’aide sont particulièrement difficiles à mettre en oeuvre.
Il va nous falloir trouver le moyen — peut-être par l’implantation dans le sud et l’est du pays, de bureaux satellites — de raffiner le concept d’EPR et d’élargir les pouvoirs des responsables de la reconstruction et du développement qui, effectivement, au sein des EPR, n’occupent pas toujours la place qu’ils mériteraient. L’aspect militaire tend en effet à prédominer au sein de EPR. Il conviendrait donc, dans les régions en cause, d’accroître l’importance des responsables de la reconstruction et du développement.
Une réforme en ce sens me semble s’imposer. Cela devrait améliorer l’efficacité des efforts de développement.
Merci, monsieur le président.
Madame Patel, je vous remercie de vous être rendu à notre invitation.
J’entends partager mon temps de parole avec M. Goldring. Donc, je vais être bref.
Je tiens à vous remercier d’un exposé à la fois intéressant et utile. Je l’ai trouvé particulièrement instructif.
Vous avez dit toute l’importance que revêt la sécurité et c’est bien vrai que pour obtenir l’appui des populations il faut être en mesure d’assurer sa sécurité. La mise en oeuvre de projets par les Afghans eux-mêmes me semble être une bonne idée et elle se concrétise déjà, sous forme de microcrédits accordés par l’intermédiaire de la CDC. Cela dit, il va falloir accroître nos efforts en ce sens. Vous êtes parvenu à exposer clairement les complexités de la situation. On espère toujours beaucoup mais il faut tout de même être réaliste.
À la Chambre, le NPD demande le retrait immédiat des forces canadiennes et les Libéraux demandent que le Canada fixe dès maintenant à l’OTAN une date pour le retrait définitif des forces canadiennes d’Afghanistan.
Devrait-on, d’après vous, se ranger à leurs arguments?
Pourriez-vous également nous dire quels seraient, selon vous, les effets d’un échec de l’OTAN en Afghanistan?
Le sud du pays ne peut pas se passer de forces militaires capables, efficaces, flexibles et sachant s’adapter à la fluidité de la situation. Nous avons affaire à très forte partie et il nous faut employer des ressources militaires capables d’affronter un adversaire aguerri.
Or, dans ce rôle, le Canada s’est révélé d’une grande efficacité. Les opérations menées l’année dernière et cette année encore ont permis d’atténuer les rigueurs d’un printemps qui s’annonçait comme une saison de tous les dangers. Nous avons pu remporter un certain nombre de batailles. Il est absolument nécessaire de maintenir dans le sud du pays des forces de l’OTAN capables d’intervenir efficacement. Je sais qu’il s’agit d’une mission difficile qui a coûté à votre pays bon nombre de sacrifices. Il s’agit d’une mission que j’estime cependant nécessaire.
Il s’agit maintenant d’obtenir des autres pays de l’OTAN qu’ils envoient dans le sud du pays des forces mobiles pour appuyer l’action des soldats canadiens et britanniques.
Il convient tout de suite d’ajouter que compte tenu de la situation dans laquelle nous nous trouvons sur le plan stratégique, on ne peut pas, pour assurer la sécurité, compter sur les seules opérations militaires. Il faut également assurer dans le pays l’engagement de ressources permettant de faire face à la situation une fois les hostilités terminées. Cet aspect revêt une importance critique si l’on ne veut pas se contenter de remporter des succès tactiques, car la victoire consiste à donner aux Afghans les moyens de revenir dans les villages qu’ils ont été contraints de fuir et de participer au rétablissement de leur pays.
La situation ne se prête guère aux grands projets de développement et il faut inciter les pays oeuvrant dans ces régions à cerner de plus près les besoins effectifs de la population afghane en matière de reconstruction et de développement au-delà des opérations de sécurité.
Devrait-on poursuivre notre action là-bas ou devrions-nous nous retirer? Voilà la question. Devrions-nous signifier à l’OTAN la date de notre retrait, et transmettre aux talibans le calendrier des vols ramenant nos soldats ici?
Je considère que les pays de l’OTAN devraient tous, à brève et moyenne échéance, continuer à assurer les rôles qu’ils assurent actuellement en Afghanistan. Il leur faut notamment poursuivre leurs opérations de sécurité. Il serait tout à fait néfaste de fixer un calendrier pour le retrait des troupes sans avoir assuré au préalable la stabilité de la région. D’après moi, cela représenterait, pour les talibans, une très grande victoire stratégique. Cela dit, nous allons devoir accroître l’efficacité, au plan stratégique, de nos opérations militaires en continuant notamment à communiquer avec la population, à lui expliquer les objectifs que nous poursuivons et en complétant nos victoires militaires par des succès au niveau de nos opérations civiles.
Vous évoquiez tout à l’heure le problème des villageois qui, pour se procurer un revenu, sont tentés de se joindre aux talibans. Il ne faut pas oublier l’insécurité qui règne actuellement en Afghanistan et le fait que le gouvernement manquant d’argent, il n’est pas possible de procurer à tout le monde un poste de fonctionnaire.
Vous avez parlé de petits commerces tels que la vente de téléphones portables, mais ce genre de commerce ne peut s’adresser qu’aux familles qui disposent effectivement d’un revenu leur permettant de consommer et d’acheter, par exemple, un téléphone portable. Il faut donc, à brève et à longue échéance, créer des emplois qui permettent effectivement de subvenir aux besoins d’une famille et implanter par conséquent des industries. L’exemple qui me vient à l’esprit est celui d’Haïti où la société Gildan emploie actuellement 5 000 personnes.
Y a-t-il eu, en Afghanistan, un effort fait dans ce sens? Quelles sont les perspectives économiques de l’Afghanistan et quels sont les genres d’industries et de commerces qui pourraient s’y implanter si l’on fournit les incitatifs nécessaires et assure une certaine stabilité?
À long terme, il faut compter sur la croissance économique. En effet, la pauvreté est source d’insécurité. J’ai pu identifier, en Afghanistan, un certain nombre de secteurs économiquement prometteurs. Tout ne dépend pas des investissements étrangers car l’on trouve, dans le pays même, des noyaux d’activité susceptibles de concourir au développement du pays. Les commerçants et les hommes d’affaires sont nombreux à être revenus du Pakistan et d’Iran. Ils sont en train de créer des commerces mais ont besoin d’être soutenus. Les microcrédits et le PSN permettent actuellement d’accorder une aide importante aux secteurs les plus démunis de la société, mais comment favoriser l’esprit d’entreprise au sein de la classe commerçante et de la classe moyenne. À cet égard, les crédits et les subventions me paraissent essentiels. Au niveau du développement économique, c’est effectivement un des principaux problèmes dont souffre l’Afghanistan. Les entrepreneurs afghans ne parviennent pas à obtenir des prêts à moyen terme, c’est-à-dire des prêts d’une durée de deux à cinq ans à un taux d’intérêt raisonnable afin de monter un commerce ou une entreprise suffisamment rentable pour en permettre le remboursement.
Envisagez-vous de grosses implantations qui, par exemple, créeraient 5 000 emplois ici, 5 000 emplois là — je veux dire des entreprises importantes. Quelles sont les chances de voir aboutir ce genre de projets?
Il faudrait que ce genre d’entreprises viennent s’implanter afin que les zones de développement économique, où serait située l’usine, donnent lieu à une activité industrielle suffisante pour justifier les travaux d’infrastructure qui, à leur tour, vont attirer d’autres entreprises. Il faut lancer le mouvement afin que chaque acteur qui prend pied sur le marché crée à son tour de nouveaux emplois et suscite l’arrivée d’acteurs secondaires. Le secteur de la construction est un bon exemple de cela. À moyen terme, l’agroalimentaire est appelé à jouer un rôle essentiel car il va permettre de développer le marché des denrées agricoles desservant les nouvelles entreprises. Il s’agirait donc de créer des commerces et des entreprises qui, à leur tour, susciteront la création d’autres entreprises, d’autres commerces et d’autres occasions.
C’est dire toute l’importance que va revêtir le crédit, essentiellement des crédits à moyen terme pour les entrepreneurs et des crédits pour les agriculteurs afin de leur permettre de subsister en attendant de vendre le fruit de leurs récoltes. Il s’agirait de se substituer aux nombreux acteurs illicites qui opèrent actuellement, et de fournir aux agriculteurs, suffisamment tôt dans l’année, les crédits leur permettant de rembourser, en nature, le prêt accordé. En instaurant ce type de système bancaire, qu’il soit formel ou informel — et là, je considère qu’il conviendrait de s’engager dans ces deux directions à la fois — on jettera les bases d’une économie capable de se développer d’elle-même une fois le mouvement lancé. Il conviendrait en outre d’accroître le commerce régional afin d’élargir la clientèle de ces nouveaux secteurs d’activité.
Merci, monsieur le président.
Vous nous avez fourni tellement d’éléments d’information et d’avis, qu’il et assez difficile, le temps nous étant compté, de choisir un point précis.
Je suis tout de même assez surprise de vous entendre dire que la mission actuellement menée en Afghanistan est dominée par les États-Unis. Selon la position officielle du gouvernement canadien, position réitérée à de multiples reprises, tant au Parlement qu’ailleurs, notre tâche consiste presque entièrement à soutenir le gouvernement Karzai. Pourtant, si je ne trahis pas votre pensée, vous considérez que le gouvernement Karzai est profondément corrompu et que pour diverses raisons plutôt complexes il perd progressivement la confiance de la population. Vous avez également dit que les principaux pays donateurs, ainsi que ceux dont la présence militaire en Afghanistan est la plus importante, devraient davantage être chargés du contrôle des opérations. Vous avez ajouté que l’ONU ne pouvait pas jouer de rôle important étant donné la modestie de sa présence en Afghanistan et le fait que ses opérations devraient passer sous commandement de l’OTAN.
Mais qu’entendez-vous par cela? L’OTAN est-elle actuellement chargée d’une mission en ce domaine et possède-t-elle en outre l’expérience ou les moyens nécessaires pour la mener à bien? Serait-ce vraiment une bonne chose que de confier à l’OTAN la direction d’une opération qui est censée être une opération de reconstruction et de développement menée dans un pays sécurisé, certes, mais dans l’intérêt de la population?
Et puis, est-ce exact que la mission actuellement menée en Afghanistan soit effectivement dominée par les États-Unis. Ce n’est pas l’impression qu’on a généralement. Que pensez-vous qu’il va arriver avec l’afflux de troupes américaines en provenance d’Irak que l’on semble en effet constater. Et quel est l’objectif du gouvernement américain?
Vous avez d’emblée pris soin de préciser que vous ne parlez pas au nom du gouvernement américain et j’en prends acte. Cela étant, je vous demande de répondre à mes questions du point de vue de l’organisation dont vous faites partie.
En deux mots, quand, parlant de la mission en Afghanistan, j’emploie le mot « dominée », je veux simplement rappeler que les États-Unis contribuent 50 p. 100 de l’aide internationale accordée à ce pays. Ce que j’ai dit ne s’entendait aucunement d’un quelconque rôle de direction des opérations, mais simplement du montant des crédits affectés.
Je pense, effectivement, que le gouvernement Karzai a, au cours de l’année passée, perdu une grande part de son influence auprès de la population. Dans notre premier rapport, nous considérions le gouvernement Karzai et son gouvernement comme étant essentiellement chargés, à l’échelle nationale, d’une mission de bons offices. La population afghane lui faisait confiance. Mais, pour Karzai, cette année a été plutôt mauvaise. Il a, en effet, fait appel à des fonctionnaires ou autres personnages dont on connaît les liens avec le trafic des stupéfiants, ou qui contrôlent des milices privées. Voyant confier des postes d’influence à certains éléments corrompus, la population n’a plus, comme avant, l’impression que le gouvernement agit honnêtement comme représentant désintéressé du peuple tout entier. Cela ne veut aucunement dire qu’on ne trouve pas actuellement en Afghanistan des dirigeants probes et dynamiques qui prennent les mesures qui s’imposent. Bon nombre de dirigeants mènent une action efficace. Ce qu’il faut c’est continuer à pousser Karzai à s’entourer de bons administrateurs et de ne pas se laisser aller, ainsi qu’on l’a vu récemment, à des jeux de pouvoir.
J’estime que les Nations Unies peuvent agir en ce sens, mais ce qui importe surtout c’est que l’OTAN et les États-Unis incitent le gouvernement Karzai à élaborer de concert avec eux des stratégies à court terme. Il faut, en effet, que ce travail se fasse en collaboration. Il s’agit, certes, d’un gouvernement souverain et je ne propose aucunement que nous cherchions à nous substituer à lui pour ce qui est de la mission actuellement engagée ou des plans de redressement du pays, mais il est indispensable d’inciter l’administration afghane à continuer, bien sûr, d’élaborer des plans à long terme, mais aussi de s’occuper davantage du court terme. On ne peut pas simplement continuer à se dire que les choses s’amélioreront éventuellement. Je ne pense pas que la population afghane accepte que le gouvernement s’en tienne à cela. Il serait donc souhaitable que les principaux acteurs étrangers se prononcent en ce sens.
En ce qui concerne l’afflux de troupes américaines, je dois dire que c’est une bonne chose à condition qu’il s’agisse d’unités ayant les capacités voulues. L’OTAN a demandé le renforcement, par l’envoi de forces spéciales, des éléments militaires déjà sur place. Si les troupes américaines actuellement envoyées correspondent aux besoins exprimés par les commandants de l’OTAN, ce sera, effectivement, une bonne chose. Bien évidemment, les parties concernées doivent négocier afin de s’assurer qu’il s’agit effectivement du genre d’unités dont on a actuellement besoin.
Sur tout cela, les avis sont partagés mais, compte tenu de la manière dont a été engagée cette guerre contre le terrorisme, c’est-à-dire au départ dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, nombreux sont ceux qui pensent que la présence militaire américaine sera en quelque sorte devenue l’allié objectif des talibans, sans le vouloir, bien entendu. Beaucoup de gens ont en effet l’impression que la présence américaine entretient l’action des talibans. Certains pensent que l’envoi de troupes canadiennes à Kandahar a notamment l’avantage de réduire la présence des éléments engagés dans l’opération Enduring Freedom — bien que cette opération se poursuive, avec d’importants effectifs — et que cela permettra peut-être aux parties prenantes de renouer avec la confiance.
L’augmentation des effectifs de l’armée américaine ne risque-t-elle pas d’avoir l’effet contraire? Comment voyez-vous les choses.
Il s’agit, bien sûr, de savoir à quelles tâches ces nouveaux éléments seront affectés. En matière de sécurité, les missions qui sont menées actuellement ne sont pas toutes de même nature et certaines semblent même poursuivre des objectifs contraires. Il y a donc effectivement l’opération Enduring Freedom, qui est essentiellement une opération de contre-terrorisme, puis il y a l’action de l’OTAN qui consiste à lutter contre la rébellion et à tenter de stabiliser la situation. Si les nouveaux effectifs américains sont mis sous commandement de l’OTAN et chargés d’opérations qui correspondent aux besoins exprimés par les commandants de l’OTAN, ce sera une bonne chose. Si, cependant, les nouveaux éléments sont engagés dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, je suis moins sûre que... C’est une décision que vont devoir prendre les responsables militaires.
L’arrivée des troupes canadiennes à Kandahar a été saluée comme une bonne chose. Leur présence était nécessaire mais pas forcément parce que la présence américaine provoque les talibans. Je ne pense pas en effet que ce soit le cas. C’est plutôt parce que les effectifs américains étaient insuffisants et que leur mission n’était pas vraiment d’assurer la stabilité. Ils étaient essentiellement chargés de la lutte antiterroriste. Les effectifs étaient trop clairsemés. Il n’y avait que quelques soldats à Kandahar avant que les Canadiens arrivent pour assurer la mission qui s’imposait dans le sud, c’est-à-dire la stabilisation de la situation.
J’espère que cela répond à votre question.
Vous avez parlé tout à l’heure de forces spéciales. De quels sortes d’éléments s’agit-il, au juste? Savez-vous quels sont les types de forces spéciales qui ont été demandés?
En ce qui concerne l’est et le sud du pays, il s’agirait essentiellement d’unités capables d’intervenir rapidement et de venir en aide aux diverses localités, ainsi qu’aux forces policières et militaires en poste dans les villages. Il faudrait disposer d’unités de parachutistes pouvant être larguées sur les villages et d’unités héliportées. C’est une question de mobilité et de rapidité d’intervention. Il faudrait en outre améliorer la collecte du renseignement opérationnel. Actuellement la rumeur occupe sur ce plan trop de place, notamment en ce qui concerne le rôle des insurgés repliés de l’autre côté de la frontière, le rôle des dirigeants talibans et le rôle, dans la rébellion, de certains éléments criminels. Il nous faut de meilleurs agents de renseignement sur le terrain. Voilà, un peu, les forces qui me paraissent nécessaires. Il faudrait, en outre, que les EPR se voient adjoindre des unités plus musclées qu’elles ne le sont actuellement. Il ne s’agit pas uniquement d’assurer la protection des EPR mais également d’adjoindre à ces équipes des effectifs anti-émeute capables d’effectuer des patrouilles dans le village et, si besoin, de s’y implanter.
C’est la différence entre les opérations de police et les opérations militaires.
Monsieur Casey, avez-vous une question à poser?
Oui, monsieur le président.
Vous faites de l’excellent travail. Vous pouvez en outre en parler avec éloquence. Vous disiez tout à l’heure que ce que le Canada fait actuellement en matière de sécurité et de développement est adapté à la situation — enfin, je ne me souviens pas des termes exacts que vous avez employés.
Vous avez dit, cependant, que nous devrions renforcer notre action diplomatique. Dans quel sens nous verriez-vous agir?
Je suis contente que vous me posiez la question car la recommandation dont je viens de faire état me tient particulièrement à coeur.
Je vous demanderais néanmoins de répondre, si vous le voulez bien, assez brièvement. Il reste une dernière question à poser et il nous faut conclure tout de suite après. Prenez votre temps, mais je tenais simplement à préciser que nous disposons de moins de temps pour la deuxième série de questions.
Il y a, en matière d’action diplomatique, deux volets. Le premier concerne le rôle du Pakistan. Les États-Unis, étant donné l’état actuel de leurs relations avec le Pakistan, ne vont pas, disons au cours des deux prochaines années, pouvoir obtenir de ce pays qu’il prenne, tant sur le plan politique que sur le plan diplomatique, les initiatives que nous souhaiterions. C’est pourquoi il faut que les autres pays impliqués en Afghanistan, et dont les nationaux courent de très grands risques, continuent à inciter Musharraf à intervenir davantage dans les régions tribales, militairement, certes, mais également pour tenter de remédier à la fragilité de la situation dans ces régions. Il s’agit, en fait, de zones déchues où il y a ni droit ni administration et si le gouvernement Musharraf parvient à y prendre pied par des initiatives diplomatiques et des projets de reconstruction, il améliorera son assise dans l’ensemble du pays. Le Canada pourrait, me semble-t-il, inciter le gouvernement pakistanais à agir dans ce sens.
Et puis il y a la lutte contre le trafic de stupéfiants. Les programmes d’éradication n’ont pas donné les résultats voulus. Les autorités américaines prennent pour acquis que ces programmes vont se poursuivre. Il faudrait, selon nous, que certains des pays qui ont pu constater que les programmes d’éradication ont, tant du point de vue de la stabilité que du point de vue de la loyauté des populations locales, des effets désastreux... Nous pensons que, là encore, le Canada pourrait intervenir auprès des autorités américaines pour les inciter à changer d’orientation. Voilà donc deux...
Plusieurs idées ont été avancées sur ce point. L’une d’elles provient du Conseil de Senlis. Il s’agirait d’employer de manière plus efficace les crédits actuellement affectés à l’éradication afin de subventionner la production d’autres produits à valeur ajoutée, accorder des prêts et, peut-être même procéder à des achats d’opium sur les lieux de production dans de très brefs délais afin d’en décourager la culture.
Personne, aux États-Unis, ne semble avoir même essayé de calculer le coût de ces diverses mesures, ou la manière de les mettre en oeuvre. Les responsables ne se sont pas penchés sur les diverses solutions envisageables et je pense que l’on pourrait peut-être faire avancer le débat aux États-Unis si d’autres pays proposent, en matière de lutte contre les stupéfiants, des stratégies autres que celle de l’éradication.
Ma question concerne le Pakistan. Je suis plutôt surpris de vous entendre dire que les États-Unis ne sont pas actuellement en mesure d’influencer le gouvernement pakistanais mais que le Canada et les autres pays de l’OTAN pourraient le faire. Depuis longtemps, et jusqu’à l’époque récente, le Pakistan était, disons-le très franchement, presque un État client des États-Unis. Il y a donc dans ce que vous avancez quelque chose de tout à fait inédit puisque, selon vous, et en raison de l’état des relations américano-pakistanaises, les États-Unis n’auraient que peu d’influence sur le Pakistan malgré toute l’aide qu’ils lui fournissent et l’influence qu’ils ont depuis si longtemps exercé sur lui.
Je voudrais que vous nous en disiez davantage sur ce point. Comment un pays comme le Canada qui, dans la région en question, n’a presque aucune influence, pourrait-il intervenir utilement auprès du Pakistan là où les États-Unis ne seraient pas en mesure de le faire?
Je pense que les États-Unis jouissent auprès du Pakistan d’une grande influence, influence qu’ils n’hésitent d’ailleurs pas à employer, mais je ne pense pas que cette influence puisse jouer à brève échéance. Je ne pense pas que les États-Unis vont à court terme modifier leur position à l’égard du gouvernement pakistanais ou transformer radicalement leur politique actuelle.
Le Canada et certains autres pays pourraient utilement servir d’intermédiaires. Le rôle des États-Unis, notamment face à l’Iran et en Afghanistan, fait actuellement l’objet, au sein de la classe politique américaine, d’un débat particulièrement vif et des pays moins profondément impliqués pourraient peut-être intervenir utilement. Les pays moins puissants ont naturellement du mal à peser sur le cours des politiques, surtout dans des pays tels que le Pakistan, où les oppositions politiques sont parfois radicales, mais il s’agit, justement, de restructurer le dialogue et les débats concernant les principaux problèmes.
À mon avis, les régions tribales du Pakistan se trouvent face aux mêmes problèmes que les régions tribales d’Afghanistan. On y trouve des populations qui n’ont pas voix au chapitre et qui ne ressentent aucun lien avec le gouvernement d’Islamabad, comme on trouve, du côté afghan, des populations que rien ne rattache au gouvernement de Kaboul. Il s’agit de régions qui échappent à toute administration étatique, où l’ordre n’est pas assuré par l’État et où habitent des populations privées de tous les avantages que pourrait leur procurer un gouvernement, notamment au niveau de la sécurité, du développement et de la reconstruction.
Or, il s’agit là de choses dont le Canada a compris l’importance essentielle. Il s’est montré capable d’intervenir utilement dans ces domaines après la fin des hostilités. J’estime qu’il est temps d’intervenir auprès du gouvernement Musharraf pour le convaincre que l’action militaire ne saurait suffire et qu’il faut, dans les régions tribales, mettre en oeuvre une politique beaucoup plus large.
Ma question est très brève. Vous avez dit que, dans une région particulièrement instable de l’Afghanistan, le Canada fait plus que sa part. Lorsqu’on vous a demandé s’il ne conviendrait pas de rappeler nos soldats, vous avez dit que, à brève échéance, ce ne serait pas une bonne chose, évoquant cependant la possibilité de voir d’autres pays de l’OTAN assumer à tour de rôle la mission dont nous sommes actuellement chargés afin de nous soulager un peu. Vous avez parlé de rotation. Comment envisagez-vous la chose?
Avant que vous ne répondiez, peut-être pourrait-on donner à M. Patry l’occasion de poser sa question.
Je tiens d’emblée à dire que vous n’avez pas vraiment répondu. J’avais deux questions à poser concernant ce que M. Dosanjh vous a demandé. Vous ne lui avez pas vraiment répondu. Il nous faudrait, d’après vous, faire pression sur le Pakistan. Je veux bien, mais ça ne suffit pas car, dans la région en cause, le seul ami du Pakistan sont les talibans et, pour le Pakistan, il est beaucoup plus facile de traiter avec le chef des talibans que d’avoir à traiter avec les populations locales.
Il faut donc que l’Inde et les autres pays limitrophes interviennent également. Sans cela, je ne pense pas que nous aboutirons, et on ne parviendra pas à influencer le Pakistan. Étant donné que les États-Unis ont avalisé, en matière d’armes nucléaires, la politique suivie par l’Inde, il y a dans la région une situation géopolitique qu’on ne peut pas ignorer.
Je pense en effet que la coopération régionale revêt pour la stabilité à long terme du Pakistan une importance critique. Les acteurs de la région doivent comprendre que la stabilité est davantage conforme à leurs intérêts que ne l’est l’influence dont ils pourraient jouir auprès du gouvernement de Kaboul. Dans notre rapport j’ai cependant voulu m’en tenir à ce qu’il est réaliste d’envisager dans, disons, les deux années à venir.
Je sais qu’à long terme des actions peuvent être menées sur plusieurs fronts, mais à court terme il faudrait obtenir du Pakistan qu’il modifie ses politiques et augmente les moyens de protéger et d’administrer ses régions tribales. À moyen terme, je pense que le problème se situe là. Une action diplomatique envers les pays de la région est également essentielle. Elle l’était lors de la conférence de Bonn, et devrait longtemps le rester.
M. Eyking avait une question concernant la rotation des unités militaires entre le Canada et les autres pays de l’OTAN.
Je ne me souviens pas d’avoir parlé de rotation, mais peut-être en ai-je, effectivement, émis l’idée. J’estime qu’en Afghanistan ce sont les soldats britanniques et canadiens qui interviennent le plus efficacement. Il y a d’autres pays de l’OTAN susceptibles de les aider et de soutenir leur action, mais dans ce genre d’opérations anti-rébellion, nécessairement suivies de projets de reconstruction et de développement nécessaires, les Canadiens et les Britanniques sont les meilleurs. C’est d’ailleurs pour cela que je suis contente de les voir à l’oeuvre dans les zones les plus difficiles du sud du pays. Mais, il leur faut pouvoir bénéficier du soutien d’autres pays afin que ce ne soient pas toujours les mêmes qui payent le lourd tribu. La question relève cependant de l’OTAN et il ne m’appartient pas de me prononcer plus avant.
Merci.
Je vous remercie de l’heure que vous nous avez consacrée. J’aurais souhaité que nous disposions de plus de temps et j’espère que vous nous ferez éventuellement part des réflexions ou des informations qui pourraient nous être utiles. Vous pourriez nous les faire parvenir par écrit.
Vous avez plusieurs fois évoqué votre rapport annuel et la dégradation, entre le premier et le deuxième rapport, du crédit accordé au gouvernement Karzai par la population. Je ne sais pas si vos rapports sont publiés sur Internet ou si même ils nous sont envoyés, mais ils nous seraient très utiles.
Encore une fois, merci de votre intervention.
Nous allons lever la séance pendant deux minutes, puis nous passerons, à huis clos, à l’examen de notre rapport préliminaire.
[La séance se poursuit à huis clos.]
[La séance publique reprend.]
Je vous souhaite à nouveau la bienvenue à cette 54e séance du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
Nous passons maintenant aux travaux du comité et une motion présentée par M. Patry:
Que conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international demande au ministère de la Défense nationale de fournir un tableau mensuel complet au sujet du nombre de prisonniers capturés jusqu’ici durant notre mission, du nombre d’entre eux qui ont été remis aux autorités afghanes et des documents qui pourraient être disponibles sur leur situation actuelle. Ce compte rendu doit coïncider avec la comparution devant le Comité permanent des hauts fonctionnaires et diplomates canadiens qui ont rédigé le rapport intitulé Afghanistan 2006: Good Governance, Democratic Development and Human Rights.
Monsieur Patry, voulez-vous défendre votre motion?
Elle est simple en son objet. Nous souhaitons obtenir les chiffres que le ministère de la Défense nationale est à même de fournir au comité.
La motion est rédigée en termes diplomatiques puisque nous demandons en outre « des documents qui pourraient être disponibles sur leur situation actuelle ». Nous nous exprimons ainsi afin de rester dans le cadre du rapport Afghanistan 2006.
C’est très simple.
Merci, monsieur le président.
Je comprends fort bien l’intention qui anime en l’occurrence mon collègue, mais je lui rappelle, puisqu’il a fait partie du gouvernement, que le gouvernement pourrait invoquer l’article 15 de la Loi sur l’accès à l’information qui prévoit très spécifiquement que peut être refusée la communication de tout document dont la divulgation risquerait de porter préjudice à la conduite des affaires internationales.
Les renseignements sur les détenus capturés par les forces canadiennes, et leur situation actuelle, concernent la conduite de certaines opérations et ne peuvent donc pas être rendus publics. Leur divulgation pourrait avoir de très graves conséquences. C’est pour cela que le gouvernement pourrait difficilement appuyer cette motion.
Je pense que nous pourrions probablement...
Malgré les dispositions de la Loi sur l’accès à l’information, il est clair que le Canada a souscrit des obligations internationales qui lui imposent de suivre de près la situation des détenus et des prisonniers. Nous demandons simplement que cette obligation soit respectée et que soit exercée une certaine surveillance. Il est clair que si un problème s’est posé à cet égard, c’est que nos obligations en ce domaine n’ont pas été intégralement respectées.
Je suis tout à fait favorable à la motion, mais je me demande s’il y a lieu de faire cette distinction entre les détenus et les prisonniers. Quand un détenu devient-il un prisonnier, ou doit-on, en effet, prévoir les deux cas? Je ne connais pas très bien les règles de droit international applicables en ce domaine, mais il est possible qu’il y ait effectivement lieu de distinguer entre les deux catégories.
Bernard, vous pourriez peut-être sur ce point nous fournir quelques précisions.
Je voudrais quand même ajouter une question.
J’ai moi-même consulté la Loi sur l’accès à l’information, sans contacter d’abord le secrétaire parlementaire ou le gouvernement.
La motion est ainsi formulée: « demande au ministère de la Défense nationale de fournir un tableau mensuel complet au sujet du nombre de prisonniers capturés jusqu’ici durant notre mission ». Cela s’entend-il des seuls prisonniers capturés par des soldats canadiens? Les renseignements demandés englobent-ils les prisonniers pris par d’autres forces de l’OTAN? Dans certaines régions, les forces d’autres pays de l’OTAN sont sous commandement canadien.
Mme McDonough demande quelle est la différence entre un détenu et un prisonnier. Dans le cadre d’opérations menées de concert avec les services de police et d’autres organismes opérant en Afghanistan, il y a, bien sûr, des prisonniers.
Voici ma réponse. D’abord, en ce qui concerne les détenus et les prisonniers, les détenus ne sont maintenus en détention que pour une période relativement brève. Vous êtes arrêté, on vérifie si vos papiers sont en règle et puis on vous relâche. C’est ça un détenu. Un prisonnier, par contre, est un détenu qui a été remis aux autorités afghanes et qui se trouve actuellement en prison.
Selon ce qui a été dit ces dernières semaines au cours de la période des questions, il s’agit uniquement de prisonniers capturés par les forces canadiennes. Il ne s’agit en aucun cas de prisonniers capturés par d’autres forces de l’OTAN. Il s’agit de détenus aux mains des Canadiens. Ces détenus, arrêtés par le Canada, sont alors remis aux autorités afghanes.
Bon.
Y a-t-il autre chose au sujet du point soulevé par Mme McDonough? Je crois que tout cela est clair.
La parole est maintenant à M. Casey, puis à Mme Lalonde et, enfin, à M. Eyking.
On demande qu’on nous transmette le nombre de prisonniers remis aux autorités afghanes ainsi que les renseignements disponibles concernant leur situation actuelle. Cela veut dire qu’on nous indiquerait leurs noms ainsi que l’endroit où ils ont été faits prisonniers. Or, j’estime que ces renseignements pourraient être très utiles au talibans. Faut-il rappeler qu’il s’agit d’une guerre et non d’une partie de plaisir.
Mme Patel nous a dit ce matin que si l’on s’avisait de fixer un calendrier pour le retrait de nos troupes, ce serait une victoire pour les talibans. J’estime que si l’on fournit une liste nominale des prisonniers, avec la date de leur arrestation et le lieu où ils ont été capturés, on rend service aux talibans. C’est pourquoi je voterai contre cette motion.
Monsieur Goldring.
Un autre comité doit siéger dans cette salle. Je n’avais pas pensé que l’examen de la motion prendrait aussi longtemps.
Cette motion demande la divulgation de renseignements assez poussés. Ce serait fournir à l’ennemi des informations stratégiques concernant des dates, des lieux, des personnes et les motifs de leur arrestation. J’imagine que certains de ces prisonniers sont détenus dans le cadre d’opérations de renseignement. S’agissant de la communication de certains renseignements, jusqu’où peut-on aller?
Un autre problème surgit du fait que certaines opérations sont menées conjointement avec des unités militaires appartenant à d’autres pays, d’où la question de savoir qui a accès aux détenus.
La parole est à Mme Lalonde mais notre temps est épuisé. Cette motion devra être plus longuement débattue. Il n’y a pas d’autre salle où nous puissions déménager et l’examen de la motion doit donc être reporté à jeudi.
La parole est à Mme Lalonde, puis à Bernard.
Monsieur Eyking et monsieur Goldring, il vous faudra attendre la prochaine séance.
[Français]
J'ai un amendement amical à proposer. Il faut ajouter: « et qui ont été remis aux autorités afghanes par des soldats canadiens », puisque cela ne figure nulle part.
On a déjà eu des informations qui ne devaient pas être diffusées ailleurs qu'ici. Pour moi, ce n'est pas une raison pour faire arrêter l'exécution.
[Traduction]
Monsieur Goldring, nous ne demandons pas que nous soient communiqués les noms. Nous demandons le nombre de prisonniers. Nous ne demandons pas que l’on nous indique le lieu de leur capture ou leur destination. Ça fait toute la différence.